I. D. L. T. [signé] [1649], LETTRE CVRIEVSE SVR CE QVI S’EST PASSÉ DE plus remarquable à Paris depuis le iour des Roys, iusques à la fin de la premiere Conference ; Auec vn petit discours de la vie & de la mort de Monsieur le Comte de Soissons. , françaisRéférence RIM : M0_1835. Cote locale : C_3_54.
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LETTRE
CVRIEVSE SVR CE QVI S’EST PASSÉ DE
plus remarquable à Paris depuis le iour des
Roys, iusques à la fin de la premiere Conference ;
Auec vn petit discours de la vie &
de la mort de Monsieur le Comte de Soissons.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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Encore que cette Lettre qui m’est tombée entre les mains par
hasard contienne en abregé tout ce qui s’est passé de plus remarquable
en cette ville durant le siege, & qu’elle die beaucoup de choses
que les autres n’ont point dittes ; Ie ne l’aurois pas imprimée si
son Auhteur n’auoit vsé de moderation en ses paroles, dans vn
temps où il sembloit qu’il fust permis de tout dire, & s’il n’eust
parlé d’vne chose que peu de personnes sçauent & que beaucoup
seront bien-aise d’apprendre. Si elle n’a pas l’elegance de celles
qui se sont faites, il est à croire que c’est qu’il a plus recherché la
netteté du recit que la delicatesse des mets.

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LETTRE CVRIEVSE SVR CE
qui s’est passé de plus remarquable à Paris depuis
le iour des Roys iusques à la fin de la premiere
Conference ; Auec vn petit discours de
la vie & de la mort de Monsieur le Comte
de Soissons.

MONSIEVR,

L’estime particuliere que i’ay tousiours
faite de vostre merite, m’oblige à contenter
vostre curiosité, mais auant que de vous dire ce
qui s’est passé de plus cõsiderable en cette ville depuis
qu’elle est inuestie ; ie vous entretiendray de quelques
obseruatiõs que i’ay faites sur le sujet de nos malheurs.
A peine nos ennemis eurent-ils fait sortir du Palais,
Royal, celuy qui est auiourd’huy les delices de son peuple,
& qui sera quelque iour celles de tout le gente humain,
que les choses inanimées en témoignerent du :
ressentiment : Le Ciel qui augmenta le nombre de ses
Estoiles dans la premiere nuict des Roys, n’en voulut

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point faire paroistre en celle-cy de peur de se rendre
complice du plus noir de tous les crimes, & le vent qui
deuint plus impetueux fit tout son possible pour éueiller
ceux qui dormoient, & pour empescher l’enleuement
du Roy : l’air tout suceptible qu’il est de toutes
sortes d’impressions se rendit si fort impenetrable
aux rayons du Soleil, que depuis ce temps-là il semble
ne nous auoir dé party sa lumiere qu’a regret, & la terre
qui sembloit gemir sous les pas de ces perfides se fut
ouuerte pour les engloutir, si elle n’eut craint de faire
perir les innocens auec les coupables ; l’eau qui fut empeschée
de seruir au commerce de cette ville, s’enfla
de colere pour en defendre l’approche à nos ennemis,
& comme si elle eut esté fachée de ne pouuoir esteindre
le feu dont l’on nous menaçoit, elle emporta
dans son cours tout ce qui luy pouuoit seruir de nourriture :
l’hyuer mesme plus hideux que de coustume,
parut sur vn trosne de glace enuironné de neiges & de
frimats, & fit bien voir par sa rigueur, que s’il eut pû
se communiquer aux vns sans incommoder les autres,
il auroit fait mourir de froid ceux qui auoient entrepris
de nous faire mourir de faim.

 

Ces especes de prodiges eussent fait sans doute quelque
impression sur l’esprit de ces enfans de tenebres, si
leurs yeux n’eussent point estez rebelles à la lumiere, &
si leur cœur n’eust esté insensible aux miseres humaines :
Mais comme l’ambition aueugle ordinairement
ceux qu’elle est preste de renuerser & qu’elle viole impunement

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les droicts de la pieté & de la iustice. Il ne
faut pas s’estonner s’ils n’y firent point de reflection,
ny s’ils eurent l’audace d’attaquer la plus redoutable
de toutes les villes. Ils s’imaginoient qu’en empeschant
les viures d’y entrer, ils ne feroient pas moins
d’ennemis aux riches, qu’il y auoit de pauures, & que
dans peu de iours la disette obligeroit le peuple à leur
liurer ceux sur qui ils vouloient exercer leur vengeance :
Mais Dieu qui ne fauoirise point des actions iniustes,
a fait auorter leurs desseins, & la temerité de
leur entreprise a esté punie d’vn mauuais succez.

