Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?]; Patru, Olivier [?] [1651], LE SOLITAIRE AVX DEVX DESINTERESSÉS. , françaisRéférence RIM : M0_3680. Cote locale : B_17_10.
SubSect précédent(e)

LE SOLITAIRE
aux deux Desjnteressés.

IE romps mon silence, ie sors de ma solitude, ie quitte ma
retraite, de laquelle comme d’vn rocher esleué i’auois regardé
depuis quelque temps cette agitation violente de tant
d’esprits si differens ; & d’vn sens desgagé de toutes preuentions
trop ordinaires en ce mal-heureux siecle, je viens apporter aux
peuples les sentimens que m’inspire la pure verité.

I’ay leu depuis quelques iours deux libelles que l’on peut appeller
auec beaucoup de raison vn precis de toutes les affaires
presentes, l’vn contient la deffence de Monsieur le Coadjuteur,
sous le nom d’Aduis Desinteressé sur sa conduite, & dans
l’autre on remarque sous vn tiltre presque pareil, vne Apologie,
ou plutost vn Panegyrique de Monsieur le Prince : I’ay
examiné l’vn & l’autre auec beaucoup de soing, i’ay consideré
les inconueniens que peut produire la diuision des esprits, ie
n’ay pas seulement apprehendé les mal-heurs qui peuuent naistre
de celle qui paroist entre les personnes principales, i’ay
iugé que l’aigreur qui se nourrit & qui se fomente entre ceux
qui s’interessent dans leurs partis, pouuoit apporter beaucoup
de prejudice, par ce qu’elle augmente la chaleur de ceux auec
lesquels ils s’attachent, c’est ce qui m’oblige de parler en cette
occasion, & de vous dire auec vn esprit de concorde & de
paix.

Vous qui sous le nom de M. le Prince deschirés M. le Coadjuteur,
ie ne croy point que ce qui paroist dans vos escrits puisse
estre dans l’esprit de M. le Prince ; Ie ne puis m’imaginer
qu’vn Prince sorty du plus Illustre sang de l’Europe, vous puisse
aduoüer d’entreprendre de descrier celuy qui a tousiours
esté dans ses interests, toutes les fois qu’il y a pû entrer auec
honneur ; qui ne s’en est iamais separé que quand il ne les à pû
suiure, sans manquer à ce qu’il deuoit à la conseruation de Paris,
qui oublia toutes les aigreurs que M. le Prince auoit tesmoigné
contre luy pendant le siege de Paris, pour luy aller offrir
son seruice ; lors qu’il se broüilla au mois de Septembre de l’année

-- 4 --

1649. auec le C. Mazarin ; qui ne laissa pas de demeurer seruiteur
de M. le Prince, apres qu’il se fut reconcilié auec ce Ministre ;
& quoy qu’il ne voulust prendre aucune part à tous les
aduantages qui suiuirent ce racommodement, qui souffrit la
persecution qui luy fut faite dans le Procés Criminel auec vne
fermeté qui ne diminuoit rien du respect qu’il deuoit à M. le
Prince ; qui dans ce temps, luy proposa vne infinité de fois
de le seruir contre le C. M. s’il vouloit entreprendre sa ruïne,
qui s’est employé auec tant de sincerité aupres de son Altesse
Royalle, & dans le Parlement, pour luy procurer sa liberté,
qui à mesprisé pour cet effet tant & de si grands aduantages
que l’on luy proposoit du costé du Cardinal Mazarin, qui à negligé
toutes les iustes defiances qu’il pouuoit prendre de ceux
qui estoient dans les interests de M. le Prince, qui depuis son
eslargissement, continüa ses soins auec tant de fidelité, pour
le tenir vny auec M. le Duc d’Orleans, nonobstant les efforts
que faisoient les creatures du C. Mazarin, de troubler & de
rompre cette alliance par touts les charmes de biens & de
grandeurs qu’ils offroient à ceux qui auoient l’honneur d’approcher
son Altesse Royalle, qui voyant que M. le Prince
s’estoit accommodé auec les sieurs le Tellier, Seruient & Lyonne,
à l’insceu de M. le Duc d’Orleans, auoit fait rappeller M.
le Chancelier & M. de Chauigny, procuroit l’esloignement
de M. de Chasteauneuf qui auoit tant de part à sa liberté ; qui
(disje) voyant tous ces changements si peu preueus puisqu’ils
estoient contraires à des traités signés ; au lieu d’esclater en
plaintes, se contenta de regretter le malheur de ses amis, & se
retira auec tous les respects deubs à la qualité de M. le Prince,
qui n’est rentré dans les affaires du monde, que pour deffendre
son honneur contre les faux-bruits qui auoient esté semés par
ses ennemis enuieux de son repos, & de la tranquillité publique ;
de traités & de conferences secrettes.

