Anonyme [1652], LA PHYSIONOMIE DE LA FRANCE, OV SE VOID LE MAVVAIS Estat auquel elle se trouue. I. Sur la perte de ses belles Conquestes. II. Sur les entreprises des ennemis Estrangers, sur nous. III. Et le tout par les mauuais Conseils de ceux qui ont gouuerné & gouuernent l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2756. Cote locale : B_20_18.
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LA PHYSIONOMIE
de la France, où se void le mauuais estat
auquel elle se trouue.

LES Physionomistes ont accoustumé de cognoistre
la complexion, le naturel & la disposition
des hommes, & de iuger aucunement
des accidens qui leur arriuent par les lineaments
de leurs mains & de leurs visages, quoy qu’auec
peu de certitude.

Mais il est beaucoup plus facile aux personnes
iudicieuses & qui ont l’experience de beaucoup
d’affaires, de iuger des choses à venir par les
apparences & la conjoncture des choses presentes.
Feu Monsieur de Villeroy découurant la
nuée noire de la Ligue, qui se creua en prodiges
de reuolte & de seditions : il donna au Roy Henry
le Grand ce iuste Conseil de reünir la Maison
Royale en mesme creance, & de ne diuiser
les Catholiques, afin qu’ils ne recogneussent
pour Chef autre Prince que le legitime : car
dans la continuation de diuision & de reuolte, il
ne pouuoit iuger autre chose que la ruine infaillible

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de l’Estat, & de plus pour mesme effet il
le conseilla de faire reuenir à la Cour les deux
personnes qui luy estoient les plus cheres, le
Duc d’Alençon & le Roy de Nauarre, moyen
tres-propre pour vne bonne vnion.

 

Long-temps auparauant, recognoissant que
les partialitez des Princes & des Grands sont
tousiours desastreuses aux Estats, voyant que
la Reyne Catherine de Medicis aymoit quelque
Seigneur de sa nation & cognoissant que les
Grands du Royaume s’en plaignoient : il eut la
hardiesse de la supplier de moderer cette affection,
ce qu’elle fit, & celuy qu’elle affectionnoit
y apporta tant de modestie & de bonne
conduite que sa fortune ne fut iamais sujette
aux mauuaises rencontres, qui viennent toûjours
au deuant de ceux qui abusent de leur faueur.

Apres la mort effroyable du Roy Henry III.
& dés le lendemain, il enuoya exprés voir l’vn
des plus confidens du Roy Henry le Grand, qui
luy representa que la durée de la guerre seroit
la dissipation de l’Estat, & ne dissimula point au
Duc de Mayenne, qu’elle ruineroit la Religion,
& aduanceroit le party de ceux qui la vouloient
reformer.

Pour empescher les partialitez qu’il preuoyoit
estre dans les Prouinces, il donna au Roy

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ce bon Conseil, qui seruit grandement à fonder
la paix & destruire les pretextes de la guerre,
faisant venir à la Cour & éleuer en la Religion
Catholique, Monsieur le Prince, qui estoit à S.
Iean d’Angely, afin que l’on vit clair en la legitime
succession, car cette incertitude mettoit la
frayeur dans les esprits, & entretenoit l’enuie de
partialité dans l’Estat.

 

Il voyoit si clair dans l’aduenir, qu’il y auoit
plus de quinze ans qu’il auoit dit que les plus
Grands tiendroient vn iour à honneur de se
trouuer au leuer d’vn homme qui s’estoit perdu
pour n’auoir eu amy qui lui dit à l’oreille ce que
Pericles disoit tous les iours à soy mesme, prend
garde à toy Pericles, tu commande à des hommes
libres, pense que tu as affaire aux Atheniens.

Incontinent apres la mort du deffunct Roy
Louis XIII. d’heureuse memoire, ceux qui virent
Iules Mazarin éleué en faueur & qui commençoit
à faire des changemens dans les Conseils
du Roi, vn an cien Officier de la Couronne,
sçauoir le Mareschal de la Force, dist que cét
homme Estranger estoit le brandon qui mettroit
le feu aux quatre coings & au milieu de la
France par la trop grande authorité qu’on luy
donnoit. Nous l’auons experimenté à nos despens,
singulierement depuis qu’il a esté fait premier
Ministre d’Estat.

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Car dés le commencement de son Ministere,
il fit emprisonner Monsieur le Duc de Beaufort.

Il fit empoisonner à Pignerol, Monsieur le
President Barillon.

Il fit retenir le Mareschal de la Motthe Hodancourt
trois ans entiers en prison, pour le dépoüiller
de son Gouuernement, & le donner à
vne de ses creatures, il a traitté la pluspart des
Grands du Royaume du nom de Cromvuels &
de Fairfax.

Il a voulu faire passer dans son esprit le Parlement
de Paris pour le Parlement d’Angleterre.

Il a fait arrester Monsieur de Broussel & Monsieur
le President de Blanemesnil au milieu des
prieres publiques.

Enuoyé chez plusieurs autres Officiers du Parlement
pour les faire enleuer auec la mesme
violence, à cause qu’ils auoient pris en main la
deffense du peuple.

