La Mothe-Houdancourt (Henri de) [?] [1649], SECOND FACTVM, OV DEFENSES DE MESSIRE PHILIPPES DE LA MOTHE-HOVDANCOVRT DVC DE CARDONNE, & Mareschal de France, CY-DEVANT VICE-ROY ET CAPITAINE General en Catalogne. Auec plusieurs Requestes, Arrests, & autres Actes sur ce interuenus, tant au Conseil, qu’ailleurs. , français, italienRéférence RIM : M0_2849. Cote locale : A_4_5.
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SECOND FACTVM,
OV
DEFENSES
DE MESSIRE
PHILIPPES
DE LA
MOTHE-HOVDANCOVRT
DVC DE CARDONNE,
& Mareschal de France,
CY-DEVANT VICE-ROY ET CAPITAINE
General en Catalogne.

Auec plusieurs Requestes, Arrests, & autres Actes sur ce
interuenus, tant au Conseil, qu’ailleurs.

A PARIS,
Chez LOVIS SEVESTRE, ruë du Meurier,
prés sainct Nicolas du Chardonnet.

M. DC. XLIX.

Auec Permission & Priuilege.

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SECOND FACTVM,
POVR Messire Philippes de la Mothe Houdancourt,
Duc de Cardonne, Mareschal
de France, & cy-deuant Vice-Roy,
& Capitaine General de Catalogne :
CONTRE
Monsieur le Procureur General du Roy
au Parlement de Grenoble.

SELON le Droict, les Iuges sont obligez
de considerer auant toutes choses, les
actions passées d’vn Soldat accusé ; l. non
omnes, cad. §. à Barbaris, ff. de remilitari.

C’est pourquoy les amis de Monsieur le
Mareschal de la Mothe, apres auoir leu le
Factum qui prouuoit la iustice de son Declinatoire ;
& auant que son Conseil publie celuy de ses Iustifications,
ont estimé prealablement deuoir par vn Autre representer
ses Seruices : qui est la plus fauorable & respectueuse
deffense que puisse auoir vn Subject, pour adoucir & flechir
son Prince irrité.

C’estoit par ce moyen, que dans l’Escriture Saincte Ionathas
vouloit persuader au Roy Saül son pere, de ne poursuiure plus
son amy Dauid, Opera eius bona sunt tibi valde, & percussit Philisthæum.
Tous les grands hommes entrepris & disgraciez, tant
dans l’Eglise que dans le Monde, se sont seruis de cette procedure
en semblables occurrences aupres des Rois ou de leurs
Iuges.

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Lors que les Euesques du Patriarchat d’Alexandrie voulurent
entreprendre la protection de S. Athanase deuant l’Empereur
Constantin, & depuis au Concile de Sardique ; ils reprerenterent
les grands & signalez seruices que ce S. Prelat auoit
fait à l’Eglise, & les soins qu’il auoit pris pour sa deffense, en
soustenant la Diuinité de Iesus-Christ contre les Arriens Choses
qui furent tellement considerées par le Pape Iules premier,
& par ledit Concile, qu’il fut absous de toutes les calomnies
qu’on luy supposoit. Le Pape S. Innocent escriuant à l’Empereur
Arcadius en faueur de S. Chrysostome, qui s’estoit addressé
à luy dans son affliction, pour toucher le cœur de ce
Prince : Il luy represente les qualitez de sa personne, son merite,
& la perte que faisoit l’Eglise de la lumiere d’vn si grand
homme. Comme aussi Theodoret Euesque de Cyr, ayant esté
depossedé par les menées de Theodose Empereur, & du deuxiéme
Concile d’Ephese, eut recours au Pape Leon : Escriuant
à René Prestre Romain, afin qu’il s’employast vers Sa Sainteté,
pour obtenir d’elle vn Iugement fauorable : en luy representant
qu’on n’auoit pas consideré en sa personne les cheueux
gris qu’il auoit acquis dans l’Eglise, & les seruices qu’il y
auoit rendu. A quoy ce S. Pape ayant égard, il fut restably en
ses honneurs & dignitez ; ainsi qu’il se void dans les Actes du
Concile de Calcedoine.

Depuis peu, le Marquis de Leganez s’est vtilement seruy de
cette procedure. Car apres auoir perdu la Bataille de Lerida
contre M. le Mareschal de la Mothe, le Roy Catholique fasché
de la ruine & dissipation de la plus puissante Armée qu’il eust
encore euë dans l’Espagne, le fit arrester prisonnier à Consuegra :
Mais cette disgrace estant arriuée plustost par la fortune
de la guerre, & la diuision des Chefs Espagnols, que par la faute
de ce General, ses ennemis supposerent qu’il auoit mal administré
les Finances du Roy. Accusation inuẽtée, qui obligea
ce fameux Capitaine à s’en iustifier par vn Factum Apologetique,
qui a esté imprimé & publié par toute l’Europe ; dans
lequel, auec ses autres Iustifications, sont representez les seruices,
tant Militaires que Politiques qu’il a rendus à la Couronne
d’Espagne, depuis son enfance iusques à sa vieillesse ;

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les guerres qu’il a faites en la Valtoline & aux Grisons contre
les François, les Batailles de Centio & Tornauente, les prises
des villes de Verceil, de Breme & de Trin, & d’autres places
du Piedmont & du Parmesan. Il prend mesme part en la Victoire
que le Roy de Hongrie & le Cardinal Infant emporterent
à Nortlinguen. Il allegue dans la marge de son Factum les
authoritez des Theologiens, Iuriscõsultes & autres Autheurs,
qui tiennent que les Princes & Iuges doiuent faire reflexion
sur la vie des personnes affligées. De sorte, que Sa Majesté Catholique
persuadée de tant de raisons, luy rendit sa liberté sans
autre formalité de Iustice, & le renuoya commander ses Armées
dans la Catalogne.

 

Et comme l’humeur Castillane ne manque iamais à prendre
des comparaisons sur les plus notables exemples de l’Histoire,
le Marquis de Leganez s’applique celle de Scipion l’Africain,
qui peut seruir à Monsieur le Mareschal de la Mothe. Ce
grand homme, que l’Antiquité represente comme le Parangon
de la Vertu Romaine, fut aussi accusé par les Tribuns du Peuple,
d’auoir en la guerre d’Antiochus diuerty quelques deniers
appartenans à la Republique. Iussus dicere causam, rapporte Tite
Liue en sa 4. Decade liure 8. Sine vlla criminum mentione, Orationem
magnificam de rebus à se gestis est exorsus. Cette plaidoirie
n’ayant esté concluë le premier iour, à cause des Repliques &
Dupliques des Tribuns, & la cause ayant esté remise au lendemain,
cét Illustre Innocent y comparut derechef : mais ennuyé
de telles chicaneries, il ne dit autre chose, sinon ; Messieurs, il
me souuient qu’a tel iour qu’auiourd’huy ie deffis dans l’Afrique Hannibal
en bataille rangée, de sorte qu’en lieu d’employer vne si heureuse
Iournée dans l’altercation du Procez qu’on me fait : Ie suis obligé
d’aller au Capitole en rendre graces à Iupiter, Estimant (Messieurs)
que vous m’y deuez suiure, pour prier les Dieux qu’ils vous donnent
tousiours des Capitaines faits comme moy. Paroles qui toucherent
tant ce genereux Peuple, qui estoit son Iuge, sans vouloir
ouyr dauantage ses Iustifications, ny entendre ses Accusateurs,
il s’en alla auec luy faire des sacrifices. Et l’Historien
remarque, que cette iournée de Iustification fut autant
glorieuse à Scipion, que celle où il entra dans Rome triomphant

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des Puissances de Siphax & de Carthage.

 

Les Seruices de Monsieur le Mareschal de la Mothe ne sont
point si petits, qu’ils ne soient de quelques poids, & considerables
dans le Iugement de son affaire. Il a l’accusation commune
auec ce vertueux Romain, & leur fortune est semblable en ce
poinct, qu’ils ont tout deux principalement fait la guerre dans
le propre pays des Peuples qui estoient les principaux ennemis
de leur Patrie. Car comme Scipion a cela de particulier entre
tous les Capitaines Romains, qu’il a dans l’Afrique mesme
vengé Rome des affronts que luy auoient fait les Carthaginois
dans l’Italie : Ainsi on peut dire sans vanité, qu’auparauant
l’employ de Monsieur le Mareschal de la Mothe en Catalogne
aucun François n’auoit comme luy mal-traité l’Espagnol dans
les entrailles de l’Espagne : & depuis deux siecles que nous sommes
en guerres presque continuelles auec cette Ialouse & Riuale
Nation, iamais la France n’auoit veu sortir d’Espagne
tant de Castillans naturels prisonniers, que ceux que luy a enuoyé
ledit Sieur Mareschal en suitte de ses Victoires.

On peut à sa recommandation adjouster vne remarque historiqne,
que depuis Charlemagne aucun autre n’a plus long-temps
commandé les Armées Françoises delà les Pyrenées.
Ce puissant Monarque fit plusieurs voyages en Espagne contre
les Sarrazins, auec differens succez. Depuis son regne, pendant
cinq cens ans, les François y ont fait peu d’entreprises ; si
ce n’est lors que le zele & la pieté les portoit à y fonder des
ordres militaires, à faire des Croisades, & enuoyer des secours
contre les Maures. Il est vray que pendant ces guerres Chrestiennes,
Innic de Bigorre & Henry de Bourgongne jetterent
les fondemens des Royaumes de Nauarre, d’Arragon, & de
Portugal, mais ce fut par conquestes sur les infideles, & non
sur les Indalgos.

Et comme si les destinées eussent voulu reseruer les guerres
des deux Natiõs en ces derniers siecles, nos Rois ont abandõné
durant ces temps tout ce qu’ils auoient de ce costé-là : Charles
le Chauue dans la prodigue distribution des Prouinces de son
Estat, fit aussi vn Comté de Barcelõne, par la succession duquel
les Rois d’Arragon pretendent la Catalogne, dont la Souueraineté

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qui deuoit estre inalienable, fut encore depuis abandõnée
par S. Louys, qui ne l’a pû faire contre les loix fondamentales
de France. Mais ce bon Prince auoit si grande apprehension
de troubler le nouueau Christianisme d’Espagne par des guerres
ciuiles, qu’il ne voulut pas mesme contester le Royaume de
Castille, qui luy appartenoit legitimement par la succession de
la Reyne Blanche sa mere.

 

Il y a eu quelques Princes François qui ont possedé le Royaume
de Nauarre au delà des Pyrenées, comme les Comtes de
Champagne, & apres eux quatre de nos Roys, puis les Maisons
d’Evreux, de Foix, d’Albret & de Bourbon, mais tous ces Princes
ont eu des guerres de peu de durée contre leurs voisins. Le
Connestable du Guesclain donna deux Batailles en Espagne,
dont il perdit l’vne & gagna l’autre, & encore fit-il ces actions
plustost comme auxiliaire, que pour l’honneur ou augmentation
de la France.

L’Antipathie & la haine des deux Natiõs qu’on voit auiourd’huy
si enracinée, commença par les Vespres Siciliẽnes ; action
la plus barbare & desnaturée qui ait iamais esté faite entre les
Chrestiens, & de laquelle Pierre Roy d’Arragon fut autheur :
Afin de vanger cét outrage fait aux François, le Roy Philippes
le Hardy passa en Espagne : & sans la mort, il eust poussé bien
auant ses conquestes, apres que ce cruel Roy d’Arragon eust
esté tué dans vne ambuscade qu’il auoit dressée au Cõnestable
Raoul de Clermont.

Depuis le deceds de ces deux Roys, la querelle repassa d’Espagne
en Sicile & à Naples, où elle se demesla pendant presque
deux cens ans entre les Princes des familles d’Anjou &
d’Arragon, sur la fin desquels Matthieu Comte de Foix poursuiuant
les droits de sa femme, entra dans la Catalogne auec
vne armée Françoise ; d’où il fut contraint de se retier. Et peu
apres les Catalans éleurent Comte de Barcelonne son nepveu
René Roy de Sicile ; mais le Roy Louys XI. par vne bizarre
Politique, secourut l’Arragonnois contre ce Prince qui estoit
de son sang ; & lequel neantmoins eust depuis la bonté de le
faire son heritier, tant de la Prouence que de ses pretentions
de Sicile, de Naples & de Catalogne, qui furent les premiers

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pretextes des guerres suiuantes.

 

Mais apres que le mariage de Ferdinand & d’Isabelleeut vny
les Royaumes de Castille & d’Arragon, conquis celuy de Grenade,
& vsurpé la Nauarre : les pretentiõs des Maisons d’Anjou
& d’Arragon deuinrent l’interest des deux Nations : & là commença
la jalousie des deux Couronnes, qui a du depuis diuisé
l’Europe Chrestienne en deux Partis. Alors l’Espagne, qui auparauant
auoit esté le joüet des peuples estrangers, Gaulois,
Carthaginois, Romains, Vandales, Alains, Gots, des Sarrasins
& des Maures, voulut aussi à son tour dominer les autres. Ses
Roys auec les noms des Catholiques pretendirent à la Monarchie
vniuerselle, en iettant des armées dans toutes les quatres
parties du monde : Il y a peu de pays & de Royaumes en la
Chrestienté ausquels ils n’ayent impunémẽt fait la guerre, sans
qu’aucun ait eu le moyen de leur faire pratiquer la Loy du Talion
dans l’Espagne. Car ce qu’à fait l’Angleterre à Calis, & les
descentes que les Holandois y ont souuent faites, ressemblent
plustost à des courses Pyratiques qu’à des guerres formées.

La France mesme, quoy que le plus puissant Royaume de
l’Europe, & qui a dauantage empesché les desseins d’Espagne, a
esté aussi plus tourmentée chez soy des Castillans qu’aucun des
autres : sans que dans vne si longue suitte d’années elle ait pû
trouuer l’occasion de s’en reuancher dans l’Espagne, iusques au
feu Roy Louys XIII. de tres-heureuse & triomphante memoire,
nos Roys precedens n’y ayans pû paruenir. D’autant qu’apres
que le Roy Charles VIII. eut si legerement abandonné le
Roussillon, sa principale occupation, & celle du Roy Louys
XII son successeur, fut aux guerres d’Italie. Sous François I.
les entreprises de Monsieur d’Asparaut en Nauarre, de l’Admiral
Bonniuet en Biscaye, & de Monseigneur le Dauphin en
Roussillon, passerent comme feu de paille. Pendant le regne
d’Henry II. & de ses trois enfans, la France fut inquietée iusques
à ce point, d’auoir veu vne garnison Castillane dans Paris,
sans qu’elle luy ait pû rendre la pareille. Henry le Grand ne le
voulut pas faire comme il pouuoit, se contentant de contraindre
l’Espagne à rendre & restituer les Places qu’elle auoit vsurpé
en France pendant nos Guerres ciuiles.

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Finalement, le feu Roy ayant estably la paix dans son Royaume,
a eu le bon-heur de venger tant d’affronts impunément
faits aux Rois ses predecesseurs. Il commença par quelques
tentatiues des costez de Biscaye, Salses & Laredo. Depuis la
sage conduitte de feu son. Eminence ayant causé les Reuolutions
arriuées en Catalogne & en Portugal, la France eut
moyen de penetrer plus auant. Sa Majesté pendant son Regne
s’est principalement seruie au delà des Pyrenées de Monsieur le
Mareschal de la Mothe. Car pour Monsieur d’Espenan il ne fit
qu’y entrer & en sortir, le Marquis de Los Velez par le Traité
de la reddition de Terragonne, l’ayant obligé de ne porter plus
les armes en Espagne contre Sa Majesté Catholique.

Par ce recit abregé, on void comme la proposition historique
auancée est dans la verité de l’Histoire : que depuis Charlemagne,
personne n’auoit si continuellement, ny pendant vn si lõg
temps, commandé les armées Françoises dans l’Espagne, que
Monsieur le Mareschal de la Mothe. Il a demeuré quatre années
entieres sans auoir fait aucun voyage à la Cour, comme font les
autres Generaux d’armées. Il y a opiniastrement fait la guerre : Il
y a gagné des Batailles, dissipé & ruiné sept armées Castillanes,
assiegé & pris des Villes, fait leuer nombre de Sieges aux ennemis ;
& y a eu, quoy qu’auec differens succez, tant de combats,
que iusques alors l’Espagnol ne s’estoit point veu chez luy si
bien attaqué. Le feu Roy, dans les Prouisions de Mareschal de
France, luy fait l’honneur d’vser de ces termes, à propos de la
victoire de Ville-franche, En sorte qu’il n’y a personne qui ne iuge
combien ce coup êbranle les affaires d’Espagne, & affermit le bon estat
des nostres. Choses qui obligerent enfin le Roy Catholique d’agir
luy-mesme, & de marcher en personne pour la deffense de
ses Royaumes, en sortant de Madrid, d’où luy & les deux Rois
ses predecesseurs, auoient depuis quatre-vingts ans sans bouger
de leur cabinet troublé toute la terre.

