Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?]; Joly, Guy [?] [1652], LES INTRIGVES DE LA PAIX, ET LES NEGOTIATIONS faites à la Cour par les amis de Monsieur le Prince, depuis sa retraite en Guyenne iusques à present. , françaisRéférence RIM : M0_1725. Cote locale : B_6_40.
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LES INTRIGVES DE LA PAIX,
& les Negotiations faites à la Cour
par les amis de Monsieur le Prince,
depuis sa retraite en Guyenne iusques
à present.

Incontinent apres la retraite de
M. le Prince en Guyenne, & mesmes
auparauant le retour du Card.
Mazarin, l’on commença les commerces,
qui depuis n’ont point esté
discontinuez par les amis de Monsieur le Prince
& de sa part, soit pour le retour du Cardinal dans
le Royaume, soit pour son restablissement dans
le Ministere.

Ceux qui eurent lors cognoissance des negotiations
& des voyages qui se firent à Cologne
par les amis de Monsieur le Prince, voulurent se
persuader que toutes leurs allées & venuës n’estoient
que des pieges, & que ce party ne souhaitoit
le retour du Cardinal que pour en tirer
ses aduantages & pour reünir à soy tous les
esprits par la haine que l’on a contre sa personne :

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mais la suite du temps a bien fait cognoistre
que la continuation de toutes ces intrigues
auoit pour fin quelque chose de plus sensible
& de plus caché, & que l’on esperoit apres
le retour du Mazarin tirer des aduantages considerables
de sa foiblesse, & le faire à la fin consentir
à toutes les pretentions particulieres, pour
lesquelles seules l’on auoit rompu auec luy.

 

Le premier qui se mesla de porter des paroles
de Monsieur le Prince à la Cour de Cologne, fut
le nommé Gouruille, autresfois laquais du Duc
de la Rochefoucaut, & depuis le principal
Confident de Madame de Longueuille, lequel
vint d’abord à Paris comme enuoyé de Monsieur
le Prince à son A. R. pour mieux couurir par cet
employ les ordres secrets dont il estoit chargé.
Il paroissoit dans le public en cette qualité sous
l’adueu d’vne lettre de Creance que les amis de
Monsieur le Prince dresserent icy sur des blanc-signez
qu’ils auoient de luy : il entretenoit mesmes
tous les iours Monsieur, pendant qu’à d’autres
heures il auoit des Conferences plus intimes
& plus secrettes chez le sieur de Bordeaux
Intendant des Finances auec Ondedei qui y
estoit caché. Ils arresterent ensemble vn voiage
vers le Cardinal Mazarin qui fut fait peu apres,
& dans le quel Gouruille luy fit esperer que Monsieur
le Prince ne s’opposeroit point à son retour

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qu’autant qu’il seroit necessaire pour ne pas décrier
entierement son party ; moyennant quoy
le Cardinal promit de donner satisfaction sur le
surplus des affaires, & sur les interests de Monsieur
le Prince, & particulierement de Messieurs
de Nemours & la Rochefoucaut, lors qu’il seroit
à la Cour.

 

Vne preuue indubitable de ce faict est ce qui
se passa peu apres à Poictiers, où Gouruille ayant
esté arresté pour vne entreprise qu’il auoit faite
sur la personne de Monsieur le Coadjuteur, la
Reine l’enuoya à l’instant retirer, luy fit donner
des passe-ports, & par vn Courier exprés fit en
diligence aduertir le Lieutenant criminel de n’executer
aucun decret contre Gouruille : ce que
sa Maiesté n’eust pas fait sans qu’elle estoit bien
aduertie de ce qui s’estoit passé entre Gouruille
& le Card. Mazarin. Sur la foy des passe-ports
qui luy auoient esté donnez Gouruille va rendre
conte à Mr le Prince du succez de son voyage,
& en suitte reuient secretemẽt à Paris loger chez
Monsieur le Duc de Beaufort, d’où il repartit incontinent
apres pour retourner vers le Cardinal,
auquel il donna à ce second voyage des paroles
plus précises de la part de Monsieur le Prince &
confirmatiues de ses premieres : Ce fut peut-estre
sur ces asseurances que le Cardinal eut la
hardiesse de trauerser le Royaume pour aller

