Anonyme [1649], CANTIQVE DE REIOVISSANCE DES BONS FRANÇOIS, POVR L’HEVREVX RETOVR du ROY dans sa bonne Ville de PARIS. Auec vne tres-humble Remonstrance à la Reyne Regente. , françaisRéférence RIM : M0_622. Cote locale : C_1_2.
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CANTIQVE DE REIOVISSANCE
des bons François, pour
l’heureux retour du Roy dans sa
bonne Ville de Paris.

Auec vne tres-humble Remonstrance
à la Reyne Regente.

LOVEZ & benissez le Nom du
Seigneur, Peuples & Nations de
la terre ; Mais toy particulierement
Royaume de France resjoüis
toy, & rends mille actions de
graces au Dieu tout puissant, de ce qu’ayant esté
ietté sur le penchant d’vne ruine entiere par la
malice & par l’ambition des iniques tu as esté
deliuré par sa main secourable & miraculeuse ;
tes esperances estant abbatuës, il les a releuées, ta
prosperité, ton abondance & ta gloire estant
esteintes, il leur a donné vn nouuel éclat : Et en
vn mot, comme tu cõmençois d’estre vn Royaume

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de diuision, de desordre & de confusion, il t’a
rendu par son admirable prouidence, ta premiere
tranquillité, & au lieu des haïnes & des méfiances,
il t’a vny estroittement auec ton Roy : Il a dissipé
le conseil des malins, & nostre grande Reyne
estant desabusée & a doucie, a preferé par vne
bonté veritablement Royalle & Chrestienne, le
salut des Peuples aux venimeux ensorselemens
des flateurs, qui ne respirent que le trouble. Sa
Maiesté nous a redonné nostre Roy, & a changé
la nuict funeste & lamentable de son esloignement
en vn iour heureux & plein de réjoüissance.

 

Et toy Ville de Paris, réioüis toy, & chante au
Seigneur vn nouueau & admirable Cantique.
Tu estois tombée du plus haut comble de la prosperité
& de la gloire dans vn abisme de malheurs ;
Et ces augustes noms de Reyne des Villes,
& de merueille de l’Vniuers, que ta richesse, ta
grandeur, & ton delicieux seiour t’ont acquis,
ont failly à estre changez & perdus, tu as esté sur
le poinct de deuenir l’opprobre du monde, &
tout ensemble l’objet & l’exemple le plus lamentable
de la fragilité & instabilité des felicitez &
des grandeurs de la terre. Mais la diuine & misericordieuse
prouidence du Roy des Roys, ayant
inspiré le retour tant souhaitté de ton ieune &

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incomparable Monarque, te va redonner vne
nouuelle splendeur beaucoup plus éclatante que
la precedente ; & comme les iours calmes & sereins
qui succedent aux pluyes & aux orages,
paroissent auec plus d’éclat, & resioüissent beaucoup
dauantage, ainsi la presence de ce bel Astre
se fera sentir plus lumineuse & plus charmante
apres vn si long & si ennuyeux éclipse. Oüy nostre
ieune Roy est vn Astre bening, ou plustost
vn Soleil dont l’apparition doit rauir tous ses Sujets :
car ses rayons & ses influences dissipent les
tour billons les plus espais, & reduisent à neant
les plus obscures nuées de nos confusions & de
nos mal-heurs. C’est l’anchre ferme de nostre
esperance qui nous deliure du naufrage, & le havre
& port le plus asseuré de nostre salut.