 

Est-il possible que M. le Prince peust oublier vn procedé si
sincere, vne suitte de tant de bõnes actions, des seruices si considerables ;
& n’est-il pas bien plus croiable, que ces escrits qui
sous son nom paroissent dans le monde contre M. le Coadjuteur ;
sont plustost des productions inconsiderées de quelques
esprits emportez, que des effets veritables des sentimens de
M. le Prince ?

-- 5 --

Mais il est vray que ie ne trouue pas moins blasmable la chaleur
de ceux qui deffendent, que l’emportement de ceux qui
attaquent : il semble qu’ils soient bien aises que l’on declame
contre M. le Coadjuteur, pour auoir occasion de le iustifier ;
s’ils ne conseruoiẽt dans leurs esprits vne aigreur secrette contre
le party de M. le Prince, ils ne se donneroient pas la peine de
respondre à des discours ridicules, qui ne persuadent personne ;
y a il vn seul homme en France qui puisse penser que Mr.
le Coadiuteur soit Mazarin, qui croye que celuy qui a refusé
tant d’aduantages pour estre amy de ce ministre, dans le temps
qu’il auoit toute la puissance Royalle entre les mains, que tous
les grands du Royaume luy faisoient la Cour, que beaucoup de
ceux qui auoient le plus d’honneur, & le plus de probité, le
blasmoient de ne pas ceder au temps, & qu’il ne manquoit pas
de personnes & en grand nombre, qui traitoient de faction
l’anthipathie qui a tousiours paru entre ses Vertus, & les defauts
de ce mal-heureux, qui croye (dis-je,)que ce mesme homme
entre presentement dans ses interests au moment qu’il est
banny par les vœux publics, & par les Arrests de toutes les
Compagnies Souueraines, que toute sorte d’intelligence auec
luy n’est pas seulement odieuse, mais capitale, qu’il se peut appeller
l’homme d’abomination & de scandale, à present que
son amitié la plus fidelle & la plus solide (ce qui ne fut iamais
en luy) ne peut produire aucun aduantage pour la fortune.

Il faut aduoüer que ces visions sont bijarres, que vous faites
tort à M. le Coadjuteur, de respondre pour luy à des extrauagances
si peu fondées, que mesmes dans les derniers escrits, que
ces faux emissaires de M. le Prince ont jetté dans le public, ils
disent qu’ils ne veulent pas entreprendre de prouuer que M.
le Coadjuteur soit Mazarin.

Et si le seul pretexte qui leur reste & qui est tiré des interests
imaginaires de M. le Coadjuteur, est le motif de vostre chaleur
& de vos responces, ie ne croy pas que cela vous donne
plus de sujet de vous emporter, & d’escrire cõtre des personnes
qui attaquent M. le Coadjuteur, par l’endroit ou l’on peut dire
qu’il se deffend de luy mesme. Ne sçait-on pas qu’il n’a proffité
de quoy que ce soit depuis tous les mouuements ? que l’on peut
dire qu’il est dans la necessité & pour ne pas venir au detail des

-- 6 --

aduantages qu’il à si constamment refusé, à-il profité des admirautés
& des autres graces de la Cour ? Qui pourroit pourtãt
reuoquer en doute que la consideration, dans laquelle il est par
sa dignité jointe à la rencontre des affaires passées, ne deust
naturellement attirer sur luy les biens & les grandeurs que
beaucoup d’autres n’õt pas negligées, & desquels on ne le voit
pas neantmoins plus reuestu que lors qu’il entra dans la deffence
de Paris ? A t’il esté dans ton pouuoir d’estre Consul & l’as tu
refusé, ne te iustifie pas d’auantage. Cette parole fut autre fois
dite à vn ancien, i’approuuerois vôtre desse in si vous l’auiés mise
au dessous du nom de M. le Coadjuteur sans autre Apologie.

 

Tous les autres reproches que lon luy fait n’en meritent
pas d’auantage i’ay remarqué que les accusateurs ne blasment
ordinairement que ses intentions, ils sont obligés de reconnoistre
la bonté de ses actions, on luy reproche des desseins
secrets, on interprete mesme en vn sens le plus souuent tres
esloigné & tout contraire, toutes les rencontres de sa vie.

