Anonyme [1652], LA PANDORE, OV L’ASSEMBLAGE DE TOVS LES MALHEURS que la France a soufferts dans le Ministere du Cardinal Mazarin. I. Sur son manquement de foy. II. Sur le nom de Iule Mazarin, funeste à la Chrestienté. III. Sur ses mauuais Conseils, donnez à sa Majesté. IV. Sur la necessité qu’il y a de l’éloigner des Conseils du Roy & du Ministere. V. Et sur son Ambition, aspirant à la Souueraineté. , françaisRéférence RIM : M0_2658. Cote locale : B_13_21b.
SubSect précédent(e)

LA PAMDORE, OV
l’Assemblage de tous les mal-heurs que
la France à soufferts dans le Ministere
du Cardinal Mazarin.

L’HISTOIRE ancienne conseruant la memoire
de ce qui s’est fait dans les plus fameuses
Republiques d’Athenes & de Rome, n’a
pas oublié de remarquer les faits heroïques & la
fin tragique d’Alcibiades, lequel ayant esté declaré
General des Armées de la Republique des
Atheniens, en la guerre qu’ils auoient contre les
Lacedemoniens, furent par luy tellement rompus
& défaits, que cela leur fit perdre toute esperance
de se reuoir iamais remontez sur le thrône
de leur premiere grandeur : Toutesfois au
bout d’vn an, la chance de la fortune venant à
se changer ; Alcibiade qui auoit tant bien merité
de la Republique, se trouuant tellement poursuiuy
de l’enuie, qu’il fut banny d’Athenes, &
leur milice taillée en pieces par Lysandre Chef
des Lacedemoniens, prés la ville d’Aëgospotame ;
apres la perte de la bataille, la ville d’Athenes

-- 4 --

se trouua estroitement assiegée, en sorte que
quantité d’Habitans perirent de faim cela pourtant
n’empescha point qu’ils ne persistassent en
leur opiniastreté, & refuserent la composition
qu’on leur faisoit de se rendre à cette condition
qu’ils ruinerent les murailles, les tours & les fortifications
de leur Ville, au contraire, ils firent
publier que le premier qui parleroit de composer
auec leurs ennemis, seroit mis à mort : neantmoins
apres cinq mois de siege la faim les pressants ;
ils enuoyerent leurs Ambassadeurs aux
ennemis pour demander la paix qui leur fut accordée ;
mais les Corinthiens & les Thebains
par leurs Conseillers & alliez, ne la voulurent
accorder qu’à condition que la ville d’Athenes
seroit entierement rasée, & que toute la Campagne
qui en dépendoit changée en vn pastis
public, ce que les Lacedemoniens ne voulurent
faire, se souuenans des grands biens que la ville
d’Athenes leur auoit fait en leur aydant à deliurer
toute la Grece, de l’inuasion des Medes &
des Perses, & d’auantage qu’vn si excellent
Estat ne pouuoit pas ruiner cette Cité, sans
la perte de tous les Grecs, disant que la Grece ne
voyoit que par deux yeux qui estoient Sparte
& Athenes, & que l’vn manquant elle demeureroit
borgne.

 

Mais comme les Lacedemoniens redoutoient

-- 5 --

grandement Alcibiades, qui estant banny d’Athenes,
s’estoit refugié en Perse, ils firent en sorte
que les Perses pour leur satisfaction, le firent
tuër dans vne embuscade, quoy qu’ils l’eussent
receu par droict d’Hospitalité, & à cause de ce
qu’Alcibiade auoit mis toute sa confiance en la
Foy des Perses : telle est la fortune entre les hommes,
laquelle communique sa faueur ainsi qu’il
luy plaist.

 

Ce grand Capitaine estoit dans l’estime d’auoir
toutes les plus excellentes parties d’vne insigne
General d’Armée : mais aussi il estoit blasmé
d’estre ennemy de la paix & du repos, & fut Autheur
de la rupture qui se fit entre les Lacedemoniens
& les Atheniens, & de là il se disoit entre
le peuple, que s’il arriuoit que la Grece vid naistre
deux Alcibiades, elle se pourroit asseurer
de sa ruine.

Ce mal-heur n’arriua pas seul à la ville d’Athenes :
car comme estoit remplie de seditieux
les Lacedemoniens, luy donnerent trente tyrans
qui auoient tous pouuoir sur elle.

C’est ce que la France a experimenté depuis la
mort déplorable du feu Roy Henry le Grand
(d’heureuse memoire) & dans la Majorité du
deffunct Roy Louys le Iuste (que Dieu absoluë)
elle a veu monter dans le Ministere vn Alcibiades,
vn Cardinal de Richelieu, qui auoit toutes

-- 6 --

les qualitez d’vn grand homme de science &
d’Estat, mais ennemy du repos, car sans necessité
il rompit la paix entre les deux Couronnes, ce
qui a esté le commancement de nos mal-heurs en
sevrans les Marchands de tout commerce auec
les Estrangers ; de maniere que pendant son Ministere,
parmy le petit nombre de gens de bien,
vne quantité infinie de tyrans confidenciers
dans le Clergé, de concussionnaires dans la Iustice,
aux Finãces & en toutes sortes d’Estats, la corruptiõ
dans les Ordres Ecclesiastiques parmy les
Euesques & Prelats, abusans non seulement de
leur caractere, mais de leur Ministere dans les
Cours de nos Rois & de nos Princes ; l’ambition,
la haine, la jalousie, l’appetit de vanger vn poinct
d’honneur en la Noblesse, pour la preferance,
aux rangs, aux charges & aux dignitez. Et là-dessus,
comme ce sont gens à qui la curiosité
donne cognoissance de l’Histoire, le Testament
de sainct Remy & la Vision de Basine, auec quelques
vieux lambeaux de Centurie, ne leur manquent
pas pour enrichir le lieu commun des miseres
du temps.

