Fouquet de Croissy, Antoine [?] [1649], LE COVRRIER DV TEMPS APPORTANT CE QVI SE passe de plus secret en la Cour des Princes de l’Europe. , françaisRéférence RIM : M0_825. Cote locale : C_1_47.
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LE COVRIER
DV TEMPS
APPORTANT CE QVI SE PASSE
de plus secret en la Cour des Princes
de L’Europe.

De StoKolin le I. Aoust 1649.

LE Connestable de la Gardie fait tous ses efforts
pour fauoriser le dessein que la France a de rompre
la paix d’Alemagne, elle commence d’en cognoistre les
desaduantages, qu’elle perd ses alliez, & que les mesmes
ennemis luy demeurent, & se repend d’y auoir si legerement
consenty. Le Chancellier Oxenstiern s’y oppose
fort vigoureusement, & a remonstre dans le
dernier conseil, le bon-heur qu’à la Suede de s’en
trouuer separée sans qu’on luy puisse reprocher aucune
defection. Il a representé la perte que les François ont
fait de tous leurs alliez, des Hollandois, des Princes d’Allemagne,
de ceux d’Italie, des Ducs de Modene, & de
Mantouë, la foiblesse des Conseils du Ministre qui gouuerne,
l’abaissement de l’authorité Royale, les guerres
intestines dans les principales Prouinces, la resistance
que les peuples apportent à tout ce qui vient de la part du

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Cardinal Mazarin, la haine qui continuë contre luy, qui
entretient la defiance entre le Conseil du Roy, les Parlement
& les peuples, ce qui oste toute esperance de
voir restablir les forces de ce Royaume durant ce ministere,
& par consequent les moyens de satisfaire aux
conditions de l’alliance, de fournir les subsides promis, &
d’entretenir vne armée sur le Danube pour faire diuersion
comme l’on y est obligé par les traictez. La Reyne
s’est renduë à ses raisons qui ont esté fortement appuyées
par le Comte Brahé, le grand Admiral Carlé Carleson,
les Mareschaux horn, Tortenson, le General Kaghen,
Hok Axelxson, & autres principaux senateurs du Royaume :
ce qui a esté cause qu’on a fait grande consideration
sur les depesches du Conseiller Eschen escrites de
Nuremberg, par lesquelles il mande que Picolomini faict
de viues instances pour nouer vne plus estroite aliance
entre la maison d’Austriche & la Couronne de Suede,
Sa Maiesté Imperiale, pour gaigner le Connestable de la
Gardie, & l’obliger à changer d’inclination, a fait le
Comte Magnus Gabriel son fils, Prince de l’Empire, la
Reyne s’en est sentie obligée & l’on croit que c’est ce qui
a aduancé les ordres qu’elle a enuoyez à ses Ministres à
Nuremberg de ne faire plus d’instance pour la restitution
de Franchandal, sa Maiesté part dans deux iours pour aller
se diuertir à Drottingholut, & de là à Schuarsiens.
Hier l’aspresdinée estant dans le Vvilgatted elle tira en
volant d’vne bale seule auec vne arquebuse rayée vne
hirondelle de mer blanche, & qui auoit vne petite couronne
noire sur la teste, ce qui donne fort à penser aux
curieux.

 

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De Coppenhagen leIuillet

Il est arriué depuis trois iours en cette ville vn enuoyé
de l’Archiduc Leopold pour demander permission à sa
Majesté Danoise de leuer des troupes dans le Iutland &
le Holstein, il s’est adressé au grand Maistre du Royaume
Cornifis Oulfeld, qui a esté bien aise de trouuer cette
occasion d’obliger l’Espagne & tesmoigner son ressentiment
de peu de satisfaction qu’il receut du Cardinal
Mazarin lors qu’il vint Ambassadeur extraordinaire
aupres de sa Majesté tres-Chrestienne.

De Cologne dud’Aoust

Nostre Eslecteur fait des leuées dans le Cercle de
Vvestphalie pour joindre à celles de Lamboy ; il assiege
la ville de Liege sur l’auis qu’il a de la proposition que le
Cardinal Mazarin a fait faire an Clergé de sainct Lambert,
de l’elire Euesque de cette ville là. Le President de
Lombe resident du Roy tres. Chrestien a promis de
grandes sommes d’argent aux principaux Chanoines de
cette Eglise pour donner leurs suffrages à son Eminence.
Il les prie de receuoir sa nouuelle qualité de noble
Venitien, pour les deux quartiers de Noblesse qui luy
manquent, & qui sont necessaires aux simples Chanoines
de cette Eglise.

De Vienne duIuillet

Le sieur Buffaliny est arriué icy depuis deux iours incognito ;
Il a entretenu fort secrettement le Comte de
Traus mandots, qui luy doit faire voir sa Majesté Imperiale
à la chasse. Il a ordre de demander linuesture de
Piombino, & Portolongonne pour son cousin le Cardinal

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Mazarin, & dit on qu’il a fait des offres à cet effect
tres-aduantageuses à la maison d’Autriche, dont on aura
cognoissance dans peu de temps.

 

De Moeunic dud’Aoust

Nostre Electeur fit partie hier à trois heures de nuict
le Commissaire Scheffer, pour aller à Nuremberg aduancer
l’execution de la paix d’Alemagne que le Cardinal
Mazarin tasche de trauerser. Il a ordre de proposer
l’vnion de tous les Estats de l’Empire, Catholiques &
protestans, contre la France, en cas qu’elle la retarde
plus long temps. Ledit Cardinal Mazarin est tellement
décrié en cette Cour, depuis la perfidie qu’il fit à nostre
Electeur au traité de Vlm, qu’on n’adiouste aucune foy
à tout ce qui se negocie par ses ordres.

De Munster duAoust

Monsieur Chisy Nonce de sa Sainteté, a refusé les
presens que le Cardinal Mazarin luy a fait offrir de la part
du Roy tres Chrestien pour tesmoigner sa recognoissance
des soins qu’il a pris pour l’aduancement du traité
de l’Empire. Il a voulu par ce refus tesmoigner qu’il
s’est oppose à vne paix si desaduantageuse à la Religion
Catholique, & qui fait perdre à l’Eglise des Eueschez si
considerables que ceux d’Alberstat, Osnabrug, Verden
Minden, &c. & autres biens qui diminuent notablemeut
le Domaine de l’Eglise Romaine. Il accuse le Cardinal
Mazarin de n’auoir sçeu ny seruir les Catholiques, ny menager
les interests de la France, de n’auoir pas mesme
esté capable de prendre les conseils & suiure les expediens
que le sieur d’Auaux luy donnoit, pour faire reussir

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l’vn ou l’autre de ces desseins, & d’estre la seule cause
d’vne alienation & perte si considerable pour la Religion,
& du sang chrestien qui se respend par la continuation
d’vne guerre qu’il pouuoit finir glorieusement
de 1647. par le traite le plus aduantageux qui ait iamais
esté fait entre deux Couronnes dont la puissance est esgalle.

