I. D. [signé] [1651], LETTRE D’VN MARCHAND DE LIEGE A VN SIEN CORRESPONDANT DE PARIS. AVEC L’INSTRVCTION SECRETTE du Cardinal Mazarin pour Zongo Ondedei retournant à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_1884. Cote locale : E_1_30.
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LETTRE
D’VN MARCHAND
DE
LIEGE
A VN SIEN
CORRESPONDANT
DE PARIS.

AVEC L’INSTRVCTION SECRETTE
du Cardinal Mazarin pour Zongo Ondedei
retournant à Paris.

M. DC. LI.

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MONSIEVR,

Le bruit qui a couru dans Paris que l’on auoit
arresté Zongo Ondedei à Charlemont, & qu’on
luy auoit trouué beaucoup de papiers d’importance
est vray. Clas Ianson nostre Facteur, qui en est reuenu
depuis peu, m’a confirmé cette nouuelle, & m’a
apporté la coppie de l’instruction secrete du Cardinal
Mazarin, qui a esté déchiffrée par l’ordre de Dom
Esteuan de Guemare, auec le chiffre mesme dudit
Zongo. Ie vous enuoye cette piece, par laquelle
vous verrez que les François ne sont pas au bout
des peines que leur a donné iusqu’icy le Cardinal
Mazarin. Faites-moy sçauoir si vous auez reçeu
les Ballots de Hollande : Autre chose ne vous puis
mander, sinon que ie prie Dieu qu’il vous tienne
en sa sainte garde.

De Liege ce 10. Aoust 1651.

Vostre bien affectionné
seruiteur & bon amy.
I. D.

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INSTRVCTION POVR ZONGO
Ondedei retournant à Paris.

Aprés auoir asseuré la Reyne de mes tres-humbles
respects, & de la veneration que i’ay pour sa Majesté,
il luy exagerera mes ressentimens sur la continuation
de ses bontez & des graces qu’elle m’a faites depuis
que ie suis hors de la Cour, il luy protestera que
i’en conserueray eternellement le souuenir, & que par
vne aueugle obeyssance que i’auray toute ma vie pour
ses commandemens, & par la fidelité extraordinaire
que ie continueray d’auoir pour son seruice au prejudice
de toutes sortes d’autres interests sans reserue, ie
tascheray de meriter mon restablissement dans le Ministere,
pour lequel sa Majesté a la bonté de prendre
tant, de soins & tant de peines.

Il insinuëra adroittement dans l’esprit de sa Majesté,
qu’il y va plus de sa gloire que de la mienne à reparer
l’injure qui m’a esté faite, que l’outrage que i’ay reçeu
n’est qu’vn contre-coup de celuy qu’on a fait à son Authorité,
& que sa Regence seroit decriée dans les siecles
à venir parmy toutes les nations de la terre, si elle ne
faisoit veoir par quelque coup hardy que ce n’est pas
tousiours vne foiblesse, de ceder à la necessité du temps.

Et par ce que le credit de mes ennemis a formé depuis
peu des obstacles qui semblent reculer les esperances
que sa Majesté m’auoit données de mon retour par les
deux derniers Couriers qu’elle m’a fait l’honneur de
m’enuoyer, il luy dira qu’ayant long-temps medité sur

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les moyens auec lesquels on peut plus facilement destruire
tous ces empeschemens ; i’ay crû qu’il n’y en
auoit point de meilleurs pour faire reüssir ses bonnes
& glorieuses intentions que ceux qui suiuent, & que
l’on peut ménager de telle sorte, qu’ils n’engageront
en aucune façon sa Majesté.