 

Mais veut-on faire changer de langage à ces
graues censeurs & ambitieux qui portent sur le
sourcil le restablissement dés affaires & la reformation
de l’Estat, & remedier promptement
aux mal-heurs qu’ils déplorent, il n’est pas besoin

-- 7 --

d’vne cõuocation d’Estats ou d’vne Assemblée
de Notables, cela seroit trop long ; Le Cardinal
de Richelieu sçauoit bien, que si l’on coëffoit
seulement la teste d’aucuns d’vne mythre,
que si l’on enuoyoit à vn autre vn Breuet de Mareschal
de France, si on laissoit entrer celuy-là
au petit coucher, & si l’on permettoit à cettuy-cy
de grabeler à son aise sur les deniers qu’il
manie, ce ne seroit plus ce que c’estoit, tout
iroit le mieux du monde, le Roy ne seroit iamais
mieux conseillé ny iamais le Royaume plus florissant :
voila pour les abus qui se trouuent parmy
la Noblesse, ceux qui suiuent la Cour & les
hommes d’affaires.

 

En la justice, elle ne se void pas moins corrompuë
par les Iuges (sans offenser ceux qui manient
& tiennent la balance droicte) lesquels la
faueur, les dons & la crainte d’offenser quelques
puissans, emportent du costé de l’injustice, ou
bien les interests leurs lient la langue, ou pour
oppiner, ou pour prononcer au preiudice de la
veufue, du pauure & de l’orphelin, c’est ce qui
s’est fait durant le Ministere du Cardinal de Richelieu,
dans lequel les gens de bien des Cours
Souueraines pour la manutention des Loix & la
Religion de la Iustice, se sont veus proscripts,
bannis, & mal-traictez, pour la deffense de la verité,
pour ne vouloir preferer les Arrests du Conseil

-- 8 --

à la sincerité de leur conscience, semblables
au grand & fameux Iurisconsulte Papinian, lequel
sçachant que l’Empereur Antonin Bassian
Carracalla, auoit fait mourir Geta son frere germain
au ventre de sa mere, vouloit que ce grãd
Iurisconsulte excusast son crime & son parricide,
lequel pour ne trahir sa conscience en trahissant
la justice ; luy respondit, qu’il ne luy estoit
pas moins facile de deffendre ce parricide que de le commettre,
lequel au lieu de prendre de bonne part
cette esponse de Papinian, il cõmanda qu’il fut
mis à mort : ce iuste personnage aimant mieux
courir le peril de perdre la vie en la deffense de la
justice, que de cõplaire à vn Empereur, approuuant
vn fait tant injuste & criminel : aussi peu de
temps apres ce Prince fut tué, & souffrit ainsi la
peine de sa tyrannie.

 

La justice doit estre en tel estime que quand
elle vient à estre violée, ce ne sont plus que
meurtres & brigandages en la Republique.

Au commancement, la Republique Romaine
n’auoit pas encores l’vsage du droict ny des
loix, en sorte que souuentesfois les innocens
estoient opprimez en jugement & hors le jugement,
d’autant que personne ne sçauoit encores
qu’elle estoit la force & la vertu du droict : mais
comme ce manquement de droict causoit souuent
des tumultes & des seditions, il fut ordonné

-- 9 --

qu’on establiroit vne certaine forme de Iusticier
de Droict, pour retenir telles émotions !
Merueille de voir combien est grand le pouuoir
qu’ont les Loix escrites pour entretenir la paix
& la concorde parmy les peuples, ce qui se peut
cognoistre par cét exemple.

 

Pour ce tant necessaire establissement de Loix
furent choisis dix hommes à Rome, lesquels
furent enuoyez en Grece pour y recueillir les
mœurs, les loix & les droicts des grandes Villes
du païs, afin de s’en seruir pour faire vn riche
thresor des loix d’Henuodore d’Ephese, & des
conseils des autres Philosophes.

De l’Elite precieuse de tant de belles constitutions,
furent faites les douze Tables sur lesquelles
les loix furent escrites, lesquelles furent
attachées & exposées en lieu public de la Cour
de Rome. Et telle fut l’origine du Droict escrit
des Romains, qu’ils auoient premierement emprunté
des Grecs.

Ces dix hommes estoient trois ans en charge,
car il falloit que tous les iours les Loix fussent
leuës & declarées.

Entre ces dix hommes, Appius vint à abuser
de son pouuoir : car il fit appeller en Iustice la
fille d’vn Citoyen Romain appellé Virginius,
afin que sous pretexte de luy faire droict, il l’attirast
à luy & la violast, ce que le pere ayant sceu

-- 10 --

& qu’il eust cogneu qu’il n’estoit en la puissance
d’Appius de la deliurer de la peine, luy mesme
l’a tua en jugement, afin d’oster cette marque
d’infamie de sa maison. Ensuite il fit assembler
vne Compagnie de soldats, qu’il enuoya contre
Appius le Tyran ; ce qui fut cause que cette Cõpagnie
des dix hommes fut cassée, & vn autre
nouueau Magistrat estably. Pour Appius ayant
esté pris & conduit en prison, il se donna la
mort. Cét exemple fait voir que la tyrannie &
l’injustice ne demeuroit point impunie parmy
les Romains : Aussi loüables furent les Presidens
& Conseillers du Parlement, qui aimerent
mieux se voir[1 mot ill.] que de commettre l’injustice
qu’on voulait auoir d’eux, ce qui leur
[illisible.] gloire & honneur, puis qu’ils estoient
persecutez pour la deffense de la iustice.

