Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?] [1652], LES INTERESTS DV TEMPS. , françaisRéférence RIM : M0_1718. Cote locale : B_8_53.
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Les Interests du Temps.

Dans les temps où regne la vertu, on peut iuger des hommes
par leur deuoir, dans les siecles corrõpus, & qui portent
pourtant des gens habiles, on en doit iuger par les interests
dans ceux dans lesquels il se rencontre beaucoup de deprauation
auec peu de lumiere, comme en celuy où nous viuons, il
faut ioindre les inclinations des hommes auec leurs interests,
& faire de ce meslange la regle de nostre discernement. Ie pretends
sur cette maxime rendre iustice à la verité, que l’on enseuelit
plustost que l’on ne l’esclaircit par des raisons assez souuent
chimeriques, apuyées sur des faits tousiours obscurs, & ie
m’imagine que l’on conuiendra aisément, que la mesure dont
ie me sers pour la connoissance de ceux qui sont presentement
sur le theatre, n’est pas la moins certaine.

Si M. le Prince eust bien connu ses interests, il eust esté persuadé
qu’il n’en auoit point dé plus grand au monde, que deviure
selon les deuoirs de sa naissance : s’il eust sceu mépriser de foibles
auantages qu’il tiroit dans les premieres années de la Regence,
par la complaisance qu’il auoit pour le Ministere, il eust
arresté sans peine ce débordemẽt, pour ainsi parler de la faueur
qui a failli d’enseuelir l’Estat, au commencement dans la tyrannie,
& depuis dans la confusion, il ne se fust pas donné la haine
publique par le siege de Paris, & par la protection du C. M. & il
ne se fust pas mis en suite dans la necessité de rompre ce sacré
nœud qui doit vnir la Maison Royale, pour s’oposer à vne puissance
qu’il auoit luy mesme esleué, puis qu’il en auoit souffert
l’excez. Il est donc vray que sa conduite a esté contraire à ses
interests, & ces fautes en ce point ont esté produites par son inclination,
qui l’a porté auec tant de violẽce à de petits ménagemens
peu dignes de sa naissance, qu’elle luy a osté la lumiera
necessaire pour discerner ce qui étoit de ses veritables auãtages :
cela suposé, il n’est pas mal aisé de connoistre quels sont presentement
les interests de M. le Prince, puis qu’il n’est pas possible

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qu’il ne suiue & qu’il n’embrasse ceux ausquels sa conduite passée
l’a engagé, & qui de plus sont conformes à son naturel. Tout
le monde conuient par les experiences passes, & par ce que
nous voyons nous mesme auiourd’huy, qu’il y a vn peu trop
d’auidité dans l’esprit de M. le Prince, & il y a beaucoup d’aparence
que si les grandes victoires qu’il a rẽporté autresfots contre
les ennemis de l’Estat, n’ont pû remplir son cœur, au point
qu’il n’y demeurast tousiours beaucoup de place pour d’autres
mouuemẽs bien éloignez de ceux qui font gagner les batailles,
il y a difie beaucoup d’aparẽce, qu’il n’aura pas les sentimẽs plus
épurez dans vn temps où il faut que ses amis auoüent, qu’il n’a
pas tant de suiet qu’il en a eu autresfois d’esleuer son esprit par
la veuë de ses Lauriers, & par la consideration de ses trophées.

 

S’il est donc vray que l’inclination de M le Prince, soit de considerer
tousiours les petits interests, il est à presumer & même à
croire que sa conduite suiura ce suiet son naturel : Et ie ne fonde
pas cette opinion sur vne coniecture, mais sur le particulier de
ce que i’ay remarqué dans ces derniers troubles : nous n’auons
point veu que M. le Prince se soit pû resoudre depuis 3. mois ; à
faire la chose du mõde qu’il fait le mieux qui est la guerre : Nous
n’auons point veu que les plaintes d’vne belle armée qui deperissoit
par son absence, l’ayant pu obliger à faire vn pas qui pust
arrester les negociations, nous n’auons point veu que l’aprehension
de la perte de la reputation dans les peuples, ait eu la force
de le toucher iusques au point de l’empécher vn seul momẽt de
traiter auec le Card. M. Cette conduite qui a paru absolument
contraire à toutes les regles de la veritable Politique, ne peut
auoir de source que dans ces mesmes maximes qui l’ont porté
dans les temps paisibles, à ne pas soustenir auec assez de dignité
la qualité de Prince du Sang, & qui font que dans les troubles
il ne remplit pas les deuoirs d’vn bon Chef de party : Et de là
toutes ces fausses mesures, & de là ce peu d’aplication à donner
l’ordre aux choses, à maintenir les armées, à soustenir la reputation
de la cause, à mesnager les peuples, à satisfaire ses amis &
ses seruiteurs, & de là toutes ces negociations auec le C. M. qui
ont ietté le public dans la défiance & dans l’aigreur, & qui ont
causé du chagrin en paroles, & la l’éthargie en effet,

