Anonyme [1652], EXTRAICT DES REGISTRES DV PARLEMENT, CONTENANT Ce qui s’est passé pour l’esloignement du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1351. Cote locale : B_11_29.
Section précédent(e)

EXTRAICT
DES REGISTRES
DV PARLEMENT,
CONTENANT
Ce qui s’est passé pour l’esloignement
du Cardinal Mazarin.

A PARIS,
Par les Imprimeurs & Libraires ordinaires du Roy.

M. DC. LII.

Auec Priuilege de sa Majesté.

-- 2 --

-- 3 --

DV IEVDY NEVFIESME FEVRIER
mil six cens cinquante-vn, du matin.

CE jour la Cour, toutes les Chambres assemblées,
les Gens du Roy, Maistre Omer
Talon Aduocat dudit Seigneur portant la
parole, ont dit ; Que suiuant l’ordre qu’ils
receurent hyer de la Cour, ils prierent
Monsieur le Garde des Sceaux de leur faire
donner audiance de la Reyne, lequel leur ayant dit qu’ils se
trouuassent au Palais Royal à six heures du soir, ils furent introduits
dans le mesme Cabinet, dans lequel Messieurs les
Deputez eurent le iour precedent leur audiance, auquel Cabinet
le Roy & la Reyne estoient assis, & proche d’eux Monsieur
le Garde des Sceaux, Monsieur le Mareschal de Villeroy,
& les quatre Secretaires d’Estat ; Ils dirent au Roy
SIRE, les Deputez du Parlement, hyer au soir, supplierent
vostre Majesté de vouloir faire expedier les ordres necessaires
pour la liberté presente de Messieurs les Princes, & en suite
des Lettres de Declaration d’innocence : Outre plus, ils remercierent
Vostre Majesté de ce qu’il luy auoit plû faire retirer
M. le Cardinal Mazarin, & la supplierent de luy enjoindre
de sortir le Royaume, & donner au Parlement Lettres
de Declaration pour exclure des Conseils du Roy les
Estrangers, mesmes les naturalisez, & tous ceux qui auoient
serment à autre Prince qu’au Roy ; Ausquelles supplications
Vostre Majesté n’ayant pas fait de responce precise, & l’ayant
differée au premier iour, ils nous ont employé vers Vostre
Majesté, pour la supplier de leur faire l’honneur qu’ils puissent
sçauoir aujourd’huy sa volonté, pour en deliberer demain

-- 4 --

matin ; Et outre, qu’il plaise à Vostre Majesté, faire retirer
de Paris & du Royaume, les parens dudit sieur Cardinal & ses
domestiques, qui sont Estrangers. A quoy la Reyne a respondu,
tant par sa bouche, que par celle de M. le Garde
des Sceaux ; Que l’absence de Monsieur le Cardinal Mazarin
n’estoit pas vne chose feinte ny suposée susceptible de condition,
qu’il s’estoit retiré sans dessein ny pensée de retour,
qu’elle en auoit donné part à Monsieur le Duc d’Orleans, &
que sa parole ne manqueroit iamais, que nous pouuions en
asseurer la Compagnie ; Et pour le monstrer, que son Neveu
s’estoit retiré dés le matin, & que ses Niepces partiroient aujourd’huy
sans y manquer : Et pour ce qui regarde la liberté
de Messieurs lès Princes, la Reyne leur auoit dit qu’elle y trauailleroit
incessamment, comme elle l’a promis ; mais que cela
ne se pouuoit faire que de concert auec Monsieur le Duc
d’Orleans ; Elle eust esté bien aise de le resoudre auec ledit
Seigneur Duc seul à seul ; Que si il y apporte de la resistance,
qu’elle luy enuoyera Monsieur le Garde des Sceaux pour en
traitter auec son Altesse Royale, où bien qu’il plaise à Monsieur
le Duc d’Orleans, que les amis de Messieurs les Princes
en traittent auec luy ; Que la Reyne desirant, dans vne conference
qui se peut faire cette apresdînée, terminer vne affaire
de cette importance, & iustifier que ses desseins sont sinceres
sans reserue & sans cauillation. FAIT en Parlement l’an
& iour susdits.

 

Du sixiesme iour de Septembre mil six cens
cinquante-vn.

LOVIS par la grace de Dieu, Roy de France & de Nauarre ;
A tous presens & à venir, Salut. Depuis qu’il a
plû à Dieu nous appeller au Gouuernement de cét Estat,
Nous n’auons eu plus grand desir que de signaler nostre Regne
par l’amour qu’vn bon Roy doit auoir pour les Peuples
que Dieu luy a soubmis, & imiter les exemples des Roys nos

-- 5 --

Predecesseurs, lesquels ont merité le nom de Peres du Peuple.
Et neantmoins pendant nostre Minorité, le Cardinal
Mazarin contreuenant à nos bonnes & loüables intentions,
ayant par sa mauuaise conduite excité la haine de nos Peuples
contre luy ; les auroit contraints d’auoir recours à nostre
bonté & justice, pour y apporter les remedes conuenables :
Et ayant porté leurs plaintes en nostre Cour de Parlement
de Paris, qui veille continuellement au bien de nostre seruice ;
elle nous auroit fait tres-humbles Remonstrances contre
les entreprises dudit Cardinal, par l’emprisonnement d’aucuns
Officiers de nostredite Cour & autres, contre la disposition
de nos Ordonnances ; éloignement de nos bons & fideles
Sujets, d’aupres de nostre personne ; dissipation & transport
de nos Finances hors de nostre Royaume, pour les conuertir
a ses interests particuliers : Et desirant entretenir le
trouble entre les Princes Chrestiens, afin de se rendre necessaire,
& continuer la dissipation & transport de nosdites Finances,
auroit par ses artifices fauorisé les mauuaises dispositions
de nos Ennemis, & rendu nos bonnes intentions pour
la Paix generale, sans aucun effet. A tous lesquels desordres
ayans apporté remede par nos Declarations des dix-huit Iuillet
& vingt-deux Octobre 1648. & ayant aussi restably le repos,
& donné le soulagement à nos Peuples par celle du dernier
Mars 1649. Neantmoins ledit Cardinal continuant sa
mauuaise conduite, nous aurions receu nouuelles plaintes
tant de nos Sujets que de nos Alliez & Voisins, de la depredation
de plusieurs Vaisseaux conduits en nos Havres par les
ordres dudit Cardinal qui y prenoit part. Ce qui auroit donné
occasion aux Interessez, d’vser de represailles contre aucuns
de nos Sujets qui en ont esté ruinez ; Et le commerce,
l’vn des principaux nerfs de nostre Royaume, scitué entre les
deux Mers, & garnis des plus beaux Ports de l’Europe, & de
tout ce qui est necessaire à la nauigation, du tout aneanty.
Et outre, pour contenter ses passions particulieres, auroit
conseillé l’interdiction de nostre Cour de Parlement de Bordeaux,
contre l’Aduis de nostre tres-cher & tres-amé Oncle
le Duc d’Orleans. Et pour mieux executer ses desseins, & se

-- 6 --

preualoir de la detention de nos tres-chers & tres-amez Cousins
les Princes de Condé & de Conty, & Duc de Longueuille ;
& afin de se rendre Maistre plus absolu de leurs personnes ;
les auroit fait transferer au Havre de Grace, dont il auoit
osté le Gouuerneur, pour y mettre vn de ses affidez, contre
l’Aduis de nostredit Oncle le Duc d’Orleans. Surquoy nostredite
Cour de Parlement de Paris, nous ayant fait ses Remonstrances,
ledit Cardinal Mazarin auroit tâché de les éluder
par diuers artifices. Ce que voyant nostredit Oncle & nostredite
Cour de Parlement ; & craignant les mauuais éuenemens
de si pernicieux desseins, ils en auroient donné aduis à nos
autres Parlemens : Lesquels secondans leurs bonnes intentions,
auroient ordonné pareilles Remonstrances. Surquoy
voyant le consentement general de tous nos Sujets, & en
ayant deliberé en nostre Conseil, & reconnu le peu de suffisance
dudit Cardinal Mazarin Estranger, dans les affaires de
nostre Estat ; & que sa mauuaise conduite luy auoit attiré l’auersion
& le mespris de tous les Ordres de nostre Royaume ;
Il auroit par vn dernier effort essayé par comparaison de detestables
& funestes exemples, nous donner de mauuaises
impressions de leur fidelité & loyauté ; & par ce moyen les
mettre en nostre indignation, qui eût esté vne playe mortelle
à nostre Estat ; Nous aurions par l’Aduis de la Reyne
Regente nostre tres-honorée Dame & Mere, & de nostredit
Oncle le Duc d’Orleans, éloigné de nostre personne & de
nos Conseils ledit Cardinal Mazarin, & fait retirer de nostre
Royaume. Et n’ayant cessé de continuer ses practiques ordinaires,
commerce & intrigues auec aucuns de nos Sujets
ses amis & affidez ; & transport de nos Finances hors de nostre
Royaume, tant en especes que par lettres de change : Et
desirant y remedier, & donner le calme à tous nos bons &
fideles Sujets, de l’affection & obeyssance desquels nous
auons receu tant de signalez témoignages ; Et empécher les
mauuaises suittes qui en pourroient arriuer par le retour dudit
Cardinal Mazarin : NOVS A CES CAVSES, de l’Aduis
de la Reyne Regente nostre tres-honorée Dame & Mere, de
nostre tres-cher & tres-amé Oncle le Duc d’Orleans, de nostre

-- 7 --

tres-cher & tres-amé Cousin le Prince de Condé, & autres
Ducs, Pairs & Officiers de nostre Couronne, & de nostre
certaine science, plaine puissance & authorité Royale ; Auons
fait & faisons tres-expresses inhibitions & defenses audit
Cardinal Mazarin, ses Parens, Alliez & Domestiques estrangers,
sous quelque pretexte, cause, employ, alliance ou occasion
que ce soit, de rentrer dans nostre Royaume, Pays
& Terres de nostre obeyssance, ou estans sous nostre protection,
à peine d’estre declarez criminels de leze-Majesté, &
perturbateurs du repos public ; Et à tous Gouuerneurs de
nos Prouinces & Places, nos Lieutenans, Baillifs, Seneschaux,
Capitaines, Chefs & conducteurs de Gens de guerre, Preuosts
des Mareschaux, Maires & Escheuins de Villes, & autres
nos Officiers & Sujets, de luy donner retraite, ny entretenir
aucun commerce auec luy, par lettres, enuoy de Couriers
ou autrement : Et aux Generaux de nos Armées, de le
receuoir dans leurs Troupes, & à toutes personnes de luy enuoyer,
ou à aucuns de ses Parens, Alliez Domestiques, ou
autres qui l’auront suiuy directement ou indirectement aucuns
deniers en especes, par lettres de change, remise ou autrement,
sous quelque pretexte que ce soit, aux peines portées
par nos Ordonnances, à la reserue de deux personnes
qu’il nommera à nostredite Cour, pour l’administration de
ses affaires. Voulons en outre lesdits Arrests de nostredite
Cour de Parlement de Paris, des 7. & 9. Fevrier, 11. Mars,
2. & 8. d’Aoust derniers, ensemble ceux de nos autres Parlemens
des 15. 20. & 23. dudit mois de Fevrier, huictiéme,
dixiéme, vingtiéme, vingt-deuxiéme & dernier dudit mois
de Mars ; estre executés selon leur forme & teneur, & le procez
fait & parfait à tous ceux qui y auront contreuenu.

 

Declaration du
Roy, portant deffenses
au Cardinal
Mazarin, ses
parens, alliez, domestiques
& estrangers,
de rentrer
dans ce Royaume :
Et à tous
Officiers & autres,
de les y
souffrir.

SI donnons en mandement à nos amez & feaux Conseillers,
les Gens tenans nosdites Cours de Parlemens, Que ces
presentes ils fassent lire, publier & enregistrer ; & à tous les
Gouuerneurs de nos Prouinces & Places, Generaux de nos
armées, Lieutenans Generaux, Baillifs, Seneschaux, Capitaines,
Chefs & Conducteurs des Gens de guerre, Officiers
de nos Armées, Preuosts des Mareschaux, Maires & Escheuins,

-- 8 --

chacun en droict soy, de tenir la main à l’execution des
presentes, selon leur forme & teneur : CAR tel est nostre
plaisir. Et afin que ce soit chose ferme & stable à tousiours,
nous auons signé ces presentes de nostre main, & y auons
fait mettre & apposer nostre seel. DONNÉ à Paris au
mois de Septembre l’an de grace mil six cens cinquante-vn ;
Et de nostre Regne le neufiesme, Signé LOVIS ; Et plus
bas, Par le Roy, la Reyne Regente sa Mere presente, DE
GVENEGAVD.

 

Du Vendredy vingt-neufiesme Decembre mil six
cens cinquante-vn, du matin.

CE jour la Cour, toutes les Chambres assemblées, les
Gens du Roy, Maistre Omer Talon Aduocat dudit
Seigneur, portant la parole ; ont dit auoir receu ordre de
presenter les Lettres de Cachet du Roy, dont la teneur ensuit.

DE PAR LE ROY.

