Bourbon, Louis de [signé] [1651], LETTRE DE MONSIEVR LE PRINCE A SON ALTESSE ROYALE. SVR LE SVIET DE SON ESLOIGNEMENT de la Cour. Du 13. Septembre 1651. , françaisRéférence RIM : M1_149. Cote locale : B_14_22.
SubSect précédent(e)

LETTRE DE MONSIEVR LE PRINCE
à son Altesse Royale. Sur le subjet de son esloignement
de la Cour.

MONSEIGNEVR,

Comme ie ne doute point que mes Ennemis ne
donnent de mauuaises impressions à sa Majesté & au
Public de mon esloignement de la cour & de Paris ; Ie
me promets de la bonté de V. A. R. qui a vne parfaite
connoissance de ma conduite depuis ma liberté, que
vous ne refuserez pas de rendre tesmoignage à la verité,
dans vne occasion qui est si importante à mon
honneur & à ma reputation.

V. A. R. sçait qu’ayant non seulement donné les
justes ressentimens que ie pouuois auoir de ma
prison à ce que ie croyois deuoir au public ; mais
ayant fait de ma part tout ce qu’on pouuoit desirer,
pour faire connoistre que j’en auois mesme perdu le
souuenir ; neantmoins il n’y a point d’artifice que
l’on n’ait pratiqué pour m’en rappeller la memoire
par les nouueaux ombrages qu’on m’a donné d’vne
semblable entreprise.

La diuision qu’ils ont voulu mettre entre V. A. R.

-- 4 --

& moy, a esté vn de leurs plus grands efforts, lequel
n’ayant pas reüssi dans le changement qu’ils voulurent
faire le Lundy Sainct dans le Conseil du Roy, sans
vostre consentement & ma participation ; Ils n’ont
rien oublié depuis pour me decrier, & me donner les
derniers soupçons ; iusques à concerter les moyens
de m’arrester vne seconde fois, ce qui joint aux froideurs
que la Reine me tesmoignoit en toutes occasions,
m’ayant obligé de me retirer à S. Maur, Vostre
Altesse Royale sçait qu’aussi-tost ie luy en donnay
aduis & au Parlement, où vous me fistes l’honneur
de declarer plusieurs fois, que mes deffiances estoient
justes & legitime ; & vous interposastes en suitte vostre
authorité auec celle de cette Compagnie, pour
me faire donner mes seuretez par l’esloignement des
sieurs Seruient, le Tellier, & Lyonne, sans esperance
de retour ; & par la parole Royale dont vous me fistes
l’honneur de vous rendre garand, que ie pouuois voir
leurs Majestez sans aucune crainte, & que i’en receurois
vn fauorable accueil. Le lendemain j’eus l’honneur
de rendre mes respects au Roy & à la Reyne,
mais auec si peu de satisfaction, que la froideur que
l’on y fit paroistre, me donna lieu de douter que les
impressions que mes Ennemis leur auoient donné de
mes deportemens, ne fussent pas entierement effacez
de leur esprit.

 

Cela me rendit retenu à ne continuer pas mes visites
au Palais Royal, comme ie le desirois auec passion,
& ce d’autant plus qu’au mesme moment que leurs
Majestez paroissoient pouruoir à ma seureté & à celle

-- 5 --

du public par l’éloignement desdits sieurs Seruient,
le Tellier, & Lyonne, elles proposoient de mettre
en leurs places & dans les emplois les plus considerables
des personnes qui m’estoient encore plus suspectes
que ceux qu’on venoit d’oster, par les liaisons
qu’elles auoient auec le Cardinal Mazarin, ainsi
que les instructions dont Ondedei estoit porteur en
font foy, & desquelles vous auez vne parfaite connoissance.

 

Ie fus contraint d’en tesmoigner mon mécontentement,
qui ayant donné lieu à des discours qui me
taxoient d’interest particulier, ie me sentis obligé
d’en faire connoistre au parlement les veritables causes,
mesme d’en faire charger le Registre, attend[1 lettre ill.]nt
que le temps en découurit la verité : ce qu’il a fait
eu fin à mon auantage.

Cette opposition Iuste que vostre Altesse Royalle
appuya, ne seruit qu’à les rendre plus hardis, iusques
à me susciter sous le nom du Roy vne calomnie, que
i’auois intelligence auec les ennemis de l’Estat, laquelle
n’ayant peu soustenir que par vne violence
qui n’a point d’exemple, & qui estoit digne de punition,
Ils firent tout ce qu’ils purent pour eluder par
des remises de iour à autre la reparation que i’en
auois demandée dans l’esperance qu’ils auoient de
gagner la Maiorité qui estoit cette conioncture fauorable
qu’ils attendoient auec tant d’impatiance,
pour l’execution de leurs entreprises contre ma personne
& de leur establissement qu’ils n’auoient differé
que pour le faire auec plus de hauteur.

