Scarron, Paul [?] [1651], LA MAZARINADE , françaisRéférence RIM : M0_2436. Cote locale : D_1_38.
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LA
MAZARINADE

Sur là copie imprimée à Bruxelles.

M. DC. LI.

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MVSE qui pinces, & fais rire,
Vien à moy de grace, & m’inspire,
L’esprit qui Catulle inspira
Quand il entreprit Mamurra.
I’en veux aussi bien que Catulle
Au Tiran qui s’appelle Iule :
Mais mon Iule n’est pas Cæsar ;
C’est vn caprice du hazard
Qui nasquit garçon auec barbe,
Qui n’estoit né que pour la farce,
Pour les cartes & pour les dez,
Pour tous les plaisirs débordez,
Et pour la perte du Royaume,
Si quelque Maistre bon drolle,
Ne nous en deliure a la fin :
Et vrayement il sera bien fin
S’il s’en sauue le galland homme,
Haï dans Paris & dans Rome,
Où diable pourra-t’il trouuer
Vn lieu qui le puisse sauuer ?
Bon ie sens eschauffer ma verue,
Ca ne disons rien qui ne serue,
Et que chaque vers ait son traict,
Pour bien acheuer le portraict,
De ce Prodige de Fortune,
Sans oublier chose aucune :
A toy donc Calabris Romain,
Bon pied, bon œil & bonne main,
Pare le coup que ie te porte
Où que le grand Diable t’emporte,
Et toy mon braue Marigni,
Qui plus qu’aucun sur le Zani
As decoché mainte balade,
Escoute ma Mazarinade.

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A la mal’heure Mazarin,
Du païs, d’ou vint Tabarin,
Est-tu venu brouiller le nostre :
On te prenoit bien pour vn autre
Lors qu’on te croyoit raffiné,
On t’auoit fort mal deviné.
Et de science & de pratique,
Tu n’est pas vn grand Politique,
Tous tes desseins prennent vn rat
Dans la moindre affaire d’estat,
Singe du Prelat de Sorbonne,
Ma foy, tu nous la baille bonne
Tu n’est à ce Cardinal Duc
Comparable qu’en aqueduc,
Illustre en ta partie souteuse
Ta seule houlette est fameuse,
Outre cette vertu de Cocq,
On te tient inventeur du Hoc,
Du beau jeu de trente & quarante,
De certaine chaize courante
Autre cheval de Pacolet,
Et de plus, de ce cher Ballet,
Ce beau : mais mal’heureux Orphée
Ou pour mieux parler ce Morphée
Puisque tant de monde y dormit,
Ma foy ce beau chef d’hœuure mit
En grand credit ton Eminence,
Ou plustost ton impertinence,
Tes Courtisans, & tes chastrez
Y furent des mieux chapitrez.
Pour auoir fermé tes bougettes
Aux gueux qu’on appelle Poëtes.
Si chers au feu rouge bonnet
Qui sçauoit le mal qu’vn Sonnet

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Qu’on a mal recompensé, cause
Et qui craignoit sur toute chose,
Que par ces Diuins affamez :
Ses beaux faits fussent diffamez,
Pour auoir, dis je, enuers Pegaze
Esté par trop raquedenaze,
N’en as tu pas bien dans le cul,
Au lieu qu’en donnant quelque escu,
Ton immortelle renommée,
Par l’Europe eut esté semée,
Et ne passerois pas par tout
Pour vn engeance & haye par tout,
Au lieu des vertus Cardinales
Tu n’as rien que les Animales,
Le vain orgueil d’vn Pantalon,
Et tu n’es qu’vn franc Estelon,
Vn vieil Rodrigue anté sur bardache,
Et par dessus tout vn gauache,
Ton esprit esprit de Bredichon
Pour quelque froide allusion,
Que par hazard il à sceu faire
Dont on a faict vn grand mystere,
Ta fait, mais ie ne scait comment
Succeder à feu Maistre Armant.
Ha ne tranche plus du Ministre
Tu n’estois né que pour le Cistre :
Mais la Fortune, & bonne humeur
Ta fait Prince de Parfumeur
Casse ta garde de soudrilles,
Va t’en trauailler en Pastilles,
Va t’en travailler en Iamais
Digne employ de ta blanche main,
Et que ta teste chauue, & blonde,
Se mette à couuert de la Fronde.

