Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?] [1652 [?]], LE VRAY ET LE FAVX, De Monsieur le Prince & de Monsieur le Cardinal de Retz. , françaisRéférence RIM : M0_4068. Cote locale : B_10_17.
SubSect précédent(e)

LE VRAY ET LE FAVX, DE
Monsieur le Prince & de Monsieur le Cardinal de Retz.

LES gens de bien ne se resoluent que difficilement de respondre
aux calomnies, ils mesprisent celles qui n’ont
point d’autre source que la legereté des esprits qui les inuentent,
celles qui partent de la fureur & de la folie ne meritent
que de la pitié, & vne ame genereuse & esleuée n’a pas de
peine à pardonner celles qui sont produites, ou par la haïne ou
par l’enuie. Ie suis persuadé que cette raison est la plus forte de
toutes celles qui peuuent auoir empesché iusques-icy Monsieur
le Cardinal de Retz de s’expliquer sur tous ces bruits, que
l’on a jetté contre luy dans Paris, auec tant de soin ou plutost
auec tant d’artifice, qu’il y à lieu de croire que l’appliquation
que l’on à eu à luy nuire a esté sans comparaison, plus violente
que celle que l’on à tesmoigné à se deffendre contre le Cardinal
Mazarin. Il faut sans doute que Monsieur le Card. de Retz
ait esté persuadé qu’il ne deuoit pas seulement faire reflection
sur des impostures qui attirent le mespris sur leurs Autheurs,
puisqu’elles marquent la legereté de leur conduite, qui leur a
fait oublier les obligations qu’ils auoient à sa generosité, il
faut sans doute qu’il ait veu que ses actions passées fussent infiniment
au dessus de ces emportemens, ou plutost de ces manies
qui ostent le iugement aux hommes, & qui font que ceux qui
le perdent ou par la fureur ou par l’inquietude, rejettent la
cause de leur maladie plutost sur ceux qui les guerissent, que
sur ceux qui les empoisonnent.

Enfin il faut que Monsieur le Card de Retz ait consideré sa
profession, qui l’oblige plus particulierement que le reste
des Chrestiens à souffrir les iniures, que la moderation d’vn
Prelat l’ait emporté sur le ressentiment qui peut estre tres-juste
à vn homme de sa qualité, & qu’il ait eu sur tout vne consideration
merueilleuse pour le repos & la tranquillité de Paris, qui
n’est déja que trop violemment troublé par tant de mouuemens

-- 4 --

contraires, par tant d’agitations si differentes & qui seroit
peut estre absolument desesperée, si la patience qu’il a
eu en beaucoup de rencontres à l’esgard de ses ennemis, n’eust
adoucy les remedes vigoureux, desquels & sa conduitte ordinaire,
& les experiences passées nous doiuent persuader qu’il
est assés capable. Ie louë sa moderation & i’aduouë que
n’aiant iamais eu l’honneur de le connoistre, que par vne reputation
soustenuë à la verité par de grandes actions, mais par
des actions pleines pour l’ordinaire de vigueur & de force :
I’aduouë dis-je qu’ayant examiné la conduite qu’il a tenu
dans ces dernieres conionctures i’ay joint à l’admiration que
i’ay tousiours eüe pour ses grandes qualités vne estime & vn
respect tres-particulier pour sa moderation & pour sa sagesse, &
ce respect est l’vnique cause de cét ouurage, puisque i’ay creu
que ie deuois par toutes les regles de la iustice à vne innocence,
qui s’estoufe, pour ainsi parler elle-mesme, pour le seruice du
public, vn eclaircissement que ie rends depuis long-temps dans
le fond de mon ame au pur amour de la verité.

 

Dans toutes les reflections que i’ay fait sur l’estat des affaires,
depuis ces mal-heureux troubles qui nous diuisent, & qui nous
ruinent, i’ay obserué que le plus grand de tous nos maux & peut-estre
la source de toutes les autres a esté vn aueuglement prodigieux,
qui nous a empesché dans vne infinité de rencontres de
iuger sainement, & il semble que par vn chastiment du Ciel,
nous ayons estoufé dans nous-mesme cette science si necessaire
de la connoissance & du discernement ; nous laissons emporter
nos esprits au premier bruit que seme l’artifice, que iette l’imposture,
que le hazard mesme produit quelquefois, nous permettons
à nostre croyance ce qui deuroit estre destruit par la
premiere reflexion, & cét erreur qui s’est pû guerir autrefois
par le bon sens à fait vn tel progrés en ce siecle, par ce grand &
tout extraordinaire partage des esprits qu’elle à produit, qu’il
est raisonnable dans vne infinité d’occasions de se deffendre soy-mesme
de son raisonnement, ou du moins qu’il est assés iudicieux
de le soûtenir en beaucoup de rencontres par la discussion
des éuenements qui s’estants depuis 3. ou 4. ans tant de fois
trouués contraires à tout ce que l’on à voulu faire croire, nous
marque aumoins plus fortement que ne peuuent faire des contestations

-- 5 --

qui ne sont pas appuyées sur des faits, la verité que
nous cherchons toûjours auec tant de curiosité, & pour l’ordinaire
auec si peu de succés : I’ay donc examiné pour mieux
iuger des choses presentes, tout ce qui s’est dit des passées depuis
le commencement des derniers troubles ; I’ay consideré
tres-exactement la conduite de ceux qui ont eu le plus de part
dans ces affaires, & qui ont joüé les premiers personnages dans
ces Tragedies si funestes à l’Estat ; I’ay particulierement arresté
mes pensées sur M. e Prince & sur M. le C. de Retz, qui sont les
deux personnes qui ont ce semble donné le mouuement à toutes
les autres, & apres vne recherche soigneuse & exacte i’ay
trouué que tout ce que l’on à dit contre M. le C. de Retz s’est
trouué faux par l’euenement, & que tout ce que l’on à dit contre
M. le Prince, par le mesme euenement s’est trouué veritable.