Ces mauuaises productions d’vne mauuaise cause, firent tenir

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à Monsieur le Prince par necessité, la conduite qu’il auoit prise
par choix. Le peu d’ordre qu’il a mis dans son party fait qu’il ne
peut pas estre assez puissant pour se rendre le maistre des affaires,
le grand éclat qu’il a fait contre la Cour, fait qu’il n’y peut
plus prendre de confiance que par des establissemens qu’il aura
tousiours dessein d’obtenir, & qu’il n’obtiendra pourtant iamais,
par ce qu’il n’a pas pris ses mesures assez iustes, ou pour se
les procurer par la douceur, ou pour les acquerir par la consideration
du party qu’il a formé.

 

Il est donc éuident, que M. le Prince s’est imposé à luy-mesme
par sa mauuaise conduite, la funeste necessité de conseruer
tousiours le Card. Maz. par ce qu’il ne peut auoir d’esperance
de faire reüssir ses desseins, que sous vn ministere aussi foible
que le sien, & de perpetuër la guerre en France, parce qu’il ne
peut auoir de paix auec luy, ou il trouue sa seureté, que par des
establissemens qui ne pouuoient estre accordez qu’à la force
du party, qui a perdu toute sa vigueur par le peu d’ordre qu’il y
a mis : Il est donc vray, que l’interest necessaire de Monsieur le
Prince est de conseruer le Mazarin, & de rompre en toutes occasions
la paix.

Il faut auoüer qu’il y a beaucoup de raison dans le reproche,
que l’on fait au Cardinal de Retz, de n’auoir pas connu ses veritables
interests, quand il n’est pas demeuré precisément dans
les bornes de sa profession, & il est certain, que s’il ne se fust seruy
des talens que Dieu luy a donnez, que dans les fonctions
Ecclesiastiques, il eust reüssi dans la reputation des hommes,
d’vne maniere qui n’eust pas esté à la verité si releuée, mais qui
luy eust donné plus de douceur, qui eust esté exposée à beaucoup
moins d’enuie, & qui sans contredit eust eu plus d’approbation
parmy toutes les personnes de pieté : A parler Chrestiennement,
ce raisonnement est iuste, quoy qu’il puisse receuoir
des exceptions, & qu’il soit veritable que le Cardinal de
Retz n’est point blasmable mesme selon les regles les plus
estroites, s’il se trouue en effet qu’il ait esté engagé dans les affaires
(comme il a paru) par le siege de Paris, dont les interests
luy doiuent estre si chers, non pas seulement par la politique,
mais mesme par la raison & par le deuoir, que l’on peut dire auec

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iustice qu’il ne s’est pas ietté par choix dans les emplois du
monde, mais qu’il y a esté emporté par son obligation.

 

Ce qui a fait croire qu’il n’y a pas esté forcé par la pure necessité,
est cette pente naturelle que l’on a tousiours remarqué,
qu’il auoit aux grandes choses : Il est difficile de distinguer la
gloire de l’ambition, elles ont souuent les mesmes effets, elles
viennent presque tousiours de mesme cause, elles ne se rencontrent
presque iamais que dans les esprits de mesme trempe. Ie
voy qu’il y a partage dans le monde, laquelle de ces deux passions
est le principe des actions de M. le Cardinal de Retz,
tous ceux qui ne le connoissent pas dans le particulier en font
le iugement, que l’on fait d’ordinaire de tous ceux qui ont esté
dans les grandes affaires, qui est qu’ils n’ont ny de regles ny de
bornes, que celles qu’ils cherchent dans l’ambition, & qu’ils
n’y rencontrent iamais : Ie void beaucoup de gens qui l’approchent,
& qui croyent auoir penetré son naturel, qui sont persuadez
qu’il est plus touché par la gloire des grandes actions
que par l’amour des dignitez.