 

Voicy vn exemple memorable qui fait voir,
qu’il n’y a point de Prince porte d’vne esperance
desesperée, qui ne fasse par fois quelque
acte d’honneur, de gloire & de iustice. C’est
Dieu qui rend la dignité & l’office du Magistrat
honnorable, & que beaucoup de fois il fait des
œuures vtiles pour la conseruation du Gouuernement
public.

Parmy les Histoires vn fait de Cambises est
memorable, pour l’auoir rendu digne de loüange.
Il auoit dans la premiere partie de l’Asie vn

-- 11 --

Prefect nommé Sisamne : il sceut que ce prefect
s’estoit laissé corrompre par l’éclat de l’or & de
l’argent, & auoir rendu vn iugement iniuste ;
c’est pourquoy il commanda qu’il fust tué, &
ayant fait découurir son corps de la peau qui le
couuroit, il la fit estendre en forme de Tribunal,
& fit mettre Otane son fils au lieu du luge qui
estoit mort, & asseoir au Siege du Iuge, afin que
par ce spectacle & consideration de cette peau
paternelle ainsi estenduë, le fils se gardast de
commettre en sa charge aucun acte semblable,
& qui luy fit souffrit vn pareil supplice.

 

Belle leçon aux Rois & aux princes, qui les
apprend d’estre religieux, deffenseurs de la Iustice,
& ne permettre que par la violence de
quelques Ministres, ou par corruption, les Iuges
se voyent contrains d’abuser de leur authorité
& de violer le droict qui doit estre inuiolablement
& également rendu à vn chacun, auoir
les luges & les Iurisconsultes en veneration,
pour estre les tuteurs, protecteurs & deffenseurs
des Loix, se seruir de leur aduis dans leur
Conseil, à l’exemple de l’Empereur Alexandre
Seuere, recommandable pour le grand amour
qu’il auoit à la vertu : Ce prince en toutes ses
affaires, se seruoit du Conseil du grand Iurisconsulte
Vlpian, & ne vouloit admettre en son Conseil
particulier aucun autre que luy : ce qui déplaisoit

-- 12 --

à ses soldats, d’autant plus que par ses
bons & vtiles aduis, ils estoient plus seuerement
retenus en deuoir : en sorte qu’ayant pris resolution
de tuër Vlpian, l’Empereur le deffendit
& exposa sa propre personne au mesme peril
que celle de ce fameux Iurisconsulte, le couurit
de son manteau, afin qu’ils cogneussent que le
salut de Vlpian estoit deu au grand soin qu’il
auoit de luy. Exemple illustre d’vne vertu Imperiale,
ce qui est vn enseignement aux grands
Princes, de l’obligation qu’ils ont d’exposer leur
corps & leur vie pour la deffense de la Iustice,
sans permettre que les chers nourrissons de cette
diuine Astrée soient proscripts & persecutez
par leurs Ministres, lors qu’ils refusent la blesser
pour leur complaire : ainsi que fit ce grand Empereur
Alexandre Seuere, lequel outre Vlpian,
voulut auoir encore en sa Cour ces excellens
hommes Pomponius, Hermogenes & autres
Disciples tres-sçauans de Papinian.

 

Mais le mal-heur du temps est qu’auiourd’huy
pour vn petit nombre de Iuges & gens de bien,
il y en a vn grand nombre de mauuais & corrompus,
à cause de leurs interests, preferant la faueur
de quelques Grands à toute autre consideration,
sans esperance de support ou de grandes recompenses.

De la Iustice, passons aux Marchands & aux

-- 13 --

peuples, parmy lesquels on ne void que perfidie,
faux sermens, déloyauté & banqueroutes,
volleurs manifestes du bien d’autruy, alliez &
associez auec les Banquiers & Partisans pour
mieux publier leurs tromperies & cabales épouuentables.

 

De telles gens & de la lie du peuple, sont sortis
les Emery, fils d’vn Amballeur, puis Banquier,
Banqueroutier Italien, Intendant, Controlleur
& Sur-Intendant des Finances.

Bordier, fils d’vn Chandelier de la place
Maubert Greffier en Chef du Conseil, puis Intendant
des Finances.

La Basiniere de petit Commis, Tresorier de
l’Espargne, mort riche de huict millions de liures,
& Lambert Valet, puis premier Commis
de l’Espargne, s’est trouué auoir vollé trois à
quatre millions de liures.

Vn Briare garçon de Tauerne seruant les hostes
au çon du couteau, deuenu Fermier general
des Aydes, autheur de l’impost infame du droict
du Bouchon par toutes les Tauernes & Cabarets
de France, qui auoit acheté la belle Maison prés
Bagnolet, laquelle depuis fut venduë à feuë Madame
la Comtesse de Soissons, lieu auquel il traitoit
les Grands & les Partisans, & faisoit seruir
sur sa table les trente andoüilles de Troye de
quatre quarts d’escus piece, lequel fut enfin tué

-- 14 --

par vn Laquais à Vanues, à cause d’vne garce
qu’il entretenoit.