 

De la Haye duAoust

Les Estats generaux se sont pleints au sieur Brasset
resident de France de ce que le Cardinal Mazarin continuë
de leur imputer d’auoir abandonné par vne perfidie
sans exemple, les interests de cette Couronne. Ils
ont resolu de deliberer au premier iour s’ils informeront
le Parlement de Patis du soin qu’ils ont aporté
d’obseruer exactement les traitez d’aliance, & comme
ils ont fait tout leur possible pour conclure conioinctement
la paix. Ils font estat de representer à cét Auguste
Senat, que pendant trois années ils n’ont aduancé leur
traité auec l’Espagne qu’à mesure du progrez de celuy
de France, qu’ils n’ont iamais mis en consideration les
conditions qui leur ont esté offertes, qu’apres auoir obligé
les Ambassadeurs d’Espagne de leur donner parolle
formelle & precise, & pouuoir d’asseurer ceux de France
qu’ils consentoient au nom de leur Maistre que le
Roy tres Chrestien retint toutes les places conquises en
Flandres sans en excepter aucune, toutes celles d’Italie
mesme Portolongone, & Piombino si affectionnées
par son Eminence & regardées cõme vne retraire ; que
sadite M. eust la liberté de mettre vne garnisõ de Suisses

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dans Cazal qui garderoit cette place quinze ans durant
pour la seureté du traité ; que le Roussillon y compris
Roze & Cadaques seroit reüny à la Couronne ; que le
Duche de Bur y seroit aussi incorporé ; que l’on feroit
trefue de trente ans pour la Catalogne, & que si les trente
ans expirez le Roy d’Espagne recommençoit la guerre,
la Republique d’Hollande se declareroit pour la
France, & ne feroit aucune paix que de son consentement ;
que le Roy tres Chrestien pourroit assister
les Portugais deffensiuement. Sans comprendre
en ses aduantages, l’Alsace toute entiere, Brissac, Philisbourg,
& les autres places qu’on mesnageoit par le
traité de l’Empire ; que pour la seureté & la fermeté d’vne
paix si glorieuse, & qui reparoit les desaduantages de
tous les traitez precedens ; Messieurs les Estats s’obligeroient
de garentir ce traite en quelque lieu qu’on en fit
la rupture quoy qu’ils soient destachez des interests
que la France peut auoir en Allemagne, en Italie, en
Espagne, & qu’ils ne semblent deuoir prendre part
qu’à ce qui se passe en Flandres ; Ils veulent remonstrer
au Parlement pour la reputation de leur Estat, & la iustification
de leur conduite, qu’ils n’ont aduancé que
par degrez & par mesures, qu’ils creurent estre obligez
pour esmouuoir la France à conclurre coniointement
auec eux & vaincre la resistance qu’elle apportoit à la
paix, plustost que pour se separer de ses interets de souffrir
que deux de leurs Ambassadeurs arrestassent les conditions
qu’on leur proposoit que six mois apres quatre
autres curent ordre de faire la mesme chose en intention

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seulement de faire vn nouuel effort & de faire chãger
les resolutions que le Cardinal Mazarin prenoit de
rendre la guerre immortelle ; que pour tesmoigner leur
sincerité & bonne foy, ils declarent en ce mesme
temps qu’ils estoient encor en guerre auec l’Espagne,
& que leur traité ne seroit point consommé iusqu à ce
que les deux autres deputez l’eusseut aussi approuué par
leur signature, & qu’ainsi les François auoient encore la
liberté toute entiere de conclure coniointement auec
eux. Que leur Republique a souffert six mois durant
dans la Haye, à la face des Estats generaux, les mauuais
traitemens de l’Ambasseur qui se dit confident du
Cardinal Mazarin, qui faisoit son possible pour les irriter
& les obliger par quelque conduite precipitee &
pleine de ressentiment de s’accommoder auec l’Espagne,
& ainsi les charger des reproches d’auoir fait vne
perfidie dont ils sont inuocens, qu’on ne doit imputer
qu’au refus que le Cardinal Mazarin a fait de la paix & à
la mauuaise conduite & emportement de son Ambassadeur :
Que neantmoins ils ont esté si moderez & tespectueux
enuers la France que rien ne les a peu empescher
de luy mesnager des conditions si aduantageuses,
que M. le Duc de Longueuille & le sieur Cõte Dauaux
resolurent de les accepter Ce qui obligea ledit sieur de
Seruien de faire vne protestation si vehemente qu’ils
creurent à l’entendre parler auec tant de chaleur qu’il
falloit de necessité que le Cardinal Mazarin luy eust
donné quelque aduis secret de la cheute certaine de la
maison d’Austriche, & de la conqueste asseurée que la

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France alloit faire de tous ses Royaumes par quelque
reuolution cognuë de ce grand Ministre seul, & reuelée
à son cher fauory, & qu’ainsi il falloit encore laisser quelque
temps à la prudence de ce grand homme pour
luy faire operer toutes ses merueilles. Les deux deputés
de Messieurs les Estats qui restoient à signer furent enfin
contraints d’obeyr aux ordres de leurs Superieurs ce
qu’ils firent auec tant de circonspection, & de desir de
faire participer la France au repos dõt ils alloient iouyr,
qu’ils prirent trois mois entiers pour la ratification, &
stipulerent que pendant ce temps elle pourroit entrer
dans le traité aux mesmes conditions dont Monsieur le
Duc de Longueuille & le sieur Comte d’Auaux estoiẽt
demeurez d’accord auec eux. Qu’enfin pour derniere
preuue de leur deference & recognoissance ils obtinrẽt
encor trois mois de temps apres l’eschange des ratifications,
pendant lesquels les François auoient liberté toute
entiere d’accepter ces mesmes conditions, & la Republique
d’Holande s’obligeoit de conclure coniointement
& de garentir le traité qui se feroit, ou eu cas de
refus par les Espagnols de rompre auec eux & de continuer
coniointement la guerre auec le Roy tres Chrestien
Les sieurs Pau & Kenut apuyent fortement le dessein
qu’on a de faire cette deliberation, comme les plus
interessez aux reproches qu’on fait à cet Estat, les plus
maltraitez en leur honneur, probité, & reputation par
les libelles de l’Ambassadeur Seruien.