 

Pour bien éclaircir cette matiere il n’y à qu’à considerer la
conduite de l’vn & de l’autre dans le fait : Commençons par celle
de Monsieur le C. de Retz. La pluspart de ceux qui le virent
agir pendant le siege de Paris, crurent ou voulurent croire, que
le zele qu’il tesmoigna dans cette occasion, pour le seruice du
public, auoit la mesme fin qu’à eu pour l’ordinaire celuy de tous
les grands en de pareilles rencontres, & les Partisants de la
Cour le publioient en ce temps là pour vn ieune ambitieux, qui
ne pretendoit de la cause cõmune que des aduantages particuliers,
l’euenement dissipa cette calomnie, on fit la Paix, tout le
monde eut des interests, on sçait les traités infames du mois de
Feurier ; le Duc de Beaufort mesme, la fausse idole de ce temps
là n’oublia pas ceux de sa maison, le seul Coadjuteur refusa
toutes choses, il ne voulut prendre aucune part dans toutes ces
saletés dont l’Histoire doit rougir, il se contenta de l’approbation
des gens de bien, & de la satisfaction de sa conscience. Les
conionctures ne luy permirent pas de rendre incontinent apres
la paix, ses deuoirs au Roy, le C. Mazarin luy en ferma toutes
les aduenües, les esprits mal faits qui tournent tout en poison
& qui l’eussent traité d’esclaue attaché au char de la fortune de
ce Ministre s’il luy eust seulement rendu vne visite, trouuerent
encor dans sa generosité de quoy donner atteinte à sa reputation :
ils le traiterent d’esprit factieux & d’esprit inquiet & l’on
lût en ce temps dans Paris, vn libelle composé auec beaucoup

-- 6 --

d’artifice, qui le declaroit le seul ennemy de la Paix ; la conduite
ferme & vigoureuse, qu’il fut obligé de prendre pour se deffendre
de l’oppression de la Cour, vnie & animée cõtre luy, donna
lieu à toutes les interpretations malignes dont on voulut noircir
ses actions, & dans le tẽps que les esprits credules, abuses par des
bruits affectées & authorises dans les assemblées les plus augustes,
s’attendoient de voir eclorre quelque coniuration funeste
à l’Estat, quelque entreprise soustenuë par Espagne & par Angleterre,
on ne vit que l’affermissement des rentes, par l’establissement
du Scindicat, qui en à esté la conseruation ; & toutes
ces caballes si hautement & si solemnellement decriées, se
terminerent à l’ouurage de nos iours, non pas seulement le plus
innocent, mais le plus approuué : la medisance trouua dans cette
belle lumiere qui donnoit vn nouueau iour à l’Hostel de Ville,
les couleurs du monde les plus noires, on se voulut persuader
qu’vne action si iuste & si sainte, n’estoit que le pretexte du
plus abominable de touts les crimes, de l’assasinat du premier
Prince du sang, de l’intelligence auec les estrangers, de l’enleuement
de la personne du Roy, & ie sens encor en moy mesme
vne honte secrette pour tous mes concitoyens, quand ie pense
que l’emportemẽt de deux ou trois éceruelés fut capable de criminaliser
trois iours durant dans leur esprits ceux qui venoient
d’exposer si genereusemẽt leur fortune & leur vie pour leur salut.

 

L’innocence triompha à la fin, à la veüe de toute l’Europe :
mais son triomphe ne fut pas de longue durée, il fut
troublé presque dans son commencement ; on oublia la persecution
violente dans laquelle M. le Coadjuteur auoit failly
d’estre enueloppé, on ne se voulut plus resouuenir des feux de
joye que l’on auoit allumé pour la prison de M. le Prince, que
l’on ne considera plus comme vne chose necessaire à la liberté
du public, & ce que l’on auoit donné à sa simple conseruation,
fut attribué par beaucoup de gens à des projets d’vne ambition
demesurée. M. le Coadjuteur força encor dans cette occasion
la haine & l’enuye de luy rendre les armes. Il refusa le Chapeau
de Cardinal que la Reyne luy enuoya offrir, il refusa l’Abbaye
d’Orcan que le C. Mazarin luy apporta chez luy, il ne voulut
pas receuoir les quarante mille escus que le Surintendant luy
enuoya au nom du Roy : Enfin la calomnie fut obligée de disparoistre,

-- 7 --

mais elle ne se retira que pour vn moment.

 

Le party de M. le Prince cõposé en ce temps dans le Parlement
de 9. Conseillers, attaqua le C. Mazarin, le Coadjuteur ne iugea
pas qu’il fust de la prudence de faire le dixiéme dans vne affaire
dont le succés ne se pouuoit esperer que par vn grand concert
& par l’approbation de son Altesse Royalle, on affecta incontinent
de le descrier comme fauteur de ce Ministre, on publia
qu’il abandonnoit par la complaisance qu’il auoit pour luy, les
interests du public La fausseté de ce discours fut suffisamment
conuaincu par la resistance que le Coadjuteur fit aux desseins
que le C. Mazarin auoit contre Bordeaux. Il se declara si hautement
dans le Parlement pour la conseruation de cette Ville,
& aupres de son A. R. pour les ouuertures que l’on fit en ce
temps sur la Paix generalle, que la Cour en esclata ouuertement
contre luy, dans le mesme moment que l’on faisoit des seditions
dans le Palais, pour le faire assassiner sous le pretexte de la
pretenduë vnion qu’il auoit auec le C. Mazarin, on luy fit la
mesme iniustice dans cét interualle iudicieux, qu’il mit entre le
projets de la perte du C. Mazarin & de la declaration de ce
dessein, les libelles & les placards ne se contoient en ce temps
la, que par des chiffres, tout estoit en feu, & si l’on eut suiuy les
mouuemens impetueux de ceux qui ne penetroient pas le
fonds des choses, M. le Coadjuteur eut rompu par precipitation
le plus noble dessein dont peut estre particulier ait jamais
esté capable, à l’instant qu’on attribuoit sa moderation à des
mesnagements auec la Cour, il trauailloit sous les ordres de son
A. R. à la perte du C. Mazarin, au mesme moment que l’on
l’accusoit de s’opposer auec violence à la liberté de Messieurs
les Princes, il traitoit auec leurs amis & leurs seruiteurs pour
rompre leurs fers. Les imposteurs ne deuoient-ils pas s’enseuelir
dans les tenebres, le iour qu’il parut au Parlement auec la Declaration
de son A. R. sur l’vn & sur l’autre de ces articles ils ne
rougirent pourtant que dans le fonds de leur cœur, leur effronterie
continua de paroistre & sur leur visage & dans leurs discours,
on imprima dans Paris que les protestations de M. le
Coadjuteur n’estoient que des illusions, que lon aduoüoit que
l’on s’estoit trompé quand on auoit creu qu’il vouloit soustenir
le C. Mazarin : mais qu’il estoit vray aussi qu’il ne le vouloit