Les premiers fondent leur opinion sur la maxime generale,
& qui reçoit à la verité fort peu d’exception, & sur la dignité
de Cardinal à laquelle il s’est esleué, dans vn âge où l’on a veu
peu de particuliers y estre paruenus : Les derniers se confirmẽt
dans leurs pensées, par le mespris que le Cardinal de Retz a fait
toute sa vie du bien qui est pour l’ordinaire fort recherché par
les ambitieux, par ce que c’est l’instrument le plus propre pour
faire reüssir leur passion, & adioustent de plus, que le Cardinalat
en la personne d’vn Archeuesque de Paris, n’est qu’vne
suite fort ordinaire de sa dignité : Lequel qu’il ait suiuy de ces
deux principes, il ne nous est pas mal aisé de discerner où sont
ses interests ; s’il agit par l’amour de la gloire, peut il rien souhaiter
auec tant de passion, que l’accomplissement entier de
l’ouurage, auquel il a tant contribué de l’expulsion du Card.
Mazarîn, puis qu’il a tiré iusques icy la plus grande partie de
son esclat de l’opposition qu’il a eu auec ce Ministre ; Peut il
rien desirer auec tant d’ardeur que la paix & le repos, laquelle
s’il y contribuë effacera ce qui peut estre demeuré d’enuie &
de reproche dans l’esclat qu’il s’est acquis dans les troubles &

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dans les agitations de l’Estat. Et si le Cardinal de Retz n’a
pour regles de sa conduite que son ambition, ie le trouue neãtmoins
heureux, en vn point que s’il prend bien ses interests,
comme il faut auoüer que iusques icy il les a assez bien entendus,
il n’en peut auoir de veritable, & par le bon sens, & par sa
conduite passée qu’à chasser le Cardinal Mazarin, qui luy est
vn grand obstacle par la puissance qu’il a dans la Cour, & qui
par son seul nom donne plus de force à Monsieur le Prince
(des interests duquel le Cardinal de Retz est fort esloigné)
que des armées entieres : & qu’à procurer la paix & particuliere
& generale, qui donne l’abondance à Paris, dont la grandeur
est autant son auantage que celuy du public, & qui conserue le
lustre à toutes les grandes dignitez Ecclesiastiques, pareilles à
celles dont est reuestu M. le Cardinal de Retz : A quoy i’adiouste
que le Cardinal de Retz ayant eu depuis 4. ans, tant de
part à toutes les actions qui ont esté agreables au public, à la desense
de Paris, à la paix de Bourdeaux, à la liberté des Princes,
à l’esloignement du Cardinal Mazarin ; & n’en ayant eu aucune
à tout ce qu’il y a eu de foible & de tragique à la conduite
de ce party, au massacre de l’Hostel de Ville, à la desolation de
nos campagnes, à l’oppression de Paris, il a vn tres particulier
interest, que les affaires finissent, par ce qu’il en fort auec beaucoup
d’honneur, & par ce que ses ennemis ne les acheuent
qu’auec honte, haine & confusion : Il est donc vray que son interest
necessaire est l’esloignement du Cardinal Mazarin, & la
paix du Royaume.

 

Ie ne m’estendray point sur les interests de Monsieur le Duc
de Beaufort, il ne les connoist pas assez luy-même, pour sçauoir
en quoy ils consistent, ny sur ceux de Messieurs de Chauigny
& de Longueüil & pareils negociateurs, ils ne sont pas assez
considerables, pour auoir place en ce lieu, & pour donner
quelque bransle aux affaires, & ie croyrois manquer à la verité
& au respect que ie dois à Monsieur le Duc d’Orleans, si i’osois
seulement mettre son nom dans vn ouurage qui porte le
titre d’Interest, puisque toute l’Europe auouë qu’il n’en a iamais
eu d’autres que le bien de l’Estat, le seruice du Roy, le
soulagement des peuples, & la tranquillité publiqué.

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Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?] [1652], LES INTERESTS DV TEMPS. , françaisRéférence RIM : M0_1718. Cote locale : B_8_53.