Anonyme [1649], LA CONFERENCE DV CARDINAL MAZARIN AVEC LE GAZETIER, Iouxte la coppie Imprimée à Bruxelles. , françaisRéférence RIM : M0_742. Cote locale : C_1_19.
Section précédent(e)

LA
CONFERENCE
DV
CARDINAL MAZARIN
AVEC LE GAZETIER,

Iouxte la coppie Imprimée à Bruxelles.

M. DC. XLIX.

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AV LECTEVR

N’ESTIME pas, mon cher Lecteur, que cette Conference
soit vne piece d’inuention. C’est vne Histoire
que Dieu a permis qu’elle fust sceuë, afin que connoissant
l’esprit & les desseins de ceux qui la representent,
on cherché les moyens de les diuertir. Si l’on a differé
iusqu’à maintenant à te la donner, tu t’en peus facilement
imaginer les raisons. Vne chose est tousiours de
raison lors qu’elle apporte quelque vtilité.

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LA CONFERENCE SECRETTE DV CARDINAL
Mazarin auec le Gazetier, enuoyée de Bruxelles le
7. May dernier.

Le Cardinal Mazarin.

MONSIEVR Renaudot mon bon amy, c’est maintenant
plus que iamais que i’ay besoin de tes inuentions & de ta
plume, tu vois l’estat où ie suis reduit, tu vois l’orage qui
s’est esleué, il ne faut pas de moindre addresse que la tienne pour en
détourner l’effort, sans lequel ie ne puis que perir, s’il vient à
fondre.

Gaz. Monseigneur, Ie croy que V. E. me iouë à son ordinaire,
mais par vne nouuelle inuention. Elle ne fut iamais si puissante ;
iamais honorée auec tant de respect, elle ne fut iamais si bien qu’elle
est dans l’esprit de la Reyne : les Princes ne vous furent iamais si
sousmis ; les Parlements si obeyssans : les peuples si deuots & affectionnez,
& vous auez tous les sujets du monde d’estre content,
ou il faut dire que le contentement ne se peut pas trouuer en
ce monde.

Le Card. Renaudot tréve de compliment, ces flatteries ont esté
bonnes durant quatre ou cinq ans, pendant lesquels tout ce que tu
viens de dire m’estoit vn grand motif de gloire & de satisfaction :
i’estois monté sur le fais de la grandeur, i’auois la conduitte & les
biens de toute la France en ma disposition, & toute l’Europe me
regardoit comme vn Dieu, & l’arbitre de la paix & de la guerre.
Mais à present la chance est tournée, ceux qui n’osoient me louër,
crainte de n’en dire pas assez, ne trouuent pas d’iniures assez atroces
pour me charger sans aprehension d’en estre repris : mon Nom
est la farce d’vn peuple, qui auparauant ne le prononçoit qu’à genoux :
& pour des comedies dont i’ay diuerty la curiosité des Parisiens,
il n’est pas fils de bonne mere qui ne voulust donner de l’argent
pour assister à la tragedie de ma propre personne.

Gaz. Monseigneur ce n’est pas le bruit commun, V. E. n’ignore
pas qu’il ne me seroit pas caché, tous ceux qui me donnent des
aduis sont gens d’honneur, & qui sçauent tout ce qui se passe
de iour & de nuit : I’ay mes enfans à Paris qui voyent les meilleures

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compagnies, qui font la gazette pour le Parlement, ou l’on n’oublie
rien, & dans tous les memoires que ie reçois de la part des vns
& des autres, ie ne vois rien qui vous doiue toucher le cœur, que
d’vne passion de gloire & de generosité, & pour mon particulier,
ie diray franchement à V. E. ce que luy disoit dernierement
l’vne de ses plus basses creatures, & mon amy l’Euesque de Dol,
que c’est à present ou la mort m’est à souhait, voyant vos ennemis
abbatus à vos pieds, & conuaincus de la grandeur de vostre courage
par les effetz de vostre generosité. Vous auez humilié les
gens de chicane, reglé leur iurisdiction, & souffert qu’ils ont obtenu
tout ce qu’ils ont desiré pour la conseruation de leur dignité,
& pour le soulagement du peuple, (si les paroles peuuent contenter.)
En effet, vous deuez passer pour le plus clement Ministre
qui fut iamais, puis que vous pardonnez de si grandes
offenses, estant en vostre puissance de les punir. Si nous estions
à Rome, cela pourroit passer pour vn Iubilé.

 

Le Car. Laissons-là les railleries contre la religion, que ie
commence à connoistre pour vne source de nos mal-heurs : laissons
l’Euesque de Dol & ses semblables qui ne me flatent que pour
auoir des benefices : Parlons serieusement, tu sçais la colere des
Parisiens, & du Parlement contre moy : Mais que dis-ie, il faut dire
de toute la France & de toute l’Europe. Tu sçais combien de libelles
on a fait pour la témoigner par escrit, en attendant qu’on le
fasse par effet. Il y a trois mois qu’on ne fait autre chose, & auec
tant de presse, que les presses ont desia vsé tout l’ancre & tout le
papier : Les Notaires, les Procureurs & les Sergeans se plaignent
qu’on ne leur en laisse point, & l’on n’entend par les ruës que nouuelles
pieces, iusques à me nommer Cardinal Burlesque : ce qui
a empesché les colporteurs d’auoir faim pendant le blocus, mais
qui me doit faire songer à ma conscience, & auoir recours à
la finesse de mes amis, dont ie sçay que tu es du nombre, & que tu
n’en manque pas.

Gaz. A la verité, Monseigneur, V. E. n’est point trompée, en ce
quelle me met non pas au nõbre de ses amis, à Dieu ne plaise ; mais
de ses plus affectionnez & affidez seruiteurs, & à la mienne volonté
que i’eusse autant d’adresse & d’esprit comme vous en auez de
creance, vous en auriez ressenty les effets si glorieux, qu’à present
vous seriez plus tiomphant au milieu de Paris que ne fut iamais Cesar
à Rome, apres auoir dompté les ennemis de l’Estat : & si vous
auiez veu la moindre des pieces secrettes que i’ay fait depuis vn

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mois, vous diriez que Renaudot est bon à quelque chose. Apres
tout, que V. E. se réjouysse, cecy n’est qu’vne petite nuë, qui ne
fera que donner vne nouuelle lumiere à vostre grandeur, & tant
d’éclat, qu’il faudra auoir de bonnes lunettes pour n’en estre pas
ébloüy.

 

Le Card. Ie vois bien qu’vn singe est tousiours singe, qu’vn flateur
& vn menteur ne sçauroient faire autre mestier, pren garde que
tu ne m’irrites à la fin : vn esprit desesperé s’attache à tout, & ne
pardonne rien, & n’estime pas que ie sois reduit en tel estat, que ie
ne puisse encore te faire du bien ou du mal. Vn grand chesne en
tombant brise bien des plantes qui se trouuent au dessous.

Gaz. Vostre Eminence sçait mieux que tout autre, si ie suis ou
menteur ou flateur. Depuis le temps que ie me mesle de faire des
gazettes, il n’y a personne qui ignore que ces deux passions, les
plus infames pour vn homme d’honneur, n’ont point de place
dans mon cœur. I’ay tousiours procedé auec tant de sincerité, &
sans interest, que l’on ne me sçauroit blasmer d’auoir iamais dit,
que la verité, comme il l’a faut à la Cour, & pour le contentement
de Messieurs les Ministres. Car comme c’est souz leur authorité,
& pour eux que ie trauaille, & que par leur moyen ie suis venu
de la mendicité à vne opulence au de-là d’vn homme de ma profession,
i’ay tousiours fait voir la verité des choses conformément
à leur desir, ie les ay representées au public, suiuant leurs idées,
& de cela ie donne parole à V. E. foy d’homme d’honneur, ou
foy de Gazettier, qui est tout dire.

Le Card. Soit donc ainsi, que tu le dis, & que ie le veus croire
pour mon repos : Il est à present question si iamais, comme i’ay dit
au commencement, de m’en donner des témoignages. Il est question
d’oster de l’esprit des peuples les mauuaises impressions qu’il
a conceuës de mon Ministere ; il faut chercher des inuentions pour
les separer d’auec le Parlement, & d’auec les Generaux : pour les
irriter contre les vns & les autres, leur faire à croire que ie les ay
grandement soulagez, encore que ie les ay oppressez : que si ie quitte
la conduitte ils sont tous perdus, encore qu’il soit certain qu’ils
le seront si ie continuë. Que i’ay fait venir de grans thresors d’Italie,
encore que i’y aye enuoyé la plus grande partie de ceux de la
France : & que leur felicité seroit accomplie s’ils m’auoient vn iour
pour Roy, mais que c’est vne faueur qu’ils ne meritent pas. Enfin
que s’ils veulent voir regner le siecle d’or, il faut chasser le Parlement ;

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exterminer ces gens de chicane, comme vne troupe de seditieux :
& si tu peux en venir à bout, comme ie n’en doute point,
pourueu que tu employes de la bonne ancre, ie te promets de
donner à tes deux enfans Medecins, les deux premieres charges
de premier Medecin du Roy & de la Reyne, quelque bonne mine
que ie fasse à Vautier, & au troisiesme vne charge de President au
Mortier, où à la Chambre des Comptes, à ton chois ou au sien, &
cela foy de Prince par naissance, de fauory sans égal, & de Sicilien
sans pareil.

 

Gaz. Monseigneur, i’ay trop d’obligation à V. E. de tant d’obligations
qu’elle me procure & à mes enfans, encore qu’elle en
ait bien donné à d’autres, & offices & benefices, aussi infames que
moy, & qui ne le meritent pas mieux ; mais ce n’est pas le bien ny
les charges qui soient capables de me charmer, non plus que par
le passé. C’est le seul interest de l’honneur & la gloire de seruir
vne personne de vostre merite, à laquelle on peut donner auec plus
de sujet que n’a pas fait celuy qui a fait l’inscription du cheual de
bronze, au defunct Cardinal de Richelieu, le titre superbe & fastueux
de Prince, dons l’esprit, la generosité & les merites surpassent
celles de ceux qui l’ont precedé. Mais V. E. sçaura s’il luy
plaist, que ie me trouue bien empesché, & comme au bout de mon
latin ; car i’ay fait tout ce que vous venez de dire, & beaucoup au
de-la, & si cela n’a de rien profité, sinon qu’à aigrir d’auantage les
esprits : si l’on ne veut dire que c’est comme vne meche allumée,
pour faire joüer vne mine, dont le feu n’est pas encore venu iusqu’à
la poudre, à quoy ie ne voy pas grande apparence, & ie crains
bien fort que cela ne seruira qu’a vous faire moquer & hayr dauantage,
& à me preparer vn Salue Regina, où l’on fait le feu de ioye la
veille de la S. Iean, si vous ne venez à bout du Parlement.

Le Card. Et qu’est-ce que tu as fait, qui nous doiue mettre l’vn
& l’autre dans vn commun ou reciproque desespoir ? I’ay eu tant
de troubles d’esprit, tant d’ordres à donner, tant d’affaires à démesler,
que c’est vn miracle, comme i’ay subsisté jusques à present :
car il ne m’a pas seulement fallu pouruoir à la seureté de ma personne ;
mais à gagner ou à conseruer tous ceux qui me sont necessaires,
& dont ie ne me puis passer. I’ay eu toutes les peines du
monde à retenir l’esprit de Monsieur le Duc d’Orleans, & pour l’endormir,
il a fallu arrester le bruit & le cours de la Riuiere auec vne
Abbaye, & des pieds d’argent, faute d’autre matiere. Pour Monsieur
le Prince, comme il ne dort point, il est semblable au dragon,

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qui gardoit le iardin des Hesperides, il veille incessamment au
tour de mon tresor, & afin qu’il soit en plus grande seureté, il les
veut auoir en sa possession. Outre cela, i’ay esté obligé de signer
des Commissions pour la leuée des gens de guerre, auec tous les
passe-ports pour sortir ou entrer à S. Germain, iusques aux Officiers
du Roy & de Monsieur d’Orleans : le voyage de mes niepces m’a
touché, ayant rompu toutes les alliances que ie méditois ; car ie
ne pretendois rien moins, que de les donner à des Princes, & des
plus grands : encore que ie n’en perde point l’esperance. Il a
fallu trouuer vn pretexte, & ménager les esprits pour la detention
de Ranzau : la vente de mes meubles m’a touché au dernier
point, à cause du mépris seulement ; car d’ailleurs ie sçay bien le
moyen de me remplumer au double, sans parler des fausses alarmes,
qui venoient incessamment du costé de Paris, qui m’ont fait
plusieurs fois passer les nuits entieres, contre mon ordinaire, tout
botté & prest de prendre la fuitte ; si bien que ie n’ay peu auoir de
pensée, pour quelque autre obiet ou diuertissement que ce fust :
Ainsi, si ie n’ay rien sçeu de ce que tu as fait en ma faueur, il ne
faut point t’en estonner, puis que d’ailleurs cela n’a de rien profité,
& que Bautru ne m’en a point parlé, qui pourtant ne manque point
de me dire toutes nouuelles vrayes ou fausses, ornées de toutes
les belles paroles, postures & grimaces qu’il peut s’imaginer estre
propres pour chasser ma melancholie. Neantmoins voyons ce que
c’est, afin que ie sache si ie te suis obligé, & qu’ayant à chercher des
inuentions, nous ne reprenions pas les mesmes brisées, qu’as tu
donc fait ?