-- 8 --

perdre que pour retenir auec plus de seureté Messieurs les Princes
dans leur prison, l’euenement à ce me semble assés bien
destruit cette calomnie, & leur liberté a esté assés effectiue
pour auoir deu dissiper les fantosmes que l’on pouuoit encor
former sur ce sujet : mais la malice en compose de toutes choses.
Apres le changement de Pasque de l’année 1651. la medisance
vint chercher M. le Coadjuteur iusques dans le Cloistre,
on le força de paroistre au Palais pour se iustifier d’vn dessein
dõt on l’accusoit sur la liberté de Mrs les Princes, ses accusateurs
furent confondus par sa presence, toutes sortes de preuues
leurs manquerent ; & sur des coniectures qui ne pouuoient pas
establir le moindre indice, sur ce que M. le Prince auoit manqué
à toutes les paroles qu’il auoit donné à M. le Coadjuteur,
on publia qu’il auoit des intelligences auec le C. Mazarin ; il ny
à personne qui ne se resouuienne des bruits que l’on sema en ce
temps, & ce Ministeriat dont M. le Coadjuteur deuoit prendre
possession à l’entrée du C. Mazarin en France, fut deux mois
durant le sujet de touts ces discours, plûtost de ces lasches murmures,
de ces langues venales que l’on peut dire estre la honte
de nostre siecle.

 

Il y auoit apparence que la Declaration que le Coadjuteur
fit contre le Card Mazarin, à la premiere deliberation du Parlement,
apres son entrée en France d’eust étouffer ces infames
calomnies, elle se renforcerent toutesfois par la rage de ceux
qui se sentirent conuincus en eux-mesmes ; Ils voulurent faire
passer les auis que M. le Coadjuteur portoit dans le Parlement
pour des illusions, ils ne pouuoient desaduoüer la verité qui
paroissoit dans ses paroles & dans celles de ses amis. Mais le
mensonge qui fuit la lumiere & qui ne peut regner que dans les
tenebres, voulut prendre des armes dans le secret des cœurs : on
essaya de persuader que tout ce qu’il faisoit dans le public estoit
destruit par ce qu’il faisoit dans le particulier, qu’il ralentissoit
les bons desseins de S. A. R. qu’il arrestoit les resolutions vigoureuses
& estectiues que l’on pouuoit prendre contre le C.
Mazarin, & de la toutes ces inuectiues qui durent encor, & qui
ont passé iusques à la fureur ; & de la toutes ces calomnies desquelles
il s’agit presentement, & que nous examinerons particulierement
& l’vne apres l’autre, apres que i’auray tiré de tous

-- 9 --

ces faits que ie viens de poser, vne conclusion, qui tombe sous le
sens qui est que tout ce que l’on à dit contre Monsieur le C. de
Retz, iusques au retour du C. Mazarin en France s’est trouué
faux par l’euenement, & que i’auray prouué par la mesme regle
que tout ce que l’on à dit contre M. le Prince, s’est trouué
veritable.

 

Ie croy qu’il y a peu de personnes, qui aye perdu la memoire
des sentimens que M. le Prince fit paroistre dans le Parlement,
contre le President Viole, & quelques autres sur la proposition
qu’ils firent contre le C. Mazarin, le public conceut des ce
moment quelque apprehension de son esprit, on remarqua
dans son humeur, beaucoup d’aygreur & beaucoup d’emportement,
& on peut dire que cette iournée vit naistre cette haïne
publique, qui flestrit bien-tost apres les lauriés qu’il auoit emportés
à Lens, on augura mal de ses desseins, & on le considera
comme vn Prince qui vouloit establir sa tyrannie sous le fantosme
du C. Mazarin : plust à Dieu que nos craintes eussent esté
vaines, plust à Dieu que ces Propheties eussent esté fausses,
Paris n’eust pas esté assiegé, la licence n’eust pas esté dans les
troupes, l’authorité Royalle n’auroit pas esté ebranlée, &
nous ne verrions pas presentement nos fortunes & nos vies
abandonnées à la fureur des estrangers. Le siege de Paris estant
leué & la Paix estant acheuée, on ne crût pas que M. le Prince
l’eust faite auec luy mesme, on apprehenda que les maximes
dans lesquelles il s’estoit confirmé, ne le portassent à de nouuelles
violences, ou plustost à la confirmation des anciennes,
n’auroit il pas esté à souhaiter que ces soupçons n’eussent pas
esté confirmés, par les tesmoignages publics qu’il donna à toute
la France, de l’attachement qu’il auoit à soutenir le C. Mazarin,
quand s’estant brouillé auec luy au mois de Septembre de l’année
1649. il s’y raccommoda contre les paroles données & au
public & à M. le Coadjuteur, qui auoit mesprisé pour le seruir
en cette occasion, tous les aduantages qu’on luy auoit offert de
la part de la Cour.

Apres vn accommodement si scandaleux, on ne douta point
que M. le Prince ne persecutast la vertu qu’il auoit abandonnée,
& qu’il n’essaiast par toutes voyes, de perdre ceux qu’il auoit
si cruellement offensé : on connut clairement que ces aprehensions
estoient fort bien fondées, quand l’on vit M. le Coadjuteur
accusé dans le Parlement par des tesmoins subornés, retirés &

-- 10 --

entretenus chez les domestiques de M. le Prince Il seroit
inutile d’examiner tout ce procedé, les gens de bien fremissent
encore au seul nom des Canto, des Sociendo & des Pichons.