 

Premierement, pour s’asseurer de l’esprit de M. le
Coadjuteur, on luy fera connoistre que la Reyne est
assez disposée à oublier tout le passé, pourveu que se
ressouuenant des obligatiõs qu’il a à sa Majesté, il soit
à l’aduenir dans vne perpetuelle dependance de ses volontez,
que c’est le chemin le plus seur pour arriuer
aux plus éminentes dignitez de l’Eglise ; & pour peu
qu’il témoigne de desir de se remettre bien dans les
bonnes graces de sa Majesté, elle luy permettra de la
voir, luy fera vn accueil gracieux, & luy accordera la
nomination au Cardinalat, qui sera en mesme temps
trauersée par les mesmes moyens qui ont rendu infructueuse
celle de l’Abbé de la Riuiere.

2. Afin d’engager la Duchesse de Chevreuse & toute
sa Cabale dans nos interests, on luy fera entendre que
le seul moyen de faire reüssir ses pretentions, est de secõder
les bonnes volontez que la Reyne a pour moy,
que pour luy témoigner le desir que i’ay de bien viure
auec elle, j’appuyeray les demandes qu’elle & le Commandeur
de Iars, m’ont faites pour le retour de M. de
Chasteauneuf, & selon la conduite qu’elle tiendra,
il faudra le rappeller dans le Conseil ; & pour persuader
au public que c’est pour remplir ma place, luy donner
la qualité de premier Ministre ; mais cependant il
ne luy faudra laisser que la seule apparence de la confiance

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& du credit que la Reyne ne peut donner à
d’autre qu’à moy, sans hazard de le perdre.

 

3. Pour balancer le pouuoir que M. le Duc d’Orleans
& Messieurs les Princes ont dans le Parlemẽt, on rendra
au premier President les Sceaux pour vn temps,
durant lequel toutefois on ne deferera point à ses avis
qu’autant qu’ils seront conformes à nos intentions.

4. Pour dégager M. de Turenne des interests de M.
le Prince, on luy fera esperer des establissemens fort
auantageux ; on l’asseurera que la Reyne fera considerer
au Roy les seruices qu’il a rendus, que cette nouuelle
conduite fera oublier celle qu’il a tenuë depuis le
siege de Paris ; & cependant l’execution de toutes ces
promesses estant remise apres la Majorité du Roy, sa
Majesté ne laissera pas d’estre en estat d’oublier, ou de
se ressouuenir de tout ce qu’elle voudra.

5. Pour gagner Mr. le Duc de Boüillon, & le separer
entierement des interests de M. le Prince, on luy proposera
vn double mariage, de mon Nepveu Manzini
auec sa Fille, & de son Fils auec l’vne de mes Niepces :
on luy fera entẽdre qu’il ne peut releuer sa Maison que
par la faueur de la Cour, qu’il ne peut s’y reünir par des
liens plus forts & plus agreables ; que la Reyne portera
l’esprit du Roy à honorer de sa faueur mon Neveu ;
que l’on joindra à sa qualité de Favory, la Principauté
de Charleville & le Duché de Rhetelois, dont on traittera
auec le Duc de Mantouë, & que seruãt de caution
au Roy pour sa fidelité, apres cette double Alliance, ie
le pourray faire rentrer dans Sedan. Et dautant que la
Reyne trouuera peut-estre ces cõditions trop avantageuses,
il faudra faire connoistre à sa Majesté qu’il sera

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tres-facile, auec le temps, d’y faire naistre des obstacles,
soit du costé de Mantouë, pour le traitté de Charleville
& du Rhetelois, soit du costé du Parlement,
pour la restitution de la Principauté de Sedan.

 

6. Pour s’asseurer de la Princesse Palatine, on luy dira,
qu’encor que l’on eust jusqu’icy dõné beaucoup d’esperance
à plusieurs personnes de qualité de la charge
de Sur-Intendant, toutefois à sa consideration, ie feray
tous mes efforts de l’obtenir pour le Marquis de la Viéville,
mais à condition qu’il demeurera tout à fait attaché
aux interests de la Reyne & aux miens ; & cependãt
il faudra dire à Bartet qui m’est venu trouuer pour
cette negociation, que le plus court chemin pour l’acheuer,
est d’executer ce dont nous sommes cõuenus,
& de donner les quatre cens mil liures qu’on me fera
incontinent tenir, par la mesme voye que i’ay receu
les derniers cent mille escus qui m’ont esté enuoyez.