 

De Dantzic duIuillet

Nicolas Canasille, Consul de la nation Françoise en

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cette ville a receu plusieurs balots de draperies de laines,
& de soyes, castors, & toilles fines, qui luy ont esté
enuoyees par le Cardinal Mazarini, sous l’adresse du
Comte de Bregi Flexelles, Ambassadeur pres de sa Maiesté
Polondoise, afin d’euiter par l’adueu que cet Ambassadeur
en fait le payement des droicts de Tole, elles
ont esté bien venduës à des Marchands de Varsau, Crakau
& Leopol. Ledit Nicolas Canasille a employé la plus
grande partie de l’argent qui en est prouenu, en Martes,
zibellines, Renards noirs, & aatres fourures exquises, &
en vn seruice tout entier d’ambre blanc, qu’il renuoye
audit sieur Cardinal, auec quelques autres raretaz de ce
pays, sur lesquelles il fera vn profit notable ; l’Euesque
de Varmie cy deuant Ambassadeur extraordinaire en
France en ayant esté aduerty les a voulu faire saisir pour
se rembourser de la somme de dix milles talles, dont il
fust trompé par le Cardinal Mazarini, dans l’achapt
d’vne croix que son Eminence luy vendit pour donner
de la part de sa Maiesté Polonnoise à nostre Reyne, lors
ce ses fiansailles à Paris. Nostre Senat n’a pas voulu que
ce differend esclatast.

 

De Naples duIuillet

Dans la Bruzzo, & dans quelques endroits de la terre
Dilauoro, il y a encore quelques sujets de sa Maiesté Catholique
sous les armes : Mais cela donne peu de peine
aux Ministres d’Espagne, estans asseurez par la conduite
passee du Cardinal Mazarin, qu’il ne veut point que la
France profite de nos diuisions, mais qu’au contraire, il
reietta comme il a fait cy-deuant toutes les propositions

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qu’on pourroit faire au Conseil de sa Maiesté tres-Chrestienne,
pour les entretenir, & en tirer aduantage.
Le dernier Courier d’Espagne aporte nouuelles de la satisfaction,
que sa Maiesté Catholique donne à ce Royaume,
par le rapel du Viceroy, voulant obliger par cette
iudicieuse conduite, les peuples à prendre confiance
aux parolles qu’elle leur a données de vouloir entretenir
la paix, que les conseils violens de ce Ministre, rendoient
incertaine. On equipe icy quelques galeres pour
le porter en Espagne où il est appellé pour rendre comte
de ses actions.

 

De Rome duIuillet

Nous auons apris par les dernieres lettres de France
qu’vne des Sœurs de l’Eminentissime Cardinal Mazarin
estoit morte, en cette ville on ne sçait pas bien encore
laquelle c’est des deux, peut estre qu’auec le temps
on s’en esclaircira.

Le Bailly de Valencé, Ambassadeur du Roy Tres-Chrestien
a eu vne audience secrete de sa Saincteté. Les
Speculatifs disent qu’il a ordre de trauerser autant qu’il
pourra la promotion de l’Abbé de la Riuiere, & d’offrir
mesme des presens à la Signora olimpia, afin qu’elle rende
inutiles les solicitations du Cheualier d’Elbene. Le
Signor Pietro Mazarini a veu l’Ambassadeur d’Espagne,
& luy a donné parole que le Cardinal son fils feroit resoudre
vne paix aduantageuse en faueur de sa Maiesté
Catholique, qu’il feroit restituer la Catalogne, la Lorraine,
& abandonner le Portugal, pourueu qu’il
mesnageast aupres du Prince Ludouision, la cession de

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ses droits & pretentions sur les places de Piombino &
Portolongone, en faueur du Cardinal Mazarin, & qu’il
ne pressast aucune promotion de Cardinaux de la part
d’Espagne, & souffrist celle de Mãcini son allié fils de ce
grand homme que Monsieur le Cardinal d’Ossat recommande
à Henry le Grand pour son extraordinaire
diligence & force de corps. Il luy veut faire tenit la place
qu’il destinoit au Cardinal de Sainte Ce cille si Dieu
ne l’eust apellé de ce monde, & pretend par ce moyen
esloigner encor la pretention dudit Abbé de la Riuiere.
Le Cardinal de la Cueua negotie quelque accommodement
entre sa Sainteté & le Duc de Parme. Il ses
pere lors que la paix sera concluë de faire passer dans le
Milanois les troupes de l’vn & de l’autre party, & de les
ioindre à celles du Marquis de Caracene. On ne croit
pas que le Pape ait peine à s’y resoudre pour l’aduersion
qu’il a pour le Cardinal Mazarini, contre lequel
il conserue tousiours vne mauuaise volonté à cause du
meurtre de son Nepueu, des soins qu’il prit quoy qu’inutilement
d’empescher sa promotion, & du dessein
qu’il eut d’engager la France à luy declarer la guerre,
que feu Monsieur le Prince empescha, remonstrant
l’imprudence & la consequence d’vne telle entreprise,
le blame & la honte que la Regence de la Reyne en receuroit :
le Duc de Parme consent desia de donner les
siennes voyant que tous les alliez de cette couronne
sont contraints de se destacher de ses interests pour le
peu de soin qu’on prend de les secourir.

 

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De Venise duAoust

Pendant les resiouyssances qui se faisoient icy pour
la grande victoire remportée sur les Turc par le General
Giacomo de la Riua, le sieur Matarel resident du Roy
tres-Chrestien a esté en peril de sa vie pour n’ẽ auoir pas
assez au gré de ce peuple, qui d’ailleurs a sçeu par les
Relations de l’Ambassadeur Cantarini, le mespris que
la France a fait des instances de cette Republique pour
la paix generalle, par le moyen de laquelle elle pouuoit
esperer du secours contre l’ennemy commun. Le Senat
en accuse en toutes occasions le Cardinal Mazarini, qui
a esté si peu touché du miserable estat de la Chrestienté,
a eu si peu de compassion de ses malheurs, de cette
grande effussion du sang le plus pur, dont elle s’affoiblit
depuis si long temps, de l’auantage que l’Infidelle en
prend, du progrez qu’il fait en Candie, que non seulement
il n’a pas pris soing d’en arrester le cours en faisãt
la paix generalle, mais mesme a negligé de mettre les
apparences de son costé, de couurir les mauuais desseins
qu’il a eu de continuer la guerre, & laisser dans l’esprit
quelque doute de ses mauuaises intentions. Il n’a eu autre
pensee que de donner au monde ce temoignage de
sa puissance, qu’il a esté l’arbitre de la paix & de la guerre,
qu’il a conuoqué à Munster toutes les nations pour
en estre tesmoins, & qu’à la veuë de cette grande assemblée
il a prononcé la guerre, & a rendu coupables & criminels
ceux qui ont osé desirer la paix. Quelques vns
de nos plus zelez Senateurs ont proposé de luy oster son
nouueau tiltre de noblesse pour auoit tesmoigné si peu
d’affection à secourir la Republique, & de luy confisquer

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les cinq millions cinq cens mille liures qu’il a sur
nostre banque.

