Anonyme [1652], LA FRANCE AFFLIGEE, Parlant & respondant à toutes les Personnes & les Corps qui suiuent. Le Roy. La Reine. Le Mazarin. Le Confesseur de la Reine. Le Priué Conseil. Le premier President. Tous les Mazarins en general. Monsieur de Villeroy. Monsieur le Duc Damville. Mons. le Duc d’Orleans, & Mademoiselle. Le Prince de Condé. Le Duc de Beaufort. Monsieur de Brousselle. Le Parlement en general. Le Coadjuteur. Le Clergé. La Noblesse. Le tiers Estat. Et faisant sa plainte, sur le sujet de toutes leurs réponses, qui l’obligent à former la resolution qu’elle témoigne à la fin de ce discours. Le tout en vers Heroiques. , françaisRéférence RIM : M0_1417. Cote locale : B_3_19.
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LA FRANCE
AFFLIGEE,
Parlant & respondant à toutes les
Personnes & les Corps
qui suiuent.

Le Roy.

La Reine.

Le Mazarin.

Le Confesseur de la Reine.

Le Priué Conseil.

Le premier President.

Tous les Mazarins en general.

Monsieur de Villeroy.

Monsieur le Duc Damville.

Mons. le Duc d’Orleans,
& Mademoiselle.

Le Prince de Condé.

Le Duc de Beaufort.

Monsieur de Brousselle.

Le Parlement en general.

Le Coadjuteur.

Le Clergé.

La Noblesse.

Le tiers Estat.

Et faisant sa plainte, sur le
sujet de toutes leurs réponses,
qui l’obligent
à former la resolution
qu’elle témoigne à la fin
de ce discours.

Le tout en vers Heroiques.

A PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

Au Lecteur.

CEVX qui iugeront le mieux de cette piece, verront
que c’est vn grand effort d’imagination, où
le iugement n’a pas laissé d’agir tant soit peu, comme
les differentes responses de tous ses personnages accommodées
à leurs professions & à leur humeur, le font
connoistre parfaitement. Les vers ne paroistront pas tous
d’vne force, ny tous acheuez : mais n’ayant esté que deux
ou trois iours à les composer, ie n’ay pas cru qu’il fallust
prendre dauantage de peine à les limer, pour les
exposer de cette sorte au public. Enfin i’ay voulu contenter
mon zele & satisfaire mon genie sur cette matiere
dans vne occasion si fauorable, & si la passion des
autres en est aussi satisfaite, ce sera pour mon esprit vn
redoublement de satisfaction, en attendant que ie produise
des ouurages de plus de consequence, si le stile de
celui-cy ne déplaist pas tout à fait, comme ie l’ose esperer.

-- 3 --

La France Affligée.

L’interessé pour la France,
A la France.

 


Apres tant de langueurs, ô France esueille toy,
Porte ton desespoir jusqu’aux yeux de ton Roy,
Implore sa clemence, & presse sa iustice
De borner la rigueur de ton cruel supplice,
Sinon affranchi toy, de ces seueres loix,
Rompt tes fers miserable, & responds à ma voix.

 

La France.

 


Helas ! ie ne puis rien, Mazarin me captiue,
Mon peuple est languissant, & ma Noblesse oysiue,
Mes Princes sont vaillans, mais ils le sont pour eux,
Aucun d’eux ne s’oppose à mon sort rigoureux,
Et ie rencontre à peine, en vn si grand Empire
Vn bras qui me protege, alors qu’vn me deschire.

 

L’interessé pour la France, Au Roy.

 


Grand Prince, oyez la voix de son iuste courroux,
Souffrez que cette Reine embrasse vos genoux,
C’est la mere des Roys, vostre chere patrie,
Qui paroist à vos yeux cruellement meurtrie,
Et vient vous raconter les maux qu’elle a soufferts,
Depuis que les tyrans la tiennent dans les fers :
Grand Prince, Mazarin en ce rang est le pire,
Il détruit vos Citez, ruine vostre Empire,
Rençonne vos sujets, & comme en vn enfer,
Seme par tout l’horreur, de la flame & du fer.
Sauuez cette Princesse, escoutez sa priere,
Pour regner triomphant, faites luy grace entiere,

-- 4 --


Si la France perit, si Mazarin la perd,
Vous ne serez plus Roy, que d’vn affreux desert.

 

Le Roy.

 


Qu’on me laisse en repos, cette voix m’importune,
Estant Roy i’ay trop d’heur, & de bonne fortune,
L’aage ou ie suis me porte au diuertissement,
Crieurs, allez trouuer Mazarin ou Mamen :
Si la France est en dueil, qu’elle pleure & souspire,
Pour moy ie veux chasser, galantiser & rire.

 

La France.

 


Certes, ce n’est point la me tenir en suspens,
Riez, mais sans souffrir qu’on rie à mes despens :
O Ciel, dont l’equité dispense les Couronnes,
Voy quels Maistres, quels Chefs, quels Regens tu me donnes,
Et puis que ton courroux me priue de soustien,
Voy s’il est vn tourment qui soit esgal au mien.

 

L’interessé pour la France, A la Reine.

 


Ha Reine, s’il est vray, qu’vne diuine flame
Espandit autrefois ses rayons dans vostre ame,
Si vostre cœur parut sensible à la pitié
D’vn Ministre insolent, souffrant l’inimitié,
Aujourd’huy que la France est pleines de ruines,
Monstrez cette tendresse & ces flames diuines,
Arrestez les torrens de ses maux inhumains,
Qui sont (dit-on) l’effet de vos cruels desseins,
Enfin, cessez d’agir auec tant de furie,
Oubliez vn seul homme, & la France est guerie.

 

La Reine.

 


Importuns caioleurs & sots donneurs d’aduis,
Qui ne seront iamais escoutez ny suiuis,
Cessez de faire au vent ces vaines remonstrances,
Si la France perit ie puny ses offences,
Enfin, n’esperez point de tréve ny de Paix,
Si Mazarin sur vous ne regne desormais.

 

-- 5 --

La France, A la Reine.

 


Craignez, craignez le bras qui lance le Tonnerre,
Reine, i’auray la paix, & vous aurez la Guerre,
Et ces foudres sanglants que meut vostre courroux,
Ne frapperont peut estre vn iour qu’vn autre & vous.

 

L’interessé pour la France, Au Mazarin.

 


Mazarin tu connois, qu’elle est l’antipatie,
Qui porta les François à presser ta sortie,
Tu sçais que de l’Estat tes feux sont le flambeau,
Que de ce qui perit, on te croit le bourreau,
Que la haine & l’horreur que l’on a pour toy-mesme,
Va iusqu’à la fureur & iusqu’à l’anatheme,
Que par tes cruautez, la France est aux abois :
Ne nous asserui point sous de si dures lois,
D’vn peuple qu’on opprime & que l’on desespere,
Apres l’auoir détruit, contemple la misere :
Si tu n’as d’vn demon la fureur dans le sein,
Témoigne en ce rencontre vn sentiment humain.

 

Responce du Mazarin.