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chercher la Cour à Poictiers, & ce fut peut-estre
cette intrigue qui empescha le Grand Duc de
Beaufort & tous les braues de ce party de s’opposer
à son passage, ce qui n’estoit possible pas si
difficile, & ce qu’ils auoient tousiours promis.
Quoy qu’il en soit le Cardinal ne fut pas plustost
arriué que l’on le pressa de tenir sa parole sur les
interests particuliers qu’il auoit promis Monsieur
de Chauigny bien informé des intentions
de Monsieur le Prince sur ce sujet, ne voulut pas
laisser conclure vn marché de cette consequence
sans y prendre quelque part, & iugeant bien que
la negotiation seroit plus viue si elle se faisoit en
presence, que si elle estoit continuée par l’interposition
d’vn tiers, fit ses derniers efforts auprés
de son Altesse Royale pour faire en sorte
d’estre enuoyé de sa part auec Monsieur de Croissy
Conseiller en Parlement vers la Cour & vers
Monsieur le Prince, sous le pretexte de quelques
propositions que la Reine auoit enuoyée faire à
Monsieur pour l’accommodement des affaires :
Cette tentatiue luy ayant esté inutile, & craignant
peut estre que Gouruille, qui dans ses voyages à
Cologne n’auoit mesnagé auprés du Cardinal
que les interests des Ducs de Nemours & la
Rochefoucaut, ne fit pas assez considerer au
Cardinal ce qui pouuoit luy estre particulier
dans l’acheuement des affaires, il se resout de se

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mettre entre les mains de Faber, Gouuerneur de
Sedan son ancien amy, & Confident du Cardinal
Mazarin, il le prie de venir à Paris sans en aduertir
son Altesse Royale. Et de faict pour luy estre
moins suspect, dans l’entre-temps de sa venuë
luy & Longueil, qui entroit aussi dans la plus part
de ces intrigues, se font enuoyer de la Cour vn
ordre de se rendre auprés du Roy pour y faire
leurs charges, auquel ils ne se hasterent pas
d’obeyr, sçachans bien qu’ils n’en seroient point
pressez.

 

Faber estant arriué, Chauigny le voit plusieurs
fois dans sa maison de Paris & dans le bois de
Vincennes ; il est mesmes surpris auec luy par
aucuns de ses amis ; il l’instruit de toutes choses,
des desseins de Monsieur le Prince, & des siens
particuliers, & ensuite le prie d’aller à la Cour,
sous vn passeport de son Altesse, que Goulas son
Secretaire plus seruiteur de Monsieur le Prince
que de son Maistre, luy fit signer par surprise.

Faber estant à la Cour, les affaires s’aduancent,
Termes Gentilhomme Perigourdin porte &
rapporte toutes les responses de part & d’autre, la
conclusion est proche, & Chauigny mesme enuoye
vn projet de Traitté escrit de sa main, au
nom de Monsieur le Prince, dans lequel il n’est
point parlé de l’esloignement du Cardinal Mazarin,
mais seulement de l’establissement dans le

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Conseil d’vne partie des creatures de Monsieur
le Prince, enfin tout est agreé, & il ne reste plus
qu’à vaincre Monsieur.

 

Le Duc de Rohan, qui par la vente de la Ville
d’Angers auoit merité d’entrer en danse auec
ces Messieurs, est iugé propre pour faire les premiers
pas de cette affaire, ou du moins capable
de joüer aux Entractes de la Comedie. Il vient à
Paris, & est assez bien receu de Monsieur, par ce
qu’il y auoit encore des duppes de ce qui s’estoit
passé à Angers : mais comme l’affaire qu’il entreprenoit
estoit au delà de ses forces, il fallut auoir
recours à des moyens plus solides & plus effectifs.
Monsieur n’a point d’interests particuliers sur
lesquels on [illisible] puisse le vaincre. L’on iuge que
pour en venir a bout, la presence de Monsieur le
Prince est necessaire à Paris ; ses amis l’y appellent
dans le temps que la necessité de ses affaires
en Guyenne l’y oblige ; en venant il passe à deux
lieuës de la Cour. Ie doute si lors l’on n’y sçauoit
rien de sa venuë ; il passe aussi à l’Armée, mais
comme il n’estoit pas venu pour faire la guerre,
il ayma mieux se renfermer dans Paris pour y
acheuer la paix sur les projets de ses seruiteurs &
de ses amis.

