Anonyme [1649], HISTOIRE ADMIRABLE ARRIVÉE EN LA PERSONNE d’vn Chirurgien, qui fut condamné par Iustice il y a enuiron quatre mois, comme homicide de soy-mesme. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : A_4_20.
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HISTOIRE ADMIRABLE
arriuée en la personne d’vn Chirurgien,
qui fut condamné par
Iustice il y a enuiron quatre mois,
comme homicide de soy-mesme.

DIEV, dit le Prophete, est aussi admirable
en ses Saincts qu’il est Sainct en
ses actions, & iudicieux en sa conduite
sur les hommes ; nous auons des preuues de
cette verité infaillible dans toutes les histoires,
où nous remarquons que ce n’est pas d’auiourd’huy
que le Ciel mesnage nos vies & nos
fortunes d’vne maniere qui nous est inconnuë,
& mesme que nous ne deuons pas penetrer par
respect. Mais l’histoire suiuante que ie vais raconter
& qui s’est passée en cette Ville de Paris
il y a enuiron quatre mois en fera foy. Vn honneste
homme, Chirurgien de son Art, nommé
Iacques de la Cressonniere natif de Boiscommun,

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auoit commencé sa fortune auec feu
Monsieur de Bordeaux, au seruice duquel il
auoit amassé quelque chose ; de là en apres il
s’engagea à celuy du feu Cheualier Garnier,
qui est mort Gouuerneur de Toulon, ville
frontiere de France & de Sauoye, & vn port de
mer d’importance ; de sorte qu’il fut auec luy
en Catalogne à la prise de Rose, & de là au siege
d’Orbitello, à la prise de Portolongone &
de Piombino, où moy mesme qui escris auec
larmes, & non sans estonnement, l’accident
funeste de sa deplorable mort, l’ay veu mille
fois & conuersé auec luy ciuillement & honnestement.
Cét homme donc retourné de tous
ces voyages, apres auoir rendu les derniers deuoirs
à son bon Maistre, vint à Paris, où désja
dans quelques autres rencontres il auoit contracté
affection auec quelque sage fille dans
l’esperance d’vn legitime mariage ; & comme
ses amis le iugeoient sur le point de s’engager
dans les liens de Chymenée, le bruit courut
que luy-mesme par vn desespoir estrange s’estoit
rendu esclaue des Demons, & captif de
la mort, laquelle fut approuuée de la Iustice
comme violentée, & pour ce son cadavre condamné
d’estre priué de sepulture en Terre

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saincte. Or beaucoup alleguent plusieurs raisons
de s’estre ainsi donné la mort : les vns disent,
qu’ayant somme d’argent il l’auoit donnée
à garder à vn Procureur, qui manquant
de pratique durant cette guerre, auoit gagné
les champs & volé la Cressonniere : les autres
asseurent qu’il s’est osté la vie pour auoir esté
mal recompensé de son Maistre, comme il arriue
assez souuent que les meilleurs seruices
sont payez d’ingratitude : les autres enfin protestent
que c’est l’amour qui a causé son aueuglement
& sa perte, & que cette meurtriere
la couuert de playes & d’infamie, au lieu qu’elle
comble les autres. de ioye, de gloire, & de
contentement. Mais ce qui est de plus estrange
en cette histoire, c’est que les signes qui
paroissent en sa personne font aucunement
douter si sa mort est venuë de luy ou d’autres.
Ie dis cecy sans offenser ny interesser personne,
& le plus asseuré c’est de laisser l’affaire au
jugement de Dieu. Neantmoins l’on iuge par
les accidens qu’il y a en ce rencontre quelque
chose d’extraordinaire. En effet, quelle apparence
qu’vn corps enseuely depuis quatre mois
parmy les immondices, les puanteurs, les charongnes,
& les ossemens des animaux, ait encore

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la main palpable, la chair blanche, &
les nerfs auec mouuement, si ce n’est par permission
de Dieu, qui fait connoistre par ces
signes qu’il veut que l’on espluche l’affaire de
plus prés, & que l’on en examine les circõstances.
S’il est vray ce que plusieurs disent auoir
veu de leurs yeux que son bras soit eleué hors
de terre, & que sa main piquée d’vne lancette
ait rendu du sang ; sans doute ce sang demande
vengeance, & ce bras s’estend pour
chastier les coulpables de sa mort. Ce n’est pas
d’auiourd’huy que la Iustice se trompe, qu’elle
rend des innocens criminels, & des criminels
en fait des innocens. Sainct Nicolas fit
miracle en la personne de trois Marchands
qui auoient esté condamnez au gibet iniustement ;
Et les Annales rapportent qu’vn Preuost
de Paris fut obligé de faire dépendre de la potence
trois ieunes hommes de Ponthoise qu’il
auoit fait mourir auec trop de precipitation,
les conduire la torche au poing iusques au lieu
de leur naissance, comme pour faire amende
honorable à leur innocence, & les faire inhumer
à ses despens. Enfin sans blâmet les Iuges
ils ont deuant les yeux vn bandeau qui souuent
leur cache la verité d’vne affaire, comme les

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Medecins nous lassent mourir pour ne pas
connoistre nos maladies. Et pour conclusion,
bien que ce malheureux se soit donné la
mort luy mesme, non pas la Iustice, le grand
concours de peuple neantmoins qui va en foule
& auec empressement voir ce cadavre à demy
viuant, nous fait croire qu’il y a quelque
chose de prodigieux, puis que la voix du peuple
est celle du Ciel, & qu’elle passe pour des
inspirations d’en-haut.

 

FIN

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