Anonyme [1648], LA REQVESTE DES TROIS ESTATS PRESENTEE A MESSIEVRS DV PARLEMENT. , françaisRéférence RIM : M0_3494. Cote locale : D_2_18.
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LA
REQVESTE
DES TROIS ESTATS
PRESENTEE A MESSIEVRS DV
PARLEMENT.

M. DC. XLVIII.

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LA
REQVESTE
DES TROIS ESTATS
PRESENTEE A MESSIEVRS DV
PARLEMENT.

Svpplient humblement les trois Estats du Gouuernement
de l’Isle de France, ioinct auec les Bourgeois & Habitans
de la bonne ville de Paris, se faisant fort du consentement
& vnion des treize Prouinces & Gouuernement du
Royaume, & speciallement de toute les grandes Villes, de la
bonne volonté & intention desquelles lesdits Estats sont associez,
tant par parolles que par escrit, comme aussi par la conjonction
de l’interest commun. DISANS que depuis la mort
du Roy Louys XIII, d’heureuse memoire, quoy que les Princes
grands Seigneurs & Officiers de resouuenances des enormes
iniustices & maux intollerables qui leur ont esté faites & à
tout le Royaume, par ceux qui s’estoient emparé de la puissance
absoluë prés du Roy, sous le nouueau nom de premier
Ministre d’Estat, eussent protesté hautement de ne plus souffrir
qu’vn particulier s’esleuast ainsi sur les espaules des Roys, & à
l’oppression de tout le monde, neantmoins par le trop de bonté
qu’ils ont eu, il est auenu qu’vn estranger nommé Iulle Mazarin,
c’est installé dans ce souuerain ministere, ou il n’a esté esleué
par sa naissance ny par auenu seruice notable rẽdu à cet Estat
ny par aucun merite, veu que l’on sçay qu’il est Cicilien d’origine
& naturel suiet du Roy d’Espagne, de tres-sordide naisance

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qui a esté vallet en diuers endroits à Rome, apres y auoir seruy
mesmes dans les plus abominables desbauches de ce pays-là,
& s’estãt poussé par ses fourbes, plaisanteries & intrigues, de tel
action est venu en France où il s’est introduict par les mesmes
moyens dãs l’esprit de ceux qui gouuernoiẽt, lequel l’ont auãcé
pour leur seruir d’espion, & du ministere pour leur intrigues particulieres
& auec le temps s’est rendu fort puissant sur l’esprit &
sur le conseil de la Royne, tenant hautemẽt tous les grands du
Royaume sans qu’on ayt recognu pendant ce temps d’autre
autorité à la Cour, & dans toutes les affaires du dedans & du
dehors que la sienne, au grand scandale de toute la maison
Royalle & de toute la France, & à la derision mesmes des nations
estrangeres, qu’aussi depuis six ans il a plus fait de mal, de
degast & de rauage que les plus cruels ennemis ny sçauroient
faire, s’il y estoient venus à main armée & vainqueurs : car il a
disgracié, banny & emprisonné sans suiet ny forme de iustice,
les Princes, Officiers de la Couronne, & Cour de Parlement, les
grands Seigneurs & les plus seruiteurs des & Roys des Princes
faict mourir quelqu’vns d’iceux par poison, entre autre le President
Barillon, faisant passer pour crime d’estre trop affectionné
au seruice du Roy, & au bien de l’estat, il n’a aupres de luy
que des gens tres meschans, sans honneur & sans foy, traistres,
concussionnaires, impies, & athées, s’est attribué la charge de
gouuerneur du Roy, pour le nourrir à sa mode, & l’empescher
de la compagnie des choses necessaires a bien regner, afin
de demeurer tousiours son maistre, luy insinuer des sentimens
d’auersion contre les gens de bien, contre ses Parlemẽs & contre
ses bõnes villes, de peur qu’ils ne s’approchent vn iour pour
luy faire cognoistre la verité du malheureux estat ou il les veut
reduire, il a corrompu ce qui estoit de candeur, de foy de bonne
mœurs dedans la Cour, par des artifices fourbes, & perfidies,
y a par son exemple mis en regne les berlans & ieux de hazard,
qui sont les ruines des plus grandes maisons, & autoriser l’impudicité
& rauissement, dont il s’est plus veu d’exemple notables
depuis qu’il ne s’en estoit veu depuis cent ans, a osté les