 

Vn Fedeau Tresorier & Partisan riche aux
despens du bien de plusieurs Particuliers, qui
par vanité fit bastir le superbe Chasteau du Bois
le Vicomte en Brie, les Ministres pour profiter
des grands biens qu’il auoit vollez, luy firent faire
banqueroutte à ses creanciers, ce qui fut cause
qu’apres sa mort ainsi qu’on l’enterroit en l’Eglise
de sainct Mederic, quantité de Dames,
femmes de ses creanciers, luy donnoient mille
maledictions, & vouloient si elles eussent peu,
deterrer son corps pour le traisner par les ruës.

C’est le fait du Ministere du Cardinal de Richelieu,
sous lequel le Sieur de Buillon estoit
Sur-Intendant des Finances, & par leur aduis
furent faits les extraordinaires & tyranniques
Imposts du Sol pour liure sur toutes sortes de
marchandises.

Le droict inique d’Aisez, ou veritables larcins
& volleries, rauissans par force le bien du Bourgeois,
sans aucune forme de droict & de justice,
& mesme par emprisonnement de leurs personnes,
ce qui se fit à Paris & par toute la France.

Le droict pour la subsistance des gens de guerre,
outre les Tailles partout le Royaume.

L’establissement des Intendans de la Iustice
aux Prouinces, lesquels auec leurs supplices violentoient

-- 15 --

le pauure peuple pour le payement des
Tailles & des Imposts, les reduisoient en chemise
& à mandier leur pain, ce qui faisoit horreur
aux gens de bien.

 

Outre cela on peut adiouster les morts violentes
du Duc de Montmorency, du Cheualier
de Vendosme, du Duc de Puylaurens, du Mareschal
d’Ornano, du Mareschal de Marillac,
du ieune Marquis Deffiat, S. Mars, & de Monsieur
de Thou.

Les emprisonnemens du Duc de Vendosme,
des Sieurs de Vitry & de Bassompierre Mareschaux
de France, & du Comte de Carman, à la
Bastille.

Du Sieur de Chasteau Neuf Garde des Seaux,
au Chasteau d’Angoulesme.

Du Sieur de Marillac Garde des Seaux, à Chasteau-d’Vn,
où il mourut.

Du Duc de Boüillon, au Chasteau de Vincennes.

Le bannissement du Duc de Guyse, auec Madame
la Duchesse sa femme à Florence, les Princes
& Princesses ses enfans.

Du Duc d’Espernon en sa Maison de Plassacat,
du Marquis de la Valette son fils, en Angleterre.

Du Chancelier du Sillery, le tout pour assouuir
la passion des Ministres, qui sont les premiers

-- 16 --

mal-heurs de la France, sous le Ministere du Cardinal
de Richelieu.

 

Mais en voicy d’autres beaucoup plus grands
sous le Ministere de Iule Cardinal Mazarin, veritable
Pandore, comble de tous les maux imaginables
qui ont reduit la France aux abois.

Pandore, au dire d’Hesiode, fut premiere femme
de Vulcan, à laquelle chacun des Dieux, par
commandement de Iupiter, fit present de ce
qu’il auoit de plus precieux, comme Venus la
Beauté, Pallas la Sagesse, Mercure l’Eloquence,
& les autres Dieux ce qu’ils tenoient de plus excellent,
& à cause de ce, le nom de Pandore luy
fut donné ; En ce temps-là les hommes viuoient
sans trauail & sans soucy, d’autant que la terre
sans estre cultiuée leur produisoit toutes choses
necessaires pour l’entretien de leur vie : iamais
les maladies ne les trauailloient, la vieillesse n’auoit
point de prise sur eux, & le froid, le chaud,
ny les autres qualitez des Saisons ne les incommodoient :
Toutesfois Iupiter mit en la main de
Pandore, vn Vase dans lequel estoient encloses,
les maladies, la vieillesse, les sourcis & tous autres
mal-heurs qui accompagnent maintenant
la vie des hommes, & l’enuoya à Epimothée
homme foible d’esprit & de sens, qui le receut,
& l’ayant ouuert, il remplit tout le monde des
maux, des miseres & des mal-heurs qui y estoiẽt,
Cecy est Fable.

-- 17 --

Mais la verité se recognoistra en la suite de ce
discours, dans le Ministere mal-heureux du Cardinal
Mazarin, dans lequel il a remply toute la
France de toutes sortes de mal-heurs, de ruines,
de perfidies, de trahisons, de tyrannies, dimpietez
& d’infidelitez veritables. Pandore fatale
& funeste aux François, lequel dés son entrée au
Ministere, nous a fait perdre toute esperance
de paix & de repos, & a remply toutes les Prouinces
du Royaume de troubles, de tempestes, de
voleries & brigandages, sous la conduite de ce
Iule Cardinal Mazarin.

L’Histoire marque deux Iules, l’vn Cardinal,
l’autre Pape. Le premier Pandore de grands malheurs
qui ruina les affaires non seulement de la
Hongrie, mais de toute la Chrestienté. Le deuxiéme,
ennemy notoire de la France.