Il a fait emprisonner le Comte de Rantzau
Mareschal de France pour le priuer de son Gouuernement
de Dunquerque, & le donner au
sieur de l’Estrade sa creature, changement qui est
cause que la France a perdu cette place si importante
pour la commodité de son Port le meilleur
de Flandres.

Sans Declaration verifiée & en vertu de simples
Arrests du Conseil & contre toutes les formes

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du Royaume, il a peu faire des taxes sur des
particuliers, retrancher les gages des Officiers,
arrester les Rentes & faire toutes sortes de leuées
sur les marchandises.

 

Que 300. millions de liures ont esté imposées
par son aduis en deux années de la Regence, dans
lesquelles on n’auoit payé personne, voulant faire
croire qu’ils auoiẽt esté vtilement employées.

C’estoit donc par cette iustification que le
Cardinal Mazarin deuoit preparer son entrée à
son retour en France : C’estoit au Parlement de
Paris qu’il se deuoit arrester, qui est le lict de la
Iustice du Roy, qui n’a point d’autre Tribunal.

Il a fait emprisonner Messieurs les Princes de
Condé, & de Conty premiers Princes du Sang,
& le Duc de Longueuille, non pour autre sujet
que de ne vouloir souffrir son mauuais gouuernement
qui vouloit mettre de la diuision en la
Maison du Roy.

Depuis leur deliurance & apres son retour en
France, il y a allumé la guerre Ciuile, fait declarer
Monsieur le Prince criminel de leze-Maiesté,
pour auoir pris les armes contre ses poursuittes.

Il luy a osté le Gouuernement de Berry & de
la Ville de Bourges.

Il a dépoüillé Monsieur le Prince de Conty

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de son Gouuernement de Champagne & de
Brie, pour le donner au Mareschal de l’Hospital
affectionné à son party.

 

Il a fait chasser de Prouence le Comte d’Alets,
qui en estoit Gouuerneur pour en faire pourueoir
le Duc de Mercœur qui a espousé vne de
ses Niepces.

Il a fait declarer la guerre au Duc de Rohan &
fait assieger la ville d’Angers pour le despoüiller
du Gouuernement d’Anjou & de la ville d’Angers,
comme il a fait, & en a fait inuestir le Mareschal
de la Meilleraye, qui y est à present.

Il a fait piller par les soldats les lieux de l’appanage
de son Altesse Royale ; sçauoir le Blaisois, la
Sologne & le Gastinois, se declarant ainsi son
ennemy.

Il a fait prendre & piller la ville de l’Isle-Adam,
pource qu’elle appartient à Monsieur le
Prince, à cause de son Duché de Montmorancy.

Il a fait enuoyer en Catalogne le Mareschal de
la Motthe-Hodancourt sans forces & sans argent
à dessein de le faire perdre au siege de Barcelone
fait par l’Espagnol, qu’il n’a pas laissé de
soustenir auec son courage ordinaire iusques à
la fin que les forces lui manquant, la ville s’est
renduë aux Espagnols, & luy demeuré perilleusement
blessé.

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Il a fait mal-traitter par ses gens Messieurs de
Bitaut & du Coudray Conseillers de la Cour, deputez
pour aller aduertir les places du passage
de son armée, de ne leur donner entrée en icelles,
dont le premier fut mené comme prisonnier à
Sully, le dernier par son courage, eschappa de
leurs mains.

Il a fait choisir deux Officiers de la Ville de
Bordeaux & quelques Habitans de Libourne
pour assassiner Monsieur le Prince lors qu’il y
arriueroit, ce qui eust esté executé sans l’aduis
qu’il eust de ce mal-heureux dessein.

Il a fait attaquer le Faux-Bourg de sainct Anthoine
lez Paris, par l’armée du Mareschal de
Turenne, & gaigné le Corps de la Ville, bon
nombre de ses Bourgeois, & des Gardes des Portes,
pour y entrer à main armée & se vanger sur
la vie de quelques Officiers & Habitans qu’il
eust fait mourir, & enfin se rendre Maistre de la
Ville, de la Bastille & des lieux forts, s’il n’en
eust esté empesché par la valleur & la diligence
de Monsieur le Prince, des Dues de Beaufort, de
Nemours, & des volontaires de Paris, qui firent
retirer le Mareschal de Turenne apres y
auoir perdu bon nombre de Capitaines, Officiers
& soldats.

Il fit arrester à sainct Denis les Deputez du
Parlement, sans auoir eu aucune Audience, &

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les eust fait mal-traitter s’ils fussent allez à Ponthoise,
il fallut que son Altesse Royale, Monsieur
le Prince & le Duc de Beaufort, auec deux
mille cheuaux, les allassent prendre à sainct Denis
& ramener à Paris.

 

Il a fait diuiser le Parlement de Paris pour en
establir vn nouueau à Ponthoise, composé de
trois Presidens au Mortier, de quelques Conseillers
du Parlement de Paris, de quatre Maistres
des Requestes & du Procureur General, &
fait interdire celuy de Paris & les autres Cours
Souueraines, comme la Chambre des Comptes
& la Cour des Aydes, qu’il vouloit transferer à
Mantes, où est le Grand Conseil.

