Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.
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OBSERVATIONS
sur quelques Lettres ecrites
au Cardinal Mazarin, &
parle Cardinal Mazarin.

APRES que le Cardinal Mazarin fut
sorty de France, & que tous les Parlemens
l’eurent banny, comme perturbateur
du repos public ; son ressentiment luy fit
prendre la plume, qu’il employe volontiers ;
croyant qu’elle est capable de charmer tout le
monde. Il adressa ses premieres plaintes au Pape,
s’estant imaginé qu’il le pourroit engager
dans ses passions ; en luy representant le signalé
affront que l’Eglise, le saint Siege, & le College
des Cardinaux receuoient en sa personne,
cruellement outragée par les Arrests, qui
auoient esté donnez contre luy : demandant
auec instance au S. Pere, que pour témoignage
de son indignation, & pour empecher à l’aduenir
semblables attentats, il luy plust de fulminer
vne excommunication contre tous ceux qui
auoient porté iugement contre luy, & mesmes

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de mettre toute la France en interdit, iusques
à ce qu’on eust reparé son honneur, en reuoquant
les condemnations, & le remettant dans la place
où il estoit. Il se plaignoit d’auoir esté depossedé,
luy estranger, luy incapable, luy qui auoit
exercé vne authorité illegitime, voulant estre
restably comme vn Roy, qui ayant esté chassé
de son Royaume, & qui manquant de forces,
pour ranger à la raison ses sujets rebelles ; auroit
recours aux foudres du Vatican pour les espouuenter,
ou diuiser : ayant crû que nous luy auions
rauy vne Couronne, non seulement qui luy appartenoit
pour vn tems ; mais qu’il deuoit garder
eternellement ; desirant de regner auec le Fils,
comme il auoit fait auec la mere. Le S. Pere qui
connoissoit de puis plusieurs années, & par
beaucoup de rencontres le Cardinal Mazarin ;
luy enuoya vne response digne du chef de l’Eglise,
& qu’on diroit estre sortie, ou de S. Gregoire
ou de S. Leon ; tous deux surnommez grands ;
pour leur eminente pieté, & rare science. Vous
le iugerez ainsi apres auoir leu la fidele traduction
du Latin en François ; vous protestant qu’il
n’y a rien ny d’adjousté, ny de diminüé, ny d’alteré.

 

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FIDELE TRADVCTION DV
Latin en François, de la Response que Nostre Saint
Pere le Pape a faite à la Lettre, que Monsieur le
Cardinal Mazarin auoit écrite à Sa Sainteté, sur
la retraicte de son Eminence hors du Royaume de
France ; & sur les Arrests donnez contre luy.

A Nostre bien aymé Fils Iules Cardinal de la Sainte Eglise
Romaine, appellé Mazarin, Innocent X. Pape,

NOSTRE bien aymé Fils, Salut, & Benediction
Apostolique. NOVS auons receu
vostre Lettre ; & vous pouuons assurer, que
les raisons, qui vous ont fait resoudre à sortir
du Royaume de France, nous ont esté inconnuës
iusques à present : n’ayants rien apris de ce
qui vous est arriué, que par les bruits communs.
Apres y auoir meurement pensé ; nous nous
trouuons obligez par le deuoir de nostre charge,
& sommes portez par nos soings paternels,
à vous dire franchement : que vous fairez bien
de vous souuenir que vostre profession Ecclesiastique,
doit estre accompagnée de charité, &
de douceur ; & aussi, que vous deuez conseruer
la memoire, des honneurs, de l’estime, & des
bienfaits, que vous auez receus de la liberalité

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des grands Roys, de l’affection des principaux
François, & des faueurs singulieres de ce Royaume,
qui vous a donné tant d’éclat & de biens.
Si vous y pensez comme il faut ; vous serez contrainct
d’aduoüer, que toutes ces graces, vous
ont imposé la necessité ; non seulement de faire
tous vos efforts ; mais de procurer en effect ;
que dans les rencontres des affaires presentes
tout le monde entende ; que vous preferez à vos
interests, & desseins particuliers, le bien d’vne
Couronne, & la tranquillité d’vne nation tres-illustre :
estant certain, qu’il n’y a rien si conuenable
à vostre condition ; que de seruir à la conseruation,
& repos des peuples ; sur tout de ceux,
ausquels vous auez beaucoup d’obligation. Si
vous en vsez de la sorte, outre que deuant Dieu,
vous vous acquiterez du deuoir d’vn bon Ecclesiastique ;
vous acquerrez parmy les hommes la
reputation de pieté, & de gratitude. C’est ainsi,
que vous prendrez vn tres bon expediant ; pour
deffendre la dignité de vostre Cardinalat ; estant
assuré, qu’en faisant paroistre ces belles qualitez
à vn Royaume qui est tres Chrestien, il vous
estimera & admirera : Car la beauté, & la force
d’vne veritable, & sincere vertu, l’exemptent
de toute sorte de mépris, & la rendent glorieusement
triomphante ; parce qu’elle respend vne
lumiere, qui ne reçoit point de soüilleure ; rauit
vn chacun en admiration, & attire à son seruice

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ceux mesmes, qui luy ont esté plus contraires.
Nos predecesseurs grands obseruateurs de
la Loy de Dieu, & tres-recommendables par le
mépris de leurs propres interests ; ont par cette
pratique ietté les fondemens de la splendeur &
Majesté du Clergé. Il vous faut imiter ces gens-là,
& suiure courageusement leurs demarches ;
pour maintenir la veneration, que les Chrestiens
ont pour les dignitez sacrées, par les mesmes
moyens qui l’ont produite. Le zele que nous
auons pour la maison de Dieu, & la Charité d’vn
souuerain Pontife, nous poussent à vous aduertir
de ces deuoirs, & à vous exhorter de vous en
acquiter, cependant que nous prierons nostre
Seigneur, de vous enuoyer, Mon cher Fils, sa lumiere
qui esclairera vostre prudence, & conduira
vos actions. Nous vous faisons part de la benediction
Apostolique. DONNÉ à Rome à
Sainte Marie Majeure, sous le Sceau de S. Pierre,
le huitiéme de Iuillet de l’an mille six cens cinquante
& vn, qui est le septiéme de nostre Pontificat.

 

OBSERVATION.

SA Sainteté, qui a deffendu au Cardinal
Mazarin, de troubler la Paix d’vn Royaume
tres Chrestien, où il auoit esté comblé

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d’honneurs & de biens. Sa Sainteté, qui luy ordonne
au lieu de se vanger des Princes, de reconnoistre
les faueurs singulieres, qu’il auoit receuës
de leur courtoisie ; void maintenant si le
Cardinal Mazarin a fait son profit de ses aduis
paternels, lors qu’il entre en France, pour ietter
le Roy, & son Estat dans les plus estranges confusions
qu’on aye iamais veuës, lors qu’il vient
pour destruire s’il peut les grands qui l’ont maintenu :
lors qu’il s’aduance auec des troupes ;
pour mettre dans la derniere desolation, les
peuples qui l’ont souffert auec tant de patiance :
est ce s’acquitter de ses obligations ? est ce obeïr
à son Superieur ? & se souuenir de sa profession ;
qui luy est si bien décrite par son Maistre, duquel
il a méprisé les enseignemens, & rejetté les
ordres ; apres auoir calomnié autrefois sa conduite,
& mesmes sa personne ?

 

OBSERVATIONS.

SVR la response faite par le Cardinal Mazarin
à vne Lettre de Monsieur le Comte de Brienne
Secretaire d’Estat, qui auoit fait entendre au
Cardinal que la volonté du Roy, estoit qu’il se
retira en Italie & sans delay. Sa Majesté ayant
iugé qu’il estoit expediant pour le bien de son
Royaume.

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MONSIEVR,

La Reyne a creu, a ce que i’aprens, que vous
m’auiez enuoyé simplement vne Lettre du Roy
conformément à ce que l’on a accoustumé de
faire à tous les Cardinaux nationaux, lors qu’on
reçoit nouuelles de Rome, que le Pape soit en
danger ; Mais pour moy i’estois priuilegié, puis
qu’outre la premiere du Roy & le duplicata, i’en
ay encore receu vne autre, & trois de vos depesches ;
le tout conçeu en termes si pressans, pour
me faire prendre sans aucun delay la route de
Rome, que i’auoüe d’en auoir esté surpris au
poinct que ie deuois, ne pouuant pas m’imaginer
en quoy i’auois manqué à leurs Majestés, ou
en quoy ie vous auois des-obligé, pour me presser
à faire vn voyage auec tant d’ignominie,
tant de risques & sans aucun moyen de subsister :
& de croire qu’auec vne Lettre de recommandation
pour le Pape on satisfaisoit à tout, comme
si à Rome on estoit si peu connoissant des
choses, qu’on ne sçeust pas inferer, quelle sorte
de protection ie pouuois auoir en ce lieu là,
puis que i’estois abandonné à la persecution de
mes ennemis en France, où le Roy est le Maistre

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Auec tout cela, si i’eusse eu l’honneur de
receuoir vn petit mot de la Reyne, qui m’eust fait
connoistre, que l’intention du Roy & la sienne
estoient que ie m’y en allasse, ainsi qu’elle a eû
la bonté de me faire sçauoir, lors qu’elle a voulu
que ie sortisse du Royaume, & que ie m’en esloignasse
iusques au Rhin ; ie vous proteste qu’apres
auoir mis mes Nieces dans vn Monastere, &
licencié ma famille, ie m’y en fusse allé auec
deux valets, pour confirmer en toutes rencontres
à leurs Majestés, que mon obeyssance est
aueugle, & ma fidelité à toute espreuue. Et en effect
ie suis prest à faire sans aucune replique
ce que la Reyne m’ordonnera là dessus ; quoy
que ie ne puisse receuoir vne plus grande mortification,
que de faire ce voyage en l’estat où ie
suis, qui d’ailleurs ne peut estre que tres prejudiciable
à la dignité du Roy.

 

Sur ce que Madame d’Aiguillon me fit dire
par Roussereau, ie l’ay proposé moy mesme,
demandant les conditions que vous sçauez, &
toute la negociation a abouty à des ordres de
m’y en aller, sans parler d’autre chose. Et ce qui
est de meilleur en cét affaire, c’est qu’on a eu
l’addresse de la faire passer aupres de la Reyne
pour vne grace qu’on me faisoit afin que ie ressentisse
encore quelque effect de la réjoüissance
publique pour la Majorité du Roy. Tout cela m’a
accablé de déplaisir voyant à quel poinct mes

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ennemis se preualoient de ma disgrace, & auec
quel bon-heur ils employent leur addresse pour
me faire receuoir des traittemens si rudes, dans
vn temps, où ie pouuois auec iustice esperer
qu’on donneroit quelque soulagement aux persecutions
que i’ay souffertes huit mois durant,
auec tant de violence, & auec vn si notable prejudice
de l’authorité Royalle.

 

Mais tout cela n’est pas comparable à l’excez
de douleur, dans lequel ie suis apres auoir veu par
toutes les Lettres de quantité de mes amis qui
sont à Paris, & dehors, le desespoir dans lequel
ils estoient du contenu dans la Declaration du
Roy, qui auoit esté registrée au Parlement, & que
l’on crioit par la ville ; tous sans l’auoir concerté,
tombants d’accord, que depuis le commencement
de la Monarchie on n’auoit iamais rien fait
de si sanglant contre qui que ce soit, quelque
crime qu’il eust peu commettre : Personne n’a
osé me l’enuoyer, & ie vous puis iurer de ne l’auoir
pas veuë ; Mais c’est assés de sçauoir que le
Roy declare ; que i’ay empesché la Paix, & fait
toutes les Pirateries sur les alliez de la France ;
pour estre persuadé, que mon Maistre veut que
ie sois reconnu pour l’homme le plus infame, &
le plus Scelerat qui ait iamais esté, & pour le
fleau de la Chrestienté. Et l’on vouloit apres cela
que i’alasse au lieu de ma naissance ; pour faire
parade à mes parens & amis des beaux titres que

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i’ay remportez, pour recompense de vingt trois
ans de seruices, aussi fideles & vtiles, qui iamais
ayent esté rendus par quelque Ministre aussi zelé,
& desinteressé que ce puisse estre.

 

Tous mes ennemis ont trauaillé six mois durant
auec l’application qu’vn chacun sçait, enuoyants
des Commissaires par tout, s’appliquants
à toutes les recherches imaginables ; faisants
mesme aucuns d’eux exciter de faux-temoins ;
pour voir si l’on me pourroit noircir de
quelque crime, qui iustifiast dans l’Esprit des
peuples l’oppression qu’on me faisoit & establir
de plus en plus leur haine contre moy ; sans que
tout cela ait rien produit, que des effets tres-auantageux
pour les detromper, & faire connoistre
mon innocence, & l’injustice auec laquelle
elle estoit attaquée : & dans ce temps-là mesdits
ennemis desesperés de pouuoir rien faire d’ailleurs,
ils ont trouué le moyen auprez de leurs
Majestez, sans estre entendu, de me faire declarer
en la forme la plus authentique, & esclatante vn
voleur public, & le seul empeschement de la
Paix.

Apres cela il me semble, qu’on deuoit plutost
me conseiller de me cacher sans me montrer
plus à personne, & m’enseuelir ; que non pas d’aller
à Rome ; puis que ie ne dois pas seulement
apprehender les peuples de France, mais tous
ceux qui souffrent des maux pour la continuation

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de la Guerre, qui doiuent auec raison ietter
des pierres à celuy, qui en est declaré la cause.