 

De Mantoüe duAoust

On fait icy de grands preparatif pour les nopces de
son Altesse auec l’Archiduchesse d’Insprué, elles ont esté
resoluës sur les aduis que le sieur Nerly nostre Ambassadeur
en France nous a donné du mespris que le Cardinal
Mazarini a tesmoigné pendant deux ans des recherches
que nostre Duc a fait d’vne alliance Françoise. Ce
Ministre croyoit par ce moyen le necessiter a luy demander
en mariage vne de ses Niepces, en faueur duquel
il faisoit esperer de luy rendre Cazal, de luy donner
des sommes d’argent tres considerables, & luy faire adiuger
les biens de la succession de Mantouë située en
France qui luy sont contestées par la Reyne de Pologne,
& la Princesse Palatine. Nous auons aduis certain, qu’en
mesme temps qu’il les promettoit, il les faisoit offrir à sa
Maiesté Polonnoise, pour l’obliger de faire ses instances
aupres de sa Saincteté pour la promotion au Cardinalat
du Seigneur Abbate Manzini son allié, ce qui a fait
perdre en cette Cour le peu de confiance qu’on auoit
conserué pour ce Ministre, qui abuse aussi ouuertement
les Princes souuerains que les particuliers, & promet à
plusieurs, ces mesmes choses qui ne sont pas en sa disposition,
& qui dépendent du iugement que le Parlement,
(sur lequel il n’a aucun credit) en rendra.

De Cazal duAoust

Nostre garnison est foible, & nous apprehendons
d’estre attaquez en l’estat où nous sommes. Nous auons

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besoin de toutes choses, d’hommes, d’argent, & de viures,
ne subsistant depuis quinze mois que de nos magazins.
Ce qui nous afflige dauantage, c’est que nous ne
pouuons plus rien tirer des terres de son Altesse de
Manrouë, & que l’alliance que ce Prince fait auec la
maison d’Autriche ne nous laisse aucun moyen de conseruer
cette place. Il semble qu’on n’est pas fasché en
France qu’elle tombe entre les mains des ennemis.

 

De Turin du 10. Aoust 1649.

L’Ambassadeur d’Espagne qui est à Rome a fait quelques
propositions de mariage entre nostre Duc & l’Infante.
On les escoute icy auec ioye, pour les grands auantages
& l’honneur que son Altesse en receuroit, ce nous
sera aussi vn suiet bien legitime, de nous separer de l’alliance
de France, que le manque de payement de subsides,
& du secours d’hommes qu’on a diuertis pour les
guerres intestines de ce Royaume là, nous eust forcé d’abandonner,
ne nous estant plus possible de demeurer
seuls dans les interests de cette couronne, le Pape semblant
se declarer contraire, les Venitiens en estans mal
satisfaits, les Ducs de Florence & de Parme estans dans
les interests de la maison d’Autriche, celuy de Modene
ayant esté abandonné & celuy de Mantouë si negligé,
& tout cela par la mauuaise conduite du Cardinal Mazarini,
qui n’est pas capable de la pouuoir changer, ny
de restablir les affaires, ioint que leurs Altesses ne sçauroient
prendre aucune creance en luy apres la perfidie
qu’il a fait a feu ostre Duc quoy qu’il eust pris de son
argent, & eust rendu par aduance les seruices qu’il s’estoit

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obligé de luy vendre.

 

De Barcelone du 12. Aoust 1649.

On s’est fort pleint icy au General Marsin, des fausses
assignations que le Cardinal Mazarin nous a fait donner,
pour les trois millions que nous auons aduancez
dans la necessité pressente des affaires de France. On ne
nous en fait pas esperer de meilleures, & il semble qu’il
cherche à s’excuser sur nous de la resolution, qu’il a pris
de nous abandonner.

D’aix en Prouence du 2. Aoust 1649.

L’arriuée du sieur d’Estampes en cette ville, nous auoit
fait esperer qu’on vouloit assoupir tous les troubles de
la Prouince, & en effet le Parlement y a si fort contribué,
qu’il n’a qu’asi refusé aucun des articles que ce deputé
luy a proposez, mais depuis l’arriuée d’vn enuoyé
du Cardinal Mazarin qui a aporté quelques ordres
secrets au Comte d’Alaix, on desespere plus
que iamais de l’acommodement, ce gouuerneur ayant
refusé de ratifier les Articles accordez auec ledit sieur
d’Estampes, & continuant tousiours ses hostilitez,
ce qui nous oblige aussi à continuer nos leuées. On attend
auec impatience la responce des lettres que Messieurs
de ce Parlement ont enuoyées à celuy de Paris,
l’on a resolu de l’informer par vn expres, des aduances
que nous auions faites pour pacifier cette Prouince, laquelle
est reduite par les desordres & les cruautez des
gens de guerre, par le fer & le feu qu’ils portent par tout,
dans vn estat digne de compassion, & ce qui nous fait
croire que nostre perte est absolument renduë dans l’esprit

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de ce Ministre, c’est que nous sçauons bien qu’il ne
luy a pas pleu de faire aggréer, les offres que Monsieur
le Prince a fait, de venir icy en personne pour terminer
nos differens, nous estions resolus de l’en faire iuge, &
de nous soumettre à tout ce qu’il ordonneroit.

 

De Bordeaux du 6. Aoust 1649.