 

Il faut pourtant aduoüer que sans vne grace singuliere
du Ciel, il y auoit beaucoup à craindre ; & que si
le Seigneur n’eust gardé la Cité, ceux à qui l’on faisoit
manger le pain de douleur eussent veillé vainement
pour sa conseruation, Les faux freres, qui estoient
en grand nombre, aussi bien dedans que dehors, faisoient
courre des bruits desauantageux pour épouuenter
les Bourgeois, & non contens d’en inuenter
tous les iours de nouueaux, ils donnoient des auis à la
Cour de tout ce qui se passoit : Mais ces ruses leur furent
inutiles, la verité l’emporta sur le mensonge, &
la fidelité sur la trahison. Comme ils virent que l’on
commençoit à connoistre les oyseaux à leur ramage,
& qu’il y auoit du danger à ne parler pas bon François :
ils firent semer de nuit des libelles, où il n’y auoit pas
moins de faucetez que de lignes. Le peuple qui n’auoit
pris les armes que pour se defendre & pour auoir du

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pain, y estoit accusé de les auoir prises contre le Roy ;
Messieurs du Parlement y estoient traittez de factieur,
de seditieux & de gens ordinaires : & Messieurs nos
Generaux y estoient taxez d’infidelité & d’interest :
Monsieur le Coadjuteur y passoit pour vindicatif, &
quoy que sa naissance, son merite & sa pieté marchent
d’vn pas égal, Ils tenoient que s’il vouloit ioindre
le gouuernement temporel de Paris au spirituel de
son Diocese, il prendroit vn vol trop hautain : mais
que si le Cardinal, qui n’a aucune de ses qualitez, ioignoit
le gouuernement temporel de l’Estat au spirituel
de tous les Benefices du Royaume, cela estoit
encore au dessous de son Eminence ; Ils adioustoient
encore que ce bon personnage n’auoit iamais fait mal
qu’aux ennemis de la France, & que sans cette douceur,
qui luy est naturelle, nous ne verrions pas auiourd’huy
le Duc de Beaufort, ny le Mareschal de la
Mothe à la teste de nos troupes ; Que pour preuue,
qu’il faloit bien que les Conseils de ce grand Ministre
fussent bons, c’est qu’ils estoient approuuez du Duc
d’Orleans & du Prince de Condé, & qu’il n’y auoit
pas apparence que ces deux Princes eussent voulu
donner les mains à la ruine de l’Estat, Ce sont les propres
termes de l’autheur de ces beaux escrits. Iugez s’il
pouuoit tirer vne meilleure consequence.

 

Si les impostures verbales n’auoient point eu d’effet,
celles qui estoient escrites en eurent encore moins, &
quoy quelles ne tendissent qu’à mettre la diuision

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parmy nos Citoyens, & à leur faire quitter la resolution
qu’ils auoient prise, elles ne firent que les confirmer
dauantage au seruice du Roy & au salut de la patrie,
& elles donnerent mesme occasion à plusieurs,
de dire qu’il faloit que le Conseil d’enhaut eut des
pensées bien basses, puis qu’ils se seruoit de ces artifices ;
quelque adresse qu’ils eussent à dissimuler, l’on
sçauoit bien qu’ils n’estoient pas à se repentir de la
faute qu’ils auoient faite, & qu’ils eussent esté bien
aises de trouuer les moyens d’vn accommodement,
sans salir le manteau dequoy ils couurent leurs pilleries,
c’est à dire l’authorité Royale ; Mais ils n’auoient pas
suiet de l’esperer, s’ils n’en n’eussent fait naistre l’occasion,
par vn procedé qui fit bien connoistre qu’ils
estoient au bout de leurs finesse ; encore que les Herauts
ne s’enuoyent iamais qu’à des Souuerains ou à
des rebelles, & que tout le monde sçache que nous ne
soyons ny l’vn ny l’autre, ils ne laisserent pas de nous
en enuoyer vn, & sur le refus que l’on fit de le laisser
entrer dans la ville, Messieurs les Gens du Roy se
transporterent à S. Germain, pour en dire les raisons,
& pour entendre ce qu’ils auroient à proposer ;
Mais comme ceux qui ne sont pas tousiours les plus
forts, ne laissent pas quelquesfois de se faire tenir à
quatre, ils se contenterent de faire bonne mine, &
de les renuoyer auec des paroles obligeantes.

 

Les affaires ne fussent pas demeurées long-temps
en l’estat où elles estoient, sans l’arriuée de l’Enuoyé

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de l’Archiduc Leopold ; Nos Generaux qui n’auoient
point voulu permettre aux Bourgeois d’aller combatre
nos ennemis, se preparoient à leur faire voir que
la gelée n’auoit point refroidy leur courage, & que
s’ils auoient differé iusques à present à les attaquer,
c’estoit pour prendre leur temps si à propos, que rien
ne manquast à leur dessein : mais si tost que cet Enuoyé
eut fait sa declaration ; il fut resolu, contre l’opinion
de plusieurs, qu’on deputeroit à la Reine pour en
donner avis à sa Maiesté, & pour apprendre d’elle quelle
response en luy feroit. Il n’est pas besoin de vous dire
l’estonnement que cela apporta à la Cour, il suffit que
vous sçachiez qu’on y proposa vne Conference, qui
fut acceptée de part & d’autre, & que nonobstant les
clameurs du peuple, qui demandoit la guerre, & qui
disoit qu’on ne se deuoit pas sier à ceux qui ne donnoient
leur foy que pour tromper : on ne laissa pas
d’enuoyer des Deputez à Ruel, où estoit le lieu de
l’assemblée.