 

Ie sçay bien que leurs Majestez ne peuuent
pas auoir eu connoissance du detail, & de tout ce
qui estoit contenu dans la Declaration du Roy,
car elles sont trop equitables, pour croire par
quelque raison que ce peut estre, qu’elles eussent
voulu consentir a me declarer le plus meschant,
& abominable des hommes, & traistre. Et c’est
vn grand malheur pour le seruice du Roy, qu’il
ne se soit trouué aucun qui ait fait connoistre, de
quel auantage estoit aux ennemis de la France ;
que toute l’Europe par l’adueu de Sa Majesté,
fust persuadée, que son principal Ministre auoit
empesché la Paix. Les Espagnols ne pouuoient
rien obtenir de si auantageux, comme de pouuoir
rejeter sur la France la hayne de la Chrestienté,
pour les maux que la guerre luy fait souffrir,
& ne s’endormiront pas de le bien faire va
loir & d’en profiter : Et les alliez de la France auront
droict par la Declaration du Roy, de demander
auec iuste titre desdommagement des
depredations qu’on a faites, qui vont à des Millions,
ou en cas de refus de faire vne querelle
bien fondée ; puis qu’enfin il est certain, que le
Roy, & l’Estat sont responsables de la conduite
de ceux qui ont la direction des affaires.

Ie sçay que ma consideration n’estoit pas assez
forte, pour obliger quelqu’vn de parler en ma faueur ;

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mais à la verité l’interest du Roy, de l’estat,
& de la Reyne mesme estoient engagez par
tant d’autres raisons, outre les susdites qui sont
tres pressantes, qu’il faut aduoüer ; que ç’a esté vn
estrange malheur ; qu’il ne se soit trouué personne
qui leur en ait dit vn seul mot ; & le mien est
bien dans le souuerain degré, puis qu’outre ce
que ie souffre en mon particulier ; la passion, que
i’ay pour leurs Majestez & pour l’Estat, qui ne
peut iamais finir, me fait aussi presẽtir dãs le fond
de l’ame le contre-coup qu’elles en reçoiuent.

 

Vous voyez bien qu’aprez les crimes, desquels
on a obligé le Roy de me declarer coupable, ie
ne suis plus en estat d’auoir participation d’aucune
affaire : c’est pourquoy vous deuez pas
prendre la peine de m’en communiquer. Et si
mes ennemis n’ont pas le contentement de me
voir aller à Rome, ils auront celuy de me voir
cacher, sans me mesler de quoy que ce soit, iusques
à tant qu’il plaise au Roy de me faire Iustice ;
& le suppliant tres humblement de trouuer
bon, que ie me mette prisonnier en tel lieu qu’il
ordonnera, mesme dans vne place de Monsieur
le Duc d’Orleans ; afin que si i’ay failly i’en reçoiue
vne punition exemplaire. Et pour oster les
difficultez qui s’y pourroient rencontrer, à cause
de la dignité de laquelle ie suis reuestu ; ie receuray
à singuliere grace, qu’il me soit permis
d’en enuoyer la demission ; car aussi bien elle ne

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peut plus estre en ma personne en aucune façon
vtile à sa Majesté. Ie vous seray tres obligé si
vous vous employez en sorte, que cette grace me
soit accordée, que i’estimeray au dernier poinct :
puis qu’elle peut contribuër à la preparation de
mon honneur, & ie vous prie d’excuser encore
pour cette seule fois mes importunitez.

 

OBSERVATIONS.

VOVS remarquerez s’il vous plaist, dans
cette Lettre, vn grand flux de paroles, assez
mal rangées : mais nous dissimulerons plus
aisement, dans vn estranger l’ignorance de nostre
stile, que nous ne souffrirons en celuy qui a
pris la qualité de principal Ministre de nostre
Roy, le deffaut de iugement, qui paroist lors qu’il
publie ce qu’il deuroit cacher. Le Cardinal Mazarin
est si vain qu’il veut passer pour vn sçauant
escriuain, & ensemble pour vn grand homme
d’Estat : Nous oserons assurer au contraire qu’il
n’est pas meilleur Secretaire, que Conseiller ;
& que celuy qui en ses paroles trompe tousiours
les autres, se trompe souuant luy-mesme dans le
bon sentiment qu’il a de sa suffisance Ce que
nous disons n’est pas seulement vn sujet de confusion
pour luy ; mais de honte pour nous ; qui
auons supporté si long-temps le gouuernement

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d’vn si foible Estranger ; qui apres nous auoir
surpris par finesse, vient pour nous dompter
par la violence. Venons aux obseruations.

 

I. On remarque en premier lieu, que le Cardinal
Mazarin n’adjouste aucune creance
aux Lettres du Roy, si elles ne sont accompagnées
de celles de la Reyne : Encore qu’elle ne
soit plus Regente, vn mot de sa main a plus de
credit auprez de luy, que trois Despeches signées
par celle du Roy, qui luy faisoiẽt entendre,
les dernieres resolutions prises par Sa Majesté,
dans son Conseil, en presence de la Reyne sa
Mere. Mais le secret estant dans l’intelligence
particuliere ; Ce ressort ne ioüant pas, le Cardinal
ne pouuoit estre esbranlé : Iugez s’il est
discret, d’auoir reuelé ce Mystere.

II. Ce que Madame d’Esguillon auoit fait proposer
par Roussereau, estoit : Que le Cardinal auroit
à Rome, la direction des affaires de France,
auec vne grosse pension ; pour faire connoistre
à son pays, qu’il estoit consideré dans le nostre :
ce qu’il auoit desiré pour mettre à couuert (comme
il disoit) sa reputation : Mais comme celuy,
qui n’a iamais abandonné la dessein de se restablir
en France ; rejecta toutes les conditions, qui
pouuoient faciliter sa retraitte à Rome ; on luy
fit à la fin trois depesches, qui luy commendoient
absolument de s’y retirer, & la Reyne
(au moins en apparence) en fut d’auis.

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III. Le Cardinal Mazarin dit ; qu’il a esté persecuté
durant huit mois, auec vne extreme rigueur,
& au grand prejudice de l’autorité Royale. Iugez
si son de part, qui fut premierement volontaire,
puis d’obligation par Lettres du Roy, & de la Reine,
merite le nom de persecutiõ. Et si la prison de
treize mois de deux Princes du Sang Freres, & d’vn
autre Prince leur Beau-frere, ne merite pas plutost,
d’estre appellée persecution ; que le renuoy
au lieu de sa naissance, & de sa dignité, d’vn étranger,
qui nous troubloit ; ayant premierement
par ses violens efforts, & apres par ses lasches apprehensions,
ruïné l’authorité Royale, qui ne
pouuoit estre restablie, que par son esloignement.

IV. Il ne faut point faire tant d’exclamations
contre la Declaration du Roy. Monsieur le
Cardinal doit plus de respect à tout ce qui sort de
la volonté de nostre Souuerain, & porte le
nom, & le sceau de Sa Majesté. Tout ce qu’on
y pourroit trouuer à redire est ; que la peine ordonnée
ne respond point aux crimes, qui y sont
enoncez : estant certain, que sa qualité de Cardinal,
l’a fait espargner, lors qu’on luy deffend
seulement l’entrée d’vn pays où il ne pouuoit
plus estre, ny auec honneur, ny auec repos, ny
auec seureté, & qu’on luy donne à connoistre,
qu’il feroit plus sagement de mettre à couuert sa
vie dans Rome, où il viuroit auec l’esclat de la

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qualité qui luy a esté procurée par la France, &
despenseroit auec splendeur les biens, qu’on luy
a donnez trop liberalement ; ou qu’il a pris trop
hardiment, durant la Minorité de nostre Roy.

 

V. S’il dit, que son intention n’est pas de se faire
voir en Italie ; auec les beaux titres, qui luy sont
attribuez par la Declaration du Roy, & Arrests
des Parlemens : qu’il pres ne garde, que son retour
en France ne luy en acquiere encore de
plus infames ; & qu’il ne soit contraint d’en sortir
auec plus d’ignominie, ou qu’il n’y laisse la
vie, en la voulant oster aux enfans de la maison
Royale, qu’il veut brusler, apres l’auoir pillée.
On ne luy a reproché que la continuation des
guerres du dehors & des pyrateries. On l’accusera
d’estre autheur de nos guerres ciuiles, & d’auoir
desolé la France ; où il vient allumer vn feu,
qui ne se pourra esteindre, que par la ruïne entiere
de sa fortune, ou par l’effusion de son Sang.

VI. Il s’imagine, & dit, que les peuples le tiennent
pour innocent : qu’il sçache que tous les peuples
l’ont en execration, comme leur plus cruël
ennemy. Pour l’estimer homme de bien, & sage
Ministre, il ne faudroit pas que les François eussent
senty les rigueurs de son gouuernement,
par les exactions extraordinaires, & par les passages
des gens de guerre, qu’il a fait viure sans
discipline à faute de payement. Qu’il se souuienne
des barricades de Paris, faites contre luy seul,

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sans chefs, & sans concert ; & il iugera, que ce
qui est fait par les peuples auec vn pareil effort,
& sans estre poussez, vient de leur sentiment. Il
ne pouuoit estre fauorable au Cardinal Mazarin,
lors que deux cens mille personnes dans
vne seule Ville, qui representoit toutes les autres,
desiroient de luy percer le cœur, d’où ils
croyoient que toutes leurs miseres estoient sorties.
Cette demonstration de hayne vniuerselle,
deuoit estre suffisante ; pour faire retirer vne personne,
qui eut escouté la raison, & la religion :
celle là luy eut fait entendre ; ce que la feu Reyne
Mere dit au Mareschal d’Ancre : apres le pillage
de sa maison : que la France n’estoit plus bonne
pour luy : & celle cy luy eut persuadé ; qu’il n’estoit
plus bon pour la France, & deuoit preferer les interests
d’vn grand Royaume, aux siens particuliers.

 

VII. Le Cardinal dit, qu’il ne peut se retirer en
Italie, à cause qu’il y seroit en execration, si on
croyoit, qu’il a empesché la Paix generale : est-ce
à dire, que nous le deuions rappeller ; afin
qu’il acheue de perdre la France, parce qu’il a
ruiné vne partie de l’Italie ? Si nostre dessein estoit
de nous estendre sur cét article, nous ferions
voir que le traitté de Paix, estant sur le point d’estre
signé à Munster, il le rompit par l’entreprise
du siege d’Orbitello, qui ne fut fait ; que pour
menacer Rome, croyant, que la peur feroit tomber

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des mains du Pape, le bonnet de Cardinal,
qu’on ne peuuoit emporter par importunité,
pour le mettre sur la teste d’vn petit chetif Moine,
qui ne fit pas rougir long temps l’escarlate,
qu’il ne meritoit pas, & qui appelloit le Cardinal
Mazarin poultron, comme le Cardinal Mazarin
le nommoit petit fou.

 

VIII. Le Cardinal Mazarin seroit plaisant,
s’il ne traitoit d’vn sujet lamantable ;
lors qu’il se veut descharger du crime d’auoir
empeché la Paix, en disant : qu’on aduoüeroit
par là, que la France l’a reiettée. Comme si les
estrangers ne sçauoient pas, que le Cardinal
Mazarin n’estoit pas la France ; lors qu’il estoit
le tiran de la France : ou si nostre mal-heur
lui deuoit seruir de descharge. Nous nous plaignons
auec raison, de ce que pour arracher quelque
cheueux à l’Espaigne, il a deschiré les entrailles
de la France : & il nous veut persuader,
que nous sommes obligez de couurir ses crimes,
parce que nous en portons la penitence. La verité
est que le Cardinal Mazarin n’a point voulu
terminer la guerre estrangere, de peur que la
ciuile ne s’esleuast contre l’insolence de son authorité :
nous auons maintenant l’vne & l’autre
par la seule folie de celuy, qui en faisant perdre
ses aduantages au Roy ; porte les armes de Sa
Majesté contre ceux qui luy auoient conquis
plusieurs places, & gaigné des batailles, auec peril

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& gloire. Apres cela le Cardinal Mazarin
croid qu’il nous imposera silence, & estouffera
nos plaintes : en escriuant, qu’il se faut bien garder
de l’accuser : parce que toute la France, seroit
criminelle auec luy. Il est vray qu’elle n’est
pas sans faute d’auoir dissimulé trop long temps
les entreprises de l’autheur de ses maux, & de la
desolation de la Chrestienté.