Il a fait dresser vn Edict, sous le nom du Roy,
portant Amnistie de tout ce qui s’est passé durant
ces derniers troubles & abolition, à l’exception
d’aucuns Officiers & Habitans, desquels
il se vouloit vanger en leur faisant perdre la
vie.

Voila le mauuais estat auquel le Cardinal Mazarin
a reduit la France, & qui fait iuger de sa
ruine entiere s’il peut executer ses mauuais desseins :
à quoy il trauaille tousiours quoy qu’il
soit hors de France, d’autant qu’il a auprés du
Roy ses creatures qui executent ponctuellement
ses ordres, & tiennent sa Maiesté dans vne forme
de captiuité pour n’auoir la liberté d’agir

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comme il seroit à desirer, si elle n’estoit circonuenuë
& comme obsedée, ne faisant aucune
action qu’elle ne soit espiée par les Conseillers
Mazarins qui le gouuernent, & par le Triumvirat
Seruient, le Tellier & de Lyonne, tous
attachez aux interests & aux volontez de ce Cardinal,
qui ne tendent qu’à la ruine des Princes
& de l’Estat, par la guerre qu’il y allume & qu’il
entretient : ce qui fait iuger aux plus aduisez Politiques,
qu’il faut de deux choses l’vne, perdre
le Cardinal Mazarin iusques au dernier de ses
adherans, ou de s’attendre à voir la France entierement
ruinée par la guerre ciuile, qui n’aura
iamais fin tant que le Conseil Mazarin gouuernera
le Roy, & seront Ministres des affaires de
l’Estat.

 

C’est vne coniuration dangereuse & qui aure
des suittes funestes & desastreuses si on n’en
couppe bien-tost la racine, pire que celle de Catilina
à Rome, qui alloit à la subuersion entiere
de la Republique, si l’on n’y eust apporté les
remedes en faisant perir l’Autheur d’icelle. Que
si l’on ne fait le mesme du Cardinal Mazarin &
de tous les siens qui le representent. Il faut aduoüer
que nous sommes bien prés de voir de
grands mal-heurs en France si la paix ne se fait.

L’on ne peut assez regretter la perte de tant de
bonnes & fortes places que nous auons faites en

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Flandres, Italie, & Catalogne, comme Landrecy,
Graueline, Bergue, Furne, Armantiere,
Bourbourg, Ypres, Menene, Courtray, Comines
& Dunquerque en Flandres.

 

Landrecy, qui auoit esté conquise par le Duc
de Candale & le Mareschal de la Meilleraye, fut
emportée apres vn siege de dix iours ; mais pour
en auoir tiré vne partie de la garnison, & changé
le Comte de Vaubecourt qui en estoit Gouuerneur,
& mis vne creature du Cardinal Mazarin
en son lieu : les Espagnols l’assiegerent & la
prirent en douze iours, sans dans ce temps-là
auoir esté secouruë.

Armentiere Ville considerable, conquise par
le deffunct Mareschal de Gassion, estoit pour
soustenir vn long siege ayant pour Gouuerneur
le sieur du Plessis Bellievre vaillant Capitaine,
auec vne bonne garnison Françoise & Suisse
elle fut assiegée par l’Espagnol qui y perdit bon
nombre de soldats aux sorties des nostres. Mais
la mauuaise intelligence qui estoit entre le Mareschal
de Gassion & le Mareschal de Rantzau
Gouuerneur de Dunquerque qui ne voulut degarnir
la place de soldats que le Mareschal de
Gassion luy demandoit pour secourir Armentiere,
il fallut finalement qu’elle se rendist par
composition à l’Espagnol.

Courtray, ville grande & marchande prise

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par son Altesse Royale, deuoit seruir de place
d’armes pour conquerir le reste de la Flandre, à
cause de la bonne Citadelle que nous y auions
faite, ce qui la deuoit deffendre contre vn long
siege : Le Comte de Palluau du party Mazarin y
fut mis pour Gouuerneur de la Ville & de la Citadelle
auec vne garnison de mille hommes ;
mais pendant le siege que nous auions mis deuant
Y pres, le Comte de Palluau receut ordre
exprés du Cardinal Mazarin, d’aller auec la moitié
de sa garnison renforcer nostre Camp d’Ypres,
& deux iours apres le General Beck auec
quelques troupes Espagnoles & Lorraines y vindrent
mettre le siege, elle fut prise par escalade,
les Suisses que nous y auions furent tuez, & trois
iours apres la Citadelle se rendit faute de nõbre
de soldats pour la deffendre qui en auoient esté
diminuez, & iugea-t’on aussi-tost que le Cardinal
Mazarin s’entendoit auec l’Espagnol.

 

Ypres, apres vn siege de dix-huict iours, se
rendit à nous ; nous y laissasmes mille hommes
en garnison sous la charge du Comte de Palluau
qui en fut Gouuerneur, lequel pour auoir
esté mal soigneux de faire desarmer les Habitans,
elle fut vn an apres assiegée par l’Archi-Duc
Leopold sçachant que le Comte en estoit
sorty, & en moins de douze iours elle se rendit
pour estre la garnison affoiblie de cinq cens

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hommes qui en furent tirez par ordre du Cardinal
Mazarin, pour venir entretenir la guerre
en France.

