N. [signé] [1652], ADVIS IMPORTANT D’VN ABBÉ AV CARDINAL MAZARIN, SVR LE SVIET DE SA SORTIE hors du Royaume de France. , françaisRéférence RIM : M0_516. Cote locale : B_12_45.
Section précédent(e)

ADVIS
IMPORTANT
D’VN ABBÉ
AV
CARDINAL MAZARIN,

SVR LE SVIET DE SA SORTIE
hors du Royaume de France.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS PREVVERAY, ruë S. Iacques,
au Croissant d’argent, proche la Porte.

M. DC. LII.

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ADVIS IMPORTANT
D’VN ABBÉ
AV CARDINAL MAZARIN.

MONSEIGNEVR,

Si mes seruices passez vous ont tousiours fait cognoistre
la sincerité de mes intentions, il ne vous sera pas, ie m’asseure,
desagreable que ie vous addresse ce peu de voix qui
me reste pour vous descouurir les sentimens de mon ame
sur l’estat present des affaires. Ie dis ce qui me reste de
voix, puisque cette voix si forte autresfois à applaudir à
vos belles actions, si ardente à demander à Dieu vn heureux
succez de vostre Ministere, si fidele à vous deffendre
en vostre aduersité, n’est plus qu’vn foible souffle pour
vous crier dans la consternation publique, misericorde.
Et comment n’aurois-je point perdu la voix à vostre sujet,
puisque vous estes cause, MONSEIGNEVR, que tout est
perdu ? Ie sçais l’estime qui se doit faire de vos belles
actions ; ie n’ignore pas que vostre vertu ne soit aussi eminente
que vostre dignité, & l’on feroit tort au saint Siege
de dire qu’il auroit enté vn si beau fruit sur vn sauuageon,
ie soustiens pourtant ce que i’ay auancé : Vous estes, MONSEIGNEVR,

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la ruine publique ; il ne reste plus de voix à
la France que pour se plaindre, plus d’yeux que pour contempler
l’horreur de mille objets funestes, plus d’oreilles
que pour entendre le recit des meurtres, des pillages, des
incendies & des sacrileges, plus de cœur que pour souspirer
dans son oppression, & plus de raisonnement que pour
preuoir de plus grands maux. Si on demande qui a des-vni
les subjets d’auec le Roy ? c’est vostre Eminence : Qui a
troublé cette parfaite intelligence, & rompu cette estroite
liaison du Roy & de Monseigneur le Duc d’Orleans
son Oncle, si salutaire à l’Estat ? c’est vostre Eminence :
Qui a diuerty les armes de Monseigneur le Prince des terres
Estrangeres, où elles faisoient de si glorieux progrez à
l’Estat ? c’est vostre Eminence : Qui a causé tous les brigandages
& les meurtres qui tirent tous les iours tant de larmes
de nos yeux ? c’est vostre Eminence : C’est cette Eminence,
quoy que doüée de toutes les belles qualitez qui
sont requises en vn Ministre d’Estat, à la reserue du bonheur
si necessaire en cet employ ; Vous n’auez point manqué
à l’Estat, mais la fortune vous a manqué ; Vous l’auez
possedée durant plusieurs années, & depuis les deux ou
trois dernieres elle vous a eschapé des mains. Vous n’estes
pas le premier, MONSEIGNEVR, à qui cette inconstante
a fait part de ses faueurs, pour leur en leuer apres auec
plus de rigueur les pretieuses despoüilles de ses liberalitez ;
mais vous seriez le premier qui auroit entrepris de se
maintenir contre son gré, & qui auroit cherché de la consistence
& solidité en vne assiette si glissante. Disons plustost
pour parler Chrestiennement, que la main de Dieu
qui vous auoit placé dans cet Estat, vous en veut retirer
pour des fins incogneuës, mais qui seront sans doute glorieuses
à son nom, & vtiles à vostre Eminence : quelque
épineuse que soit vostre retraite ne doutez pas, MONSEIGNEVR,
que celuy qui vous l’ordonne n’en fasse
éclorre de pretieuses roses à couronner vostre obeissance.

 

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Que si vous adioustez à cette disposition de Dieu quelques
raisons Naturelles, Politiques & Chrestiennes que
i’ay à vous exposer, ie ne doute pas, MONSEIGNEVR,
que vous n’incliniez plus à vostre éloignement que vos
ennemis mesmes, & ne donniez à leurs desirs ce que vous
ne pouuez legitimement refuser à vos propres interests.