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charges sans cognoissance de cause, à des personnes de merite,
pour les donner à d’autre, afin d’en faire ses creatures, a violé
& renuersé la Iustice, empeschant que l’on en puis auoir aucune
contre ceux qui luy appartiennent, arrestans les iustes poursuites
contre des crimes attroces, cassant & elludant à tous momens
les Arrests des Cours souueraines, par des euocations &
par des Arrests de Commissaires d’en haut, qui pis est il a pillé
& rauy toutes les Finances du Roy, & reduit sa Maiesté en vne
indigences extréme, & tous les suiects dans vne misere pire
que la mort : car non seulement il a espuisé tout ce qu’il y
auoit de deniers liquides par des comptans qui montent par an
à des cinquante & soixante millions, mais encore il a consommé
par auance 3. années du reuenu du Roy, pour embroüiller
& confondre à iamais l’ordre des Finances, il auctorise & amplifié
estrangement cette maudite engeance de Partisans qui la
plus part venu de laquais & palferniers gourmandent toute la
France à coups d’estriuieres ont mis les Tailles en party, faisans
leuer par le moyen des compagnies de fuzeliers qui sont
autant de Demons déchainez, ont creé grande quãtité de nouueaux
Officiers de toute sorte, & fait de iour en iour des impots
insupportables, pour l’execution desquelles ils se sont seruy de
cruauté, & de tortures capables de tirer de la moüille des os des
malheureux François, qui eussent esté biẽ aise d’en estre quitte
pour leur abandõner tout leur bien, & paistre l’herbe cõme des
pauure bestes, s’estãt veu toute à la fois 23000. prisõniers dãs les
Prouinces du Royaume pour les taxes des Tailles & autres imposts,
dont il en est mort cinq mil hommes dans cette langueur,
l’an mil six cens quarante-six, ainsi qu’il se verifie par les escrouës,
& registres des Geolliers. Neantmoins quoy qu’il ait
consommé tous les ans plus de cent ou six-vingts millions, ainsi
qu’il est aisé de iustifier par les Comptes, en deniers prouenus
tant des Tailles, des Fermes, des Parties Casuelles, des gages
& droicts. Il n’a payé ny les gens de guerre, ny les pensions desquelles
toutefois il monstre de grands estats pour couurir ses
volleries, ny pourueu les places frontieres d’hommes, ny de munitions,

