Anonyme [1652], REQVESTE DES PEVPLES de France, Affligez des Presens troubles, A NOSSEIGNEVRS de la Cour de Parlement, Sceant à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_3490. Cote locale : B_19_11.
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REQVESTE
DES PEVPLES
de France, Affligez des Presens troubles,
A NOSSEIGNEVRS
de la Cour de Parlement,
Sceant à Paris.

M. DC. LII.

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REQVESTE DES PEVPLES
de France, affligez des presens troubles, à
Nosseigneurs de la Cour de Parlement Seant
à Paris.

Comme tous les membres du corps s’entre-aydent
naturellement à se guerir de leurs maladies,
& que le feu s’estant pris à vne maison, tous
ceux qui en sont acourent pour l’esteindre ; ainsi l’authorité
Royale estant attaquée comme elle est
maintenant, auec tant d’excez & de scandale, tous
les Sujets du Roy indiferemment sont obligez de
s’armer pour la deffendre, in Crimine Maiestati omnis
homo miles.

QV’IL vous plaise donc, Nosseigneurs, de remarquer
icy deux considerations tres-importantes au
bien public des affaires, à l’acquit de vos Charges,
& au repos de la France. La premiere & generale
vous fera souuenir, que si vostre Office vous donne
droit d’estre Mediateurs entre le Souuerain & le peuple,
& d’estre vn nœu sacré qui les vnisse & les allie
estroitement ensemble, vous estes beaucoup plus
inferieurs à l’vn, que Superieurs à l’autre.

Que la Monarchie à deuancé de prés de neuf Siecles,
l’Institution du Parlement tel qu’il est à cette
heure. Que l’authorité de cet Auguste Corps n’est
ny premiere, ny absoluë, ny independante : Mais
qu’elle est seulement empruntée, limitée, & soumise
à vn plus haut ressort. Que les Roys de France

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sont les seuls Peres veritables, & les seuls Iuges
Souuerains de leurs Sujets. Que pour cette raison
leurs Vassaux leur prestent le serment de fidelité,
& leur rendent vne parfaite & religieuse obeїssance.
Que comme le rayon deriue du Soleil, & n’a de clarté
que celle qui luy vient de ce Roy des Astres ; ainsi
vostre puissance decoule toute entiere de celle du
Monarque, selon l’aueu syncere que vous auez fait
vous mesmes depuis peu, dans la derniere de vos
Remonstrances contre le Cardinal Mazarin.

 

Ce qui nous fait bien voir, que comme vn ruisseau
se tariroit luy-mesme, s’il épuissoit la source qui luy
donne la naissance ; ainsi vostre authorité se perdroit
enfin, & se détruiroit infailliblement elle mesme, si
elle entreprenoit de ruïner celle du Roy dont elle
tire son principe. Que si les Roys vous ont fait l’honneur
de vous reuestir de l’éclat de leur pourpre, ils
n’ont iamais eu l’intention de s’en despoüiller eux
mesmes, & s’il leur a plû de vous laisser vne partie assés
considerable de leur authorité, ils n’ont iamais
pensé à vous associer à la Majesté de l’Empire, qui
reside originairement & incommunicablement en
leur personne sacrée.

Que l’establissement, la distinction & la multiplication
des Administrateurs de la Iustice, la prouision
de vos Offices, le Serment de fidelité, le Marc d’or,
le droit Annuel, le rachapt de la Polete, les Euocations
du moins en certains cas, les lettres de Iussion,
le retrecissement, ou l’estenduë de vostre Iurisdiction
à telles matieres, ou à telles personnes qu’il
plaist à sa Majesté : Les termes mesmes dont vos Arrests

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sont conceus & signifiez DE PAR LE
ROY ; marquent assés euidemment les iustes limites
de vostre pouuoir, & la soumission en laquelle
vous deuez demeurer.

 

Que l’authorité de Roy & celle de Iuge estant
deux choses inseparables, le Roy se seruant de vous
comme de l’vn des doigts de sa main de Iustice, il
ne la quite non plus que son Sceptre & son Espée,
quand il en donne la garde & l’vsage à son Connestable.
Qu’il n’appartient nullement aux Subalternes
de trancher de Souuerain : & qu’il n’y a que le
Prince qui puisse dire auec authorité absoluё TEL
EST NOSTRE PLAISIR.