 

Quelques aduantages qui se rencontrent dans les
discentions ciuiles, la paix a tousious des charmes qui
la font souhaiter ; c’est vn bien si conuenable à l’homme,
que sans luy tous les autres ne sont, à proprement
parler, que des maux. Mais si, au rapport de
Ciceron, il faut quiter quelque chose de son droict
pour l’obtenir, au rapport de Tite Liue, pour la faire
bonne, il la faut faire iuste, & prendre garde que
sous vn pretexte specieux, il n’y ait vn suiet le guerre

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caché ; Si Messieurs nos Deputez eussent suiuis ces sentimens,
ils n’en auroient pas fait vne si desauantageuse
& si nous n’eussions pas esté dans la crainte ou nous
sommes, ils n’eussent pas esté en estat de souffrir des
reproches & des menaces ; dés qu’ils furent de retour
& qu’on eut veu les articles qu’ils auoient apportez,
il se fit vn murmure dans l’assemblée, qui fit bien voir
le desaueu qu’on en faisoit ? L’on ne pouuoit s’imaginer
que des personnes si éclairées, & qui font quelques
fois trembler les plus hardis, eussent agy si aueuglement
& auec tant de crainte, ny qu’ils eussent
voulu permettre qu’vn homme qu’ils auoient condamné,
eust signé le resultat d’vne assemblée où ils ne
l’auoient pas voulu receuoir ; Mais si tost qu’on les
eut communiquez au peuple, les plus violens declamerent
hautement contr’eux, & les plus pacifiques
commencerent à douter de leur fidelité ; Les vns les
accusoient de s’estre laissez corrompre, & les autres
de s’estre laissez tromper, & ils concluoient
tous ensemble qu’il ne falloit point souffrir que celuy
qui nous auoit voulu perdre, sans suiet, demeurast
en France, ny que les pauures habitans de la
campagne fussent encore persecutez par des infames
Partisans.

 

Ces deliberations estoient trop iustes pour n’estre
pas approuuées, & chacun en estoit d’accord, lors
qu’vn grand nombre d’Artisans, à qui l’on auoit distribué
huïct cens liures pour leur faire crier la paix,

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s’ac[1 mot ill.] fort bien de leur commission : Ie ne
sçay [1 mot ill.] quelle part vint cette liberalité : mais ie
sçais bien que le bruict qu’ils firent seruit beaucoup à
la resolution qui fut prise de renuoyer les Deputez,
pour faire entendre le mécontentement que l’on
auoit de leur negociation, & pour reparer en quelque
sorte la faute qu’ils auoient faite. Tous les gens
de bien souhaitent que nous puissions auoir plus de
satisfaction de leur voyage, qu’on ne s’en ose promettre,
& que non seulement le Ministre estranger soin
renuoyé d’où il est venu : mais que la direction des
affaires soit ostée à ses assesseurs, & sur tout à ceux qui
mesprisent les Ordonnances du Royaume, & qui
n’en veulent point oüyr parler, parce qu’ils sçauent
bien qu’elles ne permettent pas ce que dit vn
méchant prouerbe, qu’il faut tirer de l’or à plains seaux
tandis que la corde est au puy.

 

Si ce bon-heur nous arriue, nous n’aurons plus
rien à craindre, nous oublierons les maux qu’on nous
a faits, le Roy sera obey par amour, son peuple iouïra
en repos du bien qui luy reste & du trauail de ses
mains, & ses enfans des broüillards, qui dans vne nuit
de confusion, se sont enrichis par de mauuais moyens,
feront vne restitutiõ exacte de tout ce qu’ils ont volé
Le temps qui repare aussi bien cõme il d’étruit toutes
choses, fera voir que les Roys ne sont iamais pauures
quand leurs suiets ne le sont pas ; Et nostre ieune Monarque,
qui suiura l’exemple de son ayeul Henry le

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Grand, aymera mieux estre appellé le Roy des Riches,
que le Roy des gueux.

 

Encore que la Conference ne soit pas finie, & qu’il
y ait tréue entre les deux armées Françoises, celle de
l’Archiduc n’a pas laissé d’entrer en Champagne, où
elle vit dans vn ordre qui mettroit la confusion sur le
visages des Mazarinistes, s’ils auoient encore vn reste
de conscience : mais ceux qui ont perdu le commancement
de la sagesse, ont acquis le comble de la folie ; &
comme ils ont peruerty l’ordre des choses, ils sont aussi
incapables de honte, qu’ils sont disposez à faire toutes
sortes de mechancetez : celles qu’ils exercent tous les
iours par tout, font bien voir de quel esprit ils sont
poussez, & quelle liberté on leur donne. Si vn homme
de consideration se va plaindre que l’on a pillé sa
maison, qu’on a violé sa femme & sa fille, & que l’on a
commis des impietez horribles dans l’Eglise & sur le
plus S. de nos Mysteres, on luy respond qu’il est bien
heureux d’en estre quitte, & que les autres ne le sont
pas depuis que la communication est permise entre
les deux partis. Nous auons appris des choses si estranges
& si épouuantables, que si d’autres, que ceux qui
les ont veuës, nous les eussent dites, nous aurions
creu qu’on les auroit inuentées à plaisir, & nous ne
nous serions iamais imaginez qu’vne nation comme
la nostre, qui se picque de franchise & de ciuilité, eut
esté capable de commettre des cruautez qui feroient
horreur à des barbares, ny de souffrir que des estrangers

