Bourbon-Condé, Anne Geneviève de (duchesse de Longueville) [?] [1650 [?]], APOLOGIE POVR MESSIEVRS LES PRINCES, ENVOYEE PAR MADAME DE LONGVEVILLE A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_126. Cote locale : B_6_48.
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APOLOGIE
POVR MESSIEVRS
LES PRINCES,
ENVOYEE PAR MADAME
DE LONGVEVILLE
A MESSIEVRS DV PARLEMENT
DE PARIS.

MESSIEVRS,

Puisque l’innocence est vne consolation que l’on ne sçauroit oster aux
gens de bien, lors que l’iniustice les persecute : Ie ne doute point que
Messieurs mes Freres & Monsieur mon mary ne trouuent beaucoup de satisfaction
dans le mal-heur ; & qu’au milieu de la calamité qui les afflige,
ils ne reçoiuent vn extrême soulagement du bon tesmoignage de leur conscience.
Mais comme il ne suffit pas à la vertu de n’estre point coupable,
lors qu’elle est calomniée, & que rien ne doit estre plus cher aux gens qui
font profession d’honneur, que le soin de leur reputation, principalement
aux Princes que Dieu tire du commun, afin que leur vie soit l’exemple
de leur siecle & de leur posterité. Ie serois indigne de ma naissance,
du nom que ie porte, & de la qualité de sœur & de femme, si sçachant
combien est grande l’innocence de Messieurs mes Freres & de Monsieur
mon mary, ie n’employois à les deffendre la liberté de parler, qui est la
seule chose qui me reste, & si me trouuant exactement informée de la verité,
ie ne faisois clairement connoistre combien sont faussés & ridicules
les accusations dont on a tasché de noircir leur reputation & leur vie. Et
certes ie m’y trouue d’autant plus obligée, que tout commerce [1 mot ill.] est
interdit, se voyant enuironnez de Gardes, & obseruez iusques aux

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moindres actions, & iusques aux plus indifferentes paroles : Et d’ailleurs
Madame ma mere, & Madame ma belle-sœur, estant exposées à
l’insolence & au pouuoir de nos Ennemis, c’estoit de moy seule qu’ils
pouuoient attendre ce foible secours ; Et toutefois dans vne necessité si absoluë
de parler, j’aduouë que beaucoup de choses me font de la peine,
l’estat où ie me trouue accablée de douleur, affligée de tous les outrages
de l’ingratitude, battuë d’vne suitte de disgraces inoüyes & sans exemples,
la tristesse, l’exil, les infortunes ne laissent pas assez de force ny de
liberté d’esprit, pour apporter l’application qui semble necessaire à destruire
vne inuectiue ; mais vne injustice composée auec soin long-temps
auant la detention des Princes (comme les autheurs font gloire de l’auouër)
afin sans doute que n’ayant point de fautes essentielles ny veritables
à reprocher, ils trouuassent dans les artifices de l’eloquence dequoy
excuser leur crime, & qu’auec l’aide des fausses couleurs d’vn art
deceuant, ils pussent surprendre les foibles, & tromper les mal-instruits,
estant certain que par vn defaut de la nature humaine, nous nous portons
aisément à croire le mal sans l’examiner ; & qu’en cette sorte d’affaire
principalement, peu de personnes se mettent en peine de chercher la verité,
si elle ne se monstre elle mesme. Adjoustez à ces obstacles qu’estant
obligé dans la suite de mon discours, de parler de ces Illustres affligez, &
de mettre au iour les impostures de ceux qui les veulent perdre. I’y sens
de la repugnance, tant à cause de mon humeur & de la bien-seance de mon
sexe, qui ne me permettent pas de me porter qu’auec regret à blasmer
personne : qu’à cause de ma modestie qui m’a tousiours conseillée d’aller
fort retenuë sur les loüanges de nostre Maison. Toutes ces difficultez
cessent pourtant, lors que ie viens à considerer, qu’afin de destruire l’adresse
de la calomnie, ie n’ay qu’à luy opposer la verité simple, & que
pour iustifier entierement Messieurs mes freres & Monsieur mon mary,
il ne faut qu’vne relation naïfue & sincere de leur conduite. Ie pense mesme
que sans faire tort à ma moderation, ie pourray ne leur refuser pas
vne partie des tesmoignages d’honneur que les mouuemens publics des
Histoires de l’Europe leur donnent si liberalement. Et qu’ainsi l’on ne
sçauroit trouuer estrange, si pour repousser des injures sans fondement,
ie laisse aux veritables crimes de nos ennemis les noms qu’ils meritent,
esperant toutefois y apporter tant de reserue, qu’il sera aisé de remarquer
que si ie parle auec vn peu de chaleur ; la necessité de la matiere, plustost
qu’vne affection aueugle, ou vne iuste indignation m’y auroit portée.
Mais ce qui me confirme tout à fait à entreprendre cette Apologie, c’est
MESSIEVRS, que m’adressant au plus auguste Senat, qui iuge aujourd’huy
les hommes, duquel les mœurs sont incorruptibles, & dont la
[1 mot ill.] diuinement éclairée ne sçauroit se tromper à démesler l’imposture
l’auec la verité ; non seulement ie suis hors de crainte que l’authorité

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illegitime que le Cardinal Mazarin tasche d’establir sur les ruïnes de nostre
Maison, ny ce grand amas d’accusations friuolles qu’il nous obiecte,
puisse esbranler vostre fermeté, ou ébloüir vostre sagesse. Mais qu’au
contraire i’ay tout suiet d’esperer, qu’ayant reconnû sa malice & nostre
innocence, vous ne souffririez pas que ce Ministre estranger, né subjet du
Roy d’Espagne, & declaré par vos Arrests Perturbateur du repos public,
abuse plus long-temps, contre les loix du Royaume, de la puissance odieuse
qu’il a vsurpée, ny qu’il s’en serue dauantage à opprimer les Princes du
Sang, seulement pour satisfaire à sa haine.

 

Auant toutes choses, Ie proteste que le nom de leurs Majestez, que le
Cardinal Mazarin pretend d’employer pour autoriser sa Lettre, me sera
tousiours en vne extréme veneration, & que ie demeureray eternellement
dans le profond respect que ie dois auoir pour vn Monarque dont
ie suis née subiette, & pour vne grande Reyne, femme & mere de deux
puissans Rois, appellée à la conduite de nostre Empire. I’auouë mesmes
que si ie croyois que leurs Maiestez n’eussent pas esté surprises, lors
qu’on a arresté Messieurs mes freres & Monsieur mon mary, quelque
iniurieuse que soit leur detention, ie ne m’en serois pas plainte, & que
j’aurois attendu sans murmurer, qu’il eust plû à leur clemence mettre fin
à nostre mal-heur. Mais comme ie sçay asseurément qu’en cette action le
Cardinal Mazarin a trompé la facilité de la Reine, & que la bonté & la
ieunesse du Roy ont esté circonuenuës : Ie pense que ie ne sçaurois rendre
vn plus grand seruice à leurs Majestez, qu’en leur decouurant de quelle
sorte ce Ministre destiné au trouble & à la ruine de leur Estat, prophane
leur nom auguste & sacré pour authoriser sa vengeance. Et comme par
vne audace digne de punition, il veut faire passer pour criminels des
Princes qui ont rendus des seruices si importants, seulement parce qu’ils
l’ont empesché de pousser sa famille aux plus grandes charges du Royaume,
d’establir par ses alliances vne puissance intolerable ; & en suite de
s’vnir de faction, & d’éleuer la fortune d’vne maison Estrangere, dont
l’authorité & les pretensions ont esté de tout temps suspectes & dangereuses
à la Couronne. Et cela en vne conjonction de temps, durant lesquels,
la conscience & la nature obligent les Princes du Sang à veiller soigneusement,
à ce que l’Estat ne reçoiue aucun dommage.

C’est donc seulement à la Lettre du Cardinal Mazarin que ie responds,
& ie confesse d’abord que ie me treuue surprise, lors que ie viens à considerer
que pendant la minorité du Roy, en vne saison où la concorde est si
mal establie dans le Royaume, où le feu des guerres Ciuiles fume encore,
& n’est pas bien esteint, se r’allume en beaucoup de lieux où les peuples
sont ruinez, les Villes pauures, les esprits dans l’aigreur & la défiance,
desireux de choses nouuelles, où l’on ne doit point entreprendre l’action
de la moindre vigueur, sans l’auoir soigneusement concertée, auec

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ceux qui ont interest à l’Estat, de peur de l’ébranler au dedans, lors qu’il
est agité au dehors, par vne guerre entreprise depuis tant d’années contre
vn puissant Roy qui nous a cousté tant de richesses & tant d’hommes. Ie
ne conçois pas, dis-je, comme en cette situation d’affaires, on a osé arrester
des Princes, que la conseruation de la France regarde, que leur naissance
admet à l’administration de l’Estat, & dont la detention est capable
de troubler tout le Royaume. Mais les arrester sans la participation des
Parlemens, sans la conuocation des Estats, enfin sans qu’on voye que
Monsieur le Duc d’Orleans, qui apres la Reine doit prendre le soin principal
de la conduite des choses, y ait apporté son consentement : En quoy
il semble d’abord que le Cardinal Mazarin ait eu quelque égard à la reputation
de ce Prince, n’employant point son authorité pour appuyer vn
tel attentat. Il est vray pourtant qu’il ne pouuoit marquer plus visiblement
le mespris de son Altesse Royale, qu’en faisant voir que dans les
choses de cette importance, il n’a pas besoin de son nom, qu’il supprime
comme inutile, & qu’il auilit en le taisant. Or bien que la puissance de
nos Rois soit entierement independante, qu’ils ne reconnoissent que
Dieu au dessus d’eux, & qu’ils ne doiuent qu’à luy seul leurs actions :
Neantmoins puisque ces mesmes Rois qui ont affermy les fondemens de
nostre Empire, & estably les droits si absolus dans leur Monarchie, ont
iugé necessaire pour sa conseruation, que pendant la minorité de leurs
Successeurs & la foiblesse de leur aage, le Royaume fut conduit par le
Conseil des Princes de leur Sang, & que dans les affaires de la derniere
importance, ceux qu’on institueroit Regens eussent besoin de consulter
les Estats du Royaume pour les resoudre & les entreprendre. Le Cardinal
Mazarin peut-il en cette occasion se seruir du pretexte de cette toute-puissance ?
Veu que le Roy est mineur, & que la resolution d’vne affaire
si dangereuse a esté cachée à tous les Ordres du Royaume, comme vne
conspiration, si ce n’est que l’on veüille dire, que le pouuoir de la Monarchie
reside en son Ministeriat, & qu’vn homme que sa naissance doit
exclure de la participation de nos affaires, ait la puissance de renuerser les
Loix fondamentales de nostre pays. Ce qui semble si estrange, que ie ne
doute point MESSIEVRS, que vous ne conceuiez vne iuste indignation,
& qu’estans les conseruateurs de ces Loix que vous voyez violées
auec tant d’insolence, vous n’apportiez vostre authorité & vostre force à
punir l’autheur d’vn si grand desordre.

 

Mais il peut estre que le Cardinal Mazarin a eu des causes si pressantes
d’agir comme il a fait, qu’elles sont capables sinon d’excuser, au moins
d’amoindrir sa faute. Les Princes estoient peut-estre preuenus de crimes
qui offensoient la Majesté du Roy, peut-estre y alloit-il du salut de l’Estat
à les laisser libres plus long temps. Vous auez veu, MESSIEVRS, les
choses dont il les accuse, il n’y a rien de reel, il n’y a rien d’apparent,

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il n’y a rien dont on puisse inquieter vn simple particulier. On fonde leur
detention sur des coniectures chimeriques, & sur des soupçons imaginaires.
Enquoy ie vous confesse, que ie ne sçaurois assez m’estonner de la
sottise de nos Ennemis, d’auoir crû pour aueugler vne Compagnie si clairvoyante
que la vostre, iusques à luy faire passer des paroles pour des
preuues, & des inuectiues pour des conuictions. Le Roy, disent ils, a
fait beaucoup de bien aux Princes : Ce crime est d’vne telle nature, que
ie ne connois personne qui ne se tint bien-heureux d’en estre coupable.
Mais ils ont eu de mauuais desseins : C’est ce que nous nions formellement,
& ce que nous examinerons. Mais ils ont esté cause que les Espagnols
n’ont pas fait la Paix : Ie ne vous diray point icy MESSIEVRS.
que m’estant treuuée presente à la negociation de Munster, i’ay esté assez
informée des fourberies continuelles que ce Ministre & ses Agens ont
pratiquées pour s’opposer au repos des deux Couronnes, & que ie sçay
en detail auec combien d’artifices ils ont ruïné tous les trauaux que Monsieur
mon mary auoit contribuez pour en procurer la concorde, auec toute
la gloire & tout l’auantage que la France pouuoit desirer. C’est vn discours
qui aura son lieu dans cette Apologie. Ie vous supplieray seulement
de vous ressouuenir auant que ie repousse cette calomnie, qu’il n’y
a guiere plus d’vn an que le sieur Arnolfini vous estant venu treuuer de la
part de Monsieur l’Archiduc, lors que vous auiez armé les Loix pour deliurer
la France du Cardinal Mazarin que vous en iugiez la peste, protesta
solemnellement deuant vous, que ny son Maistre ny les Ministres d’Espagne,
ne pouuoient ny ne vouloient traitter la Paix auec vn homme infidelle,
qu’ils en reconnoissoient l’Ennemy iuré, & qui(comme les Alliez
des deux Royaumes ont fait entendre par tout) empeschoit seul la tranquillité
de l’Europe.

 

Mais il est temps de venir à vne response plus precise de la Lettre du
Cardinal Mazarin, apres l’auoir bien examinée, ie treuue que toute son
accusation se reduit à ces trois chefs : De l’ingratitude, des mauuais desseins,
& des obstacles à la paix : Et il seroit à souhaitter que son Orateur les
eust escrits auec quelque ordre, afin qu’en y respondant de la mesme
sorte, l’innocence des Princes eust paru plus aisément. Il m’auroit espargné
beaucoup de peine, & ie n’aurois pas abusé long-temps de vostre
patience : Toutefois puis que manquant de justice il manque encore de
bonne foy, que n’ayant aucunes preuues, il donne aux injures & aux
mensonges la place qu’elles deuoient occuper. Que par des redites affectées,
il confond tout ce qu’il objecte, afin que ce desordre embarassant
les esprits, cache la foiblesse de son accusation. Qu’enfin il aduance
des choses comme certaines, qui sont ou controuuées auec fraude ou
déguisées auec malice : Ie me void contrainte de sortir pied à pied
de ce labyrinthe, & de m’attacher malgré moy à suiure la confusion de

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cette Lettre, si ie veux en débroüiller le chaos, & dissipant tant de nuages,
porter par tout les lumieres de la verité. C’est en quoy, MESSIEVRS,
i’ay besoin de vostre attention, & c’est aussi la seule grace que ie vous demande,
bien asseurée de l’obtenir, puisque vostre Compagnie qui est la
regle de la Iustice, l’est encores de la ciuilité.

 

Le premier artifice du Cardinal Mazarin au commencement de son accusation,
c’est d’insinuer autant qu’il peut, qu’il a esté contraint malgré
luy de faire arrester les Princes, afin d’esloigner par ce moyen la hayne
qu’il voit que cette action merite, & de faire comprendre qu’il faut qu’il
en ait eu de fort grands suiets : Et la premiere preuue qu’il y employe &
qui luy a semble la plus conuainquante, c’est qu’il appelle toute la Chrestienté
en tesmoignage de la douceur de ses Conseils, & de la moderation
de son Ministeriat ? en quoy, dans le trouble d’esprit où le jette l’agitation
de sa conscience, il est aisé de voir que la memoire & le iugement l’ont
égallement abandonné. Car s’il ne vouloit pas considerer qu’on luy impute
à luy seul la prolongation de la guerre, la ruyne de la France & les
malheurs des armes ciuiles : il deuoit au moins se souuenir qu’il parloit à
vne Compagnie, qu’il n’y a gueres qu’il taschoit de perdre ; & que ceux
qu’il prenoit pour tesmoins de sa moderation, estoient ceux-mesmes
qui l’auoient condamné comme vn homme seditieux. La seconde preuue
vient des loüanges de Monsieur mon frere, par où il pretend monstrer
la peine qu’il a euë à oster la liberté à vn homme qu’il estimoit tant,
Mais outre que cette preuue non plus que les autres, n’excuse en aucune
sorte l’attentat qu’il a commis contre Monsieur le Prince de Conty &
contre Monsieur mon mary. I’ay remarqué que là, comme ailleurs, il
ne peut cacher sa mauuaise intention, d’autant qu’au mesme lieu, qu’il
luy donne des loüanges, ainsi qu’il fait toutes choses d’vne main auare
& maligne, il les destruit par des iniures qu’il leur joint, & par des
manquemens de conduite qu’il leur oppose : Il feint apres de la tendresse
pour ce Prince, & veut dire que ce soit vne marque indubitable, que la
derniere necessité l’a contraint à l’arrester ; se fondant sur la maxime ordinaire
qu’il est naturel à tous les hommes d’aimer leurs ouurages, & de ne
les voir destruire qu’auec déplaisir. Nous demeurons bien d’accord de cét
axiome, & il n’en faut point de meilleure preuue que l’amitié, dont Monsieur
mon frere a honoré cét ingrat, apres l’auoit sauué du precipice, &
la protection que la fortune luy continuë contre toute apparence seulement
parce qu’il est son ouurage, & qu’elle l’a esleué à dessein de se mocquer
de la prudence des hommes. Quant à l’application de cette maxime
(de quelque sorte qu’on la considere, & sans nous arrester sur ce poinct à
la folie du Cardinal Mazarin, qui pretend nous auoir faite) elle ne sçauroit
auoir aucun lieu pour les Prince de nostre naissance. Car enfin les
Rois peuuent nous combler de biens & de graces : Mais pour nostre origine

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qui est la premiere prerogatiue que nous ayons, elle ne nous vient
que de Dieu, duquel seul nous nous reconnoissons les Ouurages. Ainsi
c’est purement du Ciel que nous tenons l’honneur d’estre sortis de la tige
de nos Monarques ; & Louys de Bourbon nostre Bisayeul n’estoit point redeuable
à Anthoine Roy de Nauarre, bisayeul de sa Majesté, de ce qu’il
estoit son frere. Le Cardinal Mazarin tesmoigne en suitte beaucoup de
regret de n’auoir pû conseruer dans la conduite de l’Estat Monsieur mon
frere, capable à ce qu’il auouë d’y rendre de grands seruices pendant les
temps les plus difficiles. Surquoy ie vous supplie de n’oublier pas que
nous auons icy vne confession solemnelle, pour opposer aux iniures qui
le dépeignent par tout son Libelle, comme vn homme impetueux, plein
de fougue & peu capable d’affaires. Il conclud enfin sa Preface par la fascherie,
qu’il dit qu’il ressent de ce que le Prince n’a pas voulu se contenter
de viure le plus riche sujet de la Chrestienté ; mais l’exageration qu’il
en fait est aussi fausse, que la douleur qu’il en tesmoigne, non seulement
quant aux desseins de Monsieur mon frere tousiours reglez, tousiours
legitimes : Mais quant à ses establissemens, qui sans regarder ceux des
païs Estrangers, où il s’en void de beaucoup plus considerables, sont esgallez
en France, s’ils ne sont pas surpassez par les Charges & par les biens
de plusieurs particuliers. Ce sont là les moyens que le Cardinal Mazarin
employe pour tascher de gagner creance, & de preparer les esprits
contre la justification des Princes ; mais si ie ne me trompe, c’est auec
peu de sens & de succez. Cependant il sçait bien qu’il n’a rien d’effectif à
leur imputer, au lieu devenir en suite d’vn exorde si artificieux à découurir
les menées qu’ils ont pratiquées pour aller à la Souueraineté, de mettre
au iour leur rebellion & leur felonnie, & de les monstrer aux yeux de
l’Europe, comme des gens qui ont conspiré contre l’Estat, au lieu de ces
grands crimes que l’on attendoit & qui deuoient attirer sur eux l’aduersion
vniuerselle, il leur oppose vn denombrement ennuyeux des moindres
bienfaits qu’ils tiennent du Roy, & qui ne font rien à la cause, si ce
n’est qu’ayans tous esté demandez auec respect & obtenus auec justice, ils
seruent à prouuer le merite & les seruices de ceux qui les ont receus.

 

C’est pourtant sur cette exageration qu’il fonde leur peu de reconnoissance,
& qu’il veut faire des ingrats de ceux dont il ne peut faire des
coupables. Mais de quel blasme ne sommes-nous pas dignes, nous qui
souffrons que l’Education de nostre Monarque demeure entre les mains
d’vn homme, qui au lieu d’aider cette bonté de nature qui le porte aux
grandes Vertus, tasche de la corrompre, en luy imprimant des sentimens
sordides & bas, & loin de la nourrir à la liberalité & de l’instruire à
ne se ressouuenir que des seruices qu’on luy rend (qui est sans doute le
plus beau sentiment des Roys) n’a point de honte de publier sous son
Nom, les reproches des dons qu’il a faits ; mais de quelle sorte ? jusque

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à vouloir mettre en ce compte les biens de l’Eglise, ne se ressouuenant pas,
que la conscience seule les doit donner, & offensant en cela celle de sa Majesté
qu’il mesure par la sienne ? luy qui n’en fait nulle de trafiquer des choses
sacrées, & qui n’en distribue quasi iamais sans sallir par quelque commerce
illicite la pureté de nostre Religion, & la reputation de l’Eglise Gallicane.
Et certes quand il n’y auroit que ces considerations, ie n’ay garde
de reconnoistre cette Lettre pour celle du Roy, & ie dois trop de respect à
mon Souuerain, pour luy attribuer les deffauts de son Ministre.

 

Or ayant entrepris de deffendre les Princes de toutes les choses qu’on
leur impute, ie ne refuse pas d’examiner celles mesmes qui sont indifferentes,
& ie suis preste d’entrer en compte des graces qu’on veut qu’ils
ayent si abondamment receuës, quoy qu’à dire vray, ie m’y porte auec
déplaisir, non que j’apprehende qu’ils ne les ayent pas assez meritées,
mais c’est qu’ayant fait gloire jusques icy d’en publier la grandeur, il me
fasche d’estre contrainte les examinant auec vne iuste balance, de diminuer
beaucoup du prix que ie leur auois donné. I’auouë pourtant qu’à
considerer seulement les mains d’où nous les tenons, le respect de leurs
Majestez me les doit faire éleuer au dessus de la plus grande reconnoissance.
Mais puisque ie suis forcée par les mesmes consequences qu’en
veut tirer le Cardinal Mazarin, de les mesurer par ce qu’elles sont, & non
pas par l’endroit d’où elles viennent : leurs Majestez ne trouueront point
mauuais, si conseruant vne entiere gratitude pour ces bien-faits, comme
pour des tesmoignages de leurs bontez : ie ne laisse pas de faire connoistre
qu’ils sont moins des gratifications que des recompenses : que nous auons
tousiours eu, ou quelque droit, ou quelque raison de les pretendre, lors
qu’on nous les a données : & qu’à regarder les choses sans preoccupation
non seulement ils ne sur passent pas : mais, si ie l’oze dire, ne sçauroient
égaler les seruices de Monsieur mon frere. Ces torrens en effet n’ont
point innondé sa Maison, & ny ses parens, ny ses seruiteurs n’ont point
esté éleuez par luy, en des lieux, où leur fortune pust estre regardée auec
enuie. Au contraire, pendant qu’il a passé la fleur de son âge à gaigner
des victoires si necessaires à la France, & que la gloire a presque tousjours
esté le seul fruit que luy & ceux qui l’ont suiuy en ses fameuses expeditions
ont recueilly de leurs perils & de leurs peines ; Tout le monde
a veu le Cardinal Mazarin plongé dans les delices d’vne vie oisiue &
molle, estre l’arbitre de la fortune, & ses creatures enyurées de sa prosperité,
enuahir les richesses & les charges de l’Estat : Aussi à dire le vray, il
reconnoist si clairement luy mesme que les biens qu’on fait à Monsieur
mon frere sont mediocres : que lors qu’il veut luy en reprocher le nombre,
il est contraint d’y joindre ceux que feu Monsieur mon pere auoit
receus, & de porter ses mains sacrileges dans le tombeau de cét illustre
mort, pour en tirer, s’il pouuoit, de quoy persecuter ses enfans. Ie ne refuse

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pourtant point de justifier encore sa memoire, & ie m’asseure que toute
la France à qui elle est venerable, & qui le regrette comme le seul, dont
la sagesse pouuoit empescher les desordres qui l’ont affligée depuis sa mort,
ne trouuera pas qu’il ait esté trop recompensé des seruices que sa fidelité &
sa conduite ont rendus pendant sa vie.

 

On commence par la Charge de Grand-Maistre, que le Roy, dit-on, luy
confirma incontinent apres la mort du feu Roy. C’estoit donc le feu Roy
qui l’auoit donnée, luy que la seule consideration du merite y pouuoit
obliger ; & ainsi il n’y auoit aucune apparence que la premiere action de
sa Majesté eust esté vne action d’injustice, ny qu’il eust voulu commencer
son regne en dépouïllant son subiet, le premier Prince du Sang. Mais de
plus à qui, pour l’honneur de son seruice, pouuoit-il mieux continuer cette
Charge ? & quelles mains estoient capables d’en soustenir plus glorieusement
le Baston ? Car quant aux consequences que l’on y veut attacher
& à dessein de la supprimer qu’on attribuë au feu Roy : Ie ne voy pas bien
quel mal eust pû faire à l’Estat vne fonction qui n’a aucun commandement
ny sur les Armées, ny sur les Finances, & qui sembloit si peu capable
d’aider à nuire au feu Cardinal de Richelieu, dont la conduite estoit
fondée sur la défiance ; Que lors de la retraitte de feu Monsieur le Comte
de Soissons à Sedan, & de la declaration ouuerte de leur haine irreconciliable,
il ne sollicita point pour faire oster cette Charge à ce Prince qui
se declaroit son ennemy ; mais il luy en laissa la fonction libre pendant
les premieres années de sa disgrace.

On adjouste que presqu’au mesme temps que feu Monsieur mon pere
eut cette confirmation, il fut declaré Chef du Conseil. Ie ne veux point
retoucher icy aux premiers establissemens de la Regence, ny aux dernieres
dispositions du feu Roy. Vous sçauez assez le plan qu’il auoit voulu
laisser à la conduite de son Estat, & l’auantage que feu Monsieur le Prince
y pouuoit pretendre. Vous vous souuiendrez seulement, pour juger si ce
bien-fait nous rend si redeuables, de quelle sorte Monsieur le premier
President & Mõsieur l’Aduocat General Talon, loüerent en vostre Assemblée
Monsieur le Duc d’Orleans & Monsieur mon pere, d’auoir sousmis
leurs interests à la satisfaction de la Reine ; & s’il faut dire ainsi, sacrifié
leurs grandes pretentions à la grandeur de sa Majesté. Vous vous souuiendrez
que le mesme Arrest qui confirma la Regence, confirma Monsieur
mon pere en la place qui luy appartenoit de droit : Et ie m’asseure que la
Reine n’oubliera pas combien de fois alors, elle tesmoigna qu’elle estoit
satisfaite de sa moderation. Mais ie demanderois volontiers au Cardinal
Mazarin, qui luy eust pû disputer le rang de Chef du Conseil, & quelle
place il eust voulu qu’eust tenu pendant la minorité du Roy, le premier
Prince du Sang en l’absence de son Altesse Royale, à qui l’on donnoit la
Lieutenance de l’Estat, & le commandement des Armées ? Certes c’est

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bien se mocquer de vouloir faire des graces des choses qui appartiennent,
& qu’on ne peut oster sans injustice : & de pretendre persuader qu’en renonçant
au partage de l’autorité Souueraine, non seulement on n’oblige
pas ceux pour qui on s’en dépouïlle auec respect ; mais qu’en cela, l’on
leur est encore infiniment redeuable.

 

Quelques-vns aussi examinans ce grand seruice, ont voulu dire que le
don de Dampmartin & de Chantilly estoient les tesmoignages de la reconnoissance
de sa Majesté, & c’est peut estre pour ce sujet, que l’Escriuain
du Cardinal Mazarin en exagere si fort le prix, qu’il asseure qu’aucun
de nos Rois n’en a iamais fait de semblable. Surquoy il est tres-aisé
de voir qu’il a fort peu leu l’Histoire. Nous ne sommes pas si mal-heureux
que nos Annales ne fournissent au Roy d’illustres exemples de la magnificence
de ses Ancestres, sans qu’il soit obligé d’apprendre à faire du bien
chez les autres Nations. Et c’est auoir trop mauuaise opinion de la liberalité
de nos Monarques, de croire qu’ayant receu eux mesmes des petits
Princes, des Souuerainetez & des Prouinces entieres, ils ayent si fort resserré
les bornes de leurs presens. Le Cardinal Mazarin pouuoit mesme
penser qu’ayant pris dans les coffres du Roy vnze millions pour s’establir
vne retraitte, ou plustost vn Estat en Italie : il ne deuoit pas nous enuier
deux terres de vingt mille liures de rentes. Mais de plus il deuoit considerer
que ces deux terres estans sorties si fraischement de nostre Maison,
nous auions lieu de pretendre que sa Majesté nous les rendroit : & que la
colere & la justice du feu Roy se trouuant appaisée par la mort de feu
Monsieur de Montmorency mon oncle, il n’estoit pas juste que sa punition
passast à ses heritiers, ny que nous fussions dépouïllez, nous qui n’auions
pas failly. La coustume honneste que nos Rois ont prise, de ne
point vouloir que leur Domaine s’augmente des biens qu’ils confisquent,
est digne de louange. Et sans cela, sous les mauuais Princes en France,
comme en Turquie, la richesse feroit le crime, & l’innocence opulente ne
seroit iamais asseurée. Ainsi donc puisque le Roy deuoit disposer de nos
biens en faueur de quelqu’vn, ie ne pense pas qu’il se fust trouué personne
qui ne nous les eust rendus, s’il eust pleu à sa Majesté choisir cette
voye pour nous les restituer, & qu’elle n eust pas judicieusement consideré ;
qu’il estoit bien seant & ensemble juste, que le Fils aisné de l’Eglise
remist liberalement luy-mesme, aux heritiers du premier Chrestien de
son Royaume, ce que le malheur leur auoit osté.

On impute en dernier lieu à obligation, la permission que feu Monsieur
mon pere auoit receuë, d’achepter les biens de feu Monsieur de Bellegarde.
I’ay honte en verité de respondre à cét article : ie ne sçaurois comprendre
comme on veut estimer vne faueur signalée, ce qui est de droit
public. Les affaires de Monsieur de Bellegarde l’obligeoient de vendre son
bien : celles de feu Monsieur le Prince luy permettoient d’en traitter. Y a-t’il

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en cela quelque chose au dessus de la Coustume ordinaire & de l’vsage
des particuliers ? La condition des Princes du Sang seroit bien malheureuse,
si parce qu’ils sont Princes ils perdoient la liberté de contracter ;
& si comme les infames ils estoient priuez du benefice des Loix, &
du commerce des hommes. Car enfin pour la place de Bellegarde c’estoit
alors vne Maison moins forte que quantité d’autres qui sont dans le
Royaume, & que les particuliers qui les possedent, vendent tous les iours
sans que ses Ministres s’en formalisent, ny que ceux qui les acheptent aillent
en remercier la Cour.

 

Voilà MESSIEVRS, quels sont les bien-faits que Monsieur mon Pere
a receus, on luy a permis d’achepter vn bien exposé en vente : on luy a
rendu la confiscation de son beau-frere ; on ne luy a pas disputé vne place
que sa naissance luy donnoit, luy qui en quittoit vne plus grande ; on a
executé en sa faueur les dernieres volontez du feu Roy, qui pour honorer
la conduite de sa Maison, l’auoit destinée à vn Prince, que sa naissance
mettoit au dessus de cette Charge. Sont-ce là ces prodiges de liberalitez ?

Quant aux graces qu’on a faites à Monsieur mon fiere, que le Cardinal
Mazarin exagere en suite, elles ne sont venuës qu’apres ses seruices, & ses
victoires ont precedé ses recompenses. Encore veut-on que le premier pas
qu’il a fait pour la gloire de l’Estat, ait esté menacé de l’exil, & que sans
sujet le feu Roy eust en dessein de le releguer, lors que les destins ne l’auoient
pas encore monstré au monde, ce qui est vne imposture injurieuse
à la memoire de ce Monarque, à qui elle oste le titre de Iuste, & vne preuue
éuidente de l’animosité déreglée du Cardinal Mazarin, qui veut que
Monsieur le Prince ait semblé coupable auant qu’il eust commencé d’agir.
Or pour ce qui est de la recompense de ses seruices, il est vray qu’elle a esté
si tardiue, que ie puis dire qu’on a veu de simples Gentilhommes monter
iusques au dernier degré de l’honneur & de la fortune, qu’ils n’auoient
pas executé pour l’Estat, ny tant de choses, ny de si considerables, ny de si
vtiles que luy : qui les surpassant par sa naissance, autant que par la grandeur
de ses actions, ne recueilloit pourtant aucun fruit de ses trauaux, que
celuy que donnent la vertu & la renommée. Il auoit défait à Rocroy les
forces de Flandres, pris Thionville, secouru le Mareschal de Guébriant,
restably les affaires en Allemagne, vaincu à Fribourg, deliuré Brisac, conquis
Philisbourg, assujetty les villes du Rhin, asseuré l’Alsace, qu’il n’auoit
encore receu aucun bien-fait, qu’il n’en auoit pas demandé. Apres ces
gestes illustres, vn Prince à qui la seule naissance destinoit les charges de
la Couronne, qu’on ne pouuoit laisser sans establissement, si l’on ne vouloit
faire tort au sang Royal, estoit digne ce me semble du Gouuernement
de Champagne, ou pour ne point affecter vne fausse modestie, le Gouuernement
de Champagne estoit peu au prix de tant de seruices : & peut-estre
encore que l’auarice & l’ingratitude du Cardinal Mazarin se fussent

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plus long-temps opposées à la reconnoissance de sa Majesté ; peut-estre
que la Champagne n’eust pas esté si tost commise à la conduite de ce Prince ;
si la Reyne qui sçauoit combien l’Estat estoit redeuable aux soins de
Monsieur le Duc d’Orleans, n’eust voulu l’en recompenser en partie par
le Gouuernement de Languedoc. Ainsi donc comme son Altesse Royale
prit la direction de ce païs important pour sa situation & pour son estenduë,
qu’on luy donna encore la Ville & citadelle de Montpellier, & le fort
de Brescon, c’est a dire le commandement de lamer & de la terre. Le Cardinal
Mazarin n’eut plus de pretexte de refuser à Monsieur mon frere qui
se trouuoit sans establissement, le Gouuernement d’vne Prouince, beaucoup
moins considerable en toutes choses, que le Dauphiné que le Languedoc,
que la Guyenne, que la Bretagne, que les autres Prouinces de
nos frontieres ; & la recompense en cousta si peu, que lors qu’on laissa à
Monsieur de Schomberg pour la place qu’il cedoit, le Gouuernement des
trois Eueschez, auec la Ville & Citadelle de Mets, que dans le Languedoc
on luy bailla le Pont S. Esprit, & la Lieutenance Generale, qu’en
suitte on recompensa le Pont S. Esprit de quarante mil escus, & la Lieutenance
Generale de la charge de Colonnel des Suisses : on donna seulement
deux cens mille francs à Monsieur le Mareschal de l’Hospital, qui demeura
Lieutenant General de Champagne ; c’est à dire qui ne perdit quasi que
le titre de Gouuerneur, conseruant son credit & son authorité en ce second
lieu qu’il possede encore. Quand à la place qui fut promise au mesme
temps, & l’hyuer se passa auant que le Cardinal Mazarin eust satisfait à cette
parole, & mesmes il y a apparence que sa malice ambiguë & indecise en
eust d’auantage traisné l’execution, si par hazard le Gouuernement de
S. Quentin estant venu à vaquer, il ne l’eust fait accorder au sieur Thibaut,
qui sortant de Stenay, laissa cette place à Monsieur mon frere, sans qu’il
en coustast rien à la Cour.