Que le nom de Parlement dans sa premiere Institution
n’apartient qu’aux Estats Generaux, composez
des Ordres du Royaume. Qu’il n’a esté reserué à
vostre Illustre Corps, que pour le soulagement des
Princes & des Sujets, afin que la Iustice fust renduё
& plus promptement, & plus facilement.

Que l’autre Tiltre qui rend vos Arrests solennels,
est celuy de la Cour, parce que vous deués marcher
auec & apres le Prince, qui la reunit en sa personne ;
les Aigles se trouuant tousiours où est le corps, & le
corps à moins que de faire vn monstre, ne subsistant
que par l’vniõ auec son Chef. Que toute l’Authorité
enfermée sous ces deux noms, se borne dans les Arrests
pour la Iustice contentieuse : & dans les Remonstrances,
pour les Edits du Souuerain. Qu’on
n’en peut prerendre dauantage sans vsurpation. Que
les depositaires d’vne chose n’en sont pas les proprietaires,
& que quand vous seriez les Tuteurs du pupille,

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vous n’en seriez pas les peres pour cela.

 

Que la vente des charges, dont l’abus augmente
à l’infiny, ne vous donne pas plus de droit que quãd
elles se donnoient au pur merite, par commission,
par choix & Election gratuite, & pour les exercer
autant de temps qu’il plairoit au Roy, ce qui depend
encore du bon plaisir seul de sa Majesté. Que les enfans
qui sont entrez en la place de leurs peres, ne se
peuuent attribuer vne plus grande iurisdiction, que
celle qu’ils ont receuё par droit d’heredité.

Que de se figurer que l’authorité souueraine residast
toute entiere en Nosseigneurs du Parlement, ce
seroit vne vision d’vn esprit malade, & vne folie toute
pure Nous auous apris dés le berceau & succé
auec le laict cette veritable maxime, que le poinct
qui ferme la Couronne de France est indiuisible.
Que les Roys ne doiuent, & mesme ne peuuent partager
le droit & la gloire de l’Empire auec qui que ce
soit. Outre que l’entreprise du contraire choqueroit
directement la Majesté du Prince ; ce seroit vn larcin
commis sur les autres Ordres du Royaume, & vn déreglement
prodigieux, qui offenceroit aussi tous les
autres Parlemens.

L’authorité politique est estenduё en tout le corps
de l’Estat, en telle sorte qu’elle ne laisse pas d’estre
recueillie dans le Chef, comme tous les sens ont leur
siege dans la teste. C’est cette partie maistresse &
Reyne de toutes les autres, qui en possede seule la
perfection & la plenitude. On a eu recours à l’assemblée
des Estats Generaux dans les necessitez, ou
dans les occasions extraordinaires, comme au temps

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de Charles Martel, de Hugues Capet, du Roy Iean,
de François premier, & en d’autres semblables occurrences.
Mais qui s’imagina iamais que le premier
& le second Ordre de ce Royaume Tres-Chrestien,
n’eussent aucune part à la direction & à la conduite
des affaires publiques.

 

Nosseigneurs du Clergé sont trop jaloux de leurs
priuileges, & du rang qui leur est deu par la Sainteté
de leur Caractere ; pour vouloir estre exclus des communs
soins de la Patrie, ou n’y estre appellez que
pour occuper la derniere place. Cette genereuse
Noblesse à l’amour des fleurs de Lys empreint trop
auant dans son illustre sang, pour abandonner la
plus riche sucession de leur Ancestres.

Les Parlemens ne sont ny le Total, ny le principal.
Ils tiennent lieu seulement dans le Tiers. Celuy de
Paris, par ses lettres circulaires, confesse que les autres
doiuent au moins luy estre associez, comme ils
partagent auec luy vne mesme authorité. Ce sont
dix freres d’vn mesme pere & d’vne mesme mere,
qui sont le Roy & la France, qui ne meurent iamais.
L’aisné pour auoir vne portion plus grande, n’exclut
pas entierement les Puisnez.