Les amis de Monsieur le Mareschal de la Mothe sont contrains
de releuer ses actions, puis qu’ils ne les estallent pas pour
en tirer vanité ; mais pour éuiter le perilde ses accusations, & y
trouuer la seureté de sa Personne. En pareils accidens la Philosophie
permet aux Sages de se loüer eux-mesmes. Plutarque

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l’enseigne ainsi dans ses Morales : & Tite-Liue en rapporte cette
raison, parlant de la fauorable audience que baillerent les
Romains aux loüanges que se donnoit Scipion : Aurium fastidium
aberat, quia pro periculo, non in gloriam, referabantur.

 

Monsieur le Mareschal de la Mothe est venu aux dignitez
qu’il possede, par tous les degrez où l’espée fait monter vn
Gentil-homme. De Soldat il fut Cornette de la Cõpagnie d’vn
Prince. S’estant remis dans l’Infanterie, il fut Capitaine, puis
premier Capitaine au Regiment du Prince de Pfalsbourg. En
apres Mestre de Camp de Caualerie & d’Infanterie, Gouuerneur
de place frontiere, Mareschal de Bataille, Lieutenant de
Roy dans vne Prouince, Mareschal de Camp (en laquelle qualité
il a commandé corps d’armée à part) Lieutenant general
dans les armées d’vn Prince du Sang, & depuis d’vn Mareschal
de France. Enfin General d’armée en chef, Mareschal de
France en suite d’vne signalée Victoire, Vice-Roy de Catalogne,
& apres vne autre Bataille gagnée, Duc de Cardonne.

Il a seruy en tous les païs où le feu Roy son Maistre a fait la
guerre. En France, en Lorraine, aux Païs-bas, en Allemagne,
au Comté de Bourgongne, en Italie, & en Espagne. Il commença
l’an 1622. à porter les armes aux attaques de Negrepelisse
& S. Antonin. Aux sieges de Sommieres, de Lunel, & de
Montpellier, il fut Cornette de la Compagnie de Monsieur le
Duc de Mayenne, de laquelle Monsieur de la Mothe, vn de ses
freres aisnez, estoit Capitaine-Lieutenant, lequel estant mort
apres à Beziers des blesseures qu’il auoit receu à ce dernier siege,
la paix faite en France, cette Compagnie fut reformée auec
beaucoup d’autres, & Monsieur de la Mothe demeura auec
Monsieur l’Euesque de Mande son frere à la suitte de la Cour.

L’an 1625. ceux de la Religion pretenduë ayans rompu la paix
de Montpellier, Monsieur de la Mothe se rengea Volontaire en
l’Isle d’Oleron, où Mr d’Houdancourt son frere aisné commandoit
le Regiment de la Reyne-Mere. Il fut à la Bataille Nauale,
que gagna Mr de Montmorency contre les Rochelois, & en suite
à la prise de l’Isle de Ré. Deux ans apres, le Duc de Bukinghan
ayant auec toutes les forces d’Angleterre attaqué & assiege le

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Fort de S. Martin en ladite Isle de Ré, Mr l’Euesque de Mande
eut ordre du Roy de faire preparer les choses necessaires pour
y ietter du secours. Mondit Sr de la Mothe l’accompagna & assista
dans cet employ, & depuis passa dans l’Isle auec Mr le Mareschal
de Schomberg lors de la leuée du Siege, & fut à la deffaite
de l’armée Angloise.

 

Il assista aux commencemens du Siege de la Rochelle, d’où
le Roy l’enuoya en Dauphiné cõmander le Regiment de Pfalsbourg,
duquel il se trouuoit premier Capitaine. Il gouuerna ledit
Regimẽt auec tant d’ordre, de soin & de depense, qu’il a esté
vn des meilleurs, & des plus complets qui se soient veus dans
les armées & Prouinces où il a seruy : Soins que Mr de la Mothe
a depuis continué, pour les Regimens de Caualerie & d’Infanterie
qui ont porté son Nom.

Monseigneur le Prince Generalissime en Lãguedoc, Dauphiné,
Guyenne & Prouence, ayant resolu de nettoyer le Rhosne
des places que les Huguenots y auoient fortifiées, il commẽça
par le Siege de Soyon en Viuarets, où il fit venir le Regiment
de Pfalsbourg. Cette ville estant de difficile accez, son Altesse
commanda à Mr de la Mothe de l’aller reconnoistre par la plaine
de Roullant auec deux cens hommes de son Regiment. Il
executa cet Ordre si heureusement, qu’il deffit l’ennemy en 3.
embuscades l’vne apres l’autre : & l’histoire remarque, qu’il les
contraignit à coups d’espée & de fourchettes de s’enfuyr & retirer
dans la place, qui se rendit deux iours apres. Son Altesse
en suitte auec le Regiment de Pfalsbourg, emporta sur les ennemis
les Forts de S. Albans & de Beauchastel, & par telles
conquestes restablit le commerce du Rhosne.

Ceux de Nismes ayãs surpris les chasteaux de Vauuert, & du
Quellart : Mr le Duc de Rohan estant arriué aux enuirons de ladite
ville, vouloit disputer le passage de la riuiere du Vistre à
l’armée de monseigneur le Prince. Son Altesse afin de surmonter
cette difficulté, ordonna à trois compagnies de Cauallerie
d’escorter le Regiment de Pfalsbourg, & commanda à Mr de la
Mothe de passer la riuiere & d’en asseurer le passage. Il executa
ce commandement assez difficile auec tant d’ordre, & auec
vne contenance si resoluë, que les troupes de Mr le Duc de Rohan

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estonnées de cette hardiesse ne l’oserent empescher : tellement
qu’il gagna l’autre bord, & s’y retrancha en sorte, que le
passage demeura asseuré au reste de l’Armée.

 

Sa valeur parut grandement à Pamiers : car apres que le Regiment
de Normãdie eut esté à l’assaut, & qu’il fut repoussé de
la breche auec perte notable : Monseigneur le Prince permit à
M. de la Mothe qui s’y estoit offert, d’y donner auec le Regiment
de Pfalsbourg. Ce qu’il executa, & en forçãt l’opiniastre
resistance des ennemis, se logea sur la breche, ayãt eu ordre de
son Altesse de ne passer plus auãt à cause qu’il estoit tard. Mais
l’effect de cette genereuse action fut si effectif, que pendant la
nuict Beaufort auec sa Garnison s’enfuit de la ville, laquelle se
rendit le lendemain à discretion.

Il continua à bien seruir au Degast de Castres, & aux Sieges
de Realmont, de S. Seuer, & de Castelnau. Son Altesse luy dõna
le commandemẽt de la retraite de Ste Afrique ; & l’employa
en toutes les occasions, qui se presenterent en assez bon nõbre
pendãt cette Campagne, qui finit par le secours de Creissel que
M. de Rohan auoit assiegé, & d’où il fut cõtraint de se tetirer en
desordre. Apres cette action, Monseigneur le Prince quitta le
Languedoc, & s’en allãt en Berry par Lectoure, il eut aduis que
ceux de Montauban luy auoient dressé vne embuscade. Pourquoy
il prit chemin cõtraire, & enuoya les Ordres au Regimẽt
de Normandie d’en dresser vne, & à Mr de la Mothe d’en faire
vne autre auec le Regiment de Pfalsbourg. Les choses furent
si bien disposées, que la Garnison de Montauban ayant manqué
l’embuscade qu’elle auoit dressé à son Altesse, fut à son retour
presque toute taillée en pieces, par le Regiment de Pfalsbourg
conduit de Mr de la Mothe.

Monseigneur le Prince s’en estant allé en Cour, le commandement
de l’armée demeura à M. le Duc de Montmorency, lequel
continua d’employer Mr de la Mothe dans tous les Sieges
& occasions ; qui furent en ce temps-là fort frequentes dans le
Languedoc, aux Seuenes, aux pays de Foix & de Viuarets. Mais
cependant le Roy, apres auoir forcé les Alpes, fait leuer le
premier Siege de Cazal, & donné vne paix à l’Italie : Sa Majesté
desirant finir en personne les guerres de la Religion, vint auec

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vne diligence extraordinaire assieger Priuas. Le Regiment de
Pfalsbourg fut commãdé de venir à ce Siege, où la presence du
Roy redoublant le courage à Mr de la Mothe, il eut assez de
bon-heur pour y faire paroistre & sa valeur & sa conduitte. En
presence de l’armée Royale, & à la veuë de la Ville assiegée, il
tua en combat singulier vn Caualier des ennemis, qui auoit
enleué la pique d’vn soldat de sa Compagnie. Et lors de l’assaut
general du 26. de May, apres s’estre degagé des terres de la
mine qui l’auoient presque enseuely, il y alla si vertement auec
le Regiment de Pfalsbourg, que la corne du Bastion qu’on
attaquoit fut emportée ; Ledit Regiment y acquit beaucoup
d’honneur, nõbre de ses Officiers y demeurerent, Mr de Chamblé
Lieutenant Colonel le commandoit en cette occasion, la
presence du Roy l’ayant fait venir à ce Siege. Iusques alors il
auoit esté absent, & Mr de la Mothe comme premier Capitaine
auoit tousiours commandé le Regiment.

 

La nuict du lendemain de cét assaut, l’armée Royale estant
dans l’estonnement de n’entendre plus le bruit qui se fait ordinairement
dans les factions de guerre en vne Ville assiegée ; vn
soldat appellé l’Orange en sortit, & dõna aduis que les habitãs
& la garnison, sur vne opiniõ qu’ils estoient trahis, & qu’ils deuoient
cette nuict estre attaquez de tous costez, auoient pris
telle épouuante qu’ils auroient tous abandonné la ville ; les vns
s’estant retirez au Chasteau, & les autres fuy dãs les mõtagnes.
L’Orange fut mené au Roy & à Mr le Cardinal Duc, qui iugea
l’action extraordinaire, & qu’on ne se deuoit pas totalemẽt fier
au rapport du soldat, ny aussi absolument le negliger ; de peur
qu’auant le iour les ennemis se reconneussent. Parquoy son Eminence
ordonna à Mrs de Marillac & Deffiat Mareschaux de
Camp, de cõmander à Mr de la Mothe de prendre la moitié du
Regiment de Pfalsbourg, & d’entrer dans la ville auec deffiance,
& bride en main. On luy remit l’Orange lié & gardé, auec
ordre de le faire tuer en cas de fourberie : mais tout ce qu’il
auoit rapporté se trouua veritable. Mr de la Mothe ayãt trouué
la porte de la Ville ouuerte, il s’en asseura, y establissant corps
de garde ; & auãt que s’auancer dauantage fit visiter les maisons
voisines, & en suitte les autres iusqu’à la place, qui se trouuerẽt

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toutes abandõnées pleines de viures, d’armes, & de cheuaux, la
terreur pannique ayant esté si grande, que presque en toutes le
souper preparé se trouuoit sur la table, ou encor dans la broche.
La Ville estant asseurée, crainte d’irruption Mr de la Mothe fit
barricader, & mit corps de garde aux auenuës du Chasteau, puis
fit crier à l’Armée de dessus les murailles VIVE LE ROY. Le
Mercure François rapporte, que cette voix du Regiment de
Pfalsbourg donna la ioye à toute l’armée : & soudain ce bruit entendu,
le Regiment des Gardes se mit en deuoir d’y faire son entrée,
auec autant de ioye, que les fuyards auoient de frayeur & de tristesse.

 

Priuas pris, les autres places se rendirent à la veuë du Roy, il
n’y eut qu’Alez qui soûtint quelques iours le siege, apres lequel
se fit la paix d’Anduze qui termina nos guerres ciuiles. Mr de la
Mothe assista en toutes ces dernieres occasions, & accompagna
son Eminence aux redditiõs de Nismes, Castres & Montauban.

Nos guerres de la Religion estans heureusement finies,
les estrangers recommencerent la Campagne suiuante,
qui fut celle de 1630. le Roy enuoyant Monseigneur le Cardinal
Duc de Richelieu Generalissime delà les Monts : le Regiment
de Pfalsbourg que cõmandoit Mr de la Mothe fut choisi
pour estre de son Armée, & assista aux prises de Pignerol & de
Briqueras : & apres que son Eminence fut repassé en Sauoye où
estoit le Roy, il ne laissa pas de demeurer en Italie, iusques à la
leuée du siege de Cazal.

A l’attaque du Pont de Carignã, Messieurs les Ducs de Montmorency
& de la Force Generaux de l’Armée Françoise, luy firent
l’honneur de le choisir, auec Messieurs de Lambert & d’Argencour,
pour aller reconnoistre la demy-Iune qui defendoit le
Pont ; & sur son raport luy donnerent le commandement d’vne
des trois attaques. Il l’executa courageusemẽt auec des soldats
choisis du Regiment de Pfalsbourg. L’action est vne des signalées
de cette Campagne, Monsieur de la Mothe y fut blessé, &
eut grande part à cette victoire.

En l’année 1631. il suiuit le Roy au voyage de Mets, pendãt lequel
Mr d’Houdancour son frere aisné fut fait Gouuerneur de
Marsal. En l’année 1632. il fut pour la derniere fois commander

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le Regiment de Pfalsbourg au siege de S. Felix de Carmain, &
au combat de Castelnaudarry. L’année 1633. il accompagna le
Roy au siege de Nancy.

 

Apres 13. ans de seruices, Sa Majesté gratifia Mr de la Mothe
du Gouuernemẽt de Bellegarde & d’vn Regiment : charges qui
vaquoiẽt toutes ensemble par la mort de Mr de la Grange. Auec
ce Regiment (du depuis appellé de son nom de la Mothe) il fit
le voyage des Pays-bas ; & si comporta si bien, qu’apres la bataille
d’Hauein, il merita l’approbation de Messieurs les Generaux,
qui luy donnerent en suitte la conduitte d’vne des Attaques
à la prise de Tillemont : & depuis, l’entreprise de Louuain
ayant manqué, il fut auec sondit Regiment sous Mr le Prince
d’Oranges aux fameux siege & reprise du Fort de Scheink.

Retourné en France, le Roy le fit Sergent de Bataille, pour seruir
au Comté de Bourgogne : & sur la fin de la Campagne, il
eut le bon-heur de rendre vn seruice effectif à la France, lors que
Galaz & le Duc Charles y entrerent auec vne armée formidable :
car dés l’instant qu’ils eurent inuesty S. Iean de Laune d’vn
des costez de la riuiere, Mr de la Mothe (qui s’estoit preparé à
soustenir le siege dans sa place, qu’on croyoit deuoir estre attaquée
(voyãt le peril euident de cette Ville, sans attendre aucun
ordre, y conduisit luy-mesme 200. hommes qu’il tira de sa Garnison ;
& apres auoir conferé auec le Gouuerneur, & donné
cœur aux habitãs pour se bien defendre, il retourna à Belle-garde
accompagné seulement de six caualiers. Monseigneur le
Prince & Mr le Cardinal de la Valette estimerent beaucoup
cette action ; escriuans au Roy qu’elle auoit conserué la Bourgogne.
Et en effet, par ce secours S. Iean de Laune eut le pouuoir
de soustenir les premieres attaques, & d’attendre les derniers
secours, qui firent leuer le siege à ces puissans ennemis.

Sa Majesté extremément satisfaite de cette bonne action, enuoya
le Breuet de Mareschal de Camp à Mr de la Mothe ; auec
ordre de commander vn corps d’Armée, qu’on destinoit pour
executer vne entreprise sur Rhinfeld ; laquelle ayãt failly par le
manquement de ceux qui en auoient donné l’aduis en Cour, il
eut nouuel ordre de Sa Majesté d’aller auec le corps qu’il commandoit
vers Montbelliard, & d’y attaquer la Ville de l’Isle & le

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Fort de Matha, qui incommodoit beaucoup cette place importante.
Mr le Comte de Granzey qui en estoit Gouuerneur, pour
l’execution de ce dessein, ioignit Mr de la Mothe auec ce qu’il
pût de sa Garnison & des milices du païs : ils attaquerent tous
deux si vertement le Fort de Matha, qu’il se rendit aussi-tost.