 

Benissez donc le Seigneur, vous tous qui estes
habitans de cette grande Ville ; Grands & petits,
faites retentir iusques au Ciel vos acclamations
de ioye, & que la liesse de vos cœurs ouure vos
bouches & délie vos langues pour faire éclater
vostre voix en exultations & remerciemens enuers
le Tout-puissant. Chantez & resioüissez-vous
filles de Paris : car l’arriuée de nostre Roy est
comme vn parfum épandu ; il nous fait oüir sa voix, &
nous monstre son beau visage, ha ! que sa voix est douce,
& que son regard est charmant & de bonne grace ;

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Nostre Roy bien-aimé est à nous & nous sommes à luy.
Il est venu visiter son grand troupeau, & il promet
de le conseruer & de le paistre en paix & en
douceur tous les iours de sa vie, parmy les felicitez
de l’abondance, & sous les sacrés auspices de
la Pieté & de la Iustice, qui seules maintiennent
les Throsnes, & attirent les benedictions celestes
sur les testes couronnées & sur leurs Sujets ;
Sortez filles de PARIS, & regardez le Roy Lovys
auec la Couronne dont sa Mere la couronné : Nostre
bien aimé est descendu en son Verger au parquet des drogues
aromatiques : afin de paistre son Troupeau dans
les Vergers parmy le muguet, c’est à dire, parmy les
delices & les douceurs qu’il prepare à ses Suiets.
Et vous vieillards quittez vos craintes & vos apprehensions,
puis que nostre DIEV-DONNÉ
se redonne encore vne fois à nous, qu’il est resolu
de fermer le Temple de Ianus, & d’esloigner
de son Palais le trouble & la discorde, & vous faire
ioüir vous & vos enfans d’vn repos parfait au
milieu de l’agitation vniuerselle de toutes les autres
Nations.

 

Cela est
imité du
Cantique
des Cantiques.

Son arriuée nous fait esperer vn Siecle de delices,
& sa presence couppe les racines de la guerre
Ciuile & de toutes les calamitez qu’elle entraisne
apres soy. Et au lieu qu’il sembloit que
le Royaume des Fleurs de Lys alloit dechoir de

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sa premiere splendeur ; nous le verrons bien tost
au dessus de tous les Empires du monde, par cette
vnion parfaite qui sera desormais entre le
Souuerain & ses Sujets ; Son arriuée est le sceau
& le tesmoignage le plus asseuré de son affection
enuers son Peuple, & le plus sacré lien qui puisse
ioindre les cœurs à son amour, & les obliger à
vne parfaite obeyssance. Toutes nos foiblesses,
nos craintes & nos méfiances s’esuanoüiront,
& les faux visages de la rebellion, & de ceux qui
pour nous perdre se disoient estre nos Protecteurs,
tomberont bien viste. Le masque dont
on s’est paré pour nous échauffer aux emotions
ne couurira plus la laideur de ces mauuais Politiques,
qui sous des pretextes trompeurs ont
voulu engager ou plustost precipiter ce Royaume
dans les plus cruelles guerres, & la plus déplorable
misere qu’aucune Monarchie ait iamais
esté plongée.

 

Mais ô Dieu, nous connoissons tres visiblement
que vostre bonté a vn soing tout particulier
de la France, & que vostre prouidence fauorable
agit tousiours pour sa conseruation : car lors
que toute la prudence & toute la force, de ceux
qui sont obligez de la conseruer & de la proteger,
semblent estre perduës & abbatuës, & que
le bras de la chair n’est pas capable de luy donner

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aucun secours, alors vous estendez le vostre
miraculeusement, & la deliurez tout à coup.
Aussi ô Dieu secourable, à vous seul en doiuent
estre données la gloire & les remerciemens, &
nous deuons confesser qu’en nous, ny en ceux
qui nous gouuernent, il n’y a que foiblesse & confusion
de face.