Mais quand on les verroit tous assemblez en vn
mesme Corps, leur authorité seroit tousiours empruntée
& limitée. Elle seroit tousiours soumise à
celle du Roy : Elle seroit tousiours relatiue à celle
des Estats Generaux : Elle ne feroit au plus qu’vn
tiers ; Nosseigneurs mesmes ne niant pas que le
Clergé & la Noblesse, ne soient les deux premieres
parties.

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Nous voyons mesme par la genereuse responce
des vns, & par le discret silence des autres, que tous
ces Parlemens ne s’accordent pas tousiours en mesme
sentiment. Que ne considerant la Politique
que comme vn obiet hors de leur Sphere, à Paris on
l’enuisage d’vne façon, & par tout ailleurs on la regarde
d’vne autre, ce qui fait aussi que vos iugemens
les plus esclatans & les plus solennels, bien loin d’estre
suiuis, se trouuent quelquefois directement
choquez & combatus par des Iugemens contraires
des autres Cours du Royaume. Et en effet quelle
ceremonie, & quelle pompe n’auez vous pas apporté
à l’Arrest celebre, & inoüy iusqu’à cette heure,
par lequel vous auez declaré Monseigneur le
Duc d’Orleans Lieutenant General de la France, &
donné sous son Altesse Royale le commandement
des Armées à Monseigneur le Prince ; Et cependant
nous auons veu que cette nouueauté a parû si
illegitime à tous les autres Parlemens du Royaume,
qu’au lieu de l’approuuer comme vous l’esperiez, ils
l’ont rejettée d’vn commun accord, & defendu rigoureusement
de la reconnoistre en l’estenduё de
leur resors, en quoy celuy de Toulouse mesme à tesmoigné
vne fermeté si grande, que bien que cet
honneur de la Lieutenance General fut apparemment
tres-auantageux à son Gouuerneur qui l’auoit
accepté, Il n’a pas laissé de le condamner comme
vne entreprise detestable, & de declarer ceux qui
l’auroit appuyée ou fauorisée criminels de leze Majesté,
toutes ces Compagnies & toutes ces Cours
non moins souueraines que la vostre, nous faisant

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connoistre dans cette rencontre, que vos intentions
& vos ordres bien souuent ne sont pas la regle de
leurs iugemens, mais la matiere de leurs censures.

 

Que si l’inexperience, la solicitation, le tumulte :
Et si on n’ose parler auec le vulgaire deuant Nosseigneurs,
si la fronde n’auoit pris comme elle a fait le
plus haut ton ; l’âge, la sagesse, l’authorité & les lumieres
de la vraye prudence, n’eussent pas manqué
de se declarer en faueur de la Iustice & de la verité.
Le nombre, graces à Dieu, est assés grand, & la qualité
encore plus remarquable de ceux qui confessent
que se separer de l’authorité Royale c’est se perdre,
& qu’il n’y a point de Paix de Ministere, de Gouuernement
ny de condition, qui ne doiuent estre preferées
à toute sorte de Guerre Ciuile.

Et c’est, Nosseigneurs, la seconde reflexion particuliere,
que l’on vous remõstre en tout respect, auec
la soumission d’euё à la Cour, sçauoir l’estat miserable
sous lequel nous gemissons ; esperans que vostre
bonté & vostre vigilence trauailleront desormais à la
guerison de nos maux, puis que vous n’en pouuez
ignorer la cause. A la verité, toute la France, & mesme
toute l’Europe s’estonne d’vn changement si
soudain, & d’vne conduite si estrange.

Nous autres gens simples & pacifiques, auons
bien de la peine à deuiner qui c’est qui a noircy la
blancheur des Lys, & qui a meurtry l’esclat de l’or ?
Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus ?
Le Cardinal Naturalisé François par son humeur,
par sa vertu, par son merite, par vos Arrests : par le
choix & par les emplois tres illustres & tres auantageux

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au bien de ce Royaume, dont le deffunct Roy
Louys XIII. d’heureuse memoire l’a honnoré, n’est
pas autre qu’il estoit, quand vous auez veu son Administration
toute rẽplie de bon heur & de sagesse,
& accompagnée d’vne foule de succez extraordinaires
& admirables, tandis qu’on luy a laissé la liberté
d’agir, & que chacun est demeuré dans les fonctions
& dans les limites de sa Charge ; nous auons raison de
vous demander, Nosseigneurs, d’où vient le changement
de nostre fortune, & la cause de nos disgraces ?