N’est-il pas vray, MONSEIGNEVR, que nous auons vne
certaine loy naturelle qui nous ordonne de conseruer nostre
vie, & pour cette conseruation de ceder à la necessité
du temps & des accidens, à la contrainte & violence qui
nous est faite ?

Vn vaisseau agité de l’orage sur la mer, quelque haste
qu’il ait de continuer son voyage, est contraint de ietter
l’ancre iusqu’à ce que la tempeste soit appaisée, autrement
s’exposeroit-il à vn manifeste danger de perir. Vn homme
seroit ridicule qui s’obstineroit à demeurer dans vne maison
menacée d’vne prochaine ruine ; Vn autre qui pouuant
éuiter le passage d’vne forest remplie de voleurs
mespriseroit l’aduis qu’on luy en donneroit, seroit-il à
plaindre s’il y trouuoit son tombeau ? Ne voyons nous pas
que les goutteux & les plus malades trouuent des jambes
& des forces pour se retirer de leur chambre lors que le
feu leur en fait craindre l’embrasement ? par cette loy naturelle
qui les porte à la conseruation de leur vie.

Ne vous souuenez-vous pas, MONSEIGNEVR, de
l’Arrest du Parlement de Paris donné contre vostre vie ?
N’entendez vous pas les parties funestes qui se font tous
les iours contre vostre teste ? Est ce donc que vous croyez
que la mort n’ose vous attaquer ? ou qu’vne somme si considerable
d’argent que vous portez sur vostre teste n’ait
point assez d’attraits pour exciter contre vostre personne
la main de quelque auenturier ? Ie lis qu’vn homme piqué
ridiculement du desir de transmettre son nom à la posterité,
se rendit incendiaire du plus beau Temple de la Gentilité.
Nous pleurons encore le meurtre presque tout recent

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de nos Princes du Sang & de nos Rois, entrepris par
des furieux, par vn faux & imaginaire principe du bien public ;
Ce que ceux-là ont entrepris auec vn si detestable
crime contre des testes si cheres & pretieuses, vostre Eminence
croit que cinquante mil escus & la gloire d’auoir
causé le repos public, ne le fera pas entreprendre contre
la vostre ? Dauid chargé de la teste de Goliath ne fut pas
receu auec plus d’applaudissement du peuple Iuif, que
vostre meurtrier sera du peuple de la France. Ce qui en
tout autre occasion meriteroit le gibet & les rouës, sera à
vostre égard recompensé comme vn acte signalé de force
& de Iustice : Et comme le coup de vostre mort passera
pour celuy du salut public, vostre assassin emportera le
mesme prix qu’ont accoustumé les Restaurateurs de la
Patrie. Voulez-vous attendre ce funeste euenement,
MONSEIGNEVR, la prudence ne vous ordonne-elle pas
plustost d’éuiter par vne volontaire retraitte, ce qui vous
est inéuitable dans la temeraire continuation de ce sejour ?

 

Heu fuge nate Dea, teque his tandem eripe telis.

Virg. 2.
Æneid.

Retirez vostre teste, MONSEIGNEVR, de la portée de
ces traits qui sont lancez contre vous, & par vostre immobilité
ne fournissez pas à vos ennemis le temps & la commodité
d’asseurer leur coup. Lors que le tonnerre gronde
& que par ses esclats il fait apprehender quelque funeste
accident, on a recours au son & au bruit pour dissiper la
nuë où est enfermée la vapeur. Vous n’estes pas moins apprehendé
en France que le tonnerre ; on vous regarde
comme vne noire vapeur qui trouble la serenité de cet
Estat ; ne vous écarterez vous point, MONSEIGNEVR,
au bruit de tant d’armes pour donner à ce Royaume le repos
& la tranquillité tant desirée ?

Si vous me dites que l’authorité du Roy vous doit estre
plus considerable que toute autre chose, & que pour la
conseruer vous deuez tout entreprendre, cela est vray de