 

Ils eurent plus de difficulté à l’Isle : cette Ville assez considerable
dans le Comté de Bourgogne, située au milieu de la riuiere
du Doux, est peu accessible, sinon lors que la riuiere se trouue
guéable : Ce qui se rencõtra au mois de Iuillet qu’on l’assiegea ;
elle se trouua lors fortifiée d’vne grosse Garnison, & de plus, le
Marquis de S. Martin auoit promis de la secourir. Le canon y
ayant fait breche assez raisonnable, les Regimens de la Mothe
& du Perche, soustenus de ceux de Dãnenoux & de la Suze, allerent
à l’assaut dans l’eau iusques à la ceinture : les assiegez que
nostre canon repoussoit de la breche percerent les maisons, &
s’y retrancherent, apres auoir mis sur la breche quantité de bois
auquel ils mirent le feu ; mais malgré toutes ces deffenses, nos
soldats passerent au trauers de l’eau & du feu, & se rendirent
maistres de la breche, & en suitte de la Ville : les ennemis se defendirẽt
de ruë en ruë iusqu’au Chasteau, où ils s’enfermerent ;
& s’y en alloient estre forcez, sans les cris de quatre à cinq cens
femmes, qui obtindrent capitulation de Mr de la Mothe, par laquelle
le Gouuerneur & deux Capitaines en sortirent l’espée
au costé & la vie sauue, les autres furent pris à discretion.

Pendant le siege de l’Isle, Mr de la Mothe receut Lettres du
Roy pour aller seruir de Mareschal de Camp en l’Armée d’Allemagne
sous Mr le Duc de Weymar, & d’y mener le corps d’Armée
qu’il conduisoit, il ioignit ce Prince au siege de la ville de
Beaume. Apres la prise de cette place toute l’Armée marcha
vers le Rhin, où elle s’amusa à bastir des Forts. Deux fois que
Mr le Duc de Weymar passa au delà de ce grãd Fleuue, Mr de la
Mothe y donna des preuues de son courage, & de l’experience
qu’il auoit dans la guerre : car en vn rencontre, par l’ordre de Mr
du Hallier Lieutenant General de l’armée, dans vn cõbat opiniastré
pendant 2. heures, il tailla en pieces vn party auancé de
l’armée ennemie : & vne autrefois conduisant l’auant-garde de
l’armée, il deffit toute l’arriere-garde de Iean de Werth, qu’il

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contraignit de se retirer en desordre à Offenbourg. Peu de
iours apres cette remarquable action, il fut surpris d’vne maladie,
pour laquelle les Medecins luy ordonnerent de reuenir
en France. Monsieur le Duc de Weymar regretta son absence,
& tesmoigna par Lettres à sa Majesté & à son Eminence, qu’il
auoit reconnu en ce Gentil-homme tant de hautes qualitez
pour la guerre, que s’il viuoit il seroit vn des grands Capitaines
de son temps.

 

La Campagne suiuante, Monsieur de Guebriant & luy, eschangerent
leurs emplois, par ie ne sçay quelle fatalité, qui les
deuoit tous deux en mesme temps si glorieusement esleuer.
L’vn passa en l’armée d’Allemagne, & l’autre en celle du
Comté. Afin de seruir vtilement, Monsieur de la Mothe fut à
Beaune receuoir les ordres de Monsieur le Duc de Longueuille
son General, qui luy commanda d’aller auec partie de l’armée
attaquer le chasteau de Chaussin, que Brisenot François transfuge
occupoit depuis deux ans, faisant mille rauages aux pays
circonuoisins. Ce desesperé voulut resister, mais apres vingt
volées de six canons, ses compagnons le contraignirent de se
rendre à discretion. Il fut pendu deuant la place, & cinquante
de ses soldats enuoyez aux galeres.

De là, il s’en alla ioindre Monsieur le Duc de Longueuille,
lequel marchoit pour faire leuer le siege d’Aigremont au Duc
Charles, qu’il contraignit à se retirer, & en suitte le poursuiuit
iusques à Poligny, où il l’obligea à la bataille. La France emporta
là vne victoire, qu’elle doit à la valeur & conduite de ce
genereux Prince, qui fit des merueilles en ce combat opiniastré
pendant sept heures. Il y fit tant de ralliemens, & se mesla
si souuent parmy les ennemis, qu’il jetta la terreur dans leurs
trouppes, & redoubla le courage des nostres. Ce Prince pour
commencer le combat fit choisir de tous les corps quinze cens
hommes, qu’il donna à conduire à Monsieur de la Mothe, afin
d’en chasser deux mille du Duc Charles, campez dans vn bois,
où ils s’estoient desia retranchez auec deux canons, pour s’y
maintenir & endommager nostre armée. Monsieur de la Mothe
les y attaqua auec tant de vigueur, que nonobstant vne resistance
opiniastrée il se saisit de leurs deux canons, & les chassa

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auec desroute de ce lieu auantageux : dans lequel Monsieur de
Feuquieres auec l’auantgarde de l’Armée Françoise, eut ordre
de s’aller poster ; & le deffendit depuis contre le Duc Charles,
qui fit des efforts extraordinaires pour le reprendre. Apres cette
action si heureusement executée, monsieur de Longueuille
appella monsieur de la Mothe au corps de reserue, consistant
aux Regiment de Marsin & de Batilly ; auec lesquels il luy ordonna
de faire front à l’aisle gauche des ennemis, du coste de
laquelle il apprehendoit quelque notable irruption. Monsieur
de la Mothe la soustint iudicieusement, & la repoussa autant de
fois qu’elle voulut s’auancer, executant si ponctuellement les
ordres de monsieur de Longueuille, que du depuis il a esté honoré
de ce Prince d’vne tres-parfaite & particuliere amitié.

 

La reddition de la ville de Poligny fut le fruict de cette victoire :
apres laquelle monsieur de Longueuille donna les ordres à
monsieur de la Mothe de se saisir de la Vallée de Baume ; lieu de
difficile accez, & que les Comtois tenoient comme imprenable :
y ayant au fonds de ladite Vallée vne Abbaye, vn Fort, & vne
Tour bien flanquée : Pieces qui se ioignoiẽt par lignes de communication.
Monsieur de la Mothe apres auoir reconnu le tout,
l’attaqua par l’endroit que les ennemis tenoient le plus fort &
le moins accessible, & qui comme tel estoit le moins gardé ;
en sorte qu’estans inopinément surpris, ils furent poussez iusqu’à
la Tour, qu’ils rendirent à composition, auec de l’argent
qu’ils promirent & donnerent pour les frais de l’Armée.

Le Duc Charles ayant repris quelque cœur depuis sa desroute,
enuoya le Colonel Antorpe auec partie de son Armée attaquer
le chasteau de Vadans, qu’il emporta. En suitte il voulut
assieger celuy de Poligny, au secours duquel Mr de Longueuille
enuoya mr de la Mothe : Il le secourut en telle diligence, qu’à
son arriuée impreueuë, le Regiment de S. Mauris qui gardoit
les dehors lascha le pied, & fut deffait, & il entra dans la place.
Ce qui obligea les autres assiegeãs de songer à la retraitte : mais
mondit Sieur de la Mothe pour leur empescher, les attrapa à la
sortie de Poligny, les mit en fuitte, leur tua encor quatre cens
hommes, & prit quantité de prisonniers, entre lesquels se trouua
Antorpe leur Commandant, qu’il enuoya à Bellegarde.

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Apres tant de pertes, le Duc Charles croyant estre plus heureux
en Lorraine qu’au Comté : il y alla surprendre Luneuille,
qu’il fortifia & munit d’vne garnison de plus de deux mille
hommes. Monsieur de Longueuille eut ordre du Roy de le suiure,
& de reprendre cette Place. Il donna à Mr de la Mothe le
commandement d’vne des attaques, en laquelle ce Prince qui
auoit l’œil sur toutes, assista presque tousiours : & sa presence fit
que les ennemis y ayans fait vne sortie, furent repoussez auec
tant de bon-heur, que Mr de la Mothe & les siens entrerent
meslez auec les ennemis dans la Place, qui fut lors emportée.

Peu apres le Duc Sauelli ayant esté poussé en vne grande rencontre,
se renferma dans Blamont, où estoient les magazins de
l’Empereur & du Duc Charles : Il y fut incontinent assiegé, &
monsieur de la Mothe y auança si brusquement les attaques par
l’ordre de monsieur de Longueuille, que ledit Duc Sauelli iugeant
la prise de cette Ville infaillible, ayma mieux s’euader par
vne nuit obscure, que d’attendre la capitulation. Apres sa fuitte,
les soldats abandonnez de leur General, se rendirent à discretion.
Le butin d’armes & de cheuaux y fut tel, que monsieur
de Longueuille en equipa les troupes qui formerent le secours
considerable qu’il enuoya à monsieur le Duc de Weymar pour
la continuation du siege de Brisac. Il desira que monsieur de la
Mothe accompagnast monsieur de Feuquieres en la conduite
de ce secours : ce qui fut executé heureusement, iusques au lieu
où ce Prince leur auoit ordonné de le remettre. Pendant cette
marche, cinq cens maistres furent deffaits au Capitaine Cliquot,
& tout leur bagage pris.

Cette Campagne fut longue, & au retour d’icelle le Roy fut
tellement satisfait des seruices de monsieur de la Mothe, que Sa
Majesté le gratifia de sa Lieutenance de Roy en Bresse. Apres
qu’il eut pris possession de cette nouuelle dignité, il retourna
au Comté, où sur les aduis que les ennemis s’amassoient à Saint
Claude, qu’ils faisoient leur place d’Armes, il eut ordre de les y
aller attaquer. Ils voulurent faire resistance, mais la ville ayant
esté emportée de force apres quelques iours de siege, monsieur
de la Mothe employa tous ses soins pour arrester la furie des
soldats, & la suite ordinaire de telles occasions ; & eut grande

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peine à conseruer l’Eglise qui estoit pleine de richesses, & si recommandable
par ses sainctes Reliques, qui la font vn des
grands Pelerinages de la Chrestienté.

 

IL fut apres cette expedition reioindre monsieur le Duc de
Longueuille, lequel allant à l’entreprise de Salins, eut ordre
de la Cour de passer en Italie au secours de Madame Royale. Ce
Prince donna l’ordre à Mr de la Mothe de mener l’Armée en la
plus grande diligence qui luy seroit possible. Ce qu’il executa
auec vn si heureux succez en son voyage, qu’en passant il raffermit
en la fidelité de Madame Royale toutes les villes du Marquisat
de Saluces : & arriua assez tost pour asseurer & fortifier le
siege qu’auoit mis deuãt Chiuas Monseigneur le Cardinal de la
Vallette : Lequel ayant eu aduis que le Prince Thomas auec le
Marquis de Leganez marchoiẽt auec vne puissante Armée pour
secourir cette ville assiegée : Il escriuit par le Sieur de Graues
Escuyer de feu Monseigneur le Cardinal Duc à Mr de la Mothe,
pour le prier que sans attendre l’arriuée ny les ordres de Mr de
Lõgueuille son General, il vint à Chiuas, où il s’agissoit du plus
grand seruice qu’il pourroit iamais rendre à l’Estat. Ledit Sr de
Graues n’obmit rien pour le resoudre à vne telle occasion, tant
par la consideration de la gloire qu’il auoit lieu d’acquerir, que
du malheur qu’on luy imputeroit, s’il mesarriuoit du siege & de
l’Armée de monseigneur le Cardinal de la Vallette. C’est pourquoy
il marcha iour & nuict auec vne diligence si bien mesnagée,
qu’il arriua deux heures auant que le Prince Thomas & le
Marquis de Leganez parussent à nos lignes, lesquelles ils esperoient
emporter d’emblée, à cause qu’elles n’estoiẽt pas encore
acheuées. Ils furent surpris, apprenans l’arriuée des troupes auxiliaires,
conduites par Mr de la Mothe ; & faisant alte, delibererent
s’ils s’en retourneroient sans executer leur entreprise :
laquelle ils retarderent trois iours, apres lesquels ils firent leur
attaque, en laquelle ils furent repoussez apres vn combat de
deux heures, qui les obligea à se retirer. Mais ce qui resioüit le
plus les deux Armées iointes, & qui fut de bon augure pour la
victoire, fut la presence de Mr de Longueuille, qui sur le bruit
d’vne si belle occasion prit la poste, & arriua au Camp trois

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heures auant le combat. Monsieur de la Mothe eut commandement
de Messieurs les Generaux de suiure auec quinze cens
cheuaux l’ennemy dans sa retraitte, lequel il mit en tel desordre
en vn accul pres de la Cesia, qu’il l’eust contraint à la bataille
auec vne certitude de victoire, si mondit Seigneur le Cardinal
de la Vallette eust voulu quitter pour trois heures les lignes
de Chiuas, lequel ayant perdu l’esperance du secours, se
rendit le lendemain à discretion.

 

Apres cette glorieuse reddition les deux armées s’estant separées,
Monsieur de Longueuille alla assieger la Ville & Chasteau
de Bene. Au regard de la Ville, elle se sousmit d’abord.
Pour le Chasteau, que les Piedmontois tenoient pour imprenable,
il resista : On y vint par la mine, l’effect de laquelle fut
si bon, qu’il fut emporté d’assaut, monsieur de la Mothe trauailla
infatigablement à ce siege.

Monsieur de Longueuille s’en alloit faire d’autres progrez,
lors qu’il receut vn Courier de madame Royalle, qui luy donnoit
aduis qu’elle estoit assiegée dans la Citadelle de Turin, la
Ville ayant esté surprise par les Princes de Sauoye. Toutes affaires
cessantes, il fallut aller en diligence au secours de madite
Dame Royalle, où Monseigneur le Cardinal de la Valette se
rencontra en mesme temps. Les deux armées iointes commencerent
à former le siege de Turin, qui fut interrompu par
vne suspension d’armes de deux mois en Piémont.

Pendant cette tréve, monsieur de Longueville receut ordre
du Roy d’aller commander en Allemagne, l’armée du Duc de
Weymar, Sa Majesté ne pouuant choisir pour cét important
employ vn Chef de plus haute reputation, ny de valeur plus
éprouuée que ce Genereux Prince ; lequel en sortant d’Italie
laissa à monsieur de la Mothe toute la conduite de son armée,
qu’il commanda depuis en Corps à part, sous le Generalat de
Monseigneur le Cardinal de la Valette.

Cét Illustre Cardinal estant mort dans l’employ, monsieur le
Comte d’Harcour luy succeda, lequel y commença les merueilles
qu’il a faites en Italie, en iettant vn secours d’hommes
& de munitions dans Cazal. Afin de faciliter ce dessein, il estoit
expedient de prendre Quiers. Pour cela la nuict du 24 Octobre

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(qu’expiroit la tréve de deux mois en Piémont) il commanda
à monsieur de la Mothe d’aller inuestir cette place. Ce qu’il
executa si heureusement, qu’aux approches il deffit quatre cens
cheuaux Espagnols, ausquels dans l’espouuante de la fuite, les
habitans fermerent les portes de leur ville : & le lendemain en
faciliterent la prise à l’arriuée de Monsieur le Comte d’Harcour,
apres quelques volées de canon.

 

De Quiers, mondit sieur le Comte d’Harcour fit heureusement
rafraischir Cazal de toutes les choses necessaires : mais
les ennemis n’ayans pû empescher ce secours, se resolurent à
nous incommoder & affamer. Pour ce, les Princes de Sauoye
coupoient les viures du costé de Turin, & à pareil dessein le
Marquis de Leganez se vint poster pres de Quiers à Poirin,
Cambian & Villestelon. Ce qui nous reduisit à pastir pendant
quelques iours, & à souffrir de grãdes necessitez : qui obligerent
nostre armée d’abandõner Quiers, pour aller prendre les quartiers
d’hyuer en des endroits où elle pûst estre plus au large. Resolution
qui donna lieu au fameux combat de la Route, qu’on
peut mettre entre les plus belles retraittes de ce temps.

L’armée Françoise qui n’estoit que de neuf à dix mille hommes,
partit de Quiers deux heures auãt le iour le 19. de Nouembre :
Premierement l’auant-garde, où estoit monsieur le Comte
d’Harcour, conduite par messieurs les Mareschaux de Turenne
& Plessis-Praslin. Apres laquelle marchoit le bagage, qui estoit
suiuy de l’arriere-garde cõduite par monsieur de la Mothe. Dés
la nuict du depart de l’armée, le Marquis de Leganez en eut si
promptement aduis, qu’il eut temps d’enuoyer au Prince Thomas
à ce qu’il marchast à la rencontre auec ses forces, comme
luy se preparoit à nous suiure auec toutes les siennes. Par les
mesmes enuoyez ils conuinrent tous deux de leurs attaques.
Ce General Espagnol estoit si bien aduerty, que ses coureurs
partis de Poirin où il campoit, entrerent par vne porte dans
Quiers en mesme temps que les dernieres troupes de l’arriere-garde
Françoise en sortoient par vne autre.

Sur les cinq heures du soir Mr le Prince Thomas, qui estoit
sorti de Turin dés l’instant qu’il eut receu aduis, attaqua l’auant-garde
auec trois mille hõmes de pied & quinze cens cheuaux.

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Les attaques & les resistances furent grandes & tres-glorieuses
pour ceux qui les commandoient.