 

Comme les peuples doiuent respect à vos Charges,
& obeissance à vos Arrests, parce qu’il portent
le caractere Royal ; vous deuez par vne obligation
reciproque soulagement à leurs miseres, & instruction
à leur ignorance. Et veritablement nous ne
conceuons pas bien que vous ayez la balance en
main, pour ne la faire pencher qu’où il vous plain
Vous ne voudriez pas n’estre assis sur les Fleurs de
Lys, que pour les fouler & pour les flestrir. On a paine
à se figurer qu’estant les gardes & les depositaires
de l’autorité Royal, quelques vns paroissent agir
comme feroient des Vsurpateurs. Qu’ayant de vous
mesme pris la qualité de Tuteurs de la Veufue & de
l’Orphelin, vous procuriez, ou n’empeschiez pas
leur oppression. Que deuant estre non pas les Maistres
& les Capitaines ; mais les sages Pilotes de nostre
nauire ; vous n’ayez pas preueu la tempeste, ou
que l’ayant preueuё vous ne l’apaisiez pas, ou qu’au
moins ne la pouuant calmer, vous ne caliez pas les
voiles, pour diminuer d’autant la fureur de l’orage.

Qu’estant Curateur du bien public, vous ne vous

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soyez apperçeus qu’il estoit blessé ; Que quand vos
interests ont esté choquez par vn Edit du Roy, qui
n’auoit rien d’extraordinaire, & que vous auez cru
la saison fauorable pour accroistre vostre authorité.
Que le droit des remonstrances ne vous estant point
osté, vous ayez passé cette ligne qui fait la separation
entre le Trône & le Tribunal.

 

C’est la
Polette.

Mais à n’en point mentir nous pensons voir des
ombres ou des songes, quand nous voyons ce que
nous ne pouuons encore croire en le voyant. Ce que
nos Peres n’ont iamais veu, & ce que ceux qui viendront
apres nous auront peine à croire. Que cet Auguste
Parlement ait seruy de Theatre à la faction,
qu’elle y ait changé aussi souuent de face qu’on feroit
en vne Comedie. Que la Ieunesse, ou la violence
y ait fait prendre des conclusions tumultuaires.
Que la Religion & l’integrité de la Cour se soit laissée
surprendre iusques là, que d’approuuer le Recours
aux Espagnols, des voyages en Flandres, &
l’entrée de leur Enuoyez en vos Assemblées. Que
tant d’artifices, d’intrigues, & de souplesses ayent
esté ou ignorées, ou plustost dissimulées. Qu’apres
la conclusion du traitté de paix, & vne Amnistie generale
de tous costez, on se soit encores laissé fascisner
par les mesmes enchantemens, & les mesmes
pretextes de l’aministration du Cardinal.

Que les voyages de Normandie & de Bourgogne,
qui nous ont parû des torrens de conquestes, la leuée
inesperée du siege de Guyse, suiuie peu apres
de la reduction de Bourdeaux, & du pacifiement de
la Guyenne, tant de glorieux succez qu’vne mesme