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Fuy les Arrests du Parlement,
Trousse bagage & vistement,
Que ton Altesse Mazarine
Craigne le destin de Conchine.
Va va t’en dans Rome estaller
Les biens qu’on ta laissé voller,
Va t’en dendin de Calabre
Filocabron, ou Filocabre,
Va va t’en repasser les monts,
Va viste & fay rompre les Ponts,
Car s’il faut que quelqu’vn te suiue,
Que l’on te demande, QVI VIVE.
Que tu respondes MAZARIN,
C’est fait de toy cher Tabarin,
On te dira d’où vient tu pauure Iule,
En ta marmitte ny a t’il plus d’ecume,
Et lors ô Cardinal greslé,
Cardinal tout dés’emplumé,
N’estãt plus, guéres homme
Comment paroistras tu dans Rome,
De tes fautes dans la Police
De tes ordres pour la milice,
Ie ne te reprocheray rien :
Mais ie te veux homme de bien
Reprocher la cruelle guerre
Que tu fais viure en cette terre
Ou tu pretend malgré les dents
De tant, & tant de braues gens,
Tenir contre vent & marée ;
Ton ignorance est auerée.
Et tu n’est pour trancher le mot
Quoy qu’vn grand Prelat ne si endort
Te souuiens tu bien, Seigneur Iules,
Du raisonnement ridicule.

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Que tu fis vn iour sur des Glans.
Cela te mit en beaux draps blancs
Depuis la Nation Francoise
A mesprisé la Calabroise,
Te souuient-il bien d’Alcala,
Quand Ganimede, ou Quinola,
L’amour de certaine Fruictiere
Te causa maint coup d’esquillette,
Quand le Cardinal Colonna
De paroles te mal mena.
Et qu’à beaux pieds comme vn Bricone,
Tu te sauuas à Barcelone,
De Barcelone, tu gaignas
Ton pays, ou tu fit tracas.
Si bien que tu deuins la gouge
D’vn autre auec son bonnet rouge,
O que s’il t’eust abandonné
Ou bien s’il ne t’eust rien donné,
Ton incroyable destinée
Par ce tres sortable l’Himenée
De toy Prince des Maquignons
Auec la vendeuse d’Oignons,
Eust esté bornée en Espagne
A revendre quelque chastaigne
Sans nous faire d’vn Prince vn houp
Et nous le mettre sur le coû :
Mais ton Altesse Mazarine
N’est qu’vne Altesse Triviline.
La fortune se changera,
Et son ouurage deffera,
Par quelque rude coup de Fronde
Faisant raison à tout le monde.
O que l’aveugle resvoit bien
Quand au mal’heur des gens de bien

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Elle fit du val de Mazare
Sortir ce Ministre si rare
De Mazare, vient Mazarin
Des Canaries, Canarin
Comme on dit, le Manceau du Maine
Le Tourangeau, de la Touraine,
Basque, Champagne, où le Picart
Ou quelque autre nom d’autre part,
Comme en vsent en nostre France
Les faquins de basle naissance.
Tu nous as pas adresse, ou non,
Escamoté quelque renom
Moy, ie croy que c’est par Fortune
Ne m’en porte point de rancune
Ie deffere à la verité
Plus qu’à la Cardinalité.
Va va t’en donc ou l’on t’enuoye
Qu’icy iamais on ne te voye,
Va rendre compte au Vatican,
De tes meubles mis à l’Encan,
Du vol de nos tapisseries
De celuy de nos Pierreries,
Du salle trafic de Mondin
Autre Grandin fils de Grandin,
De tes deux cens robes de chambres
De tes excez de musque & d’ambre,
De tes habits, vieux & nouueaux.
Du beau Palais de tes cheuaux.
D’estre cause que tout se parde.
De tes braguetons plains de moutardes.
De tous tes manquemens de foy
De ta cause bonne ; mais n’est pas vray
De l’impudente simonie
Que tu fais sans ceremonie.

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De tes conseils si violens.
De tes procedez insolens,
Du desordre de nos armées,
De nos provinces affamées,
De Courtray d’où par trahison
Tu fis sortir la garnison.
De Lerida deux fois manquée
Quoy que deux fois bien attaquée.
Du fruict du grand combat de Lens
Perdu par tes conseils trop lens,
De la Cataloigne reduite
Au desespoir, par ta conduire,
Du Duc de Guise mal logé,
Dans Naples qu’on a négligé,
De la dizette des Provinces,
Du péril que courent nos Princes,
Qui sont à la guerre, tandis
Qu’en ton Palais tu t’ébaudis,
Du Duc de Beaufort mis au bocage,
Digne effet de ton grand courage,
D’vn Mareschal de France pris
Pour la recompense & le Prix,
D’auoir bien fait à Barcelonne.
Du vol du Duché de Cardonne.
D’auoir faict prendre vn faux boüillon,
Au feu President Barrillon,
De la Cour, persuadée
De ta sincerité fardée,
Des Anglois, qui n’ont point de pain
Que tu laisse mourir de faim ?
Et de leur Reyne desolée
De ses bagues par toy Volée’
Du Venerable Parlement
Traitté par toy peu dignement