 

Graueline, premiere conqueste & commancement
glorieux des armes de son Altesse Royale,
fut par elle assiegée par vne belle armée, en
laquelle estoient d’eux Mareschaux de France, la
Meilleraye & Gassion, le Comte de Rantzau, le
Marquis de la Ferté Imbault, Lambert Mareschaux
de Camp & quantité de genereuse Noblesse,
la place fut assiegée auec vn grand trauail
pour les frequentes sorties des assiegez, où se
perdit quantité de soldats, mais apres la prise
du Fort de Philippebourg & les marais desseichez
auec fassines, les demies Lunes & Bastions
gaignez, elle se rendit par composition à son
Altesse Royale, qui y laissa pour Gouuerneur le
Comte de Grancé auec douze cens soldats. Mais
cette année l’Archi-Duc Leopold sçachant que
le Mareschal de Grancé en estoit absent, qu’il
n’y auoit pas plus de six cens hommes dedans
pour la deffendre & assez mal pourueuë de munitions,
le Cardinal Mazarin ayant fait venir le
reste en France, y mit le siege, qui dura plus de
trois semaines, apres quoy faute de secours elle
se rendit.

Bourbourg place forte, entre Grauelines &
S. Omer, prise par son Altesse Royale dans sa

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deuxiéme Campagne apres la prise de Grauelines,
en ce siege le Comte de Rantzau eust le baston
de Mareschal de France : mais l’Archi-Duc
Leopold sur le dessein qu’il auoit d’assieger Grauelines,
il la prit en moins de trois iours, il
ne s’y trouua que deux cens hommes : le Marquis
de Castelnau qui en estoit Gouuerneur en ayant
pris trois cens, passa en France par mandement
exprés du Cardinal Mazarin.

 

Bergues, vne des mãmelles de Dunquerque,
pour estre scituée sur son Canal, ayant esté conquise
par le Mareschal de Rantzau en moins de
quatre iours, & mis dedans vne garnison de
quatre cens hommes : fut cette mesme année
assiegée par l’Espagnol, le siege dura huict iours,
au bout desquels elle se rendit.

Furnes, conquise par Monsieur le Prince l’an
1647. c’est la deuxiéme mammelle de Dunquerque,
apres vn siege de huict iours se rendit :
l’année d’apres elle fut rassiegée & prise par l’Espagnol,
mais incontinant apres reprise sur l’ennemy
par le Mareschal de Rantzau, qui y mit
cinq cens hommes en garnison : Cette année
l’Archi-Duc Leopold sçachant qu’il n’y auoit
pas trois cens hommes dedans, deux cens en
ayant esté tirez pour la guerre Ciuile de France,
la fit assieger, le siege dura prés de huict iours,
apres quoy elle se rendit.

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Ces deux mammelles prises restoit Dunquerque,
que Monsieur le Prince assiegea l’an 1647.
accompagné des Mareschaux de France, Gassion,
Rantzau & de quantité de Noblesse : les Hollandois
par leur traicté fait auec la France, fermerent
le Port auec quelques nauires de guerre,
qui empeschoient le secours par mer : Monsieur
le Prince l’assiegea du costé de terre, fit battre
les Forts & les demies-Lunes, gaigna le dehors :
ce que voyant le Marquis de Leyden qui en
estoit Gouuerneur, se soubmit aux conditions
honnorables que Monsieur le Prince luy accorda,
& se retira auec sa garnison à Nieuport : le
Roy en donna le Gouuernement au Mareschal
de Rantzau auec douze cens hommes. Mais l’an
1649. le Cardinal Mazarin l’ayant mandé en
Cour, l’enuoya prisonnier au Chasteau du Bois
de Vincennes, & y mit pour Gouuerneur le sieur
de l’Estrade sa creature : mais cette année n’ayõt
receu aucun argent pour payer sa garnison & les
viures luy manquans outre la discenterie qui se
mit parmy les Habitans & les soldats : l’Archi-Duc
Leopold l’assiegea par terre & sans faire battre
la Ville, il se contenta de prendre tous les dehors :
& depuis s’estant saisi du Fort du Port que
Monsieur le Prince auoit fait construire pour le
deffendre, n’y pouuans plus entrer aucune chose,
le sieur de l’Estrade fut contraint d’accepter la

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composition que l’Archi-Duc luy donna, & luy
fournit escorte pour luy & sa garnison iusques à
Calais.

 

Voila nos belles conquestes de Flandres perduës
pour nous par la courtoisie du Cardinal
Mazarin, & les bons seruices qu’il a rendus au
Roy en la perte de tant & de si bonnes places
pendant qu’il remplit la France de troubles & de
miseres.