 

IX. Nous respondrons le mesme sur l’article
des pyrateries, qu’il ne veut pas que nous rejetions
sur luy ; disant que par cette confession, nous
serions condamnés à la restitution, & aux dépens.
Helas ! ces restitutions sont dé-ja faites, & ces
despens payez : mais de quelle façon ? demandez
le aux Marchants de Paris, de Roüen, de S.
Malo, de Nantes, de Bourdeaux, de Lyon, de
Marseille, de Thoulon, & autres Villes : ils vous
diront : que trois ou quatre millions, volez sur
les Anglois, sur les Hollandois, sur les Armeniens,
sur les Venitiens, sur les Genois, coustent
le triple aux François, qui font traffic sur les mers
Oceane, & Mediterranée. Que quatre ou cinq
corsaires enrichis, & la part que le Cardinal Mazarin
a eu en leur butin, ont entierement ruïné
nostre commerce ; Outre la hayne dans laquelle
on a ietté nostre nation. Ne sçait-on pas que
par Lettres patentes, il a esté permis a nos Capitaines
de Vaisseaux, & Galeres, de prendre tout
ce qui leur seroit necessaire pour leur subsistance,

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sur amis, ou ennemis, ou alliez, ou non alliez,
& mesmes sur les sujets du Roy ; sans auoir
espargné le Pape, & le grand Duc, qui en ont
fait leurs plaintes ? Ignorons nous que le Cardinal
Mazarin a tiré de ce brigandage dans vne année
iusques à huit cens mille liures, qu’il ioüit
encore à present, sous le nom de la Reyne du
tiers de tout ce qui est escumé sur les deux mers :
& qu’il tient à Thoulon vn homme, qui authorise
ces voleries, & fait la recepte de ce qui en
prouient ? S’il nous contraint d’en dire dauantage,
nous luy ferons connoistre, que nous sommes,
plus sçauans en ses affaires, qu’il n’est en
celles de la France. Il a prié qu’on ne luy communiquast
aucune chose, tãt qu’il sera tenu pour
coupable : Mais en mesme temps, il disposoit
des Benefices, des Charges, des Commissions,
des Emplois, & on ne resoluoit rien dans la cour
que par ses ordres : il eut fait disgracier ceux, qui
auroient dit, qu’il faut accorder quelque grace,
ou ordonner vne peine, ou conclure la Paix, ou
la guerre, sans l’auoir consulté, quoy qu’il fut
sur le bord du Rhin. Il sçauoit donc bien, que
la priere, qu’il ne faisoit qu’en grimace, ne seroit
point exaucée. Il la deuoit addresser, & de
bonne façon à la Reyne, s’il auoit vne veritable
intention de vouloir viure, & de nous laisser en
repos.

 

X. S’il est hypocrite en ses demandes, il n’est pas

-- 26 --

moins trompeur en ses promesses ; lors qu’il assure ;
que sa resolution est de s’aller cacher aux
yeux de tous les mortels, & escrit cela en cherchant
toute sorte de moyens, acheminant plusieurs
cabales, & faisant ses preparatifs pour rentrer
en France par finesse, & par force. Au lieu
de se rendre Hermite, il prenoit la qualité de Generalissime
des armées du Roy, & faisoit des leuées
de gens de Guerre. Ainsi ses actions desmentent
sans cesse ; non seulement les paroles
qu’il donne dans son cabinet ; mais les escrits
qu’il iette dans le public : & nous voyons par
tout, que s’il a la volonté de mentir, il n’a pas
l’industrie de couurir ses menteries.

 

XI. Il demande, qu’il luy soit permis de se rendre
prisonnier dans l’vne des places de Mr le Duc
d’Orleans : ce qui est offert ; pour faire entendre
que Son Altesse Royale a des places, encore qu’il
n’en aye pas vne, qui ne soit plus assurée au Roy,
que ne sont toutes celles, où le Cardinal Mazarin
a logé ses creatures ; qui les tiennent pour
vn estranger, qui fait estat d’auoir à sa ceinture
toutes les clefs de la France ; lors qu’il a ses costez
ceux, qui les gardent pour luy. Mais quelle
effronterie est ce, de se presenter pour estre
le prisonnier de Monseigneur le Duc d’Orleans ?
Il voudroit faire passer pour vn concierge de criminels,
le fils, le frere, & l’oncle de nos Roys.
Ne sçait il pas, que ce grand Prince est genereux,

-- 27 --

sage, & bon ? Comme genereux il ne se veut
point vanger ; comme sage, il est d’auis que le
Cardinal Mazarin sorte du Royaume : & comme
bon, il desire la Paix au dedans ; pour paruenir
à celle du dehors ; & ne souhaite rien si
passionnement, que d’oster le credit à celuy,
qui recule ce grand bien, le croyant contraire à
sa fortune.

 

XII. La teste du Cardinal Mazarin s’estant eschauffée
en escriuant ; il entre en furie : il iette
sa calotte rouge à terre, & la foule aux pieds par
la demission qu’il fait par escrit de son Cardinalat,
auquel il renonce à ce qu’il dit de bon cœur ;
protestant, qu’il tiendra pour vne grace singuliere,
qu’on leue cét empeschement à sa iustification :
il seroit pourtant bien estonné si on l’auoit
pris au mot : des personnes de condition, &
qui font profession d’honneur, luy ayant oüy dire,
en tenant sa calote par le sommet, & la secoüant
auec mépris : voila qui ne tient à rien ; quand
on me l’ostera : il me restera vne qualité plus grande ; qui
ne pouuoit estre, que celle de Roy de France ;
s’estant imaginé, à force de le contrefaire, qu’il
l’estoit en effect. Cette sotte impression le porta
à demander vn inter dit au Pape ; contre ceux
qui l’auoient fait descendre de son thrône ; mais
nous esperons que Sa Sainteté le destornera du
Cardinalat ; s’il ne va bien-tost à Rome, pour y
rendre compte de ses actions. Au reste nous luy

-- 28 --

declarons, qu’il n’y a point en France, ny maison,
ny retraitte pour luy, nous le voulons ou
banny ou mort.

 

LETTRES DV CARDINAL
Mazarin au Roy, & à la Reyne, sur le suiet
de son retour en France.

SIRE,

COMME les bienfaits & les graces, dont ie
suis redeuable à la bonté du feu Roy, de glorieuse
memoire, & à celle de Vostre Majesté,
ont infiniment excedé le prix du peu de recompense,
qui pouuoit estre deuë aux seruices que
i’ay tasché de rendre à l’Estat : aussi m’estimay-ie
plus obligé qu’aucune autre des creatures, &
des sujets de Vostre Majesté, de les luy témoigner
iusqu’au dernier soûpir de ma vie. Et ces
considerations d’honneur, & de reconnoissance
se rencontrans d’ailleurs auec mon inclination,
ma passion & mon deuoir, ie m’estimerois
tout à fait indigne, non seulement du rang que
ie tiens dans l’Eglise, &, ce qui ne m’est pas moins
precieux, de l’affection & de l’estime dont Vostre

-- 29 --

Majesté m’honore, mais de paroistre mesme
parmy les hommes, si dans vn temps, où
elle se trouue sur les bras deux grandes guerres
à soustenir, l’vne estrangere contre vn ennemy
tousiours redoutable, & l’autre intestine, & par
consequent encore plus dangereuse, & voyant
vos fidelles suiets exposer tous les iours auec
ioye leurs biens, & leur vie, pour le maintien de
la puissance, & de l’authorité de V. M. ie me
laissois deuancer par aucun, dans vn zele si iuste,
& me contentois de regarder honteusement,
ou de deplorer dans l’oisiueté d’vne honteuse
retraite, le feu dont le Royaume brusle auiourd’huy
au dehors & au dedans, sans me mettre en
deuoir comme les autres, de contribuer ce qui
peut dépendre de moy, & de mes amis, pour
donner plus de moyen à V. M. d’esteindre, ou
de faire au moins cesser l’vn de ces embrasemens
auant que sa durée luy ait laissé prendre plus de
force.

 

V. M. SIRE, peut se souuenir, que non seulement
i’executay auec vne resignation aueugle,
l’ordre qu’elle iugea à propos de m’enuoyer,
de sortir du Royaume, quoy que l’estat
des affaires d’alors me donnast iuste suiet de croire
qu’il auoit plutost esté extorqué d’elle, que ce
n’estoit sa veritable intention, mais que ie m’éloignay
mesme iusques au Rhin, pour connoistre
si en effet, comme plusieurs en paroissoient persuadez,

-- 30 --

aprés la liberté de Monsieur le Prince
obtenuë, il ne restoit plus rien à desirer que mon
éloignement, pour voir le Royaume dans le plus
haut comble de bon-heur, & de prosperitez, qui
se pouuoit souhaitter, & pour faire que les peuples
goustassent les douceurs d’vn siecle d’or,
que le commerce refleurist, que les finances de
V. M. eussent l’abondance qu’il faut pour mettre
les ennemis à la raison, que vostre authorité
se restablist, que la Maison Royale fust parfaitement
vnie, & qu’on pust en fort peu de temps
conclurre la Paix generale, si necessaire & si desirée.

 

Et certes, comme ie ne me suis iamais proposé
d’autre but en toutes mes actions, que ces
mesmes si pretieux auantages, & que d’ailleurs
i’ay tousiours estably ma principale satisfaction,
à sacrifier tous mes interests particuliers au bien
de l’Estat, rien ne me pouuoit flatter plus agreablement,
que de si grandes esperances, ny me
faire passer le reste de mes iours auec plus de
douceur, & de tranquillité d’ame, quand mesme
i’aurois esté proscript en l’endroit de la terre
le plus sauuage, & le plus éloigné de toute communication,
que de sçauoir que ma relegation
contribuoit à la grandeur de V. M. & faisoit la
felicité de ses peuples.

Ie diray mesme auec verité, que le zele dont
ie brusle pour la gloire de la France, m’auroit

-- 31 --

fait preferer cette condition, & cette forme de
vie à tout l’éclat, qui accompagne ordinairement
celle que ie venois de quitter, pourueu
que i’eusse pu auoir au moins par mes mal-heurs,
la principale part au bon heur de cette Couronne ;
& plus ie me sentois innocent, plus ie me serois
alors estimé glorieux de seruir ainsi de victime
à l’Estat, & de calmer par mon sacrifice toutes
les tempestes, dont il pouuoit estre battu.

 

C’est par cette seule raison, SIRE, que i’ay
souffert auec constance pendant plus de dix
mois, de voir déchirer en toutes façons ma reputation,
d’estre priué de tous les biens qui
m’appartiennent par la liberalité de vos Majestez,
& que i’auois destinez au payement des
grandes debtes, que i’ay contractées pour le soustien
de vos affaires, & de vostre seruice, en des
occasions pressantes que l’épuisement de ses finances,
& les longueurs des formalitez eussent
laissé ou fait deperir : i’ay souffert auec patience
d’estre appellé voleur, & pirate, perturbateur du
repos public, ennemy de l’Estat, le fleau de la
Chrestienté pour auoir trauersé l’establissement
de son repos, de me voir errant dans le monde,
sans retraite ny azile asseuré, auec vne famille à
qui l’aage n’a pas permis encore de pouuoir estre
autre qu’innocente, & enfin de voir ma vie continuellement
exposée à diuers perils, sans que
i’en aye seulement murmuré, l’amour que i’ay

-- 32 --

pour la France, ayant dés long-temps ietté de si
profondes racines, qu’aucun mauuais traitement
n’est capable de l’ébranler. C’est cette mesme
raison, SIRE, qui m’a empesché de publier des
Manifestes, où il m’eust esté facile de faire voir
euidemment, que par iustice ie meritois peut
estre quelque louange dans les chefs mesme,
qu’on a tournez en accusation & en crime, & particulierement
sur celuy de la Paix, où ie m’asseure
que par vn écrit, qui paroistra bien tost au iour
ie feray toucher à ceux mesme qui sont le plus
preuenus de passion, & d’animosité contre moy,
qu’il n’a rien esté obmis de ma part, en tout
temps de possible ou d’imaginable, pour paruenir
à la conclusion de ce grand ouurage : Enfin
i’ay mesme retenu mes plaintes sur tous les Arrests
& les Declarations, qu’on a données contre
moy, & ay en toutes choses gardé vne moderation,
que le reste de l’Europe à trouué à dire,
parce qu’elle en ignore la cause, attendant tousiours
que le bon-heur public fust restably, afin
qu’on ne pust auoir le moindre pretexte de m’imputer
d’y auoir apporté le moindre obstacle, &
me contentant d’adresser incessamment mes
vœux au Ciel, pour obtenir qu’il luy plust de soulager
mes peines par la satisfaction de les voir
vtiles en quelque façon au seruice de Vostre Maiesté
& au repos de ses sujets.

 

Ie ne me serois point encore, SIRE, départy

-- 33 --

de la mesme conduite, & aurois plustost songé
à m’esloigner dauantage qu’à m’approcher, si i’auois
vû vostre Estat tranquille, & tous vos suiets
bien vnis, ne conspirer, comme ils y sont obligez,
que le bien de vostre seruice, ou si seulement les
esprits eussent paru tant soit peu disposez à vne
reünion si iuste & si necessaire : & bien loin de
songer à mon retour, ie n’aurois pas mesme souhaité
la cessation de mes maux, si i’auois crû
qu’il eust pû causer le moindre trouble au bonheur
public, ou fournir vn pretexte de le troubler,
à ceux qui en auroient eu le dessein.