 

Deux années s’écoulerent en suite, pendant lesquelles ce Prince poussant
les armes du Roy plus auant qu’elles n’auoient esté en Allemagne, passa
les anciennes limites des Gaules, & rencontrant les Ennemis à Nort-lingue,
où la fortune & la reputation auoient commencé d’abandonner
les Suedois, donna cette fameuse Bataille, remarquable par la défaite des
troupes de Bauieres, les plus braues & les mieux disciplinées de l’Empire,
& encore plus par la mort de Mercy, le premier homme de guerre de nostre
siecle, si nous en exceptons son vainqueur. La Campagne suiuante
il se trouua au siege de Courtray, & sur la fin de la saison ayant battu les
troupes du Marquis de Caracenes & pris Furnes, il acheua en treize iours
par sa seule preuoyance le siege de Dunkerke en dépit des Elemens, &
contre toutes les apparences humaines, empeschant par vne si celebre
conqueste, la facilité de la communication de l’Espagne auec la Flandres,
& restablissant nostre commerce que cette Ville ruïnoit sur l’Ocean, cependant

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il ne demanda rien à la Reyne, & le Cardinal Mazarin qui
voyoit de si grands seruices, ne porta point sa Majesté à les reconnoistre :
Vers la fin de la seconde année Monsieur mon pere estant decedé, on fit
pour Monsieur mon frere, non seulement ce qu’on a tousiours fait pour
tous les Princes du Sang de quelque âge qu’ils ayent esté, qui est de les
inuestir des Charges & des Gouuernemens qui estoient dans leur Maison
mais encore ce qu’on pratique tous les iours pour les particuliers
qui ne sont point dans la disgrace. On luy conserua sa Charge, on luy
donna son Gouuernement, & s’il faut ainsi dite, on luy permit d’heriter.
La grace pourtant ne fut pas entiere, le Cardinal Mazarin voulant qu’il
se defist du Gouuernement de Champagne entre les mains de Monsieur le
Prince de Conty, à qui la Cour estoit obligée d’en donner vn. Il auoit
sans doute alors quelque sujet de se plaindre, & si l’on veut considerer
ses actions & sa personne, on auouëra qu’on ne le traittoit point auec
faueur. Aussi est-ce en cét endroit que l’Autheur de la Lettre du Cardinal
Mazarin, pressé de la foiblesse de la matiere, employe la declamation,
& qu’il amasse quantité de choses sans ordre & sans choix, afin de surprendre
par le nombre, & encore d’ébloüir par le déguisement qu’il y adjouste.
Car il dit qu’on a donné en vn iour trois Prouinces à Monsieur
mon frere ; mais il met en ce rang le Berry, qui n’est pas vn fort grand
pays. Il y met la Bresse, qu’on à tousiours regardée sous le Mareschal de
Biron & sous le Duc de Bellegarde, seulement comme vne suitte & vne
partie du Gouuernement de Bourgogne, regardez quelles Prouinces.
Il retouche de plus à Stenay, que Monsieur mon frere, possedoit desia, à
la Champagne qu’on luy ostoit, à Bellegarde qui estoit de son patrimoine :
Enfin il fait trois places fortes du Chasteau de Dijon, de la Tour de
Bourges, de saint Iean de l’Aune, surquoy l’on peut dire que cét Escriuain
ne les a veuës qu’à demy ; & que le Cardinal Mazarin pour auoir esté Capitaine
d’Infanterie entend peu les Mathematiques. Car enfin on sçait
assez que le premier de ces lieux n’est qu’vn bastiment antique, l’autre
qu’vne prison, & le dernier qu’vn village sur la riuiere de Saone, inconnû
auant que Galas l’eust choisi pour y faire passer ses trouppes, & que
les inondations & le Mareschal de Rantzau l’en eussent chassé.

 

Il veut pourtant qu’il n’y ait point d’auidité de s’agrandir qui ne doiue
estre satisfaite de ces choses, qu’il appelle vne effusion de biens de toute
nature, mais il deuoit iuger qu’estant mediocres d’elles-mesmes, cette
hyperbole n’estoit pas capable de les augmenter, & considerer encore
que quant elles auroient esté aussi grandes qu’il les despeint, ce n’auroit
pas esté de quoy accabler Monsieur le Prince, puisque feu Monsieur
le Comte de Soissons qui n’estoit que le Cadet de nostre Maison, qui n’auoit
pas rencontré les occasions de rendre des seruices à l’Estat, qui approchassent
de ceux de Monsieur mon frere, qui se trouuoit dans la disgrace

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du feu Roy, & dans la haine de son Ministre, auoit eu toutesfois des
establissemens beaucoup plus considerables, possedant en vn mesme temps
la charge de Grand-Maistre, & les Gouuernemens de Dauphiné, de
Champagne & de Brie.

 

Le Cardinal Mazarin va bien plus loin, il s’auise contre la verité de faire
protester par Monsieur le Prince qu’il n’a plus rien à demander, & que
ses seruices sont au dessous de ses recompenses, parce que Monsieur mon
frere a fait vne chose à quoy son deuoir l’obligeoit, parce qu’il a remercié
la Reyne. Ce Ministre pretend que cette ciuilité soit vne renonciation
positiue à toutes sortes de graces, & se sert contre luy d’vn compliment de
deuoir comme d’vn acte public. Certainement, MESSIEVRS, c’est vne
chose assez extraordinaire, que celuy qui n’a iamais crû estre obligé, ny par
ses paroles, ny par ses escrits, ny par ses sermens, qui a trouué l’art de distinguer
les intentions d’auec les promesses, qui ne s’est seruy du nom de
la foy que pour mieux tromper, vueille faire passer des discours de ceremonie
pour vne obligation indissoluble, pour vn Traité autentique,
pour vn jurement fait sur les Autels. Mais des discours qu’il falsifie & qui
dans la verité n’ont esté que des remerciemens simples & respectueux. Ce
que ie vous supplie de remarquer comme vne chose importante, non seulement
par ce que le Cardinal Mazarin prend presque par tout vn fondement
de ce qu’il objecte cette renonciation supposée ; mais encore parce
qu’il ne l’appuye si fortement en ce lieu, qu’à dessein de s’en seruir mieux à
déguiser l’injustice qu’il commit contre Monsieur mon frere, lors qu’il
luy fit refuser la Surintendance de la Nauigation.

I’ose dire qu’elle fut grande : & que si iamais les sujets ont pû auoir quelques
pretentions legitimes aux bien-faits qui dependent du Souuerain,
celles que Monsieur mon frere auoit sur cette Charge se pouuoient nõmer
ainsi. Monsieur de Montmorency auoit esté Admiral, Monsieur le Cardinal
de Richelieu retenant vne puissance dont il supprimoit le nom, l’auoit esté
en suite Cette Charge estoit venuë par la mort à Monsieur le Duc de Brezé ;
c’est à dire que l’oncle maternel de Monsieur le Prince, l’oncle de
Madame sa femme, & enfin son beaufrere l’auoient possedée. Le premier
sorty d’vne Maison destinée par le Ciel à soustenir la Religion, s’y estoit
signalé dans la guerre des Huguenots, par des combats memorables : nos
flottes auoient esté tousiours victorieuses sous la conduitte du second : le
dernier victorieux en plusieurs occasions sur l’Ocean & sur la mer Mediteranée :
Enfin combattant pour son Prince & pour sa patrie venoit d’estre
emporté d’vn coup de canon. D’ailleurs Monsieur mon frere, qui apres
tous ses seruices se trouuoit encore sans Charge, estoit au mesme temps
employé au siege de Courtray. Ces considerations faisoient iuger à tout
le monde, que le Courrier qui luy apporteroit la nouuelle de la mort du
Duc de Brezé, luy apporteroit celle du don de sa Charge : & qu’on n’osteroit

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pas de sa Maison ce que ses seruices y auroient pû faire entrer, quand
le merite ne l’y auroit pas conserué depuis tant d’années. Cependant le
Cardinal Mazarin prenant desia des mesures pour s’en emparer, engagea
sa Majesté à vn refus, qui sembla si injuste que toute la France en murmura,
que Monsieur le Duc d’Orleans offrit la protection à Monsieur mon
frere, contre les mauuais offices de ce Ministre, & que Monsieur mon Pere,
que l’aage & la sagesse portoient à la douceur, s’estant retiré de la
Cour, fut le premier à le pousser à se plaindre de cette injustice : & à luy
enuoyer dire qu’il estoit prest de tout entreprendre pour luy aider à s’en
ressentir. Voulez-vous sçauoir comme Monsieur mon frere en vsa, quoy
que tout le monde parlast en sa faueur, quoy que l’offense qu’il receuoit
fust fort grande, quoy qu’il conneust que la Reyne estoit trompée. Ce
Prince jeune braue, estimé de la Noblesse, aimé des peuples, chery des
Armées, demeura dans vne soumission aueugle : fit reuenir Monsieur mon
Pere à la Cour, & sans mettre en compte ce qui luy donnoit lieu d’esperer
la Charge dont on le despoüilloit, voulut tesmoigner de nouueau par
quelque important seruice, que s’il ne l’auoit pas, au moins la meritoit-il,
& que marchant à l’expedition de Dunkerke, fit reüssir vne entreprise
que tout le monde souhaittoit depuis le commencement de la guerre, sans
que personne l’eust encore osé tenter. Ie ne pense pas que les Historiens
fournissent de plus illustres exemples de fidelité & de moderation : & cette
maniere d’agir n’est guiere d’vn homme qui arrache les biens de l’Estat
auec insolence. Au retour de l’Armée, voyant que la Reyne par les suggestions
du Cardinal Mazarin continuoit dans la resolution de prendre l’Admirauté,
& découurant le result où tendoient les artifices de cét ambitieux
afin de les ruiner & de demeurer toutes fois dans le respect. Il declara qu’il
ne songeroit iamais à demander cette Charge, tant qu’il plairoit à la Reyne
la retenir ; mais qu’il esperoit aussi de la bonté de sa Majesté qu’elle luy
feroit la Iustice de le considerer, si iamais il luy prenoit enuie de s’en deffaire
en faueur d’vn autre. C’est là ce qui s’est passé sur ce sujet, ce qui n’est
gueres conforme à ce que le Cardinal Mazarin publie, & ce qui deuoit
assez l’empescher d’entreprendre d’oster cette Charge à Monsieur mon
frere pour la mettre dans la Maison de Vendosme.

 

Pour ce qui regarde le don des Domaines de Clermont & de Iametz,
que le Cardinal veut insinuer, comme vne compensation de l’Admirauté,
par où il establit luy-mesme le droit que nous auons à cette Charge, Monsieur
mon frere ne le reçeut qu’apres vne année de seruice, pendant laquelle
il battit les Espagnols dans leur païs, & conserua la Catalogne,
quoy que son Ennemy qui le vouloit perdre apres l’auoir offensé, l’eust
abandonné au plus fort de la Campagne, sans secours & sans argent, luy
eust voulu faire hazarder son Armée à sa vengeance. Mais voyez MESSIEVRS,
comme il orne ce present, & par l’artifice qu’il apporte à déguiser

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cét article, jugez e la bonne foy des autres.

 

Il expose que ce Domaine vaut cent mil liures de rente, & cependant
on sçait bien que la guerre a ruïné ces lieux & qu’ils sont presque sans reuenu,
il adjouste Iametz à Clermont, quoy que Monsieur mon frere n’en
soit point entré en possession : Il veut enfin que ce present soit vn bien plus
asseuré que son patrimoine, & toutesfois Monsieur de Lorraine pretend
qu’il luy appartient, & que sa Majesté ne l’a pû donner. Madame la Duchesse
sa femme y forme vne opposition, & vous-mesme MESSIEVRS,
à qui le Cardinal Mazarin tasche de persuader ce mensonge, vous sçauez
bien que le sieur Langlois, l’vn des plus celebres Aduocats de nostre Barreau,
est chargé des pretentions & des papiers du Duc François de Lorraine,
& qu’il se preparoit à plaider sa cause, lors que les Princes furent arrestez ;
par où il est aisé de voir que le present doit plustost estre consideré,
comme vne querelle eternelle & dangereuse, que le Cardinal Mazarin a
suscitée à nostre Maison, que non pas comme vne faueur si grande qu’elle
puisse, pour vser des mots ridicules de son Escriuain, combler la mesure
de tout point. Ce sont là les principales graces qu’on reproche à Monsieur
mon frere ; mais comme nos ennemis reconnoissent que ny leur qualité
ny leur nombre n’estonneront pas, ils viennent aux ay des, & taschent de
les augmenter par celles qu’ils disent que Monsieur le Prince de Conty a
receuës, ils mettent en ce rang son entrée dans les Conseils, le Gouuernement
de Dampvilliers, la recompense qu’on a donnée pour cette place, &
la quantité de ses troupes. C’est vne chose estrange que l’aueuglement de
la passion, & il est bien mal-aisé d’en estre preuenu, & de iuger sainement
des choses. Celle du Cardinal Mazarin qui entraisne tout sans aucun discernement,
l’empesche de voir qu’on ne peut compter pour de grands
bienfaits ce que la nature donne, non plus que ce que l’on obtient par le
moyen des Traittez, ou s’il le voit ; c’est vne audace bien plus estrange de
pretendre vous en imposer sur la connoissance des droits du Royaume, &
de vouloir que vous ne vous souueniez pas de ce qu’on vous a accordé à
la Conference de Ruel. Monsieur le Prince de Conty entre, dit-il, au Conseil ;
S’imagine-t’il que vous mettiez ce la parmy les faueurs que peut receuoir
ce Prince, & que vous ne sçachiez pas mieux que luy, qui est Estranger,
qui ignore, & qui destruit nos Coustumes, que pendant la minorité
des Rois, la naissance donne ce priuilege aux Princes du Sang Vous croit-il
si peu instruits de nos affaires, que vous n’ayez pas connû qu’elle est la
Declaration du feu Roy, sur le sujet de Monsieur mon mary (dont il parle
en cét endroit) que vous n’ayez pas appris combien elle luy est honorable,
& que vous ne voyez pas comme elle establit la iustice de ses droits : Mais
qu’il est mal informé luy-mesme de s’adresser au Parlement, pour faire
ces reproches à Monsieur le Prince de Conty ; comme s’il ne sçauoit pas
que le dessein de seruir vostre auguste Corps, luy a fourny le premier motif

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de se mesler des affaires. Car enfin le Cardinal Mazarin deuoit bien estre
aduerty, que les amis particuliers que ce Prince a parmy vous, luy ayant
remonstré au sortir de la guerre de Paris, qu’il estoit absolument necessaire
pour le bien de vostre Compagnie, & pour la seureté commune, qu’il
se trouuast aux Conseils, afin d’y soustenir pendant la paix les interests de
ceux qu’il auoit assistez pendant la guerre. Le dessein de vous estre vtile le
fit deferer à cét aduis, & prendre sa place en vn lieu où il n’auoit point assisté
depuis la Conference de saint Germain, dans laquelle, comme vous
sçauez, il fauorisa vos pretentions autant qu’il luy fut possible.

 

Quant au Gouuernement de Damvilliers, s’il en a l’obligation à quelqu’vn,
c’est à vous, MESSIEVRS, Vous auez en effet esté les premiers à
iuger qu’il auoit besoin d’vne place de seureté contre le Cardinal Mazarin :
& chacun sçait qu’il ne l’a iamais demandée, qu’en cas que cét ennemy public
demeurast en France. Vos Deputez de plus ont interposé leurs sollicitations
pour faciliter le succez d’vne pretention si juste, & que l’on croyoit
alors si necessaire ; Et puis qu’apres vne negociation elle a esté accordée par
vn Traitté, elle ne doit ce me semble en aucune sorte s’appeller vne gratification.
Et le Cardinal Mazarin ne sçauroit songer à en pretendre nul aduantage
contre nous, qu’il ne vous fasse vne injure. Qu’il n’espere pas non
plus la rendre plus importante pour la récompense de Monsieur le Baron
Danneuoux : cette recompense, quoy qu’il l’exalte, n’a consisté iusques icy
qu’en du papier & des esperances. Mais des esperances attachées à la volonté
du Cardinal Mazarin, c’est à dire des songes où il n’y a rien de solide,
& sur lesquels il ne faut faire aucun fondement. Ie ne seray pas faschée de
vous monstrer en passant vn trait de sa mauuaise foy, qui regarde entierement
cette affaire, & qui vous confirmera tout à fait ce que ie dis. On auoit
promis à Monsieur Danneuoux pour sa recompense, la charge de premier
Maistre d’Hostel de Monsieur le Duc d’Anjou, lors qu’on feroit sa Maison.
Monsieur le Prince en auoit la parole positiue du Cardinal Mazarin,
& le Breuet en deuoit estre expedié le iour mesme qu’il partit de Compiegne
pour aller en Bourgogne. Cependant dés le soir de son depart, ce Ministre
manquant de parole, obligea ce Gentil-homme de se contenter de la
charge de Capitaine des Suisses, ne luy laissant par ce procedé aucune asseurance
que cette seconde Charge luy deuoit estre conseruée, puisque deux
heures de sa mauuaise foy luy auoient osté la premiere. Ie n’adjousteray
point sur le sujet de Damvilliers, la consideration de la qualité, ny celle du
merite de Monsieur le Prince de Conty. Ie m’asseure que vous les aurez
euës, & qu’il n’est pas necessaire de vous persuader que les choses estant
bien reglées, vn Prince comme luy n’auoit aucun besoin d’vn Traitté pour
obtenir vn Gouuernement de cette nature.

Ie ne m’arresteray pas aussi sur le sujet de la pension de cent mille francs.
qu’on dit qu’on luy a dõnée : quand cela seroit, on n’auroit rien fait de plus

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auantageux pour luy, que pour Monsieur le Comte de Soissons, à qui l’on
accordoit la mesme chose, & ie ne sçache rien qui eust pû porter leurs Majestez
à commencer par luy à diminuer les prerogatiues des Princes du
Sang. Ie diray seulement que cette pension ne luy ayant iamais esté payée,
que la moitié mesmes ne luy ayant esté donnée qu’vn mois auant sa detention.
Il est fort ridicule de vouloir reprocher vn bien quand on ne l’a
pas encore fait.

 

Ie desirerois bien pouuoir passer l’article des Troupes, dont on pretend
qu’il soit redeuable, en y respondant seulement, qu’il se treuue en France
des personnes de moindre condition que la sienne qui en ont autant que
luy. Ie croirois par là auoir assez remarqué, qu’vne grace qui luy est commune
auec ses inferieurs, ne luy doit pas estre comptée comme vne chose
extraordinaire ; mais estant obligée de vous faire voir, que ce que le Cardinal
Mazarin appelle vne faueur, est vne injure, qui s’adresse non seulement
à Monsieur le Prince de Conty, mais encor à vous mesmes. Ie me voy
contrainte aussi d’insister sur cét article plus long-temps que ie n’aurois
souhaitté. Or afin de vous faire connoistre la verité de ce que ie dis, ie vous
supplie de vous souuenir, que lors que ce Prince laissa toutes choses pour
accourir à vostre secours, il auoit sous son nom vn Regiment de trente
Compagnies d’Infanterie, vne Compagnie de Gens-d’armes, & vne
Compagnie de Cheuaux-legers : & qu’en cette occasion ces Troupes surprises
ou gagnées l’abandonnerent, horsmis quelques Officiers qui s’attacherent
à leur deuoir & à sa personne. Que vostre premier soin ayant esté
de refaire le Regiment qu’il venoit de perdre, vous luy en leuastes vn autre
de Caualerie, & que vous pristes encore le dessein de remettre sur pied
ses deux Compagnies d’Ordonnance. Mais alors la necessité de vos affaires
ne vous ayant pas permis d’en treuuer le fond, les Gens-d’armes & les
Cheuaux-legers ne furent point restablis, & le Regiment d’Infanterie
ayant esté défait à la prise de Charenton, pour cette mesme raison ne fut
remis qu’à dix Compagnies. La paix se conclud à quelques iours de là, &
tout le monde se treuua en l’estat où il s’estoit veu auant le commẽcement
des troubles. Cela suffisoit ce me semble pour faire qu’on rendist à Monsieur
le Prince de Conty son Regiment, ses Gens-d’armes & ses Cheuaux legers.
Sa condition ne deuoit pas estre pire, parce qu’il auoit protegé vostre
bon droit, & il ne pouuoit estre plus mal-traitté que les particuliers
d’vn party, à la teste duquel il s’estoit trouué. Mais de plus on luy a promis
par vn article separé le restablissement de ses Troupes, & ainsi il falloit
que lé Cardinal Mazarin satisfist à ses paroles, ou qui violast le Traitté,
qu’il vous offensast, vous qui estiez les cautions de son execution, ou qu’il
l’accomplist, Qu’il offensast enfin Monsieur le Prince de Conty, en commençant
par luy à manquer à la foy publique. C’est ce qu’il a fait, MESSIEVRS,
& c’est aussi dont nous nous plaignons. Le Cardinal Mazarin

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qui a veu que le seruice de ces gens de guerre vous estoit asseuré, aussi bien
que l’amitié inuiolable du Prince dont ils portoient le nom, a voulu
vous affoiblir en ne les restablissant pas ; la leuée n’a point esté donnée aux
Compagnies d’Ordonnance, il a empesché qu’on n’ait fourny le suppléement
necessaire pour acheuer les trente Compagnies du Regiment qui est
demeuré imparfait, iusques au iour où toutes ces troupes, que vous pouuiez
appeller vostres ont esté licentiées. Il ose cependant les reprocher, luy
qui les a ruinées, il l’ose faire en parlant à vous, dont il a negligé l’interposition,
dont il a mesprisé l’authorité, ne vous fait-il pas vne injure ?
Mais quand le Traité de Ruel auroit esté pleinement executé pour ce sujet ;
quand le Prince qui vous a l’obligation de luy auoir voulu rendre ses
troupes, vous auroit encore celle de les luy auoir conseruées, ie n’estime
pas que vous puissiez souffrir sans colere, que le Cardinal Mazarin que
vous connoissez, luy en reprochast vn nombre si peu considerable, luy
qui a cinq Regimens de Caualerie, d’Infanterie, de François, d’Italiens,
& d’Allemans : C’est à dire vne armée, luy qui a des Gensd’armes, des
Cheuaux-legers, luy qui a des Gardes, mais qui les a à Paris, où le premier
Prince du Sang demeure comme vn particulier ; mais qui les a dans le
Louure, ce qui est vne chose à laquelle les enfans de France n’oseroient,
ie ne dis pas pretendre, mais seulement songer. Nostre seruitude est bien
lasche, nos mœurs sont bien corrompuës, si nous endurons cette insolence,
& s’il nous reste quelque honneur, nous deuons bien rougir de la
honte que nous fera l’histoire des autres peuples : Car ie n’estime pas que
la nostre ose raconter vne si grande infamie. Ie sens bien, Messieurs, que
ie parle auec quelque émotion ; mais à dire le vray, il est difficile de garder
le temperamment sur vne chose de cette nature. Vous mesmes sans
doute supportez auec impatience, ce mespris de la dignité Royale, & ce
des-honneur de nostre Maison, & vous partagez auec moy ce zele qui
ne peut endurer que l’on blesse si honteusement l’authorité Souueraine.
Ie sens bien encore que i’auray peine à souffrir l’article qui suit sans m’en
plaindre. On accuse Monsieur le Prince d’auoir reçeu de notables sommes
d’argent, ie veux que cela soit, il a fait aussi de grandes despenses à l’armée
pour les affaires de sa Majesté, pour ses equipages, pour sa table, pour
le reste des frais qui ne se peuuent separer de la Charge des Generaux. Où
voit-on aujourd’huy vn peuple qui entreprenne vne guerre, & qui ne
s’efforce pas de faire connoistre sa grandeur dans la splendeur de celuy qui
commande ses armées. Le Roy Catholique baille tous les ans vn équipage
superbe à Monsieur l’Archiduc, il luy dõne tous les mois quinze mil escus
pour sa dépense particuliere. Les Hollandois dont la discipline est reglée
traittent liberallement, ie ne dis pas leur General, à qui ils fournissent de
grandes sommes, mais les moindres Officiers de leurs troupes. La profusion
des officiers Allemans est immense, & c’est en ces occasions aussi que la

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liberalité de nos Roys a tousiours paru auec éclat ; Toutesfois le Cardinal
Mazarin fonde sur ce sujet vn pretexte d’ingratitude : il n’en auroit aucune
raison quant on auroit bien traitté Monsieur mon frere. Mais les
choses sont entierement contraires à ce qu’il aduance : & il n’y a icy nulle
comparaison auec les exemples que i’ay apportés, comme ce mauuais
Ministre a ruïné la discipline de nos Troupes en retenant l’argent qui
leur estoit destiné : Qu’il a ruïné les peuples que ces Troupes ont esté
contraintes de piller ; qu’il a ruïné les Gentilshommes qui les conduisent :
& qui se sont veus forcez de vendre & d’engager leur bien pour subsister
dans leurs charges : Aussi n’a-t’il pas mieux traitté Monsieur mon frere,
qui n’a point fait de Campagne, sans en soustenir de son propre bien les
dépenses prodigieuses. Ce ne seroit pourtant rien s’il n’en auoit point fait
d’autres. Il a rendu des seruices assez considerables à l’Estat pour ne pas
plaindre ce qui luy à cousté en ces occasions. Il s’est estimé heureux de les
payer souuent de son sang, s’il en eust esté besoin il les auroit acheptées de
sa propre vie. Ie souffre paisiblement ce reproche dont toute l’Europe le
deffendra bien. Mais d’endurer qu’on expose qu’il a touché de si grandes
sommes, luy à qui l’on doit prés de sept cens mil liures de ses pensions,
de qui les pierreries sont encores engagées à Lyon pour les affaires du
Roy, qui a presté en deux fois cent mil escus qui ne luy ont pas esté rendus :
Qui par ce moyen se trouue en arriere de plus de quinze cens mil
francs, sans parler de ce qu’il a mis du sien pour releuer la Table du Roy,
que le mauuais ménage du Cardinal Mazarin auoit renuersée, & sans
compter les sommes considerables que la Cour doit à Madame ma mere,
de qui elle les a empruntées dans la necessité où la reduisoit l’auarice de ce
Ministre. C’est ce que la plus grande moderation ne sçauroit souffrir qu’auec
douleur ; & l’on peut se fâcher contre le mensonge d’vn homme qui
veut que sa propre ingratitude soit le crime de ceux qui l’ont obligé.

 

Maintenant il ne nous reste rien à examiner sur le sujet des bien-faits,
que ceux qui ne touchent point la personne de Monsieur mon frere, mais
qu’on attribuë à son credit, & qu’on soûtient qu’il a procurez à ses amis.
L’autheur de la Lettre les traitte tous en general, & comme si le nombre
luy en empeschoit le choix, il se contente d’en indiquer les especes & ne
descend point aux exemples particulieres. Mais ie veux vous monstrer que
ces graces qui semblent paroistre en foule, se reduisent souuent à vne, se
reduisent souuent à rien. Il commence par la consideration que l’on a faite
des prieres de Monsieur le Prince, A quoy ie responds, que ceux dont il
a protegé les affaires de la Cour, sçauent bien par les difficultez qu’ils ont
trouuées aux choses les plus faciles, que sa recommandation a souuent
serui d’obstacle. Il vient ensuitte aux Breuets de Duc, comme s’il y en auoit
plusieurs, ou que Monsieur mon frere eust procuré cette dignité à feu
Monsieur de Chastillon, qui estoit le seul de ses amis à qui elle auoit esté

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donnée. Mais on sçait bien que dés le temps du feu Roy, le Breuet en fut
accordé à Monsieur le Mareschal de Chastillon, & que deslors le Cardinal
de Richelieu le pressa de se faire receuoir. On sçait encore que parce
qu’il souhaittoit que Monsieur de la Meilleraye qu’il vouloit éleuer à ce
grade passast le premier. Monsieur de Chastillon n’y ayant pû consentir,
l’affaire demeura sans s’acheuer, en vne saison où l’authorité du Roy l’auroit
entierement consommée. Monsieur son fils qui auoit desia rendu de
fort grands seruices, & dont la maison estoit des plus grandes du Royaume :
de la mesme sorte qu’on a fait Monsieur le Mareschal de Gramont, &
Monsieur le Marquis de Vitry apres la mort de Messieurs leurs peres. Et
l’on luy a conserué son rang lors que la Reyne en accordoit vn semblable à
Messieurs d’Estrée, de la Meilleraye, de Lyancourt & de Tresmes. Voila
quels sont ces Breuets de Ducs, & la part que Monsieur mon frere y
prend.

 

Pour les Abbayes, l’affaire de l’Abbé de Grace, qui est la seule que
Monsieur le Prince ait entreprise, qui a duré deux ans, & qui n’est pas
encore concluë, fait assez cognoistre que les benefices n’ont pas enrichy
les siens. Et quant aux Eueschez, on ne peut citer que l’Archeuesché de
Bourges, qu’on a donné à Monsieur l’Abbé de Memacq, encore ne sçay-je
si le droit de la nomination n’auoit point esté accordé auec le Gouuernement
de Berry à feu Monsieur mon pere, qui y presenta deux ou trois Archeuesques,
& que Monsieur mon frere ne se fust point seruy de ce priuilege
en faueur de son Cousin. Ie ne sçay, dis je, si les alliances, ny la grandeur,
ny l’antiquité de la maison de Vantadour, ny le long-temps que
Monsieur l’Abbé de Memacq auoit passé à la Cour sans benefices, ny l’amitié
particuliere qu’il entretenoit auec le Cardinal Mazarin, & qu’il y
cultiue encore, l’eussent fait entrer en cette place, apres en auoir veu remplir
quantité d’autres qui luy auoient esté promises par ce Ministre
trompeur.

Acheuons ce qui reste à descouurir de ses mensonges sur les emplois de
guerre & sur les Gouuernemens. Pour les premiers ie ne sçay pas qui il
pretend designer, & ie ne voy pas mesme qu’en cela Monsieur mon frere
ayt rien fait d’extraordinaire. Car enfin s’il veut dire qu’il a recommandé
le merite de ceux qui ont seruy auec luy, il en a vsé comme tous les autres
Generaux ont accoustumé de faire, tousiours ie suis asseurée que pas vn
homme n’a esté porté aux emplois par sa faueur, ou par sa recommandation
qui ne les eust meritez par ses seruices. Ie dirois le mesme des Gouuerneurs ;
mais icy Monsieur mon frere a plustost à se plaindre qu’à s’excuser ;
Et le Cardinal Mazarin est fort peu iudicieux de conclurre l’enumeration
des biens-faits qu’il a reçeus, par vne offense qu’il luy a faite. Il est certain
que Monsieur mon frere souhaittoit passionnément de mettre Monsieur
de Chastillon dans Ypre, il l’en trouuoit digne par toutes sortes de raisons,

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& il s’estoit engagé de demander ce Gouuernement pour luy. Cependant
le Cardinal Mazarin afin de monstrer que ce Prince n’auoit pas
seulement le credit de faire accorder les choses iustes, apres luy auoir desia
fait refuser le Gouuernement de Dunkerque pour le mesme Monsieur de
Chastillon, & celuy de Bergues pour Monsieur de Marsin, luy fit refuser
encore cette derniere demande ; & auec l’estonnement vniuersel des honnestes
gens, sans songer qu’il l’offençoit, sans se soucier des interests de
l’Estat, sans preuoir à la seureté de nos conquestes, establit dans Ypre vne
de ses creatures qui venoit de perdre Courtray, & qui perdit Ypre ensuite.
Qu’il n’appelle donc plus Dieu à tesmoin de ce qu’il n’a rien obmis pour
procurer l’auantage & la satisfaction de nostre Maison, puisque n’ayant iamais
rien negligé de ce qu’il a creu la pouuoir destruire, comme vous auez
desia veu ; nous esperons que Dieu sera le Iuge seuere de sa perfidie. Quant
au consentement qu’il dit que Monsieur le Duc d’Orleans a apporté aux
biens que l’on a faits à Monsieur mon Frere, c’est vn tesmoignage que
nous tenons d’autant plus veritable, qu’il nous vient de la main de nos ennemis,
que son Altesse Royale a reconnu son merite, & qu’elle n’a rien
trouué dans les choses qu’on faisoit pour ce Prince qui fust contraire à l’Estat.
Iusques icy, MESSIEVRS, i’ay respondu à ce qu’on a voulu nous
obiecter pour nous accuser d’ingratitude ; & ie croy l’auoir fait de sorte,
que ie n’ay laissé aucun lieu de nous la pouuoir reprocher qu’iniustement.
I’ay examiné la nature des graces que nous auons reçeuës, leur circonstances,
les conionctures des affaires qui nous les ont procurées, la force
du droict & la justice des pretentions que nous y auions, afin que tout le
monde en estant instruit, conneust clairement auec quel excés de malice
nos ennemis, ou cachant ou alterant ces choses, les auoient changées. Et
qu’il n’y auoit point d’artifice qu’ils n’eussent employé, ny de mensonge
qui ne leur eust semblé honneste pour attirer sur nous cette haine des gens
de bien, qui suit d’ordinaire les ingrats. I’espere, MESSIEVRS, que sur
ce premier point vous nous aurez fait justice, & que la candeur & la sincerité
dont i’ay vsé iusques icy dans ce discours ne vous auront pas dépleu.
Ie viens à cette heure à la seconde partie de l’accusation du Cardinal Mazarin :
Et comme elle est fondée sur des crimes qu’il inuente, & sur de
bonnes actions qu’il explique en mauuais sens. Ie m’asseure que i’auray
encore peu de peine à triompher de ces monstres imaginaires, & que ie
renuerseray aisémẽt le blâme de la calomnie sur celuy qui en est l’autheur.