Pour celles de mer en Italie, nous n’y auons
pas mieux reüssi. Monsieur le Duc de Brezé y
auoit pris Piombino, & fut tué en suite dans vn
combat de mer : ce qui ne fit point perdre courage
aux François : car incontinant apres le Mareschal
de la Meilleraye ayant remis sur mer
nombre de Galeres & de Vaisseaux, alla assieger
Portolongone place importante au Roy d’Espagne
pour le commerce, sa deffense fut grande,
où nombre de soldats & d’Officiers furent tuez :
neantmoins il la reduisit à tel poinct qu’elle se
rendit, & y laissa quantité de vaisseaux & huict
cens soldats. Mais le Cardinal Mazarin bien-aise
de la prise de ces deux ports, en fit des retraittes
de Pyrates & de Corsaires, qui prenoient indifferemment
toutes fortes de Marchands, tant
d’Italie que d’ailleurs, comme ils firent aux pauures
Marchands Armeniens, qu’ils pillerent &
emporterent leurs marchandises sans en pouuoir

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tirer raison au Conseil, & on les a veus deux
années entieres à Paris demander justice sans l’auoir
peu obtenir : ce qui est cause que les Italiens
faisans vne Ligue auec l’Espagnol, luy auec eux,
assiegea & prit Piombino à la barbe du Prince
Thomas commandant les Galeres de France,
puis allerent à Portolongone qu’il assiegea, le
siege dura assez long temps, l’Espagnol y perdit
assez bon nombre d’hommes, mais finalement
il emporta la place : c’est le profit que causa au
Roy les Pyrateries du Cardinal Mazarin, de nous
auoir fait perdre deux Ports si importans, qu’ils
tenoient la mer de Toscane en bride, & donnoient
beaucoup de peine aux Napolitains, qui
ne pouuoient plus enuoyer par là leurs marchandises.

 

Voyons si nous auons mieux fait en Catalogne
depuis la reprise de Lerida par l’Espagnol, au
temps que Monsieur le Prince commandant
l’Armée du Roy l’assiegeoit, ceux qui depuis
luy y ont commandé, n’y ont pas fait grands progrez :
Le Duc de Mercœur n’a point donné matiere
de parler de ses faits d’armes en Catalogne,
car ils sont en si petit nombre que cela ne merite
d’en escrire joint la conjoncture des affaires de
France troublées par les menées du Cardinal Mazarin,
où manquant de forces & d’argent, le
Duc fut contraint de quitter la Catalogne & retourner.

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Apres son retour l’Espagnol reprit Tortose
que nous auons conquise : il assiegea Barcelone
par mer & par terre, sous la conduite de
Dom Iean d’Austriche : pour secourir cette Ville,
le Cardinal Mazarin y enuoya le Mareschal
de la Motthe-Houdancourt auec quelques
trouppes & argent, l’Espagnol se saisit de Mont-joux,
Chasteau qui commande sur Barcelone : le
Mareschal de la Motthe fait tout ce que le courage
d’vn grand Capitaine peut promettre pour
secourir la Ville, empescher les secours, venir aux
mains auec l’Espagnol, toute cette valleur n’empescha
les ennemis d’auancer leur siege, la tenir
bloquée du costé de la mer par leurs Galeres, &
par terre en gaignant les dehors, en sorte que
rien n’y pouuant entrer : le Mareschal de la Motthe
n’estant secouru d’hommes ny d’argent, la
maladie & le manquement des viures, contraignirent
les Habitans de se rendre entre les mains
de leurs ennemis, & ainsi s’est perduë pour nous
la Catalogne, qui a cousté à la France la perte de
plus de soixante mille hommes & plus de cinquante
millions de liures, par la mauuaise volonté
du Cardinal Mazarin, qui s’entendant
auec l’Espagnol, a laissé perdre cette belle Principauté
de Catalogne, ayant laissé perir nos armées
faute d’argent & de forces.

 

Reste l’Italie, où l’on n’a pas esté soigneux de

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conseruer les conquestes que nous y auons faites :
on a mieux aimé laisser tout perdre & abandonner
à l’ennemy les places que la guerre nous
auoit données, & faire venir en France le Mareschal
du Plessis & le Prince Thomas auec les
trouppes qui y estoient pour blocquer Paris, &
donner ce contentement au Cardinal Mazarin
qui voudroit la voir en cendres.

 

Cependant l’Espagnol se voyant libre, &
n’ayant aucune armée Françoise qui l’empeschast,
n’a pas manqué de se preualloir de l’occasion
de prendre Casal & se rendre Seigneur du
Duché de Mont-Ferrat, & defait le Marquis de
Carracene Gouuerneur de Milan y est entré auec
armée pour y faire la guerre, & ne trouuant
grande resistance, il a pris Nice-la-Paille, Trin,
ville forte & plusieurs dans le Mont-Ferrat, &
assiege la ville de Casal qu’il desire auoir il y a
long temps, afin que l’ayant prinse, il oste aux
François les passages en Italie, & l’a tellement
serrée, que n’estant secouruë, comme il y a apparence
qu’elle ne le sera, il la contraindra de se
rendre si desia elle ne l’est, ainsi que le bruit
court.

Et comme l’Espagnol ne se contentera point
d’auoir ainsi conquis le Mont-Ferrat, il tourne
sa pensée sur le Piedmont, & defait, il a enuoyé
sommer le Duc de Sauoye qu’il eust à declarer le

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party qu’il veut prendre : lequel a respondu qu’il
desiroit demeurer Neutre, sans se mesler des armes
ny de la guerre. Mais l’Espagnol luy a fait
entendre que s’il ne parloit autrement qu’il luy
declaroit la guerre : ce qui met bien en peine le
Duc de Sauoye, se voyant sur le poinct d’estre
assailly dans ses Estats, & qu’il n’a forces suffisantes
pour se deffendre, puis que la France estant
troublée par vne mauuaise guerre Ciuile, elle
n’est pas en estat de luy enuoyer vne armée pour
s’opposer aux Espagnols.