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année auoit veu naistre, couronnez, auant qu’elle
finit & comblez au cœur de l’hyuer, par la reprise de
Retel & par la defaite des Troupes ennemies qui
venoient le secourir & prendre leurs quartiers d’hyuer
dans le voisinage de Paris ; Enfin que l’esclat de
tant de seruices, n’ait fait que r’allumer, ou vostre
vangeance, ou vostre auersion contre celuy qui les
auoit rendus. Que vous ayez voulu que le bon heur
d’auoir chassé les Ennemis du Royaume, vous fut
vne raison de l’en chasser luy mesme. Que vous luy
ayez declaré la Guerre, pour auoir donné la Paix, &
le calme à tout l’estat, & qu’afin disiez vous, d’affermir
ce calme & cette paix, vous ayez entre pris de
forcer le Roy, & de luy oster la liberté, pour le faire
consentir à celle d’vn grand Prince, qui n’en deuoit
vser, que pour nous la rauir, & pour nous rendre esclaues
de l’Espagne. Quel mystere est celuy-cy,
Nosseigneurs, pour empescher la Guerre vous la renouuellez,
pour establir la Paix vous bannissez celuy
qui venoit de la faire dans le Royaume, pour estre
suiuie aussi tost de la generale, & deliurez celuy qui
la deuoit rompre, au mesme temps que les chaisnes
de sa prison, en appellant, & en attirant comme il
a fait de tous costez, les Ennemis les plus implacables
de la France, pour la mettre en proye, & pour
l’abandonner à leur fureur.

 

Mais ce qui sur passe toute creance, c’est que la Iustice
cesse d’estre Iustice pour le seul Cardinal Mazarin.
Que lon bouche les oreilles à la voix de son
Innocence, ou de sa Iustification. Qu’on ouure des
voyes pleines de nouueauté & de cruauté, pour le

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rendre coupable. Si Nosseigneurs, vous ne voyez
pas la collusion des Princes, & le trafic des Grands,
la Iustice a bien plus d’vn voile sur les yeux. Si reconnoissant
fort bien que sous le nom & le pretexte
du Cardinal, on vise directement à la Reyne, & on
attaque mortellement l’authorité du Roy, vous le
souffrez ; à qui est-ce desormais que les oppressez
doiuent recourir ? Si vostre zele n’enuisageoit que le
bien public, & le soulagement du pauure peuple ;
d’où vient que lon n’a rien auancé dans ces matieres,
& que lon n’en parle point du tout dans vos
assemblées ?

 

Pardonnez nous, Nosseigneurs, si nous ne pouuons
conceuoir, que vous ayez renfermé le restablissement
des affaires & le salut de toute la France,
dans l’esloignement d’vn seul homme. S’il est coupable
du moindre des crimes dont l’acusent les Colporteurs
du Pont neuf, vos Arrests sont infiniment
trop doux. S’il est innocent, ils tiennent autant de
la rigueur que de l’iniustice. Soit qu’il soit Coupable
ou Innocent, qui ne s’estonnera qu’en le iugeãt vous
n’ayez gardé ny la competance, ny l’ordre, ny les
formes de la Iustice ; donnant contre luy cet Arrest
sans exemple qui met sa teste à prix, qui le rend la
victime de la plus sanguinaire barbarie, & fait également
horreur à la Religion & à l’Estat ?

Falloit-il à la honte de nostre siecle voir éclore de
vos bouches & de vos mains vn monstre semblable
à celuy-là ? que vous detestez vous mesmes au fonds
de vos consciences ?

S’il y a de l’horreur en cette entreprise, il n’y a

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pas moins de honte dans la vente d’vne Bibliotheque
qui ne pouuoit estre qu’innocente Au moins
si ce rare ouurage recueilly si curieusement des deux
parties du monde, auoit esté confisqué en faueur du
public. Au moins si la distraction en auoit esté faite
par des voyes legitimes & honnestes. Au moins si
les Vendeurs publics n’auoient pas esté les acheteurs
particuliers. Au moins si l’employ des deniers
ne marquoit pas, ou vne auarice sordide, ou vne
mesquinerie infame, ou vne lache vengeance.

 

Les Commissaires
à
la vente
des liures
en a chetoient
eux-mesmes.