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ce qui est possible, mais non de l’impossible, autrement ce
seroit presomption, & non pas generosité. Dieu nous ordonne
beaucoup de choses pour son seruice, dont il nous
dispense lors que nous sommes hors du pouuoir de les executer ;
& au lieu que ce seroit vn crime de n’y pas prester
la main quand nous le pouuons, l’entreprise en deuient
defectueuse & quelquefois criminelle, quand nous recognoissons
nostre impuissance. C’est pourquoy vn grand
Apostre nous ordonne de rendre à Dieu rationabile obsequium,
vn seruice qui soit conduit par prudence & ne degenere
pas en temerité. Vous auez trauaillé à conseruer &
accroistre l’authorité du Roy dans toute la durée de vostre
Ministere, vous vous estes maintenu mesme iusqu’à
present pour maintenir cette authorité, il ne vous a pas
esté impossible ; vous estes reuenu auec des forces capables
de vous faire chemin au trauers du Royaume, pour aller
rejoindre le Roy, cela a reüssi parce que vous en auez eu
le pouuoir, mais mesurez (Monseigneur) vos forces presentes
à l’estat present des affaires, & vous trouuerez que
le poids au soustien duquel vous prestez l’épaule est deuenu
excessif, & que desormais vostre resistance ne peut
estre que temeraire, & prejudiciable mesme à l’authorité
du Roy ; car si le succez que vous promettez à ses armes
ne respond pas à vos esperances, & que par vn malheur
que ie preuois inéuitable, vous tombez entre les mains de
vos ennemis, à quel point aurez-vous reduit cette authorité
du Roy, puis que sans respect de l’amour & de la protection
dont il vous honnore, vous vous verrez tirer de ses
mains pour passer en celles d’vne populace effrenée, &
estre immolé à la fureur publique.

 

Epist. ad
Tit. c. [illisible]

Ie dis plus, quand bien vous seriez assez fort pour resister
au torrent impetueux qui cherche à vous emporter,
le feriez-vous ? La prudence & cette loy naturelle qui
nous ordonne d’éuiter de deux maux le plus grand ne vous
le defendroit-elle pas ? Ie veux que vous ayez assez de forces

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pour resister aux attaques de vos ennemis, & vous
maintenir aupres du Roy, que tous les sieges des Villes
reüssissent selon vos souhaits, que toutes les batailles se
terminent à vostre gloire, mais ie vous demande (Monseigneur)
combien de sang cousteront ces succez ? Combien
de larmes & de gemissemens ? Combien ces victoires
seront-elles lamentables & funestes aux vainqueurs
mesme ? Vous vous seruirez du bras droit de la France
pour luy couper le gauche, vous la ferez triompher d’elle-mesme
& l’enrichirez de ses propres dépoüilles. Seriez-vous,
MONSEIGNEVR, assez amy du sang & du carnage
pour vouloir en cimenter vostre fermeté ? Ne vous seroit-il
pas plus honteux que glorieux d’auoir esleué vos
trophées sur le tas d’vn million de corps morts, & vous
estre fortifié par l’affoiblissement & desolation de tout le
Royaume ? Seroit-il iuste, MONSEIGNEVR, quoy que
vous valliez beaucoup, que le Roy vous acheptast si cherement ?
& que pour vous conseruer il se vit dépoüillé de
la plus belle partie de son Royaume ? C’est ce qui obligea
Messieurs le Duc d’Espernon & le Cardinal de Richelieu
de se retirer de la Cour, & de satisfaire aux desirs
de leurs Ennemis, qui poursuiuoient leur disgrace, ne
doutant point que leur resistance ne pouuoit estre que
funeste, ou à eux, ou à l’Estat. Ils cedent au temps, ils se
retirent au port, iusqu’à ce que l’orage soit passé, & dans
la necessité des plus vrgentes affaires prennent congé du
Roy leur Maistre, par ce principe qui leur fait preferer
les interests publics aux leurs particuliers, & le repos de
l’Estat à l’vtilité de leur Ministere. Iettez les yeux au contraire
sur le Florentin, & remarquez en sa déplorable
mort & en la fureur populaire exercée fur son cadavre, le
chastiment d’vne presomptueuse ambition & d’vne fausse
constance. Espargnez-vous, MONSEIGNEVR, vn semblable
traitement, épargnez au Roy les sanglante pertes
que vostre conseruation luy coustera, épargnez les inquietudes

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à son esprit, les trauaux à son corps, les Villes
& les Prouinces à son Estat, l’or & l’argent à son épargne,
& le sang à ses subiets. Les Medecins auoient ordonné à
vn grand Empereur, qui depuis fut le premier Chrestien
des Empereurs, vn bain de sang humain, qui estoit l’vnique
remede d’vne maladie dont il estoit trauaillé ? A Dieu
ne plaise, respondit ce grand Empereur, que i’achepte ma
santé si cherement, & au prix du sang de tant d’innocens
& des larmes de tant de meres. Lors que vous cherchez,
MONSEIGNEVR, vostre conseruation dans la guerre,
c’est la vouloir achepter bien cherement, puis qu’elle doit
couster le sang de tant d’hommes, les larmes de tant de
veufues & orphelins, & la desolation de tout le Royaume.
Ces raisons naturelles me donnent vn facile passage
aux Politiques, que ie vous supplie MONSEIGNEVR de
peser.