 

Le Cardinal Mazarin ne pouuoit ignorer
qu’en retirant les forces du Roy qui estoient au
delà des Monts, l’Espagnol ne manqueroit d’armer
pour prendre les Places que nous y auions,
& d’attaquer le Duc de Sauoye le voyant dépourueu
de forces & de secours du costé de France :
ce qui fait iuger qu’infailliblement il a intelligence
auec les ennemis ; & neantmoins Casal
estant perdu, cela bornera nos conquestes en
Italie & empeschera les François d’y entrer, l’Espagnol
se rendant ainsi puissant pendant que la
France entretient la guerre en ses entrailles ;
honte perpetuelle aux François, de sçauoir bien
faire des conquestes & ne les pouuoir garder,
comme il s’est veu en celles qu’ils auoient faites
en Flandres & en Catalogne, par la mauuaise
conduite ou infidelité de ceux qui gouuernent

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l’Estat, qui ne cherchent que leur interest, &
non la grandeur & la reputation de la Nation
Françoise, qui semble à prendre, estre comme
insensible en son propre mal, sans chercher les
remedes contre des Estrangers qui leur donnent
la Loy, c’est vn blasme que les Nations voisines
nous iettent de nostre lascheté & de nostre
aueuglement, de souffrir ainsi nous voir entre-ruiner
sans nous remüer contre les autheurs de
cette mauuaise guerre, pour dans l’obeïssance du
Roy rechercher nostre repos dans la paix que
nous esperons apres tant de miseres & de ruines.

 

Et comme ces pertes notables de Pays & de
Villes si considerables est regrettable, & d’autant
plus que nous ne sommes pas en estat de
mettre de nouuelles conquestes, & reprendre
ce que nous auons perdu, nous aurons tousiours
assez gaigné, si nous voyons la France reprendre
son premier calme & sa premiere estime d’estre
redoutable à ses ennemis.

La perte de ces belles conquestes fait cognoistre
aux ennemis estrangers que la France est biẽ
foible, puis qu’elle ne sçauroit trouuer dans le
Royaume des soldats propres à la guerre, &
qu’elle se voye forcée de tirer ceux qui sont dans
les Places conquises pour entretenir la guerre
qui se fait : veu qu’il n’y a Estat si petit & de si

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petite consideration qui ne sçache bien conseruer
ce qu’il aura gaigné sur les ennemis par le
droict de la guerre sans dégarnir les places de
soldats.

 

Que l’on considere l’Estat de Venise qui est
auiourd’huy en guerre auec vn ennemy redoutable
qui est le Turc, & depuis six ans qu’il l’attaque,
la Seigneurie au lieu d’affoiblir les Places
qu’elle possede des garnisons ordinaires qu’elle y
entretient, elle les a accreuës & renforcées en
celles qui sont plus exposées au peril, & n’a pas
laissé d’auoir deux armées de terre & de mer,
pour resister aux forces prodigieuses du Turc,
ce qu’vn grand Royaume puissant en hommes
auroit peine de faire sans estre secouru & assisté
de forces estrangeres & auxiliaires qu’il faut entretenir
la guerre.

Mais on respondra à cela que la France est vn
Royaume le plus puissant de l’Europe en braues
& courageux soldats : mais qu’elle a affaire à vn
Italien Vassal d’Espagne, lequel pour entretenir
ses intelligences qu’il a auec l’Espagnol, il expuise
les garnisons des places que n’ont conquises
sur luy, afin qu’il luy soit plus facile de les reprendre
comme il a fait en Flandres, en Italie &
en Catalogne, sans qu’il y ait enuoyé aucune armée
pour les deffendre & conseruer, ce qui eust
empesché la perte d’icelles, qu’il ne sera facile

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aux François à reprendre à moins que d’y consommer
plusieurs armées & quantité d’hommes
& d’argent, qui est maintenant rare en France,
laquelle est la plus grãde partie ruinée par cette
mal-heureuse guerre Ciuile que le Cardinal Mazarin
y entretient.

 

Que dira-on donc de la France, de se laisser
gouuerner par des Estrangers, comme si elle
manquoit de grands hommes d’Estat, nés dans
les affaires & nourris dans l’experience, qui sont
plus que capables de gouuerner & de conseiller,
que des Estrangers ignorans & qui ne sçauent
autre chose que voller, ioüer & piper, & cependant
la France qui void cela, paroist bien lasche
de prostituer ainsi sa gloire, & de souffrir qu’vn
Italien leur donne la Loy & les oblige d’y
obeïr.