 

C’est vous, ô grand Dieu, qui auez inspiré le
cœur de la Reyne & des Princes du Sang, & qui
leur auez fait connoistre que la clemence & la
douceur sont les plus agreables & les plus faciles
moyens pour gagner l’amour & l’obeyssance
des Peuples : C’est vous, qui auez fait connoistre
à la Reyne, que le Roy est plus estroitement obligé
à ses Sujets, qu’a elle-mesme, encore qu’elle
luy ait donné l’estre : car le Roy comme Fils
luy a esté donné de Dieu, mais comme Souuerain
& comme Pasteur il a esté destiné pour son
Peuple ; comme Roy il doit demeurer à Paris,
où son Throsne est esleué auec plus d’éclat &
plus de splendeur qu’ailleurs, pour gouuerner la
machine de la France, dont cette Ville est le
grand balancier & la principalle roüe ; Comme
Fils il doit l’obeyssance de son enfance à la Reyne
Reger te iusques à sa minorité, Et estant l’ame
& le principal mobile de l’Estat, il ne peut
tenir son Siege ailleurs que dans le cœur d’iceluy,

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à moins qu’on luy vueille faire courir fortune
de tomber dans des foiblesses & des defaillances
extremes.

 

Les objets presens donnent et augmentent
l’amour qu’on a pour leurs perfections, mais l’absence
et l’esloignement effacent en fin de la memoire
et de la foible idée des hommes les choses
qui semblent y estre le plus auant engrauées. Et
particulierement dans l’esprit des François, qui
aymans auec passion leurs Princes les veullent
voir auec facilité, ne trouuans rien de si insupportable
que ces maximes nouuelles, qui tâchent
de les rendre inuisibles pour les rendre moins
aimables, et qui les veullent reduire à cette coustume
des derniers Roys de la premiere lignée
qui demeuroient tousiours enfermez dans la
molesse et dans loisiueté, pendant que les Maires
du Palais auoient vsurpé toute l’authorité.

Nous sçauons bien que le dessein de nostre
auguste Reyne sera tousiours contraire à ceux
qui conceuroient de telles entreprises, et qu’elle
a le cœur et les pensées trop releuées et trop
Royalles pour consentir à rien de semblable : Et
elle nous donne à present vne preuue bien certaine,
puis qu’elle nous rend nostre Roy, & qu’elle
l’a conduit sur son Throsne, pour le faire paroistre

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auec vne gloire & Maiesté esclatante deuant
les yeux de ses Sujets qui en sont rauis d’aise,
& qui pour vn si grand bien faict luy donnent
mille benedictions, & luy souhaittent vne
longue vie pleine de felicitez, maudissans en
leur cœur tous ces hiboux & ces orfrayes, qui
par leurs effroyables voix ont tasché de ternir le
lustre & la pureté de sa vie.

 

Les plus gens de bien, & tous les veritables
François estans resolus de la reuerer comme vne
diuinité visible, & luy rendre toutes les obeyssances
qu’elle exigera de leur fidelité & de leur
amour, pourueu qu’il luy plaise de nous aymer
aussi reciproquement, & de faire tous ses efforts
pour redonner à la Chrestienté desolée vne bonne
& asseurée Paix ; & s’attirer par ce moyen vn
Empire absolu non seulement sur le cœur de
ses Sujets ; mais aussi sur tous les Peuples de l’Europe
qui l’appelleront à iuste tiltre la Reyne de
la Paix, & la restauratrice de la Chrestienté.

Et attendant que le Dieu de Paix luy fasse la
grace de pouuoir accomplir cette grande œuure,
elle trauaillera auec les Princes du Sang Royal,
& auec les Seigneurs de son Conseil à calmer les
émotions des Prouinces, à reformer les abus, à
reprimer les excessiues rapines des Financiers,

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& à soulager ses Peuples des insupportables impositions
dont on les a presque accablez. Et pour
comble des biens-faicts que nous attendons de
sa main, elle fera son plus ordinaire seiour à Paris
auec nostre ieune Roy, elle ostera les méfiances
& les mes-intelligences qui pourroient renaistre
entre ses Ministres & les Parlemens, elle
restablira le commerce et l’abondance, elle fera
refleurir les Arts et les Sciences dans les Villes,
et l’Agriculture dans la campagne ; Et en fin si sa
Majesté veut, elle rendra ce Royaume pacifique
et florissant par dessus tous ceux de la terre, et
elle aura l’auantage d’estre Mere du plus grand,
du plus accomply, et du plus victorieux Monarque
qui soit au monde, de Regente des plus heureux,
et des plus glorieux Peuples de la Chrestienté.