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Et de la pauure France, Etique,
Par ton avarice Hydropique.
De l’argent qu’on à d’estourné
A nom de Portolongoné
D’auoir, Courretier de Priape,
Supprimé le Neveu du Pape,
Pour plaire à ce beau Cardinal
A qui tu seruois d’vrinal,
De la Paix que tu pouuois faire
A l’Europe, si necessaire,
Et qui fut par toy neantmoins
Refusée, aux yeux de tesmoins,
Qui comme ils sont tous gens notables
Ne peuuent estre reprochables.
De nostre Monarque enleué,
En quoy ton Altesse à resué.
De la grande Ville bloquée.
De toute la France attaquée,
La quelle te la bien rendu,
Dont ie te tient tres confondu,
D’auoir appaisé la Guyenne
Selon ta methode ancienne,
Et de Richon qui fut pendu,
Plaise à Dieu qu’il te soit rendu,
Comme aussi du pauure Canole,
Puisse-tu perdre la parole.
De la façon qu’il l’a perdit
Quand à Bourdeaux on la predit,
D’auoir perdu par ignorance
L’authorité des Rois de France,
D’auoir au soldat estranger
Offert la France à saccager,
Mais par grand bon-heur Léopolde
S’est deffié d’vn manigolde,

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Dont la parole & le cachet
Ne seruent que de trebuschet.
Et [deffendez-luy la Caballe]
Qui n’est qu’vn Ministre de balle,
D’auoir fait esloigner Seguier
Ce grand, ce digne Chancelier.
De Gondy dont tu prens ombrage
Pour son Esprit & son courage.
Et cent vertus que tu n’as point,
De toy differend en ce point,
Que la dignité Cardinale
D’vn Cardinal Sardanapale,
En tous ses plaisirs Criminel,
Reçoit vn opprobre éternel,
Et que de ce Prelat illustre,
La Pourpre receuroit du lustre,
D’auoir Ozé choquer Gaston,
Prince en sagesse, vn vray Caton,
En valeur vn autre Alexandre.
Estoit-ce à toy de l’entreprendre ?
Pauure rat qu’on vit autrefois
En petit pour point de chamois,
Quand de Sachetti Secretaire,
Honorable employ pour vn here,
Tu seruois aux plus débauchez
Au Ministere des pechez.
De Cremone, & de son siege,
De la principauté de Liege,
Dont eust esté Coadjuteur
Le frere de ton protecteur.
Si par mille pratiques sourdes
Ton esprit trop fertille en bourdes,
N’eust traistreusement éludé
Les desseins du Vaillant Condé

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Qui depuis, ô le plus grand traistre
De ceux qui se meslent de l’estre,
Pour t’auoir si bien protegé
Se voit dans le Havre logé
Luy, dont le bras fut ton Ægide
Qui te tira comme vn Alcide
Des mains du peuple vn autre Hydra,
Lequel enfin se prevaudra
Des fureurs dont il est capable,
Et lors, Ministre détestable,
Engeances des engeance le majeur,
Des Politiques le mineur
Par qui la France est décriée
De ses amis des alliées
Par qui le commerce est perdu :
Enfin tout l’estat confondu
Alors, dis-ie, le plus fat homme,
Qui soit iamais sorti de Rome,
Rejetton de feu Conchini,
Pour tout dire Mazarini,
Ta carcasse de s’entraillée
Par la canaille tiraillée
Tu ne scauras pas qui te tire,
Par derriere cette satyre,
Iule iadis l’homnipotens
Tu voudrois bien m’en faire autant.
Et tu me voudrois bien pis faire,
Prince malgré toy debonnaire,
Pouuant bien faire à tous, dy moy ?
Pourquoy n’as tu faict bien qu’à toy ?
Sergent à verge de Sodome
Exploictant par tout le Royaume,
Engeance Sodomisant l’Estat
Au rouge du plus haut Karat,

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Investissant le monde en poupe
C’est à dire baisant en croupe
Qui diffame la Caze Vrsine
Par l’alliance Mazarine,
Qui de Maraux fais des abbez
Aux liures preferes les dez,
A tous les gens d’esprit es rogue,
Et pourtant, d’vn Roy de Pedagogue,
Ha que ne puis ie d’vn revers
Accompagner ces petits vers
Où sur ta teste chauue & folle
Appliquer vne craquignolle :
Mais le temps tout amenera,
Et la fronde t’acheuera.
Ministre à la teste Courges,
En fauteuil, les armes de Bourges,
On te reverra dans Paris,
Et là comme au trebuchet pris.
Et de ta rapine publique,
Et de ta fausse Politique,
Et de ton sot gouuernement,
Au redoutable Parlement,
Dont tu faisois si peu de conte,
Vltramontain, tu rendras compte,
Puis apres ton compte rendu
Cher Iule tu seras vaincu,
A Paris danceras vn bransle,
Sans remors, & sans repentance,
Sans le moindre mot d’examen
Comme vn incorrigible, Amen.

 

FIN.

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