 


Moy, que jamais i’oblige ou protege la France,
Ie cherche mon bon-heur, & non sa deliurance ;
On me despeint en vain les maux qu’elle a soufferts,
Si ie l’aime en effet, ie l’aime dans les fers,
C’est son or, son butin, ses richesses que i’aime,
Sa dépoüille me plaist, beaucoup mieux qu’elle mesme,
Donc puis que son malheur m’inuestit de son bien,
Ie dois le confirmer, pour reculler le mien.

 

La France.

 


C’est ainsi qu’on me jouë, ainsi que l’on m’opprime,
Et bien Reine, iugez si ie suis sa victime,
Mais penses quel pouuoir me liure entre ses mains,
Ouy Reine, c’est l’effet de vos feux inhumains ;
Vous causez ma douleur, & m’ostez l’esperance,
Et c’est vous dont mes vœux ont pressé la Regence,

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Vous dont les déplaisirs, m’ont cousté tant de pleurs,
Vous dont i’ay ressenti les premieres douleurs,
Vous dont le zele feint, eut pour moy tant de charmes,
Ha rendez moy mon deüil, mes souspirs & mes larmes,
Ie veux dire ces pleurs que ie versay pour vous,
Lors que vous témoigniés vn excez de courroux,
Ouy, si vous m’accablez de fers & de miseres,
Si i’ay prié pour vous, rendez moy mes prieres,
Et puis que Mazarin seul vous semble à cherir,
Viuez ensemble heureux, mais craignez d’y perir.

 

 


Quoy Ie n’ay pû flechir, Mazarin ny la Reine ?
L’vn a tant de rigueur & l’autre tant de haine,
Et cependant tous deux d’vne égale ferueur,
Semblent briguer du Ciel la puissante faueur,
L’vn se voit annobli d’vn sacré caractere,
L’autre au pied des Autels est tousiours en priere,
Et tous deux animez d’vn iniuste courroux,
Font ressentir aux miens la rigueur de leurs coups.
Ouy cette grande Reine, en sa ferneur, egale
Le zele plus ardent d’vne saincte Vestale,
De la Communion le precieux repas,
Pour sa Royale bouche a de parfaits appas,
De cordons, grains benits, chapelets, reliquaire,
Son Oratoire auguste est le depositaire :
Tentons par la son ame, & puis qu’elle craint Dieu,
Voyons quel Confesseur est le sien en ce lieu,
Prions le de la rendre à nos vœux fauorable.

 

La France, Au Confesseur de la Reine.

 


Toy donc, qui que tu sois, Directeur secourable,
Qui par tes saints auis regles ses sentimens,
Et connois de son cœur les secrets mouuemens,
Qui dois estre esclairci de toutes ses pensées,
Fay la ressouuenir de ses fautes passées,
Oppose ta froideur à l’ardeur de ses vœux,

-- 7 --


Et de ses passions amorti tous les feux :
Fay luy craindre icy bas de mortelles disgraces,
Et du Ciel à ses sens étale les menaces ;
Et si son foible esprit persiste en son erreur,
Dépein luy des Enfers l’inéuitable horreur,
Refuse de l’absoudre, & sans soin de luy plaire,
Rend-toy par ce moyen mon Ange tutelaire.

 

Response du Confesseur.

 


Pour m’excuser icy, connois l’esprit humain,
Pense bien à quel point il est fragile & vain,
Sur sa legereté l’inconstance se fonde,
Et semer en ce champ est escrire sur l’onde,
Ce qu’il pense mieux croire, il le croit à demi,
Et dans aucun estat il n’est bien affermi :
Il s’excite, il s’emeut, il s’eschauffe, il s’emporte :
La Reine, comme on sçait, n’a pas l’ame bien forte,
L’esclat de son haut rang luy cause vn vain orgueil
De sa vertu, le trosne est le fatal escueil,
De pouuoir tout sans crime, elle est persuadée,
Et son esprit s’attache à cette vaine idée,
L’amour, l’ambition, la haine & la douleur,
Par de contraires flots desbordent sur son cœur,
Mon discours quelquefois y fait naistre la crainte,
Ie la voi qui gemit à cette rude atteinte,
Mais bien-tost d’vn objet passager & mortel,
L’amour la resaisit mesme au pied de l’Autel,
Et de tous mes discours que cette ardeur efface,
Il reste en son esprit à peine quelque trace :
Que si pour son salut ie ne puis rien de plus,
I’ay moy-mesme sujet d’en paroistre confus,
Peut-estre mes pechez.

 

La France au Confesseur de la Reine

 


Treve de cette excuse,
Pere, i’ay plus sujet de paroistre confuse,

-- 8 --


De voir qu’on me rebute, & qu’il semble aujourd’huy
Que le Ciel me punit pour les pechez d’autruy :
Mes tyrans en effet sont dignes de la foudre,
Et ce sont mes Citez qu’ils reduisent en poudre,
Ie les voy triomphans, & suis dans le danger,
O mon peuple, ô mon sang, ne te puis-je alleger ?
Ce Roy, cette Princesse, & ce lasche Ministre,
N’auront-ils donc pour moi qu’vn visage sinistre ?
Ne puis-je les toucher ? pour en venir à bout,
En l’estat où ie suis, ie dois hazarder tout ?

 

A Messieurs du Priué Conseil.

 


Vous de qui les rayons fœconds & salutaires,
Reparent le defaut de nos grands luminaires :
Flambeaux fixes n’aguere, & maintenant errans,
Vous qui dans le Conseil tenez les premiers rangs,
Et qui brillez le mieux dans ce ciel de la France,
Versez sur nos climats vne douce influence,
Dissipez les rigueurs de ce siecle de fer,
Qui de ce beau sejour, fait vn horrible Enfer,
Tirez de leurs cachots ces forçats miserables,
Qui parmi le vulgaire ont le nom de taillables,
De l’escume des flots, qui ne vous doit nuls droits,
Que l’amas ne soit plus le tresor de nos Rois,
Souffrez-nous de ramper seulement sur la terre,
Les imposts abatus seront cesser la guerre,
Et le Roi se verra de gloire couronner,
S’il nous regit ainsi, sans nous exterminer.

 

Le Conseil respond.

 


Rebelles ioignez-vous l’audace à l’insolence ?
Pretendez-vous borner vne toute-puissance,
Nous instruire aux deuoirs, nous prescrire des loix ?
Les imposts aujourd’huy sont le thresor des Rois,
Et si nul droit n’acquiert ce bien à la Couronne,
La force, la coustume, & le temps nous le donne :

-- 9 --


Enfin sans alleguer raisons, loix, ny deuoir,
Des Rois, comme du Ciel, il faut tout receuoir.

 

Repartie à ce discours.

 


Des discours si hautains sont bons pour des esclaues,
Sçachez qu’il n’est plus temps de faire tant les braues,
L’orgueil & les tyrans, ne sont plus de saison :
On se veut desormais regler par la raison,
On veut briser vn joug plein de rigueur extreme,
Si vous parlez du Ciel, regissez-nous de mesme,
Il fait pour nostre bien tout ce qu’on voit ici,
Et l’on sçait que nos Rois n’en vsent pas ainsi.