 

Apres que M. le Prince eut esté arresté, & que l’inquietude
naturelle aux esprits des François leur eut fait souhaiter sa liberté,
les gens d’esprit considererent ce desir comme vn de
ces mouuemens aueugles, qui portent à des precipices, ils s’estonnoient
que M. le Coadjuteur si laissast emporter, ils iugerent
que la resolution que l’on prit sur ce sujet seroit par vne
suitte ineuitable la perte du Royaume, & pourroit estre celle
du Coadjuteur, en effet nous ne voyons pas que la liberté de
M. le Prince ait apporté la Paix à l’Estat, & pour ce qui touche
M. le Coadjuteur, on n’a qu’à se resouuenir que M. le Prince,
huict iours apres qu’il fut sorty de prison, s’accommoda auec les
amis du C. Mazarin, esloigna des Conseils du Roy, M. de Chasteau-neuf
qui auoit beaucoup contribué à la perte de ce Ministre,
manqua à toutes les paroles qu’il auoit données dans ses
traitez, tira pour recompense le Gouuernement de Guyenne,
pretendit celuy de Prouence, & sur l’opposition que la Reyne
y fit, prit les armes, & donna ouuerture à cette diuision malheureuse
de la maison Royalle, qui est la veritable porte par
la quelle le C. Mazarin est rentré en France.

Tous ces faits que ie viens de poser, sont plus clairs que le
iour, pour peu que l’on soit instruit des affaires du monde ; on
ne peut douter de ces verités qui prouuent que tout ce qu’on
à dit contre M. le Prince, iusques à l’entrée du C. Mazarin s’est
trouué vray. Doù ie conclus que tout ce que l’on adit contre M.
le C. de Retz, ayant esté par la mesme regle de leuenement conuaincu
de faux, les prejuges au moins sont incontestablement
pour M. le C. de Retz, ce qui est d’vn grandissime poids dans
vn siecle aussi mysterieux que celuy-cy, autant remply d’intrigues
secrettes, & comme les choses cachées, sont proprement
le champ de l’imposture, on doit au moins la Iustice aux personnes
qui ont tousiours agy en gens de bien, on leur doit dis-je de
ne les pas condamner sur des articles obscurs, qui peuuent
estre les effects de l’imposture & de iuger plustost de leur conduitte
par des faits clairs & certains, qui ne peuuent receuoir ny
doute ny contestation.

Ce n’est pas le seul aduantage que la verité donne à M. le C.
de Retz, ses rayons n’esclairẽt pas moins, les choses presentes

-- 11 --

que les passées. Ils font paroistre les intentions de M. le C. de
Retz par tous les moiens qui peuuent eclaircir celles des hommes ;
on n’en peut connoistre les desseins que par les actions,
ou par les interests, il n’est pas difficile de descouurir les interests
qui les peuuent faire agir, il n’est pas mal-aisé de penetrer leur
actions ; & pour ce qui est de la conduitte de M. le C. de Retz
nous n’auons qu’à examiner l’vn & l’autre de ces deux choses.

 

Et pour commencer par les interests, qui sont au moins selon
les regles de la prudence humaine, le principe le plus ordinaire
de nos actions. Ie remarque que le plus pressant de touts ceux
qui ait iamais pû toucher le C. de Retz est la perte du C. Mazarin.
Quelle confiance peut iamais prendre le C. de Retz à vn
Italien, qu’il à attaqué dans le plus grand esclat de sa puissance,
qu’il à pousse auec vne vigueur qui à tousiours resueillé & soustenu
la haine publique. Si M. le C. de Retz considere ses veritables
interests qui sont la conseruation de paris, & l’amour
des Peuples, auec lesquels il doit viure iusque au dernier souspir
de sa vie ; peut-il desirer la subsistance du Ministre, dont le nom
seul est fatal & à l’vn & à l’autre. Si M. le C. de Retz iette les
yeux sur le Ministere, & souhaite ce grand employ, le peut-il esperer
par la conseruation d’vn homme, que l’on peut dire estre
le maistre de la Cour, puisqu’il à la confiance de la Reyne ; pretend
il de partager vne chose, qui de sa nature est indiuisible
auec celuy, de qui il se professe en toutes occasiõs estre l’ennemi
capital : ses interests estants aussi contraires qu’ils sont à la subsistance
du C. Mazarin, pourroient sans contredit iustifier les apparences
les plus mauuaises, quel effect ne doiuẽt-ils point produire
dans les esprits qui n’en peuuent remarquer que de bonnes
pour peu qu’ils rendent de iustice à la verité.

Et pour eclarcir ce point, il faut examiner exactement le particulier,
de tout ce qui s’est fait depuis l’entrée du C. Mazarin
dans le Royaume, & i’aduouë que ie ne me puis empescher en
ce lieu, d’esclatter auec quelque aigreur contre ces ames noires
qui remplissent de poison les actions les plus innocentes ; qui
perdent le respect aux puissances, les plus legitimes dans le moment,
qu’elles sont les mieux intentionnées, qui ont porté leur
langues de viperes iusques au cœur de M. le Duc d’Orleans ;
Car enfin n’est-il pas que tropt veritable que tout ce que l’on à
dit contre M. le C. de Retz sur le peu d’effort, que l’on fit pour
s’opposer au retour du C. Mazarin retombe estrangement sur