 

Gaz. La premiere piece que i’ay fait, a esté ce grand libelle qui
fut ietté par plusieurs nuits dans toutes les ruës de Paris, par lequel
ie croyois certainement qu’il ne seroit pas plutost veu, que
le peuple deuenant furieux, se ietteroit sur le Parlement auec tant
de rage qu’il le déchireroit en pieces, le mangeroit iusques aux os,
& n’y en auroit pas pour vn dejeuner des crocheteurs ou des harangeres.
Et pour les animer dauantage, ie leur disois que le Roy
rentreroit par vne porte, si le Parlement sortoit par l’autre, & que
vous n’auiez iamais tant eu d’enuie de faire du bien au public comme
cette année. Que c’estoit ces Messieurs qui empeschoient la paix
que vous auiez concluë, & qui ne cherchoient que leur interest
dans toutes ces broüilleries au detriment du bourgeois. Et pour
mieux couurir mon ieu, i’en nommois vne partie, & ceux que l’on
sçait estre les plus zelez, auec des pretentions imaginaires qui leur

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seruoient de motif, & que i’auois forgées. I’y adioustay les Generaux
sollicitez, à ce que ie disois par de semblables interests, sans
pardonner au Coadiuteur, quoy que mon Euesque, faisant croire
au peuple qu’il ne luy donnoit des benedictions que pleines de
despit, de ce que V. E. n’auoit pas voulu timbrer sa Mittre du
casque du gouuernement de Paris. Ce fut en semant ces libelles
que le Cheualier de la Valette fut pris & conduit prisonnier en la
Conciergerie, ou son procez luy estant fait, on l’eust racourcy de
toute la teste, aussi bien que de ses meubles, si Monsieur le Prince
de Condé n’eut pas escrit à Monsieur de Boüillon, qui fut cause
qu’au lieu de l’arrester en gréue, on le conduisit à la Bastille, où il
est encore. Et c’est de-là qu’au lieu de remercier le Parlement de
la grace qu’il luy auoit faicte, i’ay trouue l’artifice de le blasmer &
de le faire passer pour factieux, rebelle & criminel dans l’esprit du
peuple, en disant qu’ayant tant fait d’instance enuers le Roy, pour
ne pas retenir des prisonniers plus de vingt-quatre heures sans leur
faire leur procez, il laissoit neantmoins gemir des innocens depuis
trois mois dans les cachots de la Bastille, sans sçauoir pourquoy
ils y estoient detenus : ce qui estoit vne marque certaine de
leur arrogance, & de leur ambition, pour esleuer leur tyrannie au
dessus de l’authorité du Roy. Qui iamais se fust avisé de cette fourbe ;
qui eust cru qu’elle eust esté sans effet ? Mais qui n’eust pas cru
dans ce commencement que les esprits estoient encore estourdis
de la surprise causée par l’enleuement du Roy, ne voyant plus les
boulangers de Gonnesse, & apprehendant de n’auoir plus du pain,
ne se fussent saisis de ceux que l’on leur disoit estre les causes de
leur mal, & ne les eussent iettez dans la riuiere ? Et neantmoins
au contraire, cela ne fit, se semble que leur ouurir les yeux, & les
obliger de s’vnir plus fortement pour la protection & la defence du
Parlement, & l’huile que l’on pensoit deuoir allumer le feu de leur
colere contré ces Messieurs, ne fit que l’acroistre contre vous, auec
tant d’ardeur, que si on les eust voulu croire, ils fussent venus la
teste baissée vous enleuer de Sainct Germain, & faire vn arrest personnel,
au lieu de celuy qu’ils ont fait imprimer, & enuoyé par
toutes les Prouinces.

 

Le Card. Il est vray que cela a quelque apparence d’abord, & qui
semble surprendre vn esprit qui ne suit que ses sens, sans autre reflection.
Mais pour peu qu’on vueille l’éplucher l’artifice est trop
grossier pour n’estre pas connu. Il n’en falloit pas tant dire, & encore
le falloit- il faire d’vne autre maniere. Ce n’est pas le moyẽ d’arrester

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vn esprit fortement préocuppé, de s’opposer d’abord au principal
motif de sa fougue, vne populace émeuë ne s’amuse pas à resonner.
Il falloit plutost témoigner d’estre de leur party, dire qu’ils
auoient raison de faire ce qu’ils faisoiẽt, & encor d’auantage, & puis
leur montrer auec douceur que le chemin qu’ils prenoient estoit
dangereux, dont neantmoins ils n’estoient pas à blasmer, sur tout
il ne falloit nommer personne, & encore moins parler d aucun interest
en particulier. Lors qu’on veut mentir adroitement il faut
tousiours parler en general, & à la façon des oracles, & de vous
autres Medecins ; en sorte que quoy qu’il arriue vos parolles se
trouuent veritables. Le sujet des baricades estoit encore trop auant
dans l’esprit des bourgeois pour entreprendre de dire du mal
de Broucel, ny de Blanmeny : le Coadiuteur est en trop bonne estime
pour luy imposer cette impertinence. Tu deuois plutost parler
de ceux que tout le monde sçait estre de nostre party dans le Parlement,
dont le nombre n’est pas petit : tu deuois faire des impretions
contre les Financiers & les Partisans, & iurer que i’estois prest
de les exterminer. Cela sans doute auroit fait, que le Bourgeois
changeant en amour les mouuemens d’aversion qu’il a contre moy,
m’auroit offert sa personne & ses armes pour cette fin, à laquelle
tu sçais qu’il aspire il y a si long-temps, & auec raison : & nous vsant
adroitement de cette occasion, au lieu de les amener chez les partisans,
les aurions conduits la teste baissée dans le Palais pour enleuer
ceux qui s’opposent à nos desseins. & les traduire à Montargis,
sans leur faire quant à present autre mal, souz pretexte de la
seule authorité du Roy, & du repos de l’Estat. De cette maniere
l’affaire auroit pû reüssir, & parce moyen nous serions venus à bout
de tous nos desseins : car nous aurions mis tant d’imposts & surimposts,
que nous aurions voulu : nous aurions tãt fait de miserables
sous le beau nom d’aisez, & de sous-aisez, que personne n’en auroit
esté dispensé, si non ceux de nostre cabale, & tout cela sans crainte
d’opposition de la part de Paris, n’ayant plus de Parlement, ny
de resistance dans les Prouinces, où nous aurions restably les Intendans
& les Fusiliers. Ainsi voila vne belle occasion perduë, &
qui peut-estre ne reuiendra point : mais qu’as-tu fait en suitte, apres
ce premier coup au vent ?

 

Gaz. Apres auoir depeint les plus zelez du Parlement, & les
Generaux auec des couleurs d’interests si odieuses qu’elles faisoient
horreur : ie me mis à tracer le portrait de V. E. auec
des traits si doux & si agreables, que ie ne croyois pas qu’il y eust

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personne, iusques aux plus deuots, qui n’en deust estre charmé. Ie
cõmençay par le détail de vos louanges, ie vous representay comme
vn homme le plus desinteressé qui fut iamais, qui auoit abandonné
son pays, sa grandeur, ses biens, ses parens, sa fortune, pour
venir prendre le soin de la France qui estoit perduë sans vous : je
dis que les Espagnols auoient tousiours tenté de vous fourber &
empescher la paix, par de nouuelles demandes qu’ils faisoient faire
aux Suédois, au desceu de Monsieur de Longueuille, & pour se
morguer de luy, Que l’Eglise vous auoit de grandes obligations
pour la paix d’Allemagne, dont le Pape vous auoit fait remercier
par son Nonce, & que le R. P. Faure Predicateur de sa Maiesté auoit
dressé vn Panegyrique à vostre loüange, qu’il faisoit imprimer en
reconnoissance des faueurs que le corps des Religieux en receuoit.
Ie dis que vous perdiez le repos pour procurer celuy de
l’Estat, que vous ne songiez qu’au bien du peuple ; que si vous
estiez logé dans le Palais Royal, c’estoit pour vaquer de plus prés
à la conseruation & contentement de leurs Maiestez, & que si vous
estiez à blasmer en quelque chose, ce seroit pour auoir trop de
zele & de fidelité pour le bien de l’Estat, que vous aymiez & conseruiez
comme le vostre propre.

 

Le Card. Cette seconde inuention est encore plus defectueuse
& à blasmer que la premiere, & il est certain, si tu veux dire la verité,
que tu t’en es repenty, ou que tu n’as point d’affection pour
mon seruice. Car pour commencer par tes dernieres paroles, qui
ne voit qu’elles donneront suiet aux rieurs de s’épanouïr la ratte,
& par vne agréable raillerie, de dire que c’est vne verité que tout
le monde aduoüe, & qui fait le suiet des plaintes publiques, de
ce que i’ayme le Bien de l’Estat, & le conserue comme le mien propre,
c’est à dire que ie le prends & l’enuoye en Italie, que ie le
mets à la banque, & que i’ay tantost mis tout le peuple à la besasse,
pour establir de ses dépoüilles vne maison prodigieuse en richesses.
Sçais-tu pas bien que l’Aduocat Gautier fit rire toute l’audiance
au Parlement par semblables equiuoques, lors que plaidant
la cause de Monsieur le Prince, pour la cassation du testament
du Cardinal de Richelieu, & faisant reflection sur les termes de
ce testament, qui portoit que les richesses immenses qu’il laissoit,
& qu’il leguoit estoient des biens faits du Roy, il dit qu’il auoit raison,
mais que d’vn mot il en falloit faire deux, & dire des Biens
du Roy, & par ainsi qu’ils luy deuroient reuenir. En second lieu,
il ne falloit point du tout parler de la Paix d’Allemagne, au contraire

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il en faudroit estouffer la memoire s’il se pouuoit, pour ce que
l’Eglise n’a iamais receu vn si grand affront, ny vne playe plus sensible,
durant ses plus grandes persecutions sous la violence des tyrans.
Les libelles qui ont paru contre moy, n’ont pas oublié ce
reproche, qui est le plus sanglant qu’on me puisse faire, capable
de faire paslir ma pourpre si i’auois de la synderesse : Et dont neantmoins
les Religieux sont ceux qui ont moins de sujet de se
plaindre, puis qu’à dire vray, ce ne sont que les fruicts de l’arbre
que le P. Iosephe Capucin a plante, par l’aliance qu’il fist auec les
Suedois. Et si ie suis à blasmer en quelque chose, c’est d’auoir preferé
l’interest du monde, & de ma fortune, à celuy de Dieu, de son
Eglise, & de la Religion, mais sur ce point il n’est pas expedient
que l’on scache qu’elle est ma creance. Et pource qui concerne mes
loüanges, tu sçais bien que c’est vn trop foible argument, pour persuader
vn peuple iustement irrité, & plus capable de le porter à
l’extremité, que d’arrester le torrent impetueux de ces premiers
mouuements.

 

Gaz. Monseigneur, ie ne me serois iamais figuré la raison que
vous venez de dire, estant principalement confirmé comme i’estois
par vn exemple signalé & sans reproche. Il me souuient encore de
la harangue excellente que fist Monseigneur le Chancellier au
Nonce du Pape, lors qu’au nom du Roy, on le menassa de schisme,
ce que nos Roys n’auoient iamais fait, à cause qu’il refusoit
de faire Cardinal le R. P. Mazarin vostre frere, de l’Ordre de S.
Dominique, lequel l’a esté depuis, moyennant ce que vous sçauez.
Il me souuient, dis-ie, que cette rare piece que vous trouuastes
si rauissante, & que Monseigneur le Chancelier recita auec
tant de mouuement, apres auoir esté trois iours renfermé pour
l’apprendre, n’estoit qu’vn abregé de vos loüanges. C’estoit vn
racourcy des rares perfections qui éclattent en V. E. pour la
grandeur de la France & le bien de l’Estat. Il fist voir que vous
estiez l’Ange tutelaire de cette florissante Monarchie, l’esprit vniuersel
qui donnez le mouuement à ce grand corps, seul en tout
l’Vnivers capable de la direction d’vne si puissante Machine : Et
que le Roy, pour vous plaire & vous retenir dans son estat, auroit
subiect de rompre non seulement auec le Pape, mais auec
Dieu, si son authorité estoit moins souueraine & independante
qu’elle n’est pas. Apres vn si parfait original, pouuois-ie me figurer
autre chose, sinon que l’on adoreroit la copie que ie ferois de
vos loüanges, & que c’estoit le pus puissant & le dernier moyen

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pour calmer les esprits, & les ratacher plus fortement que iamais
au ioug de vostre domination, par des chaines que ie representois
toutes d’or.