 

Au premier President.

 


Molé, si la vertu conduit ton grand genie,
Du siecle où nous viuons banni la tyrannie,
Ne ferme point l’oreille aux cris des innocens,
Leur plainte monte au Ciel auec leur encens,
Et dessus leurs tyrans fait descendre la foudre,
Qui reduit leurs Palais & leurs trosnes en poudre :
Le Soleil preste à tous le iour également,
Inspire à tous les corps l’ame & le mouuement,
Et le Ciel qui nous met en l’estat où nous sommes,
Dit qu’il donna la terre à tous les fils des hommes.
Pourquoi donc nous ranger sous de si dures loix ?
Faire qu’elle soit toute aux Empereurs, aux Rois,
Et que leurs seuls agens à leur gré la regissent :
Fai qu’auec les imposts nos longs debats finissent,
Si par tes bons conseils la France obtient ce bien,
Toy seul auras l’honneur de disposer du sien.

 

Response du premier President.

 


De ces vaines clameurs i’ay la teste rompuë,
Mais a des reuoltez cette peine estoit deuë,
Puis, quel siecle n’a veu pousser ces cris en l’air,
Que celui-ci soit d’or, ou de cuire, ou de fer,
Dans les pressans perils qui touchent la Couronne,

-- 10 --


Le Roi ne peut sauuer, ni soulager personne :
Son vouloir est pourtant la souueraine loi,
On vous la dit cent fois, tous vos biens sont au Roi,
Sa bonté vous fait grace alors qu’il vous en reste :
Ainsi, bien que le fer, ou la guerre, ou la peste,
Suiuans l’oppression, regnent dans vos climats,
Plaignez-vous du destin, mais ne l’accusez pas :
C’est pour vous soulager, tout ce que ie puis dire,
Vous deuez obeïr, & luy tenir l’Empire.

 

Repartie de la France.

 


C’est tout ce que tu peux pour me donner secours,
Mais ie voi ta foiblesse en tes lasches discours,
Tu veux qu’vn Estranger me captiue & me braue,
Princesse que ie suis, tu me traittes d’esclaue :
Mais quelque mal traitée, & foible que ie sois,
Ie sçaurai m’afranchir de ces indignes loix,
Et pour rauoir vn iour ma premiere franchise,
Ie sçaurai mepriser qui me tuë & méprise :
Le sort qui me reserue vn bien si precieux,
Arme desia pour moi la iustice des Cieux,
Et les pressans perils qui touchent la Couronne,
Sont des gages certains du secours qu’il me donne :
Va maintenant, caresse, & flatte mes tyrans,
Tous leurs biens & leurs maux me sont indifferens,
Et c’est de les punir par vne iuste guerre,
Que ie vai coniurer & le ciel & la terre.

 

L’interessé pour la France.

Aux Mazarins en general.

 


O vous qui sur ses bords auez receu le iour,
Qui respirez encor dans le sein de sa Cour,
Qui tenez vn beau rang en cet illustre Empire,
Pouuez-vous endurer qu’vn tyran la deschire,
Et lors que ce barbare accomplit son dessein,
Prester à ses fureurs, & le cœur & la main :

-- 11 --


Ha, de quelques faueurs que l’ingrat vous honore,
Songez quel est le rang de celle qu’il deuore,
Repoussez les perils qui luy sont preparez,
Cruels, c’est vostre mere, & vous la deuorez,
Et s’il faut y penser, & le redire encore,
Pour vn Italien, vostre fer la deuore,

 

Response.

 


Ouy, l’on nous peut nommer cruels au dernier point,
Mais vn grand interest à nos rigueurs est ioint,
Celui que vous nommez, insolent & rebelle,
Est armé pour le Prince, & soustient sa querelle,
Et l’on ne peut blasmer nos vœux & nostre emploi,
Si François, nous suiuons les estendarts du Roy.

 

La France aux Mazarins.

 


Que vos intentions se font bien reconnoistre,
N’estans pas aueuglés, vous tesmoignez de l’estre,
En feignant d’ignorer qu’en vostre lasche employ,
Suiure ses estendards, n’est pas seruir le Roy ;
Si c’est son cher retour qu’on presse auec des l’armes,
Peut-il auoir besoin du secours de nos armes ?
Et s’il est de mes vœus l’arbitre souuerain,
Doit-il pour l’assister reclamer vostre main ?
Non, non, c’est Mazarin, qui seul vous tient à gages,
C’est lay que vous seruez en pillant mes riuages,
Luy que vous honorés en la place du Roy :
Et bien, viués pour lui pleins de zele & de foy,
Donnés Paris en proye, à sa rage, à sa haine,
Immolés cette hostie aux fureurs de la Reine,
Soyez de mes citez les funestes flambeaux,
Au lieu de mes enfans, deuenez mes bourreaux,
Courés pour me piller de Prouince en Prouince,
Trahissez aux tirands les interests du Prince :
Mais sçachez, cependant en seruant leur courroux,
Que mon sang espandu reiallit contre vous.

 

-- 12 --

La voix de l’Interessé pour la France.

 


Au dessein de seruir & d’obliger la France,
De qui puis ie à la Cour reclamer l’assistance ?
Qui peut là me seruir d’azile, & de soustien ?
Ny puis-je rencontrer vn seul homme de bien ?
Et la corruption s’y voit elle si grande,
Qu’en ce lieu l’injustice absolument commande ?

 

A Monsieur de Villeroy.

 


Villeroy, ta vertu t’a procuré l’honneur,
Que de nostre Monarque on te voit Gouuerneur,
Ce haut employ t’oblige à cherir sa personne,
Tu vois le grand peril où tombe sa Couronne ;
Et qu’il n’a ce malheur en ses plus jeunes ans,
Que pour s’estre rendu l’appuy des Partisans,
Pour auoir à ces loups tousiours presté main forte,
Il voit que pour son rang toute faueur est morte,
Ou s’il est reconnu, pour Seigneur & pour Roy,
Ses plus iustes projets, nous donnent de l’effroy :
Retien ses bataillons ardents à nous détruire,
Empesche ses canons & ses foudres de bruire,
Inspire la douceur à cet esprit altier,
Il y va du salut de cet Empire entier :
Icy tous nos desirs sont remplis d’innocence.
Nous ne voulons sinon luy rendre obeïssance.
Que suiuant la raison, il regle ses proiets,
Puis qu’il est nostre Roy, qu’il nous traitte en suiets :
S’il a bien du pouuoir, nous auons du courage,
Nous ne sommes point nés dans vn vil esclauage,
Pourquoy nous asseruir sous des fers si pesans ?
Et nous donner en proye, aux loups de Partisans ?
Ce cruel traittement, fait que moins on l’honore,
Qu’il souffre seulement qu’on l’aime & qu’on l’adore,
Son interest l oblige à contenter nos vœux,
S’il affermit son throsne en nous rendant heureux.

 

-- 13 --

Response de Villeroy.