-- 6 --

Et afin de me dresser vn piege ils firent enfin
apres plusieurs delais, & seulement la veille de la
Maiorité, resoudre la responce aux remontrance
du Parlement sur le suiet de mon accusation, &
en firent expedier vne Declaration fort auantageuse
en apparance, quoy qu’en effet elle ne le fust pas, s’imaginant
que m’ostant le pretexte que cette accusation
me donnoit de ne point voir leurs Maiestez ; Il
faudroit ou que ie m’exposasse à leur ressentiment, ou
que ie donnasse lieu par ma retraitte à consommer
l’establissement qu’ils meditoient il y auoit si long-temps.

En effet, n’ayant pas iugé à propos de me presenter
deuant sa Majesté, parce que ma iustification
n’auoit pas encore esté publiée en sa presence comme
le parlement l’auoit ordonné, & aussi que les gens
de guerre & nombres de Gentils-hommes qu’on
faisoit venir de toutes parts, m’estant de nouueaux sujets
de deffiance, quoy que i’eusse tesmoigné à
vostre Altesse Royalle l’empressement que i’auois
pour terminer cette affaire par vn accommodement
honorable & vtile au public, mesme au sujet
des troupes qui sont sous mon nom, contre lesquelles
on pressoit des ordres que vostre Altesse Royalle
qui en preuoyoit les consequences auoit toujours
arrestez, & m’estant donné l’honneur de vous écrire
de Trie, où i’estois allé visiter Monsieur de Longueville
mon Beaufrere, pour obtenir de leurs Majestés
vne surseance de quelques iours de l’establissement
de ces nouueaux Ministres, & du licentiement

-- 7 --

desdites troupes, la Reyne ne voulut iamais
accorder à vostre Altesse Royalle les trois
iours qu’elle luy demanda, dans lesquels ie vous assurois
d’executer tout ce que vous m’ordonneriez
ayant remis tous mes interests entre vos mains.

 

Et bien que vous eussiez témoigné vostre opposition
à ce changement de Ministre, comme fait contre
vostre consentement, auant qu’on m’en eust donné
connoissance, on n’a pas laissé de chasser auec outrage
M. le Chancellier, contre la Declaration & la
liberté publique, de disposer des Seaux, faire vn premier
Ministre & vn Sur-Intendant, nonobstant vostre
empeschement ; & en mesme temps i’apris qu’on
auoit donné ordre pour licentier ou charger lesdites
troupes qui sont sous mon nom ; pour à quoy paruenir
plus facilement, V. A. R. sçait qu’on a separé celles
qui sont aussi sous son nom, du corps de l’armée, dans
la croyance que l’on a eu quelles n’autoriseroient pas
cette violence ; ce qui estant vne entreprise contre
vostre autorité, & qui m’oste la confiance que i’auois
pris iusques icy en vos paroles, Puis qu’il semble
que l’on ait voulu faire voir par cette action, que
l’on pouuoit tout sans vous ; V. A. R. ayant mesme
eu la bonté de me témoigner, qu’apres cette conduite,
elle ne me pourroit plus donner de seureté ; I’ay
eu raison de me persuader que tout ce que la Cour
auoit paru faire en ma faueur, n’estoit que deguisement
pour me mieux surprendre, & V. A. R. ayant
en suitte declaré au Roy qu’elle ne pouuoit plus assister
à ses Conseils ; I’ay estimé que par vne retraitte

-- 8 --

il m’estoit permis de pouruoir à ma seureté, ce que
V. A. R. ayant mesme agrée, ie luy en rends mes
tres-humbles remerciements, ne doutant point
qu’elle ne vueille acheuer ce qu’elle a commencé, &
que le Parlement qui verra, que dans le commencement
de la Maiorité, où le Roy n’a pas moins besoin
de vostre assistance, qui luy a tousiours esté si auantageuse,
& d’vn bon Conseil en a fait vn autre, que pendant
la Regence, contre vostre volonté, & sans ma
participation, tout compose de personnes engagées
auec le Cardinal Mazarin, & qui d’ailleurs n’est pas
moins contre la raison que sans exemple, puisque de
droict les PP. du Sang sont Conseillers nez de l’Estat,
& que l’Histoire ne nous apprend point que
dans l’aage où est à present le Roy, quelque abus
que l’on ait fait de son autorité, son Conseil n’ait esté
remply d’aucun Prince du Sang. Cette Compagnie
iugera sans doute raisonnables, & secondera vos bõnes
intentions pour y apporter les remedes proportionnez
à la grandeur du mal, & des suittes que cette
entreprise peut auoir, vous asseurant que i’y contribueray
de ma part tout ce qui sera, en mon pouuoir.
Et que ie demeureray inseparablement attaché
aux interests de V. A. R. auec tout le respect
que ie dois

 

MONSEIGNEVR, de V. A. R.

Le tres-humble & tres-obeïssant seruiteur
LOVYS DE BOVRBON.

SubSect précédent(e)


Bourbon, Louis de [signé] [1651], LETTRE DE MONSIEVR LE PRINCE A SON ALTESSE ROYALE. SVR LE SVIET DE SON ESLOIGNEMENT de la Cour. Du 13. Septembre 1651. , françaisRéférence RIM : M1_149. Cote locale : B_14_22.