Et icy, Nosseigneurs, permetez nous de vous declarer
auec ingenuité, que bien souuent on nous
fait vne demande qu’il nous est tres malaisé, & comme
impossible de resoudre, sans blesser ou la reputation,
ou la dignité de vostre illustre Compagnie.
Representez vous, nous dit on, qu’vn homme &
mesme vn estranger ayant dessein de releuer la gloire
de ce grand Royaume, aussi-bien par celles des
sciences, & des beaux Arts, que par celle des conquestes
& des victoires ; ait enuoyé dans les lieux
les plus esloignez du monde, pour y rechercher &
pour y recueillir à quelque prix que ce pût estre, les
plus riches Monumens de l’antiquité, & les faire
transporter dans la celebre ville de Paris : Qu’à ce
dessein il ait amployé dans les paїs estranges le credit
que luy donnoient le rang qu’il tenoit, & le poste
releué qu’il occupoit aupres d’vn grand Monarque
triomphant par tout de ses ennemis. Qu’ayant commencé
cet ouurage dans Rome sa Patrie, il en ait
despoüillé sa propre Patrie pour en enrichir & orner
la France. Qu’il ait assemblé auec tant de soins

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& de despense, vn prodigieux & incomparable
amas de volumes de toute sorte, pour repaistre la
curiosité loüable des Sçauans. Que pour entretenir
ce Tresor de Liures inestimable & infiny, il ait assigné
vn fonds considerable sur ses propres benefices.
Qu’en ayant destiné, & voüé l’vsage au public, il
ait voulu le metre sous la protection de la Cour des
Pairs & du premier Parlement du Royaume : Et
toutefois que de ce rare ornement de la France, de
cette source inepuisable de toutes les bõnes & belles
choses, le mesme Parlement, qui en deuoit estre
le defenseur & le garde, en ait fait vn prix pour acheter
la teste, ou pour payer l’assassinat de son Auteur ;
aussi bien accuse sans auoir failly que iugé sans estre
ouy, & dans le temps que l’vnique crime, qui l’auoit
soumis à vne condamnation si rigoureuse ; n’estoit
autre que l’enuie qu’il s’estoit causée par la fidelité
& par la grandeur de ses seruices.

 

54000.
volumes.

Quelle apparence, nous disent-ils, quelle teinture,
quelle ombre de Iustice, trouuez vous dans vn procedé
si estrange & si barbare ? & nous vous supplions,
Nosseigneurs, de nous faire entendre nettement,
ce qu’il faut respondre à vne question si embarassante,
que les personnes mesmes les moins intelligentes,
& les plus grossieres ne cessent de nous
faire.

Mais ce que vous deuez vous mesmes, Nosseigneurs,
souhaiter que la posterité ne croye iamais,
c’est que ce Venerable & Auguste Parlement de Paris,
ait preferé la profanation des choses saintes, le
violement, l’incendie, le rauage, le pillage, le brigandage :

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la desolation des Prouinces, des Villes &
de la Campaigne ; En fin tous les funestes effets d’vne
guerre ciuile, & le bouleuersement general de
toute la France, à la demeure d’vn homme en France,
qui en s’éloignant du Roy a plustot suiuy la moderation
de son esprit, qu’il n’a ce dé à la violence de
ses ennemis, & à la force de leurs armes. Vostre sagesse,
Nosseigneurs, a elles oublié qu’il faut tolerer
ce que l’on ne peut oster, que par des voyes toutes
pernicieuses & toutes criminelles : & que de deux
maux ineuitables vous estiez obligés de souffrir le
moindre ?

 

Mais quoy ? est. ce bien cette sage & iuste Compaignie,
qui permet & qui approuue que les Imprimeurs
de Paris n’enfantent que des Monstres : &
que les Crieurs remplissent les ruёs d’infamies, ou de
sottises ? Que les Princes & les Grands qui ont plus
d’adresse, se seruent des mains de la Iustice (qui n’en
deuroit point auoir) pour ietter la pomme de discorde,
& pour allumer & fomenter le feu de la diuision ?
Que les peuples secoüent le joug de l’obeissance,
sans preuoir qu’apres cela, comme Lyons & Taureaux,
qui ont rompu leurs attaches, ils se ietteront
sur ceux qui les gardent, & deuoreront leurs maistres ?
Tesmoin ce que l’Ormée fait à Bordeaux, &
ce que la populace a commencé de faire à Paris : où
lors qu’elle a paru, & vous a poursuiuis les armes à
la main, à la sortie de ce lieu sacré, que vous appellez
le Temple de Iustice : où lors qu’ayant bruslé la
Maison de Ville, elle la remplit du sang & du carnage
de tant d’Illustres Citoyens.