 


On ne peut condamner vne si iuste enuie,
Mais si d’vn prompt effet elle n’est pas suiuie,
Accusez en la Reyne, elle est mere du Roy,
Et dessus son esprit, elle peut plus que moy,
C’est elle qui luy peint vos vœux comme des crimes,
Qui veut de son courroux, vous rendre les victimes,
Et qui veut que le fer vange son interest,
Dans le despit de perdre vn obiet qui luy plaist :
Le Prince est foible encor, autant qu’il est fragile,
Obeït à sa voix d’vne façon seruille,
Et ne peut receuoir d’autres impressions
Que celles de son zele, & de les passions :
I’ay beau luy figurer le peril qui le presse,
Cette mere importune, est tousiours la maistresse,
Et détruit d’vn seul mot, tout ce que mon discours
A tasché d’establir pour vous donner secours :
Que vous dirai-je enfin, ie crains pour la Couronne,
Et dans ce sentiment, ie tremble & ie frissonne,
Prophete de malheur, ie n’ose m’expliquer,
Ie touche le remede, & ne puis l’appliquer,
Et suis icy forcé d’auoüer à ma honte,
Que la grandeur du mal, tous mes efforts surmonte :
Vous donc, ô chers François, qui voyez que mes soins,
Se monstrent plus ardans alors qu’ils peuuent moins,
Dans ce pressant desir de secourir la France,
Connoissant ma ferueur, plaignez mon impuissance,
Et pour voir tous vos maux finir en vn moment,
Chassez d’icy la Reine, ou son aueuglement.

 

La France.

 


Ouy, ie sçay que la Reine en l’ardeur qui l’anime,
Nous rend tous criminels, pour excuser son crime,
Et reiette sur nous l’iniuste chastiment,
Que son cher Mazarin merite iustement :

-- 14 --


Ie sçay que cet ingrat, cause nostre ruine :
Mais en vain, contre luy, tout Paris se mutine,
Sa vie est vn tresor vtille aux factieux,
Aucun ne veut respandre vn sang si precieux,
On se plaist à le voir viuant dans l’infamie,
Triompher au milieu de la force ennemie ;
C’est vn autre Cayn, dont on maudit le sort,
Mais que nul ne veut perdre, & n’ose mettre à mort ;
De vaincre en son mal-heur, il a le priuilege,
Et le mal qu’il produit, est ce qui le protege,
Pour en cueillir les fruits, on le veut soustenir,
Ainsi c’est le Roy seul, qui le deuroit punir :
Le Roy dont il desole, & rauage les terres,
Auquel il fait cent maux, & cause mille guerres,
Dont il confond l’Estat, & détruit les Cités,
Mais de ce Potentat, les sens sont en chantés,
La verité jamais ne parut à sa veuë,
Auec les ornemens dont elle brille nuë,
On cache ses perils, & sa honte à ses yeux ;
On feint lors qu’il descend, qu’il monte droit aux Cieux,
Il croit lors qu’il perd tout, qu’il a le sort propice :
Ha ! iustice des Cieux, eternelle iustice,
Et vous Dieux que l’implore, estes vous impuissans ?
Ou fermez vous l’oreille aux cris des innocens ?
Cet oyseau redoutable, & de mauuais augure,
Oyseau, qui d’vn Demon a vrayement la figure,
Mon malheur, die-je, enfin, flattant vostre courroux,
A t’il quelques appas, pour le sort & pour vous ?
Ie le voy ce vautour, qui sur ses noires aisles,
Porte l’effroy, la rage, & les douleurs mortelles,
Et qui sans estre veu, volant sur mes Citez,
Ces poisons differents, espand de tous costés,
Il trouue son repos dans ma Cour toute impie
La Reine en son chagrin, flatte cette harpie,

-- 15 --


Seule elle fait l’apprest de ses sanglants repas,
C’est ainsi qu’en chaisnée, on me liure au trépas,
Que ie voy trauailler à mon propre supplice,
Ceux de qui le secours deuroit m’estre proprice,
Et que par vn mal-heur qui n’eut jamais d’esgal,
Le sujet de ma gloire, est celuy de mon mal.

 

Au Duc Damuille, Fauory du Roy.

 


Mais vn secours me reste, au fort de ma misere,
Damuille, c’est en toy, que ma foiblesse espere,
Ie sçay que Mazarin, de ton bon heur jaloux,
Brusle d’impatience, & fremit de courroux,
Tu ne peux subsister, combatu par sa haine,
Il a pour appuy, la faueur de la Reine,
Trauaille à le detruire, & par ce coup de main,
Acquiers toy la faueur de tout le genre humain,
Iuge quel heur suiura cette grande victoire,
Qui t’asseure à la fois, & te comble de gloire :
Que si le Roy t’est cher, témoigne lui ta foi,
Pense que ce sujet l’empesche d’estre Roi,
Sans cela, sa faueur n’est qu’vn foible auantage,
Puis que ce n’est qu’vn bien que Mazarin partage,
Va, monstre ton courage, & signale ton bras,
Songe qu’aucun ne regne au de là du trépas,
Estably ta fortune, & remply mon attente :
Sinon que de Cinc-mars, le peril t’espouuante,
On te donne à choisir, & pour ce grand dessein,
Le sort met aujourd’huy ton bon-heur en ta main.

 

Le Duc Damuille, A la France.

 


Pour moy, ces sentimens ont trop de violence,
Sans haïr Mazarin, ie hai son insolence,
Ie ne suis point d’humeur à tenter cet effort,
On deteste viuant, tel que l’on vange mort,
Le peuple haït souuent qui lui rend la franchise,
Brutus, se repentit de pareil entreprise,
Donc sans haster ce bien qui signale ma foi,

-- 16 --


Ie l’attens des bontés de la Reine ou du Roy.

 

La France, au Duc Damville.

 


Des bontez de la Reine, ô l’attente friuole !
De tous deux Mazarin est le cœur & l’idole,
Tous deux en sont rauis, ou plutost enchantez,
De cette Reine aussi qu’elles sont les bontez ?
La faim, le feu, le fer, le sac & le carnage,
En rendent en tous lieux fidelle témoignage,
Elle vaincroit pour moy son zele ou son amour ?
Ainsi n’attendons rien de cette lasche Cour,
Elle est mon ennemie en sa rigueur extreme,
Mais elle l’est aussi des loix & de soy mesme,
Et sans voir aucun bien qu’elle puisse acquerir,
Elle abaisse son trosne en me faisant perir,
Elle iette l’effroy dans toutes mes Prouinces :
Donc en ce desespoir adressons-nous aux Princes,
Et voyons si leurs cœurs ardents & genereux,
Auront plus de pitié de mon sort rigoureux.

 

L’Interessé pour la France,
Au Duc d’Orleans.

 


Gaston, tu vois l’estat où la France est reduite,
Par l’orgueil de la Cour, & son peu de conduite,
Tu vois que deux partis, cruels également,
L’oppriment sans espoir d’aucun soulagement,
Qu’apres le Partisan, le Soldat la deschire,
Que le peuple en tous lieux meurt, languit, ou souspire,
Et qu’elle est de tout point en estat de perir,
Remedie à mes maux, daigne la secourir,
Et pour auoir bien tost ce parfait auantage,
Fay que le peuple ait lieu de sortir d’esclauage,
Rompt ses fers en forçant ses tyranniques loix,
Qui dessous mille imposts la tiennent aux abois,
Et croy que tes bontés, par ces illustres marques,
Effaceront l’éclat des plus heureux Monarques.