On veut qu’il soit brouillé auec M. de Beaufort, parce qu’il est
moins cõtraire au Mazarin : vous vous amusez à respõdre à céte
imposture, cõme si elle n’estoit pas destruitte par la circonstance
du temps, dans lequel cette rupture est arriuée, & comme si
la diuision qui est entre eux n’eust pas esclatté dans le mesme
moment que Mr. le Prince s’accommoda auec les creatures
du Mazarin pour esloigner Mr. de Chasteau-neuf ; on ne sçait
que trop que Mr. de Beaufort estoit aussi de la partie, qu’il se
ietta deslors dans les interests de la Cour, & qu’il conferoit publiquement
tous les iours auec les Sieurs Seruient, le Tellier
& Lyonne, & l’on se souuient assez que ce fut cela qui obligea
M le Coadiuteur de se separer d’auec luy, & mesmes de se
retirer du Palais d’Orleans.

Quand on l’accuse de n’estre plus dans les bonnes graces de
son Altesse Royalle, qui pourroit le croire apres les approbations
qu’il donne dans toutes occasions à sa conduite, iusques
à desaduoüer publiquement la supposition qui luy fut faite de
conseils violents par vn escrit qui a esté leu dans le Parlement
ces derniers iours : on n’ignore pas que M. le Coadiuteur ne
continuë de rendre souuent ses deuoirs à son Altesse, & l’on a
appris auec ioye que M. le Duc d’Orleans luy fit l’honneur
Mardy dernier de le presenter à leurs Majestez.

-- 7 --

Quelques impostures que l’on puisse forger sur ce sujet, elles
sont de mesme nature que les conferences secrettes que lon
luy obiecte. On iette des bruits dans le monde que lon ne
prouue point par ce qu’ils sont faux : on affecte de faire publier
des lettres que l’on ne produit pas au Parlement par ce quelles
sont supposées ; enfin l’on attaque M. le Coadjuteur, par des
voyes obscures qui ne se iustifient point, & qui se destruisent
d’elles mesmes, parce que les choses cachées estant proprement
le champ de l’imposture, & chacun pouuant feindre
aisément tout ce qu’il veut dans ce qui n’est pas veu, il ny à
personne qui ne iuge que des soupçons establis sur de pretendus
secrets obscurs & non prouués, sont plustost des ouurages
de la calomnie que de la verité.

A quoy donc seruent tant d’escrits ? A quoy tant d’inuectiues ?
A quoy toutes ces Apologies si frequentes ? vnissons nos
esprits, renonçons à nos passions, contribuons tous auec zele
à remettre la tranquillité au dedans du Royaume pour establir
la generale dans toute la Chrestienté. Songeons à conseruer
l’authorité legitime de nostre jeune Monarque, affoiblie
par tant de rencontres ; cherchons des moyens salutaires pour
le soulagement des pauures peuples affligez, qui ont este iusques
à present l’objet de la fureur des Partisans, que l’on nous
veut faire oublier sous de fausses apparences.

Si vous aués eu part à l’esloignement du Card. Mazarin, satisfaites-vous
dans le temoignage de vostre conscience & dans
celuy des peuples qui vous ont l’obligation d en auoir desliuré
la France, & receuez auec mespris au lieu de respondre par des
inuectiues, des outrages qui retombent sur ceux qui les font.

Et vous qui l’auez autresfois protegé, peut estre pour rendre
odieuse aux peuples, la personne du Roy, dauec lequel vous
le voulés faussement faire croire in separable ; qui aués eu besoin,
pour le deffaire, de la generosité de vos ennemis, contentés
vous du bonheur que vous aués eu de trouuer des esprits asses
fermes pour vous d’esliurer d’vn monstre qui vous auoit abbatus,
ne faites plus les braues quand il n’y est pas, & sur vn subjet
qui ne peut plus passer que pour vn pretexte de vostre ambition
& de vostre inquietude.

-- 8 --

Enfin ne troublez plus par vos broüilleries les esperances
de la paix que nous pouuons augurer de la force, qui doit accompagner
la Maiorité de nostre grand Roy, & qui sera sans
doute le bien-heureux effect du iuste & sage gouuernement
que nous attendons de sa conduitte.

FIN.

SubSect précédent(e)


Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?]; Patru, Olivier [?] [1651], LE SOLITAIRE AVX DEVX DESINTERESSÉS. , françaisRéférence RIM : M0_3680. Cote locale : B_17_10.