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Sont-ce bien les Protecteurs de la France, & les
Tuteurs de l’autorité Royale, qui laissent esbranler
la Couronne, sur la teste de leur legitime Monarque ?
Sont-ce ces graues Senateurs, ces Testes Sages, &
ces Courages incorruptibles, qui souffrent impunément
qu’on traite auec l’Espagnol ennemy : qu’on
reçoiue de son argent & de ses troupes : qu’on leur
donne des places de seureté : qu’on les conduise au
combat contre des armées où le Roy estoit en personne ?
Et ce qui est incroyable, & ce que les ennemis
n’auroient iamais l’audace d’entreprendre eux
mesmes, qu’on ait eu l’insolente temerité de pointer
& de tirer le Canon sur l’Oing du Seigneur, & de cõmetre
ce sacrilege, non seulement dans la ville d’Estampes,
où les rebelles auroiẽt pû rejeter leur faute
sur les Espagnols, qui estoient enfermez auec eux,
mais dans celle de Paris, où l’on a veu, chose estrange,
la Bastille, qui doit estre vn fort de l’authorité
du Roy, tonner & foudroyer contre la personne du
Roy mesme. Sont-ce ces Sages Catons, ces fameux
Maistres de la Iurisprudence, qui commettent de
continuelles Antinomies, ou criminelles, ou honteuses,
ou ridicules ?

Le blocus de Paris à assez fait connoistre la bonne
foy, de ceux qui les ont trompez pour leur argent ; &
ils si fient vne seconde fois. Cette grande ville, qui
s’accable de son propre poids, n’a desia que trop esprouué
l’humeur des Princes & des Grands ; & ils se
laissent encore bercer, & endormir au mesme bransle.
Ils sentent leurs mal, ils en voyent le remede, & ils
ne veulent pas s’en seruir. L’absence du Roy les ruїne
de fonds en comble, personne ne le nie. Sa chere

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presence seroit la ressource dans leur malheur, tout
le monde le publie hautement ; toutes fois s’ils priẽt
sa Majesté d’y venir, c’est auec des conditions, que
les esgaux n’oseroient proposer. S’ils l’inuitent de s’aprocher,
au mesme temps ils abatent les Ponts, ferment
les Passages, luy opposent des Armées, & n’õt
iamais sceu se resoudre à luy ouuir les Portes, & à le
conuier, sans exception & sans reserue, à reuenir dãs
le premier siege de son Empire, acompagné de tout
ce qu’il honore de sa biẽ veillance, & de sa protectiõ.

 

Ils ont condamné vn Prince, qui n’a rien de petit
que de s’estre lié à ce qui est moindre que luy ; & ils
l’admettent en leurs deliberations auant que d’estre
iustifié, mesmes tandis qu’il est actuellement dãs la
continuation du mal, cõtre lequel ils ont prononcé.
Ils font cõdescendre la bõté & la clemence du Roy,
à quitter les auãtages de ses armes victorieuses & du
bon droit de sa cause, pour esloigner ses armées de
dix Lieues, afin d’espargner le contour de sa bonne
ville de Paris.

Apres cela qui le pouura iamais croire ? On permet
qu’on leue des troupes dans Paris, non seulement
contre la volonté & contre le seruice du Roy ; mais
pour les employer à combatre des Armées qu’il
commande luy-mesme on trouue bon qu’elles y demeurent,
qu’elles volent, qu’elles pillent, qu’elles
viuent sur le voisinage. On voit venir des Armées
Estrangeres, qui n’ont de discipline que la licence
du pillage, de l’embrasement & du meurtre. Cependant
on s’en resiouir, on y applaudit, on souffre leurs
logemens à deux ou trois lieuёs de la mesme ville.
On est faché dequoy la sagesse & la prudence du

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Ministre à mieux aimé leur mesnager vne honorable
retraite, que de les vaincre, faisant batre les
François contre les François.