Le premier Iule ou Iulian Cardinal estoit au
temps que ce grand Capitaine Iean Hunniades
pere de Mathias, estoit Gouuerneur & General
de Vladislas Roy de Hongrie ; lequel dans vne
bataille qu’il gaigna, ruina tellement l’armée des
Turcs, qu’il obligea Amurath à receuoir la paix
auec les conditions qu’il luy demandoit : apres
quoy, Vladislas estant retourné en Hongrie, les
Hongrois se promettoient qu’en cas que les Polonois
joignissent leurs forces à celles de leur
Roy, & attaquant ensemblement le Turc, remporteroient

-- 18 --

vne grande gloire en le rompant.
Le Roy Vladislas jeune Prince, se flattoit du desir
de joüir de cette gloire : ce que voyant ce Cardinal
Iule ou Iulian, il donna ce mauuais conseil
au Roy de rompre les loix & les conditions des
tréues faites auec Amurath, disant qu’il n’estoit
raisonnable de faire aucun traicté de paix auec
les Infidelles sans le consentement du Pape, puis
qu’en cela il y alloit de l’interest de tout l’Empire
Chrestien. Vladislas surpris par le mauuais
conseil de ce Cardinal, romp les tréues, & ayant
assẽblé vne puissante armée, marche cõtre Amurath
iusques à Varne, peu distante de Constantinople,
contre l’aduis de Hunniades, qui employa
ses raisons pour faire resoudre Vladislas à ne
point embrasser vn si pernicieux conseil, estant
ainsi que l’armée Chrestienne estoit lors beaucoup
moindre que celle du Turc, & que le Roy
n’auoit fait la paix auec Amurath sans la grande
necessité en laquelle ses affaires estoiẽt reduites.
Il se disoit qu’Vladislas auoit fait prier Dracol
Vvalaque de Vvlachie de luy enuoyer secours,
mais que ce prince le dissuadoit d’entreprendre
cette guerre. Mais nonobstant tous ces bons
aduis de Vvalaque, enuoya le Prince son fils auec
deux mille cheuaux à Vladislas, & luy dit, qu’il
luy donnoit vn cheual excellent, Leger & tel
qu’il iugeoit estre propre à son fils, comme

-- 19 --

preuoyant qu’il le periroit en cette guerre, &
qu’il falloit qu’il eust de tels cheuaux en main
pour en cette necessité éuiter la mort par la vitesse
d’iceux. Les Turcs vserent en cecy non moins
de soin & de prudence que les Chrestiens, & vserent
de telle diligence, que leur armée fut plutost
preste que celle des Hongrois, lesquels quoy
qu’ils fissent tout deuoir de combattre pour la
gloire du nom Chrestien, & eussent défait vn
assez bon nombre d’ennemis : neantmoins les
Turcs par leur grand nombre eurent la victoire
en cette bataille ; le ieune Roy Vladislas fut tué,
comme fut aussi ce Cardinal Iule en la fuite, &
fut ainsi payé de son mal-heureux conseil fatal
& funeste à toute la Chrestienté.

 

L’autre Iule, dit deuxiéme du nom Pape, natif
de Gennes, homme plus propre aux troubles
& à la guerre qu’à la Religion, lequel doute
alloit causer vn Schisme tres-dangereux en l’Eglise,
n’eust esté l’Empereur Maximilian, lequel
par son authorité empescha ce mal-heur : ce Pape
Iule prist Bologne par force & en chassa les
Bentiuoles ; il excita de grands troubles en Italie,
& se seruant des Suisses, il prit Seruie, Rauennes,
Fauence, Modene & la Mirandole. Le Cardinal
Bernardin a écrit contre ce Pape Iule ; lequel
confirma & approuua l’vsurpation de la Nauarre
par Ferdinand Roy de Castille, sur Louis XII.

-- 20 --

Roy de France, & dans le Concile de Latran, il
le fit declarer Heretique tant l’auersion qu’il
auoit contre la France estoit grande, aussi fut-il
puny de sa perfidie : car s’estant ligué auec
l’Empereur & les Venitiens contre le Roy de
France, & ayant refusé la paix qui luy estoit demandée
par l’entremise du Cardinal de Salsebourg
Conseiller de l’Empereur, pour pacifier
le Roy de France auec ce Pape Iule, presumant
à cause des forces Espagnoles & Italiennes qu’il
auoit, remporter la victoire. La bataille se donna
le propre iour de Pasques de l’an 1512. prés la
ville de Rauenne, en laquelle son armée fut défaite,
& furent en ce combat seize mille hommes
tuez, & ainsi fut puny ce Iule Pape de sa
perfidie & de sa temerité enuers la France.

 

Si ces deux Iules Cardinal & Pape ont esté
cause de tant de mal-heurs en la Chrestienté &
pour la France ; peut-on esperer meilleur traictement
de Iules Cardinal Mazarin : lequel au commancement
de son Ministere, ayant trouué le
trouble bien commancé, au grand mal-heur de
la Chrestienté, & pour la ruine de la France sous
le Ministere du Cardinal de Richelieu, n’a rien
oublié des ordres qu’il luy laissa pour le continuër,
& s’enrichir en appauurissant le peuple
dans la Minorité du Roy. L’esprit duquel aussi-bien
que sa personne & ses plus grandes affaires,

-- 21 --

il detenoit comme captifs & les gouuernoit à
son plaisir sans contredit, ce qui la éleué à vn tel
degré de tyrannie si excessiue & insupportable
iusques à present, qu’il est bien difficile de la reprimer,
quelque industrie, conseil, ou resolution
qu’on puisse prendre contre vn tel tyran,
puissant en argent, qu’il a vollé aux coffres du
Roy, & tiré sur le peuple, & en Partisans qu’il a
en bon nombre en toutes les Compagnies Souueraines,
par toutes les Communautez & les
meilleures Villes, qu’il a interessez à son party,
sous le nom de Mazarins.

 

Veritable Pandore, d’où sont partis tous les
mal heurs qui ont ruiné non seulement la France,
mais toute la Chrestienté, de laquelle il est
declare ennemy & perturbateur du repos public.

