Anonyme [1649], LA NAZARDE A IVLE MAZAZIN. , français, latinRéférence RIM : M0_2527. Cote locale : A_6_41.
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LA
NAZARDE
A
IVLE MAZAZIN.

A PARIS,
Chez la veufue de l’Autheur, ruë de l’Orphelin,
vis-à-vis de la Limasse.

M. DC. XLIX.

Auec Permission,

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LA NAZARDE
A IVLE MAZARIN.

Nargue pour vous Messire Iule,

Ho, ho, comme vous y allies ? Vous pensiez
insulter tousiours à nos miseres, & parce que
vous estes logé sur l’Eminence, vous vous proposiez
auec vn faste Cardinalesque nous regarder
tousiours d’haut en bas, & nous foulant aux pieds
comme de la bouë, nous escraser comme des vermisseaux,

Nargue pour vous Messire Iule ;

Ho, ho, comme vous y alliez ? Depuis que vous
estes parmy nous, Vous deuiez auoir appris quelques
vns de nos Prouerbes : Qu’à bon chat, bon rat,
à beau jeu beau retour, que les choses violentes ne
sont pas de durée ; Que pour trop presser, l’on perd
l’anguille, patientia læsa fit furor, c’est à dire, qu’vne
patience irritée deuient fureur : Mais par ce que
vous n’auez pas consideré toutes ces choses,

Nargue pour vous Messire Iule ;

Vous deuiez vous souuenir que cette bizarre &
capricieuse que l’on appele Dame Fortune, est si
volage & inconstante, qu’elle ne demeure long-temps
en vn mesme lieu.

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Passibus ambiguis fortuna volubilis errat
Et manet in nullo firma tenaxque loco, qu’elle n’estreint les hommes que pour les estouffer,
dans ses embrassemens, qu’elle ne les éleue au haut
de la rouë que pour les precipiter en bas, qu’elle ne
leur fait bon visage que pour les trahir ; Que semblable
à la glace, tant plus elle reluit alors elle se casse.
Mais, parce que vous ne vous estes point souuenu,
ny de son inconstance, ny de sa fragilité,

Nargue pour vous Messire Iule,

Vous deuiez ne vous enyurer pas du vin de vostre
grandeur, vser de vostre fortune auec moderation,
sçauoir, que toutes les extremitez sont dangereuses,
que les choses ne subsistent, que dans la mediocrité,
Ibi virtus, vbi magis medietas, dit le Philosophe : l’exemple
de Phaeton deuoit vous faire peur, à qui, voulant
conduire le Charriot du gouuernement du
monde, medio tutissimus ibis, luy auoit dit son Perre
aussi bien que celuy d’Icare, qui ayant voulu s’éleuer
trop haut auec des aisles attachées auec de la cire, ses
aisles venant a fondre il tomba lourdement & ne se
rendit signalé que par sa cheute.

Dum petit infirmis nimium sublimia pennis
Icarus, Icarias, nomine fecit aquas.

Vous auez voulu faire du Sire, trancher du Souuerain,
prendre lessort bien haut, mais vous n’auez pas
eu dequoy soustenir vostre vol, & partant,

Nargue pour vous Messire Iule,

Vous deuiez vous souuenir que du lieu où vous
auiez esté éleué par l’indulgence de la Reyne & de

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nos Princes, commandant à des François, vous commandiez
à des hommes libres, & non pas à des esclaues,
les traiter en fidel Ministre, & non en seuere
Comite, vous faire aymer, plustost que craindre,
détester la deuise de ces Tyrans, oderint, dum metuant,
gagner nos cœurs, & non pas épuiser nos
Finances, n’attaquer point les Colomnes de l’Estat,
duquel vous auiez le maniement. Mais par ce que
vous auez esté si temetaire ; Ces Colomnes demeureront
de bout, &

 

Nargue pour vous Messire Iule,

Vous pensiez la ville de Paris si aisée à affamer, &
comme ce monstre des hommes Caligula, qui porté
d’vne haine execrable contre la ville de Rome,
souhaitoit qu’elle n’eut qu’vn col pour pouuoir abbatre
tout d’vn coup le corps de cette grande Republique :
Vous auiez crû que la Seine estant comme
le cannal où le col par où ce grand corps de la ville
de Paris reçoit sa nourriture, que fermant ce passage,
ce grand corps ne subsisteroit pas, & que vous
l’abbatriez tout d’vn coup par terre.

Mais, Nargue pour vous Messire Iule,

Quoy ? mon cher Maistre, vous auez eu si peu de pitié
des larmes des pauures, des gemissemens des miserables,
des desolations des Prouinces, & vous voudriez
qu’on eut pitié de vostre Eminence ?

