Anonyme [1649], LA GVYENNE VICTORIEVSE CONTRE SES TYRANS. , français, latinRéférence RIM : M0_1537. Cote locale : C_5_35.
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LA
GVYENNE
VICTORIEVSE
CONTRE SES
TYRANS.

A PARIS.

M. DC. XXXXIX.

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LA
GVYENNE
VICTORIEVSE
CONTRE SES
TYRANS

CEVX qui voudront accuser la Prouince
de Guyenne de rebellion, pour
auoir pris les armes contre son Gouuerneur,
trouueront à la verité quelques petits
esprits qui ne iugent des choses que par
autruy, ou selon que leurs interests les engage
dans vn party, lesquels condamneront cét
armement de felonnie ; mais les mieux auisez
iugeront que comme il y a de la distinction
entre la souueraineté legitime & l’vsurpation,
entre les Tyrans & les Roys, entre les subiects
& les esclaues, aussi dans les sousleuements

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des peuples il faut mettre de la difference entre
la rebellion des subiects contre leur Prince,
& la legitime deffence contre l’oppression.
Cette guerre ciuile que les ennemis de
l’Estat ont portée du cœur aux extremitez du
Royaume, fait voir l’imprudence de ceux qui
manient l’Estat, faisant voir l’impuissance de
ceux là qui tirannisent les peuples, & les forces
de ceux cy, pour destruire les autres qui les
veulent écraser. Ils pensoient auoir tout gaigné,
pour auoir fait quitter les armes aux Parisiens,
& qu’ayans ietté quelque monnoye
aux Bateliers, & fauorisé les Harangeres par
le don du payement qu’elles faisoient tous
les ans pour leurs places dans vn Marché ;
mais qui ne iuge que tous leurs desseins deuoient
estre aussi peu fermes & leurs pretensions
aussi peu asseurées qu’ils les ont basty sur
de si chetifs fondements.

 

Mal auisé est souuent en peine : Iugez si
ceux qui ont voulu interdire le Parlement de
Bordeaux possedent beaucoup de lumieres
dans la Politique, estans dans la peine où ils
sont autant ou plus empeschez qu’vn Pilote
mal instruit accueilly d’vne furieuse tempeste.

Ils ont voulu choquer des Cours souueraines,

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sans considerer qu’ils n’auoient ny la force
de faire obeyr, ny l’authorité d’exiger vne
obeyssance du tout honteuse & indigne de
ceux à qui ils s’addressoient pour la faire rendre.
Qu’est il donc arriué ? ce qu’vn homme
tant soit peu de iugement pouuoit predire
deuoir arriuer infailliblement : à sçauoir, le
décry d’vne mauuaise administration, la haine
irreconciliable des peuples, & de ceux qui
ont voulu la maintenir ; enfin la ruine totale
de l’autorité de ceux cy, & la victoire du
costé de ceux là.

 

A nous entendre parler de Guascons, on
diroit que nous faisons ce qu’ils disent, &
qu’ils disent ce que nous faisons. Il est à remarquer
pourtant, qu’en leurs querelles ils
ont le coup aussi prompt que la parole,
& que le plus souuent ceux qui se sont
rangez parmy nous demeurent de fort bon
accord, & vuident leur different dans le
cabaret.

Mais que dirons nous de leur conduite en
leur guerre ciuile ? voudrions nous soustenir
que nous auons eu plus de vigueur & de
force à la soustenir, ou plus d’heur & de gloire
à la terminer qu’eux ? non certes, si nous
ne voulons qu’on nous estime du tout insensez,

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apres estre tenus ou pour des lasches, ou
pour des abusez. Ceux qui ont voulu reduire
le meschant mestier de la guerre en vn bel
art de tuer les hommes, reduisent toutes les
actions militaires en deux, qui sont appellées
actions de fatigue, & actions d’honneur. Celles-cy
sont la garde du Roy, celle des tranchées,
faire les logements, donner dans le trauail
des ennemis, reconnoistre vne bresche,
& attaquer les ennemis. Les autres sont, disent-ils,
garder vn camp ou vne ville, garder
du canon, & escorter des conuois des viures
& de fourrages. Or nous pouuons iuger par
cette diuision si nous auons acquis beaucoup
de gloire, n’ayant iamais eu le moindre auantage
pardessus nos ennemis, quoy que nous
les eussions tous assiegez sans auoir fait aucun
siege, attaquez sans auoir fait aucune attaque :
au lieu que les Gascons ont fait toutes
ces actions auec gloire.