 

Mais voyant auec toute l’Europe, qu’au lieu de
ces grands effets, qu’on auoit publié que mon éloignement
deuoit infailliblement produire, les
affaires ont visiblement & notablement empiré,
que la confusion & le desordre sont infiniment
augmentez ; que l’on a fait des liaisons estroites
auec les Espagnols, que les traitez en sont signez
& ratifiez de part & d’autre ; que le feu de la discorde
ciuile est tout à fait allumé ; que les soins
que V. M. a pris pour l’éteindre, ont esté aussi
inutiles, que les condescendances qu’elle auoit
euës pour le preuenir ; que la bonté que V. M. a
euë de donner à S. A. R. si belle matiere d’ẽployer
le zele qu’il a pour l’Estat, en luy enuoyant vn
pouuoir sans limitation pour l’accommodemẽt,
n’a rien produit ; que quelques diligences que
son A. R. ait faites par l’enuoy de plusieurs Gentils

-- 34 --

hommes, & Courriers, il n’a pû obtenir les réponses
qu’il estoit à souhaiter pour faire cesser
les desordres, & la misere, où ils ont plongé tant
d’innocents ; que l’on a mesme refusé la Conference,
qui auoit esté proposée, ce qui ne se pratique
pas entre les ennemis les plus fiers, & les plus
aigris, en sorte que V. M. a esté forcée de laisser
à la fin agir la Iustice, & declarer criminels de
leze-Maiesté, ceux qui ont pris les armes contre
ses ordres, & son seruice ; que la tempeste s’est
desia renduë tres-violente, & enfin que la qualité,
& le nombre des forces de ses ennemis peuuent
rẽdre fort douteux le succez de ses desseins
& de ses trauaux, si tout ce qu’elle a de zelez &
de fidelles seruiteurs, ne concourent à la seruir
de tout leur pouuoir, de leur credit, & de leurs
amis : la passion que i’ay pour bien de l’Estat,
pour la gloire de V. M. outre la iustice de la cause
qui est celle de Dieu mesme, ne m’a pû permettre
de voir ces agitations, & ces incertitudes, ausquelles
les affaires de V. M. sont exposées, & de
demeurer dans vn repos honteux, que ie me serois
reproché à moy mesme, comme vn crime.

 

I’ay encore esté fortifié, SIRE, dans cette resolution,
lors que sur la liberté que i’ay pris de
faire offrir à V. M. dans ces conionctures pressantés
mes foibles seruices, & ceux de mes amis, auec
ce que ie pourrois assembler de forces, par
mon credit & par le leur, i’ay appris que V. M.

-- 35 --

auoit eu la bonté d’agréer ce petit effect de mon
zele, & témoigné qu’elle seroit bien aise que ie
luy menasse ce renfort de troupes, pour luy ayder
à remettre dans le deuoir & dans l’obeïssance
qui luy est deuë, ses suiets qui s’en sont écartez.

 

Apres ce glorieux adueu de mon dessein, il n’y
auoit qu’vne seule consideration qui eust pû
m’arrester dauantage en ces quartiers icy, qui estoit
l’aduancement de la Paix generale, que i’auois
il y a quelque temps grand suiet d’esperer.
Mais pour m’expliquer mieux là-dessus à V. M.
elle agréera, s’il luy plaist, que ie luy dise, que ie
ne suis pas demeuré entierement oisif dans ma
retraite, & qu’ayant trouué que tout ce qui se
passoit en France contre moy, n’empeschoit pas
que les Espagnols mesme, à qui i’auois tasché de
faire le plus de mal en seruant V. M. ne me traitassent
auec beaucoup de ciuilitez, & de marques
d’vn estime particuliere en rendant mesme cette
iustice à V. M. de ne douter qu’elle ne continuast
à m’honorer de sa bienueillance, nonobstant les
mauuais traitemens que ie receuois : ie crus deuoir
profiter de cette opinion qu’ils auoient,
pour essayer d’obliger les Ministres du Roy Catholique,
qui sont en Flãdres, à renoüer auec moy
quelque negotiation de Paix entre les deux Couronnes :
ma pensée auoit fort heureusement reüssi,
& i’auois aduancé l’affaire, en sorte que i’auois

-- 36 --

conçû auec beaucoup de fondement, l’esperance
d’en pouuoir enuoyer bientost, de fort bonnes
nouuelles à V. M. Mais lors que les choses
estoient disposées au poinct que ie pouuois souhaitter,
ie reconnû auec vne douleur extresme
que l’on auoit pris d’autres mesures, par la signature
d’vn traité qu’on auoit enuoyé à Bruxelles,
& par les fortes solicitations, qu’on auoit faites
en mesme temps en Espagne, qui donnant de
nouuelles esperances aux ennemis, leur auoient
donné aussi de nouuelles pensées.

 

C’est vne verité qui ne peut receuoir de contradiction,
& que ie remets à faire sçauoir plus
particulierement, par quelque autre voye à V.
M. Ie suis mesme obligé en luy en rendant compte,
d’aduoüer que les Ministres d’Espagne ne paroissent
pas souhaitter la Paix moins passionnément
que moy. Mais, SIRE, auroit-on pû facilement
renoncer à Madrid, à tant de grandes
esperances qu’on y a fait conceuoir ? & comment
ne pas ceder aux asseurances que des François
mesme considerables par leur naissance par leurs
richesses, par leurs establissemens, par leurs amis,
par la reputation qu’ils ont acquise dans la guerre,
& par leur credit parmy les troupes ? comment,
dis ie, ne pas ceder aux asseurances positiues
qu’ils y ont fait donner, que bien-tost ou ils
contraindroient vostre Maiesté à offrir la carte
blanche aux Espagnols, ou qu’en moins de six

-- 37 --

mois ils pourroient coniointement faire des progrez,
au double de ce qui estoit necessaire pour
forcer vostre Maiesté à subir telles conditions
qu’ils luy voudroient prescrire pour la Paix, & à
s’estimer mesme bien-heureuse de l’obtenir, à
quelque grand prix que ce pust estre ? Ie confesse,
SIRE, à vostre Maiesté que ie ne suis pas consolable,
de voir que ce grand ouurage si necessaire
au repos, & au bon-heur de tous les peuples,
se soit par vn semblable malheur échoüé, lors que
par toutes les apparences il estoit si proche de sa
perfection ; & cependant ie ne doute nullement,
que ceux qui en sont la seule cause, ne continuënt
encore à publier que c’est le Cardinal Mazarin
qui ne veut pas la Paix, & qui l’empesche.

 

Vostre Maiesté, SIRE, dont la sagesse, & la
capacité ont deuancé l’aage, & l’ont fait appliquer
de si bonne heure à la connoissance de ses
affaires, pourra se souuenir qu’apres la reduction
qu’elle fit sous son obeïssance de toutes les places
de Normandie & de Bourgogne, & aprés la
Guyenne calmée, à quoy en ioignant bientost
l’expulsion des Espagnols de la Champagne, où
mesme leur principal corps d’armée fut défait, il
ne restoit plus de party dans le Royaume, qui
portast le nom des Princes ; leurs parens, amis
& seruiteurs ne prenoient que les bonnes voyes
pour les seruir, & n’auoient recours qu’à la clemence
seule de Vostre Majesté. Et alors la Paix

-- 38 --

que la subsistance de ce party auoit retardée, se
pouuoit dire & tenir pour infaillible, ne restant
plus d’esperances aux ennemis, de voir les grandes
forces de Vostre Majesté, occupées à autre
chose qu’à les combattre, auec la vigueur & le
succez qu’elles auoient tousiours fait, quand l’Estat
auoit esté sans troubles : & aussi fut-ce en ce
temps là que Dom Esteuen de Gamarra me proposa
vne conference auec le Comte de Fuensaldagne,
& m’en sollicita mesme en suite par deux
de ses Lettres, pour traiter & conclure la Paix
entre les deux Couronnes ; mais toutes ces propositions
s’éuanoüirent par ma retraite. On crut
neantmoins que cette Paix, & le calme du Royaume
seroient plus asseurez par l’élargissement
de Monsieur le Prince, & par ma proscription,
l’vn & l’autre ayant esté tumultuairement resolu ;
& il en est arriué ce que le monde voit aujourd’huy,
& que ie ne doute pas que tous les bons
François ne deplorent auec des larmes de sang,
regardant leur patrie plongée dans les malheurs
& les desordres, où elle se trouue, dont la suitte
peut-estre encore plus funeste, & tres-prejudiciable
à l’autorité Royale.

 

Cette forte consideration, SIRE, qui pouuoit
me retenir encore en ces quartiers, estant
cessée à mon grand regret, i’ay sous l’aueu de la
sacrée parole de Vostre Majesté, fait vn effort
auec l’assistance de mes amis, pour entrer dans

-- 39 --

le Royaume, en estat de n’estre pas tout à fait
inutile à son seruice, dans vn temps, où l’on voit
vn party tres-considerable pour ses forces, se départir
de l’obeïssance, qui est deuë à Vostre Majesté,
& s’vnir auec les anciens ennemis de l’Estat ;
& qu’à moins, comme i’ay dit, que tous les
veritables seruiteurs, & tous les fidelles sujets de
Vostre Majesté redoublent leur zele & leur ardeur,
pour contribuër ce qui peut dépendre
d’eux aux bons succez de ses armes, cette liaison
peut faire courir grand risque à la France, qui
par ses prosperitez & ses aduantages, auoit excité
pendant si long temps l’admiration & l’enuie
de toute l’Europe, de deuenir elle mesme vn
objet de compassion, & vn horrible theatre de
calamitez & de desordres.

 

I’ay encore eu pour principale veuë en cela, la
conclusion de la Paix generale, connoissant qu’il
n’y a point de moyen plus seur pour y paruenir,
que d’abattre les partis qui se sont esleuez contre
l’authorité de Vostre Majesté & d’esteindre le
feu, dont le Royaume est à present embrasé.

Et à la verité, SIRE, si quand les Princes ont
esté pressez par la necessité de leurs affaires, les
prisons ont esté souuent ouuertes aux plus coupables,
& les bannis les plus criminels ont esté
rappellez, pour estre employez contre leurs ennemis :
Ie veux esperer, que la resolution que ie
prends dans vne conjoncture, qui rend indispensables

-- 40 --

les deuoirs de tous les seruiteurs de Vostre
Majesté sera receuë de tous les bons François,
auec d’autant plus d’approbation, que mon
innocence est assez connuë, & que ie n’iray pas
mesme si mal accompagné, que ie ne puisse esperer
auec raison de rendre à Vostre Majesté, &
à l’Estat quelque bon seruice.

 

Il est vray, SIRE, que ie ne puis pas nier,
que tous mes amis & ceux qui les accompagnent,
ne soient Mazarins, & ne portent auec
plaisir vn nom, qu’on a trauaillé à rendre si
odieux ; aussi ne sçay-ie pas si les seruices qu’ils
pourront rendre à Vostre Majesté seront autant
aggreez de tout le monde, que ie veux me promettre
qu’ils le seront d’elle. Ie puis pourtant dire
que Vostre Majesté n’a point de sujets qui
bruslent d’vn zele plus ardent, de donner tout
leur sang s’il est necessaire pour la seruir ; qu’on
n’en a point veu iusques icy de ce nom, manquer
de fidelité à Vostre Majesté & prendre le party
des Espagnols, & des autres ennemis de vostre
Couronne ; & qu’il n’en est aucun qui ne soit
prest de sacrifier tout son bien, & d’exposer mille
fois sa vie pour l’execution des moindres ordres,
dont Vostre Majesté les honorera. C’est
de ces mesmes amis, SIRE, de qui ie refusay
l’assistance qu’ils m’offroient genereusement,
lors que ie sortis du Royaume, parce que ie crûs
que si elle estoit vtile à mes interests particuliers,

-- 41 --

elle pouuoit alors prejudicier à ceux de Vostre
Majesté qui m’ont tousiours esté les premiers,
& les seuls en veuë ; mais ie l’ay acceptée à present
que i’ay connu que l’Estat n’en peut receuoir
que beaucoup d’auantage.

 

Ie proteste à Vostre Majesté de ne vouloir
former de plaintes contre qui que ce soit ; car il
se peut faire que i’aye donné sujet innocemment
à l’auersion que beaucoup de personnes ont témoigné
auoir contre moy ; & si Vostre Majesté a
encore la bonté de donner quelque accez à mes
supplications tres humbles, ie les employeray
plutost pour leur faire départir les graces qu’ils
auront d’ailleurs meritées par leurs seruices, que
pour m’y opposer.