 

L’on n’accuse que les pretentions de Monsieur le Prince, tant ses
actions sont innocentes ; ses pretentions se trouuent si iustes que ses ennemis
sont contraints de luy en supposer de fausses : Et celles-cy sont si
peu croyables qu’il ne faut que les raconter pour les destruire. C’est pourquoy
sans m’efforcer d’appuyer de raisons des veritez qui n’ont point besoin
de l’estre, ie me contenteray de dire les choses comme elles se sont

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passées pour les faire voir en leur nature : I’osteray le masque que le Cardinal
Mazarin leur donne, & dans tout mon discours par vne relation
naïfue & sincere, ie tascheray de vous exposer simplement ce qu’il faut
croire de ces choses que l’on vous dissimule, que l’on vous falsifie, que
l’on vous augmente, afin que les ayant bien cogneuës, vous qui estes si
judicieux & si penetrans, il vous soit aysé de juger ensuite qu’vne partie
de ces accusations est de nul poids, & ne merite pas vne serieuse reflexion :
Que les interests seuls ou les passions, l’ambition ou la hayne du Cardinal
Mazarin ont fait naistre les autres, qui n’ont aucun rapport auec l’Estat, &
qu’enfin celles qui sont de consequence, bien loin de regarder Monsieur
mon frere, sont les crimes de ce Ministre, que c’est luy qui en est seul coupable,
que c’est luy qu’il en faut punir.

 

L’on accuse en premier lieu Monsieur le Prince, d’auoir souhaitté de
soumettre la Franche-Comté pour s’en faire Souuerain. Voicy surquoy
cette imposture est fondée. Le Cardinal Mazarin ayant laissé perdre les affaires
du Royaume de Naples, en vn temps où vn foible secours en eust
fait vne Republique, lors que ces peuples furent remis sous le joug, &
que par sa faute, la domination d’Espagne se trouua d’autant mieux restablie,
que ses armes venoient d’estouffer les restes de la liberté, en fit proposer
la conqueste à Monsieur mon frere, s’imaginant que le desir de la
gloire qui le porte aux grandes choses, l’empescheroit de voir l’impossibilité
de ce dessein, dans lequel il ne pouuoit s’engager sans perdre la vie,
ou la reputation, ou du moins sans s’esloigner pour long-temps de France,
& luy laisser ainsi les moyens d’y fonder à son ayse les prodigieux establissemens
qu’il proiettoit. Monsieur mon frere voulant eluder sagement
vne proposition si ridicule & si fort à contre-temps respondit : Que quant
il y auroit quelque grand dessein à tenter, il vaudroit mieux songer à la
conqueste de la Franche-Comté qui nous estoit toute ouuerte, qui cousteroit
moins, qui estendoit nos Frontieres, qui honoroit les armes du
Roy, qu’à celle de Naples esloignée de tous nos Estats, capable d’épuiser
nos Finances, de perdre nos flottes, & de ruïner nos armées. Il ne s’est
rien passé de plus sur ce sujet, tout le dessein s’en est terminé dans des discours
de cette nature qui estoient generaux, qui ne regardoient pas le
bien de Monsieur le Prince, mais celuy de l’Estat ; qui faisoient voir l’incapacité
& la malice du Cardinal Mazarin. Ce qu’on y ajouste est controuué.

Cette autre Souueraineté des places de Flandres que nous auons au
bord de la mer, supposée encore auec autant de malice pour aigrir Monsieur
le Duc d’Orleans, est vn pur roman de la mesme inuention : du quel
on n’a iamais parlé, & qui n’est ny vray, ny vray semblable. Certes puisque
le Cardinal Mazarin s’estoit resolu à nous inuenter des crimes, au
moins pouuoit-il mieux les imaginer, & leur laisser assez d’apparence
pour tenir en doute, s’il ne pouuoit leur en donner assez pour persuader,

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Il falloit qu’il eust quelque soin de la bien-seance. Qu’il ne transportast
pas si legerement les fondemens d’vne Souueraineté de l’extremité de l’Italie
aux frontieres des Suisses, & du milieu des terres aux derniers bords
de l’Ocean : de Naples à Dole, & de Dole à Grauelines. Le plan de cette
domination deuoit estre vn peu mieux pris & plus fixe. Enfin il ne falloit
point assembler tant de desseins pour en persuader vn seul : Les Estats ne
se forment pas comme les Chasteaux en Espagne : & le Cardinal Mazarin
qui est si habile à les destruire, & qui ébranle si souuent les fondements
du nostre, n’entend guere la science de les établir, ny de les conseruer ;
Mais j’insiste trop long-temps sur des choses, qui estant absolument fausses,
n’ont besoin que d’estre simplement niées.

 

L’affaire de Liege merite vne plus serieuse reflexion, puis qu’il faut
montrer de quelle sorte le Cardinal Mazarin a abandonné les interests de
l’Estat en cette rencontre ; soit qu’il ait reçeu de l’argent pour le faire, comme
disent quelques-vns, soit qu’il les ait negligez selon sa coustume, soit
qu’il en faille accuser son auarice ou son imprudence. Il est necessaire de
prendre cette affaire dés son origine, si nous la voulons bien esclaircir, &
de la raconter en passant pour en faire voir la consequence, mais le plus
succinctement qu’il sera possible.

Le païs de Liege plein de Villes, abondant en Peuples, fertile en toutes
choses, scitué entre l’Allemagne & les Païs-bas, recognoist son Euesque
pour Prince. Toutesfois la domination du Souuerain est fort limitée : Les
Priuileges des Bourgeois & l’authorité des Magistrats que le peuple eslit,
donnent à la ville de Liege les auantages des Republiques. Il y a dans son
obeïssance plus de deuoir que de seruitude. Lors que l’on commença la
guerre auec l’Espagne, cette Souueraineté se trouuoit dans la Maison de
Bauiere, où elle est encore, & l’Electeur de Cologne estoit deslors Euesque
de Liege. Ainsi les secours de ce païs estoient ouuerts à nos ennemis,
ils y tenoient leurs armées, ils y faisoient leurs recruës, ils y prenoient
leurs quartiers, ils s’y déchargeoient d’vne partie de la guerre. En ce temps
le Cardinal de Richelieu voulant leur oster de si grandes commoditez, ou
du moins les rendre communes par vne Neutralité, & se fondant sur les
anciennes alliances dont nos Roys auoient honoré les Liegeois, enuoya
vn Resident dans leur Ville, y fomenta vne faction, y affoiblit la puissance
de la Maison d’Austriche. Et il y a beaucoup d’apparence qu’il alloit
obliger ce peuple à passer dans les interests de la France, qui luy donnoit
sa protection : & à laisser le party des Bauarrois, dont la domination estoit
deuenuë formidable par vne longue succession : Les Liegeois ayant lieu de
craindre que desormais les Euesques ne prissent successiuement dans cette
Maison, & que la liberté de l’eslection estant ostée ils ne vinssent ensuitte
à perdre les droits de leur liberté. Il y auoit dis-je tout lieu d’attendre
vn fauorable succés de leur disposition, lors que nos ennemis afin d’aporter

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vn remede violent à ce mal, où desormais tous les autres estoient
inutils, firent assassiner le Bourgmestre la Ruelle, homme populaire &
hardy, passionné pour la faction Françoise, & deuoüé à la liberté de son
païs. Or quoy que le peuple eust déchiré le Comte de Varfusée chez qui il
auoit esté massacré, quoy qu’il eust sauué l’Abbé de Mouzon nostre Resident,
lors qu’on estoit prest de violer le droit des gens en sa personne.
Neantmoins nos affaires ayant beaucoup decliné par la perte du Bourguemestre,
vne partie de ceux qui s’estoient attachez à nos interests furent punis,
& les autres bannis de la Ville. Pendant leur exil nous apportasmes tous
nos soins à les faire restablir, nos Plenipotentiaires allant traitter la Paix
generale solliciterent les Hollandois de s’y employer, & témoignerent si
hautement la part que nostre Nation prenoit à leur infortune, que se
mettant sous le couuert de leurs batteaux, lors que descendant la Meuse
ils furent obligez de passer dans la ville de Liege pour aller à Munster, ils
refuserent les honneurs que les ennemis de la faction Françoise qui
estoient lors en Magistrature voulurent leur rendre. Cette faction enfin
ayant repris le dessus, chassa à son tour ceux qui luy estoient contraires, &
s’establit si puissante, que la pluspart des Chanoines de Liege furent contraints,
ne voulant point quitter les interests de Bauiere, de se retirer à
Huy. Ce fut lors que l’Euesque prit les armes sous le pretexte specieux
de restablir ses Creatures ; Mais en effet pour opprimer ce peuple qu’il
voyoit prest de se ietter entre nos bras, & qu’auec le peu de Trouppes
qu’il auoit pû amasser, il enuoya son Nepueu qu’il destinoit à la succession
de cette Souueraineté pour assieger la ville de Liege, vers le commencement
de l’Esté de l’année mil six cens quarante-neuf. Tout le monde
iugea d’abord le dessein des Bauarrois temeraire : leurs trouppes estoient
tres foibles, prés de cent mil hommes pouuoient prendre les armes dans
la Ville, personne ne doutoit que nous ne la secourussions, & que cette
occasion ne fust la plus fauorable du monde pour l’acquerir tout à fait, cela
nous estoit mesme facile. Nostre armée que commandoit le Comte de
Harcourt ne s’en trouuoit qu’à deux journées : Les Bauarrois se preparoient
à leuer le siege pourueu qu’elle eust aduancé : Et il falloit bien
moins de temps, & il se rencontroit bien moins de peril & beaucoup plus
d’auantage en cette entreprise, qu’à nous amuser à fortifier la Villette de
Condé au milieu du pays ennemy, sans riuiere, sans passage, esloignée de
toutes nos autres conquestes, où l’armée eust dépery par vn long sejour,
qu’il eust enfin fallu perdre, & ensemble les quatre mil hommes qu’on
auoit resolu d’y laisser, qui estoit le dessein que l’on proposoit alors.
D’ailleurs quand le secours du Liege auroit paru aussi difficile qu’il estoit
aisé, la seule obligation de deffendre des Peuples alliez, pour laquelle
les Nations les plus sages ont tenu à gloire d’entreprendre les plus dangereuses
guerres. Mais deffendre des Alliez que nos interests auoient jettez

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dans le peril, estoit assez suffisante pour nous faire employer nos derniers
efforts à les déliurer, & nous ne pouuions les abandonner sans honte.
A ces considerations de l’honneur se joignoient celles de l’vtilité. Le Deputé
que la ville de Liege auoit enuoyé implorer nostre ayde, offroit de
nous laisser tout le païs pour y prendre nos quartiers d’hyuer, & pour y
jetter les trouppes Allemandes qui auoient desolé la Champagne, & qui
la menaçoient d’vn second orage lors qu’elles rentreroient en garnison.
De plus, comme les forces qui assiegeoient cette Ville n’estoient pas considerables,
ils ne demandoient qu’vn petit secours seulement pour allonger
leur deffence iusques à la fin de la Campagne, si nous ne voulions pas
y enuoyer nostre armée. Et cela afin que ne hazardant point leur Bourgeosie,
ils ne donnassent aucun tumulte ny aucun sujet de remuer à ce qui restoit
d’entr’eux de la faction de Bauiere. Enfin voulant s’attacher entierement
à la France, & se souuenant qu’autrefois pour leur Euesque ils
auoient eu vn Prince de la Maison de Bourbon : Ils demandoient encore
le mesme honneur : & auoient jetté les yeux sur Monsieur le Prince de
Conty. Vous m’auoüerez maintenant MESSIEVRS, qu’il n’y auoit
point d’affaire ny plus importante ny plus glorieuse pour l’Estat, puis
qu’au mesme temps on rendoit la liberté aux Alliez par la force des armes,
on ostoit aux Espagnols vne des plus considerables resource de leur party,
on attachoit inseparablement aux interests de la France vn pays fort riche
& fort grand. Cependant le Cardinal Mazarin preferant, ou la hayne qu’il
auoit pour nostre Maison, ou son interest particulier, au seruice du Roy,
à l’honneur de la Nation, à l’interest du Royaume, non seulement receut
auec caresse le Deputé du Duc de Bauiere : mais se laissant corrompre à ce
Prince qui l’auoit desia trompé, il luy écriuit qu’il ne se mist point en peine,
& que la ville de Liege ne seroit point secourüe. Il obligea le Resident
qui y estoit à desgouster ceux qui s’attachoient à nous. Il jetta la diuision
& le desespoir parmy les plus passionnez : Et ainsi à l’aspect de toute l’Europe
qui voyoit nostre honte, la terreur & la deffiance s’estant mises par
ses artifices, dans l’esprit de ces pauures habitans, cette miserable Ville
nous accusant de sa perte, ouurit ses portes à des ennemis qui y exercerent
toutes les hostilitez imaginables. La liberté des Liegeois fut entierement
supprimée, leurs priuileges annullez, leurs biens exposez au pillage.
Ceux que les interests de France rendoient criminels punis du dernier
supplice, & nostre nom rendu odieux à toutes les Nations. A dire le vray,
MESSIEVRS, si l’on met parmy les crimes de leze-Majesté celuy d’auoir
mal conduit & trahy les affaires, vous demeurerez d’accord qu’en
cette nature d’offence personne n’est plus coupable que le Cardinal Mazarin.
Vous auoüerez qu’il a seul ruiné les trauaux qu’vn habile Ministre
auoit employez pour nous assurer le Liege, qu’il a desnué la France d’vn
si grand appuy, qu’il la remis tout entier entre des mains amies de la Maison

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d’Austriche ; Qu’ainsi toute son accusation se doit tourner contre luy
& qu’il est aussi digne de receuoir le chastiment de cette faute, que Monsieur
mon frere & Monsieur le prince de Conty meritent de loüanges pour
l’auoir voulu empescher. Quant aux esperances que Monsieur le Prince de
Conty pouuoit conceuoir d’estre Euesque de ce païs, elles estoient fort
eloignées, leur nature mesme sembloit les rendre impossibles. Il falloit
pour estre esleu qu’il eust vn Canonicat, qu’il y eust residé deux années,
que l’Electeur de Cologne fust mort, les deux premieres choses n’estoient
pas faites, l’Electeur de Cologne est encore sain. Il falloit qu’il fust esleu du
consentement de tout le Chapitre, dont la plus grande partie attachée à
la Maison de Bauiere, s’estoit retirée à Huy, preste de s’opposer à sa nomination,
qui estant faite par le plus petit nombre, ne sembloit pas Canonique,
& il n’y auoit aucun lieu de croire que le Pape l’eust facilement approuuée.
Cela estant de la sorte, ie m’assure que tout le monde confessera
aysément que l’interest de la Couronne estoit le seul considerable dans cette
affaire, que le nostre si éloigné & si douteux ne se deuoit point conter :
Et qu’il n’y a personne qui ne s’estonne de l’audace que le Cardinal Mazarin
a euё, de nous imputer les fautes qu’il a commises en cette occasion, &
qu’on ne sçauroit blasmer Messieurs mes freres d’auoir voulu seruir des
peuples, qui témoignoient tant de bonne volonté à l’Estat & à nostre Maison.
Auant que de quitter cette matiere, ie veux vous montrer vn trait de
la bonne foy du Cardinal Mazarin, qui vous semblera bien digne de sa sincerité
ordinaire. Apres auoit esté long-temps à promettre pour le Liege vn
secours imaginaire des trouppes de Roze, qui ne commençoient qu’à se
former en Alsace apres auoir retiré de Lorraine les Regimens de Monsieur
le Prince de Conty, pour les faire venir à Sedan, où l’on deuoit assembler
vn autre corps, afin que retournant apres en Lorraine, passant & repassant
par la Champagne en vn temps où il n’y auoit point de Trouppes, elles la
souleuassent contre luy : apres auoir apporté des difficultez & des retardemens
en toutes choses. Le soir qu’il sceut la prise de cette ville qui fut publiée
le lendemain, il deuint facile, il donna tout ce qu’on voulut, & plus
qu’on ne demandoit : Il accorda de nouuelles Trouppes, il proposa de
nouueaux expediens pour faire reüssir cette affaire qu’il croyoit perduë, &
par cette moquerie injurieuse, il accrut doublement l’injure qu’il nous
auoit faite.

 

De la conqueste de la Franche-Comté, de la demande de Grauelines &
de l’affaire de Liege ; l’Autheur de la Lettre tire vne consequence, qui (à
ce qu’il pretend) fait voir clairement combien Monsieur le Prince estoit
possedé du desir de la Souueraineté. Il la confirme par vne vieille maxime,
qui dit que ce prince a souuent repetée, & par l’examen de sa conduite
qu’il regarde en General & qu’il examine apres en particulier. Ie pense,
MESSIEVRS, que les fondemens de cette conclusion sont assez destruits,

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& que vous estes assez informez que la demande des places de Flandres
n’est qu’vne inuention, l’affaire du Liege qu’vn crime du Cardinal Mazarin,
& qu’on n’a fait la proposition de la guerre de la Franche-Comté, que
pour se deffendre d’vn piege, que ce Ministre preparoit à Monsieur le
Prince par la conqueste de Naples. Quant à la maxime qu’on peut faire
tout pour Regner, quoy que comme j’ay apris, son autheur & son antiquité
l’ayent renduë publique depuis tant de siecles : Ie puis asseurer que
Monsieur mon frere ne l’a iamais prononcée, & qu’au contraire il n’y a
pas vn de ceux qui l’ont approché qui ne luy ait entendu dire souuentesfois,
ce que sa conduite a si solemnellement confirmé : qu’il ne se separeroit
iamais de l’obeïssance, & que s’il auoit quelque chose à esperer, il
vouloit que sa fidelité & ses seruices l’en rendissent digne ; ç’a tousiours
esté sa seule pensée : Plusieurs de vostre Compagnie en peuuent estre tesmoins,
il en a donné de trop grands exemples pour laisser lieu d’en douter ;
& vous m’auoüerez aussi que s’il y a quelqu’vn dans le Royaume sur
qui la haine d’vne opinion si pernicieuse que celle-cy doiue tomber : c’est
celuy-là mesme qui l’obiecte. Mais le Cardinal Mazarin n’eust pas esté
content, si apres auoir accusé Monsieur le Prince de ses propres fautes, il
n’eust encor voulu le rendre coupable de ses mauuais sentimens. Car enfin
ie ne sçay pas de qui on peut mieux expliquer cette detestable maxime,
que de celuy qui pour maintenir sa grandeur allume les guerres ciuiles : &
qui pour establir sa fortune ne fait point de difficulté de violer les droits
diuins & humains : & vous auez éprouué, & non seulement vous ; mais
toute la France a ressenty auec douleur les calamitez que cét Estranger a
causées pour conseruer son Ministeriat par les armes, malgré les Loix de
la Monarchie, & malgré vos iustes arrests. Vous voyez mesmes qu’il est
encore prest de renouueller nos desordres, si vostre prudence n’y remedie,
si vous ne secourez l’Estat auec fermeté, si vous n’en chassez ce Ministre
qui se condamne luy mesme, lors qu’il dit que cette pernicieuse maxime,
qu’il pratique à nos despens, doit estre suiuie du chastiment, ou de la
ruine de tous ceux qui s’en seruent.

 

Mais qui peut l’auoir obligé à croire que Monsieur mon frere en fust
coupable, puis qu’on n’a jamais veu vne conduite plus opposée à ce qui
meine à la Souueraineté que celle qu’il a tenuë ? Ceux qui naissent dans la
dependance de quelque autorité superieure, & qui tentent d’extraordinaires
moyens pour se rendre les Maistres des Estats, ne le font que par
ces voyes ; par la corruption ou par la violence. Cela regarde la cabale des
Peuples, celle-cy la force des Armes, en vain en rechercherez-vous d’autres,
tout se rapporte à ces deux : En ces choses les hommes ont agy toûjours
de la mesme sorte. Quand il s’est rencontré quelques differences en
leur conduite, les occurrences particulieres des affaires les ont produites,
elle a tousiours esté semblable pour le general, si à cette heure Monsieur

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mon frere peut estre, le ne dis pas accusé : ce seroit trop pour vne fidelité
éprouuée comme la sienne, ie dis seulement soubçonné d’auoir voulu gagner
les Peuples, d’auoir pris les Armes contre son deuoir, d’auoir pour
le seul sujet de sa grandeur mis la discorde dans le Royaume, c’est trop peu
pour luy qu’vne prison, quelque rude qu’elle puisse estre. Que si au contraire
tout le monde sçait, & vous Messieurs, mieux que personne, si pour
obeir à la Reyne, inflexible à maintenir le Cardinal Mazarin, il s’est attiré
la haine des peuples, si pour ce sujet il a abandonné les interests de sa grandeur,
s’il a esté contraint de tourner ses armes contre vous, luy qui les auroit
employées à chasser cet ennemy, si son obeissance n’auoit pas preualu
sur ses sentimens ; si enfin il n’a iamais fait d’alliances auec les Estrangers
(encore que pour procurer la paix de l’Europe, pour donner le repos à la
France, & pour oster de nos affaires celuy qui empesche ces deux grands
biens, elles eussent esté tres-honnestes, tres-vtiles, tres-necessaires (si dis-je
pas vne de ces choses ne luy peut estre reprochée, qui pourra croire
qu’il ait voulu aspirer à la Souueraineté, ou qu’il tasche d’abaisser la
puissance de son Roy.

 

Mais ses pratiques cachées & en suite ses menées descouuertes ont mis à
sa deuotion nos soldats François & nos troupes Auxiliaires. Mais dans le
plus pressant besoin qu’on eust d’vn Chef capable de suppléer comme luy
aux manquemens des derniers desordres, il n’a point voulu aller à l’armée
pour demeurer à caballer à la Cour. Auant que ie responde à ces accusations,
ie seray bien aise que vous consideriez de quelle sorte l’incertitude
& le trouble de l’esprit du Cardinal Mazarin, le portent à se contredire.
Monsieur mon frere, dont il parle presque par tout comme d’vn homme
duquel l’aage n’a point meury le desreglement, est pourtant par luy mesme
iugé seul capable de remedier aux desordres. Et ce Prince qui pendant
que les affaires estoient encores broüillées pouuoit à la teste de cette Armée,
qui estoit à ce qu’on dit à sa deuotion, profiter des occurrences de
s’agrandir s’il en eust eu le dessein, la quitte pourtant dans vne conioncture
si fauorable pour en laisser le commandement entre les mains d’vn amy
du Cardinal Mazarin. Il n’y a rien de plus opposé ny de moins croyable :
rien qui concluë dauantage le contraire de ce qu’on veut prouuer contre
luy ; mais c’est ainsi que ce Ministre se contrarie par tout son discours, &
que ce qu’il dit se trouue tousiours opposé à ce qu’il vient de dire, & j’auouë
que i’ay beaucoup moins de contestation auec luy, que ie ne luy en
trouue en luy mesme. Aussi certes est-il possible de mentir sans contradiction
& sans desordre, & ie ne m’estonne pas qu’il y en ait tant dans sa
Lettre, où il ne se trouue pas vne periode qui ne soit pleine de faussetez.

Or pour reuenir à nostre response, on reproche à Monsieur le Prince
qu’il a débauché les Troupes Françoises, il faut donc que ç’ait esté par la
profusion, par l’oisiueté & par la licence. Car le trauail & la discipline les

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reglent au lieu de les corrompre. Ie pretends au contraire qu’on a l’obligation
à Monsieur le Prince, d’auoir restably ces vertus parmy nos gens de
guerre, on luy a obligation que les troupes de sa Maison qu’on a maintenant
cassées, furent les seules qui empescherent l’Armée de se débander
l’année derniere, lors que n’estant point payée elle vouloit se deserter. Mais
afin de faire mieux voir qu’il a retranché la profusion de nos Armées, il
faut remarquer que depuis le commencement de la guerre, outre la paye,
que nos soldats tiroient pour leur seruice ordinaire, s’il falloit remuer la
terre, la seule force de l’argent les faisoit trauailler : Les moindres sieges
nous coustoient des sommes immenses, au lieu que Monsieur mon frere,
ayant le commandement en vn temps, où le Cardinal Mazarin retenoit
tout l’argent du Royaume, & ne donnoit quasi plus la simple solde, accoustuma
les gens de guerre par son authorité & par son adresse, à faire les
retranchemens au Camp, à fortifier les Villes, à conduire les tranchées
sans qu’ils demandassent rien. De cette sorte, il acheua le siege de Dunkerque
pour cinquante mil francs, les despences du siege de Philisbourg
ne passerent pas douze mil liures, pendant que les sieges de Piombino, &
de Portolongone (que le Cardinal Mazarin destinoit à sa grandeur) coustoient
vnze millions : Et ce qui est digne d’estre remarqué au Camp de
Courtray, lors que dans le quartier de Monsieur le Duc d’Orleans, on
payoit les soldats qui trauailloient aux attaques, les trouppes de Monsieur
le Prince trauailloient à l’enuy dans son quartier sans receuoir rien, & sans
se laisser esbranler par les exemples des autres. Tant la sincerité & la discipline
les auoient confirmez dans l’obeïssance.

 

Quant à l’Armée d’Allemagne, l’ingratitude du Cardinal Mazarin, qui
accuse Monsieur mon frere de l’auoir voulu sousleuer, est sans doute
étrange. Cette Armée attachée depuis si long-temps à Monsieur de Turennes
suiuoit ce grand homme qui la conduisoit à vostre secours. Il n’y
auoit pas d’apparence qu’apres auoir seruy sous luy auec tant de gloire, &
se trouuant dans vne si vieille habitude de luy obeïr, elle commençast à le
quitter, lors qu’il embrassoit le party le plus juste qui ait fait prendre les
armes. D’vn costé les Espagnols apportoient la paix en France : Vostre Armée
& celle de Monsieur mon mary estoient prestes de se joindre : le secours
des Allemans s’approchoit à grandes journées, l’Armée qui deffendoit
le Cardinal Mazarin estoit foible & harassée, elle n’auoit nulle resource
à attendre d’ailleurs, ny aucun moyen de songer à resister à ces tempestes
qui alloient fondre sur elle. Tout le monde, ceux-mesmes qui estoient à
Saint Germain, voyoient ce Ministre timide & tremblant, confus, esperdu,
incertain du party qu’il auoit à prendre, ne se resoluant à rien, non pas
mesme à la fuite. Chacun se resiouïssoit de sa terreur, chacun esperoit sa
perte qu’il jugeoit infaillible, si Monsieur mon frere l’eust abandonné.
Toute la force, toute l’esperance, toute la resource de ce party estoit en la

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personne de ce Prince. Et il y a apparence qu’il eust pû donner les mains à
la ruïne du Cardinal Mazarin, & l’abandonner à la satisfaction publique,
si la Reine vsant en cette extremité du pouuoir absolu qu’elle a sur ses volontez,
ne l’eust obligé à sauuer encor cét ingrat. Il écriuit donc aux Allemans,
il leur enuoya tout son argent, & il engagea pour les satisfaire
jusques aux moindres pierreries de Madame ma belle sœur ; son credit
changea en vn moment la face des choses. Dés que ses lettres furent arriuées,
ces gens touchez de l’excellence de sa vertu, & du souuenir des
grandes actions qu’ils auoient acheuées sous luy, suiuirent son party,
& s’acheminans au secours de la Cour firent conclure la paix, & former
la Declaration que le Cardinal Mazarin a depuis injustement violée.
Maintenant si c’est la ce qu’on nomme corrompre les armées,
Monsieur le Prince ne se deffend pas de cette accusation ; il pretend au contraire
que quant à nos troupes, il ne pouuoit mieux seruir l’Estat qu’en les
remettant sous la discipline, qu’en diminuant & reduisant presque à rien
les frais de la guerre. Et quant aux Estrangeres, il pense qu’agissant comme
il a fait, il ne pouuoit pas donner vne marque plus essentielle d’obeïssance
à la Reine, & conclut auec raison, que la premiere de ces choses va à
sa gloire, & que pour l’autre il merite quelque gratitude de la part de sa
Majesté.

 

Que si le Cardinal Mazarin auoit eu vn peu de iugement, au mesme
temps qu’il reprochoit à Monsieur mon frere ces corruptions, il deuoit se
souuenir du voyage qu’il fit l’année passée vers les troupes Allemandes, &
du refus qu’il fit d’accorder à leurs instantes prieres Monsieur de Turenne,
aimant mieux tesmoigner à ce Prince son ressentiment du seruice qu’il
auoit rendu à Paris, & priuer l’Estat des principales forces de cette armée,
qui demeuroit fort affoiblie & quasi sans action, par la perte d’vn Chef si
considerable, & qui auoit acquis tant d’estime parmy ces troupes : Il deuoit
se remettre en memoire les artifices qu’il pratiqua pour les acquerir, bien
differends à la verité de la maniere d’agir que nous venons de vous dire.
Nous pensions MESSIEVRS, que ce voyage qu’il auoit publié comme
le plus grand dessein qu’il eust iamais entrepris, estonneroit le monde par
son succez : nous nous souuenions que le Cardinal de Richelieu lors qu’il
auoit marché vers l’Italie auoit pris Pignerole, & surmonté les obstacles
que la nature & la force assembloient sur les Alpes pour luy enfermer le
passage ; nous l’auions veu dompter la Rochelle lors qu’il s’estoit tourné
du costé de l’Ocean : s’estoit il auancé vers la Flandre, Arras estoit venu
en nostre pouuoir. Perpignan & le Roussillon s’estoient soûmis aux armes
du Roy lors qu’il les auoit accompagnées vers les frontieres d’Espagne,
toutes ses demarches s’estoient trouuées suiuies d’illustres euenemens.
Nous n’en attendions pas de moindres de son successeur, qui auoit esté
sous luy, qui auoit appris d’vn si bon Maistre ; il nous promettoit mesmes

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quelque chose de plus considerable que tant de conquestes, qui estoit la
paix, le souhait des peuples & le repos de la Chrestienté. Vous vous souuenez,
MESSIEVRS, de l’issuë ridicule où se terminerent ses grandes
promesses : il fit ce qu’il a accoustumé de faire, il trompa le monde. Apres
auoir receu les honneurs des Souuerains par les lieux où il passoit ; apres
auoir laissé le Roy, & la Reyne dans vne solitude honteuse pendant que
toute la Cour estoit à sa suitte, apres auoir exigé de l’Armée les plus grands
respects que ceux qui mesprisoient sa personne rendirent à son Ministere,
apres beaucoup de promesses de Gouuernemens, de charges & d’argent
qu’il fit aux Chefs de cette Armée, pour se les acquerir tout à fait en les
trompant. Ce Singe dépoüilla enfin sa robbe de pourpre, il reünit à son
naturel, sans negotier rien de serieux, il courust aux bagatelles, il se remit
à trafiquer auec les Allemans, de toille, de gans, de baudriers ; il acheua
de se rendre contemptible à ceux qu’il pensoit obliger, & pendant qu’on
s’estonnoit de voir attaché à ces emplois le premier Ministre du plus
grand Roy du monde, cét homme superbe & sans connoissance de son
origine, comme s’il eust bien conserué la dignité de ce Ministere, contraignit
le Regiment destiné pour veiller à la conseruation de nos Roys, d’entrer
en garde deuant sa rente, & pour comble de déplaisir, les Officiers
d’vn si braue corps plein d’indignation, & de honte se trouuerent armez
deuant cette indigne boutique, où par tant de bassesses le Cardinal Mazarin
offençoit son Maistre, & deshonnoroit son Caractere. C’est là le fruict
de son expedition qu’on coloroit d’vn pretexte honneste, mais dont le
but estoit de faire, que ces trouppes se donnassent entierement à luy, de
les animer à vostre perte, & de les y engager par l’espoir du pillage & par
l’amorce de la proye. Mais admirez son audace, luy qui dans la derniere
necessité du Royaume, venoit de consommer en ce beau voyage cinquante
mil escus, que l’esperance de la paix auoit fait prester à Monsieur le Prince,
& que l’on luy doit encore, comme s’il eust fait quelque chose d’excellent,
reuient prendre sa place à Compiegne, & eut l’insolence de discourir
d’vne entreprise si ridicule, ainsi que d’vne chose qui luy auoit heureusement
succedé. Poursuiuons, il accuse Monsieur le Prince d’estre demeuré
à la Cour pour y fomenter ses caballes, nous ferons sur cét article
comme nous auons fait sur les autres, pour nous deffendre, nous expliquerons
simplement la verité, & quoy qu’il y eust beaucoup à parler nous
en dirons peu de chose.