 

Le Card. Cela pouuoit estre bon en ce temps-là, & en la bouche
d’vn Chancelier si deuot, que l’on dit, qu’il n’a iamais commis
vn peché veniel, & qu’il a encore la grace de son baptesme : mais
en celuy-cy, & en la bouche d’vn Gazetier, que l’on sçait estre payé
pour mentir, cela estoit hors de saison, & ne pouuoit seruir qu’à
faire rire comme il a fait. Au tẽps que le Chancelier parloit on ne
me connoissoit pas, cõme on fait à present : Il estoit facile d’epouuanter
le Nonce, & de faire peur au Pape, encore que cela n’ait
de rien seruy, parce qu’on n’auoit pas experimenté à Rome le succes
de mes meilleures intrigues, comme on a fait depuis, bien que
ie fusse Italien. Mes employs en ce pays-là, n’ayant esté que pour
l’amour & pour le jeu, on auoit sujet de s’estonner & de craindre,
me voyant au point de la grandeur ou le hasard, non pas mon esprit
m’auoient esleué en France. Et pour ce qui regarde la France,
elle estoit encore ébloüye de l’esclat que la pourpre du Cardinal de
Richelieu m’auoit donné, dans l’employ de quelques intrigues qui
auoient succedé, non pas au bien de l’Estat, mais selon son desir.
On n’auoit pas experimenté, cõme on a fait depuis, les succez honteux
& funestes de ma mauuaise conduitte. Ie n’auois pas encore
mis la main sur les finances, emprisonné les Princes, persecuté les
grands, banny les Magistrats, chassé les Officiers du Roy, comme
i’ay fait depuis : Ie n’auois pas encore fait mon frere Vice-Roy en
Catalongne : ie n’auois pas fait perir les armées, qui depuis y sont
peries : ie n’auois pas laissé perdre Courtray, laissé les armées sans
solde, les deux & trois années ; trauersé la paix generale de la
Chrestienté ; obligé l’Empereur de remettre les Eglises entre
les mains des heretiques : En vn mot ie n’auois encore rien fait
de ces choses, qui depuis ont fait gemir & perir tant de personnes.
I’estois au contraire vn ieune homme bien fait, de bonne
mine, tousiours bien aiusté, qui sentois lambre gris de cent pas,
qui sçauois toutes les gẽtillesses qu’il faut sçauoir pour estre parfait
courtisan, adroit aupres des grands, & d’auantage aupres des
Dames : qui me vantois de sçauoir toutes les reigles de la conduitte
d’vn Estat, aussi bien que de celles du Hoc, dont ie faisois des leçons,
& qui porte mon nom. Ainsi dans cette conioncture le Chancelier
auoit quelque raison, outre son interest particulier, par ce
qu’il estoit en mon pouuoir de le desceler. Mais maintenant il

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n’en est pas de mesme. Ie suis mieux conneu que ie ne me connois
pas : On sçait quelle est mon origine, iusqu’à la quatriesme generation :
On sçait le mestier que ie faisois à Rome auant que venir
en France : Toute la France sçait mes belles proüesses depuis que
ie suis dans le ministere, dont elle veut mal de mort à la Reyne
qui les souffre, & qui me meintient. De façon que me louër à present,
c’est me blasmer : dire du bien de moy, c’est me chanter iniures :
& le vray moyen pour m’acheuer de peindre & de perdre,
c’est de faire l’éloge des vertus, dont les passions contraires, à la
veuë & au déplaisir de tout le monde, regnent dans mon cœur, &
en toute ma conduitte. Ie te le pardonne pourtant Renaudot, par
ce que tu l’as fait à bon dessein, ainsi que tu dis, & dans la creance
de me faire du bien, & du mal au Parlement, aux Parisiens, & à
tous les François.

 

Gaz. Oüy, Monseigneur, & ie vous le iure de nouueau, foy de
Gazetier. I’ay trop d’interest à la conseruation de vostre personne
& de vostre fortune, de laquelle la mienne depend absolument : &
si V. E. en sçauoit la principale raison, elle ne douteroit iamais
de ma fidelité, ny de la sincerité de mes intentions à mentir pour
son seruice, voire à deuenir tout mensonge, si cela se pouuoit faire.

Le Card. I’ay en cela sujet de me louër de toy, mais si tu me
voulois dire cette raison, tu peus penser qu’elle ne me seroit pas
desagreable, & que i’ay assez de discretion pour la tenir secrette,
s’il en est expedient.

Gaz. Monseigneur, i’ay tant de creance en la bonté de V. E.
que ie luy voudrois moins cacher qu’à Dieu. Elle sçaura donc, que
comme i’ay esté curieux d’entendre parler de toutes les sciences,
encore que ie ne sçache rien des vnes ny des autres, & que
pour cela i’aye estably des conferences dans mon Bureau, outre
l’honneur & le profit qui m’en reuient : I’ay pris vn singulier plaisir
à entendre discourir de l’Astrologie iudiciaire, & suiuant le genie
& la maladie des grands, quoy que ie ne sois qu’vn ver de terre, I’ay
voulu sçauoir quelle seroit la suitte & la fin de ma vie. Pour cet
effet ie fis dresser mon horoscope par deux ou trois des mieux stillez,
en cet Art, dont ie me repans bien fort, parce que cela m’afflige
& m’empesche souuent de dormir, lesquels sans s’estre communiquez
l’vn à l’autre, ont trouué la mesme chose par leur supputation :
Sçauoir, que je serois fortuné, & amasserois force biens soubs le
ministere de deux Cardinaux ; mais qu’a la mort de l’vn ie receurois
vn grand eschet, & qu’à la disgrace de l’autre, ie serois

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entierement matté. Or le premier m’est infailliblement arriué à la
mort de defunct Monseigneur de Richelieu, & i’ay toutes les raisons
du monde d’aprehender le second, si la fortune vous tourne
le dos : car outre les horoscopes dont ie vien de vous parler, ce
diable de Patin, que ie n’ay iamais sceu adjuster à mon pied, depuis
qu’il fit rire Messieurs des Requestes de Lhostel, en m’apelant,
à cause de mon nez puant, Le Bonaze de Sainct Hierosme
ce Patin, dis-ie, trouua vne Prophetie dans Nostradamus qui predisoit
ce qui m’ariua apres la mort de defunct Monsieur le Cardinal,
& depuis huit iours en ça on m’en a enuoyé vne autre qu’on dit,
qu’il a tirée de la sixiesme Centurie d’vn vieux manuscrit, laquelle
me menasse du gibet, si vostre fortune se change.

 

Le Card. Vn bon esprit, comme le tien, ne doit pas s’attacher
à ces impertinences : les Astrologues s’en font à croire pour se mettre
en credit, & les propheties sont vrayes propheties ; c’est à dire,
qui reçoiuent l’intelligence & l’explication que les euenements
leur donnent. Voyons neantmoins celles qui te sont tant de peur,
& si Nostrodamus aura aussi bien rencontré pour nous, comme il a
fait pour le Roy d’Angleterre.

Gaz. La premiere prophetie estoit contenuë dans ce quatrain,

 


Quand le grand Paon quittera l’escarlatte,
Pire venu du costé d’Aquilon,

 

Le Card. A n’en point mentir tu as raison de dire, que c’est vne
prophetie, mais plutost vn enigme, dont vn seul Sphinx est capable
de découurir le sens, & donner l’interpretation : ne veut-il pas
dire que tu deuiendras Roy de Calicut apres auoir triomphé des
Amazones ?

Gaz. Monseigneur, ne le prenez pas par-là, il n’y a point de quoy
rire pour moy, non plus qu’il n’y a rien de plus clair quand vous
sçaurez l’histoire, & si ie croyois que la seconde prophetie d’eust
arriuer aussi certainement, ie n’attendrois pas que l’on me pendist,
ie les preuiendrois, & me pendrois moy-mesme, afin d’éuiter
l’infamie que mes enfans apprehendent, & que beaucoup de gens
desirent, parce que ie ne les ay pas traittez comme ils meritoient,
& selon la verité dans mes Gazettes, que ie n’ay composées que
pour satisfaire aux Ministres & aux fauoris. Or pour l’intelligence
de cette prophetie, V. E. doit sçauoir, que les Medecins de Paris

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m’ont tousiours fait la guerre, & n’ont iamais voulu souffrir que
ie fisse la Medecine dans la ville, tant à cause que ie ne suis pas
Docteur de leur Faculté, ny capable de l’estre, qu’à cause de la
profession de Gazetier, qui n’est pas plus honorable que celle de
Courtier d’amour. A cette fin il y eut grandprocez entre nous
qui demeura indecis par la faueur de Monseigneur le Cardinal, car
tant qu’il vescut, ie pratiquay la Medecine, en faisant la nique aux
Medecins, souz son authorité ; mais il ne fut pas si tost passé, que
ces Messieurs reprennent leurs brisées ; il fallut plaider à la grand’Chambre,
ou quoy que le sieur Bataille mon Aduocat sceust dire
en ma faveur, & des seruices que ie rendois au public, à l’occasion
de mon Bureau de rencontre : Monsieur Talon Aduocat General
ne se contentast pas de conclurre contre moy en faveur des Medecins ;
mais encore remontrant l’impieté de mon Mont de Pieté, &
l’vsure abominable que i’exerçois sous le pretexte des prests & vẽtes
à gage, il demanda qu’il me fust interdit souz de griéves peines de
n’en plus vser à l’aduenir : & ses conclusions suiuies de point en
point, Ie me vis en vn moment priué de l’exercice de la Medecine,
dont ie ne me souciois pas beaucoup ; mais encore de celuy des
prests sur gage, dont ie tirois plus de profit en vne sepmaine, que
trois Courtiers de change en vn mois, des inuentions dont ils se
seruent dans leur mestier. Or que V. E. voye maintenant si la
prophetie n’est pas bien claire, dans laquelle mesme les Aduocats
qui ont parlé en la cause sont nommez, & s’il pouuoit mieux exprimer
la mort de Monsieur le Cardinal, que par le premier vers ?
Car le nommant le grãd Paon ; il fait allusion au Dieu des Faunes, &
des Satyres, comme son Eminence l’estoit des Maltotiers aussi bien
que la vostre : Au second vers il me dit venir du costé d’Aquilon,
parce que Loudun, lieu de ma naissance, est Aquilonaire à l’égard
de Marseille ou Nostrodamus faisoit sa demeure : & pour les autres
deux vers, on ne sçauroit exprimer plus clairement les vains
efforts du sieur Bataille contre les Medecins, souz le nom d’Esculape,
ny la playe que me fit Monsieur Talon, par ses conclusions à
la gloire de mes ennemis, & à mon grand dommage & regret tout
ensemble. Par la V. E. peut voir si ie n’ay pas sujet d’apprehender
le succez de la seconde prophetie, par celuy de la premiere.

 

Le Card. A la verité elle est plus claire que ie ne l’a croyois pas,
neantmoins pour auoir rencontré en l’vne, il ne faut se persuader
qu’il l’ait fait infailliblement en l’autre : toutes ces Sentences sont
faites à plaisir, & ce sont plutost les euenements qui font les propheties,

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que les propheties les euenements. Voyons encore la
seconde, & iugeons par l’estat present des choses, s’il y a apparence
d’en craindre le succez.

 

Gaz. Monseigneur, si i’osois, ie supplierois V. E. de me dispenser
de la luy dire, neantmoins puis qu’elle le desire : la voicy, auec
priere que ie fais à Dieu, qu’elle se trouue autant fausse pour elle,
que ie souhaitte qu’elle le soit pour moy-mesme.

 


Au temps que NIRAZAM ayant gaigné la Poule, M
coq & Poulets plumé, fera gile drilleux :
Lors puant Roy Cretois, faisant sault perilleux,
Par infame licol fera chanter la foule.

 

Le Card. Celle-cy est encore plus difficile que l’autre, puis qu’elle
parle de noms barbares & de Roys de Crete. Pour mon particulier
ie n’ay point de passion de porter de Couronne, si ce n’est celle
de France, & pour ton regard ie n’estime pas que tu doiue quitter
Paris, pour aller en vn pays inconnu, où les peuples ne sont pas
si badaux que de t’enrichir pour des sornettes. Va, quitte ces imaginations
de Royauté, tu es trop vieil pour vn si haut dessein.

Gaz. Ah ! Monseigneur, que V. E. parleroit autrement si elle
y auoit vn peu pensé. Ce nom que vous appelez barbare, & non pas
sans raison, c’est le vostre ; car si vous lisez Nirazam à l’enuers, &
à la façon des Hebreux, vous trouuerez Mazarin : La Poule c’est la
Reine : & pour le Coq & poulets plumez, cela signifie le Roy, & les
peuples, dont vous auez tellement épuisé les finances, que sa cuisine
faute d’argent a esté deux fois renuersée, & le Royaume n’est
plus qu’vn hospital de gueux. Et c’est ce qui a excité les François
à demander vostre esloignement, à se roidir contre vostre tyrannie,
& à protester de n’estre iamais satisfaits que vous ne fussiez
hors de l’Estat : Voyez s’il se peut rien dire de plus facile en matiere
de Prophetie, & si ie n’ay pas sujet de craindre le funeste euenement
qui est predit par les autres deux vers ?