Nous auons encore peine à croire la temeraire entreprise
du Cardinal Mazarin, d auoir fait interdire nostre
Parlement, apres l’exemple de ce qui s’est passé à Paris,
en vn temps auquel les peuples de cette Prouince auoient
receu beaucoup de soulagement de cette compagnie,
& en attendoient encore dauantage de la Iustice
de ses Senateurs qui font les principales familles de
cette ville & qui nous tiennent tous attachés à leurs interests,
ou par les alliances, que nos principaux Bourgeois
ont auec eux, ou par quelque autre dependance,
& enfin par tous les aduantages que chaque particulier
tiré de leur presence, & establissement en ce lieu. L’on
s’estonne de ce que pour faire reüssir le mariage d’vne
de ses Niepces auec le Duc de Candalles, il abandonne
à la passion de nostre Gouuerneur vne Prouince si considerable
à l’Estat, puisque mesme l’aduantage qu’il
pourroit obtenir par l’opression du Parlement seroit
preiudiciable au seruice du Roy, establissant trop le
pouuoir du Duc d’Espernon qui doit estre balancé par
l’authorité legitime de cette compagnie ; depuis la derniere
violence qu’il a exercée contre nos Magistrats par
laquelle il tascha d’oprimer en leurs personnes la Iustice,
& le peu qui reste de liberté au peuple, & estouffer

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par cet exemple celle que les autres compagnies du
Royaume taschent de maintenir dans leurs suffrages, il
rapelle les troupes destinées pour la Catalogne & pour
l’Italie, deliure les commissions qu’il a receuës depuis
peu de la Cour, arreste à Cadillac tous les vaisseaux qui
veulent venir icy, se saisit des passages pour nous affamer,
fait les degats & brusle toutes nos maisons, se
promettant qu’il sera protegé par le Cardinal Mazarin
en tout ce qu’il entreprendra d’iniuste & de violent.
Nous sommes bien aduertis qu’il a dessein d’establir
ce gouuerneur Seigneur incommutable de
toute la Guyenne, qu’il veut rendre propre & hereditaire
aux descendans de ce beau mariage qu’il medite,
& qu’il employe à cet effet tous ses artifices pour
dissimuler à son Altesse Royalle & à Monsieur le Prince
de Condé & M. son Frere qui sont portés à nous donner
la paix, l’estat de cette Prouince : c’est pour cela qu’il
fait arrester nos Deputés prisõniers, leur interdir la voix
& la parolle, leur deffend l’accez à leurs Maiestés, les priue
de la liberté que tous les François ont de porter leurs
plaintes à leur Souuerain, & le tout à dessein d’engager
d’auantage la guerre, de rendre nostre accomodement
impossible, & de faire reüssir les pretentions du Duc
d’Espernon. Nous sõmes forcez de nous preparer à vne
legitime & naturelle deffence, auec cette protestation
que la seule necessité nous obligera de nous seruir des
moyens que nous auons pour nous maintenir. Nous esperons
que Dieu protegera la Iustice de nostre cause,
nous voyons desia des effets de sa bonté, par l’vnion parfaite

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des peuples & la deference qu’ils ont pour les ordres
que le Parlement leur enuoye, & nous auons aduis
que toutes les autres compagnies du Royaume s’interesseront
dans nostre conseruation.

 

De Sainct Quentin du 10. Aoust 1649.

A l’arriuée du Cardinal Mazarin en cette ville ; Nostre
Bourgeoisie s’est mise en armes, & l’on a crié viue
le Roy, sur la creance qu’on auoit que sa Maiesté nous
honoroit de sa presence, mais nous auons esté surpris
voyant que les compagnies des Gardes, les Gendarmes
& cheuaux Legers commandez par Monsieur le Mareschal
de Schomberg, ne venoient icy que pour escorter
son. Eminence, & que les Mareschaux du Plessis &
de Villeroy auoient eu ordre de quiter la personne
du Roy & de Monsieur pour suiure ce Ministre. Il a
beaucoup trauaillé icy à marchander luy mesme les
bleds, les faire mettre au moulin, faire cuire les pains de
munition, c’estoit sa principalle occupation, si ce n’est
qu’il se d’élassast quelquefois de ces grandes fatigues à
quelques reprises de hoc, où il a monstré vne adresse
merueilleuse au grand estonnement de tous les corps
de cette ville. Ses trois tables seruies des mets les plus
exquis, & occupees par Messieurs de Vandosme & de
Mercœur, qui comme ses chers futurs aliez estoient en
toute humilité assis au dessous de luy, trois Mareschaux
de France grand nombre de Ministres de l’Estat, & de
Mareschaux de Champ, Commandeurs & Cheualiers
de Malthe ont bien iustifié, à la honte de ses ennemis, sa
Royale magnificence ; son buffet d’or massif & de mesme

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caract que celuy de nos Louys tenoit toute la grande
Salle de nostre maison de Ville : ceux de Ville : ceux de sa suite respendoient
icy en mesme temps plusieurs bruits pour
tenir le peuple en admiration de ses grands desseins : les
vns disoient qu’il alloit conclure la paix generalle
beaucoup plus aduantageuse que celle qu’il a refusée à
Munster en 647. les autres asseuroient que les principalles
villes de la Flandre n’attendoient que sa presence
pour se fortifier & se mettre toutes en republique :
d’autres plus speculatifs vouloient faire croire qu’il estoit
d’intelligence auec l’Archiduc, & qu’il alloit acheuer
son mariage auec Mademoiselle, & pour asseurance
de sa dot, qu’il l’alloit mettre en possession de la souueraineté
des Pays bas : luy mesme vouloit bien qu’on
creust que surpassant de beaucoup la reputation & le
merite de son predecesseur sa seule démarche alloit faire
oublier la gloire de toutes ses actions : que sçauoit
esté peu au Cardinal de Richelieu passant en Italie, d’auoir
pris Pignerolle en douze iours à la veuë de trois armees,
allant du costé d’Espagne d’auoir ruiné les factiõs
de la Cour, deffait les armées des ennemis, asseuré la
Catalogne, soumis le Roussillon & pris l’importante
ville de Perpignan : paroissant sur les frontieres de Picardie
d’auoir emporté Arras & fait triompher toutes
les années le Roy son Maistre. Il traitoit tous ces succes
de bagatelles, & publioit qu’il en alloit effacer la
gloire par le moindre de ses protects ; & en effet il a dit
vray, car il a veu les Erlacs, cette fierre nation s’est adoucie
à sa presence, luy a fait hommage comme au

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distributeur & possesseur de toutes les finances de France,
les Generaux Oems & Flechenstein se sont enyurez
pour l’amour de luy. Il a recogneu les caresses de ces braues
estrangers, & pour se les asseurer il leur a fait vne
ample distribution de pieces de toille, chemises & rabats
sans glans, coiffes de nuict manchettes, gans de
Cerf, & de Dain, à franche d’or, & d’argent, baudriers
en broderie, gardes despées, fourreaux de pistolets, le
tout tiré de ses Magazins & enuoyé à son Eminence
par ses Commis l’Abbé Mondini & Theuenini, & puis
dites que le grand Iules ne vaut pas bien le grand Armand.