 

On ne les particularise pas, ne s’agissant icy que de ce qui se
passa dans l’arrie-regarde conduite par Mr de la Mothe, qui soustint
seule le plus grand effort, ayãt esté attaquée de toute l’Armée
Espagnolle, composé de 9000. hommes de pied & de cinq
mil cheuaux. La nostre n’estoit alors forte que de dixhuict cens
cheuaux, & de trois mille hommes de pied, mais bonnes troupes,
lesquelles sur cette fin de Campagne restoient seules de
l’Armée de Mr de Longueuille.

Dés les huict heures du matin la Cauallerie Espagnolle sortie
de Poirin, commença sur la gauche à costoyer Mr de la Mothe,
sans qu’il y eust autre combat que legeres escarmouches
entre coureurs, & ainsi l’arrieregarde ne laissoit pas de continuer
sa marche : Mais pour la retarder & l’arrester au passage de
la Route, le Marquis de Leganez destacha trois gros escadrons
de Dragons, qui vinrent fondre sur nos coureurs enuiron les
deux heures apres midy. Ce qui obligea Mr de la Mothe à faire
alte, tourner teste, & disposer ses troupes selon le lieu afin de
profiter de l’auantage du terrain : il commanda le Sr de Florinville
auec 300. mousquetaires, & le Sr de Porcheux auec 150.
autres du Regiment des Gardes, & la Compagnie de Monseigneur
le Prince conduite par le Sr de Mauuillers pour soustenir
lesdits Coureurs de son armée : Ce qu’ils firent brauement. Le
cõbat fut grand, & les Dragons Espagnols y furent bien battus.

Sur les 3. heures le Marquis de Leganez arriua en presence,
& nous attaqua en flanc auec toute son armée, & fit deux batteries
de canons à la portée du mousquet. Pour resister à cette
dure attaque qui dura deux heures, monsieur de la Mothe mit
ordre par tout, allant d’escadron en escadron, & dans les bataillons
encourageant les troupes par sa resolution & son exemple.
Il y fut grandement secondé par tous les Chefs & Capitaines
qui composoient l’arriere-garde. Tous ceux du Regiment
d’Anguyen y firent des merueilles, messieurs de Marsin, Florinville,
Baroy, d’Arzilieres, de Ferracieres, Chastillons, Porcheux,
S. André, Montbrun, Boisdavid & Beauregard, y donnerent
des preuues de leur valeur.

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Apres cette attaque si glorieusement soustenuë, sur le soir le
Marquis de Leganez sembloit se vouloir retirer, lors qu’ayant
sceu que le Prince Thomas estoit aux prises auec l’auant-garde,
il retourna sur les six heures au combat plus rudement qu’il
n’auoit fait auparauant. Et alors il attaqua par les quatre costez
Mr de la Mothe, qui fit teste par tout sans perdre vn seul pouce
de terre : & comme si la nuict eust redoublé le courage de l’armée
Espagnolle, elle continua à la faueur d’vn clair de Lune
auec plus de vigueur le combat. En sorte que nos gens apres
auoir vuidé leurs bandolieres, reduits à l’espée & à la picque se
deffendirent neantmoins courageusement de tant d’ennemis.
Le Marquis de Leganez voyant ses troupes harassées d’vn si lõg
combat, & n’ayant pû enfoncer les nostres, il les retira sur les
trois heures apres minuict pour leur donner quelque relâche,
afin de retourner le matin à l’attaque, mais cependant monsieur
de la Mothe continua sa marche, & fut passé auant le iour.

Aux deux combats de l’auant-garde & de l’arriere-garde, les
ennemis y perdirent plus de trois mille hommes, & cinq cens y
demeurerent des nostres. Monsieur le Comte d’Harcour qui
estoit occupé ailleurs cõtre Mr le Prince Thomas, ne pût ayder
ny secourir Mr de la Mothe que de cent cinquante mousquetaires
tirez du Regiment des Gardes, qu’il luy enuoya par le sieur
de Porcheux. De façon que la posterité s’estonnera, de ce que
Mr de la Mothe auec si peu de secours, & auec vn corps d’armée
qui n’estoit pas de cinq mil hommes, apres vne marche de dix
heures, ait pû encore soustenir iour & nuict vn combat opiniastré
pendant treize heures, sans perdre rien de son terrain : contre
vne armée Espagnolle de 14000. hommes, commandée par
le plus grand Capitaine qu’eut le Roy Catholique, & lequel sa
Nation iusques alors auoit tenu pour Inuincible.

Le Roy fut tellement satisfait du seruice que Mr de la Mothe
luy rendit en cette occasion, que Sa Majesté fit reuoquer l’ordre
qu’elle auoit donné de ioindre confusément le corps de l’armée
de Mr de Longueville auec l’autre. Voicy ce que Monseigneur
le Cardinal Duc en escriuit sur ce sujet à Mr de la Mothe.

MONSIEVR, I’ay appris par le Sieur
de Boisdauid, & depuis par le sieur Faber, le signalé seruice

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que vous auez rendu auec le Corps que vous commandez en la Retraitte
de Quiers, où vous auez soustenu en cette Iournée auec beaucoup de
conduitte & de courage tous les efforts & forces du Marquis de Leganez.
Sa Maiesté en est tres-satisfaite, & en lieu de ioindre le corps d’armée
que vous conduisiez à celuy de feu Monsieur le Cardinal de la Valette,
pour seruir conjointement auec Messieurs de Turenne & Plessis
Praslin : Sa Maiesté a trouué bon de laisser sous vostre commandement
le corps de Monsieur de Longueville, auec lequel vous auez desia
rendu en Italie de si notables seruices. Monsieur le Comte d’Harcour
receura les despeches de Sa Maiesté sur cela, afin qu’il ne soit rien chargé
aux ordres qui sont establis : n’estant pas raisonnable qu’on vous diminuë
l’honneur lors que vous meritez qu’on l’accroisse. Viuez donc en
repos de ce costé-là, & asseurez-vous que ie seray tousiours.

 

Le commencement de la Campagne de 1640. en Italie, fut
la bataille & secours de Cazal, monsieur le Comte d’Harcour
donna l’aile gauche à commander à Mr de la Mothe ; & ce Prince
trouuant à la droitte de la difficulté en l’attaque des lignes,
reuint à la gauche prendre les six Regimens d’Infanterie qui y
estoient : & se mettant à la teste de celuy de la Mothe, retourna
genereusement à l’attaque, ne laissant plus que six Regimens
de Caualerie en l’aile gauche. Neantmoins par vn exemple
innoüy que de la Caualerie seule ait gagné des retranchemens,
Mr de la Mothe l’exploita heureusement, ayant auec lesdits six
Regimens ouuert le passage qui causa cette grande victoire. Il
auoit esté reconnoistre les lignes : & les ayant bien cõsiderées, il
mõstra de dessus vne colline à ses principaux Officiers l’endroit
par où il auoit resolu de les attaquer. Il leur monstra aussi au dedans
d’icelles vne Cassine, aupres de laquelle il leur ordonna de
se reioindre apres qu’ils seroient entrez ; puis cõmanda à Mr de
la Luzerne d’aller auec 3. Regimens attaquer vn gros de Caualerie
ennemie qui gardoit l’eminence de S. Georges, luy ordõnant
de la pousser auec ardeur, afin que dans la confusion de la
fuite il pût entrer pesle-mesle auec elle dans les retranchemens.
Ordres qui furent ponctuellemẽt executez par ledit sieur de la
Luzerne. Et luy cependant à la teste du Regiment d’Anguyen
& des deux autres qui luy restoient, marcha en vn endroit par
lequel vn cheual pouuoit entrer : passage qu’il auoit exactemẽt

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remarqué lors qu’il alla reconnoistre lesdites lignes. D’abord
il y fit passer 50. Maistres d’Anguyen conduits par Lonay Lieutenant
& Granual Cornette, lesquels il suiuit auec les 3. Regimens
qui luy restoient : & ainsi furent emportées les lignes de
Cazal, malgré la resistance de ceux qui les gardoient, lesquels
allerent ietter dans leur armee telle espouuante, que Mr de la
Mothe (ayãt reioint led. Sr de la Luzerne à la Cassine assignée)
deffit facilement la moitié de toute l’armée qui estoit de son
costé, & ce auec sa seule Caualerie. Partie des ennemis s’enfuyant
par vn endroit en 3. grands basteaux, il en fit couper les
cordes : ce qui ioinct à leur trop grand nombre, les fit enfoncer
dans le Pô ; & afin d’empescher les ralliement des autres, il poursuiuit
les fuyards iusques à Pondesture. Sur le soir, apres auoir
pris, tué, ou fait noyer tout ce qui s’estoit presenté de son costé,
vint reioindre monsieur le Comte d’Harcour en la plaine
de Fresinet, où il luy rendit compte de la Iournée, & le lendemain
luy enuoya les drapeaux & cornettes qu’il auoit prises, &
1600. prisonniers. Il y eut huict canons de pris, six mortiers, &
tout le bagage de ce quartier-là, auec l’argent de l’armée ; qui
fut vn riche pillage & butin pour cette Caualerie.

 

Les ennemis furent tellement estourdis de cette Iournée de
Cazal, que monsieur le Comte d’Harcour eut le moyen de former
le siege de Turin. Monsieur de la Mothe auec l’armée de
monsieur de Longueuille fut campé à la Purpurate, quartier
de longue estenduë & le plus difficile à garder.

On ne doit icy obmettre la sanglante bataille de Turin. Elle
est assez bien descrite dans le Panigiric de monsieur le Comte
d’Harcour sur sa Campagne d’Italie.

Voicy vne Iournée de sang, & vn choc extraordinaire. Le premier
effort qui fut fait sur nous, commença au quartier de la Mothe
Houdancour, entre la Purpurate & la Doüaire, où les ennemis parurent
auec 4. ou 5. mil hommes de pied, & deux mil cinq cens cheuaux,
cõmandez par Dom Carlo de la Gatta. Ils faisoient porter deuant eux
quantité de fassines, de pontons, d’eschelles & d’outils, que les premiers
rangs composez d’Officiers Reformez & armez de Rondaches, firent
ietter dessus & dedans le fossé, l’Infanterie des ennemis s’y logea malgré
toute la resistance & le feu du Regiment de Villandry, lequel ayant

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pres de 2. mil pas de la ligne à garder, auec celuy de la Mothe, ne put
pas empescher qu’à la faueur & à couuert de tant de mousqueterie, qui
tiroient sur eux incessamment, ceux qui restoient logez dans le fossé ne fissent
vn passage pour leur Caualerie, qui entra dans nos lignes en grand
nõbre. Mais la Mothe y ayant accouru, suiuy du Regimẽt de la Luzerne,
les chargea auec tant de vigueur qu’il les chassa hors du retranchement,
& se rendit maistre de la place. Toutesfois ils y entrerent en plus
grand nombre par vn autre endroit, où ils furent encore chargez si brusquemẽt
par ce braue Capitaine, qu’ils furent cõtraints de sortir pour la
seconde fois de nos lignes, apres s’estre meslez parmy les nostres, dans vn
combat qui dura plus d’vne heure. Nous opposames à vne attaque opiniastre
vne defense vigoureuse, qui reuint à la gloire d’vn vaillant Capitaine,
que le Ciel destinoit pour estre vn iour le fleau des Espagnols.

 

Cette forte resistãce n’empécha pas que les ennemis reuenans vne troisiéme
fois, auec toute leur Caualerie & Infãterie, n’entrassẽt dãs le Retranchement
malgré les nostres : Mais durant le plus fort du Cõbat, les
Regimes de Beau-regard & du Terrail arriuerẽt si à propos, qu’ils percerent
plusieurs fois les esquadrons ennemis, renuersant leurs Bataillons
d’Infanterie, laquelle pour lors commença de s’estonner : Iusqu’à ce que
s’estãt ralliée & remise en tres-bon ordre, la Mothe qui les vit tous passez
& entrez dans son Retranchemẽt, retira ses gens fort iudicieusement
à la faueur d’vne forte haye, pour les cõbatre en ce passage, où ils ne pouuoient
venir à luy qu’en défillant. Ce qui luy succeda si heureusement,
qu’ayant porté par terre plusieurs de leurs Caualiers qui auoiẽt tenté le
passage, il obligea les autres de retourner auec cõfusion. Les ennemis borderent
cette haye de leur Infanterie, qui fit de si grãdes décharges dessus
nostre Caualerie, qu’elle fut cõtrainte de s’en aller prendre son Camp de
bataille dans vne petite plaine, à 2. mousquetades de la courtine de la
Citadelle, où les ennemis estoiẽt obligez de passer par necessité. Ce qu’ils
entreprirẽt auec vne si belle dispositiõ : que la Mothe qui obseruoit exactement
leur marche, fut contraint d’attendre qu’ils luy monstrassent le
flanc : & alors il prit son tẽps si à propos, que les faisant charger par toute
sa Caualerie il rompit leurs esquadrons & perça leurs bataillons, de
sorte, que la tuerie ayãt duré 1. heure, il en demeura plus de 2. mil moris
sur la place. Et la Caualerie des ennemis fut si pressée, qu’abandonnant
l’Infanterie, vne partie se sauua à la fuite le lõg de la Doüaire ; & l’autre
se precipitãt au bas d’vne rauine, pour gagner la Ville par la prairie,

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il y en eut encore vn grand nõbre qui marquerent la iournée par la
perte de la vie. Cependãt que la Mothe pour suiuoit cette caualerie des
ennemis iusques sur la cõtrescarpe du fossé de la Ville, où elle se retiroit,
il fut aduerty que 500. hommes du debris de l’Infanterie des ennemis
auoient forcé vne redoute gardée seulement par 20. hommes des nostres,
& qu’ils s’y estoient logez. Tout aussi-tost il se porta sur le lieu, inuestit
cette redoute, & auec quelque 300. hommes commanda l’attaque, qui
fut faite de toutes parts auec tant de cœur & de resolution, que la barriere
fut d’abord gagnée ; & à mesme temps furent forcez & tous tuez
par cette courageuse Infanterie du Cãp & de la Citadelle. Les fuyards
qui prirent le chemin de la Doüaire, furent suiuis par 200. cheuaux,
qui en arresterent encore trois ou quatre cens par les chemins. Ce combat
fait à diuerses reprises dura pres de cinq heures, & la Mothe montra
par tout son courage & son iugement dans vne égalle assiette.

 

Voila comme cette bataille est décrite par vn Autheur Frãçois :
les estrangers ne la releuent pas moins. Le Comte Galeazzo
Gualdo Priorato, raporte en l’Histoire de ce temps, que sãs
cette victoire l’armée Françoise auoit resolu de se retirer per la
parte di Vanchia à Borgo di Po. Et cét Historien confesse nettement,
que la France à eu cét auantage par la diligence de Mr de
la Mothe, auquel il remarque les plus hautes qualitez qui se
puissent rencontrer en vn Capitaine ; la diligence, & le iugemẽt
intrepide & temperé dans les confusions & desordres des combats ;
se sont ses termes : Francesi li quali hebbero questa vittoria
fortunatamente, e per diligenza del Signor della Motha[1 lettre ill.], a cui la sorte
concesse nella confusione quella intrepidezza, e temperanza, che pochi
benche prudenti ne sono in casi simili fauoriti.

De vingt-neuf sorties qui furent faites pendant ce siege, il y
en eut vingt-trois du costé de Mr de la Mothe, dont il y a iournal,
& furent toutes vigoureusement repoussées. Mais entre
autres il s’en fit deux les 23. Iuillet & 1. d’Aoust, pour faire sortir
les personnes inutiles de la Ville, auec ce reste de Caualerie
de Dom Carlo de la Gatta qui l’incommodoit, Turin ayant
moins à faire d’hommes que de munitions.

La premiere diminua fort les ennemis, elle commença sur les
dix heures de nuict, que le Prince Thomas du costé des Gardes,
& le Marquis de Leganez aupres du Pô firent des feintes attaques,

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afin de fauoriser vne sortie diuisée en Auantgarde & Arrieregarde.
L’Auantgarde de cinq cens Maistres, conduite par
Dom Ioan de Lemos Espagnol, General de la Caualerie de
l’Estat de Milan, marcha sans estre descouuerte le long de la
Doire Susine iusques à la Purpurate, où les pionniers ouurirent
cette partie du retranchement qui estoit entre ladite riuiere
& vne redoute qui le defendoit : mais le fossé s’estant
trouué trop haut & plein d’eau l’Auantgarde ne pût passer, &
dans cette occupation elle fut surprise de Mr de la Mothe, lequel
auec les Regimens d’Anguyen & du Terrail reuenoit d’vn
grand combat, par lequel il auoit battu & contraint l’Arrieregarde
& Dom Carlo de la Gatta de regagner Turin ; tellement
que cette Auantgarde se trouuant enfermée fut contrainte à
demander quartier, & demeura toute prisonniere, à la reserue
de quelques Caualiers qui se perdirent en la Doire & dans le
fossé. Dom Ioan de Lemos fut pris, ayant le bras cassé d’vn
coup de pistolet. Mr de la Mothe le traitta à la Françoise, c’est
à dire auec toute sorte de ciuilité & de courtesie, & le renuoya
le lendemain sans rançon au Marquis de Leganez son parent.