 

Le Cardinal Mazarin au sortir de la guerre de Paris, croyant par les
injures qu’il auoit faites à toute nostre nation, qu’autant qu’il y auoit
de François, qu’autant auoit-il d’ennemis, & ne voyant nulle seureté
pour luy, qu’en la protection de Monsieur le Prince, le supplia, luy fit
ordonner par la Reyne, employa toutes choses pour le retenir, pour l’empescher
d’aller à l’armée, pour l’obliger à n’esloigner pas le Roy. Monsieur

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le Prince obeyt selon sa coustume, laissa le commandement de l’Armée
à vn amy du Cardinal Mazarin, & r’assura par sa presence, cet esprit
foible que sa conscience espouuentoit, cependant il l’accuse de son seiour
à la Cour. Il n’y a, ce me semble, rien de plus estrange que cette injustice, si
ce n’est son ingratitude. Bien est-il vray Messieurs, & ie ne le nie pas, que
pendant ce seiour Monsieur le Prince s’appliqua tout entier à vne caballe :
& sur cela le Cardinal Mazarin a raison. Mais cette caballe est de telle nature,
que Monsieur mon frere en fait sa plus grande gloire : & qu’il pense
que son succez est le plus important seruice qu’il ait rendu à l’Estat ; ie
m’asseure aussi que vous n’en disconuiendrez pas, quant ie vous auray
dit que ce fut luy seul qui entreprit, qui opiniastra, & qui fit resoudre le
retour du Roy à Paris. Vous sçauez en quel estat estoit la France, en quel
estat estoit la Ville, en quel estat estoient les affaires, que tout sembloit
ruiné sans ce retour ; & cependant c’est vn des principaux sujets de la hayne
du Cardinal Mazarin, & vn des plus grands crimes de Monsieur le Prince.
Cet estranger à qui vn Parisien estoit vn Monstre, à qui vn Conseiller
donnoit de l’effroy, à qui l’image du Parlement venerable aux gens de
bien paroissoit plus effroyable que l’image de l’Enfer ; dés que Monsieur
le Prince proposa le voyage de Paris, fit tous ses efforts pour le rompre,
sousleua tout le monde contre ce dessein : voulut mettre des soupçons criminels
de vostre fidelité dans l’esprit de leurs Majestez. Ces obstacles
estoient grands, ils estoient difficiles à vaincre, la patience & la vigueur
de Monsieur mon frere, l’amour qu’il auoit pour la patrie, la consideration
particuliere qu’il fit de Paris en vindrent à bout. Il persuada le retour à
Monsieur d’Orleans, il le persuada à la Reyne : De sorte que le Cardinal
Mazarin qui par la seule crainte de sa personne retardoit le souhait vniuersel
de tous les peuples, & le bien de l’Estat, fut enfin contraint de ceder,
se plaignant neantmoins tout haut qu’on luy faisoit violence : & que
Monsieur le Prince le poussoit dans le precipice. Quant Monsieur le Prince
n’auroit fait que cette action, il me semble que vostre Compagnie, il me
semble que Paris ont assez d’obligation de rendre la liberté à celuy qui
leur a rendu leur Roy. Veu mesmes qu’outre tous ces crimes supposez de
ce libelle, il n’en est point accusé d’vn plus estrange, que de vous auoir ramené
vostre Monarque, & que c’est celuy mesmes qui l’en empeschoit
qui le retient prisonnier contre le droit des gens, contre vos Declarations
proche vos portes.

 

Vn seul exemple suffira pour respondre à l’objection que l’on fait à
Monsieur le Prince de tant de batailles qu’il a hazardées : ou pour accroistre
sa reputation par la victoire, ou pour se rendre plus necessaire par leur
perte, comme dit l’autheur de la Lettre, mesurant la grande ame de ce
Prince, dont la gloire est sans tache, à la bassesse de la sienne, qui pour vn
mediocre auantage de la fortune endureroit vn affront. La derniere année

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qu’il commanda nos Armées, qui fut l’année 1648. lors que les ennemis
attaquoient Furnes, & qu’il s’agissoit ou de la secourir ou de la perdre,
tous les Officiers qui opinerent poussoient Monsieur mon frere au premier
party. Soit qu’ils eussent dessein de luy tesmoigner leur courage ; soit qu’ils
crûssent tomber dans son sens, soit qu’ils estimassent aussi qu’on peust reüssit
à cette entreprise. Le Cardinal Mazarin loing du peril trouuant tout
aisé dans son Cabinet, & ne se souciant point de l’Estat, luy écriuoit qu’il
combattist ; Mais luy qui auoit à respondre d’vne Armée dont il ne pouuoit
hazarder encore le Royaume : qui se voyoit plus foible que l’Ennemy, &
qui jugeoit sagement combien il estoit dangereux de l’attaquer, campé
dans des postes que les Marests & les Canaux fortifioient assez d’eux-mesmes,
outre le trauail des hommes : dompta sa valeur, laissa perdre
Furnes deuant ses yeux : Et conseruant ainsi son Armée lors que les trouppes
qui venoient d’Alsace l’eurent joint, & qu’il eust trouué les Ennemis
en pleine campagne, il leur donna cette fameuse Bataille, où il les deffit
proche de Lens : prenant si judicieusement son temps pour les charger,
que cette action fera tousiours l’admiration des grands Capitaines. Et à
dire le vray, cette importante victoire rendant à nos affaires la fermeté &
la reputation nous auroit remis en estat d’obtenir vne Paix, plus auantageuse
que iamais si le Cardinal Mazarin n’en auoit point perdu le fruit ;
lors qu’au milieu des graces que vous en rendiez à Dieu, il enleua Monsieur
de Broussel, & fit vn iour funeste, du iour d’vn Triomphe si salutaire
à la France. Si pourtant ce n’est pas assez d’vn exemple si notable, afin
de monstrer que Monsieur le Prince a tousiours preferé les interests de
l’Estat à sa gloire, & qu’il ne l’a iamais considerée que pour la rapporter
au bien public, la leuée du siege de Lerida n’en est-elle pas vne preuue inuincible ?
Il pouuoit emporter cette place s’il eust voulu ruiner ses trouppes.
Le Cardinal Mazarin selon son imprudence ordinaire, sans examiner
rien & sans rien cognoistre, luy écriuoit de donner Bataille, & le pressoit
de tout hazarder, plustost que de se retirer de cette entreprise. Ce Prince
plus prudent que ce Ministre, ne creust pas son mauuais Conseil, il renonça
volontairement à la Victoire, & par cette action de moderation qui
conseruoit ensemble & la Cathalogne & les trouppes, merita le nom du
plus sage Capitaine de son siecle, comme il auoit desia celuy du plus valeureux.
Mais pourquoy nous arrester à ces exemples ? Puis qu’il est vray,
que non seulement il n’a iamais donné de Batailles, mais qu’il n’a pas fait
le moindre siége, sans en auoir eu de la Cour vn ordre exprés par écrit.
Ce qui est si veritable, que nous en auons les preuues, & que nous les donnerons
bien-tost au public. Ie pourrois bien sur cét article me plaindre de
l’injustice qu’on luy fait. Ie pourrois dire qu’on ne le traitteroit pas plus
mal s’il auoit perdu nos Armées, que de luy reprocher des Victoires qui

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les ont renduës si redoutables. Ie demanderois si c’estoit sous l’esperance
de luy faire des crimes de ses seruices qu’on l’enuoyoit commander ? Si cette
accusation est vne recompense de ses blessures & du sang qu’il a respandu ?
Mais ie passe outre, MESSIEVRS, aussi bien vous voyez assez combien
on le traitte indignement, & il me reste encore à démesler quantité d’autres
calomnies qui ne me permettent pas de m’arrester à me plaindre.

 

Celle qui suit & des caresses extraordinaires qu’il a faites à tout le monde.
Voicy vn crime nouueau, Messieurs, & inoüy iusques à ce iour. Mais
aussi ie responds que le Prince est le premier qui pour ces sortes de ceremonies
a restably les droits des Princes du Sang, & qui chez luy n’a plus
voulu donner la porte aux Princes estrangers : car pour le reste des honnestes
gens, quoy que sa façon de viure ait tousiours esté tres-ciuile, elle
a pourtant esté esloignée de cette maniere artificieuse, & de cette complaisance
affectée, de ceux qui pour s’en seruir à leurs factions, veulent gagner
par vne fausse humilité les gens qui ne penetrent pas, qu’il n’y a rien
de sincere sous leurs caresses, & qu’vn excez d’ambition & d’orgueil en
est couuert. Quant à luy, il a crû qu’employant sa peine & hazardant sa
vie comme il a fait si souuent gagnant des victoires, faisant des conquestes
sur nos ennemis, il plairoit bien dauantage aux gens de bien, que s’il demeuroit
inutil à se monstrer sur le paué de Paris, à ne se couurir point deuant
le peuple, & à se sourire dans les ruës à ceux mesmes qui luy seroient
incognus, & cela pendant que les ennemis auroient pillé le Royaume, &
auroient desolé l’Estat. Il a crû qu’vne vertu solide plustost que de fausses
apparences, luy feroit de vrays amis. Car pource qui est des recherches
qu’on dit qu’il a faites à des Gouuerneurs des places, & qu’il semble
qu’on particularisé plus malicieusement en cet endroit, comme s’il y
auoit quelque verité qui en fut cachée : Ie puis dire que c’est vne chose
entierement supposée. Ce n’est pas assez de declamer contre celuy qu’on
accuse, il faut des tesmoins, il faut des preuues, on deuoit nous nommer
quelqu’vn de ces gens gagnez, descouurir de quelle façon on leur a fait
des recherches, on n’en treuue pas vn seul, on ne cite pas vn de ces bons
traittemens, on ne fait rien paroistre de toutes ces choses. Quoy donc, par
ce que le Cardinal Mazarin nous en asseure le deuons-nous croire ? serions
nous injustes si apres tant de tesmoignages que nous venons de voir de sa
bonne foy, nous doutions de ce qu’il dit ? descendons vn peu dans ses
sentimens, ne luy contredisons pas tout, quoy qu’il se soit plaint du contraire,
donnons luy que Monsieur mon frere, est vn des plus ciuils Princes
de son siecle, & qui recherche le plus d’estre aymé des gens de merite,
pour cela seroit il coupable ? Nos loix sont-elles si estranges qu’elles fassent
des crimes des plus agreables vertus de la societé ? auez-vous accoustumé
de commander la ciuilité vous qui la prattiquez tous les iours ? sommes
nous en vn païs de Barbares ? quoy qu’à dire le vray, il n’y ait point de nation

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si sauuage, ny de peuple si esloigné de toute connoissance du bien qui
ne cultiue auec plaisir quelque semence de courtoisie. Enfin se peut-il treuuer
rien de plus ridicule qu’vne telle accusation ? certes à moins de haïr
tous les deuoirs d’amitié & de correspondance qui se pratiquent parmy le
genre humain, à moins de vouloir rompre le lien le plus agreable qui nous
vnisse, pour establir la tyrannie, on ne sçauroit, ie ne dis pas mettre en prison,
mais fascher seulement le dernier homme du monde sur vn semblable
pretexte.

 

Et toutesfois comme il est indifferent d’estre plus ou moins porté aux
caresses, que le bon accueil que l’on fait regarde seulement la politesse &
ne touche point la conscience laissant passer vne objection si friuole, contentons-nous
de blasmer la rusticité du Cardinal Mazarin, ne trouuons
pas mauuais qu’il prenne en autruy, la vertu qui luy est le plus opposée,
ny qu’il impute à Monsieur mon frere, d’auoir fauorablement receu
ceux qui l’ont esté visiter ; luy qui tous les iours a fermé sa porte aux plus
honnestes gens du Royaume. Ce que nous ne sçaurions souffrir, c’est qu’il
veüille blasmer Monsieur le Prince d’auoir seruy ses amis, au contraire,
nous tenons à gloire qu’il ait porté leurs interests aupres de le Reyne,
d’autant que ç’a tousiours esté auec vn respect extreme, qu’il n’a iamais
protegé que des personnes agreables à sa Majesté, & qu’il est faux qu’il
l’ait pressée indifferemment par tout le monde. On sçait assez ce qui se
passa à Paris l’Esté dernier, & le petit desordre où tomberent quelques
personnes de condition, des gens qui n’auroient pas esté leurs ennemis
jurez n’y auroient que fort peu pris garde. La liberté que la bonne chere &
la compagnie donnent quelquesfois aux hommes, pouuoient excuser deuant
des Iuges seueres vn manquement de respect. Neantmoins parce que
le Cardinal Mazarin, qui les hayssoit tourna vn emportement en vn crime
de leze Majesté, & qu’il persuada à la Reyne, qu’il falloit punir vne
prompte inconsideration comme vn fort grand attentat : par ce que la
Reyne preuenuë par ce Ministre en tesmoigna beaucoup de colere. Monsieur
mon frere qui estimoit ceux qu’on accusoit, qui en aymoit particulierement
vn, voyant que la Reyne suiuoit les impressions de ce dangereux,
& que de les proteger sçeust esté luy déplaire & leur nuire, ne voulut
pas s’en mesler : & fit ceder à son respect, son amitié, & son estime.
Il n’y a donc gueres d’apparence qu’vn Prince si reserué pour ceux mesmes
qu’il aymoit ait esté tous les iours persecuter leurs Majestez pour les
interests de tout le monde, il n’y a gueres de lieu de penser que sa faueur
ait esté l’azile des coupables, ny que sa maison dont le Cardinal Mazarin
ne deuoit parler qu’auec respect, soit vne cauerne de brigands & de scelerats,
comme il la dépeint, non seulement il n’y a guere d’apparence, il n’y
a nulle verité.

Il nie encore formellement, que Monsieur le Prince ait débauché les

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seruiteurs du Roy, qu’il ait voulu gagner ceux qui gardent sa personne,
qu’il ait exigé des sermens contraires au bien de l’Estat, des gens qui luy
offroient leur amitié. Sur le premier point, ie dis simplement qu’on n’en
peut soupçonner vn Prince qui a signalé sa fidelité par tant d’actions, &
qui s’est tousiours resigné aux volontez de la Reyne, parce qu’il en est accusé
par vn estranger, conuaincu d’auoir trahy toute sa vie les interests de la
France. Quant au second, qui ne voit pas que si Monsieur mon frere auoit
eu ce dessein, il pouuoit s’acquerir facilement les Capitaines des Gardes,
en sollicitant & faisant reüssir leur restablissement à la Cour. La conjoncture
estoit belle, il y auoit trois ans qu’ils pâtissoient sans sujet, il n’y
auoit rien de plus iuste & rien de plus honneste que de les r’appeller à la
Cour : rien que ce Prince eust souhaitté dauantage. Il en estoit pressé par
quantité de gens de condition : leurs parens ses amis, pour qui il eust voulu
tout faire : & neantmoins comme il voyoit bien que cela choquoit l’humeur
de la Reyne, il ne l’a iamais tenté. Et cela estant ainsi, qui osera (à
moins que d’estre aussi effronté que nostre ennemy) mettre au iour vne
telle fausseté ? Sur le troisiesme point ie confesse qu’il est vray que lors que
Monsieur le Prince voulut chasser le Cardinal Mazarin, il exigea de Monsieur
de Beaufort vne asseurance de ne se point separer de ses interests, &
j’ose dire que la France en seroit deliurée si Monsieur de Beaufort y eust
voulu consentir. Mais soit que songeant à ses establissemens, il creust pouuoir
tirer plus d’auantage de la foiblesse, & de la peur du Cardinal Mazarin
en le laissant à la Cour, ou bien qu’il jettast dés lors les fondemens de
l’estroite amitié qu’il a depuis contractée si solemnellement auec ce Ministre ;
il ne voulut pas participer à la gloire d’auoir voulu deliurer la
France de cette pesté publique, dont il se declare à present le Protecteur
auec l’estonnement de tout le monde, & qu’il luy a desia payé ses premiers
deuoirs des droits d’ancrage, qui vacquoient par la mort de Monsieur le
Mareschal de Brezé. C’est là le seul serment que Monsieur mon frere a
exigé, & cela seulement contre le Cardinal Mazarin ce que ie ne mets pas
au nombre des choses qui ont besoin qu’on les excuse : mais bien parmy
les actions glorieuses & qui meritent d’estre celebrées.

 

En cét endroit, MESSIEVRS, remarquez ie vous supplie, comme
presque tout ce que l’on objecte à Monsieur le Prince, se rapporte au Cardinal
Mazarin : & par là jugez encore combien j’ay de raison de respondre
à cette Lettre comme estant toute de luy, & n’y ayant quasi rien où il n’ait
tout seul interest. Qu’ainsi ne soit, ce qu’il dit de la difference qu’il pretend
que Monsieur mon frere ait faite de ceux qu’il presentoit pour les emplois,
à tous les autres, est vne chose qui regarde simplement ce Ministre,
à laquelle Monsieur mon frere n’a point de part, & dont voicy l’explication.
Pendant la guerre de Paris le Cardinal Mazarin fit arrester le Mareschal
de Rantzau, à dessein de luy oster Dunkerque, car jusques icy son

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crime n’a point paru. Ayant ce dessein il vint au Conseil auec le visage ouuert,
comme s’il eust deu proposer quelque chose de fort vtile. Là en presence
de Monsieur le Duc d’Orleans & de Monsieur mon frere, il fit vne
longue Harangue touchant l’importance de cette Place, & la necessité d’y
mettre vn homme qui eust les qualitez necessaires pour vn tel employ,
exagerant en cét endroit celles d’vn grand Capitaine. On demeura aysément
d’accord de la consequence de cette Ville, on conuint aussi qu’il y
falloit mettre vn Chef de cœur & d’experience : On ne voyoit pas encore
qui estoit ce braue qu’il vouloit nommer. Quoy que dés là, il fut
aisé de penetrer au trauers de son discours, que l’importance de Dunkerque
luy en auoit fait enuie, & que pour s’en asseurer il la destinoit à quelqu’vne
de ses Creatures. Mais quant il vint a declarer ce Gouuerneur, &
qu’il en nom na vn qui veritablement luy estoit fort attaché, mais qui
auoit desia perdu deux des Places les plus importantes que nous eussions
conquises en Flandres ; Alors Monsieur le Duc d’Orleans qui ne pouuoit
s’imaginer qu’il voulust encore hazarder cette troisiesme, & qui croyoit
plustost que par le deffaut qu’il a de prononcer nostre langue, il ne s’estoit
pas bien fait entendre, voyant qu’il persistoit en son choix ne peut s’empescher
d’en faire quelque raillerie ; il peut estre aussi que Monsieur mon
frere qui la trouua bonne l’escouta auec complaisance. Ce qui n’empescha
pas toutesfois que ce Ministre qui vouloit auoir Dunkerque, ne la fit
donner à l’vn de ses domestiques : mais qu’en ce Conseil on parlast de lasches
ny de gens de rien, cela est entierement faux : Et c’est du Cardinal
Mazarin que celuy qu’il veut designer a tout sujet de se plaindre. Pour
Monsieur le Prince ie sçay qu’il l’estime, & qu’il impute les pertes qu’il a
faites seulement à sa mauuaise fortune, quoy que neantmoins celle de
Courtray soit difficile à justifier, pouuant dire de plus, afin de respondre à
l’autre chef de cette accusation : Que les gens que ce Prince a presentez
pour les emplois, ont tous heureusement reüssi, & rendu de forts grands
seruices : mais qu’à la verité il y en a mis si peu, que ce mesme Gouuernement
de Dunkerque qu’il auoit prise luy fut refusé pour Monsieur de
Chastillon, comme peu auparauant on luy auoit refusé celuy de Bergue
pour Monsieur de Marsin, comme nous auons desia dit. Ainsi donc il ne
doit point estre meslé en cét endroit, si ce n’est pour se plaindre qu’on luy
reproche vne chose dont il a tout lieu d’accuser le Cardinal Mazarin.

 

Veritablement ie prends plus de part à celles qui suiuent, & ie confesse
qu’il est constant qu’il se mettroit à la teste des Rentiers, & qu’il deffendroit
la Iustice de Messieurs du Parlement de Bourdeaux contre le Cardinal
Mazarin, s’il opiniastroit à la ruïne des vns & à l’oppression des autres.

En cela qu’a-t’il promis que vous n’ayez pas desia fait vous mesmes,
qui auez pris les armes contre ce Ministre ? Vos actions justifient-elles pas

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l’engagement de Monsieur le Prince ? Et le Cardinal Mazarin pense t’il
que vous puissiez des-approuuer ce dont vous auez donné des exemples ?
Mais comment Monsieur le Prince s’est-il engagé à ces paroles ? apprenez-le
en peu de mots. Au retour de Compiegne lors que malgré ce Ministre
il vous eust rendu le Roy, voyant (ce que tout le monde voyoit alors)
que rien ne pouuoit restablir les affaires que l’ordre & la foy publique, il
voulut agir de tout son pouuoir, de remettre l’vn pour maintenir l’autre.
Ceux qui ont des rentes sur l’Hostel de Ville pressoient alors pour estre
payez ; plusieurs d’entre les peuples qui auoient pâty durant la guerre,
voyoient leurs familles prestes de perir sans ce petit secours. Les Scindics
qui estoient esleus d’entr’-eux pour auoir soin de leurs interests ne vouloient
point en communiquer auec le Cardinal Mazarin. Ils le tenoient
broüillon, & ils l’auoient trouué sans parole ; l’affaire s’aigrissoit & se disposoit
au tumulte, & peut-estre à quelque chose de pis. Le Cardinal Mazarin
effrayé à son ordinaire, supplia la Reine d’interposer son authorité
afin que Monsieur le Prince accommodast ces difficultez, promettant solemnellement
que l’on executeroit ce qu’il auroit arresté. Monsieur mon
frere accepte ce commandement ; les Rentiers le sollicitent, il s’entremet
volontiers : En peu de conferences il fait en sorte que ces gens, bons & faciles,
postposant leurs interests à ceux de leur Roy, & ne cherchant qu’à
n’estre pas entierement despoüillez, se contenterent d’vne somme qu’on
deuoit leur distribuer en termes égaux, & si ie m’en souuiens bien c’estoit
par chaque semaine, il leur en donna sa parole. Cette nouuelle se respand
à Paris, le peuple en est satisfait, le bruit s’appaise, Monsieur le Prince
estant venu au Conseil pour faire passer ce qu’il auoit resolu, le Cardinal
Mazarin tousiours infidelle apres tant d’asseurances données, changeant
d’auis dit : Qu’il estoit impossible d’executer ce traitté, & fait venir des
gens de Finances qu’il auoit instruits pour proposer des difficultez contre
cette affaire. Monsieur mon frere qui la sçauoit iuste, qui la voyoit facile,
qui connoissoit que le Cardinal Mazarin vouloit ruïner vn peuple qu’il
haïssoit, & se décharger en mesme temps sur luy de la haine de cette ruïne
resolut de le maintenir ; & prenant le party que son honneur, sa conscience,
le seruice du Roy & le bien de Paris l’obligeoient d’embrasser, protesta
hautement que si ce Ministre vouloit acheuer de desoler les familles de ces
pauures gens, il se mettroit à leur teste, & qu’il feroit trouuer de l’argent
pour les payer. C’est par cette action (de laquelle le Roy sçaura vn jour
bon gré à Monsieur le Prince) qu’il pretend justifier aux Parisiens que
leurs interests luy ont esté chers. Et vn seruice de cette importance doit
bien effacer de l’esprit de ce peuple les mauuaises impressions que ses ennemis
y ont voulu establir ; pouuant au reste dire hautement, que cette affaire
& l’affaire de Bourdeaux, dans lesquelles Monsieur mon frere a contredit,
& poussé le Cardinal Mazarin, ont esté les deux choses qui ont autant

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auancé dans l’esprit de cét Italien la resolution de persecuter ce Prince :
Et qu’ainsi il est bien raisonnable que ceux pour lesquels il-souffre,
employent tous leurs efforts afin de luy rendre la liberté que leurs affaires
luy ont fait perdre, s’ils ne veulent qu’on les accuse d’ingratitude, qui est
vn deffaut dont on n’a iamais soubçonné vn Parlement si genereux, ny vn
si bon peuple.

 

Il auroit esté à propos d’expliquer encore en ce lieu l’affaire de Bourdeaux,
si ie ne me reseruois à y respondre plainement, lors que ie viendray
à l’accusation ouuerte & declarée que le Cardinal Mazarin fonde sur ce sujet.
Ie diray seulement par aduance, qu’il ne proposa de deffendre le bon
droit d’vne ville si celebre, d’vne si illustre Compagnie (ce que l’Escriuain
appelle se cantonner, afin de rendre cette affaire plus odieuse par vn mot
qu’il l’est) que lors que le Cardinal Mazarin se voulut porter à l’infraction
des Declarations que la Reyne auoit données à ce Parlement pour sa
seureté, & pour le repos vniuersel de la Guyenne.

Ie remarque cependant, & vous l’aurez sans doute aussi bien reconnu
que moy, que les fautes les plus essentielles qu’on impute à Monsieur le
Prince, sont d’auoir maintenu les Declarations, d’auoir empesché le Cardinal
Mazarin de les violer, & de l’auoir obligé à tenir parole en des choses
vtiles au public. Vous venez d’en voir deux preuues manifestes, en
voicy vne troisiesme : Car ie m’asseure que vous ne trouuerez point mauuais
que ie continuë à vous expliquer le détail de tant d’impostures, que
la calomnie du Cardinal Mazarin qui les veut rendre méconnoissables,
enuelope sous des termes generaux, affectez & malicieux. Premierement
vous vous confirmerez dans la mauuaise opinion du peu de sincerité de
nostre ennemy : vous reconnoistrez que pensant accuser Monsieur mon
frere il fait son Apologie ; & qu’au lieu de le conuaincre d’estre le destructeur
de l’Estat il establit la croyance que l’on doit auoir, qu’il n’est prisonnier
que pour auoir deffendu les droits publics, resisté aux infidelitez
de cét Estranger, & maintenu l’honneur de la parole Royale lors qu’il l’a
voulu violer. Ie n’insisteray pourtant pas sur l’exemple que ie veux ajoûter
aux precedans, comme ie regarde le Gouuernement du Pont de l’Arche,
& que cette affaire qui touche Monsieur mon mary m’est commune
auec luy, ie me contenteray d’y respondre en passant. A la Conference de
Ruel chacun cherchant ses seuretez contre le Cardinal Mazarin, & principalement
Messieurs les Generaux du party & les Compagnies souueraines
des Prouinces (car pour vous, MESSIEVRS, vostre authorité & la
puissance de la ville de Paris vous maintenoient d’elles-mesmes) les Compagnies,
les Corps & les habitans de la ville de Roüen, qui ayant esté pressez
par la garnison du Pont de l’Arche, apprehendoient qu’vne autrefois
le Cardinal Mazarin ne voulust s’en seruir à faciliter sa vengeance, souhaiterent
que cette place vint entre les mains de Monsieur mon mary : On

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la demanda elle fut accordée ; mais parce que personne ne vouloit traitter
& ne pouuoit prendre aucune confiance au Cardinal Mazarin, la Reine
voulut que Monsieur le Prince en qui tout le monde s’asseuroit, s’engageast
& demeurast la caution du Traitté : Et particulierement sa Majesté
luy commanda de donner sa parole pour cét article. Puis donc qu’il l’a fait
par le commandement de la Reine & pour vn bien public : N’a-t’il pas eu
raison de vouloir qu’on y satisfist, qu’on obseruast vn Traitté solemnel
dont il estoit le garent ? Qu’on ostast tout sujet de plainte à la ville capitale
de la Normandie ? Enfin qu’on dégageast son honneur, & cela apres dés
remises affectées & prolongées plus de six mois par les artifices du Cardinal
Mazarin : Et qui peut mieux monstrer la bonté de cette affaire, que
Monsieur le Duc d’Orleans qui en sçachant la Iustice en a procuré l’execution ?

 

Me voicy insensiblement arriuée à l’endroit le plus difficile de cette
deffense, & i’auouë ingenuëment que ie ne sçay pas comme ie pourray
justifier Monsieur mon frere de la faute dont on l’accuse. De la nier il n’y
a nulle apparence, faisant profession d’estre veritable : De la confesser,
c’est rendre ce Prince coupable d’vn fort grand crime, il a empesché le
mariage de la niepce du Cardinal Mazarin ; Qu’ay-je à dire contre cette
accusation ? & qui iamais a eu plus de besoin que moy d’implorer la clemence
de ses Iuges ? Pardonnez moy, MESSIEVRS, si dans l’estat d’vne
si grande affliction qu’est la mienne, mon discours paroist vn peu moins
seuere que ma douleur ne semble permettre. Il y a des choses où malgré
nous la nature nous entraisne vers la joye, & celle-cy est si ridicule, que ie
ne sçache point de tristesse qu’elle ne suspende pour vn moment. Mais ie
demanderois volontiers au Cardinal Mazarin en quel lieu il pense viure ?
qui il est ? à qui il croit parler ? Quoy, MESSIEVRS, parmy les raisons
dont on pretendra colorer l’iniustice de la prison du premier Prince du
Sang, on y meslera les petits interests d’vne famille inconnuë, d’vne famille
estrangere ? Quoy parmy les crimes de leze Majesté on contera les
pretenduës offenses que reçoit vn homme condamné par les Loix ? mais
des offenses qu’aucunes loix ne deffendent. Quoy ce sera deuant ceux qui
l’ont condamné qu’on voudra authoriser ces crimes imaginez ? nostre misere
est bien grande si nous sommes ainsi exposez : il y va bien de vostre
gloire, si vous souffrez ces insultes : Mais enfin qu’elle est la folie du Cardinal
Mazarin, quand il pretend que ces injures sont faites à l’Estat ; &
qu’il ose exposer que ces alliances sont tres-vtiles : à qui ? à luy ? nous n’en
doutons pas ; elles le reconcilient auec Monsieur de Beaufort ; elles mettent
vne des Charges de la Couronne entre les mains des descendans de
sa Niepce. Mais ce n’est pas dequoy il s’agit : il entend icy que l’vtilité de
ce mariage regarde la France : Bon Dieu quel aueuglement ! quel honneur
pour la Couronne ! quel appuy du costé de l’Italie Ie voudrois bien pourtant,

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s’il se pouuoit, sçauoir de son ayeul, que la necessité chassa de Gennes,
& qui se retira à Marzare en Sicile, pour y viure vn peu plus commodement
du mestier qu’il exerçoit. Ie voudrois bien sçauoir de Pierre Mazarini
son fils, qui n’ayant point de nom prit celuy de la Ville où il estoit né.
Ie voudrois bien sçauoir du Cardinal Mazarin luy mesme, si lors que sa
fortune ne passoit point celle de ses ancestres, il croyoit que dans vn si
mediocre espace de temps, l’alliance de sa petite famille peust estre vtile à
la Monarchie des François : quoy qu’il ait beaucoup d’audace, ie m’asseure
qu’il n’en aura pas assez pour l’oser auoüer ; Mais ie ne me resouuiens pas
qu’il veut que Monsieur mon frere ait trouué cette alliance fort necessaire.
Ie responds à cela, que ce n’a iamais esté de la maniere que nous venons
d’exposer : & qu’il n’a iamais pensé qu’il en reuint aucun honneur à
l’Estat, aucune gloire à la France. Que si l’on replique qu’il l’a si fort approuuée,
qu’il a esté vn temps où il n’a pas mesme iugé mauuais que l’Admirauté
en fust le prix : I’en tire de grands aduantages : Car si cela est, il
merite d’extresmes loüanges pour s’estre quasi despoüillé de ses legitimes
pretentions ; à dessein de les sacrifier au bien de l’Estat. Ce fut pendant le
siege de Paris qu’on fit les premieres ouuertures de ce celebre Hymenée.
En ce temps Monsieur de Beaufort faisoit demander à la Cour le Gouuernement
de Bretagne, l’Admirauté, des pensions, de l’argent, des payemens
de debtes, des choses immenses. Les ennemis auoient passé nos frontieres :
tout le Royaume estoit en feu, Monsieur de Mercœur au mesme temps
songeoit à l’alliance du Cardinal Mazarin : Monsieur de Vendosme se tenoit
dans sa Duché, menaçant de se declarer contre la Cour si on ne le satisfaisoit.
Monsieur mon frere voyoit l’Estat prés de sa ruïne, il jugeoit à
propos d’appaiser cette Maison : il cognoissoit qu’en satisfaisant l’vn des
deux freres, il la reünissoit à la Cour ; Monsieur de Mercœur luy sembloit
plus facile, il le trouuoit plus moderé ; C’est pour quoy il ne fit alors
aucune difficulté d’incliner à ce party. Et si c’est ainsi que le Cardinal Mazarin
pense que ce Mariage ayt esté iugé par luy vtile à la France : Il nous
prouuera qu’vn Chirurgien est vtile à vn malade, lors qu’il luy couppe vn
bras de peur que la gangrene ne le tuë, & qu’vn Marchand fait son profit
quand il jette sa marchandise dans la mer pour éuiter le naufrage. Vn tel
bien-fait estropie le blessé & ruïne le Marchand ; ainsi c’estoit bien ayder
à la guerison de l’Estat, mais en le demembrant. Qui ne voit donc que l’orage
qui nous menaçoit estant appaisé par la vigilance & par les soins de
Monsieur le Prince : & sans que le mariage y eust rien contribué : Qui ne
voit pas, dis-je, qu’il a eu raison de ne le plus souhaitter ; & quant mesmes
il y auroit formé quelques obstacles par les pretentions qu’il a sur l’Amirauté,
qui vous sont assez cognuës, pourroit-on le trouuer estrange ? Cette
cause pourtant n’a point esté celle qui l’a fait agir de la sorte : Et vne
preuue conuainquante qu’en cela il n’a consideré que le seruice du Roy ;

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C’est que lors qu’il consentit que cette Charge entrast dans la Maison de
Vendosme, il estoit ennemy declaré de cette Maison, & que lors qu’il s’y
opposa, Monsieur de Beaufort s’estoit remis entierement dans ses bonnes
graces. Cependant MESSIEVRS, il est certain que c’est icy le principal
fondement des malheurs de nostre Maison. Et cela est si veritable, que
l’Admirauté est entre les mains de Monsieur de Vendosme, & que le mesme
soir que les trois Princes furent conduits au Bois de Vincennes on ramena
au Palais Royal les trois Nieces du Cardinal Mazarin, afin que par
ce triomphe personne ne pust douter de la vengeance qui estoit si prompte
& si publique : & que l’on connust clairement, que c’estoient ses iniures
particulieres, & non pas les manquemens des Princes qui les priuoient
de la liberté. Que cette nuit fut honteuse à la France ! que ces spectacles
furent differends ! Les Princes du Sang estoient traisnez comme des coupables,
pendant que l’on adoroit au Palais Royal des Idoles, que la fortune
auoit tirées de la fange, pour estre fatales à la ruïne du Royaume.
Que ces feux qu’on alluma furent de mauuais augure ! quoy que i’aye bien
sceu (& cela auec vne extreme consolation) que les feux estoient rares &
dispersez : Et que pendant que les Emissaires du Cardinal Mazarin les allumoient
auec vne inhumanité & insolence, le bon Peuple se retiroit affligé
& triste, & que les gens sages & les honnestes Bourgeois pleuroient
chez eux les calamitez de l’Estat, preuoyant bien que de si funestes flâmes
pourroient estre les estincelles de l’embrasement des guerres Ciuiles.
Mais, MESSIEVRS, il faut se détourner d’vne si fâcheuse idée, & mieux
esperer de l’aduenir, puis que le remede en est entre vos mains. Il faut croire
que vous irez au deuant de tant de calamitez, & que déliurant la France
des peines qui la menassent, vous ayderez à luy donner la paix, & ensemble
à toute l’Europe.