 

Vous estes entré dans le Ministere de cét Estat en vn
temps auquel il estoit tres-florissant ; & vous-vous exposez
tous les iours au danger & à la honte de le faire perir
par vne constance affectée & hors de saison.

Cette Ville sans égale qui fait le plus beau fleuron de la
Couronne du Roy, perd tous les iours cette splendeur
qui la rend admirable à toute l’Europe, & au lieu qu’elle
enuoyoit la guerre bien loin sur les terres estrangeres, elle
est deuenuë le theatre de la guerre & frontiere à ses habitans.

Entrez, MONSEIGNEVR, dans cette pensée, & ne
doutez pas que vous ne fassiez à vostre vie vne honteuse
tache, & ne donniez à l’Histoire sujet de vous reprocher
que la continuation de vostre sejour en France, luy a
produit vn tout autre effet que celuy que vous deuiez
pretendre, & que pretendoit la Sagesse de Dieu qui vous
y auoit placé pour vn temps. Il semble que l’Estat de la
France soit de la nature de cette riuiere des Indes, en laquelle
s’il vient à tomber vne paille, son cours auparauant

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tranquille se trouble & forme vne tempeste, qui
dure iusqu’à ce que ses flots en ayent poussé dehors la
cause.

 

Plin. hist
nat l. 1.

Vous estes, MONSEIGNEVR, le sujet des troubles qui
agitent la France, & des factions qui la déchirent auec
tant de desordre & de confusion, que nous ne discernons
presque plus le Souuerain & les Subjets. Les plus petits
veulent estre les Maistres, les plus Grands n’y retiennent
plus leur rang, & la Iustice qui est l’ame d’vn Estat, y est
impunément mesprisée. Vous estiez l’intelligence que
Dieu auoit preposée au gouuernement du Roy & de son
Estat, pour mouuoir ce Soleil de la France, & luy faire
jetter des rayons de gloire par toute la Terre, & nous le
voyons dés son leuer tombé en vne pitoyable éclipse,
& n’auoir qu’vne ombre de Royauté. Agrées MONSEIGNEVR,
que ie vous fasse au nom de tout le Royaume,
la mesme priere qu’vn Philosophe fit autrefois à vn
grand Roy : Retirez-vous de deuant nostre Soleil, c’est
vous seul qui nous en dérobez la veuë : il sera vniuersellement
chery & respecté si vous-vous en écartez pour
quelque temps.

Ie m’asseure, MONSEIGNEVR, que vous voulez estre
creu si attaché aux interests du Roy & de l’Estat, que c’est
le plus grand tort que vos Ennemis vous fassent de vous
décrier sur ce point. Ce seroit mesme vous faire injure
de douter que vous ne voulussiez pas exposer vostre vie
pour le salut de l’Estat, dont vous auez esté le premier
Ministre. Si à la journée de Lens, le bon-heur n’eust pas
accompagné l’admirable conduite & valeur de Monsieur
le Prince, & qu’vn sinistre succez eut causé le débordement
des Ennemis sur la France, vous n’auriez ie m’asseure
fait difficulté de vous presenter à l’opposite, si vous eussiez
creu estre en puissance de l’arrester. Ne vous a-on pas
veu il y a trois ans à la teste d’vne armée, & au siege d’vne
Ville pour la retirer des mains de ses injustes vsurpateurs,

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sans apprehension des armes estrangeres, fortifiées de celuy
qui commande aujourd’huy les vostres ? Qui eschauffa
vostre cœur à cette entreprise, sinon ce Principe, que
vous seriez indigne du Ministere que vous exerciez en
France, si au besoin vous ne vous exposiez pour son salut ?

 

Il ne s’agit pas aujourd’huy, MONSEIGNEVR, d’vne
petite ville, comme est Rhetel, mais de Paris & de tout le
Royaume, il est dans le penchant & à vn doigt de sa ruїne ;
& ce qui vous doit estre tres-considerable, est qu’à
vostre suiet il est prest d’estre enseuely sous ses ruines ; Ne
courerez-vous pas au secours de ce Royaume ? Ne presterez-vous
pas la main à cét Estat chancelant ? N’apporterez-vous
pas le remede qui seul reste pour la guerison de
cét agonisant ? Ce remede consiste en vostre retraitte, il
ne faut point exposer vostre vie, il ne faut point voler à la
teste d’vne Armée.