Pour la Chrestienté, il est cause que la paix
generale traictée à Munster, ne s’est point conclue
au grand mescontentement des Princes &
Estats interessez, qui ne ioüyssent du repos
qu’ils se promettoient d’vne si solemnelle assemblée,
& en reiettent la cause sur les François, &
les François sur ce Cardinal Mazarin, qui seul
a empesché que cette paix n’a point esté signée.

Si elle l’eust esté, l’Italie ioüyroit de la tranquilité,
qui luy manque depuis que les Turcs

-- 22 --

ont declaré la guerre aux Venitiens : car la Chrestienté
n’estant plus trauaillée de troubles ciuils,
elle eust puissamment assisté les Seigneuries, &
eust arresté le progrés des Infidelles sur ses terres
& pais.

 

Le Royaume de Naples n’eust point esté ruiné
par vne guerre ciuile que Mazarin auoit allumée,
ny tant de peuples tuez & rendus miserables ;
le Duc de Guyse n’eust point esté fait prisonnier
ny detenu quatre ou cinq ans en Espagne,
ny si grand nombre de Villes & Bourgades
bruslées & pillées par les soldats des deux partis.

Tant de Marchands Armeniens & Italiens
n’eussent point esté piratez par les Pirates & Corsaires
que Mazarin entretenoit à Portolongone.

La Religion Catholique eust esté restablie en
plusieurs païs d’Allemagne, d’où les guerres l’ont
bannie, sans trouuer en deux cens lieuës de païs,
vne seule Chappelle en terre, & on a esté contraint
de laisser aux protestans les Benefices & les
Monasteres qu’ils detenoient au tres-grand preiudice
des Catholiques, & ce pour iouïr de quelque
repos.

La Catalogne à laquelle Mazarin a tiré la pluspart
des gens de guerre François qui y estoient,
n’eust point esté abandonnée comme elle est à

-- 23 --

present, apres la perte de tant d’hommes & d’argent.

 

Nous n’eussions perdu treize places en Flandres
conquises par les Armes du Roy, si ce tyran
n’eust tiré les garnisons pour entretenir la guerre
ciuile en France.

Dans laquelle l’impieté de ce miserable a esté
feconde en mal-heurs detestables, commis par
les gens de guerre qu’il aduoüe & protege, en
Picardie, Champagne, Brie, Gastinois, Sologne,
Berry, Poictou, Xaintonge, Guyenne,
Anjou, Blaisois & aux enuirons de Paris.

Dans lesquels païs, on fait estat de deux cens
septante six Monasteres pillez & ruinez.

Plus de quatre cens Eglises de Villages & gros
Bourgs exposez à l’auidité profane des soldats &
plusieurs bruslez.

Plus de cent quatre-vingts filles consacrées à
Dieu violées.

Plus de six mille tant femmes que silles forcées.

Plus de dix mille pauures païsans outragez,
rostis & exposez à la barbarie & cruauté de ces
ames damnées.

Plus de deux mille saincts Ciboires, Croix,
Calices & Chandeliers vollez & emportez.

Les ossemens sacrez de plusieurs Saincts religieusement

-- 24 --

conseruez en des Chasses, & Reliques
profanées iettez sur des fumiers & lieux
sordides sans respect ny reuerence.

 

Vn nombre infiny de belles Fermes bruslées,
le bled enleué des Granges ietté au feu, & les
vins tirez des Caues, défoncez & perdus apres
que ces impies s’en sont regorgez.

Plus de vingts lieuës de païs abandonnez &
desertez pour l’apprehension des soldats.

Plus de cinquante Villes en Guyenne apres
auoir composé auec ceux qui les assiegeoient, &
receu l’argent dont estoit conuenu, ont esté forcées,
pillées & les Habitans la pluspart tuez &
outragez. Ce tyran est bien éloigné de la generosité
de Scipion le jeune, fils de Paul Emile.
Lequel entreprit la guerre contre la ville de Carthage,
& apres quatre ans de Siege & quatre
grands assauts donnez & soustenus, prist la Ville ;
& encores qu’il eust permis aux Habitans de
se sauuer à la fuite. La tuërie ne laissa pas d’estre
grande à la prise : en suite le mesme Scipion commanda
que la Ville fust bruslée & reduite en
cendres, à quoy seize iours entiers furent employez :
On remarque de ce grand Capitaine Scipion,
qu’apres la conflegration de Carthage ainsi
qu’il se pourmenoit à cheual parmy les cendres
de cette superbe Cité, estonné de voir vne si

-- 25 --

florissante Ville en vn estat si miserable, au lieu
de se réjoüir de sa victoire, il se sentit touché
d’vne grande commiseration, & pleura abondamment,
disant auec grand regret, qu’il auoit
compassion de l’infortune d’vne si fameuse Cité,
préuoyant que la mesme ruine se pourroit voir
vn iour de la ville de Rome, considerant que
sur terre il n’y a Empire qui puisse se vanter d’auoir
vne durée stable & asseurée.

 

Ce qui deuoit estre reproché à Mazarin,
qu’vn Payen plus religieux en ses actions que
luy, regrettoit la ruine d’vne Ville qui estoit
ennemie iurée de celle de Rome, & luy ne
témoigner aucun ressentiment, bien moins
qu’vn Barbare, de tant de Villes, Bourgs, Chasteaux
& Villages ruinez & bruslez, si grand
nombre de lieux sacrez & prophanez par des impietez
& des sacrileges horribles, tant de Vierges
violées, tant de pauures personnes cruellement
massacrées par vne cruauté, sans exemple,
& de tant de mal-heurs, ne dire autre chose, sinon
que tels estoient les effets de la guerre, sans considerer
qu’il en est l’Autheur qu’il l’a allumée, &
l’a veut entretenir pour contenter sa tyrannie,
& executer ses mal-heureuses vengeances.