 

Que si ie m’arreste encor sur cét endroit, ce ne sera plus pour y chercher
à renouueler ma douleur ; ce sera pour vous faire voir le peu de sens du
Cardinal Mazarin. Ce sage Ministre reproche icy des froideurs à Monsieur
mon frere : Qui a iamais oüy parler, que deuant des Iuges vne telle
accusation ait eu lieu ? bien loin de l’en deffendre, ie ne le croiray pas coupable
s’il l’auoit mesprisé. Ie dis plus, & tout le monde en sera d’accord,
il auroit beaucoup ajoûté à ses loüanges s’il l’auoit chassé. Il suppose
qu’ils est plaint du peu de confiance que la Reyne à euë en luy. Mais sur
ce sujet ie puis respondre ; que le rang que sa naissance & ses seruices luy
font tenir dans l’Estat & dans le Conseil, luy donnent assez de droit de
s’instruire des affaires ; il n’a pas eu besoin de capituler pour en auoir
part, & que pour rendre au Cardinal Mazarin ses mesmes paroles, auant
ces mauuais offices, lors qu’il s’est agy de bien traitter Monsieur le Prince,
la Reyne a tousiours eu la bonté de pancher plustost du costé de l’excés,
que de l’obmission.

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Quant à se rendre Maistre absolu des forces du Royaume, Ie dis, & vous
l’auez desia veu, Qu’il est absolument faux que Monsieur le Prince y ayt
songé, & que cette imposture est punissable : Ie dis qu’il est faux, qu’il ait
souffert à quelqu’vn de le proteger contre sa Majesté, & que cette calomnie
merite vn chastiment exemplaire. Si ce n’est que le Cardinal Mazarin
croye que tout ce qui le regarde doit toucher la Reyne, & qu’apres auoir
fait passer ses interests pour ceux de l’Estat, il porte l’insolence au dernier
point, & qu’il veille les mesler encore auec ceux de sa Majesté. Car il est
vray que Monsieur le Prince l’Esté passé, lors que Monsieur le Duc d’Orleans
remit le Cardinal Mazarin en ses bonnes graces : declara ouuertement
que si ceux qui luy auoient fait des ciuilitez sur le demeslé qu’il auoit
eu auec le Ministre, venoient à auoir quelque affaire contre luy il les protegeroit :
Mais il n’est pas vray que s’estre declaré contre le Cardinal Mazarin
ait esté se declarer contre la Reyne, ny que sa Majesté puisse auoir
aucune part en cette affaire(qui est purement particuliere) que celle que
le Cardinal Mazarin aura la hardiesse de luy donner. Quoy que par l’euenement
des choses cette protection eust esté bien inutile, puisque ceux
qui la demandoient, qui professoient vne inimitié irreconciliable auec le
Cardinal Mazarin, qui vouloient que l’on creust qu’elle estoit fondée
sur la deffense des Peuples & sur le bien du Royaume, qui publioient leur
honneur au dessus de tout interest qui leur pourroit venir d’vne main si
odieuse, ne rougissent point maintenant d’estre passez dans l’autre extremité,
d’autant plus honteuse pour eux qu’ils l’auoient des-approuuée.
Qu’ils declarent par tout qu’ils periront pour le Cardinal Mazarin, duquel
ils ne sont pas seulement les amis, ils sont les seruiteurs, ils sont les
esclaues, qu’ils reçoiuent de l’argent, qu’ils prennent des Charges, qu’ils
briguent des Gouuernemens, qu’ils poursuiuent des pensions, Enfin qu’ils
veulent persuader au peuple, que ce Ministre n’est pas le mesme homme
qu’ils ont protesté cent fois que les gens de bien ne pouuoient souffrir en
conscience. Maintenant si en ces deux manieres d’agir si opposées, ils
cherchent égallement le bien de l’Estat, s’ils sont égallement desinteressez
& égallement gens d’honneur, vous en jugerez, MESSIEVRS, Et si
les Parisiens le veulent sans preoccupation, ils se détromperont aysément
de la croyance qu’ils en ont euë.

Mais pour reuenir au sujet de cette deffense : Ie dis encore qu’il est faux,
que pendant la maladie de Monsieur le Mareschal de Schomberg, on ait
songé à obtenir son Gouuernement pour Monsieur le Prince de Conty,
comme l’on eust pû en faire la demande en Iustice. Il est vray aussi que si
l’on en eust eu la moindre pensée, on s’en fust declaré tout haut, & que le
secret eust esté peu necessaire en vne chose si raisonnable. Ie ne la desauoüerois
pas icy, non plus que ie fais le discours qu’on tint en passant, qu’au
cas que le malheur de perdre Monsieur de Schomberg arriuast à la France

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on pourroit ayder à obtenir ce Gouuernement à Monsieur le Mareschal
de la Mothe, qui apres auoir rendu de si grands seruices demeuroit encore
sans établissement, parce que le Cardinal Mazarin qui l’auoit voulu faire
mourir injustement le haïssoit, & que le secours que le Mareschal vous
auoit si genereusement donné pendant la guerre de Paris, redoubloit encore
sa hayne : mais ce discours qu’on en fit fut sans concert, & comme on
tient d’ordinaire sur les sujets qui se presentent, & que le monde & la
Cour fournissent aux conuersations. Car MESSIEVRS, pour le Traité
de l’Euesché de Mets, que le Cardinal Mazarin inuente, afin d’apuyer ce
mensonge, & où il s’est pû empescher de mettre ce mot de Traitté, par
l’habitude qu’il a de traitter des choses sacrées : Ie ne veux point employer
de raisons à vous en detromper, Monsieur de Mets est Prince d’honneur,
il est veritable : il est souuent parmy vous : s’il dit que Monsieur le Prince
de Conty luy ayt iamais parlé de luy resigner cette dignité(quoy qu’il
l’eust pû faire sans qu’on y eust trouué à redire, & qu’en cecy ie combatte
le mensonge du Cardinal Mazarin, & non pas la nature de l’affaire,) s’il
se trouue qu’ils en ayent iamais conferé ensemble, ie consens qu’on ait demandé
aussi le Gouuernement, ie consens que tout ce que le Cardinal Mazarin
à dit iusques icy soit vray.

 

Si la necessité de cette Apologie ne m’obligeoit à en dire quelque chose,
ie passerois volontiers sous silence l’impertinence qui suit, puis qu’estant
d’vne nature que le nom de la Reyne s’y trouue meslé, on n’en sçauroit
parler auec assez de retenuë. I’ay tousiours estimé que les Roys qui sont les
Images de la puissance diuine, exigent de nous des respects proportionnez
au caractere de grandeur qu’ils ont reçeu du Ciel, & que comme ils tiennent
beaucoup plus de la Diuinité que le reste des hommes : les deuoirs
que nous leur rendons peuuent passer la ciuilité & approcher de l’adoration.
C’est pourquoy mettant à part l’explication de l’affaire de Monsieur
de Gerzé, aussi bien est-elle assez publique, & éuitant de tomber dans
l’indiscretion du Cardinal Mazarin, qui traittant cette badinerie comme
vn crime laissé dans les esprits à qui la chose est incogneuë, des scrupules
injurieux à sa Majesté. Ie me contenteray de dire ce qui sera necessaire,
pour témoigner qu’en cette rencontre Monsieur mon frere n’a rien fait
qui ait deu déplaire à la Reyne. Premierement il n’est pas vray que Monsieur
le Prince ayt donné sa protection à Monsieur de Gerzé. Il n’est pas
vray qu’il l’aye empesché de se retirer, Il n’est pas vray que le Gentilhomme
en ayt eu aucun ordre. Ce qui est vray, c’est que Monsieur mon frere n’a
iamais fait vne affaire serieuse d’vne affaire de neant : qu’il l’a traittée tousjours
comme vne pure raillerie, & qu’il n’a pas crû, luy qui eust esté le
premier à venger le moindre déplaisir de la Reyne, qui eust tenu à honneur
d’y employer iusqu’à la derniere goutte de son sang, qu’il d’eust agir autrement
que toutes les personnes de bon sens ont fait en cette rencontre,

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qui l’ont considerée selon sa nature, c’est à dire comme vne chose de rien.

 

Le Cardinal Mazarin mesme, quoy que par tout son discours il exagere
les moindres choses auec des hyperboles, au lieu de traitter de sacrilege
vn si grand Criminel, comme il pretend que Monsieur de Gerzé est, au
lieu de luy dire les injures que l’on attribuë aux fautes qui vont contre la
Diuinité, se contente de l’appeller étourdy & extrauagant. Et si cela est,
comment pretend-il excuser le manquement qu’il a fait, de commettre
pendant vn si long-temps, la garde de la personne sacrée du Roy, entre les
mains de cét étourdy ? entre les mains de cét extrauagant ? Mais d’où venoit
cette grande amitié qu’il auoit contractée auec luy ? estoit-ce la ressemblance
des mœurs qui l’auoit produite ? qui l’auoir liée ? Mais d’où vient,
& cecy surprend tout le monde : d’où vient qu’apres auoir regarde Monsieur
de Gerzé comme sa creature, apres luy auoir donné les premiers employs
de la guerre, apres l’auoir veu souffrir pour son nom, apres tant d’amitié
& tant de tendresse : en vn moment il est passé contre luy à vn excés
de hayne, sans aucune cause ny legitime ny apparente ? qu’il a esté son persecuteur,
luy qui le deuoit proteger, d’où vient que son affaire qui ne peut
sembler solide à aucun homme iudicieux est vne des choses qui a le plus allumé
son courroux contre Monsieur le Prince ? Ne découurons pas ce secret,
& pardonnons luy vne folie qui passe toutes les autres. Car de dire
que deuant, comme il fait, vingt mil escus à ce Gentilhomme, il a cherché
à luy faire vne insulte pour ne le point satisfaire. Cette raison ne semble pas
assez forte, d’autant que tous ceux qui l’aprochent estans ses creanciers, il
faudroit qu’il se deffist entierement de ses cognoissances, s’il vouloit quereller
les gens dont il a emprunté le bien sans le rendre, & puis quel rapport
auroit cela auec la colere qu’il en a témoignée contre nous ? Quoy
qu’il en soit, ie suis bien asseurée que Monsieur mon frere n’attirera pas
sur soy l’indignation des François, pour auoir souffert Monsieur de Gerzé
comme le dit le Cardinal Mazarin. Nostre nation en a bien d’autres sujets,
& la subuersion de l’Estat que ce Ministre auance à grand pas la merite
toute entiere.

Quant mesme il n’auroit point fait d’autres manquemens en sa conduite
que d’auoir pensé ruiner les affaires de Bourdeaux, ce seroit assez pour luy
attirer l’auersion de tout le monde, mais puis qu’il a encore l’effronterie
de continuer à imputer à Monsieur mon frere, les erreurs qu’il a commises
en cette occasion, & qu’apres auoir fomenté les mouuemens de la
Guyenne, il le veut rendre responsable des desordres qu’ils ont causez. Il
est necessaire que ie retourne son crime contre luy & que ie vous montre
clairement qu’en ces deux affaires d’Aix & de Bourdeaux, la conduite de
Monsieur le Prince a esté aussi sage & aussi heureuse que celle du Cardinal
Mazarin a paru turbulente, passionnée, & par tout remplie de mauuaise
foy & de desir de vengeance. Pour ce dessein il semble necessaire de retoucher

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sommairement les principaux poincts de ces deux affaires, & de voir
en passant leurs causes & leurs progrez, afin d’en remarquer mieux la difference :
& de conclurre qu’il a esté besoin d’y apporter des remedes opposez.
Le Semestre qu’on auoit voulu establir dans le Parlement d’Aix, ayant
jetté des semences de diuision entre les anciens Officiers & Monsieur le
Comte d’Alais Gouuerneur de la Prouince qui soustenoit les nouueaux,
cette mes-intelligence s’estoit tousiours nourrie entr’eux, les negociations
où les Prouinciaux sont fort enclins, & l’incertitude de l’humeur qui est
le deffaut ordinaire de ce païs, auroient tenu fort long-temps les choses
indecises. Cependant les troubles de Paris estans suruenus, & la discorde
s’estant augmentée en Prouence par les soubçons & les deffiances que tout
le monde prenoit alors. Le peuple se sousleua dans Aix : & sans aucune raison
arresta Monsieur le Comte d’Alais, & fit prisonnier auec luy le Duc de
Richelieu qui passoir par cette ville pour venir à la Cour. Aussi-tost ceux
d’Aix escriuent à Marseille, à Arles, aux autres lieux, les solicitent de s’vnir
auec eux taschant de sousleuer la Prouince. S’ils faisoient cette entreprise
pour ayder à chasser le Cardinal Mazarin, j’auouë qu’en cela ils
auoient raison : si c’estoit pour persecuter vn Prince qui auoit peut-estre
choqué leurs interests particuliers, ils meritent beaucoup de blasme. Cependant
comme ces gens sont remuans & spirituels, ils donnerent charge
au Deputé qu’ils tenoient à Paris de magnifier leur action, ils enuoyerent
en mesme temps à la Cour pour se seruir de l’occasion, & pour y accommoder
leurs affaires : Mais comme ils virent que les autres villes de la Prouince
estoient calmes, & refusoient de s’interesser dans vne querelle particuliere,
& qu’ils eurent apris que les troubles de Paris inclinoient à la concorde,
comme ils sont souples & qu’ils sçauent s’accommoder au temps,
ils retirerent leur Deputé de Paris, & se jetterent tout à fait à negotier
auec la Cour. Ce fut lors que l’on publia la Declaration & que l’on posa
les armes, chacun croyoit aisément que le Parlement de Prouence suiuroit
vostre exemple, & celuy de tout le Royaume, qui estoit presque tranquille.
La Cour mesme auoit assez d’inclination à les satisfaire ; mais soit que
cette Compagnie esperast en demeurant ferme rendre ses affaires meilleures
pendant que l’agitation de l’Estat n’estoit pas encore tout à fait cessée ;
soit qu’elle iugeast qu’elle auroit l’Esté libre pour obtenir ses pretensions
par le besoin où l’on se trouuoit, d’opposer toutes les troupes, desia foibles
& harrassées, aux forces d’Espagne, soit que connoissant l’esprit vaillant du
Cardinal Mazarin, elle crust qu’en l’entretenant de moyens & d’esperãces
de terminer ses differends, elle en peust éloigner la conclusion & en demeurer
la maistresse ; continuant tousiours à negotier auec la Cour, elle
obligea la ville d’Aix à reprendre les armes. Or Monsieur mon frere qui
voyoit biẽ, que si le Cardinal Mazarin entreprenoit cette affaire, elle yroit
en vne extreme longueur : qui sçauoit que ce Ministre haïssoit Monsieur

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le Comte d’Alais, parce qu’il auoit mieux aymé Monsieur de Ioyeuse pour
son gendre, que le petit fils du courrier Baptista Mancini, nepueu du Cardinal
Mazarin : & qu’ainsi il ne seroit pas marry de voir ce Prince souffrir
long-temps ; Conclut sagement qu’il falloit aller à la source de ce mal, &
qu’on n’y pouuoit remedier sans en coupper la racine, plusieurs raisons
l’obligerent d’en vser ainsi. Il estoit honteux que tout le Royaume venant
d’estre pacifié, vne seule ville, que l’on vouloit satisfaire, demeurast encore
les armes à la main, cela pouuoit decrediter nos affaires chez les estrangers,
les affoiblir au dedans, & donner à nos Alliez vne mauuaise opinion
de nos forces. D’ailleurs il estoit tres-facile de reduire dans l’obeïssance la
ville d’Aix qui n’estoit pas pour tirer la guerre en longueur, ni pour produire
de mauuaises suites, cette ville estoit foible de scituation. Les Romains,
à ce que i’ay apris l’ayant seulement bastie pour leurs delices, &
pour la commodité de leurs Bains, elle n’auoit point d’autres fortifications
que ses antiques murailles, elle estoit destituée d’vn Chef considerable :
elle ne pouuoit esperer aucun secours. Arles demeuroit paisible, Marseille
& Thoulon s’estoient declarées pour la Cour, le reste de la Prouince vouloit
le repos, Monsieur le Comte d’Alais auoit de vieilles troupes, Monsieur
mon frere luy en enuoyoit encores qu’il auoit leuées de son argent,
de peur d’affoiblir l’Armée qu’on deuoit opposer à celle de Flandres : ainsi
il estoit aisé d’acheuer heureusement la guerre en fort peu de temps, auec
peu de peine, & sans beaucoup de depense. C’est pourquoy Monsieur le
Prince s’estant opiniastré à faire embrasser vn party qui estoit indubitable,
l’entreprise reüssit comme il l’auoit projetté, les choses s’accommoderent,
la Ville & le Parlement d’Aix se remirent en vne bonne assiette. Au lieu
que si l’on eust crû le Cardinal Mazarin, tout seroit encore tumultueux en
Prouence, les accidens ordinaires de la fortune y auroient peut-estre aigry
les affaires, peut-estre d’inopinez succez les auroient desesperez. Et toutesfois
MESSIEVRS, ne croyez pas que Monsieur le Comte d’Alais se
soit vangé en aucune sorte. Tous les sujets de déplaisir & de deffiance ont
esté effacez des esprits : la liaison s’y est establie paisible & entiere, & ç’a
esté auec vne telle satisfaction du Parlement d’Aix, pour Monsieur le
Prince, qu’apres auoir fait poser les armes, cette Compagnie a publié
tout haut, qu’elle tient son repos de luy, & que ses Deputez que le Cardinal
Mazarin dit faussement qu’il a menassez d’vn indigne traittement, sont
venus luy en rendre graces.

 

L’affaire de Bourdeaux est bien d’vne autre nature, dés les premieres
broüilleries qui y arriuerent entre le Gouuerneur & le Parlement, Monsieur
d’Espernon, comme c’est l’ordinaire de ceux qui ne sont point accoustumez
à trouuer rien qui leur resiste, fondé sur quantité de creatures qu’il
auoit dans la Guyenne, & sur la vieille domination de sa Maison, qui estoit
quasi passée en Souueraineté dans cette Prouince, escriuit à la Cour qu’il

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falloit punir ; ne demanda que la permission de faire des exemples, assura
de pousser ceux qui resisteroient, & de tenir le païs en son deuoir. Le Cardinal
Mazarin ayant déferé à cét Auis, sans examiner s’il estoit possible
qu’il succedast, & si aisément on persecuteroit des personnes d’honneur &
de courage qui se trouuoient dans l’innocence, & qui auoient plus de force
& plus d’appuy que le Gouuerneur, fit ce que le Cardinal de Richelieu
n’eust osé tenter dans le plus fort de cette authorité absoluë qui sousmettoit
tout. Et au lieu que pour interdire le Parlement de Normandie presque
aux portes de Paris, ce sage Ministre auoit autrefois enuoyé Monsieur
le Chancelier, auec vne partie du Conseil, & le Mareschal de Gassion auec
vne armée. Cettuy-cy habile à son ordinaire, mesprisé de tout le Royaume,
qui auoit fait naistre contre son Ministeriat de la fierté dans tous les
esprits, enuoya vn Huissier de la Chaisne, regardez quel grand personnage
pour acheuer vn si grand dessein : Et le chargeant seulement de parchemin
& de paroles, l’adressa à Monsieur d’Espernon. Aussi-tost qu’il fut arriué,
Monsieur d’Espernon se rendit à Bourdeaux auec ses Gardes, & quelque
Noblesse de celle qui ne pouuoit en bien-seance s’éloigner d’aupres de
luy. A son abord on vid la Ville triste, le peuple émeu, tout le monde dans
la défiance & dans la crainte de ses menasses, & des canons qu’il auoit fait
traisner auecques luy. En cét estat Bourdeaux ressembloit plustost à vn lieu
prest à estre pris par les ennemis, qu’à vne Ville celebre qui attendoit les
volontez de son Prince. Mais apres que Monsieur d’Espernon eût esté au
Parlement, & que là auec la douleur vniuerselle d’vn si illustre Senat, il
en eût interdit vne partie ; qu’on vit mesmes que des Gentils-hommes qui
le venoient joindre sur la Garonne pour appuyer ce qu’il voudroit executer,
estoient prests de debarquer ; Alors le peuple se sousleua, on tua quelques-vns
de ces Gentils-hommes, on repoussa le reste, & Monsieur d’Espernon
luy mesme fut obligé de sortir hors de Bourdeaux. Dans la chaleur
de cette premiere émotion, cette Ville opulent & grande apprehendant
la vengeance, se prepara à la guerre, & la Guyenne & les autres Prouinces
du ressort de son Parlement songerẽt à la secourir. Ces nouuelles épouuenterent
la Cour qui en fut surprise : & lors le Cardinal Mazarin voulant reparer
sa faute, fit en sorte que la Reyne obligea Monsieur le Prince à trauailler
à cét accommodement. On luy donna des memoires des choses
qu’on souhaittoit de ceux de Bourdeaux ; il se chargea de l’affaire, il s’aboucha
auec les Deputez, qui ne vouloient en façon du monde negotier auec
le Cardinal Mazarin. Enfin il agit si bien, qu’il les fit venir à des offres plus
auantageuses que ce que la Cour demandoit. C’estoit dés le mois d’Aoust
de l’année derniere ; & deslors en conseruant l’honneur & l’authorité du
Roy, la paix pouuoit estre concluë seurement & glorieusement. On pouuoit
dés ce temps-là, aller au deuant de tant de malheurs qu’on a fait souffrir
à cette Prouince. Monsieur mon frere content d’auoir si-tost, & si vtilement

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terminé l’affaire, vient au Palais Royal pour faite approuuer cét
accommodement, plus auantageux beaucoup qu’on ne l’auoit demandé.
Mais Monsieur d’Espernon qui ne cherchoit qu’à se venger, & qui tenoit
le Cardinal Mazarin dans la seruitude de ces passions, par l’espoir de l’alliance
du Duc de Candale son fils auec vne de ses Nieces, luy ayant fait cognoistre
que si l’on ne punissoit ceux de Bourdeaux, & que l’on ne les soumist
à son ressentiment, il ne falloit plus penser à ce mariage. Et le Cardinal
Mazarin sacrifiant volontiers les interests de l’Estat à l’ambition de sa
famille, lors que Monsieur le Prince fit voir au Conseil le projet aduantageux
de l’accommodement qu’il venoit d’arrester auecques Messieurs les
Deputez du Parlement de Bourdeaux. Ce Ministre, comme s’il n’eust pas
engagé Monsieur le Prince à cette negotiation, qu’il ne l’eust pas supplié
de la conclurre, qu’il n’y eust pas interposé l’authorité de la Reyne, eludant
insolemment cette paix, protesta qu’il estoit honteux d’abandonner
Monsieur d’Espernon, & s’escria qu’il falloit plustost qu’vne telle chose
arriuast, que l’Estat perist. Iugez MESSIEVRS, quel emportement &
quelle furie ; Ce fut alors que Monsieur mon frere indigné contre vne
meschanceté si visible, & si preiudiciable au Royaume, menaça le Cardinal
Mazarin de deffendre contre luy les interests de cette Ville. Ce qu’il auroit
fait sans doute, si la Reyne qui a tousiours vn pouuoir absolu sur luy,
en vsant en cette rencontre, ne l’en auoit détourné. Ce qu’il pût faire donc
ayant les mains liées par vn supréme pouuoir, ce fut de protester contre
l’injustice du Cardinal Mazarin, & de se retirer entierement de la connoissance
de cette affaire. Vous sçauez MESSIEVRS, ce qui s’y est passé depuis ;
vous sçauez combien on a veu de miseres, de desordres, de violences, de
pillages, de meurtres & d’incendies. Quoy que tant de persecutions & de
cruautez ayent eu si peu de succez, qu’apres auoir traisné des armées d’vn
bout de la France, à l’autre pour les ruïner ; & ruïner encore les païs par où
elles passoient, apres auoir hazardé plusieurs combats, tousiours auec perte,
tousiours auec honte, il a falu enfin qu’on foit reuenu à cét accommodement
que Monsieur le Prince jugeoit si necessaire : & qu’il se soit encore
meslé par la passion qu’il a au bien de l’Estat, & par l’affection particuliere
qu’il porte au Parlement de Bourdeaux. Et cependant, MESSIEVRS,
vous sçauez que ç’a esté de si mauuaise foy, & auec tant de contrainte de la
part du Cardinal Mazarin, que l’on l’a conclu, que Monsieur d’Espernon
& luy tascherent par vn combat, ou plustost par vn attentat, qui ne leur
succeda pas, de ruïner cette paix lors qu’elle venoit d’estre arrestée. C’est là
ce qui s’est passé à l’affaire. Maintenant voicy les choses qui font voir combien
estrange a esté l’aueuglement du Cardinal, s’il a crû qu’elle se pust terminer
par d’autres voyes que par celles de la douceur ; Premierement
la guerre ne sembloit pas legitime : & il n’y auoit pas de lieu de vouloir
perdre vne si auguste Compagnie, vne si florissante Ville, vne si grande

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Prouince pour satisfaire à la vengeance, & à l’aueugle emportement d’vn
particulier, elle n’estoit pas honneste : car sous quel pretexte persecuter
ceux qui protestoient de demeurer dans l’obeïssance ? qui ne demandoient
que l’execution des Declarations de sa Majesté, qui supplioient qu’on
éloignast la cause de tant de desordres. Mais quand cette guerre eust esté
specieuse, quant elle eust esté juste, quand elle eust esté necessaire ; considerez
de grace, si elle eust pû reüssir. On ne la pouuoit faire en Guyenne,
qu’auec les trouppes qui seruoient en Flandres ; qui n’eussent osé pendant
l’Esté laisser la frontiere découuerte ; La Cour n’auoit point d’argent pour
en faire de nouuelles, toute la Prouince sousleuée contre Monsieur d’Espernon,
la Noblesse, les Villes, les peuples ne luy permettoient pas d’y
en amasser. Les trouppes auoient pâty pendant l’Hyuer au siege de Paris :
l’Esté à la guerre des Païs Bas : Il falloit qu’elles fissẽt deux cẽs lieuës pour
se rẽdre à Bordeaux, & loin de se mettre aux quartiers d’Hyuer, elles auoiẽt
encor à passer vne secõde fois cette rude saison à vn siege perilleux & lõg :
on n’y en auoit enuoyé qu’vn nombre assez foible : le païs estoit contre eux :
la longueur des marches, les maladies, la faim, le manquement d’argent
les auoient fort affoiblies ; Que pouuoit donc faire vne armée si harassée, &
si peu considerable, contre vne grande Ville peuplée, pleine de gens aguerris,
riche & abondante en toutes choses, qui auoit vn Port, vn grand Fleuue,
des vaisseaux de guerre ; qui se voyoit deffenduë par de fort braues
soldats, sous des personnes de Condition, vieux Officiers, les vns cognus
par leur valeur, les autres par l’experience, où enfin tout le monde estoit
vny & prest de perir pour vne si bonne cause : & quand bien l’Armée qui
l’attaquoit eust esté beaucoup plus forte, quand les Bourdelois eussent eu
lieu de craindre leur perte, l’extremité pouuoit-elle pas obliger d’appeller
les Espagnols prests de les seruir, & de se seruir d’vne occasion si fauorable
pour arriuer à la Paix, que le Cardinal leur refuse ? où les Hollandois qui
par la raison de leur grand Commerce se vouloient interesser en cette affaire.
Les Huguenots fussent-ils demeurez tranquilles en cette rencontre dans
vn païs auquel ils sont si puissans : & n’eust-ce pas esté vne belle occasion à
l’Anglois de renouueller ses pretentions sur la Guyẽne, & de descendre encore
vne fois à la conqueste de ce païs : eust-il enfin si aisément surmonté la
Noblesse, & les Prouinces voisines qui se declaroient en faueur de Bourdeaux ?
qui auoit tousiours la Mer ouuerte, tant de forces en soy, & tant
de secours à esperer ? Le Cardinal Mazarin n’a donc pas lieu d’accuser
Monsieur le Prince des diuers chemins qu’il a tenus pour pacifier ces deux
Prouinces, toute autre maniere d’agit eust esté inutile, & n’auroit pas
reüssi ; Et il faut confesser, MESSIEVRS, que si autrefois vn Romain
pour auoir sauué vn Citoyen meritoit vne Couronne, il n’y en a point dõt
Monsieur le Prince ne soit digne, ayant garanty d’vne ruïne euidente pour
les conseruer à la Couronne, deux des plus grandes & des plus belles Prouinces

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de ce Royaume. Or comme la douleur que le Cardinal Mazarin a
euë, de n’auoir pû satisfaire la vengeance de Monsieur d’Espernon, ny sacrifier
les habitans de Bourdeaux à sa colere, est vne des plus fortes raisons
qui l’ayt porté à vouloir perdre Monsieur mon frere qui s’y est opposé. Ie
ne doute pas que ce celebre Parlement ne s’employe de toute sa force à secourir
iustement vn Prince, que l’on fait souffrir pour l’auoir deffendu : &
que ne pouuant ignorer que le soin que ce Prince a pris de le garentir de
la furie de ce Ministre, ne soit vne des causes de sa prison, puis que l’on la
compte icy entre ses crimes. Ie ne doute point, dis ie, que le Parlement &
la ville de Bourdeaux ne fassent cognoistre à toute la France, que Monsieur
le Prince n’a pas obligé des ingrats, ny protegé des coupables.

 

La raillerie des Ministres qui fait l’obiection qui vient apres, dépend encore
de cette matiere. Il est vray que Monsieur le Prince ne prit pas serieusement
la proposition que Monsieur le Mareschal de Villeroy annonça,
de conduire l’armée à la conqueste de Bourdeaux, lors que le Cardinal
Mazarin conjuroit tout haut sa perte : mais il s’excusa quelques iours apres
de la raillerie qu’il en auoit faite.

Quand à cette liberté étouffée (qui sont des termes étrangers) & à ces
insultes dont on l’accuse : Il auouë qu’il pressa Monsieur Seruien en ce
Conseil, où le Cardinal Mazarin ayant proposé des Edicts qui alloient à la
foulle du Peuple : & ce Ministre pour luy complaire employant la viuacité
de son esprit prompte, & quelquesfois moins moderée à soustenir cette
opinion, il fut rebutté par luy. Mais ie ne l’en deffens pas, ie suis bien ayse
au contraire d’auoir trouué icy vne occasion si fauorable, de faite voir que
le bien public a tousiours esté infiniment cher à Monsieur le Prince, &
qu’il n’a point craint pour soustenir les auantages du peuple, & pour ne le
laisser pas opprimer par les flateries seruiles, & par les lasches applaudissemens
des gens deuoüez au Cardinal Mazarin, de s’attirer leur hayne &
la sienne.

La Neutralité de la Franche-Comté, qui a remis la paix & le calme
dans la Bourgogne, les soins assidus que Monsieur mon frere a apportez,
à faire que les Trouppes vescussent en ce païs dans l’ordre & dans la discipline :
les appoinctemens de Gouuerneur qu’on ne luy a point augmentez,
& qu’il n’a point touchez depuis trois ans, s’incommodant pour laisser
aller à l’Espargne tous les deniers de la Prouince : la felicité & le repos
que les Bourguignons goustent depuis si long-temps, répondent assez aux
mensonges que le Cardinal Mazarin auance en cét endroit, contre Monsieur
le Prince.