 

-- 17 --

Response du Duc d’Orleans.

 


Que le trouble est fascheux, que les soins sont ingrats ?
Qu’vn dessein important est vn grand embarras ?
Qu’on souffre à le former, ainsi qu’à le produire ?
Mazarin fut trop fier, i’ay voulu le reduire,
C’est l’vnique sujet pour qui ie suis armé,
Le peuple cependant paroist tout alarmé,
Il croit que pour regner auec plus dauantage,
Ie dois incontinent le tirer d’esclauage :
Mais qu’il n’attende rien, ny des miens, ny de moy,
Si ie hai Mazarin, i’aime encore le Roy,
Et ie croirois ce Prince à deux doigts de sa perte,
Si ie prenois icy l’occasion offerte :
Les imposts sont le bien qui le fait subsister,
Cet auis est mauuais, il le faut rejetter.
Si le peuple a vescu tousiours dans la misere,
Il peut souffrir encor & vaincre sa colere,
Ie souffrirois moy-mesme à l’entendre gemir,
I’ay trop long-temps veillé, qu’on me laisse dormir.

 

L’Interressé pour la France.

 


Quoy dormir cependant qu’on nous vole & nous pille ?
Mais au defaut du pere, allons prier la fille.

 

A Mademoiselle.

 


Genereuse Princesse, en qui le Ciel a mis
Tous les dons que sa main depart à ses amis,
En qui tout est auguste & digne de loüange,
Qui possedes l’éclat & les charmes d’vn Ange :
Digne enfin, de s’assoir sur vn trosne éclatant,
Et qu’vn trosne en effet, mais vn beau trosne attend.
Princesse, qui desia parois Imperatrice,
D’vn peuple mal heureux, rend-toy la protectrice,
Fay cesser tous les fleaux dont il est agité,
Ton esprit est pourueu d’vne rare bonté,
Ton ame est bien-faisante, & ta bonté fœconde,

-- 18 --


Prend cette occasion d’obliger tout le monde,
Et fay que dans la paix vn relasche d’imposts,
Fasse aux peuples mourans gouster quelque repos.

 

Response de Mademoiselle.

 


Qu’espere-t’on de moy, qui suis fille & sujette ?
Cette voix cependant rend mon ame inquiete,
Ce peuple mal heureux me touche de pitié,
Aux grands pour s’esleuer, il sert de marche-pié,
Chacun le foule aux pieds, chacun le tyrannise :
Ie voudrois bien pouuoir luy rendre sa franchise,
Et ramener le temps où les ris & les jeux
Suiuoient parmi les champs les Bergers amoureux :
Mais quoy, l’on me promet vne illustre Couronne :
Ha ! si iamais le Ciel, vn bien si cher me donne,
Mon peuple connoistra qu’elles sont mes bontez,
Iusques là ie payeray de bonnes volontez,
Et prieray seulement mon Papa qu’il octroye
Aux peuples ce bon heur, à mes vœux cette ioye.

 

La France, A Mademoiselle.

 


Va, tu me charmes seule, en ce beau sentiment,
Et ta force me plaist iusqu’au rauissement :
I’aime cette vigueur de ton noble courage,
Ie ne sçay quoy de grand paroist sur ton visage,
I’y voy ces traits hardis, & ces viues clartez,
Qui du front de Pallas composent les beautez :
C’est trop peu t’honorer que te nommer Princesse,
Ta personne sans doute a quelque air de Deesse,
On ne sçauroit la voir, sans que son doux aspect
Inspire auec l’amour, la crainte & le respect :
Aussi toute l’Europe en est vrayement charmée,
Et ton bruit seulement flatte la Renommée,
C’est auec que transport qu’elle parle de toy,
Alors qu’elle a l’honneur d’entretenir vn Roy :
Qu’elle estale à ses sens d’agreables merueilles !

-- 19 --


Et qu’elle porte vn son charmant à ses oreilles !
Qu’elle fait vn tableau brillant & precieux !
Mais quel que soit vn iour ce trosne glorieux
Sur qui tu dois passer les beaux iours de ta vie,
Les Cieux ne le verront qu’auec que de l’enuie :
Ha ! si iamais le mien possedoit cet honneur,
Que i’aurois à la fois de gloire & de bon-heur :
Desia ce doux espoir qui brille en ma pensée,
Adoucit ma misere & presente & passée,
Ie puis tout me promettre auec vn tel secours,
Te suiuent cependant les ris, & les amours :
Moy ie vais essayer par vn triste langage
De trouuer en ces lieux quelqu’vn qui me soulage.

 

L’interessé pour la France,
A Monsieur le Prince.

 


Condé, si vostre esprit forme de grands desseins,
Faites paroistre icy des sentimens humains,
Le moyen de monter à la grandeur supréme,
Est de forcer le joug d’vn peuple qui vous aime :
Si vous brisez ses fers, il combatra pour vous,
Et ses tyrans vaincus en sentiront les coups,
Il en fera contr’eux de redoutables armes :
Prince, laissez vous vaincre à son deuil, à ses larmes,
Contemplez ce qu’il souffre, & voyez ce qu’il perd,
Et ne méprisez point ce grand Empire offert,
Auec vn tel secours vous vaincrez tout obstacle,
Resuscitant vn mort, vous ferez vn miracle,
Et vous iustifierez vos desseins mesme à ceux
Qui nous peignent du crime en vos plus iustes vœux,
Ouy, Prince, c’est ainsi que vous ferez connoistre,
Quel vn iour vous seriez estant Seigneur & Maistre :
Ainsi vous punirez mille crimes commis,
Sinon n’esperez point d’auoir les Dieux amis,
Peut-on vous souhaiter le bien d’vne Couronne,

-- 20 --


Si vous ne secourez & n’obligez personne,
Si nous causant cent maux pour nous produire vn bien,
Vous eludez nos vœux, sans nous accorder rien :
Pensez-y donc, grand Prince, & changez de visage,
Et de ce bien promis donnez-nous quelque gage.

 

Response du Prince.

 


Si ce Conseil me plaist, i’en resoudray vaincœur,
En attendant, ie veux contenter mon humeur,
Pour carresser le peuple, elle est vn peu seuere,
Et i’aime les thresors, aussi bien que mon pere ;
En soulageant le peuple, on n’en peut acquerir,
S’il a beaucoup souffert, il peut encore souffrir,
Et son joug à present, lui doit sembler moins rude :
Puis que ce traittement lui passe en habitude,
Enfin, se deust le Ciel contre moi couroucer,
Ie n’ai pas le loisir à present d’y penser.

 

A Monsieur le Duc de Beaufort.