 

De Compiegne duAoust

Le sieur Vialard est arriué icy deux iours apres les
Courriers du Parlement d’Aix, & du sieur d’Estampes,
il asseure du bon estat des troupes du Comte d’Alaix
qu’il a six mille hommes de pied effectifs, douze cens
cheuaux & vn grand nombre de Gentilhommes, ce
qui a obligé le Cardinal Mazarini de changer la resolution
qui auoit esté prise dans le Conseil d’enuoyer vne
Declaration conforme aux articles arrestez entre le
Parlement de Prouence & le sieur d’Estampes.

L’on a long-temps refusé à Monsieur le Duc de Beaufort
la permission qu’il demandoit d’aller rendre ses respects
à leurs Maiesté, le Cardinal Mazarin vouloit qu’il
commençast par luy, rendre ses soumissiõs, & tesmoignoit
en aparence tant de fermeté pour cela qu’il declara
à Monsieur de Vendosme & au Mareschal d’Estré,
que s’il se presentoit au Roy & à la Reyne auparauant

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que de l’auoir veu chez luy il le feroit arrester prisonnier,
mais il n’a pas tenu sa colere, & a eu assez de bonté
pour souffrir patiemment que mondit Sieur de
Beaufort eust permission de s’aquiter de son deuoir enuers
le Roy & la Reyne sans luy rendre aucune ciuilité.
Son Altesse Royale, Monsieur le Prince de Condé &
Monsieur son Frere ont fait resoudre le retour du Roy
à Paris n’onobstant la resistance que le Cardinal Mazarin
y aportoit.

 

De Paris duAoust

Le Roy a enuoyé des lettres de cachet à toutes les
Compagnies souueraines de cette ville pour leur donner
aduis de son retour. Nos Bourgeois en tesmoignent
vne ioye extraordinaire, & donnent des benedictions
aux Princes qui luy procurent ce bon heur. Le
Cardinal Mazarin pour diminuer le ressentiment des
peuples enuers Monsieur le Prince qui a beaucoup contribué
à faire prendre cette resolution, fait dire icy par
ses emissaires qu’il a esté seul autheur des troubles qui
ont fait absenter si long temps sa Maiesté de cette ville,
ces bruits ne font aucune impression sur nos esprits,
sçachant, biẽ que c’estoit la querelle particuliere du Cardinal
Mazarin, que ce Prince combattoit à regret contre
nous, qu’il a espargné nostre sang autant qu’il a peu,
& qu’il a fait faire la paix le plutost qu’il luy a esté possible.
Le Prince de Conty s’est aussi trouué dans le Conseil,
& continuant la bonne volonté pour cette ville a
fortement apuyé les sentimens de son Altesse Royale,
& de Monsieur le Prince son Frere, de sorte que le Cardinal

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Mazarini n’a peu resister aux bonnes resolutions
de ces Princes si bien intentionnez. Le Premier President
& le President de Mesmes auoient conseillé la
Reyne de faire entrer le Roy à cheual afin de donner à
nos Bourgeois la satisfaction, de voir à plaisir vn Prince
de si bonne grace, si bien fait, si aymé, & qui donne de
si grandes esperances. Ils l’auoient aussi priee de trouuer
bon que la ville luy fist vne superbe entrée pour tesmoigner
sa ioye, mais le Cardinal Mazarini s’y est absolument
opposé, & a voulu tenir sa Maiesté en carosse, aupres
de sa chere personne pour estre en plus grande seureté.

 

Nouuelles sont venuës que le sieur de Lionne est retourné
de Valenciennes à Compiegne auec peu de
satisfaction du Comte de Pengneranda qui fait difficulté
de traiter de paix auec le Cardinal Mazarini, si decrie
pour son manque de foy & deparole. Il fait supplier
le Roy par Monsieur le Nunce, & Monsieur l’Ambassadeur
de Venise residens en cette Cour, de vouloir
employer conformement à la Declaration du mois de
Mars dernier des personnes de son conseil de probité &
reputation auec quelques deputez du Parlement, pour
faciliter la conclusion & la ratification du traité, qui autrement
receuroit beaucoup d’obstacles s’il estoit negotié
par ce Ministre ou par ses creatures, dont la fidelité
est suspecte à tous les gens de bien.

Le ieune Lescot Marchand Ioüaillier est de retour de
Lisbonne d’où il a aporté pour huit cens mil liures de
diamants au Cardinal Mazarini pour entretenir le commerce

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qu’il en fait faire par le nommé Mondini & ses
autres facteurs taut ecclesiastiques que seculiers.

 

Le sieur Abel Seruient cy deuaut plenipotentiaire à
Munster tres persuadé de la force de son eloquence, &
iugeant fauorablement de l’importance de ses dernieres
negotiations, public par tout qu’il a rafermy le Cardinal
Mazarin dans son trône par l’heureux succez des
traitez qu’il pretend auoir fait auec les ennemis de son
Eminence, & qu’a luy seul apartient l’honneur de la resolution
qu’on a en fin prise de ramener le Roy à Paris.
En effect chaqu’vn sçait que le sentiment de Monsieur
le Duc d’Orleans, ni celuy de Monsieur le Prince n’ont
point esté considerez en ce rencontre, & que son Eminence
ne fit aucune reflexion sur la protestation dont
ils accõpagnerent leur aduis en le declarant à la Reyne.
Dans cette plaisante imagination, ledit sieur Abel Seruien
a mis luy mesme le prix à ce grand seruice qu’il se
vante d’auoir rendu à l’Estat, & a declaré sa pretention
pour les seaux ou du moins pour la surintendanee, sans
toutefois renoncer à la charge de Monsieur le Tellier
qu’il regarde tousiours comme sienne bien qu’il en aye
esté recompensé deux fois. Si l’on ne le satisfait promptement,
il est à craindre, comme il est fort depité qu’il
ne s’en aille aux eaux & ne retire sa puisante main qui
sourient la fortune de son Eminence, puis que deuiendrez
vous pauure Iules.