Tout mon but, SIRE, n’est que d’aller exposer
ma vie pour le bien & pour le restablissement
du repos de la France : aussi puis-ie dire, que cette
vie est aujourd’huy la seule chose qui me reste ;
ayant employé le peu que i’auois & que i’ay
pû trouuer, à former le corps des troupes que
i’ay mises ensemble. Et comme la part que i’ay
euë autrefois, par le choix & la bonté du feu
Roy, & depuis par celle de la Reyne, alors Regente,
à l’administration des affaires, pourroit
taire soupçonner à quelques vns, que ma resolution
qui n’a pour principe qu’vne tres-pure
passion pour son seruice, & pour visée que de la
signaler par quelques nouueaux effets, procedast

-- 42 --

de quelque desir de rentrer dans le ministere ;
ie supplie tres-humblement Vostre Majesté,
& cela pour toute recompense des seruices qu’elle
me fait la grace de croire que i’ay rendus à elle,
& à l’Estat, auec autant de fidelité que de
zele, de ne vouloir pas que ie m’ingere à l’aduenir
en aucune façon dans le maniment des affaires :
ce poinct, en cas que vostre Majesté ait assez
bonne opinion de moy, pour me l’ordonner,
estant le seul qui pourroit me rendre coupable
d’vne desobeïssance enuers Vostre Majesté, au
moindre ordre de la quelle en toute autre chose,
ie sacrifierois ma vie auec ioye. Vostre Majesté
ne manque pas de nombre de Ministres fort habiles,
& dont l’application & les soins seront plus
heureux que les miens n’ont esté, à gagner l’approbation
publique ; & s’ils desirent de moy les
lumieres & les connoissances que la direction
que i’ay euë pendant vn assez long-temps m’a
pû fournir, ie proteste à vostre Majesté de les leur
donner fort sincerement, & de bien meilleur
cœur que ie ne r’entrerois dans la place qu’ils occuperont.
La seule supplication que ie fais à vostre
Majesté, c’est qu’ayant esté noircy de tant de
crimes, & condamné sans estre oüy, elle ait la
bonté de vouloir qu’on exerce enuers moy dans
les formes de la Iustice, ce qu’on ne dénieroit pas
au dernier du Royaume : Ie la demande tres-seuere,
SIRE, & que vostre Majesté veüille suspendre

-- 43 --

les mouuemens, & les effets de la bienveillance,
dont il luy plaist m’honorer, en sorte
qu’elle ne paroisse, ny n’agisse en aucune façon
dans ce rencontre ; offrant mesme pour cét effet
de me rendre seul en tel lieu qu’il luy plaira me
prescrire, afin que mon innocence venant par ce
moyen à estre euidemment reconnuë, ma reputation
qu’on a voulu tant de fois déchirer ; soit
entierement reparée, & que ie puisse auec plus
de bien seance & de satisfaction aller seruir vostre
Majesté auec mes amis, en tel endroit dedans
ou dehors le Royaume, & en telle maniere
qu’il luy plaira : ne souhaittant rien que de
pouuoir contribuër ce qui peut dependre de
moy, à appaiser l’orage qu’on a excité dans vostre
Estat, & de rendre mes peines & mes soins
vtiles au repos & à la felicité de vos sujets. Si
Dieu donne à vostre Majesté la protection que
l’on doit esperer de la sainteté de ses intentions,
& de la iustice de sa cause, & que chacun rentrant
dans son deuoir, les mouuemens dont vostre
Royaume est agité, se terminent auec le
bon-heur, & la gloire que meritent la bonté &
l’application auec laquelle vostre Majesté y trauaille
infatigablement ; ie la supplie tres-humblement
dés à present de trouuer bon, de me
prescrire quelque endroit où ie puisse passer le
reste de mes iours en repos, & les employer à
prier Dieu, qu’il comble vostre Majesté, d’autant

-- 44 --

de prosperitez & de benedictions qu’elle où
a merité. C’est le plus ardent souhait de

 

A Boüillon le 23. Decembre 1651.

MADAME,

IE dois par tant de raisons à Vostre Mejesté
vn compte exact de mes actions, qu’estant sur
le poinct d’en entreprendre vne, qui pourra faire
éclat dans le monde, j’ay creu deuoir auant toutes
choses, prendre la liberté de luy faire sçauoir
les motifs qui m’y ont obligé ; me promettant de
sa iustice, que non seulement Vostre Majesté ne
les desagréera pas, mais qu’elle iugera mesme,
que quand ma resolution n’eust pas esté authorisée
par le glorieux aueu que le Roy en a fait, ie
n’eusse pû sans vne ingratitude, dont ie me flatte
que V. M. ne me tient pas capable, m’empecher
de faire mes efforts, pour rendre à sa Majesté tous
les foibles seruice qui peuuent dépendre de moy,
dans vne conjoncture, où le present besoin
qu’elle en a, ne luy auroit pas mesme permis de
refuser ceux des personnes les plus criminelles.

-- 45 --

Il seroit bien superflu de representer à vostre
Majesté, ny le zele auec lequel i’ay seruy cét
Estat, qu’elle sçait mieux que personne, ny le
desinteressement que i’y ay apporté, qu’elle a eu
souuent la generosité de combatre par des
commandemens absolus de receuoir la liberalité
des graces, dont ie ne me suis pas creu digne ;
ny les succez auantageux que ce zele &
mon application, ou plustost le bonheur de la
France auoient produit, qu’elle sçait auoir esté
tels, que ses ennemis apres de grandes pertes en
tous endroits, où les armes ont pû agir, estoient
reduits pour se garantir d’en souffrir de plus considerables,
à donner les mains à la Paix generale,
comme le seul moyen qu’ils auoient pour arrester
les progrez de la France, si les diuisions
qu’on y a fait naistre n’eussent releué leurs esperances,
& changé entierement la face des affaires.
Il seroit encore superflu de dire à vostre Majesté
par quels malheurs cette Couronne est décheuë
de ses grands auantages, ayant elle mesme
tant trauaillé à detourner, & amoindrir les
vns, pour se maintenir en possession des autres ;
& enfin de la faire souuenir que le Ciel auoit tellement
beny les souhaits, & les voyages que V.
Majesté a entre pris auec le Roy dans des saisons
si rudes, & les trauaux qu’elle a soufferts sur la
fin de l’année derniere, apres la reduction des
places de Normandie, & de Bourgogne, apres

-- 46 --

la leuée du siege de Guise, apres l’orage de
Guyenne calmé, apres l’expulsion des Espagnols,
des postes qu’ils auoient occupez en Champagne,
& apres vne bataille gagnee, où ils auoient
perdu leurs principales forces, que vostre Maiesté
auoit la gloire & la consolation d’auoir surmonté
des difficultez, qui sembloient de soy inuincibles,
d’auoir tellement pacifié le Royaume,
& esteint le feu des factions, qu’il n’y pouuoit
plus parostre aucun party, les armes à la main,
contraire au seruice, & aux intentions du Roy,
& d’auoir fait reprendre aux ennemis les pensées
de paix, dont nos diuisions les auoient peu auparauant
tellement éloignez, qu’ils n’auoient pas
fait difficulté de prier Messieurs les Mediateurs, de
declarer à vostre Maiesté de leur part, qu’il ne
falloit plus esperer de Paix, ny mesme de negociation,
ou de congrez pour la traiter. Cependant
vostre Maiesté se peut souuenir, qu’apres
tous ces heureux succés Monsieur le Comte de
Fluensaldagne témoigna souhaiter auec passion,
d’auoir vne conference auec moy, pour renoüer
le traité, & en aduancer la conclusion.

 

Vostre Maiesté se remettra aussi facilement
dans la memoire, que c’estoit dans cette constitution
glorieuse, que se trouuoient les affaires, lors
qu’il fut iugé que l’élargissement, de Monsieur le
Prince, & mon esloignement, les pourroient
mettre bien-tost en meilleur estat ; l’vn & l’autre

-- 47 --

furent executez auec les circonstances, que
Vostre Majesté sçait. Ie ne sortis pas seulement
du Royaume, suiuant les ordres que i’en receu
de Vostre Majesté, ie me retiray encore bien
loin de ses frontieres, pour donner plus de lieu
au prompt establissement du bon heur public,
que l’on auoit fait esperer à toute la France de
mon esloignement. I’ay souffert dans cette retraite
sans dire vn seul mot, ny sans en porter
mes plaintes, ou mes remonstrances, & mes
supplications tres-humbles à vos Majestez, des
Arrests & Declarations qui me chargent des
plus grands opprobres qu’on puisse imputer vn
à homme de bien, & qui a tousiours assez fait connoistre
qu’il n’auoit autre but en toutes ses
actions, que la conseruation de son honneur :
i’ay fait mesme cét effort sur moy, de ne vouloir
pas defendre par des Manifestes ma reputation
si cruellement déchirée, & d’empescher que
mes amis qui sçauoient mon innocence, ne publiassent
ceux que leur affection leur auoit fait
preparer, afin qu’on ne pust auoir le moindre
pretexte de me reprocher, que par cét interest
particulier, & par vne trop grande precipitation,
i’eusse esté cause des retardemens de la felicité
publique, qui n’estoit pas moins dans ma retraite
le seul objet de tous mes vœux, au despens
mesme de la chose du monde qui m’est la plus
precieuse, qu’elle l’auoit esté lors que par la part

-- 48 --

que i’auois dans les affaires, cette felicité se trouuoit
iointe à ma gloire particuliere.

 

I’ay demeuré en cét estat plus de dix mois, &
plus en disposition de m’esloigner encore dauantage
que de retourner, si i’eusse veu que mon
premier esloignement eust produit quelqu’vn
des effets, qu’on en auoit fait esperer. Enfin i’ay
souffert l’amertume de mes malheurs, auec plus
de constance & de force, que ie n’eusse osé me
promettre, & que ie n’eusse eu en effect sans l’adoucissement,
qu’y a porté l’esperance, dont ie
me suis tousiours flatté, suiuant l’opinion des autres,
qu’ils pourroient auec vn peu de tems contribuër
beaucoup au restablissement de l’authorité
Royale, & en suitte au bon-heur des peuples,
qui despend principalement du restablissement
de cette authorité.

I’auois aussi conceu beaucoup d’espoir, que la
Majorité du Roy seroit vn souuerain remede à
tous les maux, qui affigeoient l’Estat, & à produire
generalement dans les esprits, cét effet
auantageux à Sa Majesté, qu’aucun de ses sujets
n’eust plus d’autre pensée, que de meriter l’honneur
de son estime, & de ses bonnes graces, par
ses seruices ; & par la perte de tout son sang, s’il
eust esté besoin. Mais voyant contre mon attente,
& mes souhaits, que bien loin de cette
vnanime conspiration à ses interests, & à ses volontez,
le feu qui estoit auparauant demeuré

-- 49 --

couuert, a parû auec tant d’éclat, & s’est fait sentir
auec tant de violence, qu’il a dé-ja embrasé
diuerses Prouinces, & qu’il peut plus facilement
suiure les autres, qu’il n’est facile de l’esteindre ;
voyant qu’à vne longue guerre estrangere, que
l’Estat espuisé d’hommes & de finances, auoit
dé-ja de la peine à soustenir, s’en est adjousté
vne intestine, d’autant plus dangereuse, qu’elle
brusle les entrailles d’vn corps, qui n’a pas trop
de toute sa force pour combattre au dehors ;
i’ay creu qu’il ne pouuoit estre de bon François,
ny de veritable seruiteur de Vostre Majesté, qui
non seulement sans honte, mais sans crime pust
regarder les bras croisez, la face presente des affaires,
sans y accourir auec tout ce qu’il peut auoir
de forces, & d’amis, & sans sacrifier son bien
& sa vie, pour donner plus de moyen au Roy de
se defendre des puissances redoutables qui l’attaquent.

 

En cette qualité, & comme le plus obligé de
tous, ie me suis preualu, MADAME, de l’affection
genereuse de mes amis, & de la passion
qu’ils ont d’ailleurs pour le bien de l’Estat, pour
faire vn effort auec eux de mettre ensemble vn
corps de troupes assez considerable, pour pouuoir
estre vtile à l’Estat, dans des conionctures si
pressantes ; & ie ne puis exprimer à Vostre
Majesté, la passion qu’il témoignent de pouuoir
en ce rencontre signaler par tout leur zele &

-- 50 --

leur fidelité, & en telle maniere qu’il plaira à Sa
Majesté de l’ordonner,

 

Apres ce premier but de seruir le Roy, que ie
me suis proposé dans mon dessein, & que i’ay
mesme en veuë deuant la reparation de mon
honneur, i’ay songé que ie pouuois chercher en
suite les moyens de ne le laisser pas dauantage
en compromis dans le monde, & que ie ne deuois
pas demeurer dans vn silence & dans vne
moderation inutile, pendant que l’on continuoit
à déchirer ma reputation ; ce qui m’a fait
supplier le Roy tres-humblement de vouloir me
faire rendre iustice dans les formes les plus seueres,
& les plus rigoureuses, sur les crimes dont
on m’a accusé, & sur lesquels on m’a condamné
sans m’auoir oüy, offrant pour cela de me rendre
tout seul en tel lieu qu’il luy plaira m’ordonner :
& i’ose esperer que Vostre Majesté trouuera cette
instance si legitime, qu’elle ne refusera pas la
grace que ie luy demande, de la vouloir appuyer
de ses puissans offices, afin qu’ayant lieu de faire
paroistre que mon innocence est à l’espreuue de
toutes les attaques de la calomnie, les plus critiques,
& les plus malicieux soient contraints
d’aduoüer que ie ne suis pas capable du moindre
des crimes, dont on m’a voulu tacher.

Vostre Maiesté MADAME, a vne passion si
forte pour tous les auantages de cette Couronne,
tant de bonté pour tous ceux en qui elle

-- 51 --

trouue des impressions de ce zelle, & tant d’équité
naturelle : que ie ne puis pas douter qu’il
faille autre chose, pour luy faire approuuer &
agréer mon dessein, que de luy en representer
nuëment les motifs, comme i’ay tasché de faire :
c’est la grace dont l’ose la supplier auec toute la
soûmission, & le respect qui luy est deu : &
comme ie prends la liberté d’en demander encore
vne autre au Roy, qui est d’auoir la bonté de
me dispenser d’auoir aucune part dans le maniment
de ses affaires, quand sa Maiesté auroit assez
bonne opinion de ma suffisance, & la protection
de vostre Maiesté auprés du Roy (en cas
que cette preuention d’vne chose, à laquelle
peut estre sa Maiesté ne songe pas, ne soit point
trop presomptueuse) pour empescher que ie ne
sois pas exposé à commettre vne desobeissance,
comme il arriueroit infailliblement, si on auoit
la moindre pensée de me faire cét honneur, que
i’estime en effet incomparablement moins que
la glorieuse qualité,

 

A Boüillon leDecembre

-- 52 --

OBSERVATIONS SVR
ces deux Lettres.