 


Aurez vous ce loisir, vous Prince incomparable,
Dont l’appui fut tousiours, aux peuples fauorable,
Il s’agit aujourd’huy, de faire vn coup d’Estat,
Disposez-y les cœurs de vostre grand Senat,
Témoignez en public, cette pieuse enuie,
Iurez sur les Autels, que vous perdrez la vie,
Ou qu’vn peuple innocent, qui languit dans les fers,
Se verra soulagé de ses tour mens soufferts :
Apres cela grand Duc, riez vous des disgraces,
Et de vos ennemis, méprisez les menasses,
Vous serés de tout point à l’abri de leurs coups,
Et la gloire n’aura des palmes que pour vous,
Que si quelque malheur fondoit sur vostre reste,
(Dont veillent les destins destourner la tempeste)
Martyr, vous vous verriés esleuer des Autels,
Et vangé, seriés mis au rang des immortels.
Donc ouurant vos desseins, faites ici paroistre,

-- 21 --


[illisible]

 

Response du Duc de Beaufort.

 


I’ay de bons sentimens, pour tous les bous François,
Mais quelque bien voulu des peuples que ie sois,
Trop peu d’autorité, seconde mon courage,
Pour pouuoir aisément acheuer cet ouurage :
Mais si mon heur accroist, i’ose esperer qu’vn iour
Les peuples sentiront l’effet de mon amour.

 

La France, Au Duc de Beaufort.

 


Ie n’ay iamais douté de l’ardeur de ton zele,
Ie t’estime vaillant, prudent, sage & fidele,
Va, de ton seul desir mon cœur est satisfait,
Et ie le veux payer d’vn glorieux effet,
Combler de dignitez ta vertu sans limites,
Et te faire vn destin égal à tes merites :
Mais pour me garantir de peril & d’effroy,
Ie vais encor tenter des prudens comme toy.

 

L’Interessé pour la France,
A Monsieur de Broussel.

 


Nompareil de Broussel, tu vois quelle souffrance
Est celle de l’Estat, & des peuples de France,
C’est peu dans ces mal heurs d’estre leur Protecteur,
Sois leur Chef, leur Azile, & leur Liberateur :
Agi dans le Senat, tente, presse, importune,
Et destrui, s’il se peut, sa mauuaise fortune :
C’est le fait d’vn Heros inuincible, indompté,
On va par ce chemin à l’immortalité :
Fay que de ce deuoir ton courage s’aquite,
La France t’en coniure, & ie t’en sollicite.

 

Response de Monsieur de Broussel.

 


Que n’ay-je point tenté pour obtenir ce bien ?
Tout l’Estat me resiste, & seul ie ne puis rien :
Si pour vaincre pourtant, il ne faut que ma teste,
Peuples, rompez vos fers, puis qu’elle est toute preste.

 

-- 22 --

[illisible.]

 


Ta bonne volonté me charme, & me suffit,
Puisse le iuste Ciel augmenter ton credit,
Caton de nostre siecle, & sa plus grande gloire,
Mes peuples à iamais cheriront ta memoire :
Mais si pour ce desir tes honneurs sont si grands,
Quels prix n’obtiendront point les meurtriers des tyrans,

 

L’Interessé pour la France,
Au Parlement.

 


Vous qu’on a desia veus combatre cét orage,
Illustre Parlement, acheuez vostre ouurage,
Par vn acte public dégagez vostre foy,
Chassez tous les tyrans qui nous volent vn Roy :
Rendez à cet Estat vn calme si prospere,
Qu’il nous fasse oublier toute nostre misere,
Et que des siecles vieux ayant tout le bon heur,
Il nous comble de biens, vous de gloire & d’honneur :
L’amour de la patrie, & nostre deference,
Semble exiger de vous cette reconnoissance ;
Que si vos interests s’opposent à nos vœux,
Craignez qu’on ne vous mette au rang des mal-heureux.

 

Response du Parlement.

 


En vn temps si rempli de troubles & d’orages,
La grandeur du peril estonne nos courages,
Nous sommes impuissans, pour brauer le mal-heur,
Nos vœux dans ce desir ont bien quelque chaleur,
Mais la Cour ennemie, & ses troupes armées,
En s’esleuant sur nous rabaissent ces fumées :
Puis l’Oracle diuin nous donne de l’effroy,
Sçachant que nostre Cour est diuisée en soy :
La desolation suit de pres ces vacarmes,
L’occasion est belle, on peut courir aux armes,
Si d’vn ioug inhumain le peuple est opprimé,
Qu’il le brise en effet, puis qu’il paroisse armé :

-- 23 --


Qu’au cry de liberté, tout le monde s’vnisse,
Que de ses tyranneaux, il haste le supplice,
Nous autoriserons tous ses emportemens,
S’il regle sagement, ses premiers mouuemens,
Qu’il prenne pour signal, nos Arrests & nos feintes,
Sinon c’est vainement, qu’il nous porte ses plaintes ;
Dans le funeste estat où le sort nous reduit,
Vn malheur aussi grand que le sien nous poursuit,
Et le joug inhumain, qui pend dessus nos testes :
Nous tient enuironnés de mortelles-tempestes :
Et dans ce grand orage, où preside la mort,
Vn coup de vague, seul, nous peut jetter au port.

 

La France, au Parlement.

 


Qu’vn specieux refus, trouue vne excuse prompte ?
Mais, mourés cependant de douleur, & de honte,
Voyans qu’apres auoir feint de me secourir,
Par vos diuisions, vous me faites perir :
Qui vous solicita de prendre tant de peines,
Dans le dessein de rompre, ou d’affermir mes chaines,
Pourquoy dans ce desir, vous tesmoigner douteux ?
Et pourquoy me trahir, par des traittez honteux ?
Que si vous exigez quelque reconnoissance,
Pour vous estre portez à cette violence,
Faites moy voir quels biens mon peuple en a receus,
Et combien de tyrans vostre armée à vaincus ?
Mais j’eus tort d’esperer de vous trouuer propices,
Des lasches Partisans, vous estes tous complices,
Vous tenez à ces loups, par des liens si forts,
Que vous passez icy, pour membres de leurs corps,
Ils sont tous vos parens, vos amis, ou vos freres ;
Allez, d’autres que vous, finiront mes miseres :
Mais si leur vnion se forme en ma faueur,
Redoutez leur vangeance, & craignez ma fureur,

 

 


Quoy, ie n’ay pû toucher, ny la Cour, ny les Princes,

-- 24 --


Recherchons donc enfin, le secours des Prouinces :
Mais auant que passer à cette extremité,
Du chef du tiers party, tentons la volonté :
Peut estre cet esprit si brillant & si rare,
D’vn secours desiré, nous sera moins auare,
Ce cœur ambitieux, pressé de beaux desirs,
Peut se monstrer touché de mes longs desplaisirs,
Puis que beaucoup d’adresse est iointe à son courage,
L’interest de sa gloire, à me seruir l’engage ;
I’ose esperer vn peu de son ressentiment,
Perdons à le prier encore quelque moment.

 

L’Interessé pour la France,
Au Coadjuteur.