 

Ce peu qui restoit de viures & de fourrages se consumant par
tant de bouches inutiles, monsieur le Prince Thomas resolut de
tenter par vne autre & derniere sortie d’en vuider la Ville : &
pour y paruenir (par le moyen du canon courrier) luy & le
Marquis de Leganez conuinrent d’y proceder en cette maniere.
Le matin du premier iour d’Aoust ledit Marquis marcha
auec partie de l’Armée Espagnole, & fit auec grand feu vne
feinte attaque du costé de Colleins, afin cependant d’empescher
mr le Comte d’Harcour de secourir le quartier de la Purpurate.
En mesme temps mr le Prince Thomas sortit de Turin
auec quatre mille hommes qu’il commandoit en personne, &
ce pour fauoriser la sortie de douze cens cheuaux qu’il auoit
baillez à conduire à Dom Carlo de la Gatta, auec des pontons
& fascines, pour ne tomber pas au malheur de la sortie precedente.
Monsieur de la Mothe auec le corps de l’Armée de monsieur
de Longueuille s’opposa viuement à cette sortie, & apres
vn long combat contraignit mr le Prince Thomas & D. Carlo
de la Gatta de rentrer confusement dans la Ville, laissans au

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champ de Bataille plusieurs de leurs morts ; entre lesquels se
trouua l’Amazone Allemande.

 

Turin s’estant rendu peu de temps apres monsieur de la Mothe
reuint en France : en passant à Chambery il y fut receu auec
des accueils extraordinaires par Madame Royale, laquelle deuant
luy ne se pouuoit lasser de raconter tout haut à ceux qui
estoient presens les seruices qu’il luy auoit rendus & à monsieur
le Duc de Sauoye son fils, lequel elle fit venir exprés dans
sa chambre pour luy presenter monsieur de la Mothe comme
elle fit, en disant : Mon fils voila Monsieur de la Mothe, aymez-le
bien, c’est vn des Gentils-hommes du monde lequel a le plus contribué
au restablissement de vostre Estat.

AV retour d’Italie apres tant de belles actions, le feu Roy
de tres-heureuse memoire, iugea monsieur de la Mothe
digne d’vn des importans & espineux employs qui soit arriué
pendant son Regne, en la place de monsieur d’Espenan, qui en
sortoit par la force de l’Armée du Roy Catholique.

Sa Majesté auoit esté eleuë, Prince de Catalogne, par vn consentement
des peuples, qui reclamerent sa protection contre
la fureur des troupes du Roy d’Espagne qui inondoient toute
la Prouince. Monsieur de la Mothe fut choisi de Sa Majesté
pour defendre cette glorieuse election, & conseruer à la France
ce Principat, le plus noble & considerable qui soit en l’Europe.

Dés l’instant qu’il en eut receu les Ordres il partit de la
Cour, & sur la fin de Ianuier 1641. arriua à Barcelonne, où la reputation
qu’il auoit acquise en Italie, le faisoit attendre auec
beaucoup d’impatience. Il y fut accueilly auec grandes demonstrations
de joye de toute la Ville, & de Messieurs de la
Deputation. Il les r’asseura de la part du Roy contre les apprehensions
qu’ils auoient de l’armée du Marquis de Velez, lequel
depuis sa retraitte de Monjuic auoit receu de nouueaux renforts
de Castille.

Pendant que ses troupes filoient de France, il faisoit luy-mesme
trauailler aux Fortifications de Barcelonne & de Monjuic,
mais il fut bien-tost contraint d’en laisser la commission
à d’autres : dautant que le Roy d’Espagne jugeant la guerre

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de Catalogne de plus grande consequence que toutes celles
qu’il auoit sur les bras, y jetta aussi ses principales forces ; y formant
en mesme temps trois Armées considerables. Car outre
l’ancienne qui estoit en la plaine de Terragonne, commandée
par le Connestable Colonne Prince de Bothere, qui auoit succedé
au Marquis de Los Velez, Sa Majesté Catholique en fit
deux autres nouuelles : l’vne à Tortose & Valence sous le Marquis
de Leganez, & l’autre en Arragon, sous la conduitte du
Vice-Roy de ce Royaume, qui estoit le Duc de Nocera Titulate
Napolitain, de la maison des Caraffes.

 

Ce dernier fut plus diligent à marcher que les autres : car
pour fauoriser vne faction qu’il auoit tramée dans la ville de
Lerida, il entra dans la Catalogne, où il assiegea Aytonne. Si
tost que monsieur de la Mothe en eust eu aduis, il quitta les
Fortifications de Barcelonne pour s’en aller en diligence à Lerida,
où il calma pour lors les factions qui y auoient esté formées
par quelques mal-affertes. Cependant il trouua moyen
de ietter cinq cens hommes dans Aytonne, & vn iour apres il
marcha droit à l’ennemy, lequel surpris de sa diligence leua le
siege sans l’attendre, & se retira en desordre au delà de la Cinca,
où son armée se dissipa incontinent.

Le mauuais succez du Duc de Nocera rallentit les marches
du Prince de Bothere & du Marquis de Leganez, qui se vouloient
ioindre. Pendant leurs deliberations, monsieur de la
Mothe eut le loisir de remedier aux accidens qui luy pouuoient
arriuer durant cette Campagne. Il luy restoit deux Armées à
combattre ; la moindre desquelles estoit plus forte que la sienne :
celle qu’auoit le Prince de Bothere dans la plaine de Terragonne
estant de vingt mille hommes effectifs, & celle du Marquis
de Leganez vers Tortose de six mille hommes de pied, &
de deux mille cheuaux.

Afin de resister à tant de forces, Mr de la Mothe iugea qu’il
luy estoit plus à propos de joüer de la teste que des mains ; &
sur tout qu’il luy falloit empescher que les deux Armées ennemies
ne se pûssent ioindre ny secourir. Pour paruenir à son
dessein il se saisit du Col de Cabre, puis alla attaquer le Col
Balaguier, que les ennemis auoient fortifié depuis que le Marquis

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de Los Velez s’en saisit en allant assieger Cambrils : neantmoins
il fut emporté, & les ennemis y perdirent quatre cens
hommes.

 

Monsieur de la Mothe estant asseuré de ces passages, se vint
camper à la veuë du Prince de Bothere, & ce en lieu si auantageux,
qu’il n’y pouuoit regulierement estre forcé, ny l’ennemy
en sortant de la plaine de Terragonne (où il postoit) entrer
par ailleurs dans la Catalogne. On peut facilement se persuader
qu’vne Armée de vingt mille hommes reduite en si peu
de pays ne demeura pas long-temps sans pastir ; & auec les necessitez,
de diminuer en courage & en nombre. Ce qui fit resoudre
enfin monsieur de la Mothe (apres auoir receu le secours
que luy enuoya du Roussillon monseigneur le Prince son Generalissime)
de sortir de la defensiue, & de descendre dans la
plaine de Terragonne, où à la barbe du Prince de Bothere il
attaqua & prit les villes de Vals, Lescouuerte, & Constantin,
& auec l’aide de l’Armée Nauale, le Fort de Salo.

Par la prise de ces places, monsieur de la Mothe resserra dauantage
cette puissante Armée, & en sorte qu’il la conttaignit
d’aller camper sous la portée du canon de Terragonne, où elle
tomba en des necessitez si extremes, qu’apres auoir mesme
mangé les prouisions de la Ville, chaque soldat estoit reduit
par iour à deux onces de ris, & trois onces de chair de cheual :
de maniere que sans le premier secours que monsieur de Bourdeaux
laissa entrer du costé de la mer, l’Armée & la Ville se
rendoient ensemble deux iours apres.

Tant de necessitez resolurent le Roy Catholique d’enuoyer
ses Ordres au Marquis de Leganez d’hazarder tout, pour secourir
par terre cette Armée languissante, & au Duc de Ferrandine
d’en faire autant par mer. Afin d’executer les commandemens
de Sa Majesté Catholique, le premier se mit en
campagne, & tenta de la secourir par le Col Balaguier, qui
estoit l’endroit par où le Marquis de Los Velez entra en Catalogne,
lorsqu’il assiegea & prit Cambrils & Terragonne : mais
Mr de la Mothe l’auoit tant bien muny, que ce General Espagnol
y trouua vne telle resistance, qu’il en fut repoussé auec
perte notable, & contraint de se retirer à Tortose d’où il estoit

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party. En cette contre-marche, son Armée qui n’estoit presque
composée que de milices, se dissipa. Le Duc de Ferrandine y fut
plus heureux, car il secourut deux fois l’Armée : mais la derniere
vint plus à propos pour sauuer la Ville que ladite Armée,
qui se trouuoit alors entierement ruinée & consommée par les
combats & necessitez où elle auoit esté reduitte, ne s’y estant
trouué que 2000. hõmes & 200. cheuaux, apres que ledit Duc
de Ferrandine eut emmene par mer les blessez & les malades.

 

Vne si puissante Armée n’a pû venir à telles extremitez, sans
qu’il y eust eu nombre d’escarmouches, de rencontres, & de
combats ; desquels il y a Iournal particulier, qu’on reserue à
l’Histoire des guerres de Catalogne. On ne parlera pour cette
fois que de la Iournée des Fourrageurs, qui est comme vne Bataille :
consideré que les deux Armées entieres sorties de leurs
retranchemens s’entrechoquerent en pleine campagne. Voicy
comme les Historiens la racontent.

Les ennemis ayans formé vn dessein d’occuper quelque poste
qui leur eslargist la communication de la mer, d’où ils esperoient
leur plus asseuré secours de viures. Mr de la Mothe en eut
avis par vn Walon transfuge, qui l’aduertit que le lendemain
10. de Iuillet les ennemis deuoiẽt faire irruption sur quelqu’vn
de ses quartiers, auec 800. cheuaux & 2000. fantassins. Il donna
ordre à Mr de Serignan (sous pretexte de faire montre aux
troupes) de s’aduancer auec mille mousquetaires & cinq cens
cheuaux à Tamaric, village qui n’est qu’à vne petite lieuë de
Terragonne, Mr de la Mothe cependant mit vne partie de ses
troupes en embuscade, dans les montagnes voisines. Mais sur
l’aduis que luy donnerent les gardes auancées, que les ennemis
marchoient en plus grand nombre qu’on ne l’auoit aduerty,
il reünit ses troupes, & se mit à la teste de sa Caualerie & Infanterie,
qu’il fit aller par vn vallon qui luy estoit fauorable à
couurir sa marche ; & mit son Armée en bataille le long d’vne
montagne, d’où il descouuroit la marche des ennemis de deux
costez de la Ville. Il n’y fut pas plustost, qu’il vid sortir vn grãd
conuoy de Fourrageurs, qui apperceurent l’embuscade de nos
troupes, & qui pour s’en garantir occuperent vne eminence fauorable,
en laquelle ils furent incontinent renforcez de quelques

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escadrons sortis de Terragonne. Afin de les chasser de cette
eminence, monsieur de la Mothe commanda ledit Sieur de
Serignan auec deux Regimens de Caualerie & cinq cens mousquetaires :
& luy cependant voyant deux escadrons de reserue
s’estre par trop auancez, les attaqua, prit, ou tua presque tous ;
& le conuoy des Fourrageurs se mit en fuitte.

 

Ce combat s’estant fait à la veuë de la Ville, l’Armée ennemie
pour sauuer ses troupes auancées se mit en bataille sur vne
petite montagne voisine, à portée de mousquet de ses retranchemens.
Monsieur de la Mothe de son costé dispose pareillement
l’Armée Françoise en bataille, & pour inuestir les ennemis,
donna ordre audit Sieur de Serignan (qui y fit des merueilles)
de les attaquer par la gauche, comme luy fit par la droite,
en sorte qu’il les deslogea de leur poste, & les poussa fuyans
iusques dans leur retranchement.

L’aisle droite se defendit plus long-temps, & estoit preste
d’emporter vne eminence aduantageuse, lors que Mr de la Mothe
iugeant l’importance d’icelle, destacha de son Armée trois
Regimens. François & vn de Catalans, auec trois compagnies
de caualerie, qui obligerent l’ennemy à se retirer, & d’abandonner
le poste. Mais le Prince de Bothere resolu d’emporter
cette colline contestée, y fit tenter vn nouuel effort par le Regiment
du Comte Duc, soustenu des hommes d’armes appellez
Cruzados, lesquels nous attaquerent impetueusement &
auec valeur, mais qui furent aussi genereusement repoussez :
ils cederent finalement & le poste & la victoire. Six cens Espagnols
demeurerent morts sur la place, cinq cens prisonniers,
& huict & neuf cens mules de butin.

Apres la dissipation de l’Armée de Terragonne, Monsieur de la
Mothe retiré dans ses quartiers de Vals & Constantine, y laissa
quelques troupes : puis marcha auec le reste de l’Armée aux
frontieres d’Arragon, sur l’aduis que luy donnerent les Catalans,
que les principaux de ce Royaume estoient prests à se
sousleuer pour leur liberté. Monsieur de la Mothe estãt arriué à
Lerida, il trouua que de la faction qu’il auoit assoupie au commencement
de la Campagne, en estoit née vne autre preste à
esclorre, que sa presence dissipa. Cela l’obligea neantmoins de

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laisser ses meilleures trouppes dans ladite Ville, & seulement
auec mille cheuaux & quinze cens fantassins aller apprendre
des nouuelles d’Arragon. Il sceut en ce voyage comme le Roy
d’Espagne auoit calmé la reuolte de ce Royaume là dans sa
naissance, par l’emprisonnement du Duc de Nocere, que Sa
Majesté Catholique en auoit soupçonné l’Autheur (quoy
qu’iniustement) sur des charitez de Cour.

 

Monsieur de la Mothe se iugeant inutile en ces frontieres,
prit en s’en retournant Tamarit ; & delà repassant par Lerida,
il retourna auec pareille diligence qu’il estoit venu en la plaine
de Terragõne : où il arriua le mesme iour que le Prince Bothere
auoit fait dessein d’enleuer vn quartier aux troupes qui auoient
esté laissées aupres de Constantine, croyant encor Mr de Mothe
aux frontieres d’Arragon. Pourquoy il auoit commandé six
cens fantassins & toute sa Caualerie, dont Mr de la Mothe ayant
esté incontient aduerty par les Espions qu’il entretenoit dans
Terragonne, il fut la nuict mesme leur dresser vne embuscade,
par le moyen de laquelle il vouloit les couper en retraitte. Vn
cas fortuit facilita son entreprise ; trois Vedettes des ennemis
estans heureusement tombées entre ses mains, il logea en leur
mesme place trois de ses soldats, lesquels il fit habiller des habits
desdites Vedettes, qui firent du haut de la montagne les
mesmes Signals que les autres deuoient faire : chose qui reüssit
si bien, que les ennemis continuans leur route furent chargez
par Mr de la Mothe : La Caualerie prit la fuite, apres auoir
perdu vne trentaine de leurs compagnons, & toute l’Infanterie
fut tuée ou prisonniere. Cette action fut baptisée par le feu
Roy du nom de La Iournée des Vedettes Le Prince de Bothere
en eut tant de desplaisir, qu’accablé d’vn si grand nombre de
disgraces qui s’entresuiuirent en quatre mois, il mourut peu
de iours apres dans Terragonne.

Cette Campagne finit glorieusement par le secours d’Almenas,
le Duc de Toralte & Dom Vincent de la Marre ayans
formé vn nouueau Corps d’Armée du debris de celles du Duc
de Nocera & du Marquis de Leganez, surprirent ladite Ville
située aux frontieres d’Arragon le 4. Nouembre, pendant vn
grand broüillard qui les fauorisoit. Le Gouuerneur qui estoit

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Catalan se defendit au chasteau, assez bon d’anciennes tours &
murailles, sinon qu’il estoit commandé d’vne montagne voisine.
Le Duc de Toralte le fit battre de quatre canons ; & à cause
qu’il y auoit vn grand peuple, les habitans s’y estans retirez, il
l’incõmodoit encore de bombes & de grenades. Mr de la Mothe
ayant eu aduis de ce Siege y marcha en telle diligence, que dés
le lendemain qu’il en eut avis, il se trouua à demie lieuë de l’ennemy,
d’où il asseura le Gouuerneur qu’il le secoureroit : Son
Armée pouuoit estre de mille cheuaux & 2500. hõmes de pied,
& celle du Duc de Toralte estoit de 2500. cuirasses & de 3000.
fantassins. Le premier iour, Mr de la Mothe pour secourir la
place marcha le long de la montagne, & les ennemis à l’opposite,
vn valon & rauine entre deux : mais afin d’auoir plus dauantage,
ils firent retirer leurs batteries pour s’en seruir contre
l’Armée Françoise, qui n’en auoit point. Ce premier iour que
les Armées furent en presence, il n’y eut que quelques legeres
escarmouches. Le lendemain dés le point du iour l’ennemy qui
auoit reconnu nos forces inégales aux siennes, se presenta derechef
en bataille resolu de nous combattre : mais mondit Sieur
de la Mothe se retira à Algoüaire, où le Gouuerneur du chasteau
d’Almenas luy enuoya signifier & protester, que si dans le iour
suiuant il n’estoit secouru, il se rendroit.