On auoit respondu pour luy de Monsieur à la
Cour, il ne trouue pas à son arriuée que l’affaire
fust tout à fait si seure ; il iuge aussi que la iustification

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du Cardinal Mazarin, qui estoit vn des articles
du Traitté, ne seroit pas si facile dans le Parlement
& dans le public les voyes tout a fait declarées
seroient inutiles pour emporter ces deux
puissans obstacles ; les moyens sourds & cachez
sont bien plus propres & plus asseurez ; c’est
pourquoy l’on permet ou plustost l’on commande
aux gens de guerre des deux Partis le pillage
des enuirons de Paris, afin de reduire les esprits à
achepter insensiblement la Paix par la conseruation
du Mazarin ; dans ce mesme dessein l’on excite
au mesme temps dans la Ville plusieurs seditions,
pour faire craindre aux Bourgeois la perte
de leurs maisons & de leurs biens, & pour faire
apprehender à son Altesse quelque reuolution
plus funeste à l’Estat, que la subsistance du Mazarin.
Enfin comme l’on voit tous ces artifices invtils
& impuissans contre les vœux & les sentimens
publics ; Monsieur le Prince renuoye à la
Cour, & fait dire qu’estant impossible de vaincre
Monsieur & le Peuple, il faut necessairement que
le Cardinal donne au moins quelque apparence
de son esloignement, luy promettant toutes les
asseurances possibles pour son retour, à condition
qu’elles fussent cachées & secrettes.

 

Le Cardinal apres auoir pris quelque temps
pour se resoudre, donne enfin les mains, & l’on
acheue entierement le Traitté aux conditions
suiuantes.

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Premierement, que tout ce qui sera accordé
entre Monsieur le Prince & le Cardinal Mazarin
se fera par vn Traitté secret & caché, sans qu’ils
en puissent iamais donner la connoissance à aucune
autre personne.

Que le Cardinal Mazarin se retirera pour trois
mois à Sedan ou à Peronne, ou en quelque autre
lieu, sous pretexte de la Paix generale, pendant
lequel temps la Cour ira à Compiegne.

Que Monsieur le Prince, tant en son nom que
comme se faisant fort de Monsieur d’Orleans,
promettra de mettre les armes bas, & donnera
seureté par escrit pour le retour du Cardinal, &
de ne point reprendre les armes en ce cas.

Que l’on fera en sorte que le Cardinal soit iustifié
au Parlement de Paris, & que s’il y auoit
quelque difficulté, & que l’on fust obligé d’auoir
recours à quelqu’autre Parlement pour le faire,
Monsieur le Prince respondra de ses seruiteurs
dans le Parlement de Bourgongne & ailleurs.

Que s’il arriuoit qu’à l’aduenir il y eust quelque
demeslé entre le Parlement, Paris & la Cour,
Monsieur le Prince n’entrera point dans les interests
contraires à ceux de la Cour.

Que le Roy accordera presentement à Monsieur
le Prince quatre millions pour dédommagement
des frais de la guerre, à prendre sur le
conuoy de Bourdeaux, lesquels ne pourront estre
diuertis, pour asseurance dequoy l’on rendra les

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Finances au sieur President Maisons.

 

Que sa Majesté fera donner au Prince de
Conty les Prouisions du Gouuernement de Prouence,
l’Auuergne à Monsieur de Nemours, la
Lieutenance generale de Guyenne, & le Baston
de Mareschal à Marsin, cent mil escus à la Rochefoucaut,
& autant au President Viole, des Breuets
de Ducs à Montespan & au Comte d’Ognon,
auec le Baston de Mareschal.

Que Chauigny sera restably dans les Conseils
du Roy, & que pour seureté de l’vnion d’entre
luy & le Cardinal, son fils espousera la Damoiselle
Martinossi.

Sur les asseurances de ce Traitté, l’on persuade
à Monsieur que le Cardinal est resolu d’abandonner
la Cour, & sur ce piege on l’engage dans
vne Conference, à laquelle il enuoye Chauigny,
Rohan & Goulas.

Le dessein des Agens de Monsieur le Prince
estoit d’engager dés lors le Parlement dans la
mesme démarche, afin de le charger de la haine
du Traitté qui deuoit s’en ensuiure ; mais comme
les pretendus Enuoyez de son Altesse donnerent
des ombrages par vne tres longue conuersation
qu’ils eurent auec le Cardinal, de ce qui l’auoit
precedé, & de ce qui s’estoit passé entr’eux, la
Conference fut refusée, & ainsi, le peuple mesme
ayant tesmoigné vne chaleur excessiue contre

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tous les commerces que l’on auoit auec le Cardinal,
il a iusques à present esté impossible de rien
executer de ce qui auoit esté projetté. Chauigny
mesme contre lequel il s’est esleué vn bruit extraordinaire
à son retour de S. Germain, a esté
obligé de substituer en sa place & pour la continuation
du commerce la Duchesse de Chastillon,
laquelle a esté enuoyée plusieurs fois à la Cour,
pour conuenir des moyens & des biais qu’il falloit
tenir de concert pour faire esclorre les Traittez.
Ce fut auec elle que l’on resolut de publier le
Siege d’Estampes quinze iours auparauant que
de l’executer, dans l’esperance commune de la
Cour & de Monsieur le Prince que le bruit, qui
en seroit respandu dans le monde, feroit naistre
dans l’esprit de Monsieur l’apprehension de la
perte de ses Troupes, & ensuite ou l’enuie de l’accommodement
à quelques conditions que ce
pust estre, ou l’agréement forcé pour toutes les
choses qui estoient projettées d’ailleurs.