-- 12 --

S. A. R. de qui les intentions sont si clairement conneuës à toute
l’Europe, que l’on ne les peut accuser sans vn crime, que l’on
peut appeller vne prophanation de la verité : M ne se declara-il
pas ouuertement dans le Parlement ? ne fit-ils pas vne protestation
publique, qu’ils ne consentiroit iamais à l’establissement
du Mazarin ; ne s’engagea t’il pas par des sermens si solemnels,
& si authentiques qu’il sembloit que cette letargie que nous
sentons dans nous mesmes, & qui est si fatale à cet Estat ne pouuoit
n’estre pas reueillée, par vn exemple si animé & si puissant
Le Parlement donna cét Arrest si celebre, par lequel la teste
du C. Mazarin a esté mise à prix ; Le peuple tesmoigna beaucoup
de chaleur, mais dans le fond a quoy se reduisirent les
secours que l’on donna à son A. R. Il ne trouua que des oppositions
à toutes les tentatiues qu’ils vouloient faire pour trouuer
de l’argent : Il ne trouua que de bons desirs accompagnes
de beaucoup de contrarieté, à tout ce qui estoit necessaire
pour les faire reussir : Il ne tint pas à M. le C. de Retz, que l’on
n’essaya au moins de forcer ces obstacles ; il proposa à S, A. R.
de faire vne Ordonnance, par laquelle il seroit enjoint à tous
les receueurs de ne se point dessaisir des deniers publics, que
par ses ordres, excepté de ceux qui seroient destinez au payemẽt
des Rentes de la ville : Il indiqua le fond qui estoit chez de Flandres,
montant à plus de huict cent mil liures : l’ordonnance fut
expediée & sur le point que son S. A. R. l’alloit signer, Goulas
esclaue de Chauigny, & accoustumé des long temps à trahir
son Maistre s’y opposa auec violence & auec des raisons apparentes,
qui furent soustenuës par M. de Longueil, & qui empescherent
S. A. R. de prendre sur ce suject la derniere resolution.
Ie n’aduance rien de vague, rien qui ne soit plus clair que le iour
qui ne soit prouué par le tesmoignage mesme de M. qui à regretté
vne infinité de fois de n’auoir pas suiui le Conseil du C.
de Retz en cette occasion.

 

Monsieur le Cardinal de Retz, iugeant par cette experience
& par quelques autres qu’il auoit fait qui estoient de la mesme
nature, qu’il y auoit des cabales secrettes, dont les vnes fauorisoient
la Cour, & les autres essayoient d’empescher que
Monsieur ne se rendit Maistre du party, & ne fust en estat de ne
pas receuoir la loy de M. le Prince, declara haute ment à M.
& à tous ceux qui voulurent l’entendre dans le Palais d’Orleans
qu’il se retireroit & ne se mesleroit plus d’aucunes affaires, si l’on

-- 13 --

n’establissoit vn Conseil, dans lequel il s’offrit de conferer
mesme auec ses ennemis les plus declarés & de signer tous ses
aduis ; Chauigny & tous les autres partisants de M. le Prince,
refuserent de voir le C. de Retz, sous le pretexte de l’Estat ou
il estoit auec M. le Prince : mais en effet pour laisser tomber les
affaires de S. A. R. dans vne confusion qui l’obligeast d’estre
soumis à toutes les volontés de M. le Prince. La passion que M.
le C. de Retz à tousiours eu pour les interrests de M. fit qu’il renonça
pour ainsi parler à soy mesme en ce rencontre, il supplia
M. publiquement d’establir vn Conseil, & que sa consideration
ne l’empeschast pas de faire vne chose si necessaire à son seruice.
Il luy tesmoigna que quoy qu’il ny eust point de place, il ne
laisseroit pas de le seruir auec le mesme zele, & qu’il luy vouloit
faire voir par la defference qu’il rendoit à des personnes qui luy
estoient beaucoup inferieures & en naissance & en dignité, que
ses interests particuliers cederoient tousiours à ceux du public,
M. receut ce discours auec vne bonté digne de luy : il se resolut
quoy qu’auec beaucoup de peine à ce qui luy estoit conseillé, &
proposa l’establissement d’vn Conseil reglé : Chauigny n’ayant
plus de pretexte leua le masque absolument, representa à M.
qu’ayant tousiours esté Ministre du Roy, le respect qu’il deuoit
à ce caractere & le bon sens ne luy permettoient pas de le seruir
en cette maniere, & ainsi les choses demeurerent dans le desordre,
ainsi les affaires tomberent dans la confusion que l’on souhaitoit ;
ainsi les actions des hommes n’estant point esclaircies
ceux qui agissoient auec le plus de molesse pouuoient accuser
impunement ceux qui agissoient auec le plus de vigueur : mais
la verité est trop forte pour pouuoir jamais estre estoufée, elle
esclatte mesme par les actions de ceux qui la veulent enseuelir,
& quand M. le C. de Rets n’auroit pas pour iuge de toutes ses
actions M. le Duc d’Orleans, il est asses iustifié par le particulier
de tout ce qui se passa en ce temps-la.

 

Monsieur donna le commãdement de ses armes à M. le Duc
de Beaufort, dont l’incapacité au fait de la guerre est connue
de toute l’Europe : les gens les moins passionnés auoüeront
bien que des troupes aussi foibles en nombre que celles de M.
eussent esté plus seurement en d’autres mains, & n’auroit pas
de peine à croire qu’il nobtint pas cét employ par la sollicitation
de M. le C. de Retz : M. se peut resouuenir des instances,
que le C. de Retz luy fit dans ce moment pour obliger au moins

-- 14 --

M. le Duc de Beaufort à se mettre promptement à la teste de
ses troupes, pour s’aller opposer sur les riuieres au passage du C.
Mazarin : M. luy commanda plus de vingt fois ; Il fit esperer de
iour en iour d’obeïr à cét ordre, il y manqua non pas à mon sens
par infidelité, mais par la peine qu’il auoit à se resoudre à quitter
Paris, & par le peu de iour qu’il trouuoit en son peu d’experience,
& dans son irresolution naturelle à executer ce qui luy
estoit commande. On se peut resouuenir que trois semaines
durant on attendoit dans Paris le iour de ce depart qui estoit
tous les iours publié par ses emissaires, & tout le Palais d’Orleans
est tesmoin de ce fait. Il partit enfin apres que le C. Mazarin
fut passe, & apres qu’il eut pris le peu d’argent que M. auoit en
ce temps la, il alla commander l’armée qu’il n’employa qu’a
ruïner le païs. Ce que le C. de Retz auoit predit à M. de sa conduite
se trouua vray par l’euenement. Il fit vne entreprise sur
Gyen petite place : mais d’importãce en ce tẽps pour le passage
du C. M. il la manqua pour n’auoir pas eu la preuoyance d’auoir
des Batteaux pour vne action qui se deuoit executer par la riuiere :
Il ne secourut pas Angers, le Duc de Rohan ne conuient
pas de ne luy en auoir pas donné le temps : il est constant que
les ordres de M. pour y aller estoient precis, & il est vray qu’ils
ne furent jamais changés, ce qui est de plus clair sur ce sujet est
qu’il eut vn dessein ridicule sur la Ville du Mans qui luy fit perdre
quelques iournées, il ne reüssit pas mieux aupres de Blois, Il
ne tint qu’a luy de pousser & de d’issiper peut-estre l’armée du
Mazarin. I’Incapacité qu’il tesmoigna dans toutes ces occasions
augmenta le mépris qu’on auoit des-jà pour luy : ce qui joint à sa
presomption luy attira cette auersion si generalle dans les troupes
de M. qu’elles n’ont pas esté capables d’entre prendre quoy
que ce soit sous sa conduite.