 

Estant au reste tres-veritable que les Princes
qui regardent leurs Sujets d’vn œil de pitié, sont
mille fois plus aimez, que ceux qui les traittent
auec colere et auec rigueur, Ces passions impetueuses
mettant en desordre leur visage aussi
bien que leur esprit, par vn mouuement enflammé
qui ne conuient pas bien à la Majesté des
Roys, et qui ternissant leur éclat, diminuë aussi
la crainte, l’amour, et le respect qu’on est obligé
de leur porter.

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La vengeance aussi est tres-messeante aux
Princes, et toute leur conduite en doit estre depoüillée,
s’ils veullent qu’on les ayme au lieu de
les apprehender. C’est vne furie infernale, qui
ne se repaist que de sang et de carnage, et qui
ne trouue aucune satisfaction que parmy les incendies
et les sacrileges, ceux qui aiment Iesus-Christ
et qui veullent estre creus ses imitateurs,
la doiuent fuyr comme la peste, et tascher de rendre
tousiours le bien pour le mal, et vaincre leurs
ennemis en leur bien-faisant. Le Roy Dauid
(quoy qu’assez accoustumé au sang, et quoy que
nostre Seigneur ne nous eut pas encore commandé
de pardonner à ceux qui nous maudissent
et qui nous courent sus) pardonna pourtant
à Scinchi fils de Guera, quoy que dans son aduersité,
fuyant deuant l’Armée de son fils Absalon,
il l’eut maudit, qu’il l’eut iniurié, qu’il se
fut mocqué de luy, et qu’il luy eut ietté des pierres
et à ses gens. Les Histoires prophanes nous
faurnissent aussi diuers exemples qui nous font
voir que la generosité, la misericorde et la clemence
rehaussent auec vn éclat merueilleux la
vertu et la gloire des plus grands Princes. Et
pour ce qui concerne nostre bonne Reyne, nous
esperons que la Pieté auec laquelle elle attire les

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benedictions du Ciel et l’amour des Peuples, sera
suiuie de ceste mansuetude & douceur pleine
de Clemence enuers tous ceux qui ont esté si
malheureux que de luy auoir dépleu : Le Roy
Salomon qui estoit le Prince des Sages dit que la
Pieté rend les Roys bien heureux par dessus le reste
des hommes. Mais que la Clemence n’en fait
pas moins, puis qu’elle les rend semblables en
quelque façon à celuy qui leur a donné l’estre, &
qui les a éleués au dessus de tant de milliers
d’hommes plus forts & plus robustes qu’eux qui
pourtant leur sont assuiettis.

 

Au second
I iure de
Samuël.

Songez donc à cela grande Reyne, & comme
nostre cœur n’est porté qu’à vous rendre toute
sorte de fidelité & d’obeïssance, nous vous supplions
pour l’amour de ce Roy des Roys, qu’il
vous plaise de despoüiller toute sorte de haine &
de vangeance, & nous regir à l’aduenir auec la
mesme franchise qu’vn pere doit auoir enuers
ses enfans ; vous sçauez Madame, que Dieu ne
veut pas la mort du Pescheur, mais sa conuersion
& sa vie ; puis donc que nous sommes entierement
conuertis, & que nous desirons de
demeurer si estroittement vnis à nostre Roy &
à vous, donnez nous la vie & le repos & nous
vous benirons éternellement.