Le Card Et quand cela seroit pour les premiers, qu’en peus-tu
conclure pour ton regard des seconds ? t’imagines-tu d’estre Roy
de Crete, aussi bien que cet autre Roy d’Etiopie ? En ce cas nous te
preparerons vn Palais aux petites maisons.

Gaz. Monseigneur, si vous auiez autant leu Saint Paul, comme
vous auez fait vn Autheur de vostre pays, qui ne croyoit point en
Dieu : Vous auriez trouué que la qualité qu’il donne à ces peuples,
c’est de ne dire jamais la verité, & d’estre tousiours menteurs, Cretenses

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semper mendaces. Ainsi estre Roy des Cretois, est estre Roy
des menteurs, ma veritable profession. Pour le reste vous l’entendez
assez, & le chant de la foule, est celuy du Salue Regina, &
de la joye que le peuple aura de me voir finir ainsi de cette façon.
Et ce qui augmente ma peur est, que l’on m’a asseuré que
Messieurs du Parlement ont donné desia Arrest contre moy,
aussi bien que contre vostre Eminence, encore qu’ils ne l’ayent
pas publié, & qu’ils m’auroient exposé en vn tableau en Greue,
sans les prieres de mes enfans enuers quelques vns des Chefs, apres
auoir presté serment de fidelité & promis d’estre autant seruiteurs
de tout ce celebre Corps, comme i’ay tousiours esté son
mortel ennemy. De maniere que dans mon mal-heur, i’ay le bien
d’auoir cela de commun auec vostre Eminence, qu’il ne faut
pas que nous retournions jamais l’vn ny l’autre à Paris, car les femmes
executeroient vostre Arrest, & Iean Guillaume le mien.

 

Le Car Va, va, songe pour toy & non pas pour moy, les Parisiens
ne me tiennent pas encore, & il y aura bien des testes à bas auant
que cela arriue. Il y a trop de personnes interessées d’honneur & de
bien dans ma cause : tout Estrangér qu’on me publie, i’ay si bien
pourueu à ma seureté, que si ie vien à tomber, ma cheute sera semblable
au Dragon de l’Apocalipse, qui entraisnera auec sa queuë
dans l’abisme la troisiéme partie des estoiles & des plus brillantes
du Ciel de la France.

Gaz. Ie souhaite que vous emportiez la victoire, & que vous fassiez
la nicque à tout le monde pour vostre contentement & pour ma
seureté ; mais vous sçauez la maxime du feu President de Cheury,
que i’estime tres-excellente, qu’il faut tenir le pot de chambre &
le bassin à vn Ministre, pendant que la fortune luy rit, & lés luy verser
sur la teste au moment qu’elle luy tourne le dos. Monsieur le
Prince, vostre plus fort appuy, & celuy qui fait le plus de bruit &
plus de mal, n’est pas celuy auquel ie voudrois auoir plus de confiance
si i’estois à vostre place. Les rauages qu’il a fait exercer autour
de Paris, jusqu’à rauir l’honneur aux Damoiselles, sous pretexte
de le leur vouloir conseruer, me donneroit plus de defiance que
de seureté. S’il n’a pas fait tenir parole à Lagny. à Brie-comte-robert,
à Meudon & en tant d’autres endroits, pensez-vous qu’il
doiue vser d’vne autre maniere enuers vous ? croyez-vous qu’il ne
soit pas bien aise de faire sa paix auec le Parlement, & se remettre,
en vous sacrifiant à la fureur du Peuple, dans la bonne estime où

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il estoit dans leur esprit, & qu’il a perduë en prenant vostre protection,
apres qu’il aura allegé vostre bourse de plusieurs millions, &
vos espaules, s’il le peut, de ce scapulaire de pierreries ? Mais pensez-vous
qu’il ait oublié les tours que vous luy auez ioüé, & qu’il
ne voye pas que c’est le peril où vous estes qui vous fait recourir à
luy, hors lequel vous voudriez qu’il fust enseuely dans les ruynes
d’vne partie de l’Estat ? Vous estes trop bon Politique, pour auoir
d’autre pensées de luy, & vous feriez croire que vous ne le connoissez
pas bien, si vous parliez autrement, Pour Monsieur le
Duc d’Orleans, vous sçauez bien où en est l’encloüeure, si Monsieur
le Prince vous quitte, Barbier surnommé la Riuiere ne sera
pas long-temps de vostre party. Les Abbayes que vous luy auez
données, auec les esperances du Chapeau Rouge, ne seruiront
qu’à luy faire éguiser son rasoir pour vous faire la barbe de plus
pres, & peut-estre iusques à la couleur de vostre bonnet. Ioint
qu’il n’y a point d’apparence, qu’il puisse tousiours l’emporter dans
l’esprit de Monsieur sur les affections de Madame & de Madamoiselle
qui luy veulent mal de mort, & ne luy pardonneront iamais,
tant qu’il vous seruira, comme il fait : si bien que pour se
remettre dans les bonnes graces de ces deux Princesses, & pour
éuiter les coups de baston de Monsieur le Prince ; il fera signer à
son maistre vostre Arrest : d’eussiez-vous estre tiré à quatre cheuaux,
où renfermé dans le corps d’vn cheual mort, pour y estre
deuoré des vers, comme l’on dit que nos Allemans l’ont pratiqué
sur des Prestres.

 

Le Card Tout ce que tu dis n’est pas sans raison, aussi
n’est-ce pas là mon principal appuy, quoy qu’il le semble en apparence.

Gaz. Où donc, dans l’affection de la Reyne ? Cela seroit bon si
elle regentoit tousiours : mais dans vn an que la Regence finira par
la majorité du Roy, s’il vous fait rendre vn pareil traittement que
le defunct Roy fist au Marquis d’Ancre, & à sa Mere, tel que son
Pere fist à la sienne, où en serez-vous ? où en sera sa Majesté ? croyez-vous
l’auoir moins merité que l’autre, ou les peuples moins animez
contre vous : Vous figurez-vous de pouuoir estre le fauory
du Fils aussi bien que vous l’estes de la mere ? vous seriez vn tresmauuais
politique, & tout à fait ignorant des principes de l’art de
regner, si vous auiez cette imagination.

Le Card Dieu me preserue de l’effet de ? es propheties, & fasse
qu’elles soient aussi fausses comme la premiere de Nostrodamus

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s’est trouuée veritable pour toy, de mon costé i’espere d’y mettre
bon ordre. Premierement, en nourrissant le Roy dans vne auersion
cruelle contre les Parisiens, que ie luy representeray incessamment
comme des enragez contre sa Majesté, & le cousteau en la
main pour l’égorger. Secondement, en conseruant l’vnion que i’ay
auec le reste du Conseil, toute la parenté du Cardinal de richelieu,
les Financiers & les Partisans, la fortune desquels est si fortement
attachée à la mienne, que ie ne puis tomber, qu’ils ne se brisent.
Sçais-tu pas bien que le Chancelier ne subsiste que par moy ?
& que pour faire, qu’il suiuit mes volontez à l’aveugle i’ay fait, qu’à
mon occasion il a offensé toutes sortes de compagnies, & principalement
le Parlement, dont il estoit du Corps : il a foulé aux pieds
toutes sortes de Loix : méprisé les Ordonnances & les maximes de
l’Estat : ruïné les Priuileges & les prérogatiues du Royaume ; &
lors que l’on en a fait des plaintes publiques ou particulieres, afin
de ietter tout le fardeau sur luy, I’ay dit mesme en sa presence, &
sans qu’il ait osé repartir, que c’estoit à luy à qui il s’en falloit prendre,
non pas à moy, qui estant Estranger, & esleué dans vn autre
genre de vie, ne pouuois pas sçauoir les regles de la conduitte de
l’Estat. Si bien qu’il est vn objet d’aversion au peuple aussi horrible
que moy, quand mesme on ne sçauroit rien des inuẽtions du Sceau,
ny des taxes, des bouës, & tant d’autres petits artifices qui luy ont
acquis plus de quinze cens mille liures de rente, sans son hostel,
l’argent en monnoye auec les autres meubles. Pour la race Cardinale,
elle peut bien se recommander à Dieu si ie quitte, & la
Combalet prendre logement aux Carmelites, où elle feignoit de
se vouloir retirer lors qu’elle n’esperoit & n’aspiroit à rien moins,
que d’estre Reyne ou Madame. E : pour les Financiers & Partisans
il ne faut pas le dire. Tu sçais qu’ils sont le sujet de la guerre, à
cause des prests où nous les auons voulu conseruer, & de la Chambre
de Iustice que nous n’auons pas voulu establir, ou comme des
papillons ils auroient brûlé leurs aisles à la chandelle, & auroiẽt esté
consommés à petit feu. Que deuiendroit Tubeuf & ses Confreres
si ie n’estois plus ? Quelle capilotade ne feroit-t’on pas de Catelan
& de toute la maltote ? L’espée de Chemereau seroit-elle bien
assez forte pour mettre son beau-pere Tabouret, fils d’vn frippier
à couuert ? en quel lieu du Royaume se pourroit cacher le Tellier,
afin d’estre à l’abry de la fureur, ie ne veus pas dire de la Mothe
Hodancour ; mais des femmes de Sainct Eustache, que l’on a tasché
d’affamer par son conseil auec le reste de Paris ? Or comme il

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n’y a point d’apparence, que parmy tant de personnes, quelque
changement qui arriue, quand mesme ie quitterois le supresme
Ministere, il n’en demeure tousiours vne bonne partie dans le
Conseil, & dans les affaires : Iuge de-là, s’il y a quelque chose à
craindre pour moy, & si ie dois apprehender la main de Vitry
souz le couuert de tant & de si fortes baricades ? Apres tout, en
arriue ce que le sort ordonnera, ne nous rendons point miserables
auant le temps, il suffira de former nos plaintes, quand nous sentirons
la douleur. Cependant reprenons le sujet de nostre entretien,
est-ce tout ce que tu as fait pour moy, que de prescher mes
loüanges, & de chanter iniures au Parlement ?

 

Gaz. Non certes, Monseigneur, ce n’est pas là tout, ce n’est que
l’entrée & la preparation des esprits ; mais pour venir au fort, comme
ie sçay les afflictions du peuple, & qu’il est reduit à la besasse,
afin de le flatter dans son mal, & arrester le mouuement de son desespoir,
qui estoit prest de fondre sur vous, ie luy ay fait accroire
que vous n’auiez pas profité de sa misere : que vous estiez le plus
pauure de vostre condition : que vous auiez mangé vostre patrimoine,
& épuisé tous vos parens pour aider à subuenir aux necessitez
de l’Estat, & vous entretenir dans la splendeur de vostre dignité à
la gloire des François : que vous estiez accablé de debtes de toutes
parts, iusques à ceux qui fournissent les choses necessaires pour
vostre bouche : & pour le verifier par induction qui est la plus forte
de toutes les preuues, I’ay fait voir que vous n’auiez aucune charge
dans l’Estat, aucun gouüernement, villes ny chasteaux dans le
Royaume : que la quantité de vos debtes & la multitude de vos
creanciers paroissoit par les oppositions formées à la vente de vos
meubles, & que ce seroit dans l’histoire vne honte à la France de
vous auoir laissé si pauure, apres tant de seruices.