I. CE que nous deuons iuger de toutes les
Lettres escrites par le Cardinal Maz. sur
le sujet de son retour en France, est ; que le stile
paroist vne traduction d’Italien en François :
qu’en certains endroits, il est obscur, & lasche
par tout : que c’est vn amas de pensées, & de paroles
mal digerées, & mal ordonnées ; sans preuues,
ny raisonnement. Au fonds, c’est vn déguisement
perpetuel, & grossier de verité : c’est
vn tas d’impostures, sur les choses passées, sur
les presentes, & sur les futures ; auec quelques
protestations trompeuses, & discours semblables
à ceux qu’il tenoit dans son Ministere ; lors
qu’il vouloit piper quelqu’vn à sa mode ; c’est à
dire lourdement. De sorte, que nous pouuons
dire qu’en publiant ses Lettres, par l’impression
baueuse de Sedan, & par la plus nette de Paris ;
il a trauaillé, pour acheuer de se decrediter dans
toute l’Europe, où il les a dispersées en Italien,
qui est entendu par tout. Nous autres François
auons sujet de nous plaindre ; de ce que son gouuernement
nous ayant traittez comme esclaues,
ses escrits nous prennent maintenant pour
des bestes. Ou si nous voulons parler plus doucement,

-- 53 --

nous dirons, que la France, qui est
remplie d’hommes clair-voyants, est estimée
pat cét estranger la terre des aueugles ; ainsi que
l’oracle Pithien appella autrefois celle de Calcedoine.

 

II. Il nous veut persuader en premier lieu,
qu’il est vn habile personnage : en second lieu,
qu’il est fort innocent : en troisiéme lieu, que
son absence nous a iettez dans toute sorte de
confusions : en quatriéme lieu, que si nous souffrons
son restablissement, il fera reuiure l’authorité
Royale, & nous rendra tous heureux ; sans
se mesler de nos affaires. Voila en general
ce que contiennent ses. Lettres escrites au
Roy, à la Reyne, à Monseigneur le Duc d’Orleans,
à Madame, & au Preuost des Marchans de
Paris.

III. Commençons par celle du Roy, ou il debute
par ce galimatias : que les graces, qu’il a receuës
de Sa Maiesté excedent infiniment le prix du peu de recompense,
qui pouuoit estre deüe aux seruices, qu’il a
tasché de rendre à l’Estat. Ce sot texte n’a pas besoin
de glose ; pour faire voir son impertinence. Entrons
dans son discours, qui d’abord nous debite
les sujets, qui l’ont porté à venir secourir le
Roy. Il dit : que son zele pour le seruice de Sa Maiesté
l’a retiré du dessein qu’il auoit de viure en repos ; & de
prier Dieu ; n’ayant pû regarder honteusement ; ou déplorer
dans l’oisiueté d’vne honteuse retraitte, le feu dont

-- 54 --

le Royaume brusle auiourd’huy au dehors, & au dedans ;
sans le venir esteindre auec ses amis. Nous dirons
de cette resolution caualiere ; & charité Chrestienne :
que nous estimerions la repentance de
ce pretendu conuerti, s’il venoit pour esteindre
les feux, que ses imprudences, & ses impietez
ont allumez. Mais nous craignons que les eaux,
qu’il aporte, ne soient semblables à celles, que
les Mareschaux iettent sur leurs charbons, pour
faire monter plus haut les flammes. Ce mauuais
Ecclesiastique, deuiendra ce sale oiseau surnommé
Incendiaire, qui prend les charbons sur l’Autel
de nos Sacrifices, pour reduire en cendres le
Temple, ou il auoit fait son nid ; le nom de cét
Herostrate, ne sera leu dans nos Annales, que
pour estre detesté. Ne considerons pas S. E. auec
les eaux, de ses sueurs, & de ses larmes qu’il nous
promet en hypocrite, qui fait le pleureur : voyons
le plutost auec les nouueaux feux, qu’il vient
adiouster aux anciens : estant certain ; que sa
venuë augmentera les desordres, que sa trop
longue demeure auoit faits, & laissés parmy nous.
Nous les aurions reparez ; si son ambition qui
veut encore regner, & sa fureur, qui desire de se
vanger de ceux, qui ont contribüé à son esloignement,
ne l’eussent porté à faire cent intrigues,
& à inuenter autant de menteries ; pour disposer
la Reyne à le rappeller, contre toutes les regles
de Politique. Nous n’auons besoin, ny de ses

-- 55 --

conseils imprudens, ny des foibles adsistances,
qu’il ammeine ; & sçauons, qu’il ne vient pas
pour le soulagement de nos peines ; mais pour
la punition de ses pechez ; & des nostres.
Il vient mourir en France, bourreau
de la Iustice de Dieu, & ses armoiries marquent
le mestier, qu’il y vient exercer. Et
afin que tout le monde voye la verité, au trauers
du déguisement de ses Lettres estudiées, &
mal conceuës : Nous publierons quelques secrets
connus par peu de personnes, & qui doiuent
estre sçeus ; non seulement par tous les
François ; Mais par leurs voisins ; où le Cardinal
Mazarin n’aura pas manqué d’enuoyer les copies
de ses Lettres ; sur tout en Italie ; où il fera retentir
durant six semaines, son glorieux retour
en France : le faisant passer, pour vne victoire
emportée sur ses ennemis, ou pour vne entreprise
heroїque, faite pour le salut de ce Royaume
ingrat, qui apres l’auoir honteusement banny,
a esté contraint d’implorer le secours de
ses aduis, & de sa puissance. Sans doute quelque
discoureur de cette celebre Academie, delli enrabiati,
ou infuriati, qui s’assemble dans la Casa
Mancini à Rome, aura fait cette exclamation. Vedete
signori, l’Eminentissima virtu, di questo Eminentissimo ;
digna, no solamente de principe della sancta. Chiesa,
ma de summo & Pontefece. Ce qui aura esté poussé
auec vn ton animé, par l’esperance d’vne pension,

-- 56 --

semblable à celle qu’on a promis à ce venerable
habitant de Rhetel, qui consola fort Son
Eminence lors que dernierement en son passage,
il le qualifia liberateur, & restaurateur de la France :
ce qui fut receu auec applaudissement par
tous les caualliers, qui l’escortent, & qui flattent
ses foles passions, auec des sottes paroles ;
comme il flatte leurs pretentions, auec des promesses
trompeuses. Tous ces artifices n’empescheront
pas ; que nous n’aduancions quelques
veritez, desquelles tous les bons esprits tireront
les responses, qu’ils feront dans leur ame aux
Lettres escrites par le Cardinal Mazarin, qui
pretend les employer pour vn Manifeste, qui
contient les veritables motifs de son retour.

 

Armories
du Cardinal,
celles
des boureaux
de
l’ancienne
de Rome.

I. Il est certain que le Cardinal Mazarin, qui
preuint au Havre l’arriuée de ceux, que le Roy
enuoyoit auec ses Lettres patentes, & ordres exprez,
pour la deliurance de Monsieur le Prince,
de Monsieur le Prince de Conty, de Monsieur de
Longueuille, deliura au sieur de Bar gouuerneur
de la place, vne Lettre secrete de la Reyne
pour lors Regente ; par laquelle Sa Majesté defferant
aux prieres du Cardinal Mazarin ; leuoit
les conditions portées par les patentes du Roy,
auquel on auoit conseillé de differer iusques à Sa
Majorité, le restablissement des Princes dans
leurs gouuernemens de Prouinces, & places, &
dans les commandemens des troupes leuées sous

-- 57 --

leurs noms. Ces restrictions estant ostées par
Monsieur le Cardinal ; pour obliger particulierement
Monsieur le Prince, à proteger, & à remettre
dans la Cour, celuy qui se vantoit de luy
auoir procuré cette satisfaction.

 

II. Monsieur le Prince, ayant iugé ; qu’il n’estoit
point expediant, ny pour sa reputation, ny
pour le bien public ; que le Cardinal demeura
dauantage en France, seconda le glorieux dessein
de Monseigneur le Duc d’Orleans, & ils
obtindrent auec le Parlement, la Declaration
du Roy, qui a exclus de son Royaume pour iamais
le Cardinal Mazarin, pour les causes contenuës
en ladite Declaration.

III. Le Cardinal Mazarin s’estant arresté à
Burle ; pres de Cologne ; voulant se vanger de Son
Altesse Royalle, & des Parlements, employa
toute sorte d’artifices, & de moyens, pour attirer
à soy Monsieur le Prince ; luy faisant offrir par la
Reyne, & par d’autres personnes, qui parloient
de la part de Sa Majesté ; vne entiere confiance,
& tout ce qu’il pouuoit desirer dans le Royaume,
ou pour soy, ou pour les siens, pourueu qu’il
voulut estre amy du Cardinal Mazarin, & appuyer
son retour.

IV. Monsieur le Prince ayant reiecté ces
prieres, & ces offres ; iusques à blasmer les entremeteurs ;
ils pousserent tous la Reyne à
prendre la resolution, de perdre celuy, qu’on

-- 58 --

ne pouuoit gaigner, & à le faire remettre dans la
prison, d’où il venoit de sortir. Mais ce Prince
genereux, & aduisé ne pouuoit oublier le traittement
tres-rudre qu’il y auoit receu, & estoit
assuré, que s’il y sentroit, il n’en sortiroit iamais.
Ces menées que nous auons dites, estant decouuertes,
par ceux mesmes qui s’en mesloient, ou
qu’on pratiquoit, il se mit sur ses gardes, & fit
ses plaintes qui furent estimées iustes, par Monseigneur
le Duc d’Orleans, & par Messieurs du
Parlement.

 

V. L’heureuse Majorité du Roy estant arriuée ;
Monsieur le Prince s’abrlenta de la ceremonie,
sur l’aduis qu’il eut qu’on vouloit troubler
cette feste, en arrestant sa personne ; comme
on auoit terny la ioye publique pour vne de ses
victoires, en emprisonnant deux Officiers du
Parlement. Il est certain que Monseigneur le
Duc d’Orleans eut accommodé toutes choses,
& que sur sa parole Monsieur le Prince seroit retourné
à la Cour, si la Reyne eut voulu accorder
les trois iours qui luy furent instamment demandez
par Son Altesse Royalle, qui se retrancha
apres iusques à vingt-quatre heures, qui
estoient necessaires pour rassurer les esprits, &
adiuster les affaires : mais le Cardinal qui auoit
enuoyé les ordres de tout ce qu’on deuoit faire ;
ayant veu que l’artifice n’auoit point reüssi, se
despoüilla de la peau de renard, pour prendre

-- 59 --

celle de Lion, & entreprit de perdre par la force,
ceux qu’il n’auoit sçeu corrompre par l’interest,
ny surprendre par la finesse.

 

VI. Il fit pousser M. le Prince : & le contraignit
de se retirer premierement en Berry, & apres en
Guyenne : fit partir le Roy pour le poursuiure, &
enuoya les meilleures troupes qui gardoient nos
frontieres ; pour accabler celuy, qu’il tenoit pour
son plus grand ennemy ; parce qu’il n’auoit point
voulu estre son amy ; ny se laisser prendre Le
principal dessein du Cardinal, estoit de faire seruir
à son rappel la guerre ciuile ; qu’il iettoit dans
la France ; s’estant imaginé, qu’elle seroit obligée
d’auoir recours à ses aduis, & adsistences
ou pour le moins ; que ce desordre seruiroit de
pretexte à la Reyne, pour faire reuenir celuy,
auquel seul elle se pouuoit confier ; tout autre
Conseil luy estant rendu suspect.

VII. Le Cardinal s’est approché peu à peu de
nos frontieres ; où il a dressé ses preparatifs ; pour
rentrer auec quelque esclat : ce qui fait voir,
que le project estoit formé de longue main. La
Reyne a taché de le cacher : mais nous laissons
à iuger, si Sa Majesté a bien fait de le descouurir,
au mesme temps ; que le Roy escriuoit au
Parlement de Paris ; que son intention estoit de faire
obseruer ses Declarations ; qui esloignoient pour iamais
de son Royaume le Cardinal Mazarin, qui
en cét instant estoit appellé, par les ordres expres

-- 60 --

de sa Maiesté. Dieu confondra ceux qui ont
abusé de ce nom auguste ; pour le faire seruir
dans vn iour à deux choses contraires ; & ont
donné ces maudites instructions à vn ieune Monarque.

 

VIII. Le Cardinal s’est ietté en France auec
enuiron quatre mille hommes, en partie tirez
des troupes du Roy, & en partie ramassez par
quelques gouuerneurs des places de Picardie, &
de Champagne : Ces Messieurs ayant suiuy les interests
de celuy, qui les auoit logez dans des postes,
où ils font leurs affaires.

IX. Le Parlement de Paris, ayant apris que
le Cardinal Mazarin estoit en France ; contre les
Declaratiõs du Roy, qui luy en deffendoient l’entrée ;
A donné Arrest par lequel cinquante mille
escus sont promis à celuy, ou à ceux qui le representeront
vif ou mort ; & a ordonné à toutes les
communes de luy courir sus ; comme à vn ennemy
du public. Les autres Parlemens ont prononcé,
ou prononceront le mesme. Ainsi tout le
Royaume sera armé par authorité de Iustice,
contre celuy, qui est tenu pour autheur de nos
maux ; & il pourra estre tüé non seulement auec
impunité ; mais auec recompense, & comme
quelques Theologiens tiennent, auec merite :
lors qu’il fait toutes les actions d’vn tyran étranger,
vsurpateur de l’authorité Royale, inuaseur
du Royaume, toutes les meilleures places estant

-- 61 --

à sa deuotion, & trois fois rauisseur de la personne
de nostre Roy : la moindre de ses qualitez ;
estant capable d’embarrasser les plus scrupuleux
Casuistes. Apres auoir sçeu sa condamnation,
& que le prix de sa grande Bibliotheque
estoit conuerty en prix de sa vie, il ne
laisse pas de venir chercher sa mort parmy nous,
& de ietter dans les desplaisirs, & dans les perils
ceux qui l’appellent, ou qui fauorisent son retour :
en quoy on void ; non seulement son imprudence :
mais le peu d’affection qu’il a pour
ceux, qui luy témoignent ou bienvieillance, ou
amitié. Nous voyons bien qu’il veut imiter le
scelerat Tigellin, qui n’opposoit à la hayne publique,
que les bonnes graces de son Maistre, ne
se souciant d’aucune chose ; pourueu qu’il mit
ses crimes à couuert de la punition. Ces lumieres
historique estoient necessaires : pour esclaircir
quelques tenebres ; qu’on remarque dans les
Lettres du Cardinal Mazarin.