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Et puis que vous auez si bien commencé, en
nous ayant ramené nostre Roy, & que nous esprouuons
desia les bonnes volontez de vostre
ame. Par vn si grand effect, continuez Madame,
et acheuez vne si glorieuse entreprise, donnez
le calme entier à la Chrestienté, et relaschant
quelque chose de vos interests mondains, auancez
ceux de Iesus Christ, qui vous presche la paix
et qui declare bien heureux ceux qui la pourchassent.
La guerre des Catholiques contre les
Catholiques, de la sœur contre le frere, du neueu
contre l’oncle, est scandaleuse, et nostre Seigneur
nous declare que les offrandes de nostre
cœur, ny celles que nous portons à l’Autel ne
luy peuuent estre agreables, si auparauant que de
les presenter nous ne nous reconcilions auec nos
prochains et auec nos freres, et que nous nous
despoüillions de toute inimitié et rancune.

L’execrable Regicide que les Anglois ont
commis depuis peu, contre toutes les Loix Diuines
et humaines, sera vn assez digne suiet pour
exercer la valeur des François et des Espagnols ;
vous y estes interessée, Madame, par tant de puissantes
raisons, outre celles de l’Alliance et du
Sang, et vostre Maiesté les sçait si bien, que ie
crois estre inutile de vous les ramenteuoir ; ie

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vous diray seulement, que tous les Roys de la
terre doiuent receuoir, par contre-coup, le barbare
traittement fait à la personne de Charles
I. Roy d’Angleterre, comme s’il auoit esté fait à
leur propre personne. Ce cruel et impitoyable
outrage doit attirer l’indignation de tous les
Souuerains, et ils ne doiuent iamais cesser, iusques
à ce qu’estans vnis ensemble, ils n’ayent
vangé cette mort honteuse et horrible, qui leur
est également iniurieuse à tous ; Outre qu’il y aura
de la gloire et du merite tout ensemble de faire
la guerre à des cruels Heretiques, et de releuer en
mesme temps vn Diademe foulé aux pieds, et ramasser
vn sceptre porté par terre, pour le remettre
entre les mains du ieune Roy Charles II. qui
en est le legitime heritier, et auquel tous les
Princes de l’Europe ne peuuent refuser sans honte,
le secours que tous les gens de bien leur demandent
en son nom. C’est-là braues & genereux
Guerriers qu’il faut aller exercer vostre courage,
c’est la où vos trauaux seront également glorieux
dans le monde & meritoires deuant Dieu ;
& en vn mot c’est dans vne iuste guerre comme
celle-là, qu’il faut hazarder sa vie, mieux que
dans celle que nous nous faisons à present, qui ne
produit que des ruisseaux de sang fidele, & qui

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tous les iours affoiblit & ruine de fonds en comble
la Chrestienté.

 

Voila Madame où vostre Maiesté doit employer
le reste de sa Regence, pour en rendre l’histoire
entierement glorieuse ; & en mesme temps
calmer les orages de la France pour la remettre
dans vne glorieuse tranquilité ; afin d’auoir le
contentement & l’honneur de remettre entre les
mains du Roy, (lors qu’il aura atteint l’année de
sa Maiorité) son Estat aussi florissant & triomphant,
comme vous l’auez receu des mains du
feu Roy, auec ceste augmentation de gloire
pour vous, que vous ayant esté laissé engagé
dans vne guerre estrangere, vous le luy rendrez
pacifique dedans & dehors, ses suiets estans soulagez
& iouyssans d’vn repos parfait au milieu de
l’abondance. Ha ! Madame quelle ioye & quelle
satisfaction aura vostre Maiesté, si Dieu luy fait
la grace d’accomplir toutes ces choses, comme ie
souhaitte : certes, elle se pourra vanter d’estre
la plus glorieuse & la plus heureuse de toutes les
femmes ; & vostre Maiesté pourra passer le reste
de sa vie en autant de felicité, & de tranquilité
que Reyne qui ait iamais porté Sceptre : attandant
la mort doucement au milieu de dix milions
d’ames qui vous honoreront & beniront
sans cesse.