 


Vous qu’à present, la pourpre & l’éclat enuironne,
Vous que de nous trahir, en tous lieux on soupçonne,
Vous qui fustes jadis, nostre cher Protecteur,
Quand vous estiez encore simple Coadjuteur,
Cardinal, qui de Rets portez le nom insigne,
Du rang que vous tenez, faites vous iuger digne,
En monstrant aux François, que c’est vrayement à faux,
Qu’on impute la fourbe à tous les Cardinaux :
Estant d’vn sang illustre, & Prince de l’Eglise,
De nos cruels tyrans, combattez l’entreprise :
Pour vostre grand esprit, c’est vn illustre employ,
Et l’interest de Dieu, vous prescrit cette loy.

 

Response du Coadjuteur.

 


Quoy que l’on en presume, on verra par la suitte,
Et quel est mon genie, & qu’elle est m’a conduitte.
Ie sçauray témoigner mon zele, en temps & lieu ;
Mais on me parle en vain, de l’interest de Dieu ;
C’est vn foible respect, dans le siecle où nous sommes,
La terre est proprement, l’appanage des hommes,
C’est à nous qu appartient le droit de la regir,
Qui nous a fait ce don, doit nous laisser agir,

-- 25 --


C’est ainsi que ie dois mettre tout en vsage,
Pour monstrer que ie sçay joüer mon personnage :
Cent obstacles, puissants, qu’il me faut surmonter,
Font que d’aucun espoir ie ne m’ose flater,
Dans vn si grand dessein, ma plus grande finesse,
Est de marcher couuert, & d’intriguer sans cesse,
Par ce chemin obscur, si j’arriue a mes fins,
Ie sçauray promptement appaiser les mutins :
Mais enfin, il faudra que par vn heureux change,
Le Noble & le Bourgeois, dessous mes loix se range :
L’Esprit des Cardinaux, en vn mot est le mien,
François, iugez de là, s’il peut faire du bien.

 

La France, au Coadjuteur.

 


Ingrat, ie t’abandonne à ton l’asche caprice,
Deuois-je attendre moins d’vn cœur plein d’artifice,
Qui n’a iamais rien fait qu’éluder mes projets,
Et qui veut affermir le joug de mes sujets,
Afin que le brisant pour le rendre plus rude,
Il semble tesmoigner vn trait de gratitude,
Va faire à ta Cheureuse, indignement la cour ;
Et là pour des sermons, fay des leçons d’amour,
Fay qu’en vain, Mazarin, à reuenir s’appreste,
Supplante ce perfide, & rauy sa conqueste,
Preocuppe l’esprit de la Reine, & du Roy :
Apres vn tel discours, ie n’attens rien de toy :
L’esprit des Cardinaux, est vn esprit de trouble,
Par qui tousiours ma peine, & mon malheur redouble,
Et puis que c’est le tien, il m’est indifferent,
Si ie sais aujourd’huy l’eschange d’vn tyran,
Ie ne veux point de chef, pour estre mon arbitre,
Qui reconnoisse Rome, & qui porte la Mytre,
Leur pourpre, qui du sang à la viue couleur,
Aymant à le verser, se plaist dans mon malheur,
Et comme ils ont vne ame ingratte impitoyable,

-- 26 --


Leur soif pour les thresors, paroist insatiable,
Et leur ambition prend si haut son essor,
Que mes Roys qui les font, les reuerent encor.

 

Au Clergé.

 


Ie vous prierois en vain, vous que chacun reuere,
Sous les noms de Prelat, de Pasteur, ou de Pere,
Vous Messieurs du Clergé, qui vous croyez du corps,
Qui des graces d’enhaut, dispense les thresors,
Que ne témoignez-vous aux testes Couronnées,
D’vn grand tas de flatteurs, tousiours enuironnées,
Qu à me persecuter, leur cœur ambitieux
Trahit les droits de l’ame, & fait la guerre aux Cieux ?
Sçachez, que c’est a quoy le deuoir vous oblige,
Et que souffrir en Cour cet horrible prodige,
Qui m’a fait tant d’affrons, & tire tant de sang,
N’est pas vous tesmoigner, digne de vostre sang,
Icy vostre silence, est coupable ou complice ;
Mais c’est d’vn de vos Chefs, qu’on presse le supplice,
Et ce respect humain, estouffe en vous l’ardeur,
De choquer les desirs d’vne fiere grandeur,
Où sont les Pretextats, les Ambroises, Gregoires,
Qui se sont signalez par de telles victoires ;
Mais vous solliciter de me donner secours,
Est perdre en vain sa peine, & parler à des sourds.

 

Response du Clergé.

 


Ne nous imputés point cette foiblesse extréme,
Reine, chacun de nous, vous honore & vous ayme,
Mais pour les cœurs des Roys, la parole du Ciel,
Est pleine maintenant de rigueur & de fiel.
Puis, ils ont en effet, quoy qu’on en puisse dire,
Sur les choses d’embas, vn general empire :
Puis qu’autrefois à Dieu l’on demanda des Roys,
C’est a nous d’en souffrir les plus seueres loix ;
Ce grand Dieu qui ne trompe, & ne surprend personne,

-- 27 --


Ne proposa-t’il pas les droits de la Couronne,
Et si l’on l’accepta sous ces conditions,
Qui peut auec raison blasmer leurs actions ?
Ma bonne Mere, au reste vne iniuste souffrance
Nous acquiert dans le Ciel beaucoup de recompense :
Dieu qui veut pres de luy nous voir assis vn iour,
Par ces maux passagers nous prouue son amour ;
Puis que ce sont pour nous des chastimens de pere,
Il faut sans murmurer, adorer, & se taire.

 

La France, au Clergé.

 


Lenitifs inuentez pour de foibles esprits,
Que vous auez chez moy peu d’estime & de prix ?
Imaginations au temps accommodées,
Que c’est bien à credit qu’on reçoit vos idées ;
Vous qui preschez icy ces sainctes veritez,
Que ne pratiquez-vous ce que vous debitez ?
Direz-vous point encor que mes noires offenses
Attirent sur mon chef ces cruelles souffrances ;
Vous, à qui le peché cause si peu d’horreur,
Que souuent vostre esprit s’y porte sans terreur,
Vous, qui croyez changer la nature du vice,
Quand de vos libertez la nuit seule est complice,
Et qui ne craignez point, les yeux tousiours ouuerts,
Du Dieu que vous peignez veillant sur l’vniuers :
Non, non, c’est s’abuser d’vne croyance vaine,
Qui se montre si lasche, est digne de sa peine,
Et le Ciel doit punir auec plus de rigueur,
Qui tesmoigne en souffrant ce manquement de cœur,
Ma soumission seule a causé ma disgrace,
Que vostre hypocrisie impute à mon audace,
Nul n’est recompensé d’vn si lasche defaut :
Vous donc qui me parlez des Couronnes d’enhaut,
Si vous estes charmez de leurs beautez insignes,
Partagez mon mal-heur pour vous en rendre dignes ;

