Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], PLAINTE DV CARNAVAL, ET DE LA FOIRE S. GERMAIN EN VERS BVRLESQVES , françaisRéférence RIM : M0_2794. Cote locale : C_8_28.
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PLAINTE
DV
CARNAVAL,
ET DE LA FOIRE
S. GERMAIN
EN VERS BVRLESQVES

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë S. Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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PLAINTE DV CARNAVAL,
ET DE LA FOIRE S. GERMAIN
EN VERS BVRLESQVES.

 


Viença ma petite belote,
Approche toy muse falote,
Chere Maistresse de Scaron,
Qui n’aimes pas l’air fanfaron,
Dont se chantent les funerailles
Des Heros morts dans les batailles ;
Et quoy que nous nous preparions
A donner quelques horions
Sur les oreilles Polonoises,
Alemandes, Basques, Françoises,
Et celles generalement
Que condamne le Parlement ;
Ie ne veux maintenant descrire,
Que des choses qui feront rire
Sur la feste du Carnaual
Troublée par vn Cardinal.

 

 


La veille de l’Epiphanie,
Où d’vne plaisante manie
Dont l’vsage a fait vne loy
Chacun veut crier le Roy boy,
Lors que tout le monde en gogaille
Ne songe qu’à faire ripaille,
Lors qu’vn enfant est ordonné
Pour dire Fœbé Domine,
Departans à toute la troupe
Du pain qui fait vuider la coupe,
Et qui fait des Roys dans le vin
Qui sont sujets le lendemain,

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Payant auec la bonne chere
Leur Monarchie imaginaire.

 

 


Carnaual le Dieu des Ioüeurs,
Amoureux, Gourmands, & Beuueurs
Et des amateurs de la dance,
Qui vient tousiours apres la Pance,
Pensoit chommer comme autresfois
La gaillarde feste des Roys,
Et que la coustume ancienne
Feroit aussi chommer la sienne,
Iusqu’à celle du Mardy gras,
Où l’on creue de bons repas
Parmy les ieux des Bacchanales,
D’orgies, & de Saturnales,
Il sçauoit bien que parmy nous
On y void tel nombre de foux
De tous sexes, & de tous âges
Qu’on n’y void presque point de Sages,
Et qu’on ne consentiroit point
Qu’il perdit de son embonpoint ;
Mais vn Cardinal faux Apostre,
Le iour des Roys fit que le nostre
Deuant le iour prit le chemin
De la Ville de saint Germain.

 

 


Cette nouuelle inopinée
Dans vne fameuse iournée
Surprit le Noble, & le Bourgeois
Et mesme iusqu’au Villageois
Sur tous le Parlement Auguste,
Qui ne pense rien que de iuste
Dans l’enleuement de son Roy,
N’estant pas capable d’effroy,
En sentit pourtant quelque attainte :
Car la prudence est vne crainte,
Mais qui se tempere aisément
Par les regles du iugement :
Ce corps tout composé de testes
Auoit bien preueu les tempestes
Qui se formoient depuis six mois
Auant cette veille des Roys,
Par les opinions sinistres
De ceux qu’on appelle Ministres,

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Dont le Chef est le Cardinal
Fort mal voulu du Carnaual.

 

 


Pour reuenir donc à mon conte,
Plein de colere, & plein de honte ;
Ce grand Dieu des Plats, & des Pots
Debuta par ces beaux propos.
Quoy dans Paris la bonne Ville,
Ou i’ay conté plus de cent mille
Qui n’aimoient rien que les Festins,
Qui dansoient comme des Lutins,
Qui se piquoient de Serenades,
De Momons, & de Mascarades,
Et qui chantoient tant de chansons
Dans la ruë, & dans les maisons :
Dans ce Paris où les delices
Se trouuent dans tous exercices
Où les Drilles, & les Filoux
Le soir apres qu’ils estoient soux,
De vin, de tabac, & de biere,
L’vn deuant, & l’autre derriere,
Surprenoient le Bourgeois craintif,
Qui se retiroit tout plaintif,
Que son manteau l’honneur des Gaules
Ne fut plus dessus ses épaules ;
Dans Paris où les Cabarets
Sont par tout voisins de si prez :
Paris où l’on void tant de Garces,
De bouffons, de ioüeurs de farces,
Où l’on voyoit l’Oruietan,
Faire si bien le Capitan
Les deux Triuelins, les Machines,
Et mille nouueautez badines.
Dans Paris où les fils gaillards
En dépit des Peres vieillards
Menoient la vie delectable,
Qui fait sauter du lit à table
Couuerte de nape, ou tapis,
Pour manger, où pour faire pis :
Car c’est pis quand ces testes foles
Perdent des monceaux de Pistoles,
Quand trois dez sortant du cornet
Mettent tous leurs coffres à net

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Dans ce Paris nul ne s’appreste
A chommer dignement ma feste ;
Et personne ne songe à moy
Depuis qu’on enleua le Roy.
Tout le monde est dans l’humeur sombre,
On voit des soudrilles sans nombre,
Qui furent iadis mes supposts,
Eux qui vuidoient si bien les pots,
Ils les remplissent de leurs testes
De peur de certaines tempestes,
Qui grondent voirement dans l’air,
Mais qui se forment dans le fer,
Dans l’airain, & autres matieres
Qui font bossus les cimetieres.
Plusieurs voudroient continüer
Le plaisir qu’ils ont à ioüer,
Et se chauffant aux corps de garder
Engageroient plustost leurs hardes,
Mais tousiours quelque qui va là
D’où vient cecy, d’où vient cela,
Et quelque nouuelle impreueüe,
Par tout à l’instant répandüe
Leur fait perdre tout le plaisir
Qu’en paix ils prenoient à loisir.
L’vn iure que Monsieur le Prince
Mene le Roy dans sa Prouince,
Et l’autre dit qu’en peu temps
Il entrera dans Orleans ;
L’autre que le Duc de Lorraine,
Et le Mareschal de Turenne
Se sont desia mis en chemin
Pour Paris, où pour saint Germain,
Vn autre de meilleure grace
Vient s’informer en quelle place
Il pourra trouuer à bon prix
Des Pains qui ne soient pas petits,
Et dit qu’il a veu de charrettes
Plus de deux mille toutes prestes
Pour vn conuoy de Longiumeau,
D’Estampes, ou de Palaiseau,
Vn autre parle des rauages
Que l’Ennemy fait aux passages,