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Et lors que nostre braue Roy aura passé sa ieunesse,
& son adolessence au milieu de son Royaume
pacifique, en apprenant toutes les choses
qui luy seront necessaires pour se rendre parfait
de corps & d’esprit, & pour glorieusement &
heureusement regner ; Mais particulierement
quand il sçaura que la Iustice est la source de toute
la bonté Morale qui se rencontre dans les operations
ou dans les habitudes, ce qui a obligé les
Philosophes de luy donner le nom de Vertu
Vniuerselle, parce que toutes les autres la sup
posent comme leur fondement & comme leur
principe : car si tost que la Iustice abandonne la
valeur, la prudence & la liberalité, elles perdent
ces noms glorieux & illustres, & ne sont plus
qu’vne ferocité dangereuse, vne adroite fourberie,
& vne profusion indiscrette : de là vient
que la gloire qui suit la vertu comme son ombre,
ne se peut trouuer dans vne action contraire à la
Iustice ; les plus grands Princes ou leurs Ministres
ne sçauroiẽt contreuenir à ce qu’elle ordonne
sans se deshonorer ; Et la plus haute valeur
des Conquerans quand elle est employée au soustien
de l’oppression, & du crime, ne peut passer
que pour vne force brutale, pour vne violence
interessée, & pour vn mouuement impetueux

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de colere & de rage. Quand dis-je, sa Maiesté
sçaura que le nom de Melchicedec Roy de Salem,
denote quels doiuent estre les Princes de la terre,
c’est à sçauoir Roys de Iustice & Roys de Paix ;
car par icelles leur trosne est estably & rendu florissant
& perdurable ; Et que ceste science veriblement
Royalle l’obligera à chasser de sa Cour
les impies, les fourbes, les flateurs, et generalement
tous ceux qui preferent les vices à la Vertu,
& qui n’ont deuant leurs yeux que leurs interests,
leurs sales & infames voluptez et leur
Tyrannie. Et qu’au contraire il caressera et esleuera
les vertueux & les vaillans, & que son trosne
sera l’Azile du Iuste, & son Sceptre le soustien
de celuy qui marchera en toute droiture. Alors
toutes les nations le viendront adorer, alors tous
les Princes de la terre le craindront ; Et alors,
comme dit la Sapience Eternelle, il vestira Iustice
pour Cuirace, il prendra pour armet le iugement veritable,
& Sainteté pour pauois inuincible, il esgu sera sa
colere pour espée & tout l’Vniuers se ioindra à luy
pour combatre les meschans & les Infideles. Et à l’imitation
de Sainct Louis, il arborera l’Estendart
de la croix contre les Mahometans et sera le sacré
Conducteur des troupes fideles, pour la conqueste
de la Ierusalem terrestre, et pour l’accomplissement

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de ceste Prophetie, qui fait trembler
de peur le Turban et le Croissant, qu’vn Roy de
la race de Sainct Louys doit destruire leur Empire ;
C’est-la braues et genereux Chrestiens, qu’il faut
aller employer son courage et sa vie, c’est-là le
vray lict d’honneur et le Tombeau magnifique
que nous deuons souhaitter pour le couronnement
de nostre vie, et où nostre reputation et nostre
memoire ne peuuent iamais mourir ; Et apres
cela nous et nostre Roy deuons estre asseurez,
qu’apres qu’il aura regné icy bas en équité et en
iustice, et que nous aurons combatu le bon
combat sous ses auspices, nous prendrons possession
de la Ierusalem Celeste où la Couronne incorruptible
de gloire et vne felicité inenarrable,
recompenseront nos trauaux dans l’Eternité.

 

La Iustice
a
esté nommée la
Vertu
vniuerselle.

FIN.

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Anonyme [1649], CANTIQVE DE REIOVISSANCE DES BONS FRANÇOIS, POVR L’HEVREVX RETOVR du ROY dans sa bonne Ville de PARIS. Auec vne tres-humble Remonstrance à la Reyne Regente. , françaisRéférence RIM : M0_622. Cote locale : C_1_2.