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portassent auec eux la desolation dans le sein de
leur patrie ; Si ie voulois exciter vostre compassion,
ie n’aurois qu’à vous en raconter quelques vnes, mais
i’ayme mieux les passer sous silence, que de noircir ce
papier des abominations & des inhumanitez qui font
honte à la nature, & vous dire qu’il faut que Dieu soit
bien irrité contre nous, puis qu’il nous enuoye de si
rudes chastimens : Mais malheur à ceux qui sont scandale,
il vaut mieux estre l’instrument de sa misericorde
que de sa iustice.

 

Ie croy maintenant auoir entierement satisfait à
vostre desir, si ie n’ay pas circonstancié les choses,
comme i’aurois bien pû, c’est que ie n’ay pas voulu
grossir vne lettre qui n’est desia que trop estenduë ;
Mais pour suppléer à ce defaut, ie vous enuoye quantité
des meilleures pieces qui se soient faites sur les affais
presentes, & à quoy nos ennemis n’ont point
opposé d’autres raisons que celle qu’ils appellẽt la derniere
des Princes, qui n’a pas fait beaucoup de bruit.
Vous y verrez les affaires d’Estat maniées hautement
par la Theologie, subtilement par la Philosophie,
prudemment par la Morale, adroitement par la Politique,
& grauement par la Poesie. Enfin vous y verrez
de gaillardes burlesques qui se burlent de ceux
qui en pensant prendre Paris, eussent esté pris eux-mesmes
si on les eut voulu posser ; Ie ne vous aurois
pas enuoyé celle qui a pour tiltre le vray Politique,
ou l’Homme d’estat desinteressé, si elle n’auoit esté le

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suiet d’vn demeslé dont le recit ne vous sera peut-estre
pas desagreable.

 

Comme i’estois chez vn de mes amis il y a quelques
iours, & que ie m’entretenois auec luy de ce qui ce passoit,
il y arriua des curieux qui examinerent des escrits
nouuellement imprimez ; la premiere remarque qu’ils
firent fut que tous ceux qui auoient parlé à fonds des
malheurs du temps, en auoient reietté la cause sur le
Cardinal de Richelieu ; Que Messieurs de la Cour de
Parlement ne l’auoient pas mesme obmis dans leur
tres-humble remonstrance, & qu’ils auoient tous fait
voir par des raisons inuincibles, que l’ambition de ce
Ministre estoit la semence de nos desordres, & l’origine
de tous nos maux ; Apres qu’vn de la compagnie
eut fait la lecture de ce vray Politique, on luy demanda
ce qu’il luy en sembloit, il respondit, que de toutes
les pieces qu’il auoit veuës il n’en auoit point trouué
de si ambiguës que celle là ; Que son auteur auoit imité
la Corneille d’Horace : mais qu’il auoit fait si mal ses
applications que ses expressions ne paroissoient pas
moins confuses que son raisonnement ; Qu’il s’estonnoit
de ce qu’vn si meschant escriuain auoit bien osé
contredire les plus beaux esprits de l’Europe, & de ce
qu’il auoit pris pretexte de blasmer vn peu le Cardinal
Mazarin, pour loüer le Cardinal de Richelieu iusques
à vn tel excez, qu’il auroit crû luy faire tort s’il l’auoit
mis en paralelle auec les premiers hommes du siecle ;
Qu’il faisoit bien voir que s’il parloit sans interest, il ne

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parloit pas sans passion, puis qu’il vouloit persuader
au Roy, que quand il feroit chercher par tout son
Royaume, il ne trouueroit personne qui l’esgalast, &
qu’il disoit en suite que les affaires de sa Majesté, ne seroient
iamais ny plus secrettement, ny plus fidelement,
ny plus heureusement maniées, qu’en les mettant
entre les mains d’vn homme semblable au grand
Armand.

 

Il eut continué ces remarques si vn des escoutans ne
l’eut interrompu, & s’il n’eut dit d’vn ton assez haut
qu’il falloit confesser que le Cardinal de Richelieu
auoit esté vn grand homme, & qu’il s’en trouuoit peu
de mesme luy : Ces paroles l’obligerent à respondre
que c’estoit le langage ordinaire de ses creatures, & de
ceux qui estoient preoccupez de l’opinion de sa suffisance :
mais qu’il n’auoit iamais trouué personne qui
luy eust pû dire en quoy il auoit excellé au dessus des
autres, & que si ceux qui prenoient son party, sçauoient
quelque chose de particulier, ils luy feroient
faueur de le desabuser ; Ie vous aurois bien-tost satisfait,
repartit l’autre, si ce n’estoit qu’il ne faut pas deterrer
les morts, ny troubler leur repos en parlant de
leurs actions : mais son Antagoniste ne luy eut pas plutost
fait voir que si ce qu’il disoit estoit vray nous n’aurions
point de Reliques des SS. & leur vie ne nous seroit
pas donnée pour exemple. Il commença ainsi.