7. Pour rompre l’intelligence qui est entre M. le Duc
d’Orleans & M. le Prince, il faut trauailler à faire vne
vnion secrette entre la Reyne & son Altesse Royale, &
pour luy en fare voir de solides apparences, luy proposer
le Mariage du Roy auec l’vne des Princesses ses
filles ; mais afin de faire durer long-temps de si belles
& avantageuses esperances, & n’engager point les inclinations
& le choix du Roy si absolument, que dans
la suitte des ans, mille conjectures ne l’en puissent dispenser ;
il faudra que la proposition se fasse pour Madamoiselle
d’Orleans, qui ne peut estre en âge de se marier
que de sept ou huict ans.

8. La Reyne cõfiera le secret de cette negociation au
Mareschal de Villeroy, & pour le faire retourner dans

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mes interests, il sera fort à propos que sa Majesté luy
die que i’ay toûjours eû de bonnes intẽrions pour luy,
que ie l’ay toûjours maintenu autãt qu’il m’a esté possible,
& qu’enfin elle le menasse de son indignation &
de celle du Roy, en cas qu’il reuele cette negociation,
& qu’il s’opose aux bõnes volõtez qu’elle a pour moy.

 

9. Bien que la proposition du Mariage du Roy soit capable
de gagner Mme la Duchesse d’Orleans, toutefois
afin de s’asseurer encore plus fortement de son esprit,
on luy donnera de grandes asseurances pour le restablissement
de M. le Duc de Lorraine son Frere, sans
que le seruice du Roy en reçoiue de prejudice, puis
que l’on en remettra l’execution au traitté de la Paix
generale, dont il est à propos de differer encore la conclusion
pour quelques années, & dans lequel, il sera
facile d’éluder tout ce qu’on aura promis.

10. On reculera autant que l’on pourra, par toutes sortes
de moïens & d’artifices l’Assẽblée des Estats generaux,
& d’autant qu’il est tres-important que la Reyne
en soit absolument maistresse, afin d’empescher que
l’on ne fasse quelque proposition fâcheuse cõtre mon
retour, & ruïner entierement tout ce qu’on a fait jusques
icy. Pour le faire reüssir, sa Majesté ne consentira
point que l’Assẽblée se fasse dans Paris, où son A. R. &
Messieurs les Princes ont trop de credit & de creatures,
& où le Peuple seroit assez puissant pour maintenir la
liberté des suffrages des Deputez ; mais au contraire
elle persistera à faire tenir les Estats à Tours où ils ont
esté conuoquez, & resistera à toutes les demandes qui
luy seront faites pour le changement du lieu.

11. Il faudra en cét endroit faire considerer à la Royne

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que si l’Assemblée se tient dans vne petite Ville, il luy
sera facile d’intimider les Deputez, & de leur fermer
la bouche lors qu’ils voudront faire les propositions
qui ne seront point agreables à la Cour, & pour luy
persuader que si elle veut se vanger hautement de
Monsieur le Duc d’Orleans, s’il n’adhere à tout ce
qu’elle desire, & de Mõsieur le Prince, qui pense trouuer
sa seureté dans l’Assemblée generale, elle pourra
hors de Paris executer aisément la resolution qu’elle
prendra. On luy remettra deuant les yeux ce qui se
passa aux Estats d’Orleans, où sur la bonne soy de l’Assemblée,
le Prince de Condé fut arresté prisonnier ; &
ce qui se passa aux Estats de Blois, où sur la mesme bonne
foy Messieurs de Guise furent tuëz, sans que les Estats
peussent s’opposer aux volontez des Roys, qui
n’auroient pas esté si absolus dans Paris, pour l’execution
de semblables entreprises.