 

I. Pour faire voir dans celle ; qu’il a addressée
au Roy ; premierement que Son Eminence, sauf
correction a tort de dire ; qu’il n’auroit iamais eu
intention de retourner en France : si les dangers où il la voit,
n’eussent touché son cœur, pour le faire resoudre à venir
au secours du Roy auec ses amis : Sur quoy il est expediant
de faire trois reflexions, que nous tirerons
de nos instructions precedentes. Premierement
que le Cardinal a fait naistre l’occasion, qui

-- 62 --

luy fournit de masque pour déguiser son retour.
Secondement qu’il appelle ses amis, & ses troupes,
les Mareschaux de France, les gouuerneurs
des places du Roy, & les gens de guerre, soldoyez
par Sa Maiesté, & tirez des garnisons, où ils
estoient necessaires. Troisiément qu’il a la
presumption de croire : que sa personne, &
trois ou quatre mille hommes, qui dans six semaines
seront reduits à la moitié, peuuent dompter
la France, qui est toute sousleuée pour s’opposer
au restablissemẽt d’vn proscrit, cõtre lequel
tout le sang Royal est armé, & doit faire armer,
tout ce qu’il y a de sãg genereux ds le Royaume.

 

II. Ie demanderois volontiers à des hommes
plus sages, que le Cardinal Mazarin, s’ils le tiennent
pour bien aduisé, de se fier à trois ou quatre
mille soldats, qui luy sont inconnus, & de se ietter
dans les foules de la Cour ; lors qu’il a suiet de
se deffier de ses valets de chambre, de ses Officiers
de bouche, & de ses estaffiers : pouuant
auoir apris ; qu’apres vne semblable condamnation
l’admiral de Colligny, descouurit le
mauuais dessein d’vn sien domestique qui l’auoit
seruy trente deux ans, & estoit nay son suiet.
C’est le malheur de ceux, qui sont condamnez, à
mourir plusieurs fois, par vne crainte continuelle,
& d’attendre tousiours ce qu’ils ont merité
Ce qui est à craindre pour nous, est ; que la peur
du Cardinal Mazarin ne le iette dans la cruauté,

-- 63 --

ou tombent en fin toutes les ames laches.

 

III. N’auons nous pas occasion de croire ;
que l’aueuglement du Cardinal Mazarin est extreme :
quand il ne void pas ; qu’il ne sçauroit
estouffer la guerre ciuile, qui est en Guyenne,
en la mettant dans toutes les Prouinces du Royaume ?
Que d’irriter contre soy, l’Oncle du Roy,
n’est pas l’expediant, pour se venger facilemẽt des
cousins du Roy ? Que de se faire condãner par les
9. Parlemens de France : c’est à dire par enuiron
mille iuges : n’est pas le moyẽ pour accabler celuy
de Bourdeaux. Disons plutost ; que l’imprudence
du Cardinal Mazarin a retiré du peril ceux
qu’il y auoit iettez : lors qu’il leur a donné la meilleure
partie des forces, & des finances de la Frãce
Que s’ils auoient mauuaise intention (ce qui
n’est pas.) Ils seroient obligez de remercier le
Cardinal du secours qu’il leur a procuré de plusieurs
millions d’hommes : lors qu’il en a amené
quatre mille, pour empescher l’adiustement,
que Monseigneur le Duc d’Orleans alloit faire :
estant certain qu’aprez les promesses du Cardinal,
qui a fait valoir sa venuë comme vne machine
qui alloit renuerser deux Princes du sang
Royal, qui deffendoient leur liberté, & leurs
vies, la Reyne n’a point voulu, que Monseigneur
le Duc d’Orleans s’entremit pour l’accommodement :
ainsi sauf correction, ce que le
Cardinal Mazarin dit dans ses belles Lettres : que

-- 64 --

Monsieur le Prince n’a voulu escouter aucune
proposition, ny accepter l’entremise de Son Altesse
Royale, est vne imposture.

 

V. Nous iugerons par ce veritable recit, si le
Cardinal Mazarin s’est mis en estat d’esteindre
les feux, qui sont allumez en France, & desquels
il parle si souuant dans sa Lettre : s’il ne
vient pas plutost pour y ietter de l’huille, que de
l’eau : & s’il n’est pas vray semblable, que cét
embrasement de la maison Royale ne sera étouffé,
que par la ruine de celuy, qui l’a excité deuant
son despart, & qui l’augmente par son retour,
pour acheuer de nous consommer ; si Dieu
ne l’arreste. Il vient en France pour combattre
nos Princes : mais nous voyons bien que les aduantages,
qu il pourroit emporter sur eux, establiroient
sa tyrannie ; & que les coups d’espées,
qui fraperoient leurs testes, seroient des coups
de marteaux, qui forgeroiẽt les chaisnes des Parlemens,
& des peuples de France.

VI. Mais il nous dit ; que sans ce malheur de nos
troubles, il nous eut apporté le beau present de la
Paix estrãgere ; & que par vn traité honnorable, &
vtile à la France, il auroit terminé glorieusement
les guerres, qui ont duré pres de vingt années,
sans trefue ny suspension d’armes. A la verité s’il
nous eust acquis ce bien ; nous aurions oublié
vne partie des maux ; qu’il nous a faits sentir :
par l’entretien des guerres, qu’il a creu estre vtiles

-- 65 --

à sa conseruation ; pour des considerations, qui
seroient trop longues à desduire. Il suffit pour desenfler
la vanité du Cardinal Mazarin, & pour desabuser
ceux qu’il pourroit surprendre ; de luy dire
sauf le respect de son barretin : Que iamais les Espagnols
n’ont eu la pensée, de traitter de la Paix
auec luy Ils le connoissent, & le tiennent pour
vn homme sans foy ; pour vn eternel negotiateur,
sans conclusion : & pour vn discoureur importun,
sans politique C’est le iugement qu’en
fit par escrit le sieur Friquet ; enuoyé il y a deux
ans par l’Archiduc, auquel le Cardinal auoit demandé
vne personne de creance, pour escouter
quelques propositions qu’il auoit à faire. Il n’est
pas donc vray ; que le conte de Fuensaldaigne
aye iamais eu dessein de conferer auec le Cardinal
Mazarin. Si ce Sage Espagnol, en eust eu la
moindre volonté, il auroit accordé vne entreueuë,
où à Burle, ou à Dinan, à celuy qui en auoit
fait grande instance pour nous lurrer par la ; &
persuader à Rome, qu’il estoit semblable à ceux
qui font quelque ouurage de consequence. Le
témoignage qu’il aporte de Dom Esteuan de Guemarra,
n’est pas considerable. Outre que nous
auons sujet d’en douter : nous sçauons, que c’estoit
vn prisonnier de guerre, qui pour auoir vn
traittement plus fauorable ; ou depuis sa deliurance
pour se faire de feste ; escriuoit ce qui
pouuoit flatter le Cardinal : Mais Dom Esleuan

-- 66 --

n’eust ozé faire la proposition à l’Archidue, ou
au Comte de Fuensaldaigna, de prendre confiance
auec vn homme, qu’il sçauoit estre dans
le dernier mépris en Espaigne : où ses seruices
auoient esté reiectez, deuant qu’il les offrit à la
France. Outre que le Roy Catholique suit vne
maxime glorieuse, de ne rechercher iamais ses
sujets, qui se sont donnez à ses ennemis. Adjoustons :
que les Espagnols sçauoient bien, que
le Cardinal Mazarin estant banny de France par
Declaration du Roy, & par les Arrests de tous
les Parlemens, estoit incapable de conclurre vne
Paix, qui doit estre verifiée, & enregistrée. Du
reste nous voulons croire, ce que le Cardinal
Mazarin dit : que les Espagnols l’ont traitté ciuilement :
& de plus, que sans l’estimer, ils l’ont
conserué, & mesmes ont fauorisé son retour :
estants assurez, que les desordres, qu’il produira
leur seront tres-aduantageux.

 

VII. De pareille estoffe sont ces deux autres
gaillardes menteries : que par les conseils, soings,
conduite, & valeur de S. E. Les Espagnols auoient est
chassez de toute la Champagne : où ils tiennent encore
Mouzon, la ville de Stenay, & le passage de
Dun sur la Meuse. Pour ce qui est de Rhetel, il
fut repris sans industrie, & sans peine. Il semble
aussi se vouloir attribuër le gain de la bataille, &
pour faire valoir vn exploit, où il n’estoit pas, il dit
qu’en cette rencontre la principale armée des Espagnols fut

-- 67 --

deffaite : comme si l’Archiduc, n’eust pas reserué
les meilleures, & plus grandes troupes pres de sa
personne ; & qu’on eust confié à d’Esteuan de
Guemarra le commandement de toutes les forces
du Pays-Bas. Chacun sçait, que ce qu’il auoit
ne passoit pas trois mille hommes, ioints auec les
gens du Mareschal de Turenne, qui en pouuoit
auoir autant. Le Cardinal Mazarin qui ne contribua
rien, ny de sa teste, ny de son bras ; veut
pourtant nous faire passer cette victoire pour vn
effect de sa prudence, & de son courage : parce
qu’il auoit pretendu auoir la qualité de generalissime,
au prejudice de Monseigneur le Duc
d’Orleans, qui estoit Lieutenant General de l’Estat,
dedans & dehors le Royaume.

 

VIII. Le Cardinal Mazarin croit nous auoir
osté toute l’apprehension que son retour nous
donne, en protestant qu’il ne se veut point mesler
d’aucune affaire. Pour nous persuader cette
bourde, il employe tant de paroles dans sa Lettre
pour le Roy, & encore plus particulierement
en celle qui est pour la Reyne, qu’on peut dire
qu’il s’est deffié de nostre foy. Il va iusques-là,
qu’il iure à la Reyne : que si Sa Maiesté luy commande
de prendre la moindre part dans le gouuernement de
l’Estat, il se dispensera de luy obeyr, en tout le reste
tres-humble seruiteur. Il est vray, que de sa grace,
il nous fait esperer ; qu’il communiquera à
nos Ministres ses belles lumieres : laissant à ceux

-- 68 --

qui en seront esclairez à l’en remercier : nous luy
dirons que nous ne pouuons croire, que le Cardinal
Mazarin ne se veuille point mesler d’affaires
estant en France, & dans la Cour ; ayant eu
l’ambition, & le credit de les conduire ; lors qu’il
estoit exilé en Allemagne. Quoy ? cét homme
qui s’estoit reserué la distribution des benefices,
des charges de la maison du Roy, des employs
de la Guerre, de la marche des armées, du sceau
des finances, & generalement la disposition de
tous les bien-faits ; reiectera de prez, ce qu’il attiroit
de loin, & demeurera les bras croisez, auec
vn chappelet en main, ou bien s’amusera à ses
petits diuertissemens, à sçauoir à faire des pomades,
ou des sauonettes, ou des pastilles à
manger, à brusler, à porter, ou à parfumer des
gans, & des peaux : ou à peser des perles, & des
diamans : ou à priser du point de Genes, de Venise,
& d’Espagne : ou à iuger des estoffes : ou il
retournera à son premier mestier d’honneste
Frippier : ou il entretiendra ses singes ? Mais comment
se pourroit accorder ce vœu solemnel, de
ne se plus mesler d’affaires auec les paroles qui
sont dans toutes ses lettres aux Gouuerneurs
d’Estat, de leur procurer des plus grands biens, &
aduancemens ? S’imagine-t’il, que nous puissions
croire, que ces Messieurs l’ayent suiuy ; ou qu’ils
ne le quitteroient point ; s’il ne leur eust fait, &
ne confirmoit tous les iours les promesses contraires

-- 69 --

aux protestations, qu’il fait au Roy, & à
la Reyne ? D’où s’ensuit ; ou que le Cardinal Mazarin
a enuie de tromper ceux qu’il appelle ses
amis ; ou qu’il veut endormir ceux qu’il tient
pour ses ennemis : Ainsi l’vn ou l’autre party, sera
pris pour duppe ; ou peut estre les deux. Mais que
deuïendroient tant de bottes de breuets, qu’il a
distribuez ; pour six Mareschaux de France ; pour
douze Ducs, & Pairs, pour trois cens Cheualiers
de l’Ordre : n’y ayant point d’Officiers, de Caualleries,
ny de Volontaires dãs son escorte, auec
lesquels il ne soit engagé pour vne recompense ;
ou en charges, ou en honneurs, ou en argent : les
vns ont des suruiuances de Gouuernemens ; les
autres des retenuës d’Offices, les autres des reserues
de benefices, & plusieurs ont la promesse
d’vne mesme chose. On dit qu’il a desia
disposé des principales charges de la Maison de la
Reyne future, & qu’il a fait esperer les mesmes
Offices a trois ou quatre pretendans, rien ne pouuant
estre refusé à ceux, qui sont Maistres d’vne
vie condãnée & mise à prix. Quantité de Beneficiers,
Gouuerneurs & Officiers doiuent tenir
sur leurs gardes, estant certain que les engagemens,
& peut-estre les prouisions secrettes, mettent
en danger les vies de ceux, qui croient estre
bien asseurez : toutes les creatures du Cardinal
Mazarin ayant demandé, & obtenu tout ce qui
les peut accommoder dans leur voisinage, & ail