Nos amez & feaux, ayant appris ce qui s’est passé le Mercredy
vnziesme de ce mois dans vostre Compagnie, & que
vous auiez deliberé qu’aucuns des Presidens & Conseillers
d’icelle, nous viendroient trouuer pour nous donner part de
vostre deliberation, sur les choses qui s’y estoient proposées ;
Nous auons estimé qu’en l’estat present de nos affaires, & que
le Royaume est agité de diuerses factions & mouuemens qui
en trouble le repos, comme chacun le voit : Il estoit de nostre
seruice de vous en faire peser les consequences, & vous dire ;
Que nous voulons que vous ayez à differer l’enuoy de vos
Deputez vers Nous, d’autant plus que nous vous auons si
souuent fait entendre nos volontez & intentions sur ce sujet ;
ausquelles nous ne pouuons rien adjoûter, sinon que nous
n’obmettons aucune chose de ce qui peut donner le repos &
le calme à nostre Estat, si n’y faites faute : CAR tel est nostre
plaisir. DONNÉ à Poictiers le vingt-vniesme Decembre

-- 9 --

mil six cens cinquante-vn : Signé LOVIS ; Et plus bas,
DE LOMENIE. Fait en Parlement l’an & jour susdit.

 

Du Mercredy vingt-quatriesme Ianuier mil six
cens cinquante-deux.

CE jour, toutes les Chambres assemblées, Monsieur le
Duc d’Orleans y estant, Monsieur le President de Belliévre
a dit à la Cour, les Gens du Roy presens ; Qu’en suitte de
l’Arrest du vingt-neufiesme Decembre dernier, il se rendit à
Poictiers auec Messieurs les Conseillers Deputez le neufiesme
de ce mois ; qu’ils furent aduertis le lendemain de la part du
Roy, qu’ils auroient Audiance le iour suiuant, auquel ils
trouuerent ledit Seigneur Roy dans la Chambre de la Reyne
assis, & ladite Dame Reyne prés de luy ; d’vn costé Monsieur
de Chasteauneuf, & de l’autre Monsieur le Garde des
Sceaux ; derriere estoient Monsieur le Mareschal de Villeroy,
les Sieurs de la Vieuville Sur-Intendant des Finances, &
de Villequier, Capitaine des Gardes : dans la Chambre, les
quatre Secretaires d’Estat, & trois ou quatre autres personnes
de qualité : Ledit Sieur President de Belliévre a dit
au Roy.

Que ce n’est pas auec des simples respects, ny auec des
soûmissions toutes seules, que les Sujets s’acquittent de ce
qu’ils doiuent à leur Souuerain ; Que par les seruices qu’ils
rendent dans les differens emplois qui leur sont donnez, ils
témoignent bien mieux & plus vtilement leur zele & leur
fidelité.

Que la liberté de parler (que les Roys predecesseurs de
Sa Majesté, & les Loix de l’Estat ont donné à son Parlement)
est sans doubte plus agreable & plus necessaire, que
ne seroit l’obeïssance la plus soûmise, & le silence le plus respectueux.

-- 10 --

Que le silence seroit criminel, où l’obligation de parler
est si pressante ; que sans manquer à ce que la Compagnie deuoit
à Sa Majesté, elle n’auroit pû differer plus long-temps
de l’aduertir de quelle importance il luy estoit de tenir le Cardinal
Mazarin esloigné, non seulement de ses Conseils, & de
toute l’estenduë des Terres de son obeïssance, mais aussi des
Frontieres de son Estat, d’où l’on luy a veu exciter tant de
tempestes.

Que l’on pouuoit dire, qu’il n’y a rien en quoy la veritable
authorité de Sa Majesté, & le repos de ses Sujets, se trouuent
plus interessez qu’en ce retour, dont le bruit espandu
trouble toutes ses Prouinces, qui ne peuuent sans vne extrême
apprehension, voir reuenir vn homme que Sa Majesté a
si publiquement condamné, & contre lequel tous les bons
François s’esleuent comme contre leur ennemy commun, la
seule cause, le seul pretexte de la desolation, dont cét Estat
est menacé.

Que ce retour est vne action tellement contraire à la volonté
de Sa Majesté, si precisement declarée touchant sa personne
& sa conduite, que ce seroit vn sujet de reproche eternel
à tous ceux qui ne s’y seront pas fortement opposez. Aussi
ce conseil n’a pû estre donné que par des gens, qui preferent
leurs interests particuliers & la vaine imagination de leur
fortune domestique, à la gloire de Sa Majesté, & à la tranquilité
de ce Royaume.

Qu’apres la Declaration du sixiéme de Septembre dernier,
quand le Cardinal Mazarin auroit toutes les qualitez de la
sagesse, du sçauoir & du bon-heur, il seroit honteux de l’appeller
dans les Conseils, & dangereux de s’en seruir. Qu’il y
auroit de la honte, qu’au premier & plus puissant Royaume
du monde, qu’en la France remplie de tant de grands hommes,
de tant de capables & d’illustres Sujets, & de reputation
entiere, l’on se vit encore assujetty au Ministere d’vn Estranger,
pour qui l’on n’a plus de respect ny d’est me, & à qui
l’on peut iustement reprocher tant de fautes, & de si malheureux
Conseils, que ceux pour lesquels Sa Majesté l’a legitimement

-- 11 --

condamné.

 

Et que sans doute il y auroit du danger de luy confier encore
le secret & le gouuernement de l’Estat, s’il est veritablement
coupable. Et si l’on se le pouuoit encore figurer
innocent, il n’y auroit pas moins d’inconuenient d’exposer
toute la France au ressentiment de sa vengeance.

Que les Sujets de Sa Majesté commençoient à gouster
quelque repos, qu’ils s’imaginoient estably par les deux
Declarations, auec lesquelles ils auoient veu finir la Regence
de la Reyne, & commencer heureusement les premiers
iours de sa Majorité. Que nostre mal-heur troublant l’effet
de la derniere, auoit partagé quelques sentimens ; mais que
la foy de l’autre Declaration se trouuant violée par le retour
du Cardinal Mazarin, l’on auoit grand sujet de craindre de
voir les affaires portées dans vne estrange confusion.

Que celuy que Sa Majesté a condamné comme coupable
par vne Declaration si solemnelle & si publique, entre
dans son Royaume, & comme en triomphe a trauersé toutes
ses Prouinces ; Que par cette entrée l’authorité de Sa Majesté
se trouue blessée, sa parole Royale mesprisée, sa Declaration
aneantie, c’est vn desordre dont les suites ne peuuent estre
que funestes.

Et quand ce seroit vn pur mal-heur au Cardinal Mazarin,
d’estre consideré comme l’autheur, & la seule cause des diuisions
qui troublent cét Estat, il est important qu’il en demeure
esloigné, puisque sa presence suffit pour renouueller les
maux qui sembloient s’appaiser, en faire naistre de nouueaux,
& reduire quasi au desespoir ses Sujets les plus qualifiez, les
plus zelez, & les plus fidelles.

Les émotions que l’on remarque dans les esprits, donnent
lieu de tout apprehender des miseres extrémes que peut produire
ce retour ; mais que ledit Seigneur Roy y peut encore
pouruoir par vn seul mot, vn ordre de Sa Majesté, pour l’esloignement
du Cardinal Mazarin, & de ceux qui sont dans ses
interests. Sa parole Royale, pour l’entretenement de la Declaration
publiée contre luy, peuuent encore calmer les esprits

-- 12 --

& preuenir les maux, ausquels peut estre à l’aduenir, inutillement
l’on tentera d’apporter le remede.

 

Que ce sont les considerations que lesdits Sieurs Deputez
ont estimé deuoir faire entendre à Sa Majesté, pour
le salut de laquelle, & à la felicité de son Regne, ils l’ont
asseuré que ladite Cour contribuera de tout son pouuoir.

Le Roy dit ausdits Sieurs Deputez, qu’il vouloit communiquer
auec la Reyne & son Conseil, & puis qu’il leur
feroit response. Ils se retirerent dans la Chambre de
Monsieur le Duc d’Anjou, & peu de temps apres mandez,
ledit Seigneur Roy leur dit ; Que Monsieur le Garde des
Sceaux leur feroit entendre sa volonté, ce qu’il fit à l’instant
en ses termes.

MESSIEVRS, le Roy m’a commandé de vous dire ;
qu’il est assez persuadé, que la resolution que la
Compagnie a prise, de luy enuoyer des Deputez, est vn
effet de l’honneur qu’elle veut rendre à sa Majesté, & du
desir qu’elle a de contribuer tout ce qui sera en son
pouuoir.

Si dans les termes les plus difficiles des siecles passez, le
Parlement a tousiours rendu des preuues de son affection
enuers l’Estat, comme les actions se suiuent, & que le mesme
esprit les anime, aussi s’asseure-t’on, que quelque rencontre
qui puisse suruenir, il resmoignera tousiours son inuiolable
fidelité.

Il est bien que cette premiere Compagnie du Royaume
donne tousiours exemple à tous les peuples de soûsmission
& d’obeïssance.

Elle n’a pas sceu que M. le Cardinal Mazarin a receu
les ordres de sa Majesté, pour faire des leuées de Gens
de guerre.

Elle n’a pas sceu qu’il luy a esté commandé d’entrer en
France, & d’amener ses trouppes, afin de s’en seruir à fortifier
l’Armée du Roy, & aller plus promptement combattre
les rebelles.

-- 13 --

Et ainsi elle a exercé à l’encontre de luy la seuerité des
Loix, comme ceux qui violent les ordres publics.

Encore que d’exposer sa vie en proye, & de permettre
de le prendre vif ou mort, soit vn procedé tout extraordinaire,
sans exemple, & dont vous iugez assez les
consequences.

Mais maintenant qu’elle apprendra par vous, MESSIEVRS,
les ordres qu’il a receu, & tout ce qui s’est passé depuis,
on se peut promettre qu’elle diminuera beaucoup de cette
premiere rigueur, & qu’elle joindra ses forces auec celles
de Sa Majesté, pour disposer toutes choses à ce calme si desiré
d’vn chacun, & si necessaire à tous.

Il demande instamment de se iustifier ; surquoy le Roy
prendra ses resolutions, qu’il fera bien-tost sçauoir à la
Compagnie.

Autrement il resteroit à Sa Majesté, & à vous aussi sans
doute, vn extréme regret, que le mesme esprit ne se
trouuast pas en celuy qui commande, & en ceux qui doiuent
obeyr.

Elle sçait bien que ce n’est pas assez que les Loix soient
iustes, si la Iustice d’icelles n’est reconnuë par ceux qui y doiuent
estre soûmis, & qui les doiuent executer.

Mais il importe de ne se mesconter pas ; & que ceux qui doiuent
enfin ceder, n’entreprenent pas de l’emporter par vne
fermeté apparente & extraordinaire, puisque en ce rencontre
la Majesté seroit violée, & tous les liens de soûsmission
rompus.

Vous continuerez donc d’honnorer vostre Souuerain,
non seulement en paroles, mais par effects, comme vous
auez accoustumé.

Toutes les parties demeureront jointes à leur tout,
puisque c’est le moyen le plus asseuré pour maintenir l’authorité
Royale en son entier.

Ses bons Officiers, comme vous, auront part à sa gloire,
& il leur tesmoignera en toutes occasions les marques
de sa bien-veillance.

-- 14 --

Firent tres-humbles Remonstrances, se retirerent, &
partirent le lendemain, & arriuerent en cette ville de Paris
Dimanche dernier. FAIT en Parlement l’an & iour
susdit.

-- 15 --

Du Mercredy vingt-huictiesme Fevrier, mil six
cens cinquante deux, du matin.