 

M. le Prince arriua en ce temps à Paris, & ses partisans publierent
qu’on ne uerroit plus de lenteurs dans les Conseils de
M. que l’on ne verroit plus, que de la force & de la vigueur dans
les resolutions, & en effet, toutes les apparences en estoient
belles, on voioit M. le Prince entrer dans Paris, auec les nouuelles
de l’aduantage qu’il venoit de remporter sur M. d’Hoquincour,
on voioit son armée composée de plus de dix-milles hommes
effectifs, toutes vieilles trouppes & qui ne portoient que
la victoire dans leurs estendars, les plus sensez iugeoient bien
que. M. le Prince apportoit à Paris les restes d’vne guerre, qu’il

-- 15 --

auoit assez mal commencée en Guienne & ceux qui auoient vn
peu de preuoiance eussent souhaité des ce temps que le debris
d’vn parti mal-traité par le Comte d’Harcourt, n’eust pas tombé
sur la capitale du Royaume, mais l’on se vouloit tromper soy
mesme, & les forces que l’on voyoit en campagne assez grandes
pour perdre certainement le C. Mazarin, nous consoloient
des maux que nous auions raison d’aprehender : à quoy se sont
terminés toutes ces esperãces ? à quoy ont a bouti tous ces preparatifs ?
est ce le C. de Rets, quia lié les mains à ces dix mil
hommes, qui les à rendus immobiles, est-ce le C. de Retz, qui
les à empesché de rien prendre, qui les à laissé sans Generaux,
qui à donne tous les moiens au Mareschal de Turenne de prendre
ses aduantages, qui à arresté M. le Prince à Paris, qui a fait
que dans vne occasion ou les volontaires mesme sont obligez
de courre auec ardeur, dans vn siege d’Estampes ou toute la fortune
du parti estoit renfermée, dans vne action que l’on auoit
preueüe & publiée trois semaines auparauant : tous les chefs
languissent sur le paué de paris, se promenent au cours, iettent
la deffiance dans l’Esprit des estrangers, qui sont venus a leur
secours & qui auoient raison de se croire à bandonnés.

 

Cette conduite doit estonner ceux qui ne sont pas dans le secret
du cabinet, mais ceux qui ont quelque part dans le fonds
des choses, n’en peuuent estre surpris, il n’est point estrange que
l’on ne se serue point de dix mil hõmes quand, on attend le succes
d’vne negotiation, M. de Chauigny, M. de Rohan, M. Goulas
ne furent pas long temps apres l’ariuée de M. le Prince, à
faire paroistre celle qu’ils auoient à la Cour, le seiour de M. le
Prince à Paris dans vn temps ou il estoit si necessaire à l’armée,
fait assez connoistre le dessein qu’il auoit d’engager Monsieur
dans les traités, ils ne purent toutesfois rien obtenir de S. A. R.
que la permission de declarer au Roy qu’ils ne pouuoit poser
les armes que le C. Mazarin ne fut sorty du Royaume, ils allerent
sous ce pretexte à S. Germain, mais on vit bien par leur
conduite, que ce n’estoit pas la veritable raison de leur voyage,
on connut que les allées & venuës de Montaigu, & les conferences
si frequentes qu’ils auoient eu auec luy, que les voyages
de Faber & ceux de Ternes son agent n’alloient pas à l’esloignement
du Mazarin, M. de Chauigny, M. de Rohan & M. Goulas
tous trois confidens, ou pour mieux dire, esclaues de M. le
Prince demeurerẽt 5. heures enfermes auec le C, Mazarin contre

-- 16 --

les ordres expresses de S. A. R. ils furent des aduouës publiquement
à leur retour, & la disposition que tesmoigna M. en ce rencontre
iointe au murmure general qui s’eleua contre cette infamie
publique, suspendit pour ce momẽt, l’executiõde ce traité.

 

Monsieur le C. de Retz iugeant par toutes ces intrigues,
que M. le Prince estoit plus esloigné que iamais de pousser le
C. Mazarin, puisqu’il entretenoit auec luy des negotiations qui
releuoient ses esperãces desia presque abbatuës, & connoissant
d’ailleurs que l’on essaioit par toutes sortes d’artifices de ietter
vne parie des soupçons sur S. A. R. qui n’auoit nulle part à
tous ces commerces, supplia tres humblement S. A. R. de luy
permettre d’auoir moins souuent l’honneur de le voir, puisque
l’estat ou il est auec M. le Prince, le rendant assez inutile en
beaucoup de choses de son seruice, qui luy pouuoient estre
communes auec M. le Prince, il ne iugeoit pas qu’vne assiduité
plus ordinaire put produire d’autre effects, que le petexte
à ses ennemis de le faire passer pour contraire à la Paix ou pour
auoir part aux traités auec le C. Mazarin, il s’expliqua clairement
a Monsieur sur ce suiet ; & il luy dit, qu’il tenoit la Paix si
necessaire au Royaume, qu’il ne croioit pas qu’ils fût d’vn hõme
d’honneur, de laisser les moindres soupçons que l’on y pût
estre contraire, & qu’elle estoit si odieuse & si peu seure auec le
C. Mazarin, qu’il estoit d’vn homme sage de fuir toutes les occasions
de s’en mesler, qu’il ne laisseroit pas de luy rendre ses deuoirs
tous les huict iours pour ne se pas priuer d’vn honneur qui
estoit si cher, pour faire voir a M. le Prince que ce grand nombre
[luy] de gens qu’il entretenoit, dans le Faux bourg S. Germain
ne l’estonnoit point. S. A. R. scait que M. le C. de Retz,
depuis ce temps à tenu sa parole, l’obligation qu’il à eu de ne
point paroistre dans le public, par ce qu’il n’auoit pas encor le
bonnet à fauorisé le peu d’action qu’il y a eu dans sa conduite, il
est demeuré dans vn repos iudicieux.