L’on doit tenir icy vn grand Conseil de conscience
pour trouuer les moyens de separer l’Archeuesché d’Aix
en neuf ou dix portions, afin de pouuoir satisfaire vn

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pareil nombre d’Italiens, sans compter l’Euesque de Lauor,
& l’Abbé de Rie, ausquels le Cardinal Mazarin l’a
tres liberalement promis. L’on dit que le Cardinal
Grimaldiou Bentiuoglio aura de grace & par preference,
la yille d’Aix, les autres seront partagez esgalement,
voulans tous auoir part à ce d’émembrement, & eucun
d’eux n’estans content de l’excuse du Cardinal Mazarin
qui leur a dit qu’il n’est pas esclaue de sa parole.

 

dix huictiesme du mois d’Aoust leurs Majestez tres
Chrestiennes firent leur entrée en cette ville. Le peuple
les receut auec des accalamations extraordinaires,
& temoigna tant de respect pour la personne du Roy,
qu’il dissimula en sa presẽce vne partie de la haine, qu’il
conserue tousiours pour le Cardinal Mazarin. La ieunesse
de nostre Prince, ne luy empescha pas de cognoistre
la grande affection de ses bons suiets, & on remarque
qu’il dit estant arriué dans le Pallais Royal, accompagné
des vœux & des cris de ioye des Habitans de sa
bonne ville, qu’il n’auoit iamais receu tant de satisfaction,
qu’on auoit eu grand sort de luy donner de mauuaises
impressions de leur fidelité, & qu’vne autrefois il
ne se laisseroit pas enleuer pour leur faire la guerre. Le
Cardinal Mazarini auoit l’honneur d’estre dans le car,
rosse de sa Maiesté auec toute la maison Royalle, à l’exception
de Monsieur le Prince de Conty qui se trouua
ce mesme iour indisposé.

Cette ioye si publique qui a contnué plusieurs iours &
plusieurs nuicts dans Paris, fait assez cognoistre l’imprudence
de ce Ministre, de s’estre si long-temps opposé

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au retour du Roy qui eust restabli la confiance &
empesché les desordres qui sont suruenus dans les Prouinces,
pendant son absence : mais il est difficile de
vaincre sa peur naturelle, qui le saisit aux occasions les
plus importantes ; la bonté que la Reyne a pour luy, la
protection que son Altesse Royalle luy promit en ce
rencontre, la valeur de Monsieur le Prince qui estoit à
ses costés ne peurent l’assurer, il fallut encore negotier
quelques iours auparauant auec les Bateliers, & achepter
d’eux la paix, encores ne fut il pas satisfait de la
promesse qu’ils firent d’oublier tout le passé, pourueu
qu’il voulut mieux viure à l’auenir : il luy fallut des
ostages & en nombre considerable qui luy furent presentés
au Bourget. Ce ne fut pas encores assez, il leur fit
renouueller leur parolle en presence de leurs Maiestés.
Veritablement apres vne Declaration si fauorable, son
cœur se deferra, il ne put contenir sa ioye ; les embrassa
auec tendresse leur frapa dans la main, & pour gagner
leur confiance, & les preparer à ses persuasions, il leur
fit vne ample distribution de Louys d’or, Puis les entretins
d’assaires d’estat leur parla de ses negotiations, & les
voulut faire iuges de sa conduite passée Leur facilité
à receuoir ses presens, & le peu de contradiction qu’ils
apporterent à ses puissantes considerations politiques,
appuiées d’vn raisonnement esleué, & confirmées par
l’authorité de Machiauel cité tres a propos à ces dignes
Auditeurs, luy fit esperer qu’il pourroit auec le remps
les gagner & les mettre de son costé. Pour s’insinuer
dauantage dans leurs esprits, il leur fit cognoistre auec

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beaucoup d’adresse de quelle consideration ils estoient
à l’Estat pour l’vnion & les forces d’vn corps si considerable.
Il s’enquit en suite s’ils n’auoient point quelques
interests particuliers, & apprenant de leur bouche
leur grande contestation auec les Tonneliers, il declara
aussi tost qu’il s’en rendoit iuge auec obligation de
condamner ses derniers comme les plus foibles & les
moins à craindre : enfin il se separa d’eux auec beaucoup
de ciuilité, les reconduisit iusques hors de sa
chambre, disant tout haut qu’ils estoient deputés d’vn
corps ausquels cét honneur estois d’eu.

 

Le 29. du mois le Cardinal Mazarini mena le Roy
à Challiot pour auoir le diuertissement du ieu de loye
que les Bateliers luy donnerent sur la riuiere ; Sa Maiesté
estoit sur les terrasses du dernier iardin qui regarde
sur l’eau, & se faisoit admirer d’vn nombre infiny de
peuples qui ne pouuoient se lasser de la contemplérer :
mais ils furent scandalisez & eurent peine de souffrir
le Cardinal Mazarini proche de sa personne appuyé sur
le mesme balustre, faisant le beau, radoucissant son visage
de rose, parlant couuert à son Maistre, badinant
auec luy, luy prenant ses mains Royalles, & les meslant
auec les siennes, villaines, impures & complices de ses
ordures. corps ausquel cét honneur estois d’eu

Le corps des Tonneliers ayant sçeu la Declaration
que cet arbitre equitable auoit fait en faueur des Bateliers ;
par cette seule consideration qu’ils estoient les
plus forts & les plus entreprenans à fait vnion auec les
Crocheteurs & Portechaires, ils firent hier leur reueuë

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& se sont trouuez plus de douze mil tous capables
de iouer du pic & du crocq, ce qu’ils ont fait sçauoir
au Cardinal Mazarini, auparauant qu’il iugeast de
leur differend auec les Batelliers : l’on ne doute plus
qu’il ne se declare pour les derniers qui sont les plus
forts, si ce n’est qu’a son ordinaire il veille negotier
& se rendre mediateur entre des personnes si considerables
à l’Estat. Le sieur Sainctot Ambassadeur du
Cardinal Mazarin au Royaume des hales, y a esté enuoyé
pour faire vne alliance offensiue & deffensiue, entre
ces peuple & son Eminence. Il ny a pas trouué la
facilité qu’il s’estoit promis, n’ayant pû obtenir d’eux
qu’vne trefue, pendant quelques mois, & encor ç’a esté
à condition qu’on leur osteroit les taxes qu’on auoit
mis sur les boutiques de leur Cité.