CE iour, la Cour toutes les Chambres assemblées, Monsieur
le Duc d’Orleans y estant, present les Gens du Roy,
a esté fait lecture de la Lettre de Cachet du Roy, contenuë au
Registre du iour d’hyer ; Apres laquelle lecture ledit Seigneur
Duc a dit, apres auoir oüy la lecture d’vne Lettre de Cachet du
22. dudit mois, & les Conclusions de Messieurs les Gens du
Roy ; Qu’il auoit plusieurs fois declaré à la Compagnie, que
l’Armée que commande Monsieur le Duc de Nemours n’estoit
composée que de naturels François, & d’Allemans, Lorrains
& Liegeois, qui tous auoient fait serment au Roy, sous
son Authorité, sans qu’il y eust aucun Espagnol, ny Italien dãs
lesdites Trouppes. Qu’il pouuoit bien estre qu’vne partie d’icelles
auoit esté quelques années precedẽtes à la solde du Roy
Catholique, mais que dés lors que le C. Mazarin, pour l’expulsion
duquel hors du Royaume il les a fait entrer en France, en
seroit dehors, qu’elles se mettroiẽt à la solde du Roy, si sa Majesté
l’auoit agreable : Et que cõme il a protesté à la Compagnie
qu’il n’auoit pris les Armes, que pour maintenir les parolles
Royales de sa Majesté & ses Declarations, & pour l’execution
des Arrests de la Compagnie, qu’il les poseroit aussi à l’instant
que les Declarations & Arrests seroient executés, & que ledit
Cardinal seroit hors du Royaume. Et que si le Roy n’auoit agreable
de se seruir desdites trouppes, qu’il donnoit sa foy &
sa parolle de les faire aussi-tost sortir de France. Qu’à l’esgard
de celles qui sont sous son Nom, celuy de Monsieur le Duc de
Vallois son fils & les autres qui s’y sont joinctes, & qui sont
à present commandées par Monsieur le Duc de Beaufort ;
Qu’ayant esté conuié par la Compagnie à employer l’authorité
du Roy, & la sienne, pour empescher l’entrée & le restablissement
dudit Cardinal, il auoit esté obligé non seulement

-- 16 --

de les mettre ensemble, mais aussi de les fortifier du secours
que luy amenoit Monsieur le Duc de Nemours, pour
faire vn corps d’armée considerable, & effectuer ce que la
Compagnie l’auoit conuié de faire ; Que tant que ledit Cardinal,
qui auoit toute l’authorité à la Cour, qui est maistre de
la personne du Roy, & qui se sert de son nom & de ses forces
pour authoriser ses violences, seroit dans le Royaume, qu’il
n’y auoit rien de si naturel, ny si legitime, que de pouruoir à
sa seureté, & particulierement à celle de toute la Maison
Royale, dont ledit Cardinal auoit iuré l’entiere destruction.
Que toutes les Compagnies Souueraines du Royaume qui
l’ont si solemnellement condamné, ne deuoient pas attendre
vn meilleur traittement de luy. Et qu’ainsi c’estoit vn interest
commun que celuy de pouruoir à sa deffense cõtre vn ennemy
public ; mais qu’il protestoit derechef à la Compagnie de
poser les armes à l’instant qu’il sera hors du Royaume, & que
lesdites Declarations & Arrests auront esté executez, n’ayant
autre interest que celuy-là seul, non plus que tous ceux qui se
sont joincts en la mesme cause. Ce qu’il protestoit de nouueau
tant pour eux, que pour luy à la Compagnie : & qu’il fust fait
Registre de sa presente declaration, apres laquelle il ne
croyoit pas qu’il y eust sujet de faire aucune deliberation
sur ladite lettre de cachet, qui n’est qu’vn ouurage dudit
Cardinal, & de quelques vns de ses emissaires.

 

-- 17 --

ET Maistre Omer Talon Aduocat du Roy a dit ; Qu’apres
auoir entendu la lecture de la Lettre du Roy, & oüy ce
qu’il a pleû à son Altesse Royale de representer à la Cour, que
nous ressentions la continuation de nos maux procedans du
retour du Cardinal Mazarin, & du seiour qu’il fait proche
la personne du Roy & dans ses Conseils ; Que comme il n’y
auoit aucun homme de bien qui peust souffrir sans importance
& sans indignation la mauuaise conduitte d’vn Ministre
decrié, qui mettoit le trouble dans le Royaume, & l’Estat au
hazard d’estre ruїné, aussi personne ne pouuoit reuoquer en
doute les Ordres publics, sous la foy desquels subsiste la
Royauté, & sur le fondement desquels les Sujets du Roy peuuẽt
esperer la tranquillité publique : Sçauoir est, qu’il n’appartient
à qui que ce soit de leuer des Trouppes dans le Royaume
sans Commission du Roy ; & que de faire entrer des
Estrangers en corps d’Armée contre sa prohibition, est vn
crime de leze-Majesté ; Que nous supplions la Compagnie de
faire cette reflexion qu’en l’année 1615. Monsieur le Prince
de Condé se plaignit du Gouuernement de l’Estat, & de l’authorité
que le Marquis Dancre y auoit vsurpée ; sur quoy
des Remonstrãces ayans esté faites au Roy de viue voix &
par escrit, & n’ayant esté rien auancé, Monsieur le Prince se
retira de la Cour, & donna des Commissions pour leuer des
Troupes, sous le tiltre du seruice du Roy & du bien public : Et
quoy que le Manifeste de M. le Prince ne fut autre chose que
la repetition des Remonstrances du Parlement, & l’aduersion
de tous les Peuples contre le Mareschal Dancre ; neantmoins
le Parlement registra les Lettres du Roy, qui condamnoient
les Armes de Monsieur le Prince, parce que les choses iustes
doiuent estre souhaittées par des voyes legitimes, & qu’il est
contre la parole du Fils de Dieu, de pretendre de faire vne
bonne action par vn moyen qui soit deffendu & iniuste : Il
faut donner aux Souuerains quelque sorte de latitude dans
le Gouuernement de leurs Estats ; attendre que Dieu leur
frappe les cœurs & les conduise, & non pas par violance leur
arracher ce que l’on desire d’eux. Et de faict les Armes de

-- 18 --

Monsieur le Prince ayans esté condamnées en l’année 1616.
chacun sçait ce qui arriua au mois d’Auril 1617. en la personne
du Mareschal Dancre, qui donna le repos à la France, &
conserua l’Authorité du Roy toute entiere ; Que nous auions
en ce rencontre à aprehender quelque fâcheux éuenement
de quelque costé que le sort des Armes tombast, & que les
voyes de l’acommodation d’vn pour-parler & vne Conference
seroient souhaitables, dans lesquelles mettant pour
principe & pour necessité de la Conclusion, la retraitte du
Cardinal Mazarin en quelque sorte & maniere que ce soit,
voulut la faire executer, & auec telles causes & telles precautions
que sa Majesté le souhaitteroit : C’estoit la seule voye
de preparer quelque cessation des miseres publiques du
Royaume, Que pour cela nous pensions qu’en attendant la
perfection des Remonstrances qui doiuent estre redigées par
escrit, la Cour pouuoit escrire au Roy ; & apres luy auoir
offert le seruice, l’obeyssance, & l’entremise de la Compagnie,
luy faire entendre l’extremité des maux dont
son Estat est affligé par les Armes de Monsieur le Prince
dans la Guyenne, par celles qui sont aupres de sa personne,
ou que commande le Cõte d’Arcourt : par celles que conduit
le Duc de Beaufort, & par les dernieres, nouuellement entrées
dãs le Royaume, tous lesquels desordres ne peuuent estre imputez
qu’au retour du Cardinal Mazarin, & au seiour qu’il fait
prés sa Majesté, & à l’entrée qu’il a dãs ses Conseils, & desquels
desodres il est difficile d’esperer la cessatiõ, sinon par la retraite
& l’expulsion dudit Cardinal, lequel en effect est non seulement
le pretexte, mais l’occasion & la cause veritable de tous
les maux dont nous sommes affligez : Mais outre cette proposition,
nous auõs creu estre obligez d’en faire vne autre à la
Compagnie, qui peut produire la haine, ou du moins obliger
le Cardinal à s’esloigner lors qu’il sera attaqué dans son fort,
& dans le lieu d’vne retraite qu’il estime luy estre indubitable,
sçauoir la Cour de Rome : car nous sommes informez
qu’au mois de May dernier, ayant escrit au Pape, & s’estant
plaint à sa Saincteté des Arersts contre luy rendus en cette
Cour, entr’autres d’iceluy, qui porte qu’il luy sera couru sus,
s’il ne quitte le Royaume, il voulut exciter sa Saincteté de

-- 19 --

s’irriter contre les Ordres publics, & donner des Censures
Ecclesiastiques contre ceux qui en estoient les Autheurs ;
ce qui ne luy succeda pas aduantageusement, parce que par
la responce qui luy fut faite, & de laquelle nous auons la copie :
Le Pape par effect s’est moqué de luy ; & luy remonstrant
sa condition Ecclesiastique, & les grands honneurs & dignitez
qu’il a receu de la France, il luy conseille de la laisser en
repos, & de preferer la trãquillité à son interest particulier : de
sorte que si le Parlemẽt vouloit escrire à nostre S. Pere le Pape,
& luy faire entendre l’estat present des affaires publiques,
la contrauention faite par le Cardinal Mazarin à la Declaration
du Roy registrée en cette Cour le 6. Septembre dernier,
par laquelle il peut estre poursuiuy extraordinairement,
condamné & executé par effigie, cessant le respect que la
Compagnie veut porter à sa Saincteté, & au sacré College,
pour la reuerence du quel elle n’a voulu faire aucunes procedures,
suppliant sa Saincteté d’interposer son Authorité, &
sa bonté Paternelle pour retirer ledit Cardinal à Rome, & à
faute d’y obeyr, le dégrader de l’honneur du Cardinalat ; Que
si il manque de satisfaire aux Ordres qui luy seront enuoyez,
le Parlement suppliera sa Saincteté de trouuer bon
qu’il vse des remedes qui sont entre ses mains, & que la puissance
Royale luy a communiqué, pour purger le Royaume
d’vn Ennemy public. Mais apres auoir témoigné tout ce qui
peut faire cõtre la personne qui trouble l’Estat, nous sommes
obligez de trauailler à maintenir l’Authorité du Roy, empescher
que qui ce soit ne la veuille vsurper, que le droict de
faire la Paix ou la Guerre est vn droict Royal, incommunicable
à toute sorte de personne de quelque qualité qu’il puisse
estre ; Que leuer des Gens de guerre, donner des Commissions
pour cét effect, introduire vn Corps d’Estrangers, non
seulement sans la participation, mais contre les ordres du
Roy, est vne chose qui n’a iamais esté approuuée dans cette
Compagnie, laquelle est en possession de resister quelquesfois
aux volontez du Roy par Remonstrances, supplications
& autres voyes d’honneur, & non jamais par les
Armes, lesquelles Dieu a mise entre les mains des Souuerains ;
ce qu’il n’a jamais authorisé entre le mains des Sujets contre

-- 20 --

leur Souuerain. Ce que nous pensions deuoir representer
à la Cour en la presence de Monsieur le Duc d’Orleans, qui a
tousiours donné par ses actions l’exemple de l’obeyssance,
afin que ce qui n’est arriué iamais dans cette Compagnie,
d’authoriser la rebellion & la guerre Ciuile, n’arriue pas en
rencontre, dans lequel la Compagnie demeurant dans son
deuoir, doit trauailler à l’expultion du C. Mazarin par
les voyes qui sont honnestes & legitimes, & qui sont conuenables
à sa condition, sans se departir des voyes de respect, &
l’exemple de la fidelité que nous deuons monstrer à tous les
Peuples ; Et ont esté les Conclusions dudit Procureur General
données, & desquelles la teneur ensuit. Ie persiste aux
Conclusions par moy prises de viue voix, & par escrit ; Et
requiers qu’il soit incessamment trauaillé aux Remonstrances
cy-deuant ordonnées ; Et attendu les necessitez vrgentes
de l’Estat, qu’il sera presentement escrit au Roy pour offrir le
seruice, obeyssance & entremise de la Compagnie, & faire
ouuerture de quelque Conference d’aucuns Deputez d’icelle,
en l’occasion du peril present de l’Estat. Et pour remonstrer
audit Seigneur Roy, que le sejour du C.
Mazarin prés de sa Personne & dans ses Conseils, est la cause,
la matiere, & le pretexte de tous les maux dont l’Estat est
affligé, & de la suittte de plus grands dont il est menacé ; Et
que l’esloignement dudit Cardinal est le plus prompt & le
seul remede pour y paruenir : Et qu’outre sous le bon plaisir
du Roy, il sera escrit à nostre sainct Pere le Pape, pour le prier
d’auoir esgard aux mal-heurs de la France, & de la Chrestiẽté,
& d’interposer son Authorité pour rappeller ledit Cardinal
Mazarin, & le faire sortir hors le Royaume, & cependant
requiers que les Ordonnances du Royaume seront gardées
& obseruées pour la leuée & conduitte des Gens de guerre :
Deffenses à toutes personnes de quelque qualité & condition
qu’elles soient, sous quelque pretexte qui ce puisse estre,
d’y contreuenir sous le peines portées par icelles ; Et que tant
sur mes precedentes que sur les presentes Conclusions, il sera
deliberé toutes autres affaires cessantes. Signé FOVQVET,
Fait en Parlement an & iours susdit.

 

-- 21 --

Du Samedy vingt-troisiéme Mars 1652.
du matin.

CE iour la Cour, toutes les Chambres assemblées, Monsieur
le Duc d’Orleans y estant, ayant deliberé sur ce qui estoit à
faire concernant les Remonstrances dressées, desquelles lecture
fut faite au dernier iour ; & sur les Conclusions du Procureur General,
A ARRESTÉ & ordonné que lesdites Remonstrances
seront portées au Roy par Monsieur le President de Nesmond ; &
Messieurs le Musnier, Benoise, Bitault, Lotin & Charpentier
Conseillers que ladite Cour a deputez, lesquels n’auront aucun
commerce auec le Cardinal Mazarin directement ny indirectement,
& desquelles Remonstrances la teneur en suit.

TRES-HV MBLES REMONSTRANCES
par écrit faites & presentées au Roy par
Messieurs du Parlement de Paris en la Ville de
Sully sur Loire.

Contre le retour, & pour l’esloignement ou la punition
du Cardinal Mazarin.

