Bourbon-Condé, Louis II de (prince de Condé) [signé] [1651], LETTRE de Monsieur le Prince de Condé, escrite à Sa Majesté, au sujet du regret qu’il a du retour du Cardinal Mazarin en France. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : D_1_51.
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LETTRE de Monsieur le Prince de
Condé, escrite à Sa
Majesté, au sujet du regret
qu’il a du retour du
Cardinal Mazarin en
France.

SIRE,

Si ceux qui pour le malheur de vôtre
Estat approchent vostre Maiesté, ne luy
auoient point donné de mauuaises impressions
de la sincerité de ma conduite,
que toutes les actions de ma vie peuuẽt,
ce me semble, justifier ; & si i’auois pû
trouuer pres de vostre personne la seureré
que ma naissance, & si i’ose dire, mes
seruices m’y doiuent auoir acquise, ie ne
serois pas en peine de rendre compte à
Vostre Maiesté de ma retraite, Qui ne
me paroist fascheuse que parce qu’elle

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m’esloigne d’elle, & à laquelle ie ne me
fusse iamais resolu, si on ne l’eust iugee
absolument necessaire pour le restablissement
de vostre authorité, & le repos
de vostre Royaume.

 

Mais les desordres de l’Estat, qui est
prest de tomber dans le precipice, où
les sinistres conseils, & l’interest de quelques
particuliers le veulent pousser, &
les desseins qu’ils ont fait de me perdre,
comme vne personne qu’ils sçauent biẽ,
qui ne craindroit point de s’exposer,
pour arrester les funestes entreprises ; &
le retour du Cardinal Mazarin, qui s’auance
tous les iours, m’ayant enfin obligé
de prendre des resolutions conuenables
à l’estat des choses ; I’ay creu que ie
ne pouuois, à moins que de manquer au
seruice que ie dois par tant de raisons, &
que i’ay voüé à vostre Maiesté, auec passion
si legitime, demeurer plus long-tẽps
sans apporter les derniers remedes à ces
grands maux, & sans luy faire voir à cette
heure qu’elle va prendre la cõnoissance
de ses affaires, que tous autres moyens
ayant esté tentez inutilement, & le peril
estant enfin à l’extremité, il n’y en auoit
plus que celuy des armes, & qu’il falloit

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mettre le fer dans cette vieille blesseure,
que la douceur & le temps ne faisoit
qu’irriter.

 

Ce sont des veritez, que vostre Maiesté
verra clairement, si elle veut considerer,
ainsi que ie l’en supplie, que depuis
qu’elle est venuë à la Couronne, l’auarice
insatiable du Cardinal Mazarin, & des
autres Ministres, sur la conspiration desquels
il a fõdé sa fortune, ont beaucoup
plus ruiné la France que n’auroit fait la
desolatiõ & le pillage des armees Estrangeres.
Que tous autres ancestres ensemble
ont moins pris d’argent de vos peuples
que ces sangsues en ce peu de tẽps ;
Que vos troupes n’ont pas esté plus destinées
à vaincre vos ennemis qu’à oppresser
vos subiets ; Que l’innocence des
particuliers qui leur deuoit seruir d’azile
a esté persecutée, & la liberté abbatuë,
Que les seules gaines de ces Ministres
destinez au sousleuement du Royaume,
ont renuersé les priuileges des Parlemẽs :
Que celuy de Paris a veu ses principaux
Officiers traisnez dans les prisons, condamnez
à l’exil, & morts auec des legitimes

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soupçons de prison ; Que celuy de
Bordeaux s’est trouuée préque opprimé :
Que celui de Prouence est menacé de sa
totale ruine, & que les autres sont exposez
aux mesmes outrages ; Que la simple
auersion de cet Estranger a tenu Mõsieur
de Beaufort cinq ans au Bois de Vincennes ;
Que sa vengeance & les obstacles
que Monsieur le Prince de Conty mon
frere, Monsieur de Longueuille & moy,
mettions à la derniere subuersion de l’Estat,
nous ont fait souffrir toutes les persecutions
que peut inuenter vne malice
irritée ; Qu’enfin la France, qui par tãt de
conquestes & de victoires signalées, deuroit
apres auoir triomphé de ses ennemis
ioüir de l’abondance & de la trãquilité,
au lieu d’estre le Royaume le plus
florissant du monde, demeure comme vn
vaste cadaure deschiré de toutes parts,
defiguré parmi les blesseures, & prest
d’expirer sous le faix de ses miseres.