Ie n’auray pas beaucoup de peine à prouuer ce que
personne n’ignore, si ce n’est à ceux à qui l’esclat des

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vertus de feu Monseigneur le Cardinal ont esbloüy
les yeux ; les histoires sont remplies des merueilles de
sa vie, & tous les Autheurs qui ont escrit de son temps
ont fait son Panegyrique au commancement de leurs
ouurages : tout le monde sçait qu’il auoit mis l’authorité
Royale au plus haut degré où elle pouuoit estre, &
que l’abaissement de la maison d’Austriche n’est venu
que de son eleuation au Ministere ; la prise de la Rochelle
& l’obeissance des Hugenots ne sont pas moins
des effets de sa prudence & de son courage que la protection
de nos alliez, & il reüssissoit si parfaitement à
toutes ses entreprises, que quelque difficulté qui s’y
rencontrast il en venoit heureusement à bout. Il estoit
si iudicieux au discernement des hommes qu’il ne se
trompoit iamais au choix qu’il en faisoit ; & il estoit si
adroit à preuenir ses ennemis, que sans auoir esgard
ny à la qualité, ny à la naissance, il trouuoit tousiours
les moyens de s’en deffaire.

 

Ce discours ne fut pas plustost finy qu’il fut suiuy
de cette responce, ie me doutois bien que vous ne
nous diriez rien de nouueau, & que nous ne serions
pas plus satisfaits ny plus sçauans que nous estions ; ie
ne veux pas nier que le Cardinal Duc n’eust quelques
qualitez recommandables : mais il estoit bien eloigné
de posseder toutes celles dont ses flatteurs l’entre tenoient ;
l’on donne quelquesfois à la temerité ce qui
n’est deu qu’à la vaillance, & l’on attribuë souuent à
vn certain bon-heur qui accompagne la conduite ce

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qui n’appartient qu’à la prudence : mais ie m’estonne
de ce que vous n’auez pas adiousté, qu’il auoit fait bastir
la Sorbonne ; Qu’il auoit donné son Palais au Roy ;
Qu’il n’auoit point fait transporter l’argent hors du
Royaume, & que l’experience nous faisoit voir qu’il
estoit incomparablement meilleur que celuy qui
gouuerne à present, c’est ce que disent ordinairement
ceux qui parlent en sa faueur : mais l’on repond à cela,
Que le bastiment de la Sorbonne n’estoit pas tant vne
marque de sa deuotion que de sa vanité ; Qu’il estoit
bien-aisé d’estre liberal des choses qui ne coustoient
qu’à prendre : mais qu’il valloit mieux qu’il eust fait
faire cét ouurage, que d’auoir laissé ce qu’il auoit cousté
a bastir à ses parens, qui n’estoient desia que trop
riches du sang du peuple ; Que le Palais qu’il auoit
donné au Roy estoit plustost vne restitution qu’vn
don, & qu’il l’auoit fait plus par vn motif d’interest
que par vn remords de conscience ; Que s’il n’auoit pas
fait transporter l’argent hors du Royaume, il l’auoit
fait mettre en des lieux où il ne nous seruoit pas plus
que s’il estoit a la banque en Italie, & que c’estoit vne
raillerie, ou plustost vne erreur de dire qu’il estoit
meilleur que celuy qui gouuerne à present ; c’est vne
adresse de la politique des tyrans que de laisser des Successeurs
en leur place qu’ils connoissent capables de
faire plus de mal qu’ils n’en ont fait afin de se faire regretter :
mais tant s’en faut qu’ils soient moins meschant
qu’eux, que c’est auoir atteint le dernier point

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de la malice de n’estre pas content du mal qu’on a fait,
& de l’auoir encore dans la volonté quand il n’est plus
dans la puissance.

 

Ie pourrois adiouster beaucoup de choses à ce que
ie viens de dire : mais comme il ne nous reste que peu
de temps à estre icy, i’ayme mieux l’employer à parler
du principal que de l’accessoir, & respondre à ce que
vous auez dit qu’à ce que vous auriez pû dire ; Ie loüe
la vertu par tout où elle se rencontre, & quelque esclatante
qu’elle puisse estre, elle ne m’esbloüyt point ; i’admire
ce que ie ne puis imiter, & si le Cardinal de qui
nous parlons auoit eu toutes celles que vous luy attribuez,
i’aurois pour luy les mesmes respects que i’ay
pour tous ceux qui en sont reuestus : mais ie sçay qu’il
n’estoit pas monté à la faueur où il estoit par les degrez
du merite, & qu’il auoit plus aueuglé de monde par le
brillant de son or, que par celuy de sa vertu. Les Histoires
qui sont remplies des merueilles de sa vie en
font foy, elles pourroient estre dementies par plus de
dix mille personnes qui sçauent que les choses se sont
passées tout autrement qu’on ne les a escrites, & si les
Autheurs qui ont fait son Panegyrique n’auoient pas
esté mieux recompensez les vns que les autres, nous
aurions vû vne retractation vniuerselle de tout ce
qu’ils auoient dit à sa loüange : vne Epistre dedicatoire
est plus souuent plaine de flatterie que de verité, &
s’il en falloit tirer aduantage, la guenon de l’Aretin, &
la chienne de Scaron l’emporteroient sur quantité