Que de gloire, MONSEIGNEVR, en vostre disgrace !
que de bon-heur en vostre mal-heur, si vous sçauez bien
le ménager, puis que vous seul estant cause de la ruyne de
cét Estat, vous pouuez seul & à peu de frais le releuer &
restablir en sa premiere splendeur. Vn Ministre d’Estat ne
cueille pas tout seul la gloire d’vn heureux gouuernement,
plusieurs la partagent auec luy, Quand il a formé
quelque beau dessein en son cabinet, vn General d’Armée
l’execute à la Campagne, & rarement vn mesme a-il la
gloire du dessein & de l’execution. Mais en cette affaire
MONSEIGNEVR, vous seul pouuez resoudre & vous
seul executer le grand coup du salut de la France. Cét
Estat vous aura tousiours obligation du seruice que vous
luy rendistes à Cazal, lors que les Armées Françoise &
Espagnole estoient prestes à se choquer. Le petit nombre
de nos combattans en comparaison des Estrangers, donnoit
fondement de coniecturer que le sang François y
deuoit estre versé abondamment : Cette coniecture eschauffa
vostre zele à espargner cette honte à la France,

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vous paroissez à la teste des deux Armées, & vous parlez
auec vne telle eloquence, que vous insinuez l’vnion &
l’amitié dans des cœurs qui ne respiroient auparauant que
le sang & le carnage. Vous auez auiourd’huy, MONSEIGNEVR,
vne plus illustre occasion de signaler vostre zele,
les Armées du Roy, & de Messieurs les Princes sont à
l’opposite & toutes prestes de se mesler, l’issuë n’en peut
estre que tres-funeste & lamentable, épargnez encore à
ce coup le sang de la France, par vn effet tout contraire :
Retirez-vous de la veuë de nos Guerriers, vostre esloignement
aura autant d’eloquence pour attiedir leur chaleur,
que vostre presence en eut aupres de Cazal pour
flechir les Espagnols.

 

Le Soleil s’écarte de nostre hemisphere six mois de l’Année,
& dans les six mois qu’il en est proche, il se couure
souuent de nuages, & nous experimentons qu’au lieu
que sa presence continuëlle reduiroit tout en cendres,
son esloignement cause vn doux temperament, & nous
communique de tres-benignes influences : Ie ne doute
point, MONSEIGNEVR, que vostre sejour en France,
& vostre Ministere n’ait esté fort vtile durant quelque
temps à cét Estat ; mais sa continuation ne luy peut estre
desormais que tres-funeste : C’en est fait, si par vostre
éloignement vous ne temperez l’ardeur des esprits qui
s’eschauffent tous les iours de plus en plus à vostre ruine
& à celle de l’Estat. Vous pouuez de loin plus auantageusement
que de prés effectuer les sinceres intentions & les
hauts desseins qu’il est croyable que vous auez tousiours
eûs pour le bien de cét Estat ; & vous auez cét auantage
sur tous les plus grands Ministres qui vous y ont precedé,
qu’au lieu que leur presence, leurs trauaux, & leurs veilles
ont esté necessaires pour en empescher tous les mouuemens
& les troubles, vous les appaiserez si vous voulez
par vostre absence & repos.

Que si MONSEIGNEVR, vous adioustez à ces raisons

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de nature & d’Estat, quelques considerations Chrestiennes,
vous-vous resoudrez bien-tost à vostre depart.
Taisez-vous icy, Politique, qui auez coustume
dans le gouuernement des Estats de tirer le rideau pour
dérober la veuë des maximes Chrestiennes, c’est icy,
& en ce temps plus que iamais, qu’elles doiuent auoir
lieu. Ie parle à celuy qui est place entre les deux premiers
Throsnes de la Terre, le Saint-Siege & le Thrône
du Roy Tres-Chrestien, il joint l’vn par sa dignité,
l’autre par son Ministere ; mais l’vn & l’autre luy doit imprimer
des sentimens Chrestiens, la teinture de sa pourpre
luy marque celle du Christianisme, qu’il doit porter
en l’ame, & l’honneur qu’il a eu d’estre Parrain du
Roy Tres-Chrestien, ne luy permet pas auprés de luy
l’vsage d’autre maxime que Chrestienne.