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ny satisfait aux estats de la Marine & de l’Artillerie,
dont il est deub plus de quatre années, n’a fait aucuns biens aux
gens de vertu & de merite, ny donné aucune recompense à
ceux qui ont prodigué leur bien, & leur sang pour le seruice du
Roy : au contraire, il a fait perir de malfaim & de necessité presque
toutes les armées du Roy, lesquelles n’ayant touché depuis
cinq années que deux monstres par an, il est mort plus de six-vingts
mil soldats de misere & de necessité, & horrible pauureté.
Si bien qu’il est certain & se peut prouuer par plusieurs tesmoings
irreprochables, qu’il a partagé ces grandes sommes de
deniers auec ceux qu’il a autorisé, & en a englouty la plus grande
partie qu’il a fait transporter, tant par lettres d’eschange,
qu’en especes & pierreries, & ce sous pretexte de faire la guerre
en Italie, & de conquerir quelques places comme Piombino
& Portolongone. Donc partant on sçait bien qu’il a laissé les garnisons
mourir de faim, leur estant deub encores à present huict
monstres, & qu’il n’a point fait faire les reparations necessaires :
de sorte qu’elles ne peuuent resister à la moindre attaque de
l’ennemy : de plus, pour auoir sujet de continuer tousiours la
guerre, & par mesme moyen les pretextes de sa tyrannie & de
ses volleries. Il a esloigné la paix lors que la France la pouuoit
auoir la plus aduantageuse, toutes les armées victorieuses ont
esté sur le poinct de faire de grands progrez, il a rompu & destourné
par des malices secrettes, & n’a point eu de conscience
de les perdre & dissiper, & mesmes d’exposer les Princes qui les
commandoient, comme l’on a veu en Catalogne par deux fois,
au siege de Lerida, à la surprise de Courtray, & aux affaires de
Naples, qu’il a laisse déperir, non sans beaucoup d’apparence,
qu’il s’entend auec les ennemis de l’Estat, afin de trouuer refuge
chez eux, si la France ennuyée de ses tyrannies vient à le
chasser. Ce Consideré, MESSIEVRS, & de plus, qu’il est
estranger, & estably naturel sujet du Roy d’Espagne, partant
incapable d’auoir Charge en France, par les Loix du Royaume,
par les Ordonnances des Roys, qui ont si souuent banny les
Italiens, & par l’Arrest autentique & celebre, de l’année mil six

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cens dix-sept, en suitte de la mort du Mareschal d’Ancre, IL
VOVS PLAISE faite remonstrance à Royne, sur les grands
malheurs & desordres que ledit Mazarin a causez, & sur ceux
qu’il causeroit à l’aduenir s’il demeuroit plus long-temps dans
cette domination illegitime & violente. Comme aussi de faire
entendre & remonstrer aux Princes du Sang la captivité, où les
premiers Ministres de l’Estat ont mis eux & tout le Royaume
depuis si long-temps les extrémes dangers où ils les ont mis
par plusieurs fois, leur remonstrer deuant les yeux les reproches
que leur feront la posterite, de s’estre laisse surprendre, &
de ne souffrir plus qu’vn estranger mette en seruitude pour iamais
le Roy, & toute la Maison Royale. Partant que sa Majesté
& lesdits Princes, preuenant les dangers ineuitables qui en
arriueront si ils n’y pouruoyent promptement, veulent faire
arrester ledit Mazarin sous bonne & seure garde, repeter de
luy les finances du Roy qu’il a vollees & le chastier exemplairement
de tant de crimes enormes qu’il a commis. Et afin que
la France, & les Roys, Princes & peuples ne retombent plus à
l’aduenir dans vne mesme seruitude, que les Princes veulent se
donner la peine, comme enfans de la Maison, & leur interest
conjoint auec ceux de l’Estat, & que ceux des François fauoris
y sont tousiours contraires de manier lesdites affaires par leurs
propres mains, non plus par celles des fauoris qui les trahissent
& les vendent, & de vouloir gouuerner eux-mesmes par l’aduis
des Seigneurs & des personnes de qualité, d’experience & de
probité irreprochable, sans plus permettre l’entrée du Conseil
à des gens de neant, corrompus, & tels que ledit Mazarin y a
introduits, afin qu’ayant exterminé tous les imposts & les ruines
de la tyrannie passée, & remedier aux desordres infinis qui
sont prouenus, & ils puissent gouuerner la France sous les Loix
de Dieu & celles du Royaume, conclure vne paix aduantageuse,
faire respirer les peuples qui n’en peuuent plus : & en fin rendre
cét Estat si puissant, & si heureux au-dedans & au dehors,
qu’il ne craigne plus l’oppression des meschans Ministres, ny

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les efforts des ennemis, protestant les Estats & les autres bons
François qui Dieu mercy sont en Corps en grand nombre. Que
s’il n’y est pourueu promptement, & comme il est necessaire,
ils y employeront, s’ils y sont contraints, tout leur bien & leur
sang pour y remedier, & se seruiront de tous les moyens que la
nature & le deuoir enseignent pour deffendre son Roy, son
pays, sa liberté & sa vie.

 

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