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d’honnestes gens a qui l’on n’a iamais dedié de liures :
Si ce Ministre eust bien consideré que les choses de ce
monde ne sont iamais en vn mesme estat, & qu’elles
commencent à decliner si tost qu’elles sont arriuées à
leur periode, il n’eust peut-estre pas porté l’authorité
Royale au poinct où il l’auoit mise ; Il est vray que
quand il estoit question d’establir quelques monopoles,
ou de venger des iniures particulieres, il la faisoit
monter bien haut : mais quand il s’agissoit de ses interests,
il la faisoit tomber du faiste au precipice. Chacun
sçait que si le Roy auoit quelques fideles seruiteurs qui
ne voulussent pas estre ses pensionnaires, parce que
nul ne peut seruir fidelement deux maistres, il entroit
aussi-tost en deffiance ; & comme c’est l’ordinaire des
fourbes de perdre ceux qu’ils ne peuuent corrompre,
il auoit bien la hardiesse d’enuoyer dire à sa Majesté,
qu’il failloit qu’elle les ostast d’aupres d’elle, ou qu’il
ne pourroit pas luy rendre ses visites en seureté ; Messieurs
de Treuille, de Valance, de Fontenay, & quelques
autres pourroient bien rendre tesmoignage de ce
que ie dis.

 

Ie ne m’estendray pas dauantage sur ce suiet : mais
ie diray hardiment que si la maison d’Austriche a esté
abaissée, c’est plustost par la generosité de Louis le Iuste,
& par le bon-heur de ses armes, que par l’eleuation
d’Armand à la conduite des affaires ; & ie ne sçaurois
souffrir qu’on luy attribuë l’honneur de la prise de la
Rochelle, sans dire que c’est faire tort à quantité de

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gens d’honneur qui se sont signalez deuant cette ville ;
il faudroit estre mal in formé des choses pour ne sçauoir
pas que feu Monsieur le Comte, fut le premier
qui assiegea ce donjon de l’heresie en 1622. & qui fit
faire le fort Louis qui facilita la construction de la digue
& la reddition de cette place : Ce Fort estoit dautant
plus considerable, qu’il empescha les Rochellois
d’en bastir vn au chef de Baye qui eut rendu leur ville
imprenable, aussi firent ils beaucoup d’instance pour
le faire abattre, & employerent pour cet effet le Duc
Desdiguieres nouuellement fait Connestable, qui
leur dit franchement que la Rochelle estoit perduë
puis qu’ils auoient laissé construire vn Fort deuant, &
qu’il falloit que le Fort pris la Ville, puis que la Ville
ne pouuoit prendre le Fort.

 

Ce n’est pas auec plus de raison, qu’on attribuë à sa
prudence & son courage l’obeïssance des Huguenots,
parce que si selon le vieux prouerbe le seul commencement
est la moitié du tout, l’on peut dire que c’est
estre preuaricateur dans la cause, que de donner le plus
à qui merite le moins : Ceux qui sçauent tant soit peu
l’histoire de nos iours n’ignorent pas que les Religionnaires
estoient presque abattus quand il entra dans les
conseils, & que tout le Bearn & quantité de villes rebelles
auoient desia fait ioug sous les armes de sa Majesté ;
il est donc à croire que ceux qui auoient si bien
commence auroient acheué de mesme, & pleust à
Dieu qu’Armand n’eust point armé au prix qu’il a fait

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& qu’il n’eust pas plus releué les heretiques qu’il les a
abattus, nous ne verrions pas plusieurs Prouinces de
l’Allemagne, de Eueschez tous entiers, & quantité
d’Abbayes & de Monasteres en leur possession : mais
ne parlons pas des desordres qu’ont fait nos alliez ny
de ceux qu’ils font encore tous les iours, disons que ce
n’est pas d’aujourd’huy que la France est en possession
de les proteger puissamment, & qu’elle a tousiours fait
voir à ses ennemis que rien ne luy estoit impossible
quand elle vouloit employer ses forces ; Ce Royaume
semble n’auoir esté mis au milieu de la chrestienté, que
pour resister à la tyrannie, & pour seruir de refuge à
ceux qui sont dans l’oppression : Ie ne parlerois pas de
son adresse à bien choisir les hommes, si ce n’estoit que
ie croy que vous vous estes trompé quand vous auez
dit qu’il ne si trompoit iamais, il est vray qu’il fut assez
heureux pour en rencontrer de tres capables de seconder
ses intentions : mais quand il prit Dubois pour
luy faire venir les Indes à Ruel comme il luy auoit promis,
il fit bien voir qu’il pouuoit estre trompé comme
vn autre, & l’execution qu’il fit faire de ce miserable,
fit assez paroistre qu’il estoit fasché d’auoir descouuert
son foible : Monsieur le Duc d’Orleans n’a que trop
esprouué qu’il n’auoit point d’esgard, ny à la qualité,
ny à la naissance quand il vouloit mal à quelqu’vn, &
s’il eust vescu dauantage, il y en a qui eussent appris à
leurs despens qu’il n’espargnoit non plus ses alliez que
les autres ; il seroit à souhaitter qu’il eust esté moins