 

Il faudra perdre M. de Beaufort, & parce qu’il est
trop attaché aux interests de Monsieur le Duc d’Orleans
& des Princes, & parce qu’il n’a jamais voulu
consentir au mariage du Duc de Mercœur & de ma
Niepce. L’Assemblée des Estats peut donner mille
occasions de nous en vanger auec toute sorte de facilité.

Pour gagner les Deputez du Clergé, l’Euesque de
Lauaur & celuy d’Evreux, leur promettront des Abbayes
& des pensions, & si durant ce temps-là il vacque
quelque Euesché ou quelques autres Benefices,
il n’en faudra donner aucun, afin d’en auoir dauantage
à distribuer : & cependant les promettre de la part

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de la Reyne & de la mienne, à chacun des Deputez en
particulier, & pour les obliger d’estre dans mes interests,
sans intermission iusques à la fin, & on leur dira
qu’immediatement apres l’Assemblée, ils seront pourueus
des Benefices qu’on leur promet, & que l’on ne
differe iusqu’en ce temps-là que de peur de les rendre
suspects.

 

Afin de s’asseurer du Regiment des Gardes, on promettra
aux Officiers de faire vn fonds inalienable à
l’aduenir, pour dix monstres ; mais il ne sera pas toutefois
si fixe, qu’on ne le puisse diuertir quãd on voudra :
& pour tirer quelque vtilité de ce traitté en apparence
avantageux, on les fera consentir à remettre au Roy
tout ce qu’il leur est deu iusques à present.

Afin de gagner l’Amitié des Troupes & les engager
puissamment dans les interests de la Cour, on fera vn
fonds pour vne monstre, que ie leur donneray moy-mesme,
pour en estre en suitte fidelement escorté à
Reims au Sacre du Roy. C’est dans cette Ceremonie
que i’estime qu’il est à propos (si la chose n’est des-ja
faite) que l’on se rende maistre de la personne de M.
le Prince, en quelque façon que ce soit, & de celle de
Monsieur le Duc d’Orleans, en cas qu’il n’ait point
traitté auec la Cour. Par ce coup d’authorité, fait en
ma presence, la Reyne reparera les injures qu’on luy
a faites en ma personne.

Mais dautant qu’vne action de cette consequence
peut allarmer les Esprits, il faudra en mesme temps enuoyer
des Manifestes dans les Provinces, & des Lettres
aux Parlemens, pour retenir les Compagnies &

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les Peuples ; & leur faire entendre que le Roy, pour le
restablissement de son Authorité & du repos public,
a jugé à propos de faire arrester les Princes.

 

Et pour me donner occasion de regagner l’affection
des Peuples, la Reyne m’enuoyera negocier la Paix,
auec laquelle, ie croy pouuoir retourner en seureté.

En cas que les Parlemens fassent des Remonstrances,
il les faudra entendre, & ne respondre autre chose
sinon, que sa Majesté y aura esgard, lors que le bien
de ses affaires le permettra.

Si Paris tesmoigne trop de chaleur pour l’interest
de Mr. le Duc d’Orleans, & des Princes, Il faudra le
menasser de l’absence du Roy, qui pour le chastier de
tous les emportemens du Peuple, ira establir ailleurs
le principal siege de sa Residence.

Il ne faut rien obmettre pour gagner, ou pour perdre
Madamoiselle de Beaumont, puis qu’elle parle si
librement au Roy.

Sur tout, on ne manquera pas d’asseurer Madame
Dampus de mon affection, & qu’outre les cinquante
mil escus que ie luy ay promis, ie ne manqueray pas
de solliciter puissamment aupres de la Reyne, l’affaire
qu’elle m’a fait recommander par mon Neveu le Duc
de Mercœur, lors qu’il m’est venu voir.

On asseurera le petit Bartet, Brachet, & generalement
tous ceux qui m’aduertissent de ce qu’il ce passe
dans Paris, que i’auray soin de leurs fortunes.

FIN.

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