 

Ladite place ne se pouuant secourir par la force, contre vne
Armée plus puissante & bien postée, Mr de la Mothe s’aduisa
de le tenter de nuict par stratageme : Il dit à tous les tambours
& trompettes de l’Armée de suiure le Sr d’Amboise & de faire
ce qu’il leur ordonneroit ; & il commanda au Sr d’Amboise qui
estoit Capitaine au Regiment de Merinuille, d’aller de nuict
par la montagne droit à Almenas auec cent Maistres dudit
Regiment, & que pour donner l’espouuante il chargeast tous
ceux qui se presenteroient : que sur les quatre heures apres
minuit il ne manquast de commander aux tambours de sonner
continuellement la marche par les chemins, & aux trompettes
par interualle : qu’aux approches d’Almenas il leur fit sonner
la charge aux vns & aux autres. Ce projet reüssit comme
Mr de la Mothe s’attendoit : car les ennemis croyans que l’Armée
Françoise fust du costé où ils oyoient les tambours &

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trompettes, y marcherent ; cependant Mr de la Mothe allant
de l’autre costé par vn vallon auec 500. cheuaux, força toutes
les gardes que l’ennemy auoit laissées dans la Ville, secourut le
Chasteau : d’où il sortit tost apres, donnant aduis audit Sieur
d’Amboise de se retirer auec ses trompettes & tambours. Toralte
voyant la place secouruë, ne voulut persister dauantage
au Siege, & se retira dans les quartiers d’hyuer.

 

LA Campagne de 1642. ne fut pas moins heureuse à Mr de
la Mothe que la precedente. Le Marquis de la Ynoyosa le
voyant esloigné vers les frontieres d’Arragon, prit l’occasion
de son absence pour assieger Valz auec cinq mille hommes de
pied, douze cens cheuaux, & cinq pieces de canon : on luy en
donna aduis en grande diligence, & s’y en vint auec vne si extraordinaire,
que sa presence en veuë de l’ennemy preuint la
nouuelle de sa marche. Ce qui estonna tant le Marquis de la
Ynoyosa, qu’il leua le Siege : & fit sa retraitte en tel desordre,
que Mr de la Mothe les contraignit au combat pres de Villelongue
où il le batit. Les Relations Catalanes, à cause de cette
extreme diligence, mettent cette action entre les plus belles
qui se soient faites en Catalogne, & l’appellent La Bataille de
Villelongue. Elles marquent neuf cens morts sur la place, deux
canons pris, auec plusieurs prisonniers.

Deux mois apres, cette victoire fut suiuie d’vne autre beaucoup
plus memorable. Elle arriua sur ce que le Roy d’Espagne
voyant Colioure assiegé, Perpignan en peril, & le Roy de
France en chemin pour entrer en personne dans les Espagnes :
Sa Majesté Catholique, afin d’empescher ses grands projets
des François, resolut de ietter vne Armée considerable dans
le Roussillon, & de la fortifier des meilleures troupes qu’elle
eust. Pour ce, le Capitaine Ioseph Sem passa à Roses sur des
vaisseaux de Dunkerque & de Dantzic 6000. hommes de pied
auec toutes les munitions necessaires à vne puissante Armée.

Et d’autant qu’on ne peut pas porter sur la mer nombre de
Caualerie, Sa Majesté Catholique en forma vn grand Corps,
qui deuoit aller par terre ioindre sadite Armée de Roussillon :
& pour la conduire, nõma General D. Pierre d’Arragon Marquis
de Pouare, & le Duc de Toralte son Lieutenant general :

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lesquels ayans eu Ordre de choisir les meilleurs hommes qu’ils
pourroient dans les armées de Valence & d’Arragon, passerẽt
en celle de la plaine de Terragone commandée par le Marquis
de la Ynoyosa & Comte d’Aguilar, en laquelle ils choisirent
aussi ce qu’il y auoit de meilleur : & en formerent vn Corps de
2500. cheuaux, de mille Dragons, & de mille Officiers Reformez
ou vieux Soldats ; lesquels (afin de trauerser la Catalogne
auec plus de diligence) deuoient estre alternatiuement montez
sur des mules ou bidets. Huict cent mules furent aussi destinées
à porter des viures pour douze iours.

 

Cependant les ennemis ayant repris Constantine, Mr de la
Mothe apprit par les intelligences qu’il entretenoit à Terragone
le dessein du Marquis de Pouare : ce qui le fit resoudre à
obseruer sa marche, sans songer à autre chose ; Comme de fait
les ennemis firent plusieurs feintes pour le diuertir ailleurs. Ils
enuoyerent des troupes du costé de Tortose, faisans mine de
vouloir attaquer le Col Balaguier ; & firent courir le bruict,
que le dessein du Roy d’Espagne estoit de secourir le Roussillõ
auec son Armée d’Arragon, qui deuoit entrer par le Comté de
Foix : Et pour rendre ce bruict vray-semblable, ils furent assieger
Trem Ville de Catalogne qui estoit de ce costé-là : mais Mr
de la Mothe, sans mouuoir son Cãp, se contenta d’y enuoyer du
secours, par le moyen duquel les habitans firent leuer le siege.
D’ailleurs, le Marquis de la Ynoyosa auoit gagné les montagnes
escarmouchant continuellement, afin d’obliger Mr de la
Mothe à demeurer pour s’opposer à ses desseins.

Finalement ses Espions luy donnerent aduis, que le Marquis
de Pouare auec ce grand Corps d’elite, s’estoit separé du
gros de l’Armée de Terragonne le 23. de Mars, afin de trauerser
la Catalogne pour entrer dans le Roussillon. Dés l’instant,
par la marche que prit l’ennemy Mr de la Mothe iugea de celle
du reste de son chemin ; & pour l’empescher & preuenir fit les
ordres necessaires, donna Rendez-vous à ses troupes en des
quartiers qui se rencontroient sur la route des ennemis, & mãda
aux Catalans qui habitoient sur cette mesme route de publier
leur Sommetan, c’est à dire de preparer leur milices : auec
ordre de ne paroistre le iour que sur des eminences, & la nuict

-- 39 --

faire grands feux & grands bruits, & d’allarmer continuellement
les ennemis à coups de mousquetades : & escriuit à Dom
Ioseph de Margarith, d’aller auec ce qu’il pourroit amasser de
milices Catalanes se camper à S. Saloni & s’y retrancher,
estant vn endroit où il falloit de necessité que passast le Marquis
de Pouare.

 

Apres auoir donné ces ordres il demeura encor deux iours
combatant auec l’Armée ennemie, à laquelle il fit quitter les
montagnes, paroissant luy mesme par tout, afin de faire croire
au Marquis de la Ynoyoza qu’il ignoroit le dessein de la marche
de Pouare : & afin de l’entretenir dans cette creance, il fit
le soir du 25. venir dans sa chambre, comme s’il eust esté malade,
des prisonniers qui luy renuoyoit. Ayant lors communiqué
sa resolution à Mr du Terrail, auquel il laissa ce reste d’Armée
à commander, luy ordonnant garder tousiours ce poste
iusques à nouuel ordre : il partit & marcha sur des relais toute
la nuict ; en sorte qu’il arriua sur les 8. heures du 26. à Pierre où
estoit le Rendez-vous de ses meilleures troupes.

Vne heure apres son arriuée, les batteurs d’Estrade luy donnerent
aduis que l’ennemy defiloit en vn chemin creux peu
esloigné. Il le laissa aller, defendant à ses troupes de paroistre,
iusques à ce qu’il apprist que l’arriere-garde estoit moitié passée ;
& alors il fit charger si à propos, que quatre cens hommes
demeurerent morts sur la place & quãtité de prisonniers. Cette
attaque inopinée resserra l’ennemy, mais elle ne luy empescha
pas de continuer sa marche iusques au 28. qu’il y eust vn
grand combat, auquel la victoire balança long-temps, mais la
prise de D. Vincent de la Marre nous la facilita. Ce qui obligea
l’ennemy le lendemain 29. à faire volte face pour retourner
à Terragone ; iusques au 31. & dernier de Mars, que D. Pietro
d’Arragon & toute son armée harassée de tant d’attaques de
celle de France qui les escarmouchoit de iour, & les alarmes
continuels des Catalans les empeschant de reposer pendant la
nuict ; outre les viures qui leur manquoient, apres de si longues
marches & contre-marches : voyant les passages occupez,
& derechef pres de Villefranche attaquez de toutes parts en vn
troisiéme combat, ils furent contraints de demander quartier.

-- 40 --

En ces trois combats, & en cette longue marche & contremarche
de 8. iours, il se rencontra beaucoup de particularitez
remarquables : qui sont si exactement descrites dans la Trompette
Catalane, & dans tant d’autres Relations qui ont esté
imprimées en Latin & en toutes les langues de l’Europe, qu’il
seroit inutile de les representer en ce lieu. Il suffira de dire que
ce fut vne victoire entiere, & vne des plus importantes qu’ait
iamais remporté la France dans l’Espagne : Memorable, en ce
que de toute cette Armée il ne s’en est pas sauué vn, tous ayans
esté tuez ou faits prisonniers. La consequence en fut grande,
en ce qu’elle mit le Roy Catholique dans l’impuissance de secourir
les Villes de Colioure & Perpignan. Le Roy recognoissant
cette heroïque action, honora Mr de la Mothe du Baston
de Mareschal de France. Et de plus, Sa Majeste auoit proposé
au Chapitre qui fut tenu pour la promotion de Mr le Prince de
Monaco, d’enuoyer aussi l’Ordre du S. Esprit aux Mareschaux
de Guebriant & de la Mothe, Sa Majesté iugeant que ceux qui
commandoient si glorieusement ses Armées dans les Pays
estrangers, deuoient porter ces marques d’honneur : mais les
ialousies & les intrigues qui estoient lors à la Cour, empescherent
les effets de la bonne volonté de Sa Majesté.

Apres cette signalée victoire, les Catalans qui disoient
auoir intelligence dans Tortose, obligerent Mr de la Mothe d’y
aller : mais apres l’auoir tentée pendant trois iours, il marcha
dans l’Arragon, où il reprit Tamarit : puis il assiegea & prit
Monçon vne des principales Villes de ce Royaume-là. Il s’en
alloit assieger Fragues, lors que les ennemis firent vne diuersion,
qui l’obligea de retourner diligemment en Catalogne
pour r’asseurer Barcelonne sur l’apprehension qu’elle auoit de
voir à l’anchre deuant son port le Prince de Toscane auec toute
l’Armée Nauale d’Espagne. Ce qui augmentoit cette crainte,
estoit vne Armée de Terre qui estoit desia dans la plaine de
Terragone au nombre de quinze mille hommes, commandée
par le Marquis de Terragouze General de reputation : auquel
se deuoiẽt encor ioindre le Marquis de Mortara & le Baron de
Sabac auec autres 8000. hommes. Mr de la Mothe se vint camper
à Ville-franche, d’où il empescha toutes ces Armées de passer

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iusques apres la prise de Perpignan : De sorte que le Prince
de Toscane ne voyant point agir l’Armée de Terre, se retira de
deuant Barcelonne.

 

Cependant le Roy d’Espagne voyant tant d’Armées ruinées
sous la conduitte de ses Generaux, & les pertes de Perpignan,
Colioure & Monçon, se resolut de venir luy mesme à la guerre :
& par vne puissance extraordinaire emporter dans la fin de
cette Campagne toute la Catalogne & le Roussillon. Sa Majesté
Catholique partit à cet effect de Madrid & se rendit à Sarragosse.
Cette Armée a esté la plus nombreuse qu’ait veu l’Espagne
depuis les guerres des Maures de Grenade. Les Estendarts
des Ordres furent tirés auec ceremonie des Eglises de S.
Iacques de Salamanque, de Calatraua & Alcantara ; & portés
à l’Armée pour signal, que le Roy & toute l’Espagne, marchoient
à la guerre. On fit conduire à Fragues toutes les prouisions
& munitions necessaires, auec 40. pieces de canon : &
pour l’entretien de cette puissante Armée, le Roy, la Reyne, &
tous les Grands d’Espagne, firent battre en monnoye presque
toute leur vaiselle d’argent. Les troupes s’assemblerent és
Royaumes de Valence & d’Arragon, & se ioignirent à Fragues,
où le Roy declara General de cette formidable Armée
le Marquis de Leganez.

Monsieur de la Mothe apprehẽdant que tant de forces fondissent
sur luy tout à la fois, fit son possible pour combattre le
Marquis de Terragouze auant qu’il pûst ioindre l’Armee du
Marquis de Leganez. N’ayant pû empescher cette ionction,
quelque diligence qu’il y apportast : la conseruation de Lerida
qui s’en alloit perduë, la confiance qu’il auoit en la bonté de
ses troupes, & vn poste auantageux qu’il occupoit, le firent resoudre
(encore qu’il n’eust que douze mile hommes) d’attendre
le choc d’vne Armée presque deux fois plus forte que la
sienne, de laquelle il fut attaqué le 7. d’Octobre à la veuë de
la ville de Lerida.

Le Combat fut grand, long & opiniastré. La prise de deux
de nos canons, & nostre Aile droite ébranlée par la furieuse attaque
de l’Auangarde, composée de la Noblesse volontaire
d’Espagne, des Escadrons des Ordres, de 2000. Cuirasses auec

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quatre mille fantassins, sembloit faire pancher la victoire du
costé des ennemis, lors que Mr le Mareschal de la Mothe l’acquit
à la France par sa valeur. Vittorio Sirj au second Tome de
son Mercure liure 3. exprime en termes elegans cette genereuse
action. Il Motha che d’all’ a la sinistra ributato haueua, con
gran valore il feroce assalto de Spagnoli, conosciuto il disordine de suoi
siriconcentro nel suo essercito, & con due squadroni del Magaloti, &
col Regimento suo di reserua, rimessa & riuigorita l’a la destra ; la
scaglio con tanto impeto sopra la vangardia Spagnola, che riuerberando
il timore sopra di quelli ch’erano pur dianzi agressori & vittoriosi,
in vn’ atomo mutata laparanza di quella scena, commenciarono
prima a titubaré, & poscia a saluar si disordinatamente. Sans la nuit
la tuerie eust esté plus grande. L’Armée Françoise demeura
maistresse du champ de bataille & des morts, qui excedoient
deux mille, entre lesquels se trouuerent vn si grand nombre de
Cheualiers des Ordres, que cela causa vne lamentation vniuerselle
dans l’Espagne : laquelle fit par tout de mauuais augures
de la perte de ces Religieux Estendards des Ordres, qui furent
pris auec nombre d’autres Cornettes & Enseignes, & portez
en triomphe dans l’Eglise de Barcelonne.

 

Monsieur le Mareschal de la Mothe poursuiuant sa victoire,
contraignit le debris de cette effroyable Armée à se retrancher
en lieu si desauantageux, que les eaux en ruinerent vne partie ;
& le reste se trouua enfin entierement dissipé par les diuers
partys qui luy furent deffaits, & par la prise d’vn grand conuoy,
lequel acheua de l’affamer & ruiner.

La colere du Roy Catholique jetta la faute de cette perte
sur le Marquis de Leganez, qui pour ce fut arresté prisonnier
à Consuegra : & sur le mesme pretexte le Comte Duc fut disgracié,
apres auoir entierement possedé le Roy son maistre
plus de vingt années. Ledit Vittorio Sirj vn des plus iudicieux
Historiens de ce temps, remarque la grandeur & la consequence
de cette action. Cosi vn essercito di trenta mile combatenti racolto
insieme con infinito dispendio, & per vltimo sforso della Spagna nel
occasione dell’ vscita del Ré : senza produrre alcun vantagio alla corona
rimase miseramente dissipato ; conche s’aualoro maggior mente
la contumacia de Catalauni, &c. Et peu apres il adjouste : Et si

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stabilirono vie piu li Francesi in questa Prouincia communemente iudicata
vn’ altra Fiandra alla Spagna. Il conclud à la fin. Per le
medesimi ragioni firmo miglio-su la sua testa il Ré di Francia la cor[1 lettre ill.]na
di quel Principato.

 

Afin de recompenser ce seruice important, qui finissoit glorieusement
cette heureuse Campagne, le Roy fit Duc Mr de la
Mothe : & Sa Majesté luy enuoya l’inuestiture du Duché de
Cardonne de si bonne grace, qu’il ne se peut pas dire dauantage.
On ne peut mieux exprimer ce bien fait du Roy, que par
ce qu’en escriuit Monseigneur le Cardinal Duc à Mr de la Mothe,
par sa lettre du 27. Octobre 1642.