 

Ces considerations, SIRE, ayant obligé
vos Parlemens portez au bien de l’Estat,
à s’assambler pour trouuer des remedes,
on peut dire à Vostre Maiesté, que

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les iustes Arrests destinez à pouruoir à
ces desordres, ont tousious esté éludez,
parce que n’ayant pat esté soustenus par
des armes assez puissantes, vos Ministres
se sõt mocquez des paroles qu’ils auoiẽt
donnees de mauuaise foy, à la seule necessité
des temps, & qu’ils ont fait seruir
vostre nom, qui deuoir estre la base de la
foy publique, à tromper les hommes ; &
que le Cardinal Mazarin presidant dans
les Conseils, & n’ayant que des funestes
intentions, l’a tousiours iniustement
violée.

 

Veritablement i’auois esperé que la
prudence, les soins & la vigilance de Son
A. R & l’ardent desir qu’il a eu pour la
grandeur de l’Estat, secondé du mien, &
de celui de M. le Prince de Conty mon
frere, appuyant les resolutions du Parlement
en vne saison que le Card. Maz. venoit
d’estre chassé du Royaume comme
vne peste, on pourroit en mesnageant
soigneusement ce qui restoit du temps
de la minorité, & poussant hors de la
Cour les creatures apparentes de ce Ministre,
agir si bien que la regence finissãt

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V Maiesté eust trouué la Maison Royale
vnie, sõ Estat paisible, les Loix restablies,
l’ordre mis dans les Finances, & qu’enfin
la tranquillité publique faisant le commencement
de son Regence, elle eut veu
en suite ses iours cõblez de prosperitez.

 

I’aduoüeray à V. M. & cela auec vn extreme
douleur, que l’audace des meschãs
& les cabales des esprits broüillons ayãt
preualu, ie me suis trompé dans de si
bonnes pensées, & que bien loin de trouuer
la conioncture de ce temps là propre
à appaiser les calamitez de l’Estat, elle n’a
serui qu’à les mettre à leur dernier periode
Le C. Maz a repris des racines plus
fortes, & estably de sorte sa fortune, qui
trahissant la bonté de V. M. il a osé enfin
entreprendre de se seruir de son autorité
dés qu’il l’a veuë absoluë.

Pour cet effet, ce dangereux Ministre
traitant auec des gens aueugles d’ambition,
& que le desreglement de leur esprit
entraisne à leur éleuation, ou à celle
de leurs familles, a voulu se rendre Maistre
du Conseil, en y faisant presider vne
personne que le Roy en auoit exclus par

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ses dernieres volontez qui doiuent estre
inuiolable ; il a tẽté de s’asseurer du peuple,
par la corruption d’vn homme qui a
tousiours tenu â honneur d’en estre regardé
comme le Tribun le plus factieux
& qui conte parmi les plus illustres exploits
de sa vie, la propositiõ horrible des
barricades contre V. M. il a tasché de s’acrediter
dans le Parlement, & d’en allentir
la force par la destitution d’vn Chancelier
de France, & l’éleuation d’vn hõme
auquel il auroit procuré les Sceaux pour
l’opposer à son A. R. abbattre l’autorité
du Parlement, & rendre ses Arrests interuenus
contre la personne du C. M. & sur
le subiet du Mariage de sa Niepce auec
le Duc de Mercœur, illusoires & sans effet,
par le credit & la puissance que luy
donnent les deux charges de premier
President & de Garde des Sceaux, qu’il
exerce coniointement : Il a vendu les Finances,
& retenu dans sa dependance ce
lui qui en a acheté la direction, que les
gens de bien auoient accoustumé de refuser
autrefois : Il a enuironné V. M. d’vne
troupe de ses Emissaires de tout sexe, de

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tout âge, & de tout genre, afin que la verité
des choses, & les cris des gens de biẽ
ne penetrassent pas iusques à elle : Il a enfin
assamblé toutes les forces du Royaume
pour les mettre entre les mains des
Chefs deuoüez à sa fortune : & qui ne
doiuent leur restablissement qu’à la seruitude
qu’ils ont renduë à ce Ministre, &
cela afin de contraindre les peuples &
les Parlemens à le receuoir, à perdre les
gens de bien, & à faire que la France subiuguée,
baisse la teste deuant le triõphe
de ce retour qu’il prepare solemnel, par
les ordres qu’il vient de receuoir au preiudice
des Declarations, tout banni &
tout criminel qu’il est, de negocier les
interests de l’Estat dãs le plus illustre endroit
de l’Europe à Rome, à la veuë de
toute la Chrestienté, & de toute la Terre.