-- 70 --

leurs : en sorte que personne ne peut estre exẽpt
de peril, que celuy qui est si heureux ; de n’estre
point conneu pour quelque suiuant du Cardinal
Mazarin, ou qui est si mal-heureux, qu’il n’a rien
qui puisse estre desiré. Adioustons : que si le
Cardinal Mazarin ne vient en France, que pour
estre Spectateur de ce qui s’y passera ; il ne deuoit
point presser le Roy de luy dõner la qualité
de Generalissime de ses armées : pourquoy a il
leué des troupes ? pourquoy les conduit-il, pourquoy
escrit-il, qu’il court, pour apporter l’eau qui
doit esteindre nos embrasemẽs ? pourquoy proteste-il,
qu’il n’a autre dessein, que de nous secourir,
& de nous soulager ? pourquoy desire il
de precipiter, s’il peut, Monsieur le Prince dans
les Riuieres de Dordogne, ou de Garonne, ou
dans la Mer, ou l’obliger à passer les Pyrenées ;
s’il veut estre oisif, & contempler nos maux,
sans y donner remede ? Apres ces declarations
grossieres, & impertinentes du Cardinal Mazarin,
qui dit, qu’il ne veut auoir aucun maniment,
ny direction, ny communication d’affaires ;
lors que nous voyons des actions, & lisons des
escrits, qui nous font voir, & chantent tout le
contraire ; s’y laisse surprendre qui voudra passer
pour vne beste, ou pour vn meschant, les Sages &
bons ne seront point attrapez par ces lourdes
fourberies, & les vrays Chrestiens detesteront
ces hypocrisies mal couuertes.

 

-- 71 --

IX. Pour monstrer que le Cardinal Mazarin
se deffait luy mesme ; vous remarquerez, s’il
vous plaist ; ce discours de sa Lettre au Roy,
qu’il ne peut demeurer dans vn repos honteux & voir l’incertitude
des affaires du Roy. Il s’oblige donc à l’action ;
au moins, tant que les choses seront dans
quelque agitation ; si ce n’est qu’il aye cette perfection
diuine, de mouuoir tout en demeurant
immobile : encores opereroit-il ; au moins par
volonté dans le cabinet de l’ame, s’il se retire
de celuy de la Royne,

X. Il manque aussi de iugement en plusieurs
endroicts de ses Lettres : comme lors, qu’il dit :
que l’Espagnol est vn ennemy tous-jours redoutable ; apres
qu’il l’a si souuent irrité & mesprisé, ayant voulu
continuer les guerres contre luy, apres la mort
du feu Roy ; en quoy il exposoit la France à des
grands perils ; s’il iugeoit que l’Espagnol fut si
formidable.

XI. Il fait le railleur, mais grossierement ; lors
qu’il escrit qu’apres son esloignement, & la liberté
de Monsieur le Prince, les Autheurs de ces deux
changemens, qu’il dit, auoir esté tumultuairement faits
nous faisoient esperer vn siecle d’or. Ce qui eust esté
par la maiorité de nostre Roy, si les cabales du
Cardinal Mazarin, qui vouloit reuenir en France,
& remettre Monsieur le Prince en prison,
n’eussent ramené le siecle de fer & de feu.

XII. Il tasche de nous persuader ; qu’il a tousiours

-- 72 --

sacrifié ses interests particuliers au bien de l’Estat ; & parle
souuent, de son esprit desinteressé sans considerer ;
que s’il preferoit nostre repos au sien, il ne viendroit
pas pour nous inquieter. Il ne voit pas aussi
que ceux qui ont connoissance du Palais magnifique
qu’il a acquis, augmenté & meublé dans
Rome, de l’Hostel superbe de Paris, qu’il auoit
remply de Statuës, & peintures rares, d’vne prodigieuse
quantité de liures, & meubles tres precieux,
de ioyaux de prix inestimable, sans ce qu’il
nous a caché, qui est dans les banques, & monts
de Pieté d’Italie, ne sont pas des tesmoignages
de son parfait desinteressement : s’il ne veut faire
croire, qu’il a apporté tous ces biens de son pays,
où il ne possedoit rien, lors qu’il se retira dans le
nostre.

 

XIII. Il proteste, qu’il brusle d’vn si grand
zele pour la gloire de la France, qu’il est prest à
s’immoler, pour calmer nos tempestes. Pourquoy
donc cette victime pacifique, qui veut estre
bruslée pour nous, vient elle pour nous brusler ?
Et pourquoy ce Ionas, qui se presente pour estre
ietté dans la Mer, l’agite d’auantage, en demeurant
auec obstination dans nostre vaisseau ? Et
pourquoy se fait-il condamner, à estre precipité
dans les vagues qu’il esmeut ?

XIV. Il change de discours, & nous demande
le payement des debtes par luy contractées,
pour le seruice du Roy. S’il n’eust esté question

-- 73 --

que de cela, tous les sages François eussent esté
d’aduis qu’on luy paya ce qu’on ne luy deuoit
pas, & qu’on luy rendit ce qu’il nous auoit pris ;
pour luy renuoyer tant de Sergens, qu’il amene,
& qui ont saccagé tous les lieux où ils ont
passé, comme ont fait durant son Regne les Fuseliers
qui leuoiẽt les Tailles. On iugera aussi que ce
n’est pas eu le moyen de s’acquiter, lors qu’il est
venu pour faire vendre, ce qui lui restoit en France,
& le conuertir en prix de sa teste, qu’on n’estime
pas tant, comme on prise sa calote qu’il a
exposée au mespris en quoy le sacré Consistoire
a plus de suiet de se plaindre de luy, que
des Iuges : celuy qui est indigne de cette auguste
qualité ayant esté le premier, qui a contraint
tous nos Souuerains arbitres de la vie & de la
mort, de condamner à mort vn Cardinal, qui s’estant
voulu mesler de gouuerner la France, s’estoit
assuietty à rendre compte de ses actions, à
ceux qui administrent la iustice du Souuerain, &
sont les veritables Interpretes, & Conseruateurs
des Loix du Royaume.

 

XV. Il est plaisant ; lors qu’il dit : que nous le persecutons
estant innocent, auec sa famille, à laquelle l’aage
n’a point permis d’estre autre qu’innocente : Pour croire
ce qu’il dit, en ce qui regarde sa personne, il
faut dementir toute la France, & casser les Arrests
de toutes les Cours souueraines. Pour ce
qui touche sa famille, qu’il asseure estre en l’aage

-- 74 --

d’innocence. Il ne se souuient pas, qu’elle est composée
d’vne Niepce mariée, & capable de porter
des enfans, de deux autres niepces, qui ne sont
pas bien esloignées des années de la premiere, &
d’vn nepueu ; qui est à cheual à la teste d’vn Regiment,
& en estat de tirer le coup de pistolet :
cependant en lisant la Lettre de son Eminance,
on croiroit qu’il est Ioseph le iuste, qui est
contraint par quelque Herode de s’enfuyr en
l’Egipte, auec quatre berceaux, & autant de
nourrices, & que la Feste des Innocens est la sienne,
& celle des siens.

 

XVI. Il iure que son dessein n’est point de fournir seulement
de pretexte à ceux, qui auroient dessein de troubler la
tranquillité publique : estant la veritable cause de
tous nos mouuemens, & voyant qu’ils croissent
tous les iours pour son sujet, s’il estoit bon pour
nous, & sage pour luy ; il s’en retourneroit ; apres
auoir leu les Arrests donnez contre luy, & sceu
que toutes les Prouinces arment ; pour chasser
vn homme qui leur apporte les trois fleaux de
Dieu.

XVII. Il calomnie Monsieur le Prince, en asseurant
qu’il a promis aux Espagnols beaucoup
de choses, qui ne sont pas. Il calomnie les Espagnols
en disant qu’ils ont declaré absolument,
qu’il ne vouloient escouter aucune proposition
de Paix : la verité est, que cette nation patiente,
qui auoit attendu longtemps les effects qu’elle

-- 75 --

void, de l’imprudence du Cardinal Mazarin, &
preuoyoit les aduantages, que l’Espaigne en
pourroit tirer : nous fit dire par D. Gabriel de
T oledo, que si on vouloit traiter dans l’Estat de
de nos affaires, qui auoient pris vn autre train ; il
ne falloit point parler ; ny de proteger la Catalogne :
ny d’assister le Portugal : ny de retenir la
Lorraine. Que pour le reste qui regardoit la
restitution des places, on s’en rapporteroit au
iugement des Mediateurs, qui estoient le Pape
& les Venitiens. Nous osons dire que si on eut
permis à Son Altesse Royalle de mettre en œuure
ce qu’elle auoit sagemẽt designé, que la bonne
opinion que les Estrangers ont de la fidelité
de ses paroles, eut acheué heureusemẽt ce grand
ouurage, qui ne fut rompu que par la ialousie,
& malice du Cardinal Mazarin qui pour empécher
ce bon dessein demanda vn entreueuë vers
Bayonne auec Dom Louys d’Aragon ; promettant
qu’il s’aboucheroit auec luy ; aussi-tost
que le Roy seroit entré dans Bordeaux, d’où il se
retira à Paris, sans auoir fait sçauoir de ses nouuelles
à Madrid, se contentant d’auoir arresté le
Traicté de son Altesse Royale.

 

Vous remarquerez, s’il vous plaist, qu’il se
contredit, disant en vn endroit de sa Lettre, que
les Espagnols de ce temps-là prindrent la resolution
de n’escouter aucune proposition de paix,
& asseurant ailleurs qu’ils ont eu dessein de la

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traicter auec luy. On iugera aussi si c’est vn
moyen de porter nos ennemis à la Paix ; que le
Cardinal Mazarin, qui a esté nostre principal Ministre,
leur declare dans sa Lettre à la Reyne ;
que la France est espuisée d’hommes, & de finances, &
a de la peine à se soustenir. Adioustez ce qu’il dit, que
les guerres ciuiles vont rendre la France vn horrible theatre
de calamitez & de desordres, en quoy il imite les
demons, qui predisent les maux, qu’ils veulent
faire. Voyez iusques où va la derniere folie de
cét homme, qui est autheur de nos miseres, & les
descouure à nos ennemis, qui n’ont point de
plus grande prudence, que d’attendre les effects
de ses temeritez.

 

Pag 25.
de la Lettre
à la
Reyne.

XVIII. La plus extrauagante de ses imaginations
est, de s’estre persuadé, que la resolution
qu’il a prise de nous venir trouuer auec vne poignée
de gens, sera approuuée par tous les bons François.
Les voleurs publics qui sont les Partisans, les
larrons particuliers, qui sont quelques Soldats
desbauchez : les Bauteliers de Gien, pratiquez
par quelques centaines de pistoles ; & certains
Courtisans corrompus, que le Cardinal Mazarin
appelle ses amis, s’en resiouyront tous seuls pour
vn moment ; lors que les gens de bien pleureront,
& priront Dieu, qu’il conuertisse ou chastie
bien-tost le Cardinal Mazarin & illumine le
Roy, & la Reyne sa Mere ; afin que leurs Maiestez
voyent les mal-heurs, dans lesquels on les
precipite, auec l’Estat de France, par le retour

-- 77 --

precipité du Cardinal Mazarin, qui se vient perdre
en nous perdant : estant certain que le plus
grand ennemy qu’il aura, sera luy-mesme, & qu’il
perira plutost par sa folie, que par la sagesse d’autruy.

 

XIX. Concluons nos obseruations, en disant :
que si le Cardinal Mazarin estoit naturel François,
il auroit plus de suiet de faire quelques efforts,
pour retourner en son pays : mais aussi, il
ne desireroit pas la ruyne de sa patrie, pour s’y
restablir. S’il n’auoit point la charité Chrestienne,
il auroit peust-estre la vertu morale de ce
Payen, qui disoit i’ayme, mieux souffrir la honte
d’vn exil, que de rentrer en mon pays, en le
faisant pleurer. Disons que cét estranger imite
la femme desbauchée, qui n’estant point la mere
de l’enfant contesté, consentoit qu’on le mit en
pieces : celuy qui veut estre estimé le pere de la
France, fait paroistre, qu’il ne l’est pas, en desirant
qu’elle soit diuisée : mais il faut esperer, que
nostre ieune Salomon estant assisté de la sagesse
de Dieu, discernera les veritables affections d’auec
les feintes, & renuoyra confus celui qui veut
regner dans la confusion.

A PARIS,
Chez NICOLAS VIVENAIT,
En sa boutique au Palais.

M. DC. LII.

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Anonyme [1652], OBSERVATIONS SVR QVELQVES LETTRES ECRITES AV CARDINAL MAZARIN, ET PAR LE CARDINAL MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2572. Cote locale : C_12_35a.