La Nouuelle que nous auons receuë de la deliurance de Lerida,
par le gain de la Bataille que vous auez emporté contre le Marquis
de Leganez, me redonne des nouuelles forces & ma santé ; en m’ostant
les inquietudes où i’estois de cette Place & de l’Armée que vous commandez.
Il n’est pas mal-ayse de vous rendre de bons offices enuers Sa
Majesté, puis que vous nous en donnez tous les iours matiere par vos
prosperitez. Aussi puis-je bien vous asseurer, qu’il n’y a point de Gentil-homme
en France en meilleure estime aupres d’elle, & pour le bien
duquel Sa Majesté se trouue si tost disposée. Pour nouuelles marques
de sa Iustice & bonté enuers vous, Elle vous a donné la qualité de
Duc & Duché de Cardonne, dont vous tirerez de grands aduantages,
pour supporter les despenses que vous ferez d’oresnauant. Monsieur
de Noyers enuoyant les Prouisions dudit Duché par lettre du
mesme iour & datte que celle de Son Eminence, parle encor
du contentement qu’eut Sa Majesté faisant cette gratification.
I’ay mis és mains de Monsieur de Rennes les Prouisions du Duché de
Cardonne, que le Roy a octroyé d’vne façon si obligeante & glorieuse
pour vous, qu’il ne se peut rien adiouster à la grandeur d’vn tel bienfaict.
Ayant Sa Majesté dit à Son Eminence, que iamais il n’auoit
esleué personne aux dignitez de Mareschal de France & de Duc de
meilleur cœur.

Monsieur le Mareschal de la Mothe ayant receu l’Inuestiture,
la fit enregistrer au Greffe Royal de Barcelonne, & prit
possession du Duché de Cardonne, auec toutes les formalitez
necessaires selon les Constitutions de Catalogne : & en suitte
prit la qualité de Duc dans tous les Actes publics qu’il faisoit

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Ce qui obligea extremement les Catalans, de voir qu’vn Gentil-homme
François qui auoit tant contribué à leur liberté,
estoit deuenu leur citoyen & leur compatriote.

 

FLix place importãte en Catalogne sur la riuiere de l’Hebre,
fut assiegée deux fois des ennemis pendant la Campagne
de 1643. La premiere au mois de Ianuier, par le Marquis de la
Ynoyosa lequel auoit desia formé son siege, & commencé ses
bateries, lors qu’il apprit que monsieur le Mareschal de la Mothe
approchoit pour la secourir : ce qui luy fit leuer le siege &
se retirer en diligence, ne voulant pas hazarder vn combat encore
que mondit sieur le Mareschal, eust beaucoup moins de
forces que luy. Le second siege y fut mis par D. Iean de Garay
Capitaine de reputation, que D. Philippes de Sylues y enuoya
auec six mille hommes : mais Mr le Mareschal marcha en grande
diligence au secours de la Place auec toute son armée. Ce qui
fit leuer le siege auec telle confusion aux ennemis, qu’ils brulerent
toutes leurs munitions & batteaux, & ietterent leur canon
dans l’Hebre, afin de se retirer auec plus d’agilité.

Au commencement de cette Campagne, le Roy Catholique
ayant fait passer des troupes d’Arragon en la vallée d’Aran,
la fit reuolter contre la France. Ce qu’estant de perilleuse
consequence pour le reste de la Catalogne, Mr de la Mothe
pria D. Ioseph Margarith Gouuerneur du Principat d’y aller
en personne, comme ayant vne entiere confiance en sa valeur
& en sa fidelité tant de fois esprouuée pour le bien de la France :
ce qu’il tesmoigna encore en cette occasion ; où apres auoir
pris le chasteau où s’estoient retirez les rebelles, il remit doucement
le Païs dans l’obeyssance, & contraignit les troupes
Castillanes de retourner en Arragon.

Nous finirons les actions militaires de Mr le Mareschal de la
Mothe par le secours de Mirauet, qui est vne des dernieres qu’il
a faites du regne du feu Roy. C’est vn grand & fort Chasteau situé
sur la riuiere de l’Hebre. Le Marquis de la Ynoyosa ayant
honte de sa retraite de Flix, prit occasion de l’assieger sur la fin
de Feurier, pendant que l’armée Françoise estant separée &
diuisée dans les quartiers d’hyuer, ne pouuoit estre rassemblée

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qu’auec difficulté ; ni mesmes Mr de la Mothe qui estoit à Barcelonne
en auoir aduis assez à temps pour le secourir. Neantmoins
dés qu’il eut receu la nouuelle de ce Siege, il donna Rendez-vous
à toutes ses troupes à Flix, où il se rendit aussi auec
vne diligence extraordinaire. L’Armée qui pouuoit estre de
trois mil hommes de pied & de 1200. cheuaux y trauersa l’Hebre
la nuict assez incommodement dans vn seul bac & quelques
petits batteaux ; de sorte qu’elle ne put estre passée que
le lendemain sur le midy. Dés l’instant il marcha, & s’arresta
sur le soir à trois quarts de lieuës de Mirauet, faisant feinte de
vouloir assieger le chasteau des Maures (auquel les ennemis
auoient mis garnison) il le fit afin de les amuser quelque temps,
pendant lequel il feroit repaistre ses troupes, & apprendroient
l’estat du Siege & de la Place ; ayant fait auparauant aduertir
le Gouuerneur, qui estoit le Sr de Laual Capitaine au Regiment
d’Espenan, qu’il approchoit pour le secourir. Sur la minuict
il apprit que le chasteau assiegé depuis 18. iours estoit aux
abbois : & partit à dessein, s’il ne le pouuoit secourir, d’attaquer
le Marquis de la Ynoyosa, lequel estoit campé à Gandeza
proche de Mirauet, d’où il rafraichissoit tous les iours ceux
qui attaquoient la Place. Il marcha pour cét effect entre Mirauet
& le Camp du General pour empescher leur ionction &
les battre plus facilement separés. Sur le bruict de son approche
le Marquis de la Ynoyosa se retira, & Mr de la Mothe sans
le suiure tourna teste vers Mirauet, où il arriua sur le midy.

 

Les assiegaans estoient retranchez à l’entour du chasteau de
telle sorte, & dans des postes si auantageux, que le Marquis
de la Ynoyosa auoit assez de raison de croire qu’il estoit inutil
à Mr de la Mothe de songer au secours de cette Place où il ne
menoit pas de canon. Aussi les ennemis le voyans arriué, s’escrierent
qu’il estoit venu assez à temps pour voir ce iour-là
ioüer la mine, & prendre la place en sa presence. Rodomontades
qui ne les empescherent neantmoins de se preparer à le
bien receuoir : & pour ce pointerent les canons qu’ils auoient
auparauant dressé contre le chasteau, vers l’Armée Françoise.

Mr de la Mothe ayant apperceu que les accez & abords dés
retranchemens estoient inaccessibles par le bas : & sceu que outre

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le premier retranchement il y auoit encor vne terrace derriere
la muraille de la basse coutr qu’ils auoiẽt gaignée, il se resolut
toutesfois d’en feindre l’attaque, faisant munir ses soldats
de fassines pour combler les fossés : & cependant ayant reconneu
qu’au derriere du chasteau il y auoit quelque espace
où les retranchemens n’estoient pas conduits, à cause qu’estãt
sur vn Rocescarpé, il n’y auoit porte ni fenestre par où on pûst
entrer ou sortir : il apprit par vn soldat que lui enuoya le Gouuerneur
qu’il feroit de ce costé-là vn trou au pied de la muraille
& y mettroit vne eschelle pour monter ceux qu’il destinoit
pour le secourir. Il se mit en bataille deuant les retranchemẽs,
& sur la brune fit filer de l’infanterie qu’il auoit commandé
pour le secours du chasteau, par vn valon qui en deroboit la
veuë aux ennemis ; & à la faueur de la nuit, ceux qui estoient
ordonnées pour cela entrerent par ledit trou dans la place. Le
Sr du Serre Lieutenant de ses Gardes y entra le premier auec
400. soldats, il fut suiui par mondit Sr le Mareschal de la Mothe
mesmes lequel ayant ordonné ce qui estoit necessaire pour
attaquer les ennemis, il fit sur la minuict démuraller les portes
de dedans le chasteau, & abatre quelques pans de muraille
pour pouuoir sortir auec plus d’impetuosité sur les assiegeans
par le deuant, tandis qu’au mesme tẽps ses troupes qui estoient
dehors en bataille les deuoient attaquer par derrier auec grãd
feu. Ce qui fut vigoureusement executé. Les ennemis se defendirent
auec valeur au commencement ; & nonobstant cette
resistance, leurs approches & tranchées furent nettoyées,
400. hommes des leur y demeurerent : apres quoy les nostres
allerent combattre ceux qui defendoient les retranchemens,
lesquels voyans la place secouruë, & eux attaquez de tous costez
par deuant & par derriere, & inuestis entierement de nos
troupes, demanderent quartier qui leur fut accordé ; Il y eut
1200. soldats prisonniers, 200. Officiers, tous les Mineurs, Ingenieurs,
Canonniers de leur Armée au nombre de plus de 60 :
le canon, le bagage, les drappeaux & cornettes demeurerent.
La victoire fut entiere ; & la deffaite d’autant plus considerable,
que c’estoient les Regimens des Gardes du Roy & du
Prince d’Espagne.

 

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CE n’est pas seulement dans les actions de la guerre que les
Seruices de Mr le Mareschal de la Mothe ont esté vtiles à
l’Estat, il en a encor rendu de considerables dans le Gouuernement
Politique, dont ses amis sont obligez de faire quelque
mention ; puis qu’en cela ils ont l’exemple de plusieurs hommes
d’espée, lesquels en semblables accidens ne se sont pas
contentez de representer à leurs Princes ce qu’ils auoient fait
dans les armes, mais ont exaggeré leurs autres actions qui regardoient
le seruice de leurs Estats, soit dans leurs Conseils,
Negociations, ou Ambassades, soit dans la Conduite des Peuples,
& Gouuernement des Royaumes & Prouinces.

Les actions de la Guerre regardent ordinairement plus la
gloire des Roys que le repos du Pays où on l’a fait. Les bons
succez des Armées les font craindre aux ennemis, mais la sage
conduite des Gouuerneurs qu’ils enuoyent, leur concilie la
benediction des Peuples. L’vn est vtile pour se faire redouter au
dehors, & l’autre leur est absolument necessaire pour se conseruer
& se faire aymer au dedans. En vn mot, il n’y a pas de
seruice plus important, plus considerable & necessaire aux
Princes conquerans (comme estoit le feu Roy) que ceux qui
maintiennent & confirment dans leur obeïssance les Peuples
qui leur sont nouuellement sousmis. Et si nos Roys eussent esté
cy-deuant bien seruis dans ce haut poinct de Politique, la France
possederoit encor auiourd’huy Sicile, Naples, Gennes, &
Milan, que l’imprudence & mauuaise conduite des Gouuerneurs
a plustost fait perdre, que la puissance des ennemis.

Pour Mr de la Mothe il y a parfaitement reüssi, ayant si prudemment
& auec telle moderation gouuerné les Catalans, qu’il
a autant gagné de cœurs par sa bonté qu’il en commandoit
par son authorité ; la modestie empesche de dire icy ce qu’ils
en ont escrit & imprimé, aussi y a-il tellement reglé toutes ses
actions, & dans la Religion & dans les mœurs, qu’il a seruy
d’exemple & aux peuples & aux soldats qu’il gouuernoit.

Le feu Roy l’enuoya en Catalogne incontinent que Sa Majesté
eut receu la nouuelle que les Estats de cette grande Prouince
l’auoient esleu pour leur Prince. En arriuant il trouua le
pays sur la defensiue, & le Roy d’Espagne dans les preparatifs

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de puissantes Armées. Choses qui n’estoient pas plus à apprehender
au dehors, que les factions qui se tramoient au dedans.
Ne se pouuãt faire autrement que dans cette grãde reuolution
dans l’instant d’vn changement si memorable & extraordinaire,
il ne restast des partialitez infinies, & des puissants ressorts
de la maison d’Austriche pour recouurer vne perte qui entamoit
les Espagnes. Toutes les histoires nous apprenent combien
les dominations nouuelles sont espineuses, difficiles à
maintenir, & pleines d’obstacles & de perils, que Mr de la Mothe
a neantmoins surmonté, non par la cruauté ni par la crainte,
mais par des maximes Chrestiennes, amiables, & naturelles
à ces peuples.

 

Mondit sieur de la Mothe consideroit qu’il commandoit à
vne des genereuses Nations de la Chrestienté, laquelle auoit
le courage esleué, & par les glorieuses actions qu’elle a faites,
& par sa liberté qu’elle a conseruée depuis mil ans, que Charles
le Chauue vn de nos Roys luy en a octroyé les priuileges.
Il sçauoit le Prouerbe d’Espagne qui dit que le Roy fait ce
qu’il veut à Valence, ce qu’il peut en Arragon, & en Catalogne
ce qu’elle veut. Toutesfois il y a tellement agit, que son
gouuernement est en benediction parmi les Catalans ; & a fait
en sorte qu’il a obtenu d’eux tout ce que le seruice du Roy son
maistre a desiré.

Afin de leur faire gouster la domination de France, il les a
gouuerné d’vne maniere toute differante de celle des derniers
Vice-Roys d’Espagne, qui ont donné cause à leur sousleuement.
Ceux-là, par leur faste & presomption ont aliené les
cœurs des peuples de l’affection du Roy leur maistre, & luy
par son affabilité & courtoisie, il les a recueillis pour le sien.
Ceux-là violoient & enfregnoient impunément les constitutions
& immunitez de la Catalogne, & luy estoit exact dans
l’obseruation de leurs priuileges, sans y permettre aucune derogation.

Lors qu’il estoit question d’entendre les plaintes & de rendre
Iustice, il donnoit également accez aux pauures comme
aux riches ; & communiquoit si familierement auec ceux du
pays qui auoient à faire à luy, que personne ne se retiroit de sa

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presence sans consolation ou satisfaction. Il ne nommoit personne
aux charges que par l’aduis des principaux. Officiers du
pays. Il apportoit tant de soin à l’obseruation de la discipline
militaire, que pendant la guerre il a fait viure les Catalans,
comme s’ils eussent esté en paix, les habitans ne craignant non
plus les soldats dans leurs maisons que leurs enfans.

 

Dans le commencement des guerres, que les ennemis pensoient
continuer à traitter les Catalans à la mode de Cambrils,
il ne voulut iamais faire aucun quartier entre ses troupes &
les Espagnols, qu’ils ne l’eussent accordé premierement pour
les Catalans que pour les François : A quoy par les heureux
succez qu’il eut, & le grand nombre de prisonniers Castillans,
il reduisit le Roy d’Espagne ; & luy osta par cét ordre le moyen
de se venger des Catalans, affermissant ceux-cy par vne telle
protection en l’amour de nostre Nation : & pour les encourager
dauantage, dans l’eschange des prisonniers Mr de la Mothe
donnoit pour vn Catalan quelque illustre Espagnol que
ce pûst estre. La pieté & le soin qu’il auoit de faire bien seruir
Dieu dans les Armées, & les rigoureuses Ordonnances qu’il
faisoit pour la conseruation & seureté des personnes, des femmes,
& des biens ; afin de brider en cela la licence ordinaire
des soldats, ont rendu le gouuernement François si agreable
parmy ces peuples, qu’ils ont facilement oublié celuy de leur
ancien Maistre, & ont depuis cent fois remercie Dieu, de ce
qu’ils auoient secoüé le joug de Castille.

Par cette sage conduite, Mr de la Mothe n’a pas seulement
conserué la Catalogne dans l’obeïssance, mais l’y a tellement
confirmée, que l’on peut dire auec verité que sur ces principes
d’amour & de iustice, il a jetté les solides fondemens de la Monarchie
Françoise dans cette belle & riche Prouince. L’experience
ayant fait voir l’espreuue de l’affection & fidelité des
Catalans, en ce que ny les formidables armées des ennemis,
ny les intelligences & fortes sollicitations du Roy d’Espagne,
jointes aux malheureux succez de la bataille de Leyde, & de la
leuée du siege de Terragonne, n’ont pû ébranler cette fidelité
des Catalans enuers la France ; ny son absence, les disgraces
de la Cour, auec sa detention, aucunement diminuer enuers

-- 50 --

ce genereux peuple l’estime & l’affection qu’il auoit pour
mondit Sr le Mareschal de la Mothe son Vice-Roy.