Le Card A n’en point mentir, cette inuention paroist iudicieuse ;
car elle met la main sur le mal, & c’est en ce point, que ie te suis
obligé ; mais entre nous d’eux qui sçauons la verité de tout ce qui
se passe, il faut confesser ingenuëment qu’elle n’est bonne que pour
les aveugles des Quinze-Vingts, encore ne sçay-je pas si elle les
pourroit persuader. Car en premier lieu, encor que ie n’aye point
de charge dans l’Estat, à qui tient-il qu’à moy que ie n’en aye ?
n’est-ce pas moy qui donne les offices & les benefices ? N’ay-je
pas chassé les Capitaines des Gardes, pour y mettre de mes creatures ?
& quelles charges pourrois-je auoir apres celle de grand,
Souuerain & Pleni-potenciere Ministre ? apres celle de sur-intendant

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general de la maison, personne, & education du Roy ? qui
iamais a possedé de plus grandes charges ? & n’ay-ie pas inuenté
tous ces nouueaux tiltres, afin de confondre toutes les charges en
vne, & ne laisser rien aux autres, ny au Roy mesme que le nom ?
Pour les gouuernemens qui en dispose, que moy ? N’ay-ie pas fait
arrester Rantzau, afin de mettre dans Dunkerque vn hõme qui est
plus à moy, que ton nez n’est à toy mesme ? Si personne ne sçauoit
rien de cela, tu aurois raison ; mais estant notoire, comme il est à
tout le monde, qu’elle apparence que cela puisse faire l’effet que
tu pretendois ? En second lieu, pour parler de mes facultez, & me
faire passer pour incommode, tu as encor plus mal pris tes mesures.
Il falloit auparauant persuader, que ces superbes escuries &
& galeries que i’ay fait bastir, n’estoient que des phantosmes du
Demon pour tromper les enfans : que ces meubles superbes, le reste
de ce que ie n’ay pû emporter, vn nombre si prodigieux de statuës
& de figures antiques & modernes, & de si grand prix qu’vne
seule est estimée quatre cẽt mil l. sans parler de celles qui n’õt point
de prix, que celuy que la curiosité des Monarques leur peut dõner ;
il falloit dis-ie, leur persuader que tout cela n’estoit que ieu de Marionnettes,
& tours de passe-passe de charlatans, ou ioüeurs de gobelets
sur le Pont-neuf, auant que d’entreprendre de dire que ie
ne suis pas plus riche à present que ie n’estois il y a six ou 7ans, lors
que ie n’auois rien, & n’estois qu’vn pauure Argolet. Aussi ne doutay-ie
point que cela n’ait bien apresté à rire, & n’ait esté matiere
de comedie pour les vendeuses de marées aux halles, cependant
que le blocus empeschoit d’en venir de Normandie.

 

Gaz. Il faut bien que ie sceusse tout cela, puis que i’en sçais bien
d’autres, & que ie ne suis pas prest de dire : Ie n’ay pas pourtãt laissé
de faire effort sur ce point pour deux raisons. La premiere, qu’encore
que les personnes de qualité & la pluspart du bourgeois en
ait la connoissance : Neantmoins les Artisans & le petit Peuple,
qui sont ceux dont nous auons besoin pour faire sedition, & qui la
peuuent faire ne le sçauant pas, & s’ils en sçauent quelque chose,
c’est par le moyen des Fripiers qui ont acheté vne partie de vos
meubles. Car les gardes qui estoient aux portes ne laissoient entrer
presque personne, que ceux qui estoient en carrosse, en quoy
vous leur auez de l’obligation : & i’ay oüy dire qu’vn iour quantité
de personnes de qualité, parmy lesquels il y auoit des Presidens
& des Conseilles d’Estat, admirant la merueille de tant de raretez,
dont la galerie haute est remplie, où l’on disoit qu’on offroit cinquante

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mil l. d’vn seul satyre : Vn de la compagnie ayant dit, que ce
qui estoit le plus à admirer, estoit que ces superbes bastimens, &
cet amas prodigieux de curiositez si rares & si precieuses, estoient
l’ouurage de six ans, ce que des Monarques n’auroient peut estre pas
fait en deux cent : tout le reste de la compagnie ne repartit que par
vn esleuement d’épaules. Tout ce qui me déplut, & qui doit toucher
V. E. est, que parmy vos meubles on a trouué iusques à la
cassette des langes du Roy : Il faut que ce que vous auez emporté
dans tant de chariots soit de grande consideration, puisque vous
auez encore laissé vne piece si remarquable, & qui apreste bien à
parler. L’autre raison, & qui m’a le plus persuadé est, que quand
tout Paris, iusqu’ux enfans à la mammelle, sçauroit que vous auez
peut-estre plus d’argent & de pierreries, que Monarque de l’Vniuers :
Quand l’Abé Mondin auroit donné au vray l’inuentaire de
vos meubles, & Cantarini celuy de l’argent que vous auez dans les
banques : Qu est-ce ie vous prie de Paris à comparaison de tout le
reste de la France ? Comment serõt instruits de vos affaires ceux qui
sont esloignez de plus de cent lieuës, puisque ceux-là mesme qui
entendent les cloches de Paris ne sçauent pas qui vous estes ? Sçauez-vous
bien que la pluspart entendant parler de vous auec tant
d’hiperboles, comme font les flateurs, s’imaginent que vous estes
vn homme de l’autre monde, & que vous n’estes pas fait comme
les autres ? Ie voudrois que vous eussiez entendu la conference
des paїsans de Montmorency & de Saint Oüen, sur le sujet
de ces mouuements. V. E. seroit pasmée de rire, ces bonnes
gens croyent que vostre escurie est trois fois plus grande que Paris,
encore que vous n’ayez d’ordinaire que cent, ou six vingts pieces
de cheuaux de prix ; Que les chanteurs que vous auez fait venir
d’Italie, sont des femmes qui n’ont pas ce qui les distingue d’auec
les hommes ; Et appellent les Allemans qui sont autour de Paris
des Lauements, comme si les Parisiens à l’imitation de ceux de
Ierusalem durant leur siege, auoient aualé leur or, & que vous voulussiez
le leur faire rendre (sauf le respect de V. E.) par le derriere,
ou les faire creuer à force de lauemens I’ay donc eu grand
sujet de parler comme i’ay fait : Car V. E. doit sçauoir que hors
Paris on adiouste autant & plus de foy à mes Gazettes qu’a l’Euangile.
Et ie ne doute point qu’aussi-tost qu’on les aura leuës dans
les Prouinces, on ne soit desabusé de l’impression qu’à peu faire
l’Arrest du parlement, mon seul deplaisir est de n’auoir pas dit que
vous demandiez l’aumosne, on auroit fait la queste pour vous dans

-- 23 --

ces festes de Pasques qui approchent.

 

Le Card Le temps apprendra par la suitte la verité, ou l’impertinence
de tes imaginations, ie ne comprend pas le François
aussi bien que toy, aussi ne fais-ie que l’escorcher ; mais ie ne me
puis pas persuader que ie sois si inconnu, comme tu dis, & le refus
que font toutes les villes de me receuoir, mesme en la compagnie
du Roy, monstre bien qu’ils sçauent de mes nouuelles plus que
tu ne dis, & que ie ne voudrois pas. Voyons la suitte de tes artifices,
& s’il ne s’y peut rien adiouster.

Gaz. I’ay parlé en suitte du blocus de Paris, & de l’assistance que
l’on pouuoit auoir de part & d’autre du costé des Estrãgers. I’ay dit,
que les Parisiens estoient des fous de s’attendre à l’Archiduc. Lequel
ayant fait semblant d’entrer en France, s’estoit enfin retiré afin
de se moquer d’eux, qu’au contraire il estoit d’accord auec sa Mai,
& luy enuoyoit toutes ses troupes : que le Duc de Loraine en faisoit
de mesme. Qu’Erlach estoit desia à Prouins auec douze mil hõmes :
que moyennant la paix d’Allemagne le Landgraue de Hesse enuoyoit
du secours capable de conquerir tout vn Estat. Enfin qu’il
en venoit tant de tous costez, que quand il n’y auroit pas vn habitant
dans Paris, n’y à vingt lieuës à la ronde, toutes les maisons
qui y sont, ne suffiroient pas pour les mettre à couuert.

Le Card Folie incomparable, de dire que l’Archiduc recule lors
qu’il a passé la riuiere d’Aisne, & tenant des postes sur Oise, il n’y a
rien qui l’empesche de venir à Sainct Germain, & qu il est pour
nous, cependant qu’il defait nos meilleurs regimens, comme il a
fait ceux de grand Pré & de Persan : Qu’Erlach est proche de Paris,
lors qu’on sçait certainement que la detention de Ranzau l’a fait
renfermer dans Brisac, comme dans vne taniere, auec protestation
de n’en point sortir, que pour nous apprendre à traitter d’vne maniere
moins lasche, les personnes qui ont si genereusement mis
leur vie au hazard pour la conseruation de l’Estat Pour le Duc de
Loraine, il a trop experimenté nos fourbes, & trop long temps
pour s’y arrester encore vne fois. Il n’y a que la Landgraue de laquelle
nous pourrions conceuoir quelque esperance, si le fils de
la Trimoüille, l’vn de nos ennemis, n’estoit pas son gendre. Tu
pourrois bien dire au contraire, que tous ceux-là sont contre nous,
ausquels tu peux adiouster les Holandois & les Anglois en cas de
necessité : De maniere que pour les estrangers Paris a sujet de nous
morguer, & de croire que le blocus ne durera pas tousiours.

Gaz. N’importe, i’ay bien persuadé des choses moins croyables,

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quand i’ay publié que Monsieur le Cardinal de Saincte Cecile
auoit fait merueilles en Catalogne, & que les Catelans auoient
failly à mourir de deüil à son depart. Mais pour ne parler que de
ce qui vous touche pour le present, apres auoir osté aux Parisiens
toute esperance de secours de la part des estrangers : ie leur ay fait
voir qu’ils auoient encore moins de sujet d’en esperer ny d’en attendre
des autres Parlements, ny des autres Provinces de la France.
Car dans la derniere piece que i’ay fait imprimer, & pour laquelle
mon Commis aux gazettes est en prison, i’ay dit, que le Parlement
de Dijon auoit fait punir comme seditieux celuy qui auoit
publié l’Arrest donné à Paris contre vous, & que toutes les compagnies
de Bourgongne auoient enuoyé à Saint Germain protester
de leur obeïssance par leurs deputez. Que le Parlement de D’auphiné
auoit fait dire au Roy qu’il detestoit la conduite de celuy
de Paris, & qu’il mourroit pour son seruice. Que celuy de Bourdeaux
auoit resolu d’enuoyer cachetée à la Reyne, la lettre de celuy
de Paris, si elle luy eust esté presentée. Que l’Arrest publié sous
le nom de celuy de Bretagne estoit faux, qu’au contraire il auoit
enuoyé asseurer de son obeïssance. Que ceux d’Aix & de Toulouse
auoient fait de mesme, auec promesse de conseruer leurs Provinces
sans aucun mouuement ny tumulte. Que pour Roüen ce n’estoit
qu’vne petite bluette qui seroit esteinte au moindre souffle du
Comte de Harcour, lequel auec vne puissante armée portoit de la
terreur par tout, sans que M. de Longueville osast parestre en campagne :
En fin que le Roy auoit tant de troupes de reste, qu’il en
auoit congedié vne grande partie, comme non necessaires pour faire
demander dans six mois à ceux qui passeroient, où estoit cy-deuant
la ville de Paris. Apres cela, que reste-t’il à dire.

 

Le Card Rien du tout, si tu ne veux mieux rencontrer, & cela
mesme il ne le falloit pas dire. Tu te persuades qu’il est de Paris,
comme de Sainct Germain, où l’on ne sçait que les nouuelles que
nous voulons, & en la maniere, vrayes ou fausses que nous voulons.
Tu penses que les Parisiens sont comme le Roy ou la Reyne, ausquels
personne ne parle, que nous ne leur ayons auparauant fait le
bec, ainsi que nous leur faisions dire par Bautru auec des postures
de Pantalon 8 iours apres la sortie de Paris que chaque morceau de
pain y valoit demy pistole, c’est bien ce qui te trompe : Car encore
que nous ayons defendu les postes, intercepté les lettres, & ferme
tous les passages. Cela n’a pas empesché que par la voye mesme de
S. Germain les Provinces & les Parlemens n’ayent eu nouuelles

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certaines de ce qui se passoit, que ceux-cy n’ayent donné des Arrests,
celles-là ne se soient souleuées, & tous ensemble n’ayent demandé
l’vnion auec celuy de Paris, & n’y ayent esté receus. Regarde
si tu prends bien tes mesures, & si tu peux gagner de la creance
sur les esprits, en leur debitant à souz main toutes ces menteries,
au mesme temps que les Colporteurs crient & debitent par
les ruës, les Arrests d’vnion des Parlemens & des Prouinces contre
moy, auec plus de raillerie qu’ils ne feroient pas s’ils, parloient de
Scaramouche ou de Iodelet. Considere ie te prie si c’estoit bien
la saison d’épouuanter les Parisiens par les troupes imaginaires du
Comte de Harcour, cependant qu’on publioit hautement la chasse
qu’on luy donnoit de tous costez, auec les prises des villes iusques
à la porte du Havre par les sieurs de Longueuille & de Matignon :
Tu n’auois qu’à adiouster ce qu’à dit l’Autheur Burlesque
des Baricades, que Konismarc estoit à Sainct Cloud, le Roy Hugon
deuant Bicestre, & le Poisson Clas sur la Seine à la teste d’vn
milion de Baleines, armées chacune de dix canons de cent cinquante
liures de calibre. Tu me ferois rire autant que iamais, si i’auois
moindre sujet que ie n’ay pas de pleurer.

 

Gaz. Ie voy bien que V. E. est en mauuaise humeur, & si ie
croyois qu’elle y deust perseuerer, ie prendrois resolution de ne
plus rien faire que sur les memoires qu’elle me donneroit en
main propre, car i’auois communiqué ces pieces à Messieurs Le
Tellier, Bautru & de Lyonne, qui les auoient trouuées rauissantes
& puissantes pour nostre dessein : de façon que i’en
attendois vn pareil applaudissement de vostre Eminence.