 

Ce ressort ayant esté inutile comme les autres,
la derniere tentatiue a esté le siege effectif de la
ville d’Estampes, afin de faire par la force ce que
l’on n’auoit pû faire par vn bruit premedité, en
reduisant Monsieur & le public par ce pretendu
succez dans la necessité de se laisser aller à toutes
sortes de conditions : toutes choses se disposoient
assez selon les projets des amis de Monsieur le

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Prince, sans la venuë de Monsieur de Lorraine,
contre laquelle ils ont pesté publiquement, parce
qu’ayant operé la leuée du siege d’Estampes,
ils voyoiẽt leurs mesures rompuës & leurs aduantages
particuliers differez pour quelque temps.

 

Aussi ont ils fait depuis leurs derniers efforts
pour faire en sorte que Monsieur de Lorraine
prit quelque intelligence à la Cour : C’est pour
cela que Monsieur le Prince luy a refusé la restitution
de ses places qu’il luy auoit promises, &
que dans le mesme temps on luy a offert toutes
choses du costé de la Cour.

Le Milord Germain & Montaigu sont ceux
qui ont negotié la retraite de Monsieur de Lorraine,
& ce sont eux-mesmes qui auoient eu part
à tous les commerces de Chauigny, auec lequel
ils ont si souuent conferé chez Madame d’Aiguillon
pour les affaires de Monsieur le Prince,
en sorte que l’on peut croire que si ce qu’ils ont
fait auec Monsieur de Lorraine n’est point de
concert auec Chauigny, ils luy en ont du moins
reuelé le secret.

Depuis la retraite de Mr de Lorraine il n’y
a point eu de cessation dans le commerce. Gaucourt
est allé deux fois à la Cour à l’insceu de son
de son Altesse Royale, & enfin les affaires sont
tantost en estat de se produire & de paroistre
aux yeux de tout le monde.

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Cependant l’on tasche tousiours par toute
sorte de voyes de rejetter la honte des Traittez
sur son Alt. Royale & sur le Parlement. C’est dans
ce dessein que l’on fait attaquer dans la Sale du
Palais & dans les ruës les Presidens & les Conseillers :
C’est pour cela que l’on suscite des Assemblées
& des seditions à la place Royale, &
aux autres endroicts de la ville, afin que le Parlement
apprehendant par l’exemple de ce qui s’est
passé à Bordeaux, la diminution de son authorité,
se resolue enfin d’accorder vne Conference
qui excuse en quelque façon les Traitez de
Monsieur le Prince, dont les amis n’attendent que
l’occasion de pouuoir dire qu’il ne s’est accommodé
à la Cour qu’apres le Parlement, & que la
conseruation du Cardinal Mazarin est plus l’effect
des resolutions de cette grande Compagnie,
que des Traittez de Monsieur le Prince.

Voila dans la verité & en peu de paroles qu’elle
a esté depuis vn si long-temps la conduite des
Agens de Monsieur le Prince, & quels sont les
veritables interests de ce party. S’ils auoient eu la
pensée de chasser le Cardinal Mazarin, comme
ils l’ont tousiours publié, ils ne se seroient pas
amusez à des negotiations si contraires à ce dessein :
s’ils n’ont fait aucun Traitté veritable auec
luy, du moins la guerre n’a t’elle pas esté bien
forte sur le paué de Paris, & sans doute qu’ils luy

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ont donné des esperances de pouuoir continuër
sa demeure dans le Royaume malgré le peu d’efforts
que l’on a fait contre luy : C’est en effect par
là qu’ils ont attiré sur eux toutes les profusions de
la Cour, puis que leur party n’est pas assez considerable
pour arracher tous les aduãtages qu’on
leur accorde, s’il ne les acheptoient par vne condition
pour laquelle on abandõneroit peut-estre
la moitié du Royaume, comme on a desia vendu
& liuré à l’Estranger nos plus importantes conquestes.

 

FIN.

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