 

Les Bourgeois n’ont pas esté plustost assaillis
que les voila aguerris, estans aguerris ils
se sont mis en campagne, ont chassé leurs ennemis,
forcé des places, & ne pouuant souffrir
à leur porte le bouleuard de la tyrannie,
la marque de leur subiection, l’ont enuironné
de tranchées, miné, assailly, & enfin pris,

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auec la capitulation qui a esté publiée depuis
quelques iours.

 

Le Chasteau Trombette, appellé par le vulgaire
Chasteau Trompette, a esté basty apres
le Chasteau du Ha pour tenir la ville de Bordeaux
en bride, & seruir de Citadelle contre
les habitans d’vne si magnifique Cité. Entre
toutes les villes du Royaume comme elle a
plus témoigné d’horreur contre l’oppression
aussi l’a-t’elle ressenty plus qu’aucune autre.
Il y a six vingts ans que le sol pour liure causa
le sousleuement du peuple de Bordeaux, qui
fut abandonné de tout le reste du Royaume,
& par ainsi le Duc de Montmorency n’eut
pas beaucoup de peine de prendre vne ville
qui n’auoit aucun secours, & ne pouuoit resister
toute seule à vne armée de trente mil
hommes. Apres auoir imploré en vain la misericorde
du victorieux, il fallut se rendre à
discretiõ. Le General n’y voulut entrer que par
la bréche, qui fut faite en abattant vn long
pan de muraille qui paroist encore proche
du Chasteau trompette du costé qui regarde
le Chartron, vis à vis des Carmes deschaussez.
Les autheurs de la sedition & quantité de
Bourgeois furent pendus, la ville condamnée
à vne grosse amande, toutes les cloches qui

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auoient sonné le beffroy fonduës, & metamorphoses
en canons, lesquels furent mis
dans le Chasteau Trombette, afin de le rendre
plus fort contre la ville, & nonobstant
toutes ces violences cette imposition ne peut
estre leuée en aucun lieu de la Prouince.

 

Maintenant que l’occasion s’est offerte
de prendre les armes contre des Tyrans qui
ont estably & leué vne infinité de taxes, gabelles,
& emprunts incomparablement plus
dommageables au peuple que le sol pour
liure. Les habitans de la ville de Bordeaux
l’ont en leur possession. Ie ne doute pas
qu’ils ne se soient trouuez en grande perplexité
sur la question qui a esté meuë, s’il falloit
raser ladite place, ou bien la garder, reparer
toutes les bréches, la rauitailler, & y
mettre forte garnison.

On ne doute point que ladite place estant
bien forte par vn profond & large fossé, par
quatre grands bastions, & tres bien munie
d’artillerie commandant sur la riuiere, elle
ne serue & d’ornement & de rampart pour
la ville. Neantmoins comme les choses coustent
plus à conseruer qu’à acquerir, &
qu’vn Gouuerneur seroit plus aisé à corrompre
que d’en bastir vn autre ; ces considerations

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doiuent emporter sur les premieres,
& par ainsi l’orgueil de la tyrannie sera abbatu
& enseuely dans les ruines de ce Chasteau
de trompeurs.

 

Si le dessein des Bordelois estoit autre
que de vouloir viure & mourir subiects à
la Couronne de France, selon les loix fondamentales
de l’Estat & du Pays, ils pourroient
garder ladite place, la bien munir,
& en faire vn puissant asyle de leur liberté.
Neantmoins comme ils ont monstré
ne vouloir surpasser tous les autres François
qu’en fidelité, aussi bien qu’en courage,
en démolissant ledit Chasteau ils
veulent donner à connoistre que l’obeyssance
qu’on doit pretendre & exiger d’eux,
sera aussi prompte & entiere qu’elle sera
legitime & sans contrainte.

C’est à faire, disent-ils, à des villes frontieres,
d’auoir des Citadelles pour leur seruir
de deffense contre les surprises des ennemis,
ou bien d’en remettre & continuer
en celles qui se sont soustraites de
l’obeyssance.

Bordeaux n’en a que faire ny pour l’vn
ny pour l’autre motif.

Ioignez à cela que la Iustice de Dieu ordonne

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que ceux qui ont pillé, saccagé, démoly
& bruslé, reçoiuent de leurs ennemis
victorieux vn pareil traittement. Si
les habitans de Bordeaux ont fait vne capitulation
de Bordeaux ont fait vne capitulation
assez honorable au Gouuerneur
& aux soldats, qui ont gardé la place
tant qu’ils ont peu, ç’a esté pour monstrer
que la generosité consiste plus à sçauoir
vaincre, qu’à se vanger par la victoire ;
& que c’estoit vne des vertus des anciens
Romains, qui les faisoit estimer mesme
de leurs ennemis, ayant pour leur deuise :

 

Parcere subiectis & debellare superbos.

FIN.

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