 

Le Ministre Mazarin est tellement effrayé de la proposition
que Messieurs des Enquestes ont fait d’assembler
les Chambre, pour ouurir les lettres qu’ils ent receu
de Messieurs des Parlemens de Bordeaux & de Prouence,
que ried ne le sçauroit plus rasseurer Le reptoche
de sa cõscience, sa peur & uaturelle deffience ne luy permettant
pas de croire que l’on se contentera de faire des
remonstrances en faueur de ses Prouinces & Patlemeds
si iniustement persecutez.

Les dernieres lettres qu’on a receu de Prouence portent
que Monsieur le Comte d’Alais, a defferé aux
prieres que Monsieur le Prince luy a fait, de donner la
paix à cette Prouince, & que pour luy tesmoigner ses
respects, il n’a pas voulu porter la ville d’Aix & le Parlement
dans le dernier desespoir, quoy que le Cardinal

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Mazarin luy fit cognoistre qu’il importoit, au seruice
du Roy & à sa satisfaction particuliere de faire vn exemple
sanglant de cette ville & de ses Senateurs, pour intimider
les autres Compagnies souueraines, & les mettre
hors d’estat d’oser plus s’opposer à ses desseins.
Il fait reuenir en Guienne les Troupes de Monsieur le
Comte d’Alais, pour les ioindre à celles du Duc d’Espernon,
& le rendre maistre de cette Prouince, afin
de meriter l’alliance de ce Gouuerneur, par la passion
qu’il tesmoigne pour luy, contre le bien du seruice du
Roy & de l’Estat, & faire cognoistre que ses amis particuliers,
ressentent de plus puissans effets de sa protection
que ceux qui reclament l’authorité du Roy, & la
faueur de Monsieur le Prince comme a fait Monsieur le
Comte d’Alaix.

 

Le Cardinal Mazarini pour auoir pretexte de bannir
Monsieur le Duc de Beaufort du Palais Royal, & le rendre
criminel dans l’esprit de la Reine, tesmoignoit souhaitter
que sa Maiesté luy ordonnast, de saluer en sa
presence ce Ministre, & qu’il promit de dissimuler le
ressentiment du mauuais traitement qu’il a receu de luy,
mais comme il n’auoit autre intention que de luy faire
mettre vne desobeyssance, & qu’il esperoit par ce
moyen, auoir vne nouuelle occasion de luy rendre de
mauuais office, & ainsi aduancer sa perte, il a esté surpris,
sçachant que ledit sieur Duc de Beaufort estoit resolu
de ne pas contester en presence de sa Maiesté, &
qu’il vouloit luy tesmoiger en cette occasion ses respects
& son obeyssance ce qui a fait que ledit Cardinal
Mazarin ne s’est plus voulu contenter de cette ciuilité,

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& que par vne nouuelle pretention il a demandé
qu’il vinst en sa maison luy faire hommage, protester
de son seruice, renoncer à ses amis qu’on veut opprimer,
abandonner le public, recognoistre pour iustes
toutes les violentes poursuites qu’il a fait contre luy, &
se declarer coupable de tous les crimes dont il a calomnié
son innocence e reçoit de la paix d’Allemagne.

 

Ledit sieur Duc de Beaufort espere que sa Maiesté
n’approuuera pas que le Cardinal Mazarin, qui l’a detenu
iniustement cinq ans durant prisonnier, qui a voulu
corrompre des tesmoins pour le faire perir honteusement,
qui a consulté les premiers de la robe pour l’instruction
de son procez, triomphe encor de sa reputation,
& le force a luy rendre des soumissions si indignes
d’vn Prince de sa naissance, il croit de la bonté de la Reine
que le soin qu’il prend de conseruer son honneur ne
laissera aucunes mauuaises impressions dans l’esprit de sa
Maiesté de son affection au seruice du Roy, estant tres-persuadé,
que les meilleurs & plus fidelles sujets s’atachent
directement aux personnes de leurs Maiestés, &
n’onr autres interests que leur grandeur, leurs aduantages,
& le bien de leur Estar.

Le Cardinal Mazarin a vendu si grand nõbre de passeports
pour faire passer des blez dans le pays estranger,
que le prix en est extremement augmenté dont le pauure
peuple commence à soufrir beaucoup. Son Eminence
s’en console comme des autres miseres publiques,
considerant le profit & l’auantages qu’elle tire de
cet honteux commerce, & esperant qu’elle appaisera
les plaintes de cet miserables, en les repaissant de ces

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vaines illusions & spectacles publics, par le moyen desquels
elle tasche d’achepter leur seruitude & l’opression
de la liberté, ils ne laissent pas neantmoins de se
plaindre de la disete & des autres maux que l’auarice de
ce Ministre leurs fait endurer.

 

D’AmsterdamceSeptembre

Le Duc de Bauiere ayant obtenu du Cardinal Mazarin
il y a plus de deux mois, que le Roy tres Chrestien
ne donneroit aucun secours à la ville de Liege, & laisseroit
opprimer la faction Françoise qui y estoit la plus
forte a engagé Monsieur l’Electeur de Cologne son frere
de l’assieger, ce qui luy a tellement reussi qu’il s’en est
rendu maistre, establi des Bourg mestres & Magistrats
qui tiennent le party d’Espagne, & ruiné les iustes esperances
qu’on auoit d’engager tout a fait cette Principauté
dans le party de la France. La prise de cette ville
& celle de Treues qui fut enleuée il y a quelque temps
à son Electeurs qui est sous la protection de sa Maiesté
tres Chrestienne, font cognoistre le peu de soin qu’on
à des alliés de cette couronne, & le desaduantage qu’el-
reçoit de la paix d’Allemagne.

Il est icy arriué cette semaine plusieurs vaisseaux des
Indes, entre les autres richesses dõt le bon voilier estoit
chargé, il a apporté vne douzaine de Singes, les plus
beaux & les plus rares, qu’on aye encor veu en ces quartiers.
Le Cardinal Mazarin les a fait venir pour les mettre
en sa garderobe & ses antichambres, affin de diuertir
ceux qui luy font la cour, & iuger par la ciuilité & bon
traitement qu’ils feront à ces animaux fauoris de son
Eminence de l’affection qu’ils ont pour son seruice.

A Amsterdam ce Septembre chez Iean Sausonius.

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Fouquet de Croissy, Antoine [?] [1649], LE COVRRIER DV TEMPS APPORTANT CE QVI SE passe de plus secret en la Cour des Princes de l’Europe. , françaisRéférence RIM : M0_825. Cote locale : C_1_47.