 

Voila Nosseigneurs, en toute humilité ; respect &
ingenuité, la Requeste que l’amour de la France &
de la Paix nous fait presenter aux pieds de la Iustice,
& entre les mains de vostre illustre Senat. Afin qu’il
vous plaise pour la gloire de Dieu, pour la conseruation
de l’authorité Royale, pour le bien public de
la France, pour le soulagement du pauure Peuple,
pour l’acquit de vos Charges & de vos consciences,
& pour vostre propre reputation ; Ordonner par vn
Arrest public, solemnel & irreuocable, non tel
qu’ont esté ceux que vous auez donnés, & qu’on a
par tout méprisez iusqu’à cette heure, parce, dit-on,
qu’ils venoient d’vne puissance rebelle à la puissance
Souueraine au lieu que nous voyons, que ceux
de vos Confreres retirez à Pontoise par ordre du
Roy, sont reconnus & honorez par tout le Royaume
auec vne entiere reuerence, pour cette raison
seule, que ceux qui les ont donnez sont appuyez de
l’approbation & de l’aueu de Sa Majesté, & qu’il luy
ont fait paroistre la syncerité de leurs intẽtions pour
le bien de son seruice, en se rengeant aupres de sa
personne pour obeїr à ses Ordres.

Et nous vous supplions de nous permettre, Nosseigneurs,
de faire icy vne petite digressiõ pour vous demãder
la resolution d’vne difficulté qui nous trauaille
& nous met tous depuis quelque temps en inquietude ;
car si ceux mesmes, qui se sont detachés
de vostre Corps pour s’assembler où il a plû au Roy, & auec
eux tous les autres Parlemens du Royaume, font si peu d’éstat
de vos Arrests, qu’ils ne daignent pas de les rejetter par

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d’autres tout contraires, iusques là que celuy de Toulouse
nous defend de les reconnoistre sur peine de la vie. Dites
nous de grace, Nosseigneurs, pourquoy pretendez-vous que
nous preferions le iugement d’vne seule Cour, qui est la vostre,
au iugement de toutes les autres, qui sont en grand
nombre, & principalement lors que d’vne part la violence
de la populace, & des Princes vous a raui la liberté de vos
opinions, & que l’autre, vous condamnez vn premier Ministre
d’Estat, par des Arrests, que la passion, qui vous anime
contre luy, a pû vous inspirer, d’où vient aussi que les autres
Cours, qui agissent librement & qui n’ont pas la mesme hayne
contre le mesme homme, ne le traitent pas dans la rigeur
dont vous l’auez traité, mais la condamnent ouuertement.
Est il iuste, nous dit-on, de preferer l’auis d’vn Parlement
captif, & offensé, à celui de tant d’autres, qui ne sont ny esclaues,
ny passionnez, de quelle ioye ne serions nous pas
touchez, Nosseigneurs, si vous nous faisiez le bien de nous
instruire familierement, & clairement, sur tous ces doutes si
considerables, & qui estant bien esclaircis nous donneroient
tant de facilité de sauuer l’honner de vostre Compagnie,
qui nous est si chere, & à qui les moindres gẽs ont la hardiesse
de faire ces reproches, mais pour conclure enfin, & pour
ne pas abuser de vostre patience plus long temps, qu’il vous
plaise, Nosseigneurs, ordonner par vn Arrest ferme, & estably
sur le fondement inesbranlable de l’authorité Royalle ;
que desormais elle sera par tout reconnuё comme elle doit :
Que chacun se tiendra dans son rang & dans son deuoir :
Que le Parlement reprendra son zele ancien & son ancienne
conduite : Que les Pensions & les traitez auec les Espagnols,
seront desaprouuez & chastiez : Que les Trouupes
Ennemis seront repoussées : Que la Guerre Ciuile sera entierement
estouffée, à quelque prix que ce soit : Que lon trauaillera
continuellement à la reünion de la Maison Royalle :
Que le pauures Peuples sera soulagé de tant de calamitez :
Et que toute la France estant en paix, employera toutes ses
forces & toute son industrie, à procurer celle de toute l’Europe
& de toute la Chrestienté, & vous ferez bien.

 

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Anonyme [1652], REQVESTE DES PEVPLES de France, Affligez des Presens troubles, A NOSSEIGNEVRS de la Cour de Parlement, Sceant à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_3490. Cote locale : B_19_11.