 

Ie reuiens à vous, MONSEIGNEVR, pour vous dire
que ie vous vois desormais en cette necessité de quitter
ou le sejour de la France, ou le nom de Chrestien. Iettez,
s’il vous plaist, les yeux sur les crimes que vostre
retour y a causez depuis quatre ou cinq mois : Cette
longue Armée que vous traisniez pour vostre escorte,
estoit comme vne funeste Comete qui nous prognostiquoit
tous les mal-heurs & les débordemens de vices
qui ont depuis innondé tout le Royaume. De toutes
ces Armées qui ont couuert toute la France, les vnes
pour vous conseruer, les autres pour vous destruire,
n’est-il pas vray que les vnes & les autres n’ont presque
seruy qu’à fortifier le crime & le mener comme en
triomphe, n’ayant rien fait de plus signalé que de respandre
par tout le pillage, le meurtre, le violement, &
le sacrilege ?

Doutez-vous, MONSEIGNEVR, que vous, comme
l’vnique sujet de toutes ces leuées, ne soyez aussi la cause
de ces desordres, & par consequent responsable au
Tribunal de Dieu de tant de crimes ? Ie ne vois rien qui

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vous en puisse iustifier, vous les pouuez empescher par
l’esloignement de leur Principe. L’armement de Messieurs
les Princes ne regarde que vous, ils ont engagé
publiquement leur foy & leur parole, de mettre bas les
armes, lors que vous aurez vuidé du Royaume ; & puisque
vous n’auez connoissance de quelque autre dessein
secret qu’ils ayent, n’estes-vous pas obligé de vous attacher
à leur parole, & de croire que vous estes l’vnique
sujet de la guerre, & non pas le pretexte ? Où recourerez-vous
donc, MONSEIGNEVR, pour vous descharger
auprés de Dieu de tant d’horreurs ? Sera-ce à l’authorité
du Roy ? Ha, MONSEIGNEVR ! voudriez-vous
l’appuyer sur les crimes & sur les ruines de l’authorité de
Dieu ? Ne seroit-ce pas peruertir l’ordre de faire seruir la
diuine à l’humaine, puisque celle-cy est vne émanation
de celle-là, dont elle tire toute sa force & solidité ?

 

Vous obstinerez-vous donc à perpetuer auec la guerre,
le cours des funestes sujets qui allument la colere de
Dieu contre vous, & sont à la France vne source de miseres ?
où s’il plaist à Dieu de chastier ce Royaume, n’est-ce
pas vne chose estonnante qu’vn Prince de l’Eglise,
orné de la pourpre Romaine serue à Dieu de fleau, &
passe dans toute la Chrestienté pour vn Attila ? Ce Prince
Gentil pour establir son authorité dans l’Italie, traina
vne puissante Armée qui se faisoit iour par tout ; il en
vouloit particulierement à Rome, où il desseignoit de
placer son Throsne, la terreur de ses armes & ses conquestes
precedentes luy donnoient vne certaine asseurance
de s’en rendre aisément le Maistre. Il y voloit lors
qu’vn grand Pape accompagné du sacré College de ses
Cardinaux, luy alla au deuant, & par vne graue & genereuse
Remonstrance l’obligea de se retirer. Auriez-vous,
MONSEIGNEVR, plus d’obstination qu’Attila ?
Faut-il r’appeller du tombeau le Pape S. Leon, pour
vous persuader la retraitte ? les maux que vous causez en

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France ne sont-ils pas vn motif assez puissant pour vous
y faire entendre ?

 

Baronius,
Annal. II.

Ie lis en l’Histoire prophane qu’vn Payen se precipita
dans vn gouffre & perit volontairement pour fléchir les
Dieux par sa mort, & destourner de sa Patrie les esclats
de leur colere, & vous refuserez de faire vn pas pour arrester
le cours de tant de crimes & de la colere de Dieu.

Ie lis en la Sacrée, qu’vn Prophete se jetta dans la mer
pour en appaiser l’orage, dont il se croyoit le sujet, &
donner par sa retraite vn heureux cours à son vaisseau,
ce qui arriua ; mais Dieu recompensa le zele & la pieté
de ce Prophere, le tirant au bout de trois jours du ventre
d’vne Baleine, & du fond des abysmes, pour le rendre
Predicateur de son saint Nom dans la plus grande Ville
du monde. Que le vaisseau de nostre France, MONSEIGNEVR,
dont vous auez tenu le gouuernail, soit agité à
vostre sujet, vous ne l’ignorez pas : Il n’est pas necessaire
pour calmer ses tempestes de vous precipiter dans les
abysmes, il suffit de vous retirer à l’aise de nostre vaisseau,
& ne doutez pas que Dieu ne couronne vostre modestie,
& ne vous fasse peut-estre arriuer par cette route qu’il
vous trace au terme inesperé d’vne Souueraine grandeur.