L’article de Champagne a besoin d’estre examiné plus soigneusement.
Il n’est possible de croire de quelle sorte la calomnie des gens du Cardinal
Mazarin s’est emportée touchant cét Article : & combien ils ont pris de
soin de blasmer les desordres de cette Prouince, afin sans doute d’esteindre

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dans l’esprit de ces peuples l’affection qu’ils auoient pour Monsieur le
Prince de Conty, comme si toutes les pertes que la Champagne a souffertes,
n’estoient pas venuës de la malice du Cardinal Mazarin, ou que ce
Prince n’eust pas fait tout ce qui se pouuoit humainement faire pour le
soulagement de la Prouince. Il est certain, MESSIEVRS, que le Ministre
n’a rien obmis pour persecuter ce pauure païs. Et vous allez voir qu’il
a esté le seul qui l’a abandonné au pillage, & aux outrages des gens de
guerre. Il vous souuient bien, ie m’assure, comme la Champagne & la
Brie principalement furent exposées à l’orage pendant le siege de Paris. En
cela Monsieur le Prince de Conty n’auoit point de part, le Cardinal Mazarin
en estoit le seul coupable. Apres la paix, au lieu de laisser reposer ces
miserables Prouinces, le Ministre y mit toute l’Armée en rafraischissemẽt,
pour se venger de l’inclination qu’elles auoient témoignées pour vostre
party Et afin que ce Prince ne s’y pust opposer, il luy fit escrire des
lettres par où sa Majesté vouloit, que contre les formes ordinaires toutes
ces Trouppes logeassent sans son attache dans son Gouuernement. Ce
n’est pas tout, il abandonna ce qui est au deça de la Marne, à la fureur des
Trouppes Allemandes, qui rauagerent de sorte cette belle Prouince, que
son Orateur dit auec raison, que les habitans furent contraints de tout
quitter pour se retirer aux païs étranges. Il n’est point necessaire que ie
vous fasse resouuenir de la cruauté & de l’auarice de ces Trouppes : Il n’y
auoit rien de sacré pour elles, rien qui pust retenir leur rage, ou assouuir
leur conuoitise. Ainsi donc, & ces Troupes là & les nostres n’estant point
payées, & la licence que l’on leur donnoit de rançonner les peuples leur
tenant lieu de monstres, elles mirent bien-tost la Champagne en vn estat
si déplorable, qu’il faudra beaucoup d’années pour la restablir. Ie demãde
maintenant quelle part pouuoient auoir à ces desordres, & quel nombre
faisoient parmy ces armées, les Regimens de Monsieur le Prince de Conty ?
dont l’vn n’estant que de huit Compagnies foibles & mal montées,
comme vos Trouppes se trouuerent à la fin de la guerre de Paris ; l’autre
n’auoit esté remis qu’à dix Compagnies apres l’attaque de Charenton, &
ne faisoit pas deux cens hommes de pied. Cependant le temps d’aller en
Champagne estant venu, Monsieur le Prince de Conty qui pouuoit attendre
que la Cour luy eust fourny dequoy restablir ces deux Regimens,
comme on luy auoit promis par le Traitté de Ruel, (aymant mieux aux
despens de son authorité & de sa reputation, qu’ils seruissent foibles &
estropiez que de demeurer à charger cette Prouince) les enuoya en Lorraine
sous Monsieur de la Ferté. Il ne restoit donc plus que ses Gens d’armes
& ses Cheuaux legers dans la Champagne. Comme ce sont des Troupes
d’Ordonnance libres, & qui ne seruent point sans leur leuée, qu’on
leur auoit promis cette leuée par le Traitté de la Paix, & qu’elles ne l’auoient
point touchée à la guerre de Paris ; il falloit ou les casser ou bien

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obtenir l’argent que le Cardinal Mazarin s’estoit engagé de faire donner.
Le premier estoit honteux à vn Prince du Sang, le second estoit difficile
par les artifices qu’on apportoit à en prolonger l’execution. Apres beaucoup
de sollicitations inutiles & eludées, ce Prince s’estant resolu à les licencier,
plustost que de souffrir que le peuple en fust plus long-temps incommodé,
voulant bien receuoir ce déplaisir afin de soulager la Champagne.
Tout d’vn coup (voyez la méchanceté) ce Ministre fit expedier
des assignations pour leur leuée : mais des assignations qui donnant des
apparences d’vn payement prompt ne produisoient point d’argent. Messieurs
Daligre, de Morangis & Tubœuf, qui sont gens d’honneur & d’integrité,
& que j’appelle icy en tesmoignage, assureront qu’ils en ont
changé presque tous les huit jours, & qu’elles se sont trouuées toutes inutiles.
Et ne refuseront pas au mesme temps d’auoüer cette verité, qu’il
ne s’est point passé de sepmaine qu’on ne leur ayt representé que la Champagne
se ruïnoit, & que faute d’vne somme modique, ou d’vne negatiue
absoluë on laissoit perdre vne Prouince. L’Esté se passa de cette sorte, sans
que par la mauuaise foy du Cardinal Mazarin-cette promesse pust estre
déchargée de ces Compagnies, & sans qu’on les pust licencier. Cependant
M. le Prince de Conty pour remedier aux desordres de ses Trouppes par
vn exemple de seuerité, remit entre les mains des Tresoriers de France
de Chaalons, l’Enseigne de sa Compagnie de Gens-d’armes accusé de quelques
concussions qui fut cassé, & qui restitua ce qu’il auoit pris. Il ayma
encore mieux exposer sa Compagnie de Cheuaux legers aux courses des
ennemis, la tirant hors de la Prouince que de l’y laisser d’auantage. Aussi
fut-elle enleuée dans le Barrois par les trouppes de Luxembourg que le
Duc Davré commandoit. Enfin il n’obmit rien pour soulager son Gouuernement,
cependant que le Cardinal Mazarin employoit tout pour le
perdre. Au milieu de la campagne il donna dans cette miserable Prouince
vn lieu d’assemblée au Regiment d’Allemans de Ruuignes qui pillerent
Fere, & qui ruïnerent le païs d’alentour. Il en donna vn aux ennemis de
Meaux pour d’autres Compagnies de Cauallerie. Il fit passer & repasser au
trauers de la Champagne les Regimens de Monsieur le Prince de Conty,
sous le pretexte de l’affaire de Liege, quoy que comme vous auez veu, il
eust engagé sa parole au Duc de Bauiere, & qu’il sceust bien qu’elle ne reüssiroit
pas. Et cependant cét homme qui a fait tous ses efforts pour desoler
cette Prouince, ose accuser de ses malheurs, vn Prince qui a tant apporté
de soin pour la garentir ; & luy qui a abusé de l’excez de cette authorité
qu’il a vsurpée, qui a employé ses tromperies & ses malices pour l’accabler,
en veust détourner le blasme sur ce Prince, qui n’a pas seulement voulu y
prendre de quartier pour acheuer ses Regimens, peut-on endurer cette injustice ?
L’autre partie de l’accusation regarde le mauuais ordre du quartier
d’hyuer, & l’argent que l’on a exigé pour les deslogemens. Mais ie seray

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bien-ayse que sur ce sujet vous remarquiez la diligence exacte & soigneuse
que Monsieur le Prince de Conty auoit voulu apporter à bien policer
ce quartier, & ces logemens, & de quelle sorte elle a tousiours esté
éludée, & renduë sans fruit par les peines que ses ennemis y ont prises.
Pour en bien juger il est necessaire que vous sçachiez que presque toutes
les Villes & les Bourgs de Champagne & de Brie se trouuent protegez
par des Princes, des Cardinaux, des Ducs ; des Mareschaux de France,
des premiers personnages de la Robbe, & par des personnes de grande
condition, que ces personnes tiennent à vne extresme offence que l’on loge
des gens de guerre dans les lieux qu’ils conseruent. Tellement qu’exceptant
Troyes, Rheims & Chaalons, il ne restoit dans ces deux Prouinces
que dix ou douze endroits où l’on pust establir commodément le quartier
d’hyuer. Encore six ou sept de ces lieux estoient ruïnez & les restes foibles.
Les Tresoriers Generaux du Bureau de Chaalons sçauent bien ces choses :
Monsieur du Plessis de Besançon que Monsieur le Prince de Conty auoit
enuoyé pour regler le quartier d’hyuer, en ayant esté exactement informé
en peut confirmer la verité : Et Monsieur d’Emery mesme auec qui ce
Prince en auoit voulu conferer, sçait bien l’estat que firent ces personnes
de condition, quant on parla de mettre des gens de guerre dans les lieux
qu’ils protegeoient ; & comme l’on fut obligé par leurs prieres & par
leurs plaintes à se retrancher à ces dix ou douze endroits, dont j’ay parlé,
ainsi donc il falloit que ces gens de guerre se logeassent à la campagne.
Or quoy que Monsieur le Prince de Conty eust fait diminuer le nombre
des trouppes que les années precedentes auoient accoustumé d’hyuerner
en ce païs de dix-huit Cornettes de Cauallerie, & de soixante Compagnies
d’Infanterie, & qu’il se fust opiniastré a obtenir auec vne extresme
difficulté cette descharge qui apportoit grand bien à la Prouince ; Neantmoins
comme le rafraischissement que l’Armée entiere y auoit eu apres la
guerre de Paris, & le debordement des Trouppes d’Erlack qui auoient
Mondé la moitié de la Champagne, auoient ruïné le plat païs : Les Bourgs
& les Villages se trouuans trop foibles pour porter seuls les frais du quartier
d’hyuer. Il falloit pour tenir les Trouppes en vne garnison fixe donner
des aydes des lieux circonuoisins à ceux où les garnisons estoient établies.
De cette sorte les contributions & les despences estans reglées &
dispercées deuenoient mediocres : les Trouppes sans courir d’vn lieu à
l’autre pouuoient viure doucement, & les peuples par vne ayde mutuelle
se trouuoient fort soulagez. Vn semblable établissement auoit esté autrefois
pratiqué par Monsieur de Choisy dans les Preuostez de Champagne,
lors qu’il en estoit Intendant ; & iamais quartier d’hyuer ne s’estoit si paisiblement
passé que le sien. De plus, Monsieur le Prince de Conty, qui apres
auoit pris vn soing general de tout le Gouuernement, auoit voulu particulierement
soulager les Eslections de Langres & de Chaumont, comme

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celles qui estoient à la Frontiere auoient dauantage souffert, n’y ayant mis
que sa Compagnie des Gardes, auoit tout lieu d’esperer que ses soins luy
acquerant l’amour des peuples, meritoient encore les loüanges de la Cour.
Mais le Cardinal Mazarin ayant poussé quelques Officiers de Champagne
à crier contre cét établissement, & d’ailleurs ne se trouuant point d’Intendant
dans la Prouince pour faire executer vn reglement si juste & si vtile
& qui auoit si bien reüssi. Les païsans & les gens de guerre ne pouuant
aussi d’eux mesmes s’accorder sur leurs contestations, & de cette sorte s’estant
commis quelques abus & quelques desordres dans le Gouuernement,
& principalement dans l’Election de Langres ; Monsieur le Prince
de Conty pour ne dõner aucune prise contre sa conduite licentia sa Compagnie
des Gardes, & reuoqua ce qu’il auoit fait expedier pour cette Eslection,
& pour les reglemens du quartier d’hyuer. Au mesme temps il trauailla
en sorte qu’il fit encore sortir de Champagne douze Compagnies de
Cauallerie des Regimens de Grandpré & de Ruuigny, dont le premier
alla vers Treues, l’autre obtint des quartiers en Lorraine aux enuirons de
Vaudreuange. Il s’occupa en suitte à renfermer son Regiment de Cauallerie
dans les Villes qui sont le long de la Meuze, & à mettre toute l’Infanterie
dans Rheims, dans Troyes, dans Prouins & dans Montereau.
Il dépescha Monsieur de Besançon afin de pouruoir à la subsistance, & à
la police de ses trouppes : Ainsi le quartier d’hyuer estoit en estat que par
ses soins, y ayant fort peu de gens de guerre dans son Gouuernement, ils
se trouuoient encore renfermez dans les Villes, le plat païs demeuroit entierement
libre de soldats, & la Champagne & la Brie en estat de se remettre
peu à peu de leurs disgraces ; lors que ce Prince ayant esté arresté
elles se sont veuës derechef plongées dans leurs malheurs & soumises
à la violence des Armées, que le Cardinal Mazarin y a respanduës. Ie ne
doute point maintenant que faisant justice à Monsieur le Prince de Conty,
vous n’auoüyez qu’il estoit impossible d’apporter plus de diligence, &
plus de passion, & plus de bonne conduitte au soulagement de ces deux
Prouinces, & que toutes les plaintes qu’elles font des maux qu’elles ont
souffertes, & qui veritablement sont grandes, doiuent aller à la condamnation
de la mauuaise volonté que le Cardinal Mazarin a euë de les reuolter
contre Monsieur le Prince de Conty, par les dommages qu’il leur a
procurez luy mesme. Ie passeray en peu de paroles le second point de cét
article, qui regarde l’argent que le Cardinal Mazarin dit que les personnes
qui approchoient Monsieur le Prince de Conty ont pris de luy pour
obtenir des deslogemens, sur quoy ie puis respondre, que le Prince a esté
si exact à ne pas souffrir les moindres gratifications, qu’ayant sceu que
Prouins auoit fait quelque present à vn de ceux qui l’aprochoient, il l’a
fait rendre & y a logé des Trouppes, qu’il en a logé aussi à Chasteau Porcien
qui auoit crû s’exempter par de semblables promesses. Car pour

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Chaalons qu’il a laissé sans garnisons cette année, son intention ayant esté
de soulager tour à tour vne des trois grandes Villes de Champagne, &
ayant voulu commencer par celle-là. I’assurerois bien qu’il n’a iamais sceu
si cette Ville en cette consideration auoit voulu gratifier quelqu’vne des
personnes qu’il considere. Elle qui du temps de feu Monsieur le Comte
de Soissons offroit (comme faisoient encore Rheims & Troyes) tantost
huit, tantost dix mil escus, seulement pour leur obtenir qu’on leur facilitast
le quartier d’hyuer. S’estant trouué mesmes en ces temps-là, qu’outre
ces gratifications qui estoient vniuerselles par toutes les Villes de Champagne,
Monsieur du Plessis Besançon auoit mis pour vne année cinquante
mil escus dans les coffres de sa Majesté, que ces Prouinces auoient contribué
de bonne volonté. Et cependant MESSIEVRS, on fera vn crime des
desordres qu’on y a commis, à vn Prince entierement ennemy de l’interest,
& qui contre le malheur du temps & les mauuais desseins du Ministre
a tant fait de choses pour le soulager. Et ce seront ceux dont les exactions
& les larcins publics & effroyables ont ruїné le Royaume, qui sont
les Autheurs des pertes de la Champagne & de la Brie, qui publieront les
calomnies, & cela encore pendant que les Trouppes qui portent leur
nom, forcent les Villes où elles sont en garnison pour piller le plat paїs.
Qu’arrachant insolemment les roolles des Tailles des mains des Collecteurs,
elles les exigent elles mesmes, qu’elles marchent sans route, logent
sans ordre, traisnent du Canon, forcent les lieux qui resistent, & commettent
tous les actes d’hostilité & de fureur ; voyez s’il y a rien de si desraisonnable ?
Ie pense vous auoir amplement satisfaits sur cét article par
ce détail que i’ay appris de la bouche de Monsieur le Prince de Conty,
lors qu’il se plaignoit à moy de la médisance injuste que le Cardinal Mazarin
luy suscitoit, pour vn mal qu’il faisoit luy mesme, & dont ce Prince
estoit innocent. I’espere de plus, que ces Prouinces qu’on a aigries contre
luy, estant bien informées de la verité, se resouuiendront des bontez qu’il
a euës pour elles : Toutesfois sçay-je assurément que sur ce point il ne doit
pas rester le moindre scrupule aux gens raisonnables & desinteressez, &
qu’au contraire des suppositions si fausses augmenteront leur compassion
pour nos malheurs, & leur haine pour nos ennemis.

 

Nous voicy à l’affaire de Monsieur de Richelieu, qui est à peu prés de
la mesme force que celle de Monsieur de Gerzé, & l’on voit bien que cette
tempeste de Rhetorique que le Cardinal Mazarin a excitée en cét endroit,
ne respond pas à la nature de la chose, qui n’a rien de meslé auec
l’Estat : & qui tout au plus ne sçauroit offencer que Madame d’Aiguillon.
Et à n’en point mentir, lors que ie lisois ces grands mots (Auec quelles
paroles expliquerons nous l’affaire du Havre.) Ie croyois qu’il fust en peine
d’en chercher qui eussent assez de poids pour la rendre serieuse ; mais ie ne
me fusse iamais doutée qu’il en voulust faire vn crime d’Estat. Ie ne pouuois

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non plus croire qu’apres tant de suppositions controuuées pour perdre
Monsieur mon frere ; au lieu d’auancer enfin quelque verité, qui eust
au moins l’apparence d’vne faute : Il vint à exagerer ce mariage qui ne touche
point du tout ce Prince : & qu’il voulust appuyer tant de vaines accusations
d’vne chose si ridicule en ce genre ; qu’elle eust esté seule capable
de faire perdre la croyance à toutes les autres, quant on ne les auroit pas
destruites. C’est pourquoy ie vous auouëray ingenument que cét endroit
de la lettre du Cardinal Mazarin m’a en quelque façon diuertie. Car comment
seroit-il possible de ne sortir pas vn peu de sa tristesse, voyant vne
chose ordinaire & commune, attaquée auec autant d’impetuosité, que si
elle auoit ébranlé les fondemens de la Monarchie ? Ie vous auouëray encore
que ne doutant point que les gens qui ont quelque jugement n’ayent
regardé auec moy cette saillie du Cardinal Mazarin, comme vne impertinence
de fort peu de consequence. Ie n’y aurois daigné respondre s’il
ne s’y estoit rencontré dequoy faire toucher au doigt, que sa malice & son
interest ont esté seulement considerables en cette rencontre. Or afin de
vous le montrer, vous sçaurez que quatre iours auant le Mariage, Monsieur
le Duc de Richelieu vint trouuer Monsieur le Prince, & luy demanda
sa protection pour cette affaire contre Madame d’Aiguillon. Monsieur
mon frere qui n’en auoit iamais oüy parler, qui ne voyoit quasi point ce
Duc, qui auoit mesme vn grand procés contre luy (comme vous sçauez
mieux que personne) ne fut pas peut-estre marry de trouuer vne occasion
capable de faciliter l’accommodement de leurs differends, au moins ne
pût-il refuser son secours en vne affaire particuliere au Cousin germain de
Madame ma belle-sœur, qui en auoit besoin, & qui luy demandoit auec
instance ? Il luy promet donc, on va à Trye, on obtient dispense de Monsieur
l’Archeuesque de Roüen : Monsieur de Richelieu épouse Madame
de Pons, il part le lendemain pour se rendre au Havre, de peur que Madame
d’Aiguillon (dont le sieur de Sainte Maure qui y commande estoit
creature) ne s’en emparast, & afin d’y attendre en repos qu’on l’eust racommodé
auec elle. A quelques iours de là Madame sa femme s’y rend
aupres de luy : cette affaire se passe de la sorte, dans la bonne foy, dans
l’innocence, pour les seuls interests des mariez, & sans qu’il y eust rien où
l’on peust mesler des considerations politiques. Voyons maintenant comme
le Cardinal Mazarin la déguise. Il dit d’abord, que Monsieur le Prince
a seduit la jeunesse de Monsieur le Duc de Richelieu. Desia ce mot de seduire
est offençant : & ne doit pas estre proferé du premier Prince du Sang
par vn homme tel que le Cardinal Mazarin. Mais ie veux qu’il n’ayt pas
excedé les bornes du respect, & qu’il n’ayt point parlé contre l’obligation
de son deuoir, ie laisse cela. Ie demande comment il pourra prouuer qu’on
seduise ceux qu’on ne voit quasi point ; & contre qui l’on plaide pour des
pretentions fort grandes. Ce sont là deux merueilleux moyens. Ie dis de

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plus, que le Duc de Richelieu n’estoit pas en estat d’estre ainsi mené. Car
pour sa jeunesse, qui est la seule cause que le Cardinal Mazarin a donnée,
cette facilité à se laisser ainsi gagner & conduire, comme s’il parloit d’vn
enfant qui quittast le College ou qui sortist de l’Academie. Si il l’a crû si
idiot & si foible, il est bien coupable, & doit bien répondre à l’Estat, de
luy auoir confié trois ans auant son Mariage la conduite de l’Armée Naualle,
& de luy auoir fait continuer cét employ vne seconde année. Et
ainsi il faut ou qu’il se rende ridicule, ayant mis en de si mauuaises mains
vn des plus grands & des plus importans emplois de la guerre, & sans doute
celuy où les despenses & la perte par consequent sont les plus grandes,
& touchent de plus prés l’Estat, ou qu’il auouë qu’vn homme qui a eu
cette Charge deux années consecutiues, & que les auantages que nos Armées
ont remportez sous ses ordres contre de vieux Chefs d’Espagne,
ont fait iuger si capable de commander, pouuoit bien se marier sans estre
suborné comme vn enfant : & qu’il estoit assez habile pour acheuer de
soy-mesme vne affaire commune aux moindres personnes ; apres s’estre si
glorieusement acquitté (& mesme auec son approbation) de l’employ
le plus difficile où les grands Hommes puissent aspirer. Ce seroit vne chose
estrange, qu’vn General eust encore besoin d’vn Tuteur, & que l’authorité
d’vne Tante fust necessaire à celuy à qui l’on commet celle du Roy
comme à vn pauure pupille. Que si cela paroist si ridicule comme il l’est
en effet, ce qui suit ne me le semble pas moins. Le Cardinal Mazarin veut
que Monsieur le Prince ait tenu des moyens criminels pour auancer cette
affaire : qui estoit concluë auant qu’il en eust oüy parler. Que ce Mariage
ait esté clandestin, encore que, comme i’ay dit, il fust dans les formes, &
que Monsieur l’Archeuesque de Roüen l’eust approuué, il semble qu’il se
trouue inégal. Cependant chacun sçait que Madame de Richelieu est
d’aussi bon lieu que Monsieur mon mary, & qu’il pouuoit tenir à honneur
d’espouser la veuue d’vn aisné de la maison d’Albret. Veritablement si ce
Duc se fust marié à vne des petites Mazarines, & que l’on eust veu le Neueu
du Maistre espouser la Niece du domestique : & vn Officier de la
Couronne s’allier auec vne fille qui n’estoit pas Damoiselle, il y auroit eu
alors de l’inegalité. Il continüe à mal interpreter ce reste des circonstances.
Il prend Madame de Richelieu pour dépendre de nostre Maison,
quoy que sa famille ait esté liée de tout temps à celle de Madame d’Aiguillon,
qu’on sçache assez combien est estroite l’amitié de Madame du
Vigean & d’elle : & qu’on ait veu depuis le Marquis de Fors quitter les
interests de Monsieur mon frere. Il insinuë que Monsieur de Richelieu
n’a esté au Havre, que pour l’asseurer à Monsieur le Prince. Ce qui s’est
passé depuis sa detention a fait assez voir qu’il n’auoit pris aucune mesure
pour s’en rendre Maistre ; & que le voyage que le Duc de Richelieu y
auoit fait n’auoit esté que pour éuiter les entreprises de Madame d’Aiguillon

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qui y estoit absoluë. Il dit que Monsieur le Prince luy auoit baillé
Monsieur de Chambon pour conducteur : Ce Gentilhomme n’est point
son domestique, il est amy intime & ancien de Monsieur de Richelieu, &
Cousin de Madame sa femme. Il est bien vray que Monsieur le Prince presta
de l’argent à cette Dame, qui n’en auoit point lors qu’elle alla trouuer
Monsieur son mary ; mais ce fut simplement pour viure : & la somme
estoit si modique, qu’il n’y en auoit pas assez pour interesser vn mediocrement
honneste homme : bien loing d’en pouuoir payer seulement vne partie.
C’est au contraire vne imposture, d’assurer qu’il l’ait fait accompagner
par les siens en ce voyage, estant tres-certain que pas vn seul de ses gens ne
l’y a suiuie. S’en est vne, de dire qu’on a voulu arrester tous les Courriers :
qu’on a voulu ietter Monsieur de Bar dans la mer. Pas vn seul Courrier
n’a esté retenu, & Monsieur de Bar a esté receu dans le Havre, où il a entretenu
Monsieur de Richelieu autant qu’il l’a souhaitté. Vous auez veu
la malice du Cardinal Mazarin, à donner vn mauuais sens à cette affaire.
Voyez maintenant la fourberie. Aussi-tost qu’il eust appris ce mariage, il
songea à s’emparer du Havre ; Il fut trouuer la Reyne, il alluma sa colere
contre nous, il fit qu’elle dépescha le sieur de Bar pour persuader au sieur
de Sainte Maure de fermer les portes à Monsieur le Duc de Richelieu. Le
lendemain il enuoya le sieur de Champ-fleury Capitaine de ses Gardes
trouuer Monsieur le Prince. Il luy écriuit qu’à la verité la Reyne émeuë
par les plaintes de Madame d’Aiguillon, auoit dépesché au Havre, mais
qu’il ne s’en mist point en peine, que ç’auoit esté vne surprise, & qu’il
s’assurast qu’il racommoderoit bien cette difficulté. I’ay veu la lettre,
i’ay sceu la croyance, & si le Cardinal Mazarin le nie, ie tiens le sieur de
Champ-fleury assez homme d’honneur pour le tesmoigner ; N’est-ce pas là
agir de fort bonne foy ?

 

Vous auez veu sa malice & sa tromperie, apprenez son interest. Car
MESSIEVRS, ne croyez pas que s’il n’y fut allé que de la satisfaction de
Madame d’Aiguillon, il s’en fust beaucoup mis en peine, ny qu’il eust fait
la moindre reflexion sur sa colere. Il n’a pas tant de naturel, il ne rend pas
les bienfaits de si loin, & ne respond pas si exactement aux deuoirs de l’amitié.
Il auoit regardé Monsieur le Duc de Richelieu comme vn homme
fort riche, ayant de grands establissemens & vne charge fort importante :
il auoit consideré le Havre comme vne excellente place & auec les mesmes
auantages qu’il vous l’a descrit. Il eust esté fort aise de donner ces biens
immenses à vne de ses Nieces, de porter ses Neueux à ses dignitez, de se
rendre maistre de cette place & de disposer encore de nos Galeres. La perte
de ces choses est la seule cause de sa douleur. C’est ce qui luy fait considerer
ce mariage comme vn crime. Ie n’inuente rien icy, tout le monde est instruit
de ces veritez, & le Cardinal mesme vouloit si peu que i’en doutasse,
qu’il ne pust s’empescher de m’en tesmoigner quelque chose, & de me

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dire au Palais Royal, lors que ie reuins de Trye, qu’il seroit obligé de faire
des Religieuses de ses Nieces, puisque nous empeschions tous leurs mariages.
Il est donc euident que cette affaire n’a rien de commun auec les interests
du Royaume. Si comme i’ay dit ailleurs, le Cardinal Mazarin ne
donne le nom aux siens. Monsieur le Prince a protegé vn homme qui recherchoit
vne personne de condition sage & vertueuse : contre vne personne
vn peu plus impetueuse, vn peu plus menagere, vn peu plus ambitieuse
qu’il n’auroit esté à souhaitter : qui par vn traittement trop seuere,
auoit obligé Monsieur de Richelieu apres les dernieres marques de respect
& de souffrance, à chercher quelque establissement où il trouuast du repos ;
Qui le vouloit engager à vn mariage contraire à des inclinations qu’il
auoit euës, qu’il auoit nourries dés son enfance. Cette conduite n’a pas
besoin d’estre iustifiée, ie ne dis pas contre l’Estat, ie dis seulement contre
la bien-seance, & tout ce qui peut regarder les deuoirs & les regles de la
vie ciuile qui ont lieu entre les particuliers y a esté obserué.

 

Mais afin que vous connoissiez mieux iusques à quel excez se porte la
meschanceté du Cardinal Mazarin, & qu’il n’a rien laissé qu’il n’ait tenté
pour faire douter, s’il eust peu, de l’innocence de Monsieur le Prince ;
apres auoir employé tous les inutiles efforts que vous venez de voir, afin
de décrier la sagesse ou la candeur de sa conduite. Il va iusques à ses pensées,
il pretend qu’il en a eu de criminelles : Et par vn orgueil aussi peu consideré
& aussi coupable que celuy que les Demons eurent autrefois. Il se fait
scrutateur des cœurs ; il forge des suites & donne des sens à ses dernieres
actions : & l’accuse enfin des fautes qu’il dit qu’il auoit enuie de faire, &
qu’il exagere comme des forfaits commis. C’est en quoy il employe vne
partie du reste de son discours, pendant que l’autre est occupé à iuger mal
de quelques affaires où il auoit part, & à luy supposer de nouueaux crimes.
Mais apres auoir combattu tant de monstres, les ombres qu’il respand ne
me feront pas de peine : & il ne me faut plus qu’vn peu de vostre attention
pour me donner le loisir d’atterrer tout à fait cet Hydre, & d’estouffer tant
de testes que le Cardinal Mazarin fait renaistre incessamment, pour vomir
leur venin sur la pureté de la vie & des sentimens de Messieurs mes freres
& de Monsieur mon mary.

Voyons donc ce qui estoit en dernier lieu sur le tapis : Car ce sont les
mots de cet Orateur, plus propres à mon aduis à parler de quelque fable,
qu’à estre employez à vne matiere aussi seuere & aussi triste que celle où il
s’agit de la misere & de la persecution de tant de Princes. Monsieur mon
frere, à ce que dit le Cardinal Mazarin, vouloit achepter Charleville, ie
luy donneray bien plus, feu Monsieur mon pere en vouloit traitter, &
l’vn & l’autre y ont agy si publiquement, que la Cour & le Cardinal mesme
qui n’y trouuoit rien à dire, en approuuoient le dessein : & ce qu’il met icy
est vray ; que Monsieur mon frere estoit prest de depescher pour ce sujet à

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Mantouë. Que pretend-il donc en inferer ? quel crime veut-il fonder sur
vne affaire de cette nature ? si ce n’est qu’il dise qu’on l’auoit deffenduë, ce
qui seroit iniuste, & ce qui n’est pas aussi. Veritablement le Cardinal Mazarin
a voulu traiter luy mesme de cette Principauté : Dés là il est aisé de
découurir que c’est cela qui nous rend coupables, & de iuger que le voyage
de Mantouë n’auroit pas dauantage reüssi à Monsieur le Prince, que la negociation
de ce marché que ce Ministre trauersoit. Nous y auons, dit-il,
adroitement fait-naistre des difficultez. Obseruez que ce n’est pas le Roy
qui parle, & que cette Lettre comme i’ay desia dit, est toute du Cardinal
Mazarin. Il seroit en effet messeant que sa Majesté fust si droite, & qu’elle
se seruist de la finesse où elle peut employer l’authorité. Mais le Cardinal
Mazarin a bonne opinion de soy, de croire qu’il fasse si adroitement les choses,
& il faut qu’il estime fort ce procedé dissimulé & trompeur, puis
qu’il tient à gloire de le publier. Ne luy enuions pas vn tel auantage, &
nous contentons de dire qu’en cette occasion il n’a pas esté si habille homme
qu’il s’imagine : Voicy cette adresse merueilleuse. Il pretend estre creancier
d’vne somme de huit cens mil liures, qu’on bailla à la Reine de Pologne
lors qu’elle fut mariée. Il dit que cet argent est sorty hors de ses coffres :
Tout le monde dit qu’il a esté tiré hors des coffres du Roy. Vous & moy,
MESSIEVRS, nous nous accommoderons aisément à l’opinion commune.
Sur ce pretexte il se veut faire adiuger la Principauté de Charleville,
ie voy là beaucoup d’impudence, ie n’y voit point de finesse : Et Monsieur
mon frere ne se deuoit pas ce me semble retirer du dessein de cet achapt,
parce que le Cardinal Mazarin pilloit l’Espagne pour l’empescher de le
conclurre. Or comme Charleville n’est de nulle consequence sans la forteresse
du Mont-Olympe qui l’accommode entierement, & qu’il n’y auoit
aucun lieu de regarder l’acquisition de cette Principauté seule, que comme
vne chose ordinaire, afin de donner à ce marché quelque ombre de crime.
Le Cardinal Mazarin ajouste le mensonge à la verité, & assure que de la
part de Monsieur mon frere on estoit en negotiation auec Monsieur d’Aiguebere
Gouuerneur du Mont-Olympe pour le Traitté de sa place : Mais
le tesmoignage de ce Gentil-homme à qui ce Traitté est inconnu, destruira
cette supposition sans que nous y insistions dauantage. Ie diray seulement
que le Cardinal Mazarin, qui par la prison de Monsieur le Prince s’est deliuré
du plus grand obstacle qui pust trauerser le dessein qu’il a de s’emparer
de Charleville, tasche presentement pour s’assurer du Mont-Olympe, de
le faire tomber entre les mains d’vn de ses amis reconciliez, ou plustost il
trompe cette personne pour ne luy donner aucun lieu de plainte, pendant
qu’il s’en rendra le Maistre ; ne pouuant croire que ce Ministre dont toute
la vie n’est qu’vne fraude continuelle, sorte de son naturel pour agir sincerement
auec luy, qui estoit, il n’y a gueres, vn de ses plus grands persecuteurs,
ny qu’il y puisse auoir rien de solide dans vne affection que le seul

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interest a renoncé en apparence : & qui se doit moins nommer vne amitié
qu’vne faction.

 

Reuenons à nostre sujet, & voyons la plus étrange mécognoissance
que l’on puisse conceuoir. Lors que les commandemens de la Reyne obligerent
Monsieur le Prince à proteger le Cardinal Mazarin, & qu’on eust
dessein d’engager Monsieur de Lorraine à quitter le party d’Espagne ;
Monsieur le Prince de son bon gré sans en pretendre d’interests, sans en
demander de recompense, ayant donné son argent & ses pierreries voulut
encore donner son bien : & fit offrir à Monsieur de Lorraine de luy remettre
& le domaine & les places de Clermont & de Stenay s’il vouloit venir
au secours de la Cour, & separer ses Trouppes de celle de Monsieur
l’Archiduc. Et cependant au lieu de témoigner quelque gratitude de cette
action, puisque Monsieur mon frere n’en vouloit point de recompense,
le Cardinal Mazarin par vne malice noire, passe à vne autre extremité : &
non content de m’escognoistre le seruice que Monsieur mon frere auoit
voulu rendre en se despoüllant de son bien ; Il luy impute que sur quelques
difficultez (qui ne sont point leuées comme il dit, & comme vous
sçauez MESSIEVRS, puis que le procés en demeure encore indecis) il a
demandé Sedan, ce qui est vne imposture : Mais Sedan qu’il publie qui a
esté recompensé de la valeur de beaucoup de millions : quoy qu’il soit tres-veritable
qu’on n’a rien executé de ce qui a esté promis à Monsieur de
Bouillon par le Traitté de Paris ; & qu’au contraire le seruice qu’il voüa
au Parlement en cette occasion, empesche qu’on ne luy rende la Iustice
qu’on luy doit, & soit cause de la violence & du mauuais traictement
qu’on fait souffrir aux personnes qui luy sont les plus cheres & les plus
proches. Poursuiuons.

Le Cardinal Mazarin s’auise de trouuer mauuais vne chose qui estoit la
plus iuste du monde, & qu’on ne pouuoit refuser ; quand Monsieur le
Prince qui n’y a iamais eu d’autre interest que celuy de l’amitié, n’y en eust
point pris du tout, Monsieur Arnaud apres auoir tousiours seruy dans nos
Armées depuis le commencement de la guerre, pour trouuer quelque repos
à ses trauaux & quelque assiette à sa fortune, demande à recompenser
le Gouuernement d’Auxonne ; Le Cardinal Mazarin y consent : publie
l’affaire equitable : declare qu’il y veut seruir vn vieux Officier, plein
d’honneur & de merite. Et cependant dés le moment que Monsieur le
Prince est arresté, ce qui estoit vne action de Iustice deuient vn manquement,
mais vn manquement dont on charge Monsieur le Prince. Qui a
iamais oüy parler d’vne telle impertinence ? En voicy vne qui n’est pas
moins estrange. Monsieur mon frere a voulu marier Monsieur de la Moussaye
à la fille de Monsieur d’Erlach, il a commis vn grand crime : cette alliance
ne s’est pas faite, Monsieur d’Erlach a vtilement seruy l’Estat. Le
Cardinal Mazarin ne conserue pas le respect qu’il vous doit, quant il

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vous entretient de ces choses : & il n’a pas l’opinion qu’il doit prendre de
vostre auguste Compagnie ; s’il veut vous faire trouuer quelque soupçon
de faute à cette alliance quant bien elle auroit lieu : Ie dis quant elle auroit
lieu : car c’est vn mensonge de vouloir que Monsieur mon frere ayt
sollicité la conclusion de ce mariage : luy qui bien loing de celer l’a formellement
empesché : qui n’y a iamais pû consentir ; encore que Madame
de la Moussaye eust témoigné en auoir quelque desir, & que le sieur d’Erual
en qui le Gouuerneur de Brisach prenoit vne entiere confiance, se fust
chargé d’acheuer l’affaire, si Monsieur le Prince luy en vouloit donner la
commission. Enfin qui n’a point voulu que Monsieur de la Moussaye songeast
à aucun party de la Religion reformée, s’imaginant qu’vne alliance
Catholique seroit peut-estre vn moyen de faciliter sa conuersion, qu’il
souhaitte & qu’il espere. Ces auis aussi que le Cardinal Mazarin a composez
luy mesme, quoy qu’il die qu’il les a receus, que Monsieur le Prince
traittoit d’autres mariages, sont si ridicules & si sottement imaginez, qu’ils
ne vallent pas qu’on les considere, si ce n’est pour faire voir la pauureté
de l’esprit qui les inuente.