Il n’y a action cruelle, tyrannie si excessiue,
massacre si inhumain, non plus que la perte & la
mort de plusieurs grands Capitaines & vaillans

-- 26 --

hommes qui ait iamais trouué de la clemence en
ce cœur de Tygre, il se rit & se mocque de tous
les tristes éuenemens de cette guerre : il n’a garde
d’imiter le grand Alexandre, lequel apres
auoir estably la paix en Grece, s’en alla auec vne
puissante armée en Perse, ayant en icelle quarante
mille pietons, & quatre mille cheuaux seulement :
car en Asie les trouppes qu’il y auoit
estoient foibles & petites, restées de celles que
Philippes son pere y auoit menées : neantmoins
auec cette armée mediocrement forte, il ne laissa
pas d’assaillir les perses, prit plusieurs grandes
Villes, entre lesquels estoient Sardes, Milet &
Tyr aux Sorges, esquelles il courut de grands
perils : & ayant vaincu le Roy Darius, le mit en
fuite, prit sa mere, la Reyne sa femme, son fils &
ses filles prisonniers, & les traicta fort honnestement,
comme il appartenoit à vne lignée du
Sang Royal, il appella sa mere la Reine, à cause
de son grand aage, & baisa le prince son fils comme
s’il eust esté le sien propre : cette grande humanité
& ces excellentes vertus luy acquirent
de grandes loüanges par toute l’Asie : voire mesme
à la Cour de Darius, iusques-là, qu’il s’offrit
de traicter volontiers auec luy par des conditions
de paix, disant estre prest de luy donner
la moitié de son Royaume ; Mais Alexandre luy
respondit, que comme le monde ne pouuoit

-- 27 --

souffrir deux Soleils, aussi vn Royaume ne deuoit
auoir deux Roys : que si de sa bonne volonté
il vouloit donner son Royaume, il le
receuroit benignement en sa grace. Mais ayant
derechef mis vne armée sur pied, Darius fut encore
vaincu : & en fuyant, il fut poignardé
par le Capitaine Besse, son sien valet ; là-dessus
suruint Alexandre, & trouuant Darius grandement
blessé, & prest à rendre l’esprit, eust compassion
de luy, & luy promit qu’il ne laisseroit
point cette perfidie de Besse impunie commise
contre son propre Seigneur. Et defait ce traistre
parricide ayant esté pris, Alexandre commanda
qu’il fut attaché à deux grosses branches d’arbres,
lesquelles se retirant en haut, son corps fut
par vn grand tourment dechiré.

 

Acte d’humanité d’vn prince idolatre, qui
deuroit faire rougir de honte Mazarin, dont le
cœur plus dur que marbre ne peut estre aucunement
ramolly par tant de cruautez que les siens
ont commises à son sceu, & suiuant ses ordres,
ainsi qu’il eust fait à ceux de Bordeaux, s’il eust
peu prendre leur Ville de force, où il n’eust espargné
personne.

C’estoit son dessein lors qu’il commanda au
Mareschal de Turenne de mener son armée deuant
paris : car s’il eust défait les Princes & les
Bourgeois au combat du Faux-Bourg de S. Anthoine,

-- 28 --

estant asseuré de quantité de Mazarins
ses confidens qui estoient en grand nombre
dãs paris, & se saisir de la Bastille & d’autres lieux
auantageux, il se promettoit voir les ruisseaux
de cette grande Ville couler du sang de ses Habitans
tant sa haine est grande contre paris, en
laquelle il a esté par Arrest de la Cour, declaré
criminel de leze-Majesté, proscript, banny &
sa teste mise à cinquante mille escus.

 

Il sçait que s’il pouuoit voir paris ruiné, que
le reste du Royaume seroit sa curée, & qu’il se
feroit obeïr par tout : c’est là son but, son ambition
& son mal-heureux dessein.

Mais voicy encore vn autre suiet du mal-heur
de la France, d’auoir entrepris la guerre Estrangere
& Ciuile sans aucun fondement ny suiet, ce
qui a tousiours retourné à la honte des aggresseurs
& des autheurs de tels troubles, ainsi que
l’antiquité nous enseigne.

L’Histoire Grecque obserue que les Grecs
apres auoir chassé les Perses de leur païs, ils en deuindrent
plus insolens, & croyans estre plus
puissans, ils portoient leurs pensées ambitieuses
à de nouuelles expeditions : car la superbe &
l’ambition accompagne souuent les plus grands
succez. C’est pourquoy les grandes & longues
guerres de cette Monarchie là, par lesquelles la
Grece s’est finalement perduë : en sorte qu’il a