Les partisans de M. le Prince ont continué leurs trauaux : qui
ne scait tous les voyages de Gouruille ? qui ignore les negotiations
de M. de Chastillon ? qui n’est pas instruit des paroles que
porte tous les iours le sieur de Gaucourt ? on lit publiquement
les articles du traité de M. le Prince, on y voit les recompenses
que l’on donne au Duc de la Roche Foucaut, dont la
vie est vn tissu de l’asches perfidies, à Marsin, à qui le Roy d’Espagne
aura peut-estre l’obligation du recouurement de la Catalogne,

-- 17 --

à d’Augnon qui traite publiquement auec l’Angleterre,
au President de Maisons à qui l’on rend les Finances
qu’il à si hautement & si insolemment pillées, à Longueil
cette giroüette infame de tous les partis, à Chauigny
homme de neant de la lie du peuple, si meconnoissant
des biens immenses qu’il à receus par la bonté du feu Roy,
Dieu veuille que la confirmation du Cardinal Mazarin ne soit
point le prix de toutes ces profusions, Dieu veuille qu’apres
auoir souffert vn brigandage qui ne s’est estably que par ce que
lon n’a pas voulu faire veritablement la guerre, qui eust trop-tost
chasse le Mazarin, nous ne soyons point forcés de reconnoistre
encor sa puissance si fatale au repos du public, on traite
tous les iours à la Cour, on ne fait point la guerre, on attire les
armées aux enuirons de Paris, on desespere les peuples de la
Campagne, on lasse ceux de Paris par des seditions, ces moiens
sont ils propres à chastier le C. Mazarin Monsieur le C. de Retz à
t’il part à tous ces moiens, commande-t’il ces armées, semesle-t’il
de la police, preside-t’il aux Conseils, paye-il les Pesche, les
l’Agneau & les Dames Annes.

 

Vn ancien disoit autrefois, qu’il estoit impossible de peindre
la calomnie par ce qu’elle change à tout moment de figure &
de forme, Monsieur le Cardinal de Retz fait aujourd’huy, si l’on
en veut croire nos imposteurs, vne sedition dans le Palais pour
rompre la Paix : M. le C. de Retz la traite ce soir auec le C. M.
son ambition ne se peut assouuir que par la place de premier
Ministre, il fait pourtant tous ses efforts pour y conseruer le C.
M. il à des negotiations auec M. de Lorraine pour l’empescher de
venir seruir le parti, il trauuaile à mesmes temps à les faire auancer
en diligence pour faire entrer par son moyen M. en rupture
auec M. le Prince, il s’vnit estroitement auec luy pour decrediter
M. le Prince dans Paris, & le rendre moins considerable
dans son party, vn moment apres il trame auec le Roy d’Angleterre
vne trahison si subtile, qu’elle ne pouuoit estre descouuerte
que par le grand genie de M. le Duc de Beaufort, il est aujourd’huy
allé à la Cour par ce qu’il n’ose plus se montrer à Paris, il
marche demain dans les ruës auec vne fierté qui n’est pas Ecclesiastique,
il est dans les interests de M. il fait pourtant les preparatifs
d’vn tiers party, qui va à la perte de la Reyne, il à tant de
part dans l’esprit de M. qu’il arreste tous ses bons desseins, il est si
brouillé auec son A. R. qu’elle luy à deffendu d’entrer dans le

-- 18 --

Palais d’Orleans. N’est il pas vray qu’il ny à point de iour ou
toutes ces contrarietés ne se publient comme des verités
authentiques, & est-il possible qu’apres tant d’experiences il y
ait encor des esprits capables d’escouter toutes ces contradictions,
ie ne m’arreste point à les examiner elles ne meritent
que du mespris & quand elles ne se destruiroient pas elles mesmes,
quand le iour qui les voit n’aistre, ne les voiroit pas mourir,
l’euenement les esclairciroit & la verité plus forte que
l’imposture ne la peut estouffer.

 

Ie me contenteray d’examiner seulement en ce lieu cette calomnie
si grossiere dont on à voulu ietter le soupçon sur Monsieur
le Cardinal de Retz en ce qui touche Monsieur le Duc
de Lorraine, ce n’est pas qu’il ne soit asses iustifié par les escrits
mesmes que ses ennemis ont publie contre luy sur ce sujet, ils
ont eu assés de rage pour mettre son nom sur le tiltre : mais ils
n’ont pas trouué assés de matiere pour l’inserer dans l’ouurage,
Monsieur le Duc d’Orleans a rendu solemnellement iustice à la
verité, ie ne discute pas ce qui s’est passé en ce fait, pour faire
voir que Monsieur le Cardinal de Retz n’y à aucune part, mais
pour faire connoistre que ceux qui ont esclaté auec le plus
d’aigreur contre le changement de M. de Lorraine, n’ont pas
contribué auec le plus de soin à l’obliger de ne changer pas,
personne n’ignore que M. le Prince n’a iamais voulu entendre
à luy rendre ses places. M. le C. de Retz iugeant que ces deux
Princes, ne conuiendroient iamais de leurs interests, declara
publiquement, qu’il ne prendroit aucune part dans toutes ces
affaires, supplia ouuertement S. A. R. de luy permettre ceste
conduite & il se contenta de rendre à M. de Lorraine en presence
de M. & de Madame, les ciuilités que leurs Altesses auoient
desiré de luy. Ie sçai bien que ceux qui ont interest de souhaiter
que Monsieur soit maistre du party, deuoient estre affligés du
changement de M. de Lorraine, mais on peut douter auec beaucoup
de raison que ceux qui ont eu, tant de part aux negotiatiõs
de M. de Montaigu, n’ayent quelque connoissance de celles du
Milord Germain, on peut sur prẽdre les esprits pour deux iours,
mais il est difficile de les aueugler pour long temps, on peut sur
des apparences friuoles, ietter des soupçons sur vn homme de
bien, on peut dire que M. le C. de Retz est tous les iours en
concert & en cabale, mais il n’est pas mesme necessaire de sçauoir
le particulier de sa conduite, pour ne pas ignorer que celles

