Anonyme [1652], LA PRISE DE LA VILLE ET CHASTEAV DE LANGON, PAR QVELQVES TROVPES DE MR LE PRINCE. SOVS LA CONDVITE DE Mr LE MARQVIS de Luysignan, Lieutenant General dans l’Armée de Son Altesse. , françaisRéférence RIM : M0_2872. Cote locale : C_12_47.
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LA PRISE DE LA VILLE ET CHASTEAV
de Langon, par quelques Troupes de Mr le Prince : Sous la
conduite de Mr le Marquis de Luysignan, Lieutenant General
dans l’Armée de S. Altesse.

C’Est auec quelque sentiment de douleur que
nous publions vne Victoire qui est teinte en
partie du sang de nos voisins ; & que nous décriuons
la Prise d’vne Ville qui est trop proche de
Bordeaux, pour ne pas émouuoir nostre pitié par sa
perte. Mais puis qu’elle s’est renduë digne de cette
punition, & que sa trahison a donné occasion à cette
Victoire ; Nous pouuons accorder nostre ioye auec
nostre compassion, & à mesme temps que nous plaignons
Ie malheur des vaincus, loüer le bon-heur &
la iustice des Armes de Mr le Prince, qui les a vaincus
comme Ennemis, & punis comme perfides.

Les habitans de Langon ont iustement merité ces
deux mauuais noms, puis que ce fut par l’intelligence
de quelques-vns d’entr’eux, & par la lâcheté de
quelques autres, que la Serre Baltazar, celuy qui
s’estoit saisi quelque temps auparauant du Chasteau
de Budos, se rendit Maistre de cette Ville. C’est
pourquoy Mr le Prince de Conty, qui veille continuellement
à la conseruation de cette Prouince,
donna ordre au Marquis de Luysignan d’aller attaquer
cette place pour en chasser les ennemis, & pour
y punir les Habitans Coupables.

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Ce Marquis partit de Bourdeaux le 12. du mois
de Iuillet, accompagné des sieurs de Pybrac & de
Bourgongne, Mareschaux de Camp, & se rendit
deuant Langon le 14. du mesme mois sur les huict
heures du matin, auec deux Pieces de Canon. Il
auoit des forces considerables, à sçauoir les Regimens
de Caualerie de Conty, de Pybrac & de Marche,
les Regimens d’Infanterie de Conty & de Galapian,
& vn Regiment Alemand. Outre cent
hommes d’Anguien, & 40. de Montmorency, que
le sieur de S. Micaut, qui commande dans Bazas
sous l’authorité de Mr. le Prince, y auoit conduits
quelques iours auparauant, auec les Communes de
Bazas, de la Reolle, & de S. Macquaire, qui au bruit
de cette expedition s’estoient rendus deuant cette
place, pour y donner des preuues de leur zele & de
leur fidelité.

Dés que le Marquis de Luysignan fut arriué, il
alla visiter ses Troupes, & donna les ordres necessaires
pour l’attaque de la Ville Le sieur de Bourgoigne
qui estoit de iour, & qui auoit pris le poste
du Faux-bourg S. Geruais, détacha d’abord
vingt hommes du Regiment de Conty, auec vn
Lieutenant nommé la Prairie, pour aller reconnoistre
les auenuës de la porte. Luy-mesme suiuit
incontinent apres à la teste des Regimens de Conty
& des Alemands. L’ardeur & l’impatience des attaquans
fut si grande dans ce premier Combat, que

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ne pouuans attendre que la porte fut forcée, quelques-vns
monterent sur les murailles, & se jetterent dans la Ville.

 

A mesme temps le Regime nt de Galapian donna d’vn
autre costé, & auec vne semblable vigueur attaqua la porte
qu’on appelle de Bazas. Le sieur de S. Micaut, auec ceux
d’Anguien & de Montmorency, & quelques volontaires
de Bazas, s’estoient desia saisis du Conuent des Carmes,
qui estoit vn Poste tres-auantageux pour fauoriser cette
attaque.

Les ennemis firent d’abord quelque legere resistance ;
Mais soit qu’ils ne fussent pas en assez grand nombre pour
garder toutes les aduenuës de la Ville, soit qu’ils fussent
estonnez par la vigueur des attaquans, ils abandonnerent
incontinent les murailles, & se retirerent quelques vns dedans
l’Eglise, & les autres dans le Chasteau.

Il ne faut pas que les Autels seruent d’azile aux crimes,
ny qu’il soit permis aux coupables de nuire impunément
pour s’estre retirez dans les Eglises. C’est pourquoy les attaquans
creurent en cette occasion, que sans violer le respect
deu à la Religion, ils pouuoient aller combattre les
ennemis dans l’Eglise, & les arracher des Autels. Ils essayerent
d’abord vn moyen moins violent, & entrerent l’épée
à la main pour les obliger de se rendre : mais voyant que
ceux-là s’estoient retirez dans le Clocher, d’où ils faisoient
vn grand feu à trauers les ouuertures de la voute, ce qui incommodoit
beaucoup ceux qui se presentoient à la porte,
& que plusieurs y auoient esté tuez & blessez, ils furent enfin
contraints d’auoir recours à vn remede plus extréme.

Le sieur de Saincte Colombe, Capitaine dans Conty,
fut commandé d’aller mettre le feu dans l’Eglise auec 2.

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Soldats, qui eurent ordre d’y porter de la paille &
du bois ; ce qu’ils executerent vigoureusement. La
flamme alla vn peu plus auant que ne vouloient ceux
qui l’auoient allumée. Mais elle fit l’effect qu’ils pretendoient ;
En bruslant ce Saint lieu elle obligea les coupables
de se rendre, apres auoir souffert toutes sortes d’extremitez.
On donna la vie à ces hommes à demy bruslez, &
on conserua l’honneur aux femmes qui s’estoient retirées
dans cét azile.