-- 28 --


Mais de plus doux sujets prouoquent vos desirs,
Vous preschez la souffrance, & courez aux plaisirs,
Vostre lasche indulgence, au vice fauorable,
Iuge que de faillir, vn Prince est incapable :
Pour deffendre son crime auec autorité,
Vous accusez de Dieu l’eternelle bonté,
Comme si Sagesse adorable, infinie,
Auoit par nostre au eu fondé la tyrannie :
Ce Dieu si bon, si sainct, & si digne d’Autels,
N’en deut pas croire alors de fragiles mortels,
Ou leur traistre de sir dans cette conioncture
Me fist pas vne loy pour toute la nature.
Ne me parles donc point de la verge de fer,
C’est vn digne ornement pour le Prince d’Enfer,
En sa main seulement vous la deués dépeindre,
Pour moy ie veux aimer mon Prince sans le craindre,
Et s’il ne reconnoist que ses desirs pour loy,
Ie ne le reconnois pour Prince, ny pour Roy,
Ie croy qu’il tient en main ma puissance vsurpée :
Mais laissons le Breuiaire, & reclamons l’Epée,
Laissons ces orgueilleux dans leur oisiueté
Flatter indignement vn tyran redouté,
Laissons les applaudir au crime, à l’injustice.

 

A la Noblesse.

 


Vous, de qui la Valeur semble estre la nourrisse,
Vous qui me tenés lieu de chef, comme de bras,
Nobles, qui respandus dans mes plus beaux climats,
Estes mon ornement, mon soustien, & ma force,
Souffrirez vous chez moy cet estrange diuorce,
Que mon Roy m’abandonne, & suiue vn Etranger ?
Ha ! c’en est trop souffert, pensez à me vanger,
Aussi bien cet ingrat qui me choque & méprise,
Croit que dans ce dessein la force l’autorise,
Et vous prepare vn joug si rude & si pesant,

-- 29 --


Qu’on verra confondus le Noble & le Paysant :
Voyez comme il triomphe en sa feinte retraite,
Fremissez de courroux, de voir comme on vous traitte,
Et des Estats promis voyez l’illusion :
Vostre corps eust pû trop en cette occasion,
De peur de vous vnir, on rompit la partie :
Témoignés-vous enfin, touches de sympathie,
Et vous reunissans dans ce noble courroux,
Ne reconnoissés plus d’autres maistres que vous.

 

Response de la Noblesse.

 


Icy nostre langueur vient de nostre foiblesse,
Mais nous portons en vain ce beau nom de Noblesse,
Si sans nous ressentir de ces cruels affronts,
Nos bras à nous vanger ne se témoignent prompts :
Cependant la raison est ce qui nous arreste,
A deffendre l’Estat nul party ne s’appreste,
Et de peur de seruir nos ennemis couuerts,
A ce bien desiré nous preferons nos fers.

 

La France, A la Noblesse.

 


Quoy, vous verrez perir l’Estat, sans le deffendre ?
Où la gloire est certaine, il faut tout entreprendre ?
Vous peut-on refuser de tenir les Estats ?
Mais estans assemblez, ne les tiendrez-vous pas ?
De grace vnissez-vous, & monstrez qui vous estes,
C’est l’vnique moyen de calmer les tempestes
Qu’on voit de tous costés s’esleuer sur mes bords :
Mais vostre abaissement se rit de mes transports,
Et bien viués en paix dans le sein de vos terres,
Où descendront bien tost ces foudres, & ces guerres,
Dont les feux menassans consommert vos voisins ;
Tendés ainsi la gorge au fer des assassins,
Le destin vous reserue à cette ignominie.

 

La France, Au tiers Estat.

 


Pour toy qu’on voit gemir dessous la tyrannie,

-- 30 --


Mal-heureux tiers Estat, qui n’as plus rien de sain,
De sortir de tes fers, ie te prierois en vain,
Pour faire l’vnion de ton corps imbecile,
Sans le secours de l’or, ton zele est inutile,
Le manque de ces nerfs produit seul ta langueur :
O de mon triste sort, indicible rigueur !
En ce cruel estat tout secours m’abandonne,
Nul ne veut appuyer ma fragile Couronne,
Et si ie voy le fer briller de tous costés,
Ce n’est que pour troubler & piller mes Cités :
Tous amis du desordre, & poussés d’vn faux zele,
S’esloignent du dessein d’espouser ma querelle,
Et se monstrent ainsi, sans me vouloit guerir,
Prests à me foudroyer, non à me secourir :
Mais dois je témoigner vne maligne ioye,
Que par leur chastiment le iuste Ciel m’enuoye :
Ie les voy ces ingrats, pressés d’vn lasche amour,
Se destruire, confondre, & brauer tour à tour :
Ie voy que de vainqueur, aucun d’eux n’a le titre,
Que de leurs interests l’Estranger est l’arbitre,
Et de cette façon leur infidelité
Seruant leur foible orgueil, punit leur cruauté.

 

 


Non, non, en cet estat de troubles & d’alarmes,
A leur aueuglement, ie dois encor des larmes,
Et quand ie voy leur sang couler dans les combats,
Ie déplore m’a perte, en pleurant leur trespas :
Mais c’est trop longuement languir dans la souffrance,
Ie me veux tesmoigner digne du nom de France,
Expliquer mes desirs, reueler mes projets,
Et reueiller l’ardeur de mes meilleurs sujets,
Ie veux vn prompt remede à finir ma misere ;
Mais ie le veux certain, constant & salutaire.
Prestez donc, ô François, l’oreille à mon discours ?
Et voyez à quel prix, ie demande secours,

-- 31 --


Mazarin me déplaist, c’est l’auteur de mes peines,
Sa main s’appreste encor à redoubler mes chaisnes :
On l’attaque, on le sert, on l’aime, on le deffend,
Et parmy ce desordre, il regne en triomphant :
Que qui veut m’acquerir, en fasse sa conqueste :
Point de chef, point d’amis, qu’en m’apportant sa teste,
On la proscrit en vain, si le fer ne l’abat,
Qu’il creue dans sa chambre ou perisse au combat,
Ie tiens indifferent, le genre du supplice,
Pourueu que ie me vange, & que l’ingrat perisse ;
Qu’on soulage mon peuple, & qu’on sauue Paris :
Ouy, i’expose mon Sceptre, & me donne à ce prix.

 

FIN.

-- 32 --

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Anonyme [1652], LA FRANCE AFFLIGEE, Parlant & respondant à toutes les Personnes & les Corps qui suiuent. Le Roy. La Reine. Le Mazarin. Le Confesseur de la Reine. Le Priué Conseil. Le premier President. Tous les Mazarins en general. Monsieur de Villeroy. Monsieur le Duc Damville. Mons. le Duc d’Orleans, & Mademoiselle. Le Prince de Condé. Le Duc de Beaufort. Monsieur de Brousselle. Le Parlement en general. Le Coadjuteur. Le Clergé. La Noblesse. Le tiers Estat. Et faisant sa plainte, sur le sujet de toutes leurs réponses, qui l’obligent à former la resolution qu’elle témoigne à la fin de ce discours. Le tout en vers Heroiques. , françaisRéférence RIM : M0_1417. Cote locale : B_3_19.