Le Card. Il y a des voyes plus faciles, moins dangereuses & plus
asseurées. Quand on veust faire vn bon coup, il ne faut pas si fort
sonner la trompette : la trop grande publication de ses forces, met
les ennemis en defiance, & les oblige de se tenir sur leurs gardes.
Il falloit seulement semer en secret parmy les Bourgeois, que ie ne
respirois rien tãt que leur repos : que i’étois dans la resolutiõ de les
soulager : qu’ils estoiẽt esclaues souz les Generaux : que l’on vseroit
de violence en leur endroit, apres qu’ils auroient payé les taxes
volontaires : que la guerre leur coustoit desia plus en deux mois,
que ne feroient pas les impositions d’vne année : qu’ils deuoient
s’assembler secrettement, & au lieu d’aller en garde aux portes venir
fondre sur le Parlement, l’obliger de tenir son ban, & de se retirer
au lieu de son exil, & puis s’en venir à Sainct Germain, où ils

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seroient les tres-bien venus, & bien receus de la Reyne, laquelle
auec le Roy s’en retournoit auec eux à Paris, d’où ils ne partiroient
iamais sans leur en demander la permission trois mois deuant ; &
que ce Prin-temps l’on porteroit des habits à la mode, tous à l’Italienne,
qui leur feront plus debiter d’estoffe en vn mois, qu’ils
n’ont pas fait depuis deux ans.

 

Gaz. S’il m’estoit permis de faire riposte à V. E. i’aurois aduantage
en cette rencontre : toutesfois elle le pardonnera s’il luy
plaist au gazetier, & luy permettra de répondre, que i’ay fait encore
tout cela, & beaucoup d’auantage, sans que cela ait de rien profité.
Car i’ay fait courir de iour & de nuict, de maison en maison
pour annoncer tous ces discours : I’ay fait soliciter les six corps des
Marchands pour aller au Parlement, se plaindre de ce qu’on ne faisoit
point la paix, & declarer au nom de tout le peuple qu’on la
vouloit à quelque prix que ce fust. Le vieux Marchand drapier, &
l’vn des Gardes, n’a-il pas fait deux fois assembler tous les autres
en sa maison, encore qu’il ne soit pas l’ancien, pour les soliciter à
prendre cette resolution ? Monsieur le Lieutenant Ciuil. ne les a-il
pas mandez chez luy, & exhortez à mesme fin, les asseurant qu’ils
feroient vne action agreable à la Reyne, & à V. E. au de-là de ce
qu’ils se pouuoient figurer ? I’ay bien fait d’auantage ; car i’ay de ce
qu’ils se pouuoient figurer ? I’ay bien fait d’auantage ; car i’ay donné
aduis, & qui a esté pratiqué, de donner de l’argent à des artisans,
afin de faire du bruit dans leurs compagnies, lors qu’ils seroient
en garde : & aux pauures souz pretexte d’aumosne parmy les
ruës, en leur disant qu’ils criassent à la faim : il y en a qui ont esté
crier de la sorte iusques dans la salle du Palais, cependant que le
Parlement estoit assemblé, ausquels on a donné de l’argent pour
les faire taire, qui ont depuis esté mis en prison quand la fourbe a
esté découuerte.

Le Card. Et tout cela n’a de rien seruy ?

Gaz. Rien du tout. Au contraire, cõme vne cruche d’huile versée
sur vn grand brasier, ne fait que l’alumer, au lieu de l’esteindre : le
peuple s’est plus fortement irrité par ces solicitations. Il est allé
en foule au Palais crier la mort de Mazarin, ou la guerre. Monsieur
le premier President a esté menassé en sa personne, & failly d’estre
déchiré par cette populace, que vous appelez ordinairement canaille ;
Les femmes mesmes ont fait des assemblées, sont allées en
corps trouuer M. de Beaufort, vostre bon amy, luy donner aduis de
toutes ces menées secrettes, ne le soliciter pas seulement, mais le
conjurer de tenir bon, comme il auoit cõmencé, & qu’apres la vie

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de leurs maris, elles exposeroient la leur propre, & prendroient les
armes pour vous aller mettre en pieces, fussiez-vous entre les bras
de sa Majesté.

 

Le Card. Brise là ie te prie, & n’en dis pas d’auantage. Ie voy
bien qu’il n’y a plus d’espoir, & qu’il faut aualer le calice du dernier
remede. N’importe vn peu de honte est bien-tost passée, il vaut
mieux faire le poltrõ, que le temeraire, & le lasche que le desesperé.

Gaz. Et quel est ce dernier remede, aurois-je assez d’efronterie
pour le demander a V. E ?

Le Card. Il saut faire la paix à quelque prix que ce soit : Mander
au Parlement qu’il depute des Plenipotencieres, leur accorder
tout ce qu’ils voudront, & au de-là, pourveu qu’on ne
parle point de moy, & que ie demeure. I’aduouë qu’il y a vn
peu de lascheté à ceder de la sorte, apres vne si grande leuée de
boucliers, mais il n’y a du remede, c’est plus à la honte de Monsieur
le Prince qu’à la mienne, il vaut mieux fleschir que perir, & en cette
occasion, puis que le Tellier s’est si fort trompé en son calcul, &
que noùs auons si mal pris nos mesures, il est bon de reculer vn peu,
afin de mieux sauter.

Gaz. Et qu’est-ce que V. E. pourra faire apres auoir fait la paix,
& que la Declaration en aura esté registrée au Parlement, & aux autres
Cours Souuerains, & enuoyée dans toutes les Prouinces ?

Le Card. Ce qu’ont fait les Espagnols à Naples, & y font encor
tous les iours, apres auoir par de belles promesses appaisé les premiers
mouuements que leur tyrannie y auoit causéz, comme
la mienne a fait à Paris, & dans le reste de l’Estat. Ie feray tant couper
de testes, qu’il sera difficile de les compter. I’ay le roolle de
tous ceux qui me trauersent : tiens pour certain que chacun aura
sa part. On s’est moqué des haches & des verges qui font mes armes,
on en a fait des railleries, ie feray bien sentir que les verges
pesent, & que les haches sçauent couper. Et comme tu parlois
tantost de licol dans ta Prophetie : Ie t’asseure bien que
tu verras encherir les cordes, & que Paris n’a iamais veu tant
de sentinelles perduës pour sa garde, du costé de Mont-faucon, que
tu y en verras poser auant que l’année finisse. Et pour la bastille
i’y donneray si bon ordre, qu’elle ne seruira plus aux Parisiens pour
les canoniser, mais pour les canonner.

Gaz. Pour venir à bout de ce dessein, il ne falloit pas tant faire
de bruit : vous auez aussi-bien que moy euenté la mine. Vous auez
fait trop amplifier la cruauté des Espagnols contre les Napolitains,

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il n’en falloit pas parler si souuent, & auec tant d’exceds dans nos
gazettes : il valoit mieux de les publier pour gens de parole & de
bonne foy, que de les blasmer de tant & de si cruelles perfidies,
comme nous auons fait. Combien pensez-vous que cela a fait de
bruit à Paris, & combien cela sert pour animer les peuples ? On le
dit par tout hautement, qu’il ne faut iamais s’attendre à aucune paix
auec vous, si on ne se veut resoudre à la misere de ceux de Naples,
souz la furie des Espagnols, & encore à quelque chose de plus
barbare s’il se peut imaginer, parce que vous estes d’vn naturel plus
cruel & plus felon, & de ces personnes qui ne pardonnent iamais.
Si vous auiez leu la lettre d’auis d’vn Prouincial, escrite au Parlement,
vous auriez veu auec quelle force il debite & presse cet argument.
Ainsi, quoy qu’il arriue, ou de paix ou de guerre, tenez
pour tout asseuré, que les Parisiens seront desormais tellement sur
leurs gardes, que si vous entreprenez quelque chose, vous vous
trouuerez pris au trebuchet. Ils reconnoissent leurs fautes aussi
bien, que vous les vostres : ce sera ioüer au plus fin, & au plus fort,
& ie ne pense pas que vous deuiez iamais penser d’y retourner ; car
le Roy, ny la Reyne, ny les Princes, ny le Parlem. ny tous les Filoux
de vos gardes, ne seroiẽt pas assez forts pour vous garẽtir de la furie
du peuple. Pour ce qui est de la Bastile, il y a long-tẽps qu’on sçait le
Conseil barbare de la Meilleraye sur ce suiet : le parlement ny les
Parisiens ne seront pas si sots de se laisser cette espine au pied, & il y a
apparence qu’à la premiere occasion elle sautera pour faire la premiere
entrée du balet. Il sembleroit plus expedient, sauf meilleur
aduis, de songer à vne retraitte honorable, en éuitant celle
qui est honteuse & infame dans l’execution de l’Arrest du Parlement.
En quoy i’aprehende que V. E. ne tarde beaucoup, & qu’en
fin il n’y en ait plus de lieu, lors qu’elle le desirera le plus.

 

Le Card. Ainsi à ce que ie vois, tu voudrois que ie fusse desia
bien loin, & toy à Paris mais pren garde de ton costé, que ce ne
soit la fatalité de ta prophetie, qui te force de me donner cet aduis,
puis que tu dois estre pendu, lors que ie ne seray plus dans le gouuernement.

Gaz. Monseig. elle ne dit pas que vous soyez hors du gouuernement,
ny mesme de l’Estat, mais lors que vous en serez chassé.
Or ie pretends, que se retirer honnestement, & de soy-mesme, ne
doit pas estre appellé vne chasse, au contraire, ie mets ma vie en seureté,
& me garentis de la corde, puis qu’estant vne fois hors du
Royaume, vous n’en serez point chassé, n’estãt pas d’ailleurs croyable que

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vous y retourniez iamais ; mais croyez-moy, ce n’est pas mon interest
qui me fait parler, mais bien le vostre ; car apres auoir mis mon
esprit à la gesne, & tellement resué, qu’il me semble que la suitte
de vostre vie, & tout ce qui se passe, n’est que resuerie : ie ne trouue
plus d’ouuerture pour vostre repos qu’vne seule, mais que ie
n’oserois proposer a vostre Eminence.

 

Le Card. Est-ce que tu crains que i’en fasse pareil iugement que
i’ay fait des autres ? ou que quelques-vns s’y trouuent engagez,
pour lesquels tu ayes plus d’affection que pour moy, ou desquels
tu esperes plus d’auancement, ou de protection ? Ie ne croy pas
pourtant qu’il y ait personne dans le Royaume qui te puisse faire
plus de bien que moy, si ie veux, ou te seruir d’vn plus fort appuy,
tant que ie seray sur le haut de la rouë, ou la fortune m’a esleué.

Gaz. Ce n’est rien de tout cela, Monseigneur, mais vne certaine
apprehension que i’ay, que vous ne iugiez autrement de la suitte
de mes aduis, que vous ne deuez pour la sincerité de mon affection
à vostre seruice, & pour lequel ie voudrois renoncer au chresme,
si l’on m’en auoit donné lorsque ie fus baptisé au presche. Ie vous
le diray pourtant en secret, quoy que nous ne soyons que nous
deux, & à l’oreille, de peur que les tapisseries ne nous entendent,
auec protestation de le dénier, en cas que V. E. en donnast la
moindre connoissance.

Le Card. Il faut que cet aduis soit de grande importance, puis
que tu y fais tant de mysteres, & y apportes tant de precautions,
mais c’est à la mode des Gazettes, afin de la faire trouuer meilleure.

Gaz. Nullement, & vous en allez iuger : c’est qu’il faudroit
laisser faire le parlement pour l’establissement de la Chambre de
Iustice. Exposer à la lueur de leur chandelle, ceux qui ont leur
part apres vous, du bien de l’Estat : faire rendre compte aux heritiers
du defunct Cardinal, de ce que vous sçauez bien qu’ils ont, &
qui ne leur appartient pas. Exposer Esmery & toute la sequele des
Financiers & des Partisans, excepté quelques Italiens qui prendront
la fuitte, à l’examen de ces Magistrats incorruptibles. & pour
esteindre tous ces flambeaux funestes qui n’éclairent qu’aux funerailles
de la France, abbatre le chandelier qui les soustient, vous
entendez bien ce que ie veux dire : par ce moyen vous ferez plusieurs
& de tres-grandes choses. Vous ferez qu’on trouuera vn
grand fonds pour subuenir aux necessitez vrgentes de l’Estat, sans
qu’il soit besoin de rien emprunter, au contraire, il y en aura encore
du reste pour contribuer au rachapt du Domaine du Roy. vous

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donnerez lieu à descharger le peuple des Tailles pour deux ou
trois années, sans quoy il n’est pas possible qu’il se releue iamais de
de la misere où il est. Vous vous conseruerez sans crainte ces richesses
immenses que vous auez, capables d’acquerir la moitié de
l’Italie, & faire à l’aduenir que vostre famille qui estoit la plus basse
dans la lie du peuple, soit la plus superbe & la plus splendide parmy
les Princes, & vne pepiniere de Cardinaux & de Papes. Et paroissant
au peuple sans interest, par l’abandonnement des personnes qu’il
deteste, & ausqueles vous semblez le plus attaché : Il changera pour
vostre regard son auersion en amour, les iniures en loüanges, chantera
tant de merueilles de vostre conduite, qu’elles suffiront vn
iour pour le procez verbal de vostre canonisation. Ainsi, au lieu
qu’ils demandent vostre mort, ou vostre esloignement, ils seront
dans vne continuelle apprehension que vous ne les quittiez : vseront
de toutes les complaisances possibles pour vous retenir, & prieront
Dieu que vous ne mouriez iamais. Ne voyla pas vn aduis important ?
mais Monseigneur, comme ie vous ay dit secre[1 lettre ill.]um, soit que
vous vous en seruiez, ou ne vous en seruiez pas.