 

Pline, au Panegirique de l’Empereur Trajan, dit : Que la
marque la plus infaillible que le Prince & la Republique puissent
auoir du bon gouuernement d’vn Magistrat, est le tesmoignage
d’vn peuple qu’il a gouuerné, apres qu’il ne le gouuerne
plus. Ces grands sentimens qu’ont les Catalans pour Mr le
Mareschal de la Mothe depuis qu’il est sorty de leur pays : Ces
desadueus publics qu’ils ont faits contre les calomniateurs,
sont de ce genre d’approbation que desiroit cét Autheur : &
des preuues certaines des seruices qu’il a rendu à l’Estat pendant
qu’il les a gouuerné.

Estant chose digne de remarque, que lorsque Mr le Mareschal
de la Mothe est muet & en prison, Dieu a ouuert la bouche
& remué la langue au peuple de Catalogne pour plaindre
ses disgraces, & publier les seruices qu’il a rendu à la Couronne
en les gouuernant. Ce peuple n’a pas plustost sceu que par la
Commission addressée au Parlement de Grenoble, mondit
Sieur le Mareschal estoit entrepris & accusé des choses qu’il
auoit faites pendant qu’il estoit son Vice-Roy, que non seulement
les grands & principaux Officiers du Pays, non seulement
Messieurs de la Deputation, le bras Militaire, les Corps
des Chapitres des Eglises, de l’Inquisition, des Religieux, les
Villes & Communautez ; mais les habitans des plus petits Villages
se sont addressez à Monseigneur le Prince, pour luy tesmoigner
combien la memoire du gouuernement de Mr le Mareschal
de la Mothe leur estoit en veneration.

Ce doit estre vne grande consolation à ce Gentil homme
dans sa disgrace, d’auoir pour sa conduite le plus glorieux
Tesmoin qui soit en l’Europe. Ce grand Prince qui est la
merueille de la France, & les delices de tous les Peuples qui
le connoissent, qui est incomparable, & qui s’est rendu l’estonnement
de toutes les Nations ; par tant de prises de Villes,
de Batailles & de Victoires, a sceu & veu en Catalogne
par la satisfaction des Peuples & gens de guerre, que Monsieur
le Mareschal de la Mothe estoit plus mal-heureux que
coulpable.

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ON peut conclure ce discours par les mesmes paroles
dont se seruit autresfois le Duc d’Ossone dans sa disgrace ;
apres auoir representé en vn pareil Factum à Sa Majesté
Catholique tous les seruices qu’il luy auoit rendu dans
la paix & la guerre: Y seria ssumma infelicidad, que los calumniadores
preualeciessen a las demostrations actuales y verdaderas de tantos
meritos.

Ses seruices sont les armes auec lesquelles il espere desarmer
le courroux de Sa Majesté contre luy. Il est muet en prison par
respect qu’il doit à Sa Mejesté, & employe la voix du feu Roy
qui est eloquente en sa cause, & se fait assez entendre pour
luy à son Fils, par les seules Prouisions de Mareschal de France
qu’il luy a donné. Il a quelque sujet de dire & de s’expliquer
les mesmes propos de Iob à Dieu. Qui suis-je moy, pour pouuoir
respondre au Roy, & entrer en dispute par mes paroles auec luy ? que
quand mesme i’aurois quelque chose de iuste à alleguer pour ma defense
ie ne respondrois pas, mais i’aurois recours aux prieres. Quantus
ergo ego sum ego, vt respondeam ei, & loquar verbis meis cum eo ?
Qui etiam si habuero quidpiam iustum, non respondebo, sed meum Iudicem
deprecabor. Iob 9.

Au conseil qu’on luy donneroit de parler pour se iustifier de
quelque soixante & dix mille liures qu’on luy impute auoir diuerty
à Sa Majesté, en produisant pour sa descharge les ordres
du feu Roy, & en outre les actes & acquïts autentiques qu’il a
de l’employ de ces deniers, lesquels dans le cours ordinaire de
la Iustice destruisent euidemment l’accusation pendante au
Parlement de Grenoble, & qui irrite Sa Majesté contre luy,
na-il pas raison d’opposer & de craindre les mesmes rencontres
de Iob, bien qu’auec differens sujets ? Si ie me veux iustifier,
ma bouche me condamnera, si ie me veux monstrer innocent, elle me
rendra coulpable. C’est à dire, que les cœurs des Roys, qui sont
les Images de Dieu, s’attendrissent par respects, & ne se fleschissent
pas par resistance. & qu’vn silence auec eux est moins
dangereux dans la disgrace, que la plus iuste contradiction.
Si iustificare me voluero, os meum me condemnabit, si innocentem
ostendere, me prauum comprobabit. Iob 9. Il n’a pas affaire à vn
homme semblable à luy pour démesler sa cause, & luy respondre ;

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& qui pourroit resister à la colere de celuy qui fait trembler
l’Espagne, & l’Empire, & sous qui tout plie. Quis potest resistere
iræ eius qui curuat orbem. Les amis de Fauorinus vn des
plus grands Philosophes de son temps, s’estonnans de ce que
dans les disputes de doctrine qu’auoit voulu faire auec luy
Adrian l’Empereur (qui se picquoit de science) il ne se defendoit
ny argumentoit à son ordinaire, & qu’il n’alleguoit pas
les raisons qu’il pouuoit pour deduire les objections de cét
Empereur ; il leur respondit sagement, qu’il ne pouuoit moins
faire, que de ceder à vn Prince qui auoit sur pied 30. Legions.

 

Quand la vie d’vn homme seroit lauée dans les eaux de la
neige, pour parler auec l’Escriture, & que ses mains esclateroient
de pureté, & seroient nettes de toutes sortes d’administrations
d’argent & de taches. La seule auersion des Roys, &
la recherche qu’ils feroient faire contre sa vie la soüilleroient
d’ordures, & luy donneroient vn autre visage que son naturel,
par la complaisance ou malice de ceux qu’ils y employent :
dautant aussi qu’on ne se defend pas librement auec eux, &
que personne n’ose rendre tesmoignage contre leurs volontez ;
n’y ayant pas iusqu’à present d’exemple d’innocence, qui
ait esté à l’espreuue de la poursuite des Souuerains.

C’est pourquoy Mr le Mareschal de la Mothe ignore sa vie,
pour ne pas desplaire à Sa Majesté ; sa langue est en prison aussi
bien que sa personne. Il ne veut auoir l’vsage de la parole,
que pour remercier Sa Majesté de sa clemence, & non pas pour
s’en defendre contre sa iustice. Il la supplie seulement de se
souuenir de ses seruices. Ce sont là les clefs de la prison qu’il
luy presente, pour luy ouurir les portes d’vn lieu, ou s’il a quelque
regret ; c’est d’estre inutile à Sa Majesté, & d’interrompre
le cours de tant d’années qu’il a incessamment employé au
seruice de sa Couronne.

L’Escriture nous apprend, que la colere de Saül contre Dauid
s’adoucit par les reflexions qu’il fit sur les paroles de son
fils Ionathas, qui luy representoit les seruices de Dauid : lequel
par ce moyen fut regardé d’aussi bon œil de Saül, & en la
mesme posture qu’il estoit auparauant. Fuit ante eum ficut erat
heri & nudius tertius. Samuel 19. Et Salomon ce sage Prince

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suiuit les conseils & executa le testament de Dauid son pere ;
qui dans les dernieres paroles de sa vie, apres auoir recommandé
à son fils la crainte de Dieu & l’obseruation de ses commandemens,
pour attirer sur luy les benedictions du Ciel ; Il
l’aduertit de se souuenir de départir ses graces & faueurs à
ceux qui l’auoient assisté dans les guerres, & seruy és occurrences
de ses affaires.

 

En l’Exode 28. il est commandé à celuy qui entroit dans le
Sanctuaire, de porter sur le front vne lame d’or tres-pur, sur
laquelle le Nom du Tout-puissant soit artistement graué. Ce
commandement est fait, afin que le grand Dieu indigné s’appaisast
iettant les yeux sur son nom. Vt placatus sit ei Dominus.
Les Roys sont les Lieutenans de Dieu en terre, & doiuent se
conformer à son exemple. C’est pourquoy le Mareschal de la
Mothe portant en sa personne tant de marques du feu Roy,
ayant son seing & son nom escrit & graué si glorieusement en
tant de Lettres & Tiltres qu’il luy a donné en suitte de ses seruices,
doit attendre de la bonté de Sa Majesté, qu’y faisant
quelque reflection, elle oublira les accusations qu’on a voulu
faire contre luy ; lesquelles si elles estoient cogneuës de Sa Majesté,
elle les estimeroit indignes de sa colere, & au dessous de
tant de seruices ; & la conuiera de rendre la liberté à vn Gentilhomme,
qui ne la desire que pour la perdre aussi bien que sa vie
à son seruice. Amen.

LETTRES PATENTES DV ROY LOVYS LE IVSTE,
par lesquelles il a fait & creé Mareschal de France,
Messire Philippes de la Mothe Houdancour.

LOVIS par la grace de Dieu Roy de France & de Nauarre,
A tous ceux qui ces presentes Lettres verront,
Salut. Sçachant combien les Roys sont obligez pour le maintien
de la grandeur de leurs Estats, de ne confier les Charges
ausquelles ils ont attribué vne partie de leur authorité qu’à de
dignes Subjets : & qu’ils ne peuuent faire d’action plus conuenable
à la Majesté Royale, n’y qui accroisse dauantage le

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nombre & la fidelité de leurs seruiteurs ; que de recognoistre
ceux qui ont bien merité d’eux, & de la Couronne : Principalement
dans la guerre, où l’honneur ne s’acquiert qu’en
exposant genereusement ce qui est de plus cher. Et considerans
que les Charges de Mareschaux de France sont establies
pour la direction du bon ordre & de la Discipline militaire,
& pour le commandement des Armées : comme aussi
pour seruir dans les plus importantes affaires & occurrences.
Nous auons tousiours eu en singulier recommendation de
n’éleuer à vne dignité si eminence, que ceux qui s’estans
signalés dans les principaux employs, sembloient y estre appellez
par les vœus publics, aussi bien que par nostre estime
& nostre affection. C’est pourquoy ayant besoin de reparer
les pertes que la longueur, les fatigues, & les occasions de la
presente guerre contre la Couronne d’Espagne & la Maison
d’Austriche nous ont causés de plusieurs grands Chefs, mesmes
d’aucuns Mareschaux de France. Et cognoissans que nostre
tres-cher & bien aimé le Sieur PHILIPPES DE LA MOTHE
HOVDANCOVR nostre Lieutenant General en nostre Armée
de Catalogne, soubs nostre tres-cher & bien aymé Cousin
le Mareschal de Brezé ; Capitaine d’vne Compagnie de cent
hommes d’armes de nos Ordonnances, Maistre de Camp d’vn
Regiment de Caualerie, & d’vn d’Infanterie Françoise, Gouuerneur
de nostre ville & chasteau de Bellegarde ; possede toutes
les bonnes qualitez qui peuuent estre desirées pour tenir
dignement vne si grande charge, soit par sa naissance & extraction,
estant d’vne tres noble & ancienne famille, soit en
sa personne : ayant donné beaucoup de preuues de sa valeur en
toutes les charges de la guerre, n’y en ayant aucune qu’il n’ait
exercé tres honorablement : & ayant particulierement fait
cognoistre la grandeur de sa capacité, de son iugement, de
son courage, experience en la guerre, prudence, actiuité, vigilence,
& conduite, & fidelité ; & zelle singulier pour nostre
seruice dans les commandemens que nous luy auons donnez
en nos Armées de la Franche-Comté, d’Italie, & de Catalogne,
où il a fait heureusement reussir tout ce que luy a esté
commis, & a tousiours combatu auec aduantage. Et sur tout

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s’est signalé, commandant soubs nostre Cousin le Comte
d’Harcour vn corps d’Armée, tant au dernier secours de Cazal
qu’au Siege de Thurin, & en deux grands Combats faits
deuant cette place qui en causerent la reddition en nostre pouuoir,
Apres quoy estant passé en Espagne, il y a si vtilement
employé nos forces, qu’en l’année derniere il a fait perir vne
Armée de vingt mille hommes pres de Tarragone ; l’ayant reduitte
dans vn retranchement, sans qu’elle ozast en sortir, &
l’ayant repoussée & batuë toutes les fois qu’elle a tenté de la
faire. Il a contraint les ennemis a leuer plusieurs Sieges importans
qu’ils auoient entrepris, il ne les a iamais rencontrez
qu’ils n’en ayent receu perte, & affront : & nouuellement, il
a remporté vne victoire tres-considerable sur vn grand Corps
de troupes de l’Armée de Castille, composée de gens deslite,
& la pluspart d’Officiers Reformez, qui marchoient, & s’estoient
desia beaucoup aduancez pour tenter de secourir Colioure,
que nous tenions presentement assiegé, ayant en deux
diuerses iournées taillé en pieces la meilleure partie des ennemis,
bien qu’auec des forces inegalles, pour ne les auoir pû
suiure auec de plus grandes : & en la troisiéme, ayant auec
nostre Armée défait le reste de ses troupes, pris les Generaux,
& auec eux tous les Chefs de l’Armée ennemie, & plusieurs
gens de marque ; en sorte qu’il n’y a personne qui ne iuge combien
ce coup esbransle les affaires d’Espagne, affermit le bon
estat des nostres. Ces raisons iointes à l’esperance que nous
conceuons d’estre d’autant plus dignement seruis dudit Sr de
la Mothe, que nous luy donnerons moyen de le faire à l’aduenir
auec plus d’authorité & de lustre : Nous conuient à l’honnorer
d’vne charge proportionnée à son merite. POVR CES
CAVSES, & autres bonnes considerations à ce nous mouuans :
Nous auons ledit sieur de la Mothe Houdancour fait,
constitué, ordonné & estably, faisons, constituons, ordonnons
& establissons, par ces presentes signées de Nostre main
Mareschal de France, & ledit Estat & Office que Nous auons
de nouueau creé & augmenté, creons & augmentons en sa faueur,
outre & par dessus ceux qui l’ont à present, luy auons
donné & octroyé, donnons octroyons, pour l’auoir, tenir, &

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d’oresnauant exercer, en ioüyr & vser, aux honneurs, authoritez,
prerogatiues, preeminence, franchises, libertez, gages,
pensions, droicts, pouuoirs, puissances, facultez, reuenus, &
esmolumens qui y appartiennent ; tels & semblables que les ont
& prennent les autres Mareschaux de France ; encore qu’ils
ne soient si particulierement declarez n’y specifiez, tant qu’il
nous plaira. SI DONNONS en Mandement à nos amez &
feaux les Gens tenans nos Cours de Parlemens, & à tous nos
Lieutenans Generaux, Gouuerneurs, Capitaines, Chefs &
conducteurs de nos Gens de guerre, & à tous nos Iusticiers,
Officiers & Subjets, que ledit Sr de la Mothe Houdancour,
duquel Nous nous reseruons de prendre le serment en tel cas
requis, ils fassent, souffrent, & laissent ioüyr & vser d’iceluy
ensemble de tout le contenu cy-dessus plainement & paisiblement,
& à luy obeïr & entendre és choses touchant & concernant
ledit Estat de Mareschal de France. MANDONS en
outre à nos Amez & feaux les Thresoriers de nostre Espargne
& de l’Ordinaire de nos Guerres present & à venir & à chacun
d’eux comme il appartiendra, que les gages, pensions,
& droicts attribuez audit Estat & Office, tout ainsi qu’en
ioüyssent les autres Mareschaux de France, ils payent, baillent,
deliurent ou fassent payer, bailler & deliurer audit Sr de
la Mothe Houdancour par chacun an, aux termes & en la
maniere accoustumée : & rapportant ces presentes ou copie
d’icelles deuëment collationnées, auec sa quittance sur ce
suffisante seulement : Nous voulons tout ce que payé, baillé
& deliuré luy aura esté à l’occasion susdite, estre passé & alloüé
en la depense de leurs comptes, par nos amez & feaux
les Gens de nos Comptes, ausquels Nous mandons ainsi le
faire sans difficulté. CAR tel est nostre plaisir : En tesmoing
de quoy nous auons fait mettre nostre seel à cesdites presentes.
DONNÉ à Narbonne le deuxiéme iour d’Auril, l’an de grace
mil six cens quarante deux, & de nostre regne le trente-deuxiéme.
Signé LOVIS, & sur le reply par le Roy, SVBLET,
& seellé d’vn grand Sceau de cire jaulne.

 

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La Mothe-Houdancourt (Henri de) [?] [1649], SECOND FACTVM, OV DEFENSES DE MESSIRE PHILIPPES DE LA MOTHE-HOVDANCOVRT DVC DE CARDONNE, & Mareschal de France, CY-DEVANT VICE-ROY ET CAPITAINE General en Catalogne. Auec plusieurs Requestes, Arrests, & autres Actes sur ce interuenus, tant au Conseil, qu’ailleurs. , français, italienRéférence RIM : M0_2849. Cote locale : A_4_5.