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adroit à preuenir ceux qu’il croyoit estre ses ennemis,
Monsieur le Comte qui ne le fut iamais que de ses vices
ne seroit pas vn exemple funeste de sa cruauté, & la
France n’auroit pas perdu en sa personne son plus fort
appuy, ny le peuple son veritable Pere & son Protecteur.
Quand il empescha d’en porter le dueil à la
Cour il fit bien connoistre qu’il n’estoit pas content
de l’auoir fait perir, il vouloit encore enseuelir son
nom dans son tombeau : mais le desir des pecheurs perira,
& la memoire des iustes demeure eternellement.
Iamais ce Prince ne fut plus regretté qu’il est, & l’on
sçait que s’il estoit encore au monde qu’il auroit bien
empesché les desordres que nous voyons, l’on se souuient
tousiours de ce qu’il dit lors qu’on declara la
guerre à l’Espagne. Que ceux qui rompoient la paix
de Henry IV. allumoient vn feu qu’ils n’esteindroient pas ;
Qu’ils deuoient considerer que cette paix estoit dautant plus
precieuse, que celuy qui l’auoit faite estoit le plus redouté
& le plus vaillant de tous les Roys, & que quoy qu’il eut
plus d’intelligence, plus d’argent, & plus de credit qu’eux,
il l’auoit preferée à la guerre dans vn temps ou tous les
aduantages sembloient estre de son costé ; Que s’ils ne
faisoient point ces reflexions, il estoit euident qu’ils vouloient
pescher en eau trouble & ruiner le peuple, & qu’apres
auoir bien fait la guerre il faudroit faire vne paix
peut estre desaduantageuse ; ou les vefues ne trouueroient
pas leurs maris, ny les orphelins leurs peres. Ces paroles
firent dire à quelqu’vn que si vne femme fut autrefois

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reconnuë pour la veritable mere d’vn enfant, parce
qu’elle ne voulut pas le voir separer en deux, que ce
Prince faisoit bien voir qu’il estoit du plus pur sang de
nos Roys, puis qu’il ne pouuoit consentir à vne guerre
dont les suites pourroient mettre la diuision dans le
Royaume, & le peuple sous la persecution.

 

Ce discours agrea à toute la compagnie, il n’y eut
que le protecteur de la pourpre qui dit que veritablement
le Comte de Soissons auoit esté vn bon Prince,
mais qu’il estoit extremement glorieux ; que c’estoit
vn grand malheur pour luy d’estre mort les armes à la
main contre son Roy, & de ce qu’on n’auoit iamais pû
sçauoir qui c’estoit qui l’auoit tué. Si ie n’auois pas eu
l’honneur d’approcher quelques fois de luy, repliqua
l’autre, ie ne respondrois pas à ce que vous venez de
dire : mais quoy que ie n’en puisse parler sans renouueller
vne playe qui n’est pas encore bien guerre, ie
croirois manquer à mon deuoir & faire tort à sa vertu
si ie ne vous retirois de l’erreur où vous estes auec
beaucoup d’autres, ie l’ay souuent oüy plaindre de ce
qu’il n’auoit pas eu vne education conforme à sa naissance,
& de ce qu’il auoit esté esleué d’vn air qui le faisoit
passer en sa ieunesse pour ce que vous auez dit :
mais depuis qu’on l’en eut aduerty il corrigea si bien
ce deffaut, qu’il gagna le cœur de tout le monde par sa
courtoisie & par son affabilité, & ie puis dire sans flatterie
qu’il estoit sage sans estre froid, bon sans estre
mol, serieux sans estre vain, & actif sans estre precipité ;