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Au bourg la Reyne, & à Meudon,
Mais ils plaignent tous Charenton,
Protestent qu’en cette occurrence
Paris manqua de diligence,
Et qu’il eut bien pú secourir
Tant de gens qu’il laissa mourir.
Puis qu’il fut sorti de la Ville
De Bourgeois plus de trente mille.
Mais vn autre qui est plus fin
Et dit qu’on n’a perdu qu’vn moulin,
Et que Chastillon, & tant d’autres
Ont bien payé la mort des nostres,
Outre qu’il espere dans peu
Vanger mieux le braue Clanleu.
Vn autre qui n’a veu de guerre,
Ny iamais ouy de tonnerre
Que celuy de nostre Arsenal
Croit en sçauoir plus qu’Annibal,
Et raisonnant sur la sortie,
Dit qu’il faloit qu’vne partie
S’en allât droit à saint Denis
Où restoit fort peu d’ennemis.
Vn bourgeois tout plein de courage
Dit que s’il sort il fera rage ;
Et qu’il ne craint point le trespas
Plus que le reste des soldats.
On entend iusqu’aux harangeres
De teste, & de langue legeres
Qui disent ie sommes perdus
Comere ie sommes vendus,
Mais laissons là la populace,
Qui sans suiet crie, & menace,
Et qui iazé indiscretement
De la Cour, & du Parlement,
En faisant tous les politiques
Dans la place, & dans les boutiques.
Pestons contre cet Animal
Qu’on appelle le Cardinal,
Est-il possible qu’vn infame
Qui sert d’homme, & seruit de femme
Pratiquant en ses ieunes ans
L’Amour qui ne fait point d’Enfants,

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Cet homme qui fait des despences
En pommades, & en essences
Plus que n’en faisoient autresfois
Pour leur maison force grands Roys.
Que celuy qui monstre à la France
Des ragousts de resiouyssance,
Que ce berlandier si fameux
Qui sans le ieu n’estoit qu’vn gueux,
Cet homme qui tient à grand gloire,
Et croit estre bien dans l’histoire
Pour auoir esté le Parrain
Du hoc qu’on appelle Mazarin.
Qui laissant perir nos armées
Par son auarice affamées
Fit icy venir de si loin
A force d’argent, & de soin
De ridicules personnages
Auec de lasciues images.
Quoy ce Zany, ce Pantalon
Ce Phorphante, ce Violon,
Ce Iongleur qu’on déguise en Prestre,
Qui ne veut, & qui ne doit l’estre
Viendra troubler mes passe-temps,
En France receus de tout temps,
Pour faire voir au lieu de Masques
Des Peaux de Renard, & des Casques,
Et nous fera deuenir sourds
A force d’ouyr les tambours,
Et les fifres, & les trompettes
Qui rompent les plus dures testes.
Sera-il dit que ce vilain
Pour estre dans vn saint Germain
De l’autre ait empesché la Foire,
Où i’auois mis toute ma gloire,
Où l’on voyoit tous les hyuers
Les raretez que l’vniuers
Produit dedans chaque contrée,
Où l’on rencontroit dés l’entrée
Des sauteurs, des faiseurs de tours,
Des hommes qui monstrent des ours,
Des Singes, des Marionettes,
Et mille conteurs de sornettes,

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Et lors que l’on estoit dedans
L’on y voyoit autant de gens
Que de sortes de marchandises,
De meubles, & de friandises :
C’est là qu’on voyoit des tableaux,
D’hommes, de bestes, & d’oyseaux,
Et que l’on voyoit en nature
Ce que l’on voyoit en peinture.
Et ce qu’ailleurs on ne void pas
C’est là qu’on a veu de gros chats
Enfermez dans de belles cages,
Oublier leurs humeurs sauuages.
C’est là qu’auec certains iettons
Qui valent souuent dix testons,
On ioüoit vaisselle, & monnoye,
L’vn estant triste, & l’autre en ioye.
Ce destable Cardinal
Outre le festin, & le bal
Priue Paris de ses delices,
Luy qui n’aime rien que les vices.
Si c’estoit vn graue Caton,
N’eust-il pas de barbe au menton,
Mesme s’il estoit vn peu sage,
S’il estoit sçauant personnage,
Ie souffrirois sans murmurer
L’affront qu’il me fait endurer,
Mais n’estant qu’vn sot, qu’vn pagnot,
N’ayant dans sa teste à calote
Que de la fumée, & du vent
Ie le trouue trop insolent.
Toutesfois malgré sa malice
Qui me rend ce mauuais office
Dans mon extreme affliction
I’ay cette consolation
Que mon ennemy le Caresme
De luy sera traité de mesme,
Et qu’on ne l’obseruera pas
Non plus que moy dans les repas ;
Ainsi se ioignant à la France
Qui le va poursuiure à outrance,
Le Caresme, & le Carnaual
Feront la guerre au Cardinal.

 

FIN.

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