-- 29 --

fallu qu’elle ait obeї à toutes irruptions estrangeres
qui s’y sont faites, comme aussi, au lieu
d’vne honnorable administration qui s’entretenoit
en leur Republique, la raison de leurs
mœurs corrompuës, succeda & s’insinua dans
leurs Loix : mais ce qui est digne d’admiration
& d’estre obserué, est que tant & de si grandes
incommoditez & si longues & mauuaises guerres
furent entreprises par des causes fort legeres ;
ce qui doit rendre les autres Republiques sages
& plus aduisées, de ne faire aucune guerre sans
grande necessité, & se mirer sur les Grecs, qui
ont assez de fois entrepris des guerres sur des occasions
legeres & de peu d’importance, qui ne
peurent se pacifier iusques à ce que finalement
les nations Estrangeres faisans des irruptions en
Grece, ont ruiné les deux parties. C’est temerité
de ne croire qu’vne presente felicité, rend les
hommes plus insolens, & tentent des choses qui
quelquesfois leurs sont preiudiciables & ruineuses.
C’est ce qui arriua à Cresus Roy tres-riche
& tres-puissant, lequel faisant la guerre en
la premiere partie de l’Asie à Cyrus, lequel luy
allant au deuant, le défit & s’empara de son
Royaume, puis ayant pris la Ville de Sardes, il
fit Cresus prisonner, & commanda qu’on luy fist
souffrir le supplice du feu ; luy estant monté sur
le bucher preparé, s’écria d’vne voix lamentable,

-- 30 --

disant, ô Solon, Solon. Cyrus admirant cette
voix, le fit interroger sur la raison qu’il auoit de
s’écrier ainsi : Alors tirant du profond de sa poictrine
ces foibles paroles, dist ; Solon estoit jadis
vn tres-sage personnage en Athenes, auquel, lors
que jestois libre, i’ay rendu des honneurs souuerains,
& luy si voir tout mon pouuoir & mes
grands thresors, me flattant que par mes grandes
richesses & ma puissance, ie me pourrois tenir
asseuré contre les éuenemens de la fortune, & la
force de mes ennemis : Mais à cela Solon luy
respondit, qu’en cette vie il n’y auoit homme si
heureux qui peust s’asseurer d’estre en toutes façons
heureux auant sa mort, ny aucun tellement
puissant qu’il ne puisse succomber aux accidens.
Alors il confessa qu’il auoit mesprisé ces sages
maximes de Solon, & qu’à cause de ce, il auoit
entrepris temerairement les guerres qu’ils
auoient faites, que par sa faute il se voyoit reduit
en vn estat si mal-heureux de mourir par le
feu : qui est vn aduertissement important à toutes
les Villes quoy que puissantes, & à tous Princes,
quoy que redoutables par leurs forces &
grand pouuoir, qu’il y a du peril d’entreprendre
vne guerre sans necessité pour des sujets legers &
hors de raison.

 

Aussi Mazarin qui pour le seul sujet de s’enrichir
de la substance du peuple, veut entretenir

-- 31 --

le trouble & la guerre, se trouuerra enfin chastié
de son ambition & insolente temerité : il s’imagine
qu’auec les grandes volleries qu’il a faites,
jointes auec le nom & l’autorité du Roy, dont il
abuse, qu’il viendra à se vanger puissamment des
Princes, des Villes & des Peuples qui sont vnis
contre luy, il se moque des resolutions qu’ils ont
prises de le perdre, d’auoir sa teste ou le chasser
hors du Royaume.

 

Mais il faut qu’il sçache que la temerité, & la
presomption est vne pure tyrannie de vouloir
comme il fait attenter aux Loix fondamentales
de l’Estat, ou bien plutost pour enrichir encores
par dessus, qu’il ne peut ny ne sçauroit pas donner
des marques plus authentiques du mauuais
dessein qu’il a d’establir sa tyrannie, lors qu’il se
porte à vouloir ébranler les fondements du
Royaume, & ruiner la Maison Royale en cherchant
à ruiner les Princes du Sang, les Parlemens
& tout l’Estat, pour faire d’autres fondemens tyranniques
qui soient plus complaisans à son caprice,
& plus sympatiques auec ses mal-heureuses
intentions, qui font dépendre tous les mal-heurs
& les desastres imaginaires des plus grands
tyrans sur la France, voyant le peu d’estat qu’il
fait de la personne sacrée du Roy.

Quel Conseil, s’il n’est Mazarin, trouuerra-t’il
quelque Loy qui decerne le triomphe, à vn

-- 32 --

condamné & à vn proscript, qui assassine ses Iuges,
qui vient à la teste d’vne armée, qui pille les
Temples & les Autels, & qui a signalé son entrée
par vne desolation generale dans le Royaume !
Miserable Pandore, Autheur de tous nos mal-heurs.

 

Que diront les Estrangers, voire toute l’Europe,
de la France, laquelle prostituë ainsi sa
gloire ! Que diront nos alliez de cette lascheté
& de cette foiblesse ! Quel auantage n’en prendront
point nos ennemis, si nous attendons d’auantage
à nous défaire de ce traistre, de ce traisne
mal-heur, & qui est le mal-heur des mal-heurs
de la France : afin que par sa perte, preuenir la
nostre entiere, & restablir la paix & le repos qu’il
a tousiours esloigné autant qu’il luy a esté possible :
& en ce faisant, on cognoistra que nous
sommes vrais François, & que nous aurons témoigné
nostre courage en nous défaisant de nostre
plus grand ennemy.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1652], LA PANDORE, OV L’ASSEMBLAGE DE TOVS LES MALHEURS que la France a soufferts dans le Ministere du Cardinal Mazarin. I. Sur son manquement de foy. II. Sur le nom de Iule Mazarin, funeste à la Chrestienté. III. Sur ses mauuais Conseils, donnez à sa Majesté. IV. Sur la necessité qu’il y a de l’éloigner des Conseils du Roy & du Ministere. V. Et sur son Ambition, aspirant à la Souueraineté. , françaisRéférence RIM : M0_2658. Cote locale : B_13_21b.