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sa generosité paroissoit en toutes ses actions, mesme
iusques dans sa deuotion, encore qu’il ne beut
point de vin, il ne laissoit pas de ieusner des Caresmes
entiers auec vne austerité inimitable, & il auoit cet aduantage
dans le siecle d’horreur & de blasphemes où
nous sommes, qu’on ne l’auoit iamais oüy iurer ny
dans le ieu, ny dans la colere : Ie continuerois les veritables
loüanges de ce grand Prince, & ie parlerois de
sa valeur & de son courage si mes paroles égaloient
mon imagination : mais comme le temps & la capacité
me manquent ie diray seulement que c’est trahir la venté
de dire qu’il est mort les armes à la main contre son
Roy ; Si l’on veut voir la fausseté de cette accusation,
il ne faut que ietter les yeux sur l’estat où nous sommes,
il ny a personne en cette compagnie ny dãs toute
la ville qui ne soit fidelle seruiteur du Roy, & qui ne
voulût prodiguer son bien & son sang pour son seruice,
& cependant ceux qui ont enleué sa Majesté, &
qui abusent de son authorité parce qu’elle est en leur
possession ne laissent pas de dire que nous auons pris
les armes contre luy, quoy que nous ne les ayons prises
que pour nous deffendre de leur malice : Il en est
ainsi de feu Monsieur le Comte, ce Prince se voyant
abandonné de celuy de qui il auoit pris les interests
contre le Cardinal, & sçachant que la vertu estoit toûjours
persecutée où le vice estoit absolu, aima mieux se
retirer de la Cour que d’y demeurer en crainte, Sedan
fut le lieu de sa retraite, & quoy que le Roy luy eust accordé

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cette place pour sa demeure l’espace de quatre
ans, & qu’on luy eust iuré sur l’Euangile qu’il n’y seroit
point in quieté durant ce temps là ; il n’y en auoit
pas en core trois d’expirez que l’on deffendit le commerce
de la France auec cette ville, & qu’on empescha
les viures d’y entrer, l’iniustice de ce procedé l’obligea
d’en faire ses plaintes, mais comme il estoit desia
trahy, ses lettres auant que d’estre renduës au Roy
passoient par l’examen de celuy qui auoit iuré sa perte,
& qui porta sa hayne iusques à ce poinct que de le faire
inuestir par vne armée, de sorte que la necessité
contraignit ce pauure Prince d’appeller quelques
troupes de secours pour chercher son salut dans sa
sortie : ie ne sçaurois vous exprimer le regret qu’il témoigna
d’estre reduit à cette extremité, ny les belles
paroles qu’il dit sur ce sujet à ceux qui l’accompagnoient,
c’est assez que vous sçachiez qu’il anima si
bien ses gens au combat, qu’attaquer leurs ennemis &
les vaincre ne fut qu’vne mesme chose, & qu’apres cette
victoire qui nous promettoit vne paix generale, il
alloit porter son espée aux pieds du Roy, & deliurer sa
Majesté de la captiuité où sa bonté l’auoit mise, si vn
scelerat ou plustost vn monstre a qui il auoit donné la
vie ne luy eust donné traistreusement la mort ; ne vous
estonnez pas si ie designe en quelque sorte celuy qui a
fait vn si lâche & si malheureux coup, ny si ie dis que si
l’on n’a pas sceu au vray qui il estoit, que c’est que l’on
ne s’en est pas bien enquis, & que ceux qui sont interressez

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dans son crime, ont tousiours empesché la recherche
que feuë Madame la Cõtesse en vouloit faire :
mais Dieu ne laissera pas vn peché si enorme impuny,
len reserue la vengence à vne ieune Princesse, de qui
les belles qualitez surpassent toutes les loüanges qu’on
luy sçauroit donner, & qui merite que les meilleures
plumes de France laissent à la posterité vn tableau de
ses hautes vertus. Ie ne pretend pas faire icy son Eloge,
ie n’en suis pas capable, ie me contenteray de dire seulement,
que comme elle auoit ioint à sa bonté naturelle
la sagesse de feuë Madame sa Mere, ce grand Prince
auoit vny toute l’amitié qu’il portoit à cette Illustre
Princesse sa Sœur, à celle qui luy portoit auparauant :
aussi tesmoigna-t’elle vn si grand ressentiment de sa
mort qu’elle fit aduoüer à tous ceux qui la virent dans
son dueil, qu’il sur passoit de beaucoup la tendresse de
son âge, & que de si belles larmes ne deuoient pas estre
respenduës pour vn moindre suiet que ce luy qui
ne estoit la cause. Il nous en eust dit dauantage si la
nuict ne nous eust obligé à la retraite, & si sa
charge ne l’eut appellé à vne de nos portes où sa Compagnie
estoit montée en garde. Voila, Monsieur, ce
que i’auois à vous dire, il ne me reste plus qu’à vous asseurer
que ie vous honore extremement, & que comme
i’ambitionne plus que tous les hommes du monde
l’honneur de meriter vos bonnes graces, il ne se
presentera iamais occasion de vous donner des preuues

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de cette verité, que ie ne l’embrasse auec toute
l’ardeur que vous deuez attendre,

 

Monsieur,
de
Vostre tres-humble & tres-obeïssant
seruiteur,
I. D. L. T.

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I. D. L. T. [signé] [1649], LETTRE CVRIEVSE SVR CE QVI S’EST PASSÉ DE plus remarquable à Paris depuis le iour des Roys, iusques à la fin de la premiere Conference ; Auec vn petit discours de la vie & de la mort de Monsieur le Comte de Soissons. , françaisRéférence RIM : M0_1835. Cote locale : C_3_54.