 

Le Card. A ce coup il faut que i’aduoüe que tu as touché au
but, mais pour cela tu n’auras pas les gands, non plus que tu ne les
veus pas donner au Gazetier de Cologne. Regarde si ie suis en
estat de découurir tes pensées, puis que sans faire tant de ceremonies,
ny chercher tant de précautions que toy, ie te revele si librement
les miennes. Il y a plus d’vn an que ie les roule en mon esprit.
Dés les premieres plaintes qu’on fist d’Emery : je vis bien que
c’estoit le vray remede ; mais deux choses m’ont retenu & me retiennent
encore. La premiere, le vœu que i’ay fait d’enleuer tout
l’argent de France. Or comme i’ay desia fait transporter en leur
pays toutes les pistoles d’Italie, & pour leur faire cõpagnie, presque
toutes celles d’Espagne. Ie ne suis pas encores venu à bout
de tous les Louis, pour le moins de ceux d’argẽt ; car pour ceux d’or
il y a long-temps que pour la facilité du trãsport, ie leur ay fait sentir
la fonte : & ie considere que si ie fais mettre les financiers à la
presse, ie ne sçaurois plus accomplir mon vœu, ce que i’estimerois
vn grand peché, si ma conscience estoit capable de scrupule. La seconde
chose qui m’a retenu est ; la crainte de demeurer sans appuy ;
car tu sçais bien que non seulement ie n’ay point d’autre support ;
mais que ie ne voy point où en prendre, si ie perds celuy-là.
Et que me seruira d’auoir beau coup trauaillé pour amasser, & fait
crier au meurtre en amassant, si ie demeure seul, incapable de resister

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à tant de peuple, lequel à dire vray, a suiet de me hayr, de se
défier de moy, & de me souhaiter au de-là des Monts.

 

Gaz. Monseigneur, auec la permission de V. E. il me semble
que tout cela ne doit pas la retenir ; car pour l’argent, vous sçauez
que vous en auez tant fait emporter, & qu’il en reste si peu que si cela
dure, il en faudra faire de cuir. Il n’y a point de moissõneur pour
auare qu’il soit, qui ne laisse quelque chose pour les glaneurs, &
ie puis dire qu’il reste moins de Louis & d’autre monnoye en France,
apres la rafle que vous y auez faite, qu’il ne fait d’espics dans
vn champ, apres que le laboureur a fait tout son possible pour n’en
point laisser. Pour l’appuy, c’est encore à mon iugement ce qui
vous doit faire moins de peur & de peine. Vous ne doutez pas, que
demeurant tousiours le maistre, comme vous estes, pour vn perdu
il y en aura cent qui s’offriront à vous. Tant que sa Maiesté vous
verra de bon œil, comme il n’y a pas d’apparence qu’elle change,
attendu les grands & assidus seruices que vous luy rendez, & à
l’Estat, vous serez tousiours vn obiect de veneration aux plus releuez :
& les Cordons bleus s’estimeront heureux aussi bien que par
le passé, d’attendre trois heures pour auoir vne œillade de V. E.
lors qu’elle passera de son cabinet dans celuy de la Reyne. Il y
aura tant de personnes qui vous presteront serment de fidelité, que
vous en serez importuné : l’on demandera qui viue, & la grande
gloire sera de dire, viue Mazarin. Les Princes tiendront à honneur
de vous porter dans vostre chaire iusqu’à la porte de la chambre
de leur Majestez. Souuenez-vous de ce que vous auez dit
cent fois depuis trois ans ; que les François n’estoient que des badaux
& des coyons : & ne me tenez iamais pour Gazetier, c’est à
dire veritable, si vous n’auez sujet de dire qu’ils ont fait vœu de coyonnerie,
aussi bien que vous d’auoir tout le bien de l’Estat ? Apres
tout, & quand le Ciel tomberoit, qui a-il à craindre pour vous, ne
demeurerez-vous pas immobile dans les ruynes, tant que vous aurez
Monsieur le Prince & l’Abbé de la Riuiere ?

Le Car. Ie voy bien à ce coup, que c’est toy qui ne les connois
pas, ou que suiuant ton mestier tu és payé pour me parler de cette
sorte. Tu manques en la partie la plus requise à vne personne de
ta profession, qui est vne excellente memoire en vn menteur profets
comme toy. Ne me disois-tu pas tantost qu’entre tous les hommes
du monde, Monsieur le Prince estoit celuy que ie deuois le
plus apprehender ? que son appuy n’estoit qu’vn roseau pour moy ?
maintenant tu veus que ce soit mon Moyse, ou mon Iosué pour me

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sauuer des ondes de la mer rouge, ou de la rapidité du Iourdain.
Aussi n’ay-ie garde de songer à ce que tu me viens de dire, au contraire,
comme nous nous connoissons parfaittement l’vn l’autre ;
que nos desseins opposez ne nous sont point reciproquement cachez :
que nostre ambition ne tend qu’à vn mesme but, c’est à
dire, à la Couronne, quoy que par des routes contraires, ie feray
tout mon possible pour le preuenir & perdre sans refource ; & si ie
puis apaiser ces mouuements, dans lesquels i’ay engagé son honneur,
& luy dérobe l’affection des peuples ; la moindre chose qu’il
ait à esperer, sera la Bastile ou le bois de Vincennes, que chacun
estimera estre vn effet de la prouidence de Dieu, pour le punir des
excez qu’il fait commettre. Et si vne fois il y peut estre ; comme tu
sçais que c’est en ce lieu, où durant la captiuité de son pere, il a
esté fait, il pourra bien comme le Phenix trouuer son sepulchre
dans son berceau. Il m’a trop gourmandé pour ne dire méprise :
il s’est seruy auec trop d’insolence de l’ocasion presente, & du besoin
que nous auions de luy : il s’est fait rendre des soumissions trop
basses : Il m’a traitté en faquin, & en homme qui ne pouuois viure
que par luy ; & a esté bien-aise que tout le monde le sçeust : apres
cela quel front pourrois-je porter à la Cour ? quel rang y tiendrois-je ?
qui me craindroit ? Mais qui ne me feroit piece, pour apres
se refugier entre les bras de Monsieur le Prince ? Comme il ne
faut pas deux Roys dans vn Royaume, il ne faut pas deux fauoris
ou souuerains Ministres. Monsieur le Prince n’est pas d’aage ny de
temperament à ceder : Ie ne suis pas en estat de le faire, & la Reyne
ne le souffiroit pas. Il n’y a donc point d’accommodement
entre nous, que par vn coup de pistolet dans quelque rencontre,
ou vn boucon dans la Bastille, on Vincennes, degno di bocca di principe,
& damano Seciliana.

 

Gaz. Monseigneur, ie me rends à la foule & à la force de vos
raisons, c’est vne marque de la puisance de nostre genie, & de la
force de vostre esprit, d’estre si pressant dans ces occurrences quoy
que les médisans veuillent dire que vous l’auez perdu, & ne sçauez
plus où vous estes. Ie me souuenois bien de ce que ie vous auois
dit ; mais comme les avis suiuent la face des affaires, ie m’estois
figuré que Monsieur le Prince s’attacheroit plus fortement à vous,
lors que vous auriez chassé toutes les mouches qui vous enuironnent.
Neantmoins il est à craindre que ce voyant seul, cela ne luy
enflast tellement le courage qu’il n’aspirast à la place que vous tenez,
quoy qu’il ne puisse la remplir aussi dignement comme vous

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faictes. Cela fait, que ie change aussi d’avis touchant Monseigneur
d’Orleans en la personne de la Riuiere ; car vous deuez sçauoir que
ce nom de la Riuiere n’est pas celuy de son pere, ny de sa famille.
Son pere estoit vn gaigne denier, ou chargeur de bois en greue, qui
s’appelloit Barbier, lequel par raillerie ou mépris, fut surnommé
la Riuiere par ses camarades, comme on appelle vn laquais la verdure,
la Fontaine, ou la Rose ; sa naissance vile n’a pas esté suiuie
d’vne meilleure education. Il n’y a point de college dans l’Vniuersité
qui ne retentisse encore de ses friponneries, & toute la Cour
sçait par quels seruices il a merité les bonnes graces de son Maistre,
qui luy ont acquis le titre glorieux d’Aumosnier Spermatique ;
& c’est dans ces combats nocturnes & secrets que ce Prince
a gaigné les gouttes qui le mangent maintenant. Ainsi persistant
en ce que ie disois tantost, s’il faut conclure pour son regard, c’est
de le reduire au mestier de son pere, ou de le metamorphoser en
riuiere pour la nourriture des poissons, en quoy i’estime que vous
ferez vn plaisir indicible aux Parisiens, qui n’ont pas moins d’auersion
pour luy que pour vous.

 

Le Card. Ie sçay bien qu’ils n’ont pas plus d’amour pour luy
que pour moy ; mais ie feray qu’ils le detesteront d’auantage, &
qu’ils en auront sujet. Ie descouurirray toutes les fourbes dont il
s’est seruy pour seduire son Maistre. Ie feray l’inuentaire de toutes
les laschetz qu’il a commises, en se laissant corrompre luy-mesme.
Ie publieray toutes les trahisons épouuantables, dont il est l’ingenieur :
les perfidies estranges & cruelles dont il a vsé à l’endroit
de Madame & de Mademoiselle. Ie donneray au public les memoires
qu’ils m’a donnez, ou Mademoiselle verra l’inuentaire dés
affrons qu’elle a soufferts, & des malices qu’on luy a supposées ; le
Parlement & Paris, l’origine d’vne partie de leurs persecutions,
& le peuple de la plus dure, peut-estre de ses miseres. L’on connoistra,
mais auec horreur, ce qu’à peu faire dans vne ame vile, lasche,
mercenaire, mais ambicieuse, le desir du bien, de la grandeur, &
de sa conseruation aupres d’vn Ministre, qui se peut dire le Maistre
du Royaume comme ie suis. De maniere, qu’il ne sera pas necessaire
que i’y mette la main, il ne faudra que crier haro, ou laisser
faire les valets de pied, ou marmitons de Luxembourg : & quãd
il le faudroit, mille pistoles le seront mettre en estat que son tombeau
sera plus ignoré que celuy de Moyse. Ie suis seulement estonné
de ce qu’on le laisse en repos, qu’on ne fait pas sa genealogie

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auec la suitte de sa belle vie, comme on a fait la mienne, & qu’on
ne demande point sa mort, ou son exil, comme on fait le mien,
encore qu’il l’ait autant, ou plus merité que moy.

 

Gaz. Que V. E. cesse de s’estonner, c’est vne prudente adresse
des Parisiens qui autrement experimenteroient dans cette occasion
la verité du Prouerbe, qui dit, que trop en a, qui deux en meine.
Ce n’est pas comme ie viens de dire qu’ils ayent moins d’auersion
pour luy, que pour vous, ny qu’il en doiue attendre vn plus
fauorable succez. L’on sçait trop bien les peines qu’il prist, pour
faire trouuer bon à son Maistre le départ du Roy, en vn temps &
en vn iour, ou l’on le deuoit moins soupçonner. L’on sçait bien la
violence dont il obligea Monsieur d’exercer enuers Madame, pour
la rendre de la partie de cette belle fuitte. L’on est bien aduerty
qu’il est seul cause que son Maistre a esté plus de trois iours à S.
Germain : que connoissant la faute qu’il auoit faicte, & la breche
qu’il faisoit à son honneur, & à l’authorité du Roy, il l’a vouloit
reparer par son retour à Paris, & son assistance au Parlement, sans
les charmes de ce traistre à son Maistre & à sa patrie : & que l’on n’auroit
point veu de sang répandu, ny de brasier allumé à Charenton,
s’il n’y auoit point eu d’autre Riuiere à saint Germain, que celle
qui coule au pied du chasteau. Que Monseing. le Prince de Condé
se seroit consommé luy-mesme dans les flames interieures de
son despit, s’il n’auoit point fait rencõtre pour son rafraichissement
de cette Riuiere infernale : que c’est dans cette eau bourbeuse &
chariante des ruines des miserables, qu’vne partie des dragõs enuenimez
qui deuorent auec tant de cruauté ont pris naissance. Et pour
parler clairement, on sçait parfaictement qu’il n’y a que V. E. & luy,
qui soyez la cause de tous les maux, & de toutes les miseres de
l’Estat. Et ce qui fait l’estonnement de toutes natiõs, que les François
si subtils, si adroits & si genereux se laissent ainsi dupper par deux
personnes de la plus basse lie, & d’vne education si infame. Or comme
vous serez remis sur le chãdelier & hors des attentes des mains,
encore que vous ne le soyez iamais des cœurs ny des langues : Iugez
si tout l’orage de la colere, de la furie & de la vengeance ne
tombera pas sur ce mal-heureux ? & quel traittement il receura
d’vn peuple iustement irrité, lors qu’il sera en sa puissance, & agira
sans apprehension ? Pour moy, ie ne voudrois pas estre dans sa
peau, & si on ne dit mot pour le present ; c’est qu’on est bien asseuré
qu’il ne s’enfuira pas, & qu’il payera l’attente auec plus d’vsure

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que ie n’en prends pas sur mes ventes à gage.