 

Maintenant examinons ces desseins que le Cardinal Mazarin découure
dans l’ame de Monsieur mon frere, & les chimeres qu’il imagine pour les
luy attribuer. Monsieur le Mareschal de Brezé fait vn voyage à Paris, vn
Mareschal de France, vn Gouuerneur de Prouince qui venoit de se deffaire
de son Gouuernement, qui deuoit en receuoir, qui auoit à en ajuster
les payemens, à en remplacer l’argent, qui deuoit solliciter ses pensions &
ses affaires, qui n’auoit point esté depuis long-temps à la Cour, pouuoit
bien y faire vn tour, sans qu’on en cherchast la cause. On n’a point accoustumé
de prendre d’ombrage des gens de condition, qui n’ayant pas tant
de sujets de venir à Paris que luy, qui souuent n’en ayant aucun pretexte,
ne laissent pas par les seuls motifs du deuoir & du respect, d’aprocher de
temps en temps la personne du Roy. Les Gouuerneurs qui s’esloignent
peuuent donner de l’inquietude aux Ministres. Ceux qui les viennent
trouuer ne font pas beaucoup de peine. N’importe : Monsieur le Mareschal
de Brezé estant à Paris, c’estoit vne occasion au Cardinal Mazarin
d’excogiter quelque chose contre Monsieur le Prince, il ne falloit pas
perdre : tout le monde a veu que ce Mareschal n’estoit à la Cour, que
pour des interests domestiques, n’importe : on pouuoit dire qu’il y auoit
esté appellé par Monsieur le Prince, & qu’il y estoit venu pour se joindre
à luy, afin de demander ensemble l’Admirauté. Ce n’est pas assez : Il luy
falloit attribuer vn second dessein, & apres auoir remarqué comme vne
grace, qu’on eust permis à Monsieur le Duc d’Anguien d’heriter des
biens de son ayeul ; il falloit encore que Monsieur le Prince & Monsieur
le Duc de Brezé eussent resolu de demander pour luy la suruiuance de
Saumur. Il y a encore plus : on pouuoit supposer que Monsieur le Prince

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& Monsieur de Brezé pouuoient songer à poursuiure pour luy la suruiuance
de toutes leurs Charges, de tous leurs Gouuernemens, de tout ce
que generallement ils tenoient de la Cour. Il ne falloit pas l’obmettre,
est-ce là tout ? Ie m’estonne que le Cardinal Mazarin soit demeuré en si
beau chemin : Il pouuoit ce me semble aller bien plus loing, personne ne
mettoit de bornes à son imagination eschaussée. Au lieu de pretentions
raisonnables, comme auroient esté celles-cy, il pouuoit leur imputer de
plus grands crimes ; Et luy qui a tant leu Machiauel ne deuoit pas les accuser
faussement, si ce n’estoit de quelque forfait estrange. Cependant la
verité est, que Monsieur le Mareschal de Brezé n’a pas dit vn mot de
toutes ces choses, qu’il ne les a pensées. Or dans cette rapidité où le
Cardinal Mazarin s’est laissé emporter d’imposer des fautes de toutes
sortes, & d’entasser crime sur crime sans mesure, sans raison, sans apparence ;
il ne s’est pas apperceu qu’en cét endroit, il a fait l’Apologie de
Monsieur le Prince, & destruit ce qu’il auoit tasché d’establir dans tout
son discours auec tant d’artifice, & de soin. Comme quoy pourra-t’il
persuader qu’vn homme, qui auec vn si estrange emportement qu’il le figure,
recherchoit les grands establissemens pour s’ésleuer à vne puissance
formidable, ayt voulu en ce mesme temps se dépoüiller volontairement
du Gouuernement d’vne Prouince : peu de gens sans doute auront assez
de foy pour le croire. Et si ç’a esté là le resultat des conseils de nostre famille,
ie ne voy pas qu’ils ayent esté pernicieux à l’Estat.

 

Mais le moyen de soustenir comme fait le Cardinal Mazarin, que les visites
des proches sont deuenuës criminelles ? Que la bonne intelligence des
freres passe pour vne conspiration ? Que la charité mutuelle des familles
est vn crime de leze Majesté ? Qu’on doit punir la concorde des parens
qui est le fondement des autres vertus ? Nous sommes bien mal-heureux
s’il change ainsi nos mœurs ; nous auons desia parmy nous assez de deffauts
de sa Nation. La deffiance & la perfidie ne souffrent pas que ces mauuaises
maximes acheuent de nous peruertir. En effet, qui auparauant luy
auoit iamais oüy parler de ces conseils de familles ? sinon pour en loüer
l’vnion si belle & si souhaittable, qu’elle doit faire le plus grand desir des
gens de bien : & qu’elle a tousiours attiré les benedictions du Ciel, & les
eloges des hommes sur ceux qui l’ont cultiuée.

En cet endroit le Cardinal Mazarin s’efforce d’appuyer son attentat de
l’approbation des autres Ministres ; mais de la maniere qu’il en parle il offense
sans doute, & la plus sage & la plus saine partie du Conseil. Nous ne
doutons point en effet, que tout ce que la fortune luy a donné de flateurs
n’ayent aplaudy à sa hayne, aux despens de leur conscience & de la ruïne
de l’Estat. Mais nous sçauons bien que les fidelles seruiteurs de sa Majesté
n’ont point eu de part à son crime : qu’ils le blasment, ainsi qu’ils l’ont en
horreur, qu’ils condamnent la meschanceté de celuy qui l’a commis, de

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ceux qui l’ont conseillé. Demandez à Monsieur le Chancelier, si intelligent
dans les affaires, si bon pillotte dans les orages de la Cour ? Il vous
dira qu’il a enfin esté chassé pour l’auoir desapprouué. Demandez au Chef
de vostre Compagnie, à ce grand homme, dont la fermeté & le sens attirent
l’admiration mesme de ses ennemis ? il vous en parlera comme du
coup le plus funeste qui pust offenser la France. Ie ne doute point que
Monsieur le Mareschal de Villeroy, quelque complaisance que le lieu où
il est le forcent d’auoir pour le Cardinal Mazarin, ne déplore en secret ce
desastre. Et que pensez vous quels sont les sentimens de Monsieur d’Auaux ?
de ce grand Ministre que la grande cognoissance de tous les interests
de l’Europe, sa sagesse & son integrité ont rendu si celebre, non seulement
parmy nous, mais parmy les nations estrangeres. Quels sont ceux
de Monsieur de Chauigny ? de cét esprit éclairé qui penetre & qui decide
si seurement : qui est si facile & si attaché au bien de l’Estat (Car ie le compte
icy, quoy que la hayne du Cardinal Mazarin priue le Roy d’vn seruiteur
si vtile :) que croyez vous enfin qu’en pensent Messieurs les Secretaires
d’Estat ? Mais MESSIEVRS, qu’en pensez vous vous mesmes ?
rien sans doute, sinon que cét attentat est épouuantable, & que si les Deffenseurs
du Royaume demeurent long-temps persecutez : cette Monarchie
si florissante va tomber au precipice, & qu’elle est proche de sa ruïne.
Mais nous sçauons qui en sont les Conseillers : nous cognoissons ces gens
violens, en qui l’aage n’a point refroidy les passions de l’ambition & de
l’auarice, qui se sont sacrifiez à la fortune ; qui se sont deuoüez à la seruitude
du Cardinal Mazarin, dont la maxime est d’aller à la grandeur pardessus
des corps massacrez : & qui tiennent à gloire de ne se pas cacher du
crime qu’ils ont aydé à commettre contre nostre Maison.

 

Ce sont eux, MESSIEVRS, qui veulent remettre la tyrannie sur vos
testes, qui ayant osté ce qui s’opposoit aux desseins iniques du Cardinal
Mazarin, maintenant qu’il dispose sans reserue de la plume, des Finances,
des Armées de sa Majesté, taschent d’esleuer sa puissance au dessus des
Loix : & de renouueller cette authorité insolente qui ne cognoist point de
bornes ; si odieuse aux gens de bien, & si funeste à cét Empire. Et cependant
le Cardinal Mazarin à qui il ne manque que le nom de Maire du Palais,
ose insinuër que Monsieur mon frere a conçeu quelque pensée d’vne
puissance dangereuse, luy qui n’ayant iamais disposé d’aucune des choses
qui eussent pû y faire aspirer vn homme moins fidelle, a tousiours terminé
sa gloire à bien obeïr, & à executer ponctuellement les ordres qui luy
sont venus de son Souuerain.

Mais on voit assez que cette supposition, & celle qui l’accompagne, de
la puissance que Monsieur le Prince a establie sur les Riuieres de ce Royaume,
luy qui n’a pas vne seule place à leur emboûcheure, qui n’en a aucune
sur le Rosne, sur la Garonne, sur la Loire, sur la Seine ; n’est que pour

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preparer à l’imposture de la pretention de l’Espée de Connestable : sur laquelle
il insiste, & que ie suis obligée de vous expliquer, afin de vous faire
cognoistre qu’il en est le seul autheur : & qu’icy comme par tout ailleurs,
vous continuez de voir sa méchanceté, aussi bien que la moderation
de Monsieur le Prince. Dans le dessein qu’il auoit de marier sa Niece auec
Monsieur de Mercœur, & de mettre l’Admirauté dans la Maison de Vendosme
pour le prix de cette alliance, voyant que les empeschemens que
Monsieur mon frere y apportoit, & pour le bien de l’Estat, & pour la
conseruation de ses pretentions legitimes, ne se pouuoient sur monter,
recourut à ses artifices : Et commençant vne negotiation qu’il mit entre
les mains de Monsieur de Rohan son amy & celuy de Monsieur le Prince,
il luy dit d’abord qu’il n’y auoit rien qu’il ne fist pour conseruer l’Admirauté
qui estoit son bien : (Ce que ie rapporte icy est tres-veritable, &
voyez de grace comme il parloit d’vne charge de la Couronne que la Reyne
auoit voulu conseruer pour elle) que c’estoit le seul bien qu’il eust assuré :
Est-il possible qu’il ayt eu tant d’impudence ? Bien est vray qu’il en
vse comme de son bien, ruïnant nos Armées & nos flottes. Qu’il souffriroit
plustost tout que d’endurer qu’on luy enleuast : auec raison certes,
puis que ses pirateries, dont la derniere exercée sur de miserables Armemens
qui sont à Paris à implorer vostre Iustice, luy ayant vallu douze
cens mil liures d’argent comptant l’enrichissent effroyablement : quoy
qu’elles destruisent le Royaume en perdant tout le commerce, & que par
le droit des represailles de ses volleries nos vaisseaux soient arrestez dans
tous les Ports de l’Europe. De cette protestation venant à tomber sur les
pretentions de Monsieur le Prince, apres estre luy mesme descendu dans
la justice de ses interests, tout d’vn coup comme s’il eust trouué vn bon
expedient, il pria Monsieur de Rohan de luy aller dire, que s’il vouloit
se desister & ne rien demander de l’Admirauté qu’on le feroit Connestable.
Monsieur de Rohan le vint trouuer, il luy expose les bons desseins
du Cardinal Mazarin, il l’exhorte à penser serieusement à cette Charge.
Monsieur le Prince par le seul respect qu’il doit à Monsieur le Duc d’Orleans,
& sans alleguer d’autre raison respond, qu’il ne veut point entendre
à cette proposition. Le Cardinal Mazarin afin de ne rien laisser qu’il
n’essayast pour acheuer cette affaire, propose de la cacher à Monsieur le
Duc d’Orleans iusques à ce qu’on luy eust fait agréer, & d’en faire expedier
cependant les Lettres. Monsieur mon frere s’y oppose plus fortement
que deuant, parce que cette maniere d’agir obscure & pleine de
fraude luy déplaisoit : parce qu’il preuoyoit qu’elle feroit naistre de la
deffiance & de l’aigreur dans l’esprit de Monsieur le Duc d’Orleans, que
de leur mes-intelligence viendroit la des-vnion de l’Estat, qui ne se maintenoit
que par leur concorde, qui en auoit tant de besoin pendant la guerre
auec l’Espagne, & duquel leur des-vnion causeroit le trouble & le bouleuersement.

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Le Cardinal Mazarin ne se rebutte point pour ces grandes
difficultez, se laissant traisner aueuglément au torrent de sa passion ; il insiste
à vouloir trouuer des auantages pour S. A. R. capables de le satisfaire
de son costé, & se charge de luy faire continuer sa fonction de Lieutenant
general de l’Estat, encore apres la Majorité du Roy. Prenez garde
MESSIEVRS, comme cét homme songe desia à empieter l’authorité
sur le Roy Majeur ; & considerez les desseins qu’il fait pour la continuation
de sa tyrannie. Alors Monsieur le Prince rejette entierement cét affaire,
& le Mariage se rompt. C’est là le fait, de la preuue duquel ie me remets
à Monsieur le Duc de Rohan, trop honneste homme pour nous refuser
de vous en éclaircir si vous en doutez. Estant vray qu’on ne peut assez
loüer en cette occasion la retenuë de Monsieur le Prince, d’auoir rebutté
la fortune lors qu’elle le venoit trouuer : & refuser vn honneur qu’il pouuoit
prendre sans peine, & seulement parce que s’il l’eust accepté sans le
sceu de Monsieur le Duc d’Orleans, cela auroit pû causer quelque alteration
dont l’Estat auroit pasty : ou bien que si l’on l’eust voulu satisfaire, cela
seroit allé à la domination de l’authorité Royale, ce que ce Prince n’eust
sans doute pas accepté, & que Monsieur mon frere n’auroit iamais pû
souffrir. Quant au droit, nul n’auroit pû trouuer à redire, que le premier
Prince du Sang eust porté vne Espée, que de simples Gentilshommes ont
si souuent meritée, & que sortant des mains des Connestables de Lesdiguieres
& de Luynes, elle fut venuë entre celles du Prince de Condé.
Tout le monde luy eust fait la justice, d’auoüer que ses seruices l’en
auoient rendu plus digne, que tous ceux à qui les seruices l’ont iamais
fait meriter. Il n’eust point esté nouueau de voir vn Connestable sorty
des Maisons de Bourbon & de Montmorency, apres en auoir veu naistre
vn si grand nombre, & de si Illustres de ces deux tiges. Et enfin Monsieur
le Duc d’Orleans y eust trouué toute sa grandeur conseruée, s’il eust voulu
se resouuenir que son Bisayeul Antoine Roy de Nauarre auoit exercé la
fonction de Lieutenant de l’Estat soubs la Regence de Catherine de Medecis,
au mesme temps qu’Anne de Montmorency nostre bisayeul se trouuant
auec luy aux sieges de Bourges & de Roüen, faisoit sa charge de
Connestable : luy qui auec sa charge auoit encore eu celle de Grand
Maistre.

 

Ie ne craindray donc pas que personne se puisse estonner que Monsieur
le Prince ayt pretendu à cette Espée. Il y aura sans doute plus de lieu d’admirer
sa vertu à n’en auoir pas voulu receuoir les esperances. Ie ne craindray
pas non plus apres cét exemple de sa moderation, que personne (si
elle n’est entierement passionnée) qu’il aye voulu assembler ses Trouppes
pour en assurer la possession contre S. A. R. ny que pour ce sujet il aye fait
fortifier ses places : ce sont des mensonges qui paroissent quelque chose &
ne sont rien. Semblables en cela à ces éclairs, dont la lumiere violente ne

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frappe point & n’esbloüit que pour vn moment. Car enfin il suffira pour
conuaincre ces mensonges, de dire que pendant le quartier d’hyuer, le
Regiment de Bourgogne a esté enfermé à Abbeuille : celuy d’Anguien à
Rheims, à la discretion des Bourgeois, & hors de la disposition de Monsieur
mon frere : que le reste de ses Trouppes a esté dispersé en des Prouinces
éloignées, que peu sont venuës en Bourgogne, & que ses gardes
mesmes qui n’auroient pas deu quitter sa personne, s’il auoit eu quelque
dessein, ont hyuerné en Limosin.

 

Il n’y a donc nulle reflexion à faire sur vne circonstance qui est purement
imaginaire, ny aucun lieu d’interpreter mal le soing que ce Prince a
pris de tenir ses Places en bon estat. I’ay bien souuent oüy dire qu’on auoit
puny des Gouuerneurs pour auoir laissé leurs Places dépourueuës : pour
auoir aposté quelque negligence à remedier à leurs manquemens : pour
n’en auoir pas reparé les ruïnes : mais qu’on en ayt accusé pour s’estre employé
soigneusement à les mettre en deffence. Nul, à moins d’estre aussi
peu sensé que nos ennemis, bien loin de le faire croire aux autres, ne se
l’est persuadé soy mesme. C’est certes vn bel exemple que le Cardinal Mazarin
propose aux Gouuerneurs des Places, puis qu’il veut faire vn crime
du soing qu’on en prend. Et nous ne deuons auoir aucune confiance aux
deffences de nos Frontieres, si c’est vne vertu de les laisser de perir. Ce n’est
pas que Monsieur le Prince n’ayt des moyens particuliers de se deffendre
de cette accusation. Car desia il n’est pas vray qu’il ayt fortifié Clermont :
& l’on ne sçauroit dire qu’il ayt eu dessein de s’en assurer, y laissant la garnison
qu’il y a trouuée : y continuant dans les charges des Officiers qui
n’estoient pas à luy : ne les traittant pas mesme si bien que faisoit Monsieur
de la Ferté-Senneterre, sous qui ils viuoient auec plus de licence, & à qui
aussi ils l’ont remise dés la premiere semonce. Que s’il a fait quelques reparations
à Bellegarde, ç’a esté par permission du Roy, ç’a esté à sa Maison,
autant pour l’embellissement que pour la force, ç’a esté de son argent
& en vne place frontiere. Quant à Stenay qui est si proche de Montmedy,
& sur laquelle les Gouuerneurs de cette place ont entrepris tant de fois.
Il estoit absolument necessaire qu’il l’a fortifiast, il auroit mesme eu besoin
de beaucoup d’années pour la perfectionner. A quoy l’on peut ajouster,
que si Monsieur de Lorraine vouloit iamais reprendre par force, ce que
Monsieur son frere & Madame sa femme redemandent deuant vous,
Monsieur mon frere a interest de la mettre en bon estat ; afin de conseruer
mieux par la mesme voye vne chose dont la Iustice ne l’a pas deboutté.

Ainsi il ne peut induire de la fortification de ses Places, necessaire pour
leur scituation, ny de la dispersion de ses Trouppes si peu propres à rien
executer, si faciles à dissiper & opprimer ainsi separées, que Monsieur le
Prince en ayt voulu appuyer ses demandes. Et de plus, puis que c’est vne
verité que ce Prince ne demandoit rien, il ne sçauroit non plus dire qu’il

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ayt eu dessein de prendre les armes si on le refusoit : n’ayant nulle enuie
de pretendre aucune chose, & ne s’estant mesme reconcilié l’Esté passé
auec le Cardinal Mazarin, que de peur d’estre obligé à prendre les armes
pour le chasser. Car qui ne sçait pas que Monsieur mon frere voyant la
Reyne obstinée à le proteger, voyant vne caballe qui se formoit pour le
maintenir ; & Monsieur de Beaufort qui ne se vouloit pas engager auec
luy, il ayma mieux encore esperer que le temps détromperoit sa Majesté,
que de commencer la guerre Ciuile ? quoy que ses amis luy representassent
qu’il en faudroit enfin venir là : qu’il n’y auoit plus de seureté pour luy
en France s’il laissoit à la conduite des affaires son ennemy : d’autant plus
dangereux qu’il estoit caché, & que cét Italien reconcilié le perdroit enfin,
aussi bien qu’il perdoit l’Estat. Quoy qu’il iugeast bien que ces auis
estoient vrays, comme la suitte des choses les a iustifiez, il ayma mieux
plustost que d’en venir à la force esperer que la continuation des maux de
la France feroit voir à la Reyne, que cét Estranger la ruïnoit : Il ayma
mieux exposer sa vie aux embusches de son ennemy, ne s’imaginant pas
que n’ayant iamais commis la moindre faute contre le seruice du Roy (mais
au contraire, ayant cent fois exposé sa vie pour en maintenir & pour en
augmenter l’authorité & la puissance) on pust attenter publiquement à sa
liberté ; Et ne croyant pas possible que ny la Reyne ny Monsieur le Duc
d’Orleans, ny le reste du Royaume pûssent souffrir qu’on l’en priuast, ny
que sans sujet on persecutast leur deffenseur.

 

Enfin, c’est en vain qu’on tasche de luy imputer qu’il a fait approcher
prés de sa personne quantité de Gentils hommes, ou qu’il a eu dessein de
se retirer ; Car outre que c’est vne contradiction qu’il ayt voulu se fortifier
dans Paris, & qu’il ayt songé à se retirer de Paris, il est certain qu’il
n’a iamais esté moins accompagné que pendant sa derniere affaire : durant
laquelle ses parties (outre leurs amis ordinaires, ont tousiours remply le
Palais d’vn amas de Noblesse appellée des Prouinces & incognuë à la
Cour ;) Et pour sa retraitte il n’y a nulle apparence que luy, qui auoit
voulu renoncer à tout autre appuy qu’à celuy de la Reyne & de Monsieur
le Duc d’Orleans : songeast à les quitter en vn temps, où ses ennemis s’esleuans
auec audace, tentoient toutes sortes de voyes pour le perdre &
pour se fortifier. Ce qu’on peut dire auec raison : C’est que cét assassinat
entrepris contre luy, est vn dangereux artifice pratiqué par le Cardinal
Mazarin, comme tout le monde sçait à cette heure, afin de le rendre irreconciliable
enuers ceux que le Ministre en fit accuser à l’instant, par le
billet que Monsieur Seruien en escriuit à Monsieur mon frere ; & par là
obliger ce Prince à les ruïner, ou les forcer eux-mesmes à se jetter dans
ses interests contre ce Prince ; afin de le perdre par leur secours, & de les
perdre encore ensuite, puis qu’il les hayt mortellement, qu’il les croit
ses plus grands ennemis ; & qu’il les destine comme d’aueugles victimes

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à la fureur de sa vengeance, si iamais il a les moyens de pouuoir l’executer.

 

Auant que ie vienne à parler de la Paix, qui est le dernier chapitre de
cette deffence : & que ie vous prouue que le Cardinal Mazarin qui l’éloigne
plus que iamais l’a eternellement empeschée. Permettez-moy de iustifier
Monsieur mon mary des fautes qu’on luy impose : Aussi bien est-ce icy
le lieu, & comme on ne les joint qu’en passant & par dépendance à celles
de Monsieur le Prince, ie n’en dois pas faire aussi vn article separé. Car
enfin ny Monsieur le Prince de Conty ny luy n’ont esté persecutez que
pour auoir esté ses complices & vos deffenseurs. Le Cardinal Mazarin
auroit sans doute trouué bien plus beau, qu’ils eussent esté vos ennemis
& les siens : & le siecle de fer dont il ayme les desordres, & parmy les
malheurs duquel les Poëtes content la hayne des freres luy agreeroit
bien plus en cette rencontre, que la concorde de ce premier aage, qui
estoit le temps de toutes les vertus. Sur quoy nous dirons que les actions
de Monsieur le Prince sont telles, que nostre Maison tient à grand honneur
d’y prendre part ; & que nous nous en declarons complices, si pourtant
on peut donner ce nom à la societé & au partage de l’honneur, de la
gloire & de la renommée : des excellentes qualitez qu’il possede, & des
seruices importans qu’il a rendus. Sçachant bien qu’il n’y a point de Souuerain
en la Chrestienté, qui ne se tint honnoré d’estre complice de ces
choses : & que l’enuie de ses belles actions qui tourmentent nos ennemis
en accroist encore le prix parmy les gens equitables. Or quant aux fautes
dont on accuse Monsieur mon mary, il sera aysé de l’en deffendre, & mesmes
en peu de paroles. En premier on l’accuse d’ingratitude, à cause diton
qu’il a de grands establissemens : Ie responds qu’il en a trouué la pluspart
dans sa Maison, & qu’on ne luy a pas donné ceux qu’on luy auoit
promis. Que le feu Roy cognoissant bien la recompense que meritoient
les seruices considerables qu’il auoit faits à l’Estat, luy ayant asseuré la
premiere Charge de la Couronne qui viendroit à vacquer, & cette parole
luy ayant esté confirmée par la Reyne, lors qu’au commencement de la
Regence il alla à Munster pour traitter la Paix. Monsieur de Schomberg
emporta toutesfois la Charge de Colonnel des Suisses à la mort de Monsieur
de Bassompierre, & que Monsieur mon mary se contenta du Chasteau
de Caën. Qu’il y a plus de trente ans qu’il a Dieppe qui luy couste
cent mil escus. Que pour Ioug, c’est vne petite place que le Duc de Veymar
qui l’auoit prise luy voulut donner autresfois auec le consentement
du feu Cardinal de Richelieu, que les directeurs de l’Armée Allemande
luy auoient depuis offert. Qu’il n’a iamais reccu ny d’autres honneurs ny
d’autres biens, les ayant pourtant meritez, soit en leuant vne Armée de
son argent, comme il fit lors qu’on assiegea Corbie : soit en seruant en
Franche-Comté auec des succez auantageux : soit en allant releuer en
Piedmont le party François presque abbatu : soit en faisant passer le Rhin

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à nostre Armée d’vne façon qui estonna toute l’Allemagne, qui establit
nos quartiers d’hyuer au de là de ce fleuue, qui fit rompre la Neutralité à
la Landgraue de Hesse : C’est à dire qui remit nos affaires, qui sans ces
choses estoient ruïnées en ces pays-là. Soit enfin en trauaillant tant de
temps & auec tant de soing pour le repos de l’Europe, quoy que le Cardinal
Mazarin ayt trompé sa diligence & renuersé nos trauaux. Quant à ses
manquemens on ne l’accuse point d’auoir mal agy, si ce n’est depuis la
derniere Declaration. On veut que depuis ce temps-là il ayt fomenté le
trouble dans son Gouuernement. Au contraire, il a trauaillé autant qu’il a
pû pour en éloigner les troubles : & fait contribuer par la Normandie
cent mil escus aux coffres du Roy pendant le quartier d’hyuer. On l’accuse
d’auoir mis les charges de cette Prouince entre les mains de ses proches,
ou de ses domestiques. Les vns ny les autres n’ont point donné de lieu à la
Cour de se pleindre d’eux. Le sieur de la Croisette a traitté seul de la charge
de Bailly de Caën, Monsieur mon mary estant à Munster. On n’a encore
fait aucune fonction de celle de Roüen qui a esté bien payée : bien loing
d’auoir voulu mal-traitter ceux qui d’entre Messieurs du Parlement de
Normandie auoient suiuy le mauuais Party, & soustenu la cause du Cardinal
Mazarin. Il n’y en a pas vn qui se puisse plaindre qu’on luy ayt seulement
dit vne parole fascheuse. I’ay respondu aux accusations du Pont de
l’Arche : de nos Conseils de famille, & de l’affaire du Havre : dont la premiere
est iniuste, la seconde iniurieuse, la derniere ne nous touche point.
Et il ne reste rien à expliquer, sinon ce qui se passa au Pont de l’Arche,
lors que les Gens-d’armes & les Cheuaux-legers de sa Majesté y furent
loger, Monsieur le Cheualier du Guet qui conduisoit ses Compagnies, &
qui portoit les ordres pour leurs logemens, en estant absent lors qu’elles
se presenterent aux portes, on les refusa : Si tost qu’il les eut jointes &
qu’il eut monstré son ordre, on y obeyt, elles furent logées, & receurent
le meilleur traittement qu’il fut possible. Si le Gouuerneur en auoit vsé
autrement, il auroit manqué en son deuoir ; il n’auroit pas bien fait sa
charge. Toutesfois, MESSIEVRS, c’est cela qu’on appelle vn acte de
Souueraineté : & pour cela nos domestiques nous nomment Ducs de Normandie.
S’il s’en estoit trouué quelqu’vn capable d’vne telle impertinence,
nous l’aurions chassé comme vn fol, mais non pas comme vn meschant.
Certes il faut que le Cardinal Mazarin manque bien de choses solides
à nous reprocher, puis qu’il s’amuse à celles-cy. Car quant ie luy aurois
accordé que la passion ou la flatterie de ces gens auroit passé toutes
bornes, pour cela en serions nous plus coupables ? Si nous estions obligé
de croire ce que l’amitié de ces personnes leur fait souuent dire de leurs
Maistres, nous serions obligez d’estimer le Cardinal Mazarin vn fort
grand personnage, luy qui est le dernier des hommes : Encore qu’il y ait
peu de ses domestiques qui parlent ainsi de luy, & que presque tous les

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iours le traittent comme il merite. Ie ne vous ay pas tenu long-temps sur
l’article de nos accusations particulieres, elles estoient fort foibles, elles
ont esté bien-tost éludées.

 

Ie viens maintenant au dernier chapitre de cette Apologie, & il ne me
reste plus qu’à deffendre Monsieur le Prince de l’accusation qu’on luy
fait, d’auoir esté cause de retarder la conclusion de la Paix. Or comme ce
crime est si grand, qu’il est capable de rendre vn homme odieux à toute la
Chrestienté ; Ie dois puisque j’en suis informée, faire cognoistre que le
Cardinal Mazarin en est seul coupable, & découurir comme il a rendus
vains & sans effet les bons desseins de Monsieur mon frere, & les grands
trauaux de Monsieur mon mary. Mais puis qu’il est necessaire que ie vous
fasse vne relation de la maniere dont les choses se sont passées à Munster,
afin de vous découurir de quelle sorte le Cardinal Mazarin pouuant mettre
la France dans le repos, & luy conseruer sa gloire & ses conquestes, a
voulu par la hayne qu’il porte à ce miserable Royaume, le laisser plongé
dans les desordres qui vont augmentant de iour en iour ; & dont la fin ne
se verra que dans celle de l’Estat, si elle n’est precedée par la ruïne de ce
Ministre. Auant que de venir à ce recit, ie vous supplie de croire que ie ne
vous diray rien qui soit passionné, rien qui ne soit certain, & que la verité
(de laquelle seule i’ay tiré mon secours dans toute cette deffence) paroistra
encore simple & sincere dans cette derniere relation. Les Plenipotentiaires
de Messieurs les Estats des Prouinces Vnies, par l’ancien attachement
que nous auions auec eux, à cause de nos Alliances : par la faueur
que les Espagnols leur tesmoignoient dans l’esperance de la Paix, par le
soing qu’ils prenoient de l’accommodement general : par leur habilité
particuliere à traitter les choses : s’estans rendus assez considerables dans
l’assemblée de Munster, pour prendre vn consentement tacite des François
& des Castillans. La mediation de leurs affaires auoient attiré à leur
Republique la gloire d’estre l’Arbitre de tant de differends. En cét estat
voyant que les difficultez qui restoient entre la France & l’Espagne se
trouuoient au point qu’on les pouuoit ajuster : & d’ailleurs ayant trauaillé
de sorte, eux qui agissoient de bonne foy, Que les affaires de leur pays
n’auoient plus besoin que d’estre concluës. Ils vinrent à Osnabruch trouuer
Monsieur mon mary, qui auec Monsieur Dauaux & Monsieur Seruien
prenoient soin de nos affaires. En ce lieu leur ayant remonstré que
toute l’Europe ne pouuoit pas s’imaginer que sans malice & sans negligence,
on pust encore traisner vn Traitté qui duroit depuis long-temps,
leur proposerent d’y mettre la derniere main, & leur offrirent de la part
des Espagnols des conditions si vtiles & si honnorables pour la France,
qu’il estoit presque impossible qu’ils nous en pussent accorder, ou que
nous en souhaittassions de meilleures : leur proposition fut receuë auec
joye. Neantmoins comme il restoit quelques legeres difficultez à resoudre,

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que l’on vouloit laisser cette gloire à la Reyne, que le Conseil qui
estoit auprés d’elle leuast ces foibles obstacles, & que la conclusion de la
Paix que les peuples desiroient si ardemment prist sa source de la Cour.
Nos Plenipotentiaires en écriuirent au Cardinal Mazarin, & de telle
sorte, qu’on ne douta point que sa response ne fut l’acheuement d’vn si
grand ouurage. Mais l’ambition & les desseins de cét homme, qui pour
les grands establissemens où il destinoit sa famille, pensoit auoir besoing
de la continuation de la guerre ; ayant fait répondre de telle façon, qu’il
ostoit toute esperance de terminer si-tost les affaires. Et les Hollandois cognoissans
clairement que Monsieur mon mary & Monsieur d’Auaux
estoient trompéz, que Monsieur Seruien se sacrifioit tout entier aux volontez
du Cardinal Mazarin, & que ce Ministre trahissant l’Estat qu’il
gouuernoit, fondoit les progrés de sa fortune sur les desordres de la France ;
protesterent hautement qu’ils se vouloient separer de nos interests :
Qu’ils recognoissoient nos artifices opposez au bien de l’Europe : & qu’ils
ne pretendoient point que trouuant vne Paix honneste & vtile pour eux,
ils deussent la rejetter ; parce que nous n’en voulions pas accepter vne qui
nous estoit tres-aduantageuse. Deslors ils se resolurent de faire leur accommodement
sans nous. Et ce fut aussi que le Cardinal Mazarin enuoya
Monsieur Seruien à la Haye afin de le rompre. Tout le monde sçait assez
comment au lieu de ramener cette Republique dans nostre vnion pour faire
la Paix ensemble, il ne trauailla à rien qu’à la porter à continuer la
guerre. De quelle sorte voyant qu’il ne pouuoit rejetter dans cette resolution,
non seulement odieuse mais detestée, les Estats des Prouinces Vnies,
il fit tous ses efforts pour mettre la diuision entr’eux, & pour les porter à
rompre la concorde, qui seule parmy tant de trauerses a estably leurs affaires.
Publiant par d’injurieux libelles que les Plenipotentiaires de ce
pays là qui inclinoient le plus au repos, trahissoient leur Patrie, estoient
ennemis declarez des François, & se trouuoient corrompus par l’argent
d’Espagne. Vous auez veu ie m’assure les ouurages qui se sont publiez sur
ce sujet, & vous pouuez juger quelle estoit la meschanceté du Cardinal
Mazarin, ne pouuant souffrir la Paix en France, de la vouloir encore
persecurer chez nos Alliez. Cependant la sagesse de cette Republique ne
s’estant point émeuë pour ses pernicieux complots, & les Estats ayans
preferé aux dangereuses pratiques & aux emportemens de Monsieur Seruien
les respects qu’ils deuoient à nostre Alliance, & les grandes obligations
qu’ils auoient à cette Couronne : firent derechef proposer par leurs
Plenipotentiaires, que si nous voulions entendre à la Paix, ils ne signeroient
point leur Traitté que nous n’eussions acheué le nostre. Le Cardinal
Mazarin pressé de cette sorte, n’osant refuser vne seconde fois cét accommodement
aux yeux de toute l’Europe : & croyant que la negociation
pourroit allonger auec bien-seance, ce qu’il n’auoit aucun dessein de