Mais, MONSEIGNEVR, l’exemple qui me reste à vous
produire, aura ie m’asseure tant de force à vous insinuer la
retraite, qu’à moins de renoncer au Christianisme, vous ne
pourrez vous en deffendre. Mettez bas encore vn coup les
maximes Politiques, pour donner vne plus libre entrée
aux Chrestiennes. Ie vous produis l’exemple du premier
Ministre de l’Estat du Ciel, qui estant Roy par son origine
eternelle & temporelle, fut aussi par droit preposé de
Dieu au gouuernement de son Estat. Iamais Ministre ne
porta si haut l’authorité de son Roy, que celuy dont ie
parle, & toutefois il n’y eut iamais de gouuernement si
doux que le sien. Il faisoit tout donner à Dieu sans exaction

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toutefois, sans concussion & violence. La Pieté
estoit l’ame de l’Estat sous ce Ministre, la Iustice y estoit
en regne, & la Paix si fortement establie, qu’il deffendoit
les moindres inimitiez & vengeances. Il donnoit la Loy
à la Mer, dont il reprimoit les flots & calmoit les tempestes
au besoin : Toute la Nature rouloit sous ses volontez :
sa Puissance s’estendoit mesme iusques aux Enfers, où il
estoit si redouté qu’vne de ses paroles faisoit trembler les
ennemis du Nom de Dieu.

 

Apres auoir rendu l’Estat qu’il gouuernoit si florissant,
& fait de son Siecle vn Siecle de felicité, son Peuple sur
qui il auoit déployé les thresors de ses bontez & de ses
merueilles cherche à le perdre : il ne se roidit point au
contraire par les vengeances : Il trauaille par les voyes les
plus douces à le ramener à son deuoir ; plus son cœur s’eschaufe
à leur amour, plus le leur s’enuenime contre luy ; ils
le poursuiuent à mort, quoy qu’innocent, ils corrompent
vn des siens pour le leur liurer : quoy qu’il n’ignore pas
ce qui se passe, on ne le voit point se premunir contre les
attaques de ses ennemis ; il ne s’agit pas de quiter le païs
pour le contenter, mais aussi la vie qu’il se resout de donner
à son Peuple, pour appaiser les troubles, dont il est
l’innocent sujet, & procurer par sa mort la paix & le repos
à sa Patrie. Ce qu’il fait si volontairement qu’il va au
deuant de ses meurtriers, quoy qu’il puisse s’exempter de
tomber entre leurs mains, il ne se rend point inuisible à
leurs yeux, comme quelque temps auparauant quand ils le
voulurent couronner Roy, il n’employe point la puissance
de la Nature & les secrets de l’art, pour eschapper de
leurs mains, vne seule parole le peut affranchir des supplices
qu’on luy prepare : En vn mot, si vous en croyez vn
des siens, le sacrifice de cette innocente victime est si volontaire
qu’il presente luy-mesme la gorge au cousteau.

Si vous pesez, MONSEIGNEVR, la rigueur de cette
rettaitte, vous ne trouuerez point d’amertume en la vostre ;

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le plus sage des Politiques, le plus innocent de tous
les gens de bien, le plus glorieux de tous les gens d’honneur,
le plus puissant de tous les Roys, cede non pas à la
necessité, car il luy est tres-aisé de s’en affranchir ; mais au
desir d’vn peuple mutiné & furieux, & consent à sortir de
leur païs, par la porte de tous les opprobres & supplices
imaginables.

 

Ie suis bien esloigné de vouloir vous persuader vne retraite
espineuse ; celle que ie vous demande auec toute la
France est pleine de douceur, & accompagnée de toute
sorte de commoditez, elle ne vous coustera pas vn cheueu
de vostre teste, elle vous produira la paix & le repos aussi
bien qu’à l’Estat, & au lieu de ce coup de honte & de deshonneur
que vous en apprehendez, elle vous sera sans
doute vne source de gloire en cet âge, & à la posterité.

Que si vostre genereux esprit ne se veut rendre à la contrainte
que les armes des deux tiers de la France ont commencé
& continuëront tousiours de vous en faire, rendez
vous aux raisons que ie vous ay exposées, & à celles que
vostre bon Genie vous peut inspirer, mais sur tout rendez
vous à l’exemple que ie viens de vous produire.