 

Le Card. Tout ce que nous disons est beau & bon ; mais il y a
vne difficulté, dont nous n’auons point parlé, & qui neantmoins est
à present le nœud de l’affaire, & le mal-heur que nous n’auons
point d’Hrcule pour le rompre, puisque le nostre le tient en sa main.
Ie veus dire si tu ne m’entends point, que le Prince de Condé est
le Maistre de toutes nos troupes, qu’il leur commande, non pas en
general, mais en Roy : & ce qui est encore plus & pis, c’est qu’elles
ont vne telle creance en luy, & luy rendent vne obeyssance si
aueugle, que s’il leur auoit commande de me liurer entre les mains
du Parlement, ie serois dans deux heures à Paris. Combien de
fois ay-je entendu de mes oreilles des soldats qui disoient pis que
pendre de moy, sans que i’en aye osé faire aucun semblant ? Combien
de fois passant parmy eux m’ont-ils fait la moüe, chantans
apres, afin que ie les entendisse, ces chansons infames qu’on a fait
à Paris contre moy, & qu’on y chante sur le Pont-neuf ? Pour estre
infame & hué, il ne faut qu’estre appelé Mazarin : & en deux voyages
que i’ay fait à Saint Clou, ie mourois de dépit de voir, que la
milice luy rendoit des submissions qu’elle ne feroit pas au
Roy, ce pendant qu’elle ne me consideroit qu’auec indifference,
ou pour mieux dire, que comme le fol de la feste, encore que ie
paye les violons. Or tant qu’il sera maistre des troupes, que puis-ie
faire pour ma seureté, quelque argent que ie luy donne ; car il a
des-ja touche quatre millions, & n’est-il pas à craindre qu’il ne
prenne la hardiesse de mettre la main sur ma cassette, puis qu’il a
toutes les forces de son costé, & qu’apres cela, il ne crie Erlan
sur moy, afin que les soldats acheuent de me plumer auant que me
liurer à la furie des Parisiens ? A cela Renaudot ie ne voy point de
remede, c’est vne nuit où ie ne vois goutte, ie n’ay point d’épée ny
de bouclier pour parer ce coup, & si tu pouuois trouuer quelque
laurier pour me mettre à couuert de ce tonnerre, & me garentir du
carreau, Iuge par l’importance de mon bien, de ma fortune,
de mon honneur & de ma vie, dont le peril est euident, la grandeur
du benefice dont ie te serois obligé.

Gaz. Il faut que i’aduoüe que V. E. me ferme la bouche,
neantmoins comme il ne faut iamais demeurer immobile dans vn
bourbier sans essayer de s’en retirer, quoy que bien souuent les efforts
soient vains, il ne faut pas aussi dans cette occasion, qui est plus
dans l’apprehension, que dans l’effect, perdre tellement cœur, que

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comme à vn mal desesperé, on neglige d’y apporter aucun remede.
Or parmy ceux que la memoire & l’experience me pourroient
fournir, si i’auois le loisir d’y penser : i’en voy deux quant à present,
qui ne me semblent pas inutiles, ny à reietter. Le premier,
seroit de mettre de la jalousie & de la diuision entre Monsieur le
Duc d’Orleans, & Monsieur le Prince, & auoir Monsieur d’Orleans
de vostre costé, par ce moyen vous agiriez souuerainement
sous le nom & l’authorité du Roy, dont Monsieur le Prince estant
priué, vous le feriez passer pour criminel de leze Majesté & perturbateur
du repos public, ce qui estant ioint auec l’auersion que
les peuples ont conceu contre luy, à cause des violences qu’il exerce
autour de Paris, il ne seroit pas en estat de vous faire de mal, si ce
n’est par quelque effort à la derobée, dont vous sçaurez bien vous
donner de garde.

 

Le Card. Oüy. Mais tu ne dis pas que pour estre Maistre de Monsieur
d’Orleans, il faut auparauant l’estre de la riuiere, & tu sçais
que i’ay encor plus d interest de me defaire de ce faquin, qui veut
aller de pair auec moy, que du Prince, lequel par les conditions
de sa naissance pourra estre plus sensible à la generosité, & à la clemence
en quelque estat que ie me trouue, que ne seroit pas ce maraut
s’il auoit l’aduange sur moy. Ioint que ie ne fais pas grand
estat de l’appuy de son maistre : chacun sçait de quelle façon il a
laissé perir honteusement ceux qui se sont voulus attacher trop
fortement à ses interests, qu’il a contribué à leur ruyne, & decouuert
les secrets qui les pouuoient rendre criminels. Quelle apparence
qu’il se mette beaucoup en peine pour me conseruer, puis
qu’il s’est abandonné luy-mesme en abandonnant ceux qui le seruoient ?
Ainsi, voyla ton premier emplastre plus chetif que ceux
des charlatans du Pont-neuf, puis que le nom mesme n’en vaut
rien. Voyons le second s’il sera meilleur.

Gaz. Oüy, Monseigneur, il est meilleur, & infaillible, & d’autant
plus asseuré qu’il n’a iamais manqué de produire son effet,
quand il a esté bien appliqué, & qu’il est generalement approuué
de tout le monde, si ce n’est de V. E. C’est qu’il faudroit faire la
paix generale, & donner le repos à la Chrestienté, qu’elle souhaitte
il y a si long-temps. Ce remede est indubitable, & seul capable de
vous maintenir à la Cour, s’il y a lieu pour vous de demeurer en
France. Car encore que vous ne soyez, ny Roy, ny Regent, quelque
authorité que vous donniez à vostre ministere : L’on sçait bien

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pourtant, que c’est vous qui auez tousiours trauersé les moyens
pour y paruenir, & qui estes la seule cause qu’elle n’est pas faicte,
il y a plus de trois ans, au grand mal-heur de toute l’Europe. Et
outre l’interest general, (qui pourtant ne me touche pas beaucoup,
d’autant que pour vne gazette en temps de paix, i’en fais six en
temps de guerre, quand ce ne seroit que pour des defaites imaginaires,)
le mien particulier y est engagé par celuy de mon honneur,
que ie perdrois encor tous les iours, si ie ne l’auois tout perdu il
y a long-temps, par les insignes, mais detestables menteries dont
i’ay endormy le peuple, en disant que vous demandiez la paix, &
que l’Espagnol par son arrogance naturelle la refusoit : au lieu qu’il
la demandoit, comme il fait encore, auec des humiliations indignes
de sa grauité, & que c’est vous qui par vne tyrannie autant
sourcilleuse que Sicilienne, l’auez tousiours empeschée, & l’empecschez
encore. Vous sçauez bien, outre les gazettes qui m’auroient
fait rougir, si i’auois eu de la pudeur, & si ie n’estois plus
docte en effronterie qu’en Medecine, la querelle que i’ay euë à
demesler sur ce sujet, auec le gazetier de Cologne ? N’estoit-ce pas le
fort de son ataque, de dire que vous esloignez la paix ? & le prouuoit
si fortement, parce que c’est la verité, & quelle preuaut tousiours sur
le mensonge, que i’ay esté vn an & demy à chercher de nouuelles
menteries, pour mettre la reputation de vostre Eminence, & la
mienne à couuert, qui sont à present souz la presse, & verront
bien-tost le iour, & que ie datteray de mil six cens vingt-huict,
affin de mieux couurir mon jeu, & où ie suis contraint de renoncer
au mariage, & faire passer mes enfans pour bastards, en disant
que ie ne fais plus de gazettes : que pour ma race leur inuention
a commencé & finy en moy, & que ce n’est à present que
l’employ des Commis, quoy que ce soit mes enfans qui les composent
& les corrigent. Mais laissons mon interest à part : ne parlons
plus que du vostre. Le peuple n’en peut plus, vous le sçauez. La
guerre & vous l’ont épuisé, vous le sçauez encor mieux. Il ne respire
que la paix, vous n’en doutez pas. Vous estes seul cause qu’elle
n’est pas faicte, tout le monde le sçait aussi bien que nous deux.
Vous estes la haine du peuple, l’auersion des Magistrats, la risée
des Courtisans, & le jouët des Princes, vous le voyez. Voules-vous
vn remede à tous ces maux ? Dites le bon mot à la Reyne, sans fourbe
& sans equiuoque, qu’elle fasse la paix. Apres celuy-là n’en
cherchez point d’autre.

 

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Le Card. Si ce beau libelle dont tu parles, est celuy dont tu m’as
fait voir quelques fueilles, il seroit plus à propos de le supprimer,
que de le monstrer. Car sans doute tu fais qu’on nous prendra pour
des fols, puis que tes menteries ne furent iamais si impudentes,
ny si manifestes. De grace pour m’espargner, efface la page 98. auec
les huit ou neuf suiuantes, autrement tu me feras passer pour vn
Quinola. Il faudroit que l’Archiduc n’eust pas escrit, & témoigné
à tout le monde, comme il a fait, l’extreme desir que l’Espagnol
a de faire la paix, pour auoir encore l’effronterie de dire que ie
la defire, & que ie l’aye souhaitée par le passé. Il est plus expedient
de confesser la dete, & auoüer ingenuëment, que i’ay tousiours empesché
qu’elle n’ait esté concluë, parce que ie n’estois pas encore
assez puissant, ie n’auois pas assez de bien pour l’establissement que
ie pretends : & ie ne voyois point de suiet pour le grand amas
que i’ay fait, que de pescher en eau trouble, & souz le pretexte de
la guerre, mettre le peuple au pressoir, & rauir impunément les
finances de l’Estat. Mais a present, encore que ie sois tousiours
dans le mesme Esprit, plus alteré que iamais de ce peu de sang qui
reste au peuple ; & mortel ennemy de la paix, à cause qu’elle me
fermeroit la porte au pillage, & manifesteroit trop à découuert le
mistere qui me fait subsister auec tant d’esclat : il n’y a pas danger
de dire, que les trauerses que i’y ay apporté, n’ont esté que pour le
bien de l’Estat, & pour lequel mesme il faudroit eternellement
faire la guerre : Neantmoins, parce que les Princes, le Parlement,
& les peuples, ne connoissant pas leur bien, demandent la paix,
auec tant d’ardeur, comme ils la deuroient detester, que ie pourray
me resoudre à leur donner cette satisfaction, contre mon sentiment,
& mon propre interest, pourueu qu’ils changent d’inclination
pour moy, & qu’ils parlent de moy auec autant d’éloges
qu’ils faisoient pour auoir donné vn coup de chapeau deuant Cazal.
Voyla le plus court moyen, si aucun y en a, de faire ma paix
particuliere, & qui me touche bien plus que la generale, & le meilleur
seruice que tu me puisse rendre dans cette conioncture, & que
ie te demande si tu m’aymes.

Gaz. Monseigneur, aussi-tost que i’auray acheué quelques
fueilles qui me restent pour parer aux coups du Gazetier de Cologne,
ie trauailleray suiuant les sentiments de vostre Eminence,
& auec tant d’adresse qu’elle aura suiet de me croire son tres-humble
seruiteur.

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Le Card. Va, Renaudot, & que ie t’embrasse pour arres de la
recompense que tu dois esperer.

Gaz. Ainsi, Monseigneur, le Croissant vous estant plus propre
que la Tyare, puisse vostre Eminence deuenir bien-tost le Grand
Seigneur, i’espere qu’elle me fera son Grand Visir.

FIN.

TV vois par là, Lecteur, les fourbes & les intrigues abominables,
dont la passion, & l’interest se seruent pour l’execution
de leurs pernicieux desseins. Tu en vois tous les iours le succez
& la suitte. Prie Dieu qu’il l’arreste pour le bien de l’Eglise &
de l’Estat.

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Anonyme [1649], LA CONFERENCE DV CARDINAL MAZARIN AVEC LE GAZETIER, Iouxte la coppie Imprimée à Bruxelles. , françaisRéférence RIM : M0_742. Cote locale : C_1_19.