Que diroient nos Rois Louis XI. Charles
VIII. Louis XII. François I. Henry II. Charles IX.
Henry III. & Henry le Grand, s’ils estoient viuants ?
Permettroient-ils vn Estranger gouuerner
leur Estat, voller leurs finances, ruiner leurs
peuples & exposer leur Estat à la proye de leurs
ennemis ? Ils estoient trop genereux pour tollerer
telle engeance : ils ne manquoient non
plus de grands Ministres & de fidelles Conseillers
que de vaillans Capitaines & de soldats, &
n’ont iamais laissé les Estrangers entreprendre

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sur leur Estat, que sans perdre temps on les
voyoit monter à cheual auec de belles armées
pour les chasser : c’est ce que fit le Roi Charles
VII. qui purgea la France des Anglois qui si
estoient fait sacrer & couronner Rois, & les
rencoigna dans leur Isle. Que fit le Roi François
premier, qui dissipa cinq grandes armées de l’Empereur
Charles V. entré en France pour la conquester.

 

Que fit Henry second, contraignant le mesme
Empereur d’aller secourir & deffendre la
Flandre, & de remettre les Protestans d’Allemagne
en liberté, & prit sur lui Metz, Toul &
Verdun.

Que ne fit point Henry troisiéme, qui fit reprendre
aux Raistres le chemin d’Allemagne,
apres en auoir laissé bon nombre d’eux morts &
tuez aux Iournées de Villemory & d’Auneau.

Que ne fit point le deffunct. Roi Henry le
Grand, qui défit en la Plaine d’Yury les Espagnols
venus au secours des Ligueux, donna la
chasse au Duc de Parme, défit le Connestable de
Castille à Fontaine-Françoise en Bourgogne, reprit
Amiens qu’ils auoient surpris, rangea le
deffunct Duc de Sauoye à son deuoir, apres
auoir pris sur lui les meilleures places de Sauoye.

Ces grands Rois ne prenoient pas Conseil de

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Ministres Estrangers, il estoit dans leurs testes,
ils auoient l’experience, qui est le grand Liure
des plus excellens Capitaines, & ne laissoient pas
d’auoir de grands hommes auprés d’eux, leurs
sujets & bons François qui n’abusoient point de
leur Ministere & ne trahissoient point leurs Maistres :
aussi estoient-ils si bien seruis, que toutes
leurs entreprises reüssissoient à leur gloire & au
bien de leur Estat.

 

C’estoit le sujet qu’auoient les Espagnols lors
que leur Roy Charles vint de Flandres en Espagne
auec le Conseil qu’il auoit tousiours auec lui,
qui estoit composé de Flamands ; les Espagnols
ne les peurent souffrir, leur humeur ne pouuant
s’accorder auec l’humeur des Estrangers, & fallut
que le Roy Charles pour les contenter s’abstint
de seruir en ses Conseils d’autres personnes
qu’Espagnols, ne voulant pas que les Flamands
se rendissent sçauans en leurs affaires ny en leur
forme polytique de gouuerner ; ce qu’ils ont tousiours
obserué : & leur Histoire ne marque point
que les Estrangers ayent esté admis au Ministere
de l’Estat parmy eux, qui sont ialoux de leur
gouuernement, comme deuroient estre tous les
Souuerains qui aiment leurs sujets, les preferant
à tous autres dans leurs Conseils, & s’ils eussent
bien obserué cette maxime, beaucoup d’eux
s’en fussent mieux trouuez, & n’eussent veu

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leurs Estats transferez aux Estrangers.

 

Cette digression est pour aduiser les François
à ne point souffrir leurs Rois estre gouuernez
par des Estrangers, ny l’Estat conduit selon leur
caprice, dont se sont ensuiuis tous les troubles
que nous auons eus & ressentis dans le regne du
Roy d’apresent, conduit & gouuerné par le Cardinal
Mazarin Estranger, & par des Italiens, Anglois
& Sauoyards qu’il a laissez pour Chefs de
ses Conseils, & qui sont cause de la continuation
de la guerre Ciuile qui subsiste à la ruine du
peuple.

Car si ces Estrangers estoient éloignez comme
leurs Maistre, l’on verroit bien-tost la paix
asseurée, Messieurs les Princes n’auroient plus sujet
d’estre armez & d’auoir des armées sur pied
pour leur deffense, ce seroit les premiers qui se
rendroient auprés du Roy, à agir dans ses Conseils,
& faire prendre vne autre face à l’Estat &
aux affaires, restablir les anciens Officiers en leurs
Charges & conspirer auec sa Maiesté à l’establissement
d’vne parfaite vnion & tranquilité asseurée :
c’est là leur intention ; que l’on veut autrement
interpreter pour les rendre tousiours
suspects & esloignez des Conseils du Roy par
ceux qui en apprehendent le changement necessaire,
qui seroit contraire à leurs mauuais desseins
& interests, & dans cette constitution si

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elle continuoit, il est sans doute que la France
acheueroit de se perdre selon le desir des anciens
ennemis de cét Estat, qui feront tout ce qu’ils
pourront pour y entretenir la guerre, la desvnion
& la diuision, sçachant bien qu’autrement
la France ne se peut ruiner que par elle-mesme,
& que toutes leurs forces jointes ensemble
ne pourroient iamais y paruenir si tous les
François n’auoient qu’vne commune, bonne &
sincere intention à seruir le Roy, à éloigner la
guerre de leur païs & à cultiuer vne parfaite
amitié & bonne correspondance entr’eux, sans
plus à l’aduenir se seruir d’Estranger en la conduite
de leurs affaires, ny faire aucune ligue ny
association auec leurs ennemis, qui a tousiours
esté leur ruine, comme l’experience du passé l’a
assez fait cognoistre.