Mais, Nargue pour icelle,

Voyant approcher le temps de vostre decadence
& qu’il bastoit mal pour vous à Paris, vous auez eu
recours à sainct Germain : Vous vous faites fort

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de S. Cloud & de sainct Denys : Et estimez qu’vn
homme qui peut estre ne croit pas bien en Dieu, les
Saincts puissent le secourir ?

 

Nargue pour vous Messire Iule,

Vous deuiez faire des amis dans la prosperité,
obliger le monde de bonne grace, gratifier les gens
de lettres, éleuer aux Charges les personnes de merite,
élargir les bien faits gratuitement, non pas les vous
laisser arracher de force, & maintenant que toutes
les plumes sont armées contre vous, vous voudriez
que quelqu’vne escriuit pour vostre defense ;

Nargue pour vous, Messire Iule,

Il n’y a pas iusques aux petits Escoliers des classes, &
Secretaires des Innocens, qui ne se croyent [1 mot ill.]
[2 mots ill.] leur plume, pour vous en donner
en passant vne balaffre sur vostre nez Cardinalesque,

Et Nargue pour vous.

Vous deuiez deuenir sage aux dépens d’autruy, &
par l’exemple de ceux desquels la cheute vous deuoit
mieux instruire : D’vn Aman qui fut pẽdu en vn
gibet qu’il auoit preparé à Mardochée, qui n’auoit
pas voulu flechir sous luy, & pour descẽdre plus bas,
vous deuiez auoir tousiours present en l’esprit les
exemples d’vn Sejanus fauory de Tibere, d’vn Ruffin,
agrandy sous Honorius, & vous souuenir en
mesme temps de la fin honteuse par laquelle ils sont
decheus du feste de leurs grandeurs, & des iustes supplices
qu’ils ont souffert en punition de l’insolente

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audace auec laquelle ils se sont comportez dans l’éleuation
de leur fortune.

 

Depuis que vous estes parmy nous, Maistre Iule,
& que vous est éleué si haut, vous deuriez auoir
estudié l’histoire de nos [1 mot ill.] & vous auriez trouué
qu’vn Pierre de la Brosse de simple valet de
Chambre deuenu grand Chambellant fut pendu
aux Halles de cette ville, pour auoir vsé insolamment
de sa fortune sous Philippe le Hardy.

Vn Oliuier le Daim, & Iean Doriac tous deux
Fauoris de Louys XI. de la bassesse de leur extraction
éleuez à vne prodigieuse fortune, l’vn desquels
estoit Chirurgien & l’autre Cordonnier (ces exemples
ne vous eussent pas esté mal propres, car les memoires
qui nous viennent de Rome & de Sicile nous
apprennent que vous n’estes de guere meilleure
Maison) tant y a, que leur fin tragique, eut peut-estre,
moderé l’insolence de vostre fortune, car l’vn de ces
deux, fut pendu par Arrest du Parlement, l’autre, eut
le nez & les oreilles coupées pour seruir toute sa vie
de risée à ceux sur le front desquels il auoit imprimé
vn tyrannique respect. Vn Pierre Landais fils d’vn
Chaussetier Fauory de François II. pour lequel
maintenir dans sa faueur s’estant fait vn grand armement
en Bretagne, il arriua finalement que les
deux armées s’vnirent pour le liurer à la potence.
Voulez vous, Maistre Iule, que ie vous traite plus
honorablement, & que ie vous propose des gens
de vostre robe, Si vous eussiez pris la peine de lire nos
Histoires, vous y eussiez rencontré vn Iean Baluë de

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simple Clerc & Chappelain deuenu Cardinal sous
Louys XI. mis par l’insolence de ses déportemens
dans vne cage de fer, où il fut l’espace de quatorze
ans. Mais, vous me direz, que n’estant point François,
vous ne scauez pas nos Histoires, comment
voulez vous que ie vous traite ? Voulez vous que ie
vous considere comme Espagnol ? L’exemple d’vn
Duc d’Ossone & d’vn Comte d’Oliuarez qui sont
recens, deuoient ils pas vous rendre sage & vn peu
plus retenu.

 

Que si vous aimez mieux estre consideré comme
Italien, vostre, aueuglement paroistra encore plus
prodigieux, de ce que marchant sur les traces encore
toutes fraisches, & seignantes d’vn Marquis
d’Ancre, vous n’auez pas eu autant d’esprit que le
Renard d’Esope pour dite auec luy ;

Quia me vestigia terrent.

Mais c’est vne grande pitié que de vostre ignorance,
nonobstant vostre grande Biblioteque ; car
vous ne scauez ny fable, ny histoire, à cause dequoy
vous choppez si lourdement, & entendez si mal vostre
mestier, vous n’auez ny esprit, ny conduite, ny
iugement, à cause dequoy, ie vous laisse là en vous
disant encore vne fois.

Nargue pour vous, Messire Iule.

Natus est stultus in ignominiam suam. Prou. 20.

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