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conclurre : & qu’il ne pouuoir refuser sous aucun pretexte sans vn deshonneur
public. Estant de plus décheu de l’esperance de troubler Messieurs
les Estats & de les tenir dauantage en guerre, fit semblant d’aprouuer
l’ouuerture qu’ils faisoient, & de vouloir entendre à la conclusion du
Traitté. Mais afin que vous puissiez plus facilement comprendre les fourberies
& les artifices qui ont rompu cette affaire, il faut vous dire en quel
point se trouuoit lors le Traitté de Munster, & de quelle nature estoient
les difficultez qui en empeschoient la conclusion. Les bons desseins des
mediateurs, & les soins que Monsieur mon mary auoit pris d’accommoder
toutes choses, jointe à la necessité que les Espagnols auoient de la
Paix ; eux qui se trouuoient pressez du succez de nos armes, où les victoires
de nostre Maison auoient grande part, & ébranlez de tous costez par
les seditions & par les reuoltes, leur ayant desia fait passer à nostre auantage,
quarante-huit articles des choses qui estoient en differend entre les
deux Couronnes. Il n’en restoit plus que six à regler touchant la Iurisdiction
des places conquises : La Treue de Catalogne, le depost de Casal,
le secours du Portugal, la liberté de D. Duarte, & la restitution de Lorraine.
Pour le premier point les Espagnols (nous accordant generallement
tout ce que nous auons conquis) demandoient que pour le ressort
de la Iurisdiction nous nous contentassions de la banlieuë des Villes de
nos Conquestes : Nous pretendions qu’estant à nous, leur jurisdiction
deuoit s’estendre aussi loing qu’elle faisoit, lors qu’elles estoient entre
les mains du Roy Catholique. Sur le second point nous estions d’accord
que l’on fit en Catalogne vne treue de trente années : & que pendant ce
temps chacun conseruast les lieux dont il estoit Maistre. Il y auoit quelque
difficulté sur les fortifications des Places : Nous voulions que l’on y pust
trauailler ; les Espagnols au contraire pretendoient qu’on deuoit les laisser
en l’estat où elles se trouuoient lors de la conclusion de la Paix. Quant
à Cazal ils consentoient que la garnison Suisse qu’on y mettroit fut payée
& entretenuë par nous pendant l’espace de huit années : & nous voulions
qu’elle y demeurast quinze ans. Le Portugal faisoit la quatriesme difficulté ;
Nous entendions le deffendre sans aucune condition ; ils nous laissoient
la faculté de le pouuoir secourir sans attaquer leur pays. Enfin ils
accordoient la liberté à D. Duarte frere du Roy de Portugal, à la charge
qu’il feroit serment de ne point porter les armes contre le Roy Catholique,
& nous le voulions en liberté sans aucune condition. Toutes ces
difficultez foibles & peu capables de rompre l’heureux succez d’vne negotiation
de cette importance, auoient esté de telle sorte suspenduës par les
Hollandois, qu’afin que leur resolution ne retardast point l’issuë de l’assemblée
de Munster, ils auoient obtenu des Espagnols qu’ils les en laissoient
les Arbitres. Et comme il n’y auoit nulle apparence (quelque chose
que Monsieur Seruien eust escrite de leurs Deputez) de nous deffier de

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leur bonne foy, ny de rejetter leur entremise. Le Cardinal Mazarin auoit
esté contraint de ceder au consentement de cét Arbitrage : par consequent
le seul interest de Lorraine pouuoit empescher la paix. Iugez, MESSIEVRS,
combien il sembloit que la France fut proche de son bon-heur ;
& s’il n’y auoit pas toutes les apparences du monde d’esperer, que quelque
difficile que fust cét interest, non seulement il ne romproit pas, mais
il ne tarderoit que peu la felicité publique. Voicy quel estoit cét interest ;
Nos Plenipotentiaires auoient donné vn escrit, par lequel le Roy retenant
pour soy le [1 mot ill.], & tout ce qui dans la Lorraine a sa mouuance
des trois Eueschez & de la Couronne de France, consentoit à la restitution
de la vieille Duché de Lorraine, à la charge neantmoins qu’elle demeurast
entre ses mains l’espace de dix années : afin que ce temps luy seruist
pour s’assurer de la conduite & de la fidelité du Duc. Promettant durant
ce temps-là de luy donner vne pension de deux cens mil escus, d’en
donner vne de cinquante mil à Madame la Duchesse sa femme, & vne de
pareille somme au Prince François son frere. Cette difficulté pouuoit s’ajuster
en se relaschant des deux costez, comme l’on fait d’ordinaire. Vous
verrez maintenant les tromperies que le Cardinal Mazarin employa pour
en empescher l’accommodement, les choses estans à ce point. Monsieur
Knuct Plenipotentiaire de Messieurs les Estats, vint chez Messieurs nos
Plenipotentiaires, & leur apporta sur l’obstacle de la Lorraine vne condition
plus prompte, plus auantageuse, & plus honnorable pour la
France, que celle que nous demandions. Il leur proposa de restituer dés
lors la vieille Duché : offrant au lieu des dix années de possession la garentie
de la fidelité du Duc de la part de Messieurs les Estats ; qui vouloient
s’obliger, qu’au cas qu’il y eust le moindre manquement contre la France,
de prendre les armes, & de se joindre auec nous pour le dépoüiller &
pour le punir. Cette proposition ne nous faisoit rien restituer dauantage
que ce que nous auions offert ; nos Alliez l’appuyant la rendoient raisonnable,
& nous donnoient lieu de ne rien quitter du reste de nos demandes.
La seureté que nous pretendions estoit plus grande par ce moyen
puis qu’elle duroit tousiours, & que la nostre se terminoit à dix années :
Il y auoit mesme plus de bien-seance à l’accepter, d’autant qu’elle ostoit
tout lieu de nous reprocher que nous ne nous voulions seruir du motif
de l’inconstance de ce Prince, que comme d’vn pretexte pour posseder ses
Estats. C’est pourquoy Monsieur mon mary & Monsieur Dauaux ayant
receu auec joye vne si fauorable ouuerture, Monsieur Seruien à qui le
Cardinal Mazarin auoit donné l’ordre d’empescher la Paix s’y opposa.
Et cela auec tant de violence, qu’encore qu’on luy fist comprendre outre
les raisons que ie vous viens de dire, que c’estoit aux Espagnols qui y
estoient mal traittez à la rejetter : qu’on luy monstrast que les Hollandois
nous abandonneroient s’ils nous voyoent agir de si mauuais pied ? Il se

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mocqua & de nos auantages & de la perte de leur alliance. Et s’appuyant
de l’authorité de la Cour dont il estoit soustenu, emporta qu’on n’accepteroit
point cette proposition qu’on n’en eust eu la resolution du Cardinal
Mazarin. On escriuit donc en France, & en attendant la response on
pria Messieurs les Plenipotentiaires de Hollande de faire tous les offices
possibles, & d’employer toutes leurs forces aupres des Ministres d’Espagne,
afin d’obtenir leur consentement sur cette proposition. Ce qui sembloit
difficile, n’y ayant gueres d’apparence qu’vne nation si glorieuse
consentist, qu’vn Prince qui auoit perdu ses Estats pour son seruice, n’en
retrouuast qu’vne partie : & que nous ne voulussions rien relascher de ce
que nous avions demandé. Le Cardinal Mazarin bien auerty de ces choses,
& voulant conseruer le dehors de la reputation, & tesmoigner qu’il
inclinoit à la Paix, respondit que l’on acceptoit la proposition de Messieurs
les Estats, pourueu qu’on desmolist les fortifications de Nancy.
Croyant par cette difficulté nouuelle & d’vne extresme consequence, reduire
la conclusion de cét article à l’impossibilité. Mais les Estats qui vouloient
auoir la gloire de faire la Paix generale, ou se décharger sur nous
du blasme de l’auoir rompuë, ne s’estans point rebutez par vn si fascheux
obstacle : & ayant entrepris de le surmonter, apres y auoir trauaillé auec
adresse & vigueur, & menassé de ne se iamais separer de nous, si l’on ne
nous donnoit vne satisfaction entiere. Vinrent trouuer Monsieur mon
mary, & en presence de Messieurs Dauaux & Seruien exposerent d’abord
les peines qu’ils rencontroient à faire reüssir la chose. En effet ils les firent
si grandes, qu’en cét endroit Monsieur Seruien s’imaginant auec plus de
chaleur que de reflexion, que les Espagnols auoient reietré nostre proposition,
& que ceux qui en apportoient le refus venoient pour tirer de nous
quelque temperament sur cette affaire : croyant ainsi auoir vne occasion
de pouuoir témoigner seurement le desir que le Cardinal Mazarin feignoit
d’auoir pour la Paix, & ne songeant plus qu’il s’engageoit contre ses
ordres à vn pas dont il ne pouuoit sortir sans honte ; insista fortement à
demander la demolition de ces fortifications : protesta que la conclusion
de la Paix dépendoit de cette chose, accusa les Espagnols de ne la vouloir
point, & pressa les Plenipotentiaires des Estats de répondre promptement
& positiuement. Ces Messieurs accoustumez à la bonne foy, & ce
qui en ces rencontres la dissimulation est vn crime, iugeant de ses intentions
par ses paroles, & les voyant appuyées par Monsieur mon mary &
par Monsieur Dauaux qui y estoient trompez comme eux, se retirerent
vn moment à part ; & puis venant raprocher nos Plenipotentiaires declarerent
enfin, que les Espagnols acceptoient la condition & que la Paix
estoit faite. Monsieur Seruien surpris, estonné, confondu comme s’il eust
esté frappé du tonnerre, paslit à ce discours ; qui fut escouté par Monsieur
mon mary & par Monsieur Dauaux, comme la plus agreable chose qu’ils

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pussent entendre. S’estans alors assemblez tous trois, & Monsieur mon
mary auec Monsieur Dauaux opinans à signer le Traitté sur l’heure mesme,
Monsieur Seruien qui auoit repris ses esprits, & qui voulant à quelque
prix que ce fust remedier à la faute qu’il venoit de faire, contre les intentions
du Cardinal Mazarin, se resoluoit de tout troubler & de tout
perdre, plustost que de donner les mains à la signature de la Paix : ne
voyant d’ailleurs aucun lieu de resister ouuertemẽt au consentement qu’il
auoit apporté luy-mesme, mesla les menaces du Cardinal Mazarin & les
commandemens de la Reyne ; opiniastra & fit resoudre qu’on prendroit
ce soir là pour songer serieusement à accepter cét offre, & qu’on en donneroit
la responce le iour suiuant. Messieurs les Plenipotentiaires des
Estats, faschez de s’estre découuerts à vn homme qu’ils iugeoient bien
qu’il les trompoit, & murmurans d’vne responce si peu attenduë : eux
qui croyoient que nous leur deuions rendre graces des auantages qu’ils
nous auoient procurez, de conclure la Paix par cette fin glorieuse, se retirerent
auec indignation. Le soir Monsieur Seruien malgré les efforts de
Monsieur mon mary & de Monsieur Dauaux, continuant dans son dessein,
tantost representant la grandeur de cét affaire, tantost le respect que
l’on deuoit à la Reyne, qui seroit irritée si on l’acheuoit sans sa participation ;
tantost la crainte de faillir & de déplaire, tantost la peur de la punition
& de la perte, emporta qu’on en escriroit à la Cour : Et qu’on prieroit
cependant Messieurs les Plenipotentiaires des Estats d’attendre encore
quinze iours à signer leur Traitté. Le lendemain on leur dit cette responce,
ils la refuserent, ils s’en pleignirent par tout, ils nous accuserent
d’estre ennemis de la Paix, ils attirerent sur nostre. Nation la hayne de
toutes les autres. Les Espagnols cependant iugeant bien que si le Duc de
Lorraine venoit à sçauoir qu’ils l’auoient abandonné, il se porteroit peut-estre
contre eux à quelque fascheuse resolution. Declarerent, que puis
que nous n’auions pas sur le champ accepté l’offre qu’ils nous auoient
faite touchant le Duc de Lorraine, ce qui auroit osté à ce Prince, sinon
les sujets de s’en plaindre, au moins les moyens de s’en ressentir ; ils ne
vouloient plus accorder la démolition de Nancy : Et Monsieur Seruien
au mesme instãt prenant son temps, pour rebroüiller entierement les affaires,
insista que la condition de cette démolition manquant, il n’estoit plus
besoin d’escrire à la Cour. Neãtmoins Mõsieur mon mary & Mõsieur Dauaux
estant tousiours demeurez dans la resolution de ce faire, & quelques
vns des Plenipotentiaires des Estats ayant soubs main fait sçauoir qu’on
suspendoit la signature de leur Traitté iusques à la responce. On dépescha
à la Cour, mais les lettres furent foibles : Monsieur Seruien ayant employé
toute son adresse à les rendre telles, afin qu’il fust plus facile au Cardinal
Mazarin de les eluder ; & qu’ayant plus d’apparence que de force
elles ne fissent aucun effet. Par cette voye le Cardinal Mazarin auerty du

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peril qu’il auoit couru de la conclusion de la Paix, respondit de sorte qu’il
n’y eust plus de moyen de restablir le Traitté. Et afin de rejetter dauantage
les choses dans la confusion, il fit agir auprés du Duc de Lorraine, pour le
separer des interests de la Maison d’Austriche, & pour l’obliger à continuer
la guerre dans nostre party. De sorte que par le mesme ordinaire qui
apporta de la Cour la negatiue du Cardinal Mazarin, le Duc de Lorraine
enuoya de Bruxelles vne lettre que Madame la Duchesse d’Orleans luy
auoit escrite, & qui fut leuë à Munster en pleine assemblée ; par où elle luy
mandoit, que s’il vouloit quitter les Espagnols qui l’abandonnoient, &
seruir le Roy de sa personne & de ses Trouppes, non seulement elle luy
feroit rendre la vieille Duché de Lorraine, mais encore tous ses Estats :
faisans receuoir l’affront à nos Plenipotentiaires, qu’on pouuoit les accuser
de la continuation de la guerre, & d’vne conduite pleine de duplicité
& de perfidie. Les Plenipotentiaires des Estats qui voyoient vn artifice
succeder à vn autre, n’attendant plus rien de la mauuaise foy du Cardinal
Mazarin signerent leur Traitté. Mais comme ils ne pouuoient nous quitter
sans tenter toutes les voyes de ramener ce Ministre à resipicence, &
qu’ils conseruoient encore quelque foible esperance, que cét homme
voyant la France priuée de leur secours, se porteroit enfin à agir selon son
deuoir & sa conscience, se reseruerent trois mois pour la ratification de
leur Traitté : Pendant lesquels ils stipulerent des Espagnols, Que nous serions
receus à la conclusion de la Paix, aux conditions qu’ils nous l’auoient
offerte, si nous y voulions entendre. Mais le Cardinal Mazarin passant
par dessus toutes les bornes de l’honneur ; & ne voulant pas que nos
miseres finissent, ny qu’il nous restast la moindre esperance de quelque accommodement :
Aussi-tost que Messieurs les Plenipotentiaires des Estats
eurent signé, osta tout espoir de negotier ; & fit protester par Monsieur
Seruien que nous ne nous tenions plus aux choses que nous auions accordées.
Et cela auec tant de mauuaise foy & de crime, que Monsieur mon
mary, malgré lequel on faisoit ces choses, nous voyant en opprobre & en
execration à tous les Peuples, quitta l’Assemblée & reuint en France : &
auec tant de passion du costé du Cardinal Mazarin, que Monsieur Dauaux
fut disgracié pour n’auoir pas approuué ces iniustices : & que moy mesme
au retour de Munster ne celay point au Palais Royal de quelle sorte les
choses s’estoient passées, en meritay la colére de la Reyne qu’il auoit
preoccupée sur ce sujet. C’est ainsi, MESSIEVRS, que la Paix de Munster
a esté troublée, & aussi depuis ce temps-là, les Espagnols n’ont iamais
voulu reprendre le Traitté auec si meschant homme. Car soit qu’ils se
soient adressez à la Cour pour renoüer quelque pourparler ; le sieur Piquet
y a declaré de la part de Monsieur le Comte de Pigneranda (qui s’est
depuis mocqué de ce Ministre à Cambray) qu’il ne la vouloit negocier
qu’auec Monsieur le Prince ; mais point du tout auec cét infidelle : soit

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qu’ils se soient adressez à vous. Le sieur d’Arnolfini vous a exposé de la
part de Monsieur l’Archiduc, qu’il seroit rauy de la receuoir par vos mains,
mais qu’il ne vouloit point qu’on en donnast la moindre part à celuy qui
ne s’en vouloit mesler que pour empescher que les autres ne la fissent. Et
il est vray aussi que le Cardinal Mazarin publioit si fort la repugnance
qu’il auoit à la conclurre : Que lors que Monsieur de la Moussaye fut enuoyé
à la Cour de la part de Monsieur mon frere, pour y proposer le Siege
de Dunkerque, & qu’entre les raisons qu’il apportoit pour la faire agréer,
il y mesloit celle du poids que cette conqueste pourroit apporter à la Paix.
Ce Ministre auec vn sousris mocqueur, en vn sujet qui a cousté tant de
sang, & tant fait verser de larmes ; ayant pris dans sa poche cette lettre
dont nous venons de parler, & qui luy apportoit la Paix, luy dit en luy
montrant, Ie tiens la Paix dans ma main : mais dittes à Monsieur le Prince
que ie ne la veux pas faire. Ces paroles peuuent-elles estre assez punies ? &
y a-t’il aucun crime entre les hommes qui puisse egaller les funestes effets
qu’elles ont produites, dont nous auons tant pâty, qui desolent encore
nostre miserable Patrie ? Et se peut-il que cét homme destiné par l’ire de
Dieu pour la punition de nos fautes y soit encore souffert ? qu’il y soit honoré ?
qu’il y gouuerne ? que le soing de l’Estat se repose sur luy qui en est
le destructeur ? Est-il possible que pour ce seul homme : mais MESSIEVRS
quel homme ? la France, l’Espagne, l’Europe demeurent dans le trouble,
dans la misere, & dans la calamite ? Que nous ayons souffert pour luy les
derniers malheurs des guerres Ciuiles ? Que nous soyons prests de les endurer
encore ? Quelle honte ! quelle horreur ! mais quelle impudence au
Cardinal Mazarin qui se sent coupable de ce forfait si grand, que nulle
punition ne le sçauroit égaller ? D’en oser accuser Monsieur mon frere ?
luy qui par ses victoires & par ses conquestes auoit contraint les Espagnols
à s’accommoder de la sorte que vous auez veu, & qui quelques
iours auant sa prison auoit declaré à la Reyne, que le Cardinal Mazarin
continuant à empescher la Paix, il seroit obligé de l’y contraindre par le
seruice qu’il deuoit au Roy, & par la consideration du bien de la France.
Ie m’assure que sa Majesté ne refusera pas d’appuyer de son témoignage
cette verité qui nous est si importante, & qui luy est si cogneuë. Et si le
Cardinal Mazarin auoit quelque conscience, il confesseroit aussi que ce
desir de la Paix qu’il voyoit à Monsieur mon frere, & ce dessein de l’acheuer
que ce Prince publioit hautement, l’ayant intimidé, luy qui ne
craint rien dauantage, l’ont poussé en suite à executer contre luy son attentat,
qui est si estrange, qu’il laisse encore douter si en le commettant
il n’a pas fait plus de mal à l’Estat qu’à nostre Maison.

 

Ce sont là, MESSIEVRS, les choses dont on accuse les Princes : Et
ie pense que ie vous ay amplement fait voir combien les vnes sont foibles :
combien les autres sont fausses : combien elles sont toutes faciles à refuter.

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Vous estes maintenant persuadez que Monsieur mon frere n’est point vn
ingrat : Que les mauuais desseins qu’on luy impute sont imaginaires : Que
le Cardinal Mazarin est seul coupable de la rupture de la Paix, & le seul
obstacle qui s’y rencontre. Vous auez recognu que la Souueraineté de
Doles & de Grauelines, n’est qu’vne inuention grossiere : Que Monsieur
le Prince n’a iamais recommandé à la Reyne que des personnes agreables,
Qu’il l’a fait auec vn extresme respect : Qu’il a mieux aymé hazarder sa reputation
que nos Armées : Qu’il n’a point cherché à corrompre la Maison
du Roy. Vous auez veu comme il n’a concerté aucun dessein auec
Monsieur de Brezé : comme ny luy ny Monsieur le Prince de Conty n’ont
pas eu la moindre pensée pour le Gouuernement ny pour l’Euesché de
Mets : comme il s’est endetté ; & comme il a offert ses Places pour l’Estat,
bien loing de s’en assurer contre luy. Quoy qu’à dire le vray, ie ne sçache
pas si ie dois point donner les mains à vne partie de ces accusations ; & s’il
ne seroit point glorieux à Monsieur mon frere que j’auoüasse qu’il n’a pas
perdu vn seul moment à l’auancement des siens : Qu’il a tousiours cherché
les moyens de proteger la vertu persecutée : Qu’il a voulu auoir l’amitié
des domestiques du Roy : Qu’il a pris beaucoup de soins pour l’vnion de
nostre famille : Qu’il a vescu ciuilement auec tout le monde. Quant j’auray
disie auoüé ces choses, qui en effet se treuuent vrayes, si vous en ostez
la mauuaise explication, & le sens dangereux que le Cardinal leur donne :
Qu’auray-je fait, sinon monstrer que les vertus de Monsieur mon frere
sont les fautes qu’on luy impute ? & que le Cardinal Mazarin le loüe au
lieu de le calomnier ? Si doncques ses loüanges se trouuent dans les accusations
de ses ennemis. Si au contraire tous les crimes qu’on suppose aux
Princes sont les crimes du Cardinal Mazarin. S’il est vray (comme il l’est
sans doute) que ce Ministre ayt conspiré contre les ennemis de l’Estat pour
perdre Liege. Si comme chacun sçait il s’est emparé de Piombino, de Portolongone,
de Dunquerque, de Sedan, de Tortose, de Perpignan, de
Brest, de Bapaume, de Brisac, de Rozes. Si tout d’vn coup il s’est rendu
Maistre des Places de Normandie : S’il a mis de ses Creatures dans celles
de Messieurs mes freres : S’il a regardé comme vn bien qui luy fut propre
les charges de la Couronne : Si pour ses passions & pour les interests de sa
famille il a voulu perdre vn Illustre Parlement : s’il a tasché à replonger
les peuples dans la misere par de nouueaux Edicts : si sa malice a desolé la
Champagne s’il s’est assuré du Havre, s’il a traitté du Mont Olimpe, s’il
a destruit le Commerce, s’il a ruïné le Royaume, s’il a empesché la Paix :
s’il s’est efforcé de jetter la diuision dans la Maison Royale par la negociation
de la charge de Connestable : si toutes ces choses sont si certaines que
l’on n’en sçauroit douter ; Souffrirez-vous, MESSIEVRS, que les
Princes soient persecutez pour s’estre opposez à l’accomplissement de tant
de crimes ? Endurerez-vous qu’ils pâtissent dans la misere d’vne prison iniuste

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& fascheuse, pour s’estre trouuez contraires au mariage d’vne petite
Estrangere ? pour n’auoir pas souffert la dissipation des charges de la Couronne ?
pour auoir empesché la ruïne de la Guyenne, du Parlement & de
la Ville de Bourdeaux ? pour luy auoir osté le moyen de s’emparer du
Gouuernement de Picardie & de toutes les places de cette Frontiere ?
Verrez-vous Monsieur mon frere mal-traitté, parce qu’il n’a pû consentir
que le peuple gemist derechef soubs la violence des nouueaux Edicts ?
& parce qu’il a deffendu ceux qui auoient des rentes sur l’Hostel de Ville
lors qu’on les en a voulu dépoüiller ? Pourra-t’on dire qu’à la face d’vn si
auguste Parlement vn Prince innocent, apres auoir conserué l’Estat, soit
traitté comme vn coupable ? Qu’on y ait leu contre luy vn libelle remply
des iniures les plus atroces, sans que l’autheur de ces iniures, dont le nom
odieux ne peut estre souffert parmy les choses honnestes, en aye receu la
juste punition ? Quoy, MESSIEVRS, on vous reprochera qu’vn Estranger
se sera insolemment mocqué des Declarations que vous auez obtenuës
auec tant de peine, auec tant de despence que vos armes luy ont arrachées
des mains ? Quoy, les passions furieuses de ce meschant homme violeront
en des personnes si Illustres, cette seule deffence qui restoit à la seureté publique ?
Quoy par des conseils pernicieux sans sujet, sans forme contre les
Coustumes, contre les Loix, des amis & des domestiques d’vne Maison
affligée seront traisnez dans des cachots, seront bannis comme s’ils auoient
trahy leur Patrie ; seront poursuiuis à force armée, seront liurez aux mains
des bourreaux ? Enfin verrez-vous long-temps le premier Prince du Sang
languir en captiuité sans estre preuenu d’aucun crime que de la hayne du
Cardinal Mazarin ? Verrez-vous Monsieur le Prince de Conty & Monsieur
mon mary dans cette mesme souffrance, sans que ny l’vn ny l’autre
soient coupables d’autre chose, que d’auoir aymé ce Prince, & d’auoir
obey aux sentimens de la raison, de la nature, de la pieté ? Laisserez-vous
long-temps Madame ma mere, & Madame ma belle-sœur releguées hors
de Paris ? Et s’il m’est permis de joindre mes infortunes à celles de nostre
Maison, me laisserez vous tousiours dans les larmes & dans la douleur
d’vn exil aussi funeste qu’il est iniuste ? Ie ne le pense pas, MESSIEVRS,
vous auez trop de soing de la Iustice ; Vostre conscience, vostre gloire,
vostre generosité ne vous le permettront pas. Remediez donc à des maux
si funestes : ostez cette honte à nostre Maison, & sauuez vostre Compagnie
du reproche. Qu’vn homme que vous auez condamné, qui a juré
vostre ruïne, qui depuis la Paix a voulu amener l’Armée d’Allemagne au
sac de Paris. Ne permettez pas, disie, que cét homme éleué de la bouë,
emporte aueuglément par son ambition & par ses crimes, que la plus grande
honte n’a iamais retenu du moindre vice, dont l’ignorance, l’incapacité
& la malice destruisent nostre Patrie, foule aux pieds toute consideration
des droits humains & diuins, qu’il abuse de vostre foiblesse : Vous,

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deuant qui il devroit trembler ; & que méprisant vostre authorité, il commette
à vos yeux les derniers outrages de l’injure & de la vengeance contre
des Princes du Sang, sans que l’innocence de ces Princes puisse treuuer vn
azile. Souuenez vous des seruices importans qu’ils ont rendus à l’Estat. Rappellez
en vostre memoire que Monsieur mon mary a trauaillé à vous donner
vne Paix que le Cardinal Mazarin vous a ostée. N’oubliez pas que
Monsieur le Prince de Conty est venu à vostre deffense, lors que le Cardinal
Mazarin vous a voulu perdre ; auprés duquel cela seul peut l’auoir rendu
criminel. Songez que on sieur mon frere qui est le principal objet de
la hayne de ce commun Ennemy, a r’affermy la Couronne par le guain de
la Bataille de Rocroy. Qu’il a deliuré le Royaume de la ruine qui le menaçoit
par la victoire de Lens. Qu’il a fait triompher nos Armes sur les bords
du Rhin & sur les bords du Danube. Et si ces combats estrangers vous touchent
moins, quoy qu’ils ayent esloigné les forces d’Allemagne de nos
Frontieres : Faites au moins que la gloire de celuy qui les a gagnées vous le
rende recommandable : & qu’en cela l’interest de l’Estat vous tienne lieu
du vostre. Songez enfin que c’est ce Prince qui vous a ramené vostre Roy,
que le Cardinal Mazarin vouloit oster. Ce qui seul me semble d’vn si grand
merite, Que comme l’injure de l’auoir voulu retenir ne peut estre assez punie,
aussi le bien de vous l’auoir rendu est tel, que ie ne sçache point
d’homme si coupable, qu’vn seruice si grand ne rendist digne de sa grace.
Iugez ce qu’en doit attendre vn Prince dont l’innocence est si claire, dont
la fidelité doit seruir d’exemple, & qui a tant versé de sang & tant de fois
exposé sa vie pour garentir les vostres, pour asseurer vos biens, & pour
vous procurer le repos dans vos familles. Sur tout MESSIEVRS, afin
de mesler à nos malheurs la consideration des malheurs de la France, qui
ne me touchent pas moins que les miens, me donnent aussi lieu de vous
en parler. Puisque vous estes les seuls qui y pouuez remedier, puisque le
salut de l’Estat dépend de vos deliberations, montrés que rien ne vous
peut empescher d’en prendre de rigoureuses, quant elles sont iustes &
quant elles sont necessaires au bien public. Faites connoistre à la Reine de
quelle sorte son Ministre la trompe. Faites voir à Monsieur le Duc d’Orleans
que l’exemple de nostre persecution le touche, & que son propre interest ne
doit pas luy faire souffrir. Desabusés le Peuple des fausses impressions qu’on
luy donne. Ne le laissés pas se precipiter dans sa derniere ruïne ; allés au deuant
des maux qui sont prests d’accabler le Royaume. Considerés que
nous sommes sur le point de voir les Armes Françoises tournées contre les
François, le fer, le feu, & la faim prests à desoler nostre Patrie. Que nous allons
déchirer nos propres entrailles, que l’imagination ne conçoit rien de si
horrible que les desastres qui nous menassent. Empeschés les ESSIEVRS,
puis qu’il est en vostre pouuoir : & qu’on ne vous reproche pas que le Cardinal
Mazarin ait plus apporté de passion à perdre l’Estat, que vous à le

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conseruer. Il faut faire executer les Arrests que vous auez donnez contre
cet Ennemy public, qui par vostre tolerance, de mesprisé qu’il estoit est
deuenu formidable : qui a les armes à la main pour acheuer d’opprimer ce
qui vous reste de liberté, & qui fait tous ses efforts pour releuer vne maison
dont l’authorité a tousiours attenté sur la legitime. Il est temps de chasser
de l’Estat celuy qui en est la peste, d’oster le Gouuernement à celuy qui en
est incapable, qui en est indigne, qui le trahit, qui est ennemy des gens de
bien, hay de Dieu & des hommes, qu’il offense par ses parjures & par sa perfidie,
qui se sert de la misere publique pour releuer son ambition, pour
acheuer ses pernicieux desseins : qui met toute l’esperance de sa conduite
dans les trahisons : qui fait naistre vne guerre de l’autre : qui ne veut point
finir l’estrangere, qui recommence la ciuile : Enfin qui nous a poussez si
bas, qu’au dessous de nos miseres il n’y a plus que la mort ou la seruitude.
Que s’il est besoin, ce que ie ne pense pas, d’adjouster la consideration de
vos interests à celle du bien general : Sçachez qu’il a destiné vostre ruïne
s’il peut acheuer la nostre. Qu’il ne pense pas iamais estre en seureté que
vous ne soyez perdus, & qu’il croit que vostre perte luy sera facile, lors
qu’il vous aura priuez de tout ce qui vous peut garantir. Agissez donc pendant
qu’il en est encore temps : N’imitez point ceux qui souhaittent bien
que la tempeste ne les écrase pas, & qui cependant se contentant de leurs
vœux, ne taschent point à s’en garentir. Ne vous laissez pas preuenir par
celuy à qui vostre seule crainte peut oster la sienne, & vous oster encore vostre
authorité. Prenez garde qu’en vous des-vnissant ou par vostre mutuelle
deffiance, ou par ses caballes, & cherchant chacun des protecteurs particuliers,
vous ne destruisiez la force de vostre Corps. N’attendez point que
l’vn ou l’autre commence, vnissez vous contre l’ennemy de tous. Ayez assez
de hardiesse pour faire ce que vostre conscience vous conseille. Et enfin ne
doutez pas que si en vn temps où vous estiez separez d’interests & de sentimens,
il ne vous a pû nuire ; il ne vous soit fort aisé de le perdre & d’en deliurer
la France, quand vn si bon dessein vous aura bien assemblez. Et puisque
les Espagnols ont declaré solemnellement que ne se pouuans fier au
Cardinal Mazarin apres tant de perfidies, ils ne vouloient point traitter la
Paix auec luy, & qu’ils n’entendroient iamais à aucune proposition d’accommodement,
que Messieurs mes freres & Monsieur mon mary ne fussent
libres. Puisque par ce moyen la Paix de la France est attachée à leurs
personnes & à leur liberté : puisque enfin c’est auec vne iniustice extrême
qu’on les retient en prison : Ayez la gloire, MESSIEVRS, en leur arrachant
leurs fers, de rendre la tranquillité à vostre Patrie & le repos à la
Chrestienté. Si vous haïssez le crime, empeschez qu’on n’en commette plus
long-temps vn si cruel contre leur innocence. Si vous aymez la vertu, soulagez
celle de ces Princes, si vtile & si glorieuse à la nation. Sauuez nostre
Maison de sa derniere ruine : Sauuez-là d’vne calamité d’autant plus déplorable

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qu’elle est moins meritée. Faites qu’estant accablez d’iniures, souffrant
la perte de nos biens, l’exil & la prison auec toutes les rigueurs possibles,
nous trouuions en vous des Deffenseurs dans nos maux, & vn port
apres nos tempestes. Ie finis, MESSIEVRS, aussi bien mes larmes & ma
douleur m’ostent le moyen de vous parler dauantage : quoy que par la consideration
de vostre equité, & de la force de vostre vertu, ie commence
desia à me consoler ; & que ie conçoiue de solides esperances que vous allés
tarir nos pleurs & finir nostre infortune. Faites, MESSIEVRS, que ie
ne me sois point trompée. Par vne action digne de vostre Iustice, Rendez
la liberté à Messieurs mes freres & à Monsieur mon mary : Redonnez sa dignité
& son lustre à vne partie de la Maison Royale persecutée indignement.
Ramenez la Paix en France, restablissez-y les Loix, remettez-y l’abondance,
& enfin puisque vous en auez vne si belle occasion, témoignez
hautement en conseruant le Royaume, que c’est à bon droit que vous meritez
le glorieux titre que vous vous donnez de Tuteurs des Rois.

 

FIN.

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Bourbon-Condé, Anne Geneviève de (duchesse de Longueville) [?] [1650 [?]], APOLOGIE POVR MESSIEVRS LES PRINCES, ENVOYEE PAR MADAME DE LONGVEVILLE A MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_126. Cote locale : B_6_48.