SIRE,

La Declaration de Vostre Majesté, qui bannissoit pour jamais
de son Royaume & pays de son obeyssance le Cardinal Mazarin,
ayant precedé d’vn iour la seance que Vostre Majesté prit
en son Lict de Iustice pour sa Majorité, ne nous pouuoit pas permettre
de douter de la fermeté d’vn acte si solemnel, que Vostre
Majesté faisoit volontairement auec tous ses Sujets à la veuë de
toute la France.

Nous, qui estions depositaires de la foy publique, eussions creû
commettre vn crime de nous en deffier, lors que nous apprismes
bien-tost apres que le Cardinal Mazarin employoit tous les artifices

-- 22 --

qui luy sont ordinaires, & faisoit de puissantes cabales
dans vostre Cour pour y reuenir, & se restablir dans l’authorité
qu’il auoit vsurpée durant vostre Minorité. Le dessein de cét
homme ambitieux luy a si bien reüssi, que joignant la force à la
surprise, il s’est approché de vostre personne, & a repris la conduitte
de vostre Royaume, contre les protestations qu’il a faites
dans ses Lettres de ne se mesler jamais d’aucune affaire d’Estat.

 

Sur l’aduis de cette entreprise, nous fusmes obligez d’aller au deuant
des mal-heurs qu’elle pouuoit produire, & resolûmes de faire
tres-humbles Remonstrances à Vostre Majesté, qui ne tendoient
qu’à representer les inconueniens qui arriueroient, & qui
en effet ont suiuy le mépris de vos Declarations, que nous tenions
pour loix inuiolables.

Nous eusmes grand sujet de joye, SIRE, lors que Vostre Majesté
nous fit entendre par sa Lettre ses intentions de maintenir
ses promesses Royales, nous asseurant qu’elles ne seroient jamais
violées ; mais bien-tost apres l’estonnement nous saisit, lors que
Monsieur le Duc d’Orleans nous fit l’honneur de nous dire que
le Cardinal Mazarin estoit dans Sedan, & auoit fait amas de gens
de guerre pour aller trouuer Vostre Majesté, sans qu’elle nous
eust fait la grace de nous faire sçauoir ses volontez sur vn sujet si
important. Nous ne pouuions croire qu’elles fussent portées à
rappeller celuy, contre lequel vos Declarations & les Arrests de
vostre Parlement subsistoient, confirmées par la Lettre que nous
venions de receuoir de Vostre Majesté.

A la verité, SIRE, nous auions bien de la peine à nous persuader
qu’on eust pû abuser de vostre signature, jusqu’à la faire
seruir en mesme temps à deux choses si contraires : l’vne d’asseurer
que le Cardinal Mazarin demeureroit pour jamais exclus de
vostre Royaume, l’autre de l’approcher de vostre personne. Vostre
Parlement la respecte trop pour douter de la sincerité de vostre
écrit, l’asseurance que nous en auions nous porta à donner
l’Arrest du 29. Decembre, ayant jugé que ce remede estoit necessaire
pour arrester vn mal-heur extréme, & qu’il n’y auoit point
de plus forte barriere pour fermer le passage au Cardinal Mazarin,
que de luy donner apprehension de sa vie, estant permis d’en
vser de la sorte contre les perturbateurs du repos public, qui se
couurent de la puissance contre la Iustice : sur tout lors que nous
deuions croire que les progrez du Cardinal Mazarin dans vostre
Estat estoient vn pur attentat contre vos deffenses, & plustost le
témoignage de son desespoir qu’vne execution de vos ordres ;

-- 23 --

personne ne pouuant s’imaginer qu’il fust capable de vous surprendre
par les importunitez de ceux qui solicitoient son retour
pour leurs interests particuliers, au prejudice de ceux de vostre
Estat.

 

Nous n’auons appris, SIRE, que par le rapport de nos
Deputez le changement de ces resolutions, qui remplira
d’estonnement l’Europe comme elle a desia fait toute la
France, & nous a obligez à donner Arrest, Que tres humbles
Remonstrances seroient faites par écrit à Vostre Majesté
pour la décharge de nos consciences, & que la posterité
voye dans les mouuemens publics jusques où s’est porté nostre fidelité
pour vostre seruice.

N’ayant point estimé qu’il nous fust loisible de demeurer seulement
spectateurs de la desolation qui menace vostre Royaume.
Nous vsons de ces mots, non par vne simple preuoyance, mais par
vne connoissance éuidente, qui nous fait voir que Monsieur le
Duc d’Orleans & tous les Princes de vostre Sang ont pris les armes
pour empécher qu’vn homme incapable ne s’empare de vostre
Personne & de vos affaires, pour mettre vostre Royaume en
proye, & rendre vos Sujets les plus mal-heureux de la terre.

Ayez agreable, SIRE, que nostre fidelité vous donne aujourd’huy
des preuues de son zele & de sa fermeté. Nous ne les
pouuons rendre plus certaines qu’aportans à Vostre Majesté la
verité, qui est le plus riche & le plus vtile present que les Sujets
puissent faire à leur Souuerain. Sur tout, si cette verité vous retire
non seulement des apparences qui vous surprennent, mais du
peril qui vous menace. Cette consideration qui nous touche si
sensiblement, en mesme temps releue nos courages pour les porter
à la recherche de vostre gloire, de laquelle dépend celle de
nos charges. Nous la perdrions, SIRE, si Nous dissimulions plus
long-temps ce que nous auons obserué en la conduite du Cardinal
Mazarin, & si ayant jugé apres vne serieuse deliberation, qu’il
est indigne d’estre aupres de vostre Personne, qu’il est d’vn pernicieux
exemple dans vostre Cour, & qu’il est incapable de gouuerner
vos affaires ; Nous supplions tres humblement Vostre
Majesté de faire les reflexions necessaires sur les choses que nous
auons à luy representer.

Nous commencerons par la plus importante, & qui touche plus
viuement nos cœurs, à sçauoir, par le soin que Dieu commande
d’auoir pour vostre sacrée Personne. A cét effet qu’il vous plaise
éloigner le Cardinal Mazarin pour plusieurs considerations, principalement,

-- 24 --

parce qu’il est homme sans foy, & qui veut establir la
perfidie par des maximes abominables, dont les autheurs doiuent
estre escartez d’aupres les personnes des Roys, veu qu’elles tendent
à dissoudre l’vnion qui doit estre entre le Prince & ses Sujets ;
& par consequent vont à la destruction des Monarchies ;
estant impossible qu’elles se conseruent si on rompt les liens de la
societé ciuile, & se priuent des moyens de maintenir son credit
parmy ses amis, & de se reconcilier auec ses ennemis. Nous dirons
dauantage, que si par vne corruption generale la verité & la bonne
foy se trouuoient bannies de la conuersation & du commerce
des hommes, les Princes seroient obligez de les garder, non seulement
parce que leur reputation vient principalement de ces
vertus Royales, mais à cause qu’il leur seroit impossible de traiter
auec les Estranges soit de paix ou de guerre.

 

François I. vn de vos predecesseurs, lors qu’on luy voulut persuader
de faire arrester l’Empereur Charles-Quint, qui prenoit
son chemin sur la seureté d’vn passe-port, répondit à ses mauuais
Conseillers, Il faut que les Roys qui ne sont point arrestez par la
crainte des loix & des vengeances humaines, soient retenus par
l’estat qu’ils doiuent faire de leurs promesses, lesquelles ils sont
obligez d’executer, quand tout le reste du monde s’en seroit dispensé.

En effet, SIRE, vostre Majesté jugera bien qu’à l’heure mesme
qu’vn Monarque, qui ne peut estre contraint par les voyes
de Iustice, vient à mépriser sa parole, il ne sçauroit faire vne perte
plus notable que la creance qui tient les cœurs doucement attachez,
dans lesquels vn Prince sans foy ne regne plus. Mais les plus
detestables & dangereux Fauoris des Roys, sont ceux qui apres
leur auoir conseillé d’vser de perfidie, pour se déméler de quelques
rencontres fascheuses, sont assez malicieux pour la vouloir
establir par des maximes generales, & sont si audacieux de les
rendre publiques. Le Cardinal Mazarin qui les a pratiquées, les a
aussi enseignées, en disant plusieurs fois, que la bonne foy ne
doit estre en vsage que parmy les Marchands ; Que l’honneste
homme n’est point esclaue de sa parole, & qu’il n’y a point de
danger de mentir, pourueu que le mensonge ne soit connu qu’apres
qu’il a reüssi. Si ces damnables leçons entrent dans l’ame
d’vn Prince de vostre âge, quels remedes trouuerons-nous à vne
guerre ciuile ou estrangere ? Qui seroit l’ennemy qui se fieroit
à vne paix signée ? Qui seroit le sujet qui se tiendroit asseuré
du pardon, & qui s’appuiroit sur vne amnistie ? N’est-ce pas le

-- 25 --

moyen pour rendre les guerres eternelles & les reuoltes desesperées ?

 

Nous pouuons donc, sans perdre le respect qui est deu à nos Roys,
& sans violer l’obeyssance que nous auons jurée, prendre toutes sortes
de voyes legitimes, qui les pourront obliger à éloigner ces esprits
pernicieux, qui mesurent la durée des Empires à celle de leur credit ;
estant chose certaine, que sans la bonne foy il n’est pas seulement
impossible de regner sur les hommes, mais de viure parmy les hommes :
d’où vient qu’vn Sage disoit auec beaucoup de raison ; Que celuy
qui a renoncé à la bonne foy, n’a rien plus à perdre, estant asseuré
qu’ayant rompu le nœud de la societé, ou vie ciuile, il est de pire condition
que n’est celuy qui est priué de la naturelle.

Voila, SIRE, ce que le Cardinal Mazarin a souuent voulu faire
par méchans conseils, & paroles scandaleuses. Mais nous pouuons
asseurer que sa perfidie n’a iamais paru auec tant d’imprudence,
que lors qu’il vous a fait écrire que vostre intention estoit
de maintenir vos Declarations, & s’approchoit à mesme temps en
vertu d’autres Lettres exigées de vostre Majesté. En quoy nous pouuons
dire qu’il a tellement surpris sa bonté, que nous oserions asseurer,
que celuy qui tantost par sa colere, & tantost par sa peur, a
souuent blessé vostre authorité, ne luy a jamais fait vne playe si
mortelle ; il a creu qu’il la gueriroit, lors qu’il a fait publier par les
siens, ou inseré dans vne Declaration qu’il a dressée luy-mesme, &
tient encore cachée, que vostre Majesté auroit esté forcée d’accorder
celle qui le traite comme autheur de la continuation de la guerre,
des pirateries, & de tous les desordres de vostre Royaume. Mais
il ne peut alleguer cette pretenduë violence faite par des Sujets à
leur Souuerain, sans des-honnorer vostre Conseil, & accuser le peu
de soin, que la Reine vostre Mere auoit pris pour maintenir vostre
authorité.

SIRE, vos Declarations ont esté données aux instances de Monsieur
le Duc d’Orleans, & à nos tres-humbles supplications : Nous
pouuons protester que nous les auons obtenuës en la mesme façon
que l’on fait les graces de Dieu, qui par prieres & larmes se laisse
vaincre à ses creatures pour accorder leurs demandes.

Si l’ignorance du Cardinal Mazarin ne luy a pû permettre de faire
reflexion sur la justice de cette pensée, ou si sa malice a esté assez
grande pour la mépriser, que pouuons-nous attendre de bon pour
vostre Majesté & le repos public, de celuy qui a voulu prendre vne
qualité inouye en France de Sur-Intendant de l’éducation de vostre
Majesté ?

N’auons nous pas sujet de craindre, lors que nous voyons que cét

-- 26 --

homme sans naissance, sans conduite, sans vertu, & principalement
sans foy, approche de vostre Majesté, maintenant qu’elle est en vn
âge, qui doit receuoir & retenir les impressions, qui luy seruiront à viure
en premier Roy de la Chrestienté Estant certain que vostre bonheur
& celuy de vos Sujets dépend des Conseils qui vous seront
donnez. Ainsi vos peuples jugeront, si nous auons raison de nous opposer
au restablissement de celuy, qui ne reuient que pour essayer
de donner attainte à vostre bon naturel.

 

Nous voyons aussi auec vn extréme déplaisir, que le Cardinal
Mazarin s’est rendu le plus fort, non seulement prés vostre Personne,
mais aussi dans vostre Maison, où plusieurs de ses suiuans & de ses
gardes paroissent armez ; ce qui n’auoit jamais esté souffert.

Nous auons encore remarqué ce qu’il a dit dans ses lettres, que
quatre ou cinq mil hommes, qui l’ont escorté estoient ses amis, & ses
troupes. D’où s’ensuit que vostre Majesté est en toutes façons és
mains des Estrangers, comme il est tres-certain, que s’estant rendu
dispensateur des charges militaires, & de toutes les charges, qui ne
sont conferées & distribuées qu’à ceux qui veulent dépendre de luy,
leur creance est, qu’ils ont toute l’obligation à celuy qui vous dépoüille
pour les reuestir, & refuse ceux qui ne veulent pas estre ses
Partisans.