 

Comme desia il se faisoit tard, on differa au lendemain
l’attaque du Chasteau. Le reste du iour & la nuict suiuante
fut employée à disposer toutes les choses necessaires
pour ce dessein. Le sieur Borgoigne alla luy mesme attacher
le mineur, accompagné des Sieurs Duré, & Lebret,
Capitaines dans Conty, & du sieur Barbier domestique
de Madame de Longueville, qui combattit comme volontaire :
Ils porterent les madriers iusques au pied de la
muraille ; mais les grands feux qu’on jettoit continuellement
du Chasteau, contraignirent le mineur de se retirer.

Cependant d’vn autre costé on mettoit les Canons en
batterie ; Et ce fut là où le sieur de Saint Martin le jeune
fut tué, faisant des fonctions de sa charge auec beaucoup
de generosité & d’adresse. Vn Commissaire de l’Artillerie
prenant la place de celuy-cy, receut vn coup de mousquet
à la teste, mais qui ne fut pas dangereux.

Le Canon commença à tirer enuiron les 8. heures du
matin, & sur les trois heures apres Midy la breche pareut
raisonnable. Et lors l’impatience de quelques Volontaires,
ne pouuant souffrir qu’on differast plus long-temps à

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donner de l’employ à leur courage ; Ils commencerent à
donner sous la conduite du sieur Barbier, qui se mit à
leur teste. Mais le Marquis de Luysignan reprima incontinent
cette ardeur precipitée, & obligea les assaillans
de se retirer.

 

Sur les quatre heures du soir, ce Marquis apres auoir
fait sommer la place, & voyant que Lasserre-Balthazar
refusoit de se rendre prisonnier de guerre, & s’obstinoit
à souffrir l’assaut auec six-vingts hommes qui estoient
dedans, fit commencer l’attaque. Le sieur de Pybrac qui
estoit de iour, donna vigoureusement du costé de la bréche,
auec les Regimens de Conty & d’Anguien, & celuy
de Galapian, auec le sieur de Saint Micaut, donna à
mesme temps par la porte du Chasteau, apres auoir passé
par dessus les palissades. Vn Sergent du Regiment de
Conty fut celuy qui entra le premier à la bresche la halebarde
à la main, & les autres suiuirent apres auec tant
d’ardeur & de courage, que dans moins de demie heure,
le Chasteau fut forcé, & tout ce qui se presenta à la premiere
impetuosité du Vainqueur, fut mis au fil de l’épée.

Il y en eut neantmoins quelques-vns que la prudence des
Chefs deliura de la fureur des soldats ; Ils donnerent la vie à Lasserre
Baltazar, à condition qu’il rendroit le Chasteau de
Budos, dont-il estoit le maistre. Ils conseruerent encor à
deux Iurats les restes d’vne miserable vie, que les coups
qu’ils auoient receus leurs auoient à demy ostée. On sauua
auec beaucoup de soin l’honneur des femmes qui s’estoieut retirées
dans la place. Le Marquis de Luysignan ayant donné ordre
au Sr. Barbier de les conduire toutes en quelque lieu d’asseurance.
Il entra dans le Chasteau auec deux Peres Capucins à qui la charité
fit faire dans cette occasion tout ce que le courage inspire aux
plus braues, & auec l’ayde de ces Peres, il les mena dans leur
Eglise.

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Tous ceux qui ont parû dans cette occasion, y ont merité de
particulieres loüanges. Le Marquis de Luysignan a fait tout ce
qu’on pouuoit attendre d’vn sage & d’vn vaillant Capitaine, &
a couronné dans cette derniere action ce les qu’il a faites pour le
bien de ce Pays. Les Sieurs. de Pybrac & de Bourgoigne, ont
donné dans toutes les attaques des preuues de leur valeur. Tous
les Officiers de Conty y ont faict des merueilles : comme Duré,
Lebret, Desforges. Ceux d’Anguien, de Galapian, & des Alemans
ont fait le mesme. A l’attaque du Chasteau il n’y eut que 7.
soldats tuez, & vn Lieutenant auec vn Sergent de Galapian.
Mais à l’attaque de l’Eglise, Lalande Capitaine de Conty, deux
Sergens & quatre soldats de ce mesme Regiment furent tuez sur
la place, vn Lieutenant & 10. soldats blessez. Des Alemans, vn
Lieutenant, vn Sergent & 8. soldats tuez, autant de blessez. Sre.
Foy Commandant l’attaque d’Anguien, fut blessé à la gorge, &
Barbuscan Capitaine dans le mesme Regiment, receut vn coup
de mousquet dans la cuisse à l’attaque des Carmes, où il se comporta
genereusement, comme fit aussi Gast son Lieutenant, & les
Volontaires de Bourdeaux, de Bazas, de la Reolle & de S. Macuaire.

Il ne faut pas mesurer la grandeur de cette Victoire par la reputation
de cette Ville, mais par les suittes qu’elle traine apres
soy. Car outre que par ce moyen on a osté aux Ennemis vn poste
tres-auantageux, & qui pouuoit beaucoup in commoder le commerce
de la Riuiere : On a fait encor de la punition de cette Ville
vn exemple pour toutes les autres. En fin le principal fruict de cét
aduantage a esté la reduction du Chasteau de Budo, que Lasserre
à faict remettre entre les mains du Sr. Marche qui l’auoit conduit
deuant cette place, pour l’execution des promesses qu’il en auoit
faites.

FIN.

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