Ie veux que nostre France n’ait eu aucun sujet d’esclater
en haine & en fureur contre vous, comme elle a fait depuis
deux ans, l’alienation des cœurs suffit à vous faire
quitter l’amour d’vn païs qui n’en a point pour vous. Vous
auez affaire à vn peuple tres-jaloux de sa liberté, & qui
porte la franchise iusques en son nom ; plustost donneriez
vous vn frein aux flots de l’Ocean qu’aux cœurs des François,
& si en toute autre occasion ils sont incapables de
contrainte, ie vois cette disposition en la pluspart de n’en
receuoir aucune à vous souffrir : les armes peuuent bien
porter la terreur dans les cœurs, non l’amour, toutes les
autres passions sont esclaues, mais l’amour est vne Reine
qui ne peut estre forcée, Dieu mesme ne veut & ne peut
la contraindre, il plie tous les jours sous la trempe de nos

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cœurs, il en quitte le sejour à leur moindre volonté, & c’est
assez de luy dire, Retirez vous de nous, pour l’en écarter.

 

N’entreprenez pas plus que Dieu, MONSEIGNEVR,
suiuez la pante du cœur de nos François, permettez vn libre
cours à ce torrent que vous ne pouuez arrester, & faites
genereusement & de vous mesme ce à quoy vous vous
voyez tous les iours contraindre.

Reiettez les flatteries & vaines esperances de ceux qui
vous impriment les maximes d’vne si detestable constance,
& que ce phantosme de l’authorité Royale ne vous attache
plus à vn sejour qui la destruit. Pesez dans le cabinet
de vostre cœur & en presence de Dieu qui doit estre vostre
luge, les biens & les maux de vostre retraitte, & vous
trouuerez que vos propres interests, ceux du Roy & de
l’Estat, & ceux de Dieu mesme vous y obligent.

Souuenez-vous que vous deuez conter chaque heure
comme vostre derniere : Pourquoy donc tousiours exposer
vne teste que le Ciel destine peut-estre à la Thiare ?
pourquoy laisser tousiours dans la fange & le mépris d’vne
populace, vn nom que Dieu veut peut-estre éleuer sur
le Throsne ? Pourquoy voir tousiours deschirer par les plus
petits vne pourpre qui doit imprimer le respect aux plus
grands ?

Que si vostre conseruation particuliere ne vous échauffe
point à la retraitte, vous la deuez, MONSEIGNEVR,
à ceux qui ont l’honneur de vous appartenir ; Espargnez
l’innocence de vos Niepces, & ne continuez plus à les enuelopper
dans vostre mal-heur. Monsieur Mancini vostre
Nepueu, dont les belles qualitez luy faisoient meriter
vne plus longue vie, a esté vne des victimes qui ont esté
immolées à vostre fausse constance, & n’est-il pas vray que
si vos ennemis ont jusqu’à present espargné vostre pretieuse
teste ils vous ont frappé au cœur vous enleuant vn
Nepueu si cher & si accomply ?

Vous la deuez au Roy dont l’Estat se partage à vostre

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sujet en tant de factions, & trouuera dans vostre esloignement
sa paix & son repos. Vous la deuez à son authorité,
puis qu’il est moins glorieux au Roy de vous auoir à ses
costez que de voir à ses pieds Messieurs les Princes de son
Sang, & toute la France.

 

Vous la deuez aux peuples parmy lesquels tant d’innocents
souspirent sous le poids de leurs miseres, estant en
vostre pouuoir de tarir par vostre esloignement leurs souffrances
comme vostre presence en est la source. Que si vn iour,
MONSEIGNEVR, vous arriuiez à la Souueraine dignité
comme vostre pourpre vous en donne le passedroit,
vous auriez regret d’auoir esté autrefois le Loup d’vn
Troupeau, dont vous seriez deuenu le Pasteur, & d’auoir
déchiré vne Famille, dont le Ciel vous auroit estably le
Pere.

Enfin vous la deuez à Dieu, de qui tant de crimes que
la guerre nourrit, allument le courroux contre vostre
teste, qui en sera responsable à son Tribunal, puis qu’il
vous est tres-aisé de les empescher.

I’espere, MONSEIGNEVR, que toutes ces raisons auront
assez de poids pour faire impression sur vostre esprit ;
& que suiuant la pante qu’elles vous donneront, vous de
vostre part me donnerez sujet de me dire hautement &
sans crainte,

MONSEIGNEVR,

DE VOSTRE EMINENCE

De la plus desolée Ville,
jour du mal-heur public,
& veille de plus grands
maux.

Le tres-humble & obeïssant
seruiteur, N.

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N. [signé] [1652], ADVIS IMPORTANT D’VN ABBÉ AV CARDINAL MAZARIN, SVR LE SVIET DE SA SORTIE hors du Royaume de France. , françaisRéférence RIM : M0_516. Cote locale : B_12_45.