 

Ie diray encore à V. M. que cet ennemi
public croyant vainement pouuoir appaiser
M. le Duc d’Orleans, duquel toutefois
la constance a tousiours esté inébranlable,
& d’ailleurs ne s’imaginant
point de reconciliation auec mon frere
le Prince de Conty, ny auec moy, qui

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sommes prests d’exposer nos biens & nos
vies pour empescher son retour, & destourner
cette horrible tempeste qui
veut submerger l’Estat, apres auoir tenté
premierement de nous faire arrester,
apres auoir ensuite tasché de me perdre
par des entreprises plus violentes, apres
auoir profané vostre nom auguste & sacré
pour noircir mon innocence, uoyant
que ni les artifices, ni les calomnies, ni
les conspirations ne reussissoient pas, &
que ie ne donnois point dans les pieges
specieux qu’il me tendoit par des declarations
d’innocence pour me rassurer &
pour m’exposer de nouueau entre les
mains de ses Ministres, dont l’humeur
emportée n’eust rien oublié pour me
perdre. Il a eu enfin recours à la force
ouuerte, & faisant donner des Ordres
pour défaire ou pour casser les troupes
que vostre Maiesté m’auoit confiées, il
s’est resolu d’employer vostre armee,
que le seul projet de cet attentat a rendu
inutile pendant cette Campagne, à me
poursuiure, à me dépoüiller, & à me
perdre.

 

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En cette extremité, SIRE, M. le Duc
d’Orleans, auquel i’auois remis mes interests,
ayant seulement demandé deux
iours pour trauailler à vn accommodement
que tout le monde iugeoit si necessaire,
& en ayant esté refusé par ses
gens qui ne croyoient pas pouuoir aller
assez viste à leur establissement & à ma
ruine, Ie serois coupable enuers V. M. &
enuers vostre Royaume, & entierement
indigne de l’honneur que i’ay d’estre de
son sang, si dans vn peril si pressant pour
l’Estat & pour ma personne, ie ne rassemblois
ce qui me reste de forces & de
pouuoir, & si auec le conseil & l’ayde de
Messieurs les Duc de Richelieu, le Prince
de Tarente, & le Comte d’Ognon, & de
quantité de personnes de grande condition,
dont ie me reserue à nommer les
noms à vn autre temps, tous attachez au
seruice de vostre Couronne & au bien
public, ie me resoluois de m’opposer à
tant & de si pernicieux ennemis, & à leuer
des forces si considerables, qu’elles
puissent non seulement resister à l’armee
que les creatures du Cardinal Maz.

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commandent pour me perdre & perdre
la France, mais encore les remettre dans
leur deuoir, renuerser entierement leurs
mauuais desseins, & asseurer en suite le
repos & la tranquillité publique, esperãt
en cela l’assistance de Dieu, & ne doutãt
point qu’il ne fauorise vne cause qu’il
connoist si iuste, & qu’ayant tousiours
protegé cette Monarchie, il ne conduise
luy-mesme ceux qui par sa prouidence
s’exposent si librement à la soustenir &
à la defendre.

 

C’est ce qui m’a obligé de sortir de
Paris auec M. le Prince de Conty mon
frere, M. le Duc de Nemours & M. le Duc
de la Rochefoucault, pour commencer
auec eux l’accomplissement d’vn si grãd
ouurage, & c’est surquoy ie proteste à
vostre Maiesté, & en fais vne declaration
solemnelle deuant le Ciel & deuant les
hommes, que ie n’ay autre dessein que
de restablir l’autorité Royale de rendre
à la France cette Paix, apres laquelle les
peuples souspirent depuis si lõg-temps,
de remettre les loix dans leur vigueur, &
toutes les choses dans leur ancien ordre,

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& enfin de faire si bien que V. M. connoissant
la pureté de mes intentions, &
considerant d’ailleurs que ces mauuais
Ministres ne veulent que la subuersion
entiere de la Monarchie me donne lieu
de m’aprocher d’Elle, pour continuër à
rendre mes tres-humbles seruices, &
employer ce qui me restera de sang & de
vie pour sa gloire, & pour son repos :
C’est là le comble de mes desirs, & le
but des vœux que fait tous les iours

 

SIRE,

De Vostre Maiesté,

Le tres-humble, tres-obeyssant,
& tres-fidele sujet & seruiteur,

LOVYS DE BOVRBON.

A Paris du Bureau d’Adresse, aux Galleries
du Louvre, le 24 Decẽbre 1651. Et à Orleans,
par Gabri l’Fremont Imprimeur & Libraire,
demeurãt prés Ste. Croix, Auec Privil, du Roy,

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