 

Ces troubles Ciuils de France ont fait resoudre
les Espagnols & les Anglois nos anciens ennemis,
d’entreprendre sur les Prouinces du Royaume
depuis deux ans, & s’emparer de quelques
Villes en Picardie & en Champagne : Depuis le
Traicté de Stenay fait entre l’Archi-Duc Leopold
au nom du Roy d’Espagne & la Duchesse de Longueuille
sœur de Monsieur le Prince, de ne faire
la paix que du consentement des deux partis ; &
pour ostages des secours que le Roy d’Espagne
donnoit aux Princes, la ville de Stenay luy fut

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donnée, & y mit garnison, & non dans la Citadelle.

 

L’an 1650. l’Archi-Duc Leopold vint auec armée
vers la frontiere de Picardie en intention
d’assieger la ville de Guise ; mais comme il y auoit
dedans vne forte garnison, il iugea ne la pouuoir
prendre à moins que de perdre vne bonne partie
de son armée, ce qu’il le fit resoudre de se retirer,
& alla assieger la Capelle, laquelle il prit en
moins de huict iours.

De là, il alla assieger le Catelet, qui ne fit pas
grande resistance, d’autant que la garnison estoit
foible & ne pouuoit pas soustenir vn siege.

Apres ces deux places prises, l’Archi-Duc entra
en Champagne, où le Mareschal de Turenne
le vint joindre auec ses trouppes : il prit Aubenton,
Montcornet, & assiegea Rhetel qui se rendit
peu de iours apres, & y mit Delponte pour Gouuerneur
auec douze cens hommes : il prit aussi
Chasteau Porcian, Neuf-Chastel & Fismes auec
beaucoup de facilité : il enuoya Gabriël de Tolede
à Monseigneur le Duc d’Orleans, pour conuenir
auec luy d’vn lieu où ils se pourroient voir
pour traicter de la Paix Generale ; mais l’on iugea
à propos cette entreueuë d’autant qu’on n’y
voyoit point de seureté.

Quelque temps apres l’armée de l’Archi-Duc
alla assieger Mouzon sur la riuiere de Meuse, le

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siege dura prés de quinze iours, au bout desquels
la Ville se rendit, & est demeurée à l’Espagnol
iusques à present, & en ce faisant : il eust
deux places sur la Meuse, Stenay & Mouzon en
Champagne, & prit tous ces lieux là sans beaucoup
de difficulté, voyant que le Roy estoit empesché
en Guyenne par la guerre qui se faisoit
contre la ville de Bordeaux.

 

Du depuis Monsieur le Prince estant deliuré
& sorty du Havre de Grace l’an 1651. il alla en
Guyenne prendre possession de son Gouuernement,
& sçachant que l’on alloit assieger son
Chasteau de Mouron en Berry, il prit de là sujet
de leuer vne armée pour sa deffense.

Le Roy estant à Poictiers, il choisit le Comte
de Harcourt pour commander l’armée qu’il
enuoyoit contre Monsieur le Prince, lequel pour
se dessendre, tira secours d’Espagne à condition
que les soldats que sa Maiesté Catholique enuoyoit
auroient vne place de seureté, & on luy
donna Bourg en Guyenne, Port de Mer à cinq
lieuës de Bordeaux, que les Espagnols ont tenu
iusques à present, & y ont mis vne garnison
de cinq mille hommes, ce qui fait voir le peu
d’enuie qu’il a de rendre cette place, pendant
qu’il sçaura que les François feront la guerre les
vns contre les autres en leur propre païs : ce qui
est cause de toutes les entreprises de l’Espagnol

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sur nos places en Picardie, en Champagne & en
Guyenne, dont nous auons de grandes obligations
au Cardinal Mazarin, qui a fait tout ce
qu’il a peu pour donner beau jeu au Roy d’Espagne,
de reprendre les Villes que nous auions
conquises en Flandres & de faire de nouuelles
conquestes sur nous, & est croyable qu’il ne nous
rendra rien de ce qu’il a pris en France, qu’en lui
restituant ce que nous tenons encores sur luy,
tant en Flandres qu’ailleurs, & ce par vne Paix
Generale, à laquelle il ne consentira qu’auec ces
conditions, dans la conjoncture des affaires, qui
lui est fauorable & auantageuse pour en proffiter :
ce qui est honteux à la France, laquelle iusques
à present auoit comme donné la Loy aux
autres Nations.

 

FIN.

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SubSect précédent(e)


Anonyme [1652], LA PHYSIONOMIE DE LA FRANCE, OV SE VOID LE MAVVAIS Estat auquel elle se trouue. I. Sur la perte de ses belles Conquestes. II. Sur les entreprises des ennemis Estrangers, sur nous. III. Et le tout par les mauuais Conseils de ceux qui ont gouuerné & gouuernent l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2756. Cote locale : B_20_18.