-- 19 --

dont on l’accuse, sont presentement hors de toute apparence,
ie m’estonne que l’on ne se lasse point d’aduancer des impostures
& i’auoüe qu’vn esprit bien fait se lasse d’y respondre,
i’entends encor tous les iours dans le monde, des plaintes que
l’on fait contre M. le C. de Retz sur ce qu’il est brouïllé, auec
M. le Prince, & ie voy qu’en beaucoup de lieux on reiette sur
luy l’effect d’vne diuision que M. le Prince seul à causée & produite,
chacun sçait que M. le C. de Retz auoit merité ses bonnes
graces, par les efforts qu’il fit pour sa liberté, personne nignore
comme il en a esté recompensé, & tout le monde doit croire
par l’experience du passe, que dans vne pareille conioncture il
seroit encore la victime des traités que l’on fait auiourd’huy. Ce
n’est pas que M. le C. de Retz, ne se soit mis en toutes sortes de
raisons sur ce suiet, S. A. R. sçait les conditions qui ont esté proposées
pour faire cet accommodement, on voulut obliger le
C. de Retz à des bassesses, que M. le Duc d’Orleans refusa mesme
de luy proposer, mais quand tous ces proiets eussent reüssi,
quand cet accommodement se fut conclu, de quoy en eust profite
le public, les veritables reconciliations sont tousiours necessaire,
les fausses sont tousiours dangereuses, nous auons esprouué
cette verité dans toutes celles qui se sont faites depuis quatre
ans, & tant qu’il y aura lieu de croire par tant de negotiations
qu’il y en pourra auoir entre M. le Prince & le C. Mazarin
il est mesme important pour le public, & pour S. A. R. qu’il ny
ait pas vne vnion parfaite.

 

Tout ce que l’on dit contre M. le C de Retz, sur le Chapeau de
Cardinal, n’a pas plus de poids ; on trouue estange qu’vn Archeuesque
de Paris neueu & petit neueu de deux Cardinaux,
qui à des alliances tre-proches auec tout ce qu’il y a de plus releué
dedans & dehors le Royaume, soit paruenu à la dignité
de Cardinal, il la refusée plusieurs fois, & tant que le Cardinal
Mazarin a esté dans le Royaume, par ce qu’il n’a pas voulu
luy en auoir aucune obligation. Il l’a acceptée quand toute la
France à deu connoistre qu’il n’en estoit redeuable qu’a la seule
bonté de la Reyne & de Monsieur le Duc d’Orleans, qui la demandée
pour luy au Roy, qui la presenté pour en remercier
leurs Maiestés, qui en à fait particulieremẽt son affaire à Rome,
& qui à tesmoigné par ses soins, la confiance qu’il auoit en sa fidelité :
il n’y a personne dans la Cour de Rome, qui ne sçache
que le Cardinal Mazarin à fait tous ses efforts pour empescher

-- 20 --

la promotion : & ce qui se passe auiourd’huy en est vne marque
assez conuainquante, & chacun sçait que la preuoyance du Pape
à esté necessaire pour l’accomplissement de cette action, sa
Sainteté preuint la reuocation qui arriua à Rome, vn peu trop
tard, & elle à donné ordre aux difficultés que l’on a fait sur la
reception du bonnet.

 

Ie marreste, ie suis las de respondre à tant d’extrauagances
qui font connoistre d’elles mesmes l’iniustice ou plustost
la fureur de ceux, qui les inuentent : & ie veux finir
cet ouurage par vn sentiment que ie dois à ma conscience ;
que ie dois à la verité, que ie dois aux interests du public ;
Est il possible ô peuples mal-heureux, que l’on immole tous les
iours à des haines particulieres, à des vangeances iniustes, à
des interests infames, est il possible dis je que vous confondiés
vos tyrãs & vos liberateurs ; est-il possible que l’excés de vos miseres
vous aueugle au lieu de vous instruire, que vous ne voyez
pas que celuy qui assiegea Paris, qui vous ramena apres le siege
le Card. Mazarin, & qui n’affecte auec luy des apparences
de nouuelles brouïlleries, que pour en tirer des grandeurs & du
bien, n’a point de passion plus forte presentement, que de
perdre dans vos esprits M. le Cardinal de Retz, de qui les interests
ne peuuent iamais estre separez d’auec les vostres, qui
est vostre Prelat, de qui l’esleuation ne consiste que dans
vostre abondance. Souuenés vous que ce C. de Retz est celuy
la mesme qui attaqua le C. Mazarin dans le plus grand esclat de
sa fortune, qui contribua plus que personne, sous les ordres de
son Altesse Royalle à le chasser dans l’estat mesme que sa conseruation
luy pouuoit estre vtile, & qui vous sera peut-estre
encor necessaire pour ce mesme effet au moment que vous
serés abandonnés de ceux qui se disent vos protecteurs, qui ont
tousiours esté ses esclaues, & qui ont assiegé Paris auec plus de
vigueur qu’ils ne le deffendent.

FIN.

SubSect précédent(e)


Gondi, Jean-François Paul / cardinal de Retz [?] [1652 [?]], LE VRAY ET LE FAVX, De Monsieur le Prince & de Monsieur le Cardinal de Retz. , françaisRéférence RIM : M0_4068. Cote locale : B_10_17.