SIRE, nous croyons qu’en cette rencontre il est loisible de nous
seruir de toutes voyes legitimes pour garantir vostre Personne des
entreprises sur vostre authorité, & vos Sujets d’oppression : nous sommes
asseurez que vostre Majesté ne veut pas ruyner son Royaume,
pour contenter vn Estranger, qui n’a rien de recommandable que sa
qualité de Cardinal, laquelle estant en luy vn present de la fortune, &
non pas vne recompense de la vertu, est vn ornement des-honnoré
par celuy qui en est reuestu.

Cette dignité qu’il n’a jamais meritée, ne le peut exempter de la Iustice
Souueraine que nous administrons par la puissance que nous tenons
de vostre Majesté : nous la deuons faire sentir à celuy qui s’est
voulu mesler de vos affaires, & qui s’est engagé par vne consequence
necessaire à rendre compte de sa conduite aux Iuges establis pour ordonner
la punition à tous ceux qui abuseront de vostre authorité,
troubleront le repos de vostre Royaume, & violeront les loix ausquelles
ils se sont soûmis.

Nous auons remarqué vn autre deffaut, qui doit exclure le Cardinal
Mazarin de vos Conseils pour la legereté qui paroist en ses resolutions,
& qu’il pourroit imprimer dans vostre ame les mesmes maximes
qu’il a tenuës dans la dispensation des bien-faits, & dans le

-- 27 --

choix qu’il a fait des personnes de toutes conditions, qu’il a aduancées
au prejudice de ceux qui le meritent, & sont plus capables de
vous seruir.

 

Nous auons aussi grand sujet de nous deffier, que le Cardinal
Mazarin ayant pris creance dans l’esprit de vostre Majesté, n’entreprenne
de luy communiquer ses passions pour le porter à poursuiure
ses vengeances. Nous n’ignorons pas que la coustume de ceux
qui ont acquis vn grand credit auprés des Princes, est de leur persuader
que les déplaisirs qui leur sont faits sont des entreprises sur l’authorité
souueraine, & mesme des tesmoignages d’auersion contre la
personne du Prince. C’est la pratique commune à tous les Fauoris
de faire croire aux Roys qu’on offense la personne de leurs Majestez
lors que l’on attaque leurs Ministeres ; les artifices du Cardinal Mazarin,
& la connoissance que nous auons du passe, nous font croire
qu’il n’en vsera pas mieux, & ainsi qu’il rendra des mauuais offices
à Monsieur le Duc d’Orleans, aux Princes du Sang, à vos Cours
Souueraines, à vostre bonne Ville de Paris, à vos principaux domestiques,
à la Noblesse, à vos Officiers, & à tous vos peuples ; ce
qui nourrira vostre Majesté dans vne continuelle defiance de ses
plus proches & de ses plus fidels seruiteurs, d’où viendront les ressentimens
des offenses, & les apprehensions qui altereront le repos
& la Paix de vostre Estat. Ces mal-heurs sont inéuitables, SIRE, si
Vostre Majesté ne renuoye celuy qui ne peut estre dans le pays &
terres de vostre obeyssance, sans y porter le trouble par son humeur
entreprenante, qui s’efforcera tousiours de faire croire à Vostre Majesté
que les plaintes contre l’insolence de sa fortune, sont des conspirations
contre vostre Estat.

Lors qu’il plaira à Vostre Majesté se faire instruire de tout ce qui
s’est passé durant vostre Minorité, elle trouvera que ce n’est pas le
Cardinal Mazarin qui a fait des merueilles pour vous, mais que Dieu
a fait des miracles pour vous garentir des perils, dans lesquels cét
homme peu sage auoit jetté vostre personne, vostre authorité, &
tout vostre Royaume.

Il ne suffit pas que les Roys s’arrrestent dans la consideration des
choses qui les touchent en particulier, estant enuoyez de Dieu pour
estre les Gouuerneurs & les Peres des Peuples qui leur sont commis ;
mais ils sont obligez d’esloigner tout ce qui peut corrompre les
mœurs de leurs Sujets, principalement de ceux qui ont l’honneur de
les approcher.

Ceux qui ont voulu dire que le Cardinal Mazarin n’auoit point
l’esprit porté à la cruauté, n’ont iamais consideré ny ce qu’il a fait

-- 28 --

pour entretenir les guerres & empescher la paix, ny la resolution
qu’il prit sans sujet de faire perir par la faim dans vostre bonne Ville
de Paris deux millions de personnes, ayant contraint la capitale de
vostre Royaume à prendre les armes pour sa deffense naturelle, &
pour chercher du pain ; ce qui donna à vos voisins vne tres-mauuaise
impression du Gouuernement de vostre Minorité ; toute l’Europe
ayant sceu que ce siege auoit esté entrepris par l’indignation
d’vn Estranger, qui vouloit faire finir par le plus cruel de tous les
fleaux de Dieu les Bourgeois de cette grande Ville.

 

Mais se falloit-il estonner si le Cardinal Mazarin estranger n’auoit
point de bien-veillance pour la France, dans laquelle il ne s’estoit arresté
que pour esleuer sa fortune aux despens de vos Sujets, Il les a
traittez en Barbares, s’estant imaginé qu’il les auoit conquis. Il s’est
seruy de l’industrie des Partisans, qui s’estant rẽdus ses tributaires, gardoient
pour vn temps ce qu’ils luy donnoient pour le faire valoir,
& luy rendre compte du principal qui estoit grand, & de l’vsure qui
estoit excessiue. Ainsi Vostre Majesté souffroit vn double larcin, &
vostre pauure peuple, qui payoit tout, estoit doublement surchargé.
Cét homme instruict par des mauuais François contre la France, a
continué cét infame trafic tant qu’il a esté en credit, ayant esté interrompu
par son absence, la passion des Partisans s’est imaginée qu’on
leur rauissoit ce qu’ils ne pouuoient plus desrober, & les a portez à se
rendre les plus ardans solliciteurs du retour de leur Protecteur.

La France a souffert ces desordres auec plus d’impatience en vn
Estranger, qui deuoit considerer que cette qualité luy commandoit
la retenuë & la discretion, qui esloignent l’enuie & la haine dont ordinairement
sont accompagnées les puissances arriuées à vne hauteur
demesurée ; personne ne pouuant voir, qu’auec extrême regret,
vn Sicilien se seruir sous vostre nom d’vne puissance absoluë, estant
dépourueu de tout ce qui est necessaire pour bien gouuerner vn
Estat.

Pour faire voir cette verité, nous n’alleguerons pas sa naissance parmy
vne nation ennemie de la nostre, & qui nous a fait sentir autres
fois sa fureur & sa trahison par les Vespres Siciliennes.

Mais nous sommes obligez de representer à Vostre Majesté sa mauuaise
conduite, lors qu’il a exercé les voyes de rigueur enuers vos Sujets
de toutes conditions, ayant fait emprisonner les Duc de Beaufort,
Mareschal de la Mothe, & le President Barillon, & transporté les deniers
hors du Royaume où il finit ses iours. Arrester & chasser plusieurs
Officiers de vos Cours Souueraines, causé les disgraces de ceux qui
auoient seruy & consolé la Reyne vostre Mere, troublé la joye publique

-- 29 --

d’vne Victoire remportée par vos Armes sur vos ennemis ;
enleué par deux fois Vostre Majesté auec peril de sa personne sacrée ;
fait dessein de saccager vostre bonne Ville de Paris remplie de tant
de milliers d’innocens ; ruїné le cõmerce, diuerty le fonds des Rentes,
desquelles beaucoup de pauures viuent, & qui font la meilleure partie
du bien de plusieurs riches ; mescontenté vos Alliez, mesmes les
Suisses, destournant les deniers destinez à leur solde ; fait emprisonner
Messieurs les Princes de Condé & de Conty, & le Duc de
Longueuill sur des conjectures legeres, s’imaginant qu’vn attentat
de cette nature ne produiroit aucune alteration dans le Royaume,
& qu’on laisseroit souffrir en prison le Sang Royal, sans en
considerer l’importance ; interdit le Parlement de Bourdeaux par
mauuais conseils, & contraint la Ville & la Prouince à prendre les
Armes ; abandonné aux Espagnols non seulement la Champagne,
mais l’Isle de France & les enuirons de Paris, lors que vos meilleures
Troupes estoient employées pour accabler vos Subjets ; fait traduire
les Princes prisonniers en la Citadelle du Havre, lieu incommode
à leur santé, dont ils pouuoient estre aisément enuoyez hors du
Royaume ; couuert tous ses conseils precipitez ou temeraires du pretexte
specieux de vostre authorité Royale, sans auoir appris en
quoy elle consistoit, laquelle il n’a iamais apprehendé de commettre
sans la soustenir.

 

SIRE, il est tres-necessaire que Vostre Majesté connoisse le
vray estat de sa Monarchie Royale : on ne doit proposer à Vostre
Majesté que les exemples des bons & sages Roys, comme celuy de
Henry le grand vostre ayeul, lequel estant pressé de faire verifier
dans vostre Parlement vn Edict nouueau, & ayant apris par la
bouche de Monsieur du Harlay premier President, que ce qu’il
desiroit contre les Loix ne pouuoit passer qu’en employant la puissance
absoluë, Ce Prince Iuste & Clement dit ces paroles dignes
de luy. A Dieu ne plaise que ie me serue iamais de cette authorité
Souueraine, qui destruict souuent en la voulant establir,
& à laquelle ie sçay que les peuples donnent vn mauuais
nom.

Nous auons aussi sujet de croire que l’interest du Cardinal Mazarin
n’a iamais esté que de se seruir de vostre authorité pour maintenir
celle qu’il auoit vsurpé, & empesché les oppositions à son prodigieux
credit qui ne vouloit point estre contrarié. Il voudroit volontiers
persuader à vostre Majesté qu’il a plus de passion & d’interest
pour vostre puissance Royale que vos Cours Souueraines, qui en
tirent leur premier estre, & leurs continuelles conseruations. Nous

-- 30 --

perdrions auec la conscience le iugement, & serions plus aueuglez
qu’vn Sanson, si nos mains esbranloient les Colonnes qui soustiennent
la voûte qui nous couure, estant certain que sa cheute nous
accableroit auec nos familles, nos amis & nos biens.

 

Serions-nous bien si mal-heureux qu’il peust entrer dans vostre
esprit, que le Cardinal Mazarin, qui est vn Estranger, passant par
vostre Royaume pour butiner, fut plus zelé pour la dignité & perpetuité
de vostre Monarchie, que nous qui auons l’honneur d’estre
François, & vos principaux Officiers, ayant nos fortunes & celles de
nos enfans attachées à la grandeur de vostre Royauté ?

Serions-nous bien si peu aduisez de croire qu’vn homme de cette
condition, ignorant nos mœurs & nos Loix, fust capable de nous instruire
sur les droicts de vostre Couronne, & de nous monstrer les
bornes de nostre affection & fidelité à vostre seruice, luy qui n’a pris
aduis d’aucuns sages, ny preueu l’aduenir, qui est tout ce qu’vn Ministre
aduisé doit considerer, sçachant bien qu’en trauaillant pour vn
Royaume, il trauaille pour l’éternité, sans limites de temps, qu’il ne
faut iamais prescrire aux Monarchies ?

Le Cardinal Mazarin a fait paroistre qu’il ne regardoit point
l’aduenir, lors qu’il a voulu continuer les guerres, & pour les entretenir
a employé les derniers efforts, espuisant la France de soldats &
de Finances, sans aduiser si ces deux choses venoient à manquer, qu’il
seroit contraint de consentir à vne Paix honteuse, ou de ceder à la
haine publique, qui s’esleueroit contre luy, pour auoir perdu l’occasion
de conclurre vn Traité aduantageux & honnorable à la France,
comme celuy qui estoit projeté & sur le point d’estre signé à
Munster, qui auoit esté rompu par le Cardinal Mazarin, qui ne
pouuant diuertir ses yeux de ses interests, ne voulut iamais consentir
la paix. Le mal est venu de ce que le Cardinal Mazarin s’est tousjours
imaginé qu’il ne trouueroit plus de seureté dans les troubles,
qui le maintiennent en plus grand lustre, & le rendent plus necessaire,
s’estant emparé du commandement & de la puissance des armes.

Nous voyons maintenant qu’il a causé tant de desordres, que nous
sommes dans les guerres Estrangeres & dans les domestiques ; Que
nous auons perdu plusieurs places qui nous estoient laissées par les
Traitez qu’il a rompus. Les Espagnols ont cette obligation au Cardinal
Mazarin, que non seulement il leur a rendu les Conquestes
qu’il croyoit estre siennes, mais encore celles qui auoient esté faites
soubs le Regne du deffunct Roy vostre Pere ; & ce qui est plus
estonnant, c’est qu’il employe maintenant vostre puissance, & n’est

-- 31 --

rentré dans vostre Royaume, que pour persecuter les Princes qui
auoient gagné ce qu’il pert en les voulant perdre, ne se souciant pas
que les anciens ennemis de la France la pillent lors qu’il y met le
feu pour en chasser s’il peut les enfans de la maison, qui ont souuent
exposé leur vie pour vous acquerir de la gloire, comme si ce n’estoit
pas assez de faire perdre les fruicts de leurs genereuses
conquestes, s’il ne destruisoit encore leurs personnes.

 

SIRE, il n’est pas en nostre pouuoir d’exprimer les rares
merites, & les grandes actions de Monsieur le Duc d’Orleans
vostre Oncle ; Nous ne dirons pas que les plus importantes prises
des places durant vostre Minorité, ont esté les effects des sages
Conseils, soings, vigilance, courageuses entreprises, veritables
affections & respects pour vostre Personne & le bien
de vostre Estat ; Nous ne pouuons passer sous silence les combats
de Monsieur le Prince de Condé, la terreur de vos armes
qu’il a portée sur l’Escaut, sur le Rhin, sur le Danube & ailleurs.
Il semble maintenant, SIRE, que tout cela soit effacé
pour faire triompher de ces Princes vn Estranger, qui ayant
esté chassé par vos Declarations, reuient pour prendre le gouuernail
de vostre Royaume, ayant obligé les plus sages Pilotes
à se retirer, lors qu’ils ont veu qu’il venoit auec resolution
d’employer vostre authorité & vos forces, pour venger ses querelles
particulieres, & pour se rendre maistre de vostre Estat, en
s’emparant de vostre Personne.

Vostre Majesté sçaura vn iour ce que luy couste l’entreprise
d’Orbitelle, de Piombino, de Portolongone, & de Naples ;
où le Cardinal Mazarin vouloit s’establir des retraites, & s’acquerir
des Souuerainetez, se defiant de sa mauuaise destinée, toutes
ses pretentions ne nous ayant comblez que de perte & de
honte.

Pour descouurir ses maluersations dans ces guerres d’Italie, il ne
faut voir que les liures de Cantarini, qui verifieront qu’on a enuoyé
en ce pays-là plus de trente-six millions de liures, sans auoir
fourny estat valable de l’employ.

Considerez, s’il vous plaist, SIRE, combien de Sang & de Finance
la France a perdu, pour n’auoir à la fin que de la confusion
procurée par les imprudences & mauuais desseins du Cardinal
Mazarin : C’est dequoy, SIRE, Nous supplions tres-humblement
vostre Majesté rendre la justice à vos Sujets, & à vos Voisins,
qui se plaignent des pirateries que le Cardinal Mazarin a commandées

-- 32 --

& entretenuës, iusques à authoriser le brigandage
par vos Lettres, pour profiter de ces larcins, qui ont ruiné le
commerce, & reduit à la mendicité plus de vingt mille familles.

 

Le Cardinal Mazarin n’a pas preueu que les Finances, qui
sont les nerfs de la guerre luy manqueroient, qu’il luy seroit impossible
de dresser & entretenir sept ou huict armées sur terre ou
sur mer, de payer les garnisons d’vn grand nombre de places conquises,
& des anciennes frontieres, de soudoyer vne excessiue
multitude d’Estrangers, qui ne combattent que pour la montre ;
Qu’on auoit sujet d’apprehender ou la disette d’argent, si l’on
vouloit contenter tant de personnes, & les maintenir dans la
discipline ; ou qu’estant violée à faute de payement, vos Prouinces
seroient exposées à la licence & au desespoir des soldats, qui
les ont traitées depuis trois ans auec toutes sortes d’hostilitez &
de barbaries. Qui doute que le Cardinal Mazarin, qui a voulu
auoir tout seul la direction de la guerre, ne soit la veritable cause
de tous les maux que nous auons soufferts, & qui se sont rendus
insuportables, lors qu’on n’a pû fournir aux extraordinaires despenses
de celuy, qui les ayans faites sans regle & sans fidelité.
nous a enfin jetté dans l’impuissance que luy-mesme a découuerte
aux Ennemis, dans les Lettres qu’il a écrites à vostre Majesté,
& à la Reine vostre Mere.

Iugez, SIRE, s’il auoit trouué les moyens d’acquerir la
creance, qui est necessaire à vn homme employé aux grandes affaires
de vostre Estat, & qui doit faire valoir vostre authorité ;
Le Cardinal Mazarin ne sçauoit pas qu’vn Royaume remply
de personnes de bon esprit & genereux ne pouuoit demeurer
long-temps dans vne seruitude qui luy est dommageable
& honteuse, ny supporter tousiours celuy qui est hay & mesprisé
tout ensemble. Il a esté si souuent auerty de l’vn & de l’autre,
par les plaintes publiques, par nos frequentes Remonstrances,
par les mécontentemens des Peuples, qu’il y a dequoy s’estonner
de ce qu’vn homme, ayant la connoissance de ces choses &
de vos Declarations & Arrests de tous vos Parlements qui l’ont
banny de ce Royaume, a eu l’asseurance d’y reuenir pour esmouuoir
de plus grands bruits, cherché des perils plus certains, encouru
plus de reproches, & donné lieu à des condamnations
plus seueres, mais équitables. Quand le Cardinal Mazarin pensera
à ce qui est arriué il y a trente ans à vn homme de sa nation,

-- 33 --

beaucoup moins criminel que luy, il iugera des dangers dans lesquels
il s’est precipité.

 

SIRE, Nous ne pouuons satisfaire au deuoir de nos charges
& à nos consciences, qu’en protestant à Vostre Majesté qu’il
nous seroit imputé à crime, de vous dissimuler les maux que ce
funeste retour du Cardinal Mazarin va produire, si Vostre Majesté
n’y remedie au plustost, & ne considere combien il importe à
sa reputation, authorité & seruice, de ne laisser pas long-temps
Monsieur le Duc d’Orleans vostre Oncle, & Messieurs les Princes
de vostre Sang, dans les ressentimens où ils sont pour les affaires
passées, & dans les sages apprehensions pour celles qui peuuent
arriuer à cause de la mauuaise conduitte & retour du Cardinal
Mazarin.

Nous esperons, SIRE, que Vostre Majesté fera Iustice à
soy-mesme, à son Estat, à Monsieur le Duc D’Orleans, aux
Princes de vostre Sang ; à vos Parlemens, aux Grands de vostre
Cour, & generalement à tous ses Peuples, qui se prosternent
à vos pieds, & par nos voix supplient en toute humilité Vostre
Majesté de vouloir reünir vostre Maison Royale, donner la paix
à la France & à toute la Chrestienté, en esloignant pour iamais
le Cardinal Mazarin des terres & paїs de vostre obeїssance, qui
est rentré insolemment à main armée dans vostre Royaume, desertant
vos frontieres, retirant les Gouuerneurs & garnisons des
places, rauageant & desolant vos Prouinces contre vos Declarations
& les Arrests de vos Parlemens, vos promesses Royalles,
& de celles de la Reyne vostre Mere si souuent reїterées,
qui nous ont asseuré de son esloignement sans esperance de retour.
Nous nous promettons que Vostre Majesté prendra ce bon
Conseil pour la tranquillité publique & le bien de vostre seruice.
Ne trouuez pas estrange, SIRE, s’il vous plaist, si nous
pressons Vostre Majesté d’auancer cét vnique remede, qui doit
faire cesser tous les desordres de vostre Estat par cét esloignement.
Tous les accommodemens qu’on proposeroit en retenant
le Cardinal Mazarin, augmenteroient le danger & produiroient
de simptomes nouueaux ; Il est constant que nos playes s’ouuriront
tousiours si ce corps estranger ne sort.

Nous croyons, SIRE, qu’aussi-tost que la sagesse qui paroist
en Vostre Maiesté par dessus vos années, sera en la parfaite
liberté, c’est à dire apres l’esloignement de celuy qui en a arresté
le cours ; Vostre Maiesté connoistra que nos oppositions au restablissement
du Cardinal Mazarin, & la resolution que nous

-- 34 --

auons prise conforme aux bonnes intentions de Monsieur le
Duc d’Orleans vostre Oncle, ne partent que de la passion extréme
que nous auons & conseruerons toute nostre vie pour
la Personne sacrée de Vostre Maiesté, pour la tranquillité de la
France, & la paix de la Chrestienté. Ces veritables protestations
sont les vœux des tres-humbles, tres-obeyssans & tres-fidelles
Seruiteurs, Sujets & Officiers de vostre Parlement.
FAIT en Parlement le iour & an susdit.

 

Du Vendredy douziesme Avril mil six cens
cinquante-deux, du matin.

CE iour la Cour, toutes les Chambres assemblées, Monsieur
le Duc d’Orleans y estant, & le Sieur Prince de
Condé, presens les Gens du Roy, ledit Sieur Duc d’Orleans a
dit ; Que la Compagnie sçauoit ce qu’il auoit fait pour le seruice
du Roy & de son Estat, pour la deffense de ses Sujets, & pour la
Paix generale dans le Royaume ; Que son Cousin le Prince
de Condé auoit les mesmes sentimens ; Qu’il en auoit cy-deuant
fait sa Declaration, contenuë au Registre du vingt-huictiesme
Fevrier dernier, & à laquelle il persistoit.

-- 35 --

ET ledit sieur P. de Condé a dit, qu’il a creû estre obligé
de venir en la Compagnie pour la remercier de ce qu’elle
a trouué bon de surseoir l’execution de la Declaration
enuoyée en la Cour, sous le nom du Roy, contre sa personne,
& ceux qui l’ont suiuy en sa retraite, apres auoir reconnû
qu’il y auoit esté forcé, pour se garantir des violances &
de l’oppression du Cardinal Mazarin ; & que la creance
qu’il auoit tousiours euë de son retour, n’estoit pas vn pretexte
recherché pour troubler le repos de l’Estat ; Qu’il prie
la Compagnie de s’asseurer qu’il n’a jamais eu & n’aura
d’autres intentions que d’employer sa vie pour le seruice du
Roy, & le bien de l’Estat, & de suiure entierement les ordres
de S. A. R. & les sentimens de la Compagnie, ausquels il
se soûmettra tousiours auec beaucoup de joye & de satisfaction ;
declarant qu’il n’a rien fait que pour la seureté de sa
personne, & qu’il est prest de poser les armes à l’instant que
le Cardinal Mazarin sera hors de France, & que les Arrests
donnez contre luy auront esté executez ; & prie la Compagnie
qu’il soit fait registre de la presente Declaration.

Et apres Monsieur le President de Nesmond a dit ; Que
le Samedy 23. Mars dernier, il eut ordre auec Messieurs les
Deputez de la Compagnie, de se transporter vers le Roy,
pour luy porter les Remonstrances par escrit de ladite
Cour ; qui trouua bon qu’elles fussent reueuës, (ce qui fut
fait : Partirent le Ieudy ensuiuant, allerent disner à Linas,
& coucherent à Estampes ; se rendirent à Orleans le Samedy
veille de Pasques, où ils furent receus & visitez par tous
les ordres & Officiers de la Ville auec beaucoup de respect
& de ciuilité : Et apres auoir receu diuers ordres de la part
de sa Majesté, se rendirent à Sully, où ils furent visitez de
plusieurs personnes de qualité, & furent conduits en la
maison du Roy ; où estant aduertis par le sieur de Guenegaud
Secretaire d’Estat, d’entrer au cabinet de sa Majesté ;
ils le virent assis en vne chaire, à sa main droite, la Reyne
assise à gauche, Monsieur le Duc d’Anjou debout, à
main droite derriere M le Garde des Sceaux, M. le Duc
d’Anuille, Mrs les Mareschaux de Villeroy & du Plessis,

-- 36 --

les sieurs de Brienne, de la Vriliere, le Tellier, & de Guenegaud
Secretaires d’Estat.

 

Monsieur de Champlastreux sans autre personne, apres
auoir fait humbles reuerences à sa Maiesté, ledit sieur President
dit en ces termes.

SIRE, c’est auec vn extréme regret de vostre Parlement,
que la premiere Deputation qu’il a fait à V. M. pour luy
faire connoistre les malheurs qui menaçoient la France, a
esté suiuie des effets dont il n’auoit encore que la crainte.
Nous esperions que sa bonté preuenant les accidens funestes
que portoit auec soy l’entrée du Cardinal Mazarin, arresteroit
le cours de ce dessein ; mais nous voyans priuez
de cette attente, nos desirs & nos vœux sans succez & sans
fruit, nous sommes obligez de luy porter par escrit nos Remonstrances
& nos plaintes pour nous acquitter du deuoir
de nos charges enuers le public & la posterité. Ces Remonstrances,
SIRE, ont pour fondement principal la Declaration
& les paroles de V. M. données si souuent à vostre
Parlement, deposées dans nos Registres, & publiées à tout
le Royaume si solemnellement, qu’on ne pouuoit entrer
en doute qu’vne Loy si authentique deust estre enfrainte.
Cette Loy poursuiuie auec tant de justice, & receuë auec
vn tel applaudissement, est demeurée si viuement grauée
dans les cœurs de tous vos subjets, qu’elle n’en peut estre
ostée sans les arracher, sans alterer leurs affections, qui sont
les plus riches thresors de la Couronne, & blesser la reputation
de V. M. qui consiste dans l’entretien de la parole
Royale, la source & l’ame de nos Loix, lesquelles estant les
nerfs de ce corps Politique, les anchres de ce vaisseau public
qui affermissent l’Estat & la Royauté, ne peuuent receuoir
atteinte sans diminuër l’authorité du Prince, puis qu’vn
changement si soudain est vn adueu de quelque faute, ou
vne marque de foiblesse.

Il est vray, SIRE, que les Roys sont au dessus des Loix,
par leur dignité sans pareille. Mais ils ne laissent pas d’estre
aussi estroitement obligez par leur propre lien de l’honneur
& de la conscience, ainsi que Dieu dont ils portent

-- 37 --

l’image, ne jure que par soy, comme il ne peut respondre
qu’à luy-mesme. Sa bonté, neantmoins, ne nous veut pas
engager que par l’exemple & la fidelité de ses paroles, &
cette independance ne destruit pas la force de la promesse,
mais luy imprime vn caractere plus saint & plus inuiolable.
C’est ce qui nous fait asseurer que V. M. verra ces Remonstrances
de bon œil, y fera enfin vne forte & serieuse
reflexion, & considerera la face de son Estat comme d’vn
malade languissant sans poux & sans haleine, ayant le cœur
saisy d’vn venin, qui par la guerre l’agite d’vne part, & par
la misere le consomme de l’autre : Et de peur que la maladie
ne soit trop lente, toutes les parties de ce grand corps
armées les vnes à l’encontre des autres, pour épuiser le
sang qui coule encore dans ses veines.

 

Les Estrangers, Espagnols & Anglois, spectateurs d’vn si
cruel carnage, pour en profiter seuls, & projetter entr’eux
le partage de la despoüille qui restera. V. M. ne veut pas
voir perir son Estat à l’entrée de son Regne, ny diminuer le
nombre de ses subjets, pour accroistre celuy de ses Ennemis.
Elle preferera sans doute le remede qui est en ses
mains d’en restablir la vigueur & la force. Le seul esloignement
du Cardinal Mazarin peut causer ce bon-heur,
dans lequel V. M. treuuera l’execution de sa parole, le
maintien de son autorité, l’vnion de la maison Royale, la
paix estrangere & domestique. La paix, SIRE, que nous
attendons de V. M. que le Ciel reserue à son innocence,
puis qu’elle a esté donnée aux desirs de ses peuples par vn
miracle particulier de celuy seul qui peut donner la paix,
qui luy est tous les jours demandée par les soûpirs & les gemissemens
dont retentit toute la France. Nous nous promettons
que V. M. embrassera tant d’aduantages ensemble ;
& s’il reste encore quelque consideration foible qui
les combatte, comme elle porte par tout le bon-heur & la
victoire, elle obtiendra plus glorieusement celle-là sur soy-mesme
à la supplication generale de ses subjets. Dans la connoissance
certaine de cette verité, que personne ne peut
contester dans son cœur, nous n’estimons pas qu’il se puisse

-- 38 --

trouuer vn homme de bien dans son Conseil, qui donne à
V. M. celuy de le retenir, sans se rendre complice de la ruine
de son Estat, & attirer sur soy la vengeance du sang
François, qui s’espand dans tout le Royaume. Quand à vostre
Parlement, lequel n’a point d’autre interest que celuy
du public, il ne se peut aussi départir de ses sentimens & de
ses Remonstrances, puis qu’elles n’ont point d’autre objet
que la grandeur de V. M. l’honneur de sa Couronne, & la
tranquilité publique.

 

Apres auoir acheué nostre discours, nous presentasmes
au Roy les Remonstrances par escrit, lesquelles sa Majesté
receut auec bonté ; En suite nous luy dismes : Que la coustume
estoit de les faire lire par vn Secretaire d’Estat en sa
presence. Surquoy s’estant formé quelque difficulté, & nous
ayant dit qu’il en parleroit à son Conseil, nous luy representasmes
que les Roys ses predecesseurs, depuis l’institution
des Parlements, leur auoient toûjours donné la liberté de
leur faire des Remonstrances lors qu’ils jugeoient le deuoir
faire en leurs consciences ; Qu’on les faisoit quelquesfois
de viue voix seulement, & d’autre-fois de viue voix & par
écrit ensemble, comme le Parlement nous auoit ordonné
en cette occasion qui estoit si importante, où il estoit necessaire
que les causes de la ruїne & du peril extréme de son
Estat, luy fussent representées exactement par ceux qui
n’auoient point d’interest que le bien de son seruice, & lesquels
estoient obligez en leurs consciences de le faire. Que
le Roy son Pere d’heureuse memoire en mil six cens quinze,
les Remonstrances par écrit du Parlement, luy ayant
esté portées les fit lire en sa presence par Monsieur de Lomenie
Secretaire d’Estat, qui estoit icy present, & l’asseureroit
de cette verité, & qu’il auoit toûjours esté ainsi pratiqué
en semblables occasions, & n’y auoit point d’exemples du
contraire. Que les Deputez du Parlement qui estoient
porteurs des Remonstrances estoient aussi témoins necessaires
de cette action, afin de rapporter à leur Compagnie,
que leurs raisons auoient esté entenduës par sa Majesté, autrement
se seroit étouffer la verité, oster au Parlement la liberté

-- 39 --

de faire connoistre au Roy les necessitez de son Estat,
& rendre les Remonstrances inutiles & illusoires, en ne les
lisant point, dont il arriueroit vn grand inconuenient ; d’autant
que les Officiers de sa Majesté, deuans respect & soûmission
aux Ordres qui venoient de sa part, s’ils auoient
creance que ses Ordres fussent surpris, ou ne fussent pas
donnez en suitte d’vne connoissance parfaite de la verité,
ils ne pouuoient pas y auoir la mesme deference, mesmes
s’ils estoient priuez de cette consolation, de luy faire entendre
leurs plaintes par les voyes ordinaires & legitimes : Que
nous le supplions de nous faire cette justice, & à luy-mesme,
puisque c’estoit pour le bien de son Estat. Ce que le Roy
ayant entendu, il nous dit de nous retirer, & qu’il nous
rendroit response, mesme sur la lecture des Remonstrances.
Surquoy apres auoir de nouueau insisté, nous fusmes dans
vn Cabinet proche la Chambre du Roy vn quart d’heure ;
puis estant rappellez, le Roy nous dit, Qu’il auoit commandé
à M. le Garde des Seaux de nous faire sa response, qui fust
autant que nous la pusmes recueillir.

 

Que le Roy luy commandoit de nous dire ; Qu’il trouuoit
estrange que le Parlement, lequel auoit toûjours tesmoigné
sa fidelité & ses bonnes intentions pour le seruice de sa Majesté,
auoit pris le temps de faire ses Remonstrances lors
que les Estrangers entroient en France, & que ses sujets rebelles
s’opposoient à main armée au passage de sa Majesté :
Que la posterité s’estonneroit auec raison de voir dans les
Registres, qu’au lieu de donner des Arrests contre les entreprises,
conuoquer le ban & arrie-ban suiuant les formes
ordinaires ; On n’auoit pas voulu deliberer sur les Conclusions
des Gens du Roy, & qu’on auoit veu rouler le Canon
dans Paris, pour le conduire contre les troupes de sa Majesté
sans en rien ordonner : comme aussi de ce que le Parlement
auoit surcis la Declaration de sa Maiesté, verifiée
contre ceux qui auoient pris les armes contre son seruice :
Sa Maiesté neantmoins esperoit que cette premiere Compagnie
du Royaume conserueroit toûious sa fidelité & son
affection pour le seruice du Roy, comme ayant toûiours eu

-- 40 --

les intentions bonnes ; Que tous ces discours du Mazarin,
où de M. le Cardinal Mazarin, n’estoient que des pretextes
qui auoient esté proiettez dés la Minorité du Roy, dont on
voyoit les effets, lesquels il sembloit que le Parlement vouloit
fauoriser ; Que le Roy vouloit faire Iustice à M. le Cardinal
Mazarin, & auoit enuoyé Commission à son Procureur
General pour luy faire porter les Informations ; lesquelles
quand il auroit veuës, il feroit lire nos Remonstrances, &
nous enuoyeroit querir pour y faire response s’aprochant de
Paris, comme il en auoit le dessein. Que le Roy estoit Maieur,
vouloit estre obey, & regner auec Iustice.

 

Apres auoir oüy le discours de M. le Garde des Sceaux, nous
repartîmes, que s’il plaisoit à sa Maiesté de faire lire nos Remonstrances,
elle y trouueroit la response pertinente à tout
ce qu’auoit dit M. le Garde des Sceaux ; Que le Parlement
lequel auoit accoustumé de rendre Iustice auec sincerité, &
agissoit toûiours dans le vray seruice du Roy, sçauoit bien
distinguer les pretextes recherchez des causes veritables ;
Que l’entrée du Cardinal Mazarin en France estoit la seule
& veritable cause de tous les maux que nous voyons ; Que
lors qu’il a esté absent du Royaume suiuant la volonté du
Roy, si les armes auoient esté prises par Messieurs les Princes,
la Declaration de sa Maiesté contre eux auoit esté verifiée
au Parlement sans contredit, sur laquelle les Gens du
Roy donnans leur Conclusions auroient dit ; Que si on s’en
vouloit seruir comme d’vn degré pour faire rentrer le Cardinal
dans le Royaume, ils n’y consentiroient iamais. Mais
que nous auions veu son retour dans la France contre toutes
les paroles données deuant le mois expiré. Ce qui auoit
obligé la Compagnie aussi tout d’vne voix, à sursoir l’effet de
la Declaratiõ auec iustice. Qu’il ne sembloit pas raisonnable
d’imputer au Parlement l’entrée des troupes estrãgeres dans
le Royaume, puis que c’estoit le Cardinal Mazarin qui auoit
ouuert par la sienne toute la frontiere aux ennemis du Roy,
dépoüillãt toutes les Villes de leurs garnisons, pour en composer
vn corps d’armée, & menant auec luy vingt Gouuerneurs
où Capitaines des Places, lesquels sous pretexte de

-- 41 --

luy seruir d’escorte, auoient abandonné leurs charges dont
ils estoient responsables au Roy, laissant par ce moyen la
France en proye aux Estrangers. Sur cela M. le Garde des
Sceaux ayant dit, que tout cela n’estoit que des pretextes ;
Nous repliquâmes que s’il plaisoit au Roy faire cesser la
cause du mal par l’éloignement du Cardinal Mazarin, nous
ferions bien apres cesser tous les pretextes. La Reyne prit la
parole, & dit que cette contestation n’estoit pas bien sceante
deuant sa Maiesté, & que M. le Garde des Sceaux ayant
fait la response du Roy, nous n’auions plus rien à dire. Nous
repartismes : Que si le Roy nous eust fait l’honneur de faire
lire nos Remonstrances, nous n’eussions pas insisté dauantage,
mais que nous voyons auec regret que la verité estoit
cachée à sa Maiesté, & qu’elle ne la pouuoit connoistre que
par la desolation qui paroissoit tous les iours à ses yeux, marchant
dans son Royaume, & que nos Remonstrances luy
feroient voir euidemment que c’estoit par le retour du Cardinal
Mazarin, par sa faute & par sa mauuaise conduite. En
fin ne pouuant plus insister, le Roy & la Reyne se voulans leuer,
nous nous seruismes du suiet des trois pieces que nous
auions encores à donner, pour respondre au discours de M.
le Garde des Sceaux, & demander encore la lecture des Remonstrances,
ou sur le suiet de ces pieces dire ce qui nous
vint dans l’esprit de ce que portoient les Remonstrances
par écrit, sans pouuoir rapporter precisément les mesmes
termes, parce qu’ils n’estoient preueus de part ny d’autre.
La premiere piece fust le Discours fait par les Gens du Roy
de la part de la Reyne Regente le 9. Feurier 1651. que nous
expliquâmes au long, qui portoit parole asseurée de sa Majesté,
Que la sortie du Cardinal Mazarin estoit sans esperance
de retour, sans aucune fraude ny desguisement ; Que ses
mesmes asseurances auoient esté souuent repetées en differentes
occasions par les Gens du Roy, & confirmées de la
part de sa Maiesté lors Regente, plusieurs fois par M. le premier
President ; nous disant, que si le C. Mazarin rentroit,
tous les liẽs estoiẽt rõpus, & nous asseurãt en termes si precis
du cõtraire, qu’ils ne pouuoient laisser aucũ doute. Que nous

-- 42 --

auiõs vescu dans cette bõne foy iusques à la fin de la Regẽce,
& reglé sur cette creance toutes nos Deliberations. Qu’à la
veille de la Seance du Roy, pour la publication de sa Maiorité,
& le premier iour d’icelle, la Declaration du sixiéme
Septembre que nous luy portions, comme la premiere
action qu’il auoit faite estant Majeur, nous auoit esté donnée
& publiée, dans laquelle estoient expliquées les raisons
& les motifs de la volonté de sa Maiesté, si clairement, que
nous ne nous estenderions point à les representer dauantage.
Apres quoy l’administration du Cardinal Mazarin demeurant
condamnée par la bouche & par le tesmoignage
du Roy mesme, qui nous faisoit connoistre les mauuaises
impressions qu’il luy auoit données en diuerses rencontres,
& les autres subiets qui auoient obligé sa Maiesté à rendre
cette premiere iustice à son Estat, en prenant le gouuernement
de son Royaume, nous n’estimions pas qu’il y eust
plus rien à desirer. Que nous luy portions encore cette Declaration
pour luy faire voir, que le Roy s’estant voulu engager
le premier à ses subiets, par tant de tesmoignages de
sa volonté, ses Officiers & ses Peuples n’auoient fait en cela
que la suiure par leurs inclinations : Et que cét engagement
estant lié par la loy du Prince pleine de raison, & la submission
des subiets, il estoit bien difficile de le separer & de
le rompre ; Et que ce manquement de parole dans l’execution
pouuoit seruir de pretexte aux subiets de manquer à
l’obeїssance. Ce que nous voulions empescher, & la conseruer
auec fidelité tres-entiere pour sa Maiesté. Comme
nous pensions estre bien fondez à luy demander auec toute
sorte de soûmission & de respect l’effet de ses promesses,
nous prismes en suite la Declaration de Mr le Duc d’Orleans
qui seruit de response en l’expliquant à partie du discours
de M. le Garde des Sceaux, & dismes que M. le Duc
d’Orleans ayant souuent pris la peine de venir au Parlement
dans les occasions presentes, & tousiours fait paroistre
vn grand respect pour la personne du Roy, & beaucoup
d’inclination pour le repos de l’Estat dans les mouuemens
que luy inspire le sang Royal, qui anime son bon naturel ;

-- 43 --

& excité par les prieres de la Compagnie, auoit fait vne
Declaration, laquelle depuis il auoit voulu estre mise dans
les registres du Parlement, pour s’engager dauantage à l’executer,
& qu’il n’en pût demeurer aucun doute, laquelle
Declaration nous portions à sa Majesté, cõme luy voulans
& deuans rendre compte de toutes nos actions. Par laquelle
il s’oblige aussi-tost que le Cardinal Mazarin, suiuant la volonté
du Roy qui subsiste tousiours, sera hors du Royaume,
qu’il posera les armes, & tous ceux qui sont joints à ses interests
sous son autorité, & laissera la dispositiõ de ses troupes
à sa Majesté, qui est vn moyen infaillible pour reünir toutes
les armes, & les cœurs des François, & forcer les Ennemis à
luy demander vne Paix aduantageuse à la France, restablir
l’authorité Royale, & preparer à sa Maiesté vn regne plein
de ioye, de repos & de benediction, qui est ce que son
Parlement luy souhaitte, afin qu’elle surpasse en gloire &
en bon-heur tous ses predecesseurs, establissant vne paix
heureuse en son Royaume. Nous prismes suiet apres auoir
donné ces trois pieces au Roy, qu’il receut, sur la fauorable
audience qu’il luy auoit plû de nous donner, d’insister
encores à la lecture des Remonstrances. M. le Garde des
Sceaux nous dît, que nous voyons bien les intentions du
Roy, qui estoient de ne les pas lire à present. Nous repartismes
qu’apres que sa Maiesté nous auroit fait l’honneur
de les faire lire, & seroit instruite de la verité, nous serions
encores plus asseurez de ses intentions. La Reyne dit que
c’estoit assez, & que le Roy auoit eu trop de bonté de nous
escouter si long-temps. Nous repartismes que nous ne
doutions point de la bonté du Roy ; mais que nous attendions
sa iustice sur le suiet de nos Remonstrances. Le Roy
nous fit l’honneur d’oster son chapeau, & dit : Retirez-vous
Messieurs, Retirez-vous ; Nous luy dismes, SIRE, nous-nous
retirons, puisque V. M. le commande, auec beaucoup
de déplaisir, de ce qu’il ne luy a pas plû de faire lire les Remonstrances
de son Parlement en nostre presence. Nous
deschargeons nos consciences des mal-heurs qui en peuuent
arriuer, & en imputerons la faute à celuy qui vous

-- 44 --

donne ses conseils, & ceux qui le soustiennent, lesquels
sont cause de tous les maux que souffre le Royaume.

 

Apres ce recit M. le President de Bailleul au nom de toute
la Compagnie, a remercié ledit sieur President & les autres
sieurs Deputez. Et les Gens du Roy ont presenté à la
Cour vne Declaration de sa Maiesté, & vne Lettre de Cachet,
datée à Saumur le deuxiéme Mars dernier, dont a
esté fait lecture, & de laquelle Lettre de Cachet, la teneur
ensuit.

DE PAR LE ROY.

Nos amez & feaux, ayans par nostre Declaration de ce
iourd’huy, & pour les considerations y contenües, ordonné
que toutes les informations, procedures & Arrests donnez
à l’encontre de nostre tres-cher & tres-amé Cousin le
Cardinal Mazarin, ensemble tous les memoires faits, s’y
aucuns y a, seront enuoyez dans quinzaine, par nostre Procureur
General en nostre Cour de Parlement de Paris, és
mains de nostre tres-cher & feal Cheualier Garde des
Sceaux de France, & premier President en nostredite
Cour, le sieur Molé, pour iceux veus & rapportez en nostre
presence dans nostre Conseil, estre par nous pourueu
de plus ample Declaration de nostre volonté sur ce subiet ;
Et auons surcis l’execution des Arrests & de nostre Declaration
du sixiéme Septembre dernier, donnez contre nostredit
Cousin, ainsi qu’il est plus amplement porté par nostre
Declaration cy-jointe.

Nous auons bien voulu vous l’enuoyer, & vous faire cette
Lettre, par laquelle nous vous mandons & ordonnons
tres-expressément de proceder à l’enregistrement pur &
simple d’icelle, selon la forme & teneur, & à la faire executer
& garder ponctuellement : Et nous promettant de vostre
bonne conduite accoustumée que vous satisferez à ce
qui est en cela de nostre volonté, nous ne vous ferons la
presente plus longue, ny plus expresse. N’y faites donc
faute, Car tel est nostre plaisir. Donné à Saumur, le deuxiéme
iour de Mars 1652. Signé LOVIS.

DE GVENEGAVD.

-- 45 --

Aprés laquelle lecture les Gens du Roy ont demandé
temps pour conferer entre-eux, se sont retirez, & peu de
temps aprés rentrez, Ont dit, M. Omer Talon Aduocat dudit
Seigneur Roy portant la parole ; Qu’aprés auoir entendu
tout ce qui s’est dit & passé dans cette matinée, ils ont estimé
estre obligez de presenter à la Cour la Declaration du
Roy du second iour de Mars dernier passé, par laquelle il
leur est ordonné d’enuoyer à M. le Garde des Sceaux les informations
qui ont esté faites, & les Arrests rendus contre le
Cardinal Mazarin ; Sa Majesté ayant surcis de faire response
aux Remonstrances par escrit qui luy ont esté presentées
jusques à ce qu’il aye receu ces pieces, & qu’il en aye eu la
lecture, de laquelle Declaration il est fait mention dans le
discours dudit Seigneur Garde des Sceaux, dont la lecture
a esté presentement faite : de sorte qu’il est necessaire que le
Roy soit informé & esclaircy des voyes qui ont esté tenües,
& des procedures qui ont esté faites contre le Cardinal Mazarin,
lequel n’a pas esté condamné par aucun Arrest de cette
Compagnie, mais sa condamnation ayant esté prononcée
par la bouche du Roy & de la Reine lors Regente ; Le Parlement
a donné les ordres necessaires pour en accelerer l’execution.
Et de fait le Cardinal Mazarin s’estant retiré de la
Cour le sixiéme Fevrier 1651. La Reine deuers laquelle
nous fusmes enuoyez nous commanda de dire à la Cour, que
cette retraite estoit sans esperance de retour. Et sur ce que
nous la suppliasmes de ne nous point rendre porteurs de cette
parole si precise & si solemnelle, si sa Majesté n’auoit dessein
de l’executer, elle nous fist l’honneur de nous confirmer
sa promesse dont le Parlement l’a remerciée ; & dans
vne infinité d’occasions, M. le premier President a reїteré
cette mesme parole Royale auec quelque sorte d’exageration
& d’estonnement contre ceux qui la vouloient reuoquer
en doute ; de sorte que les Arrests qui ont esté rendus
en suitte, par lesquels aucuns de Messieurs les Conseillers
de cette Compagnie ont esté enuoyez dans les Prouinces
pour haster le voyage du Cardinal Mazarin, & le faire
sortir hors le Royaume ; Les autres qui ont permis aux peuples

-- 46 --

de luy courir sus, tous ces jugemens ne sont pas des
condamnations qui ayent esté renduës contre sa personne,
mais vne simple execution de la parole Royale suffisante
pour l’expulsion d’vn Ministre estranger, duquel la personne
& l’administration sont dans l’auersion de tous les peuples.
Depuis pour rendre cette Declaration plus autentique,
elle a esté confirmée par Lettres Patentes qui ont esté.
concertées dans le Conseil du Roy pendant quinze iours, &
plus, qui ont esté monstrées à M. le Duc d’Orleans, & examinées,
& en suite registrées en cette Cour, publiées en l’Audience,
enuoyées dans tout le ressort du Parlement, pour
estre rendües publiques, dans lesquelles Lettres le Roy
blasme sa mauuaise Administration en deux points principaux ;
Sçauoir est d’auoir empesché la conclusion de la
Paix generale, & l’autre d’auoir esté l’autheur des Pirateries
qui ont attiré sur la France la haine de toutes les Nations
Estrangeres, qui refusent auec nous toute sorte d’alliance &
de commerces fur la Mer. Laquelle Declaration du Roy
pouuant estre considerée comme le dernier acte de la Regence
& le premier de la Majorité, elle ne peut estre surcise,
encores moins reuoquée, sans mettre en compromis tous
les actes du gouuernement de la Reine Mere du Roy pendant
sa Regence, qui n’ont autre titre ne fondement pour
subsister, que les marques de l’authorité Royale, & l’Enregistrement
dans vne Compagnie Souueraine, semblable à
celles dont cette Declaration est reuestüe. Et de fait le Parlement
auparauant icelle ayant ordonné qu’il seroit informé
contre le Cardinal Mazarin, & quelques tesmoins ayant esté
entendus, il a esté surcis à toutes sortes de procedures aprés
la Declaration registrée, parce qu’en matiere de crimes de
cette qualité qui regardent le gouuernement de l’Estat, le
iugement du Roy joint à la notorieté publique, & la verification
du Parlement, ont plus de force que toute sorte de
procedure iudiciaire de preuues par escrit ou par tesmoins,
qui sont susceptibles de contredit & de reproches : lesquelles
considerations estant expliquées au Roy, & cogneües
par sa Maiesté, luy feront voir qu’il seroit inutile de luy enuoyer

-- 47 --

les Arrests rendus ny les informations commencées
contre le Cardinal Mazarin, puis que le fondement de tout
ce qui a esté fait contre luy n’est autre que le iugement de sa
Maiesté & de la Reine sa Mere, pour l’execution desquels
ont esté rendus tous les Arrests qui ont esté necessaires &
Iuridiques, puis qu’ils ont pour fondement la volonté du
Souuerain registrée dans les Cours Souueraines, laquelle
subsiste encores à present, & ne peut estre reuoquée selon
les Loix de l’Estat, que par vne autre Declaration aussi
solemnelle & legitime qu’a esté la premiere ; Sçauoir est par
vn enregistrement & approbation des Compagnies Souueraines,
qui sont les depositaires des actes de cette qualité,
pour les rendre par leur approbation authorisées dans l’esprit
des peuples ; Que si la necessité des affaires publiques obligeoit
le Parlement de continuer les informations commencées
à faire le procez au Cardinal Mazarin, le Roy doit estre
informé que cette procedure iudiciaire appartient à son
Parlement, quelques reclamations que les Ecclesiastiques
apportent au contraire, qui soustiendroient volontiers que
leurs caracteres les rend exempts de la iurisdiction Royale,
& partant de l’obeїssance qu’ils doiuent à leur Souuerain,
dont il ne faut desirer autre iustification que les tesmoignages
qui en seront rendus au Roy par M. le Garde des
Sceaux, lequel ayant vescu longues années, & vescu auec
honneur dans les places les plus grandes de cette Compagnie,
en sçait parfaitement les maximes, lesquelles aboutissent
à la grandeur de l’Authorité Royale, qui n’est pas honorée
suffisamment par ceux qui ne veulent pas reconnoistre
sa Iustice. Outre plus ils estimoient qu’il y auoit lieu
de se plaindre au Roy, de ce que les Remonstrances qui ont
esté portées à sa Maiesté n’ont pas esté leües en la presence
des Deputez du Parlement, qui estoient des tesmoins necessaires
& de la verité de la piece, laquelle en leur absence
peut estre desguisée, & du contenu en icelle, dont ils pouuoient
rendre raison si elle leur eust esté demandée ; la verité
pouuant estre celée ou obscurcie à sa Maiesté, laquelle
dans la premiere année de sa Maiorité, quoy que Dieu verse

-- 48 --

ses benedictions abondamment sur sa teste, & qu’il aye
dilaté son cœur pour le rendre capable du gouuernement
de son Estat, il ne veut pas pourtant faire violence aux Ordres
communs & ordinaires de la nature, non plus qu’à la
necessité des instructions qui doiuent estre données aux
Princes dont la meilleure consiste dans l’experience des affaires
differentes, pour l’intelligence desquelles ils doiuent
estre soigneusement informez, & instruits dans la connoissance
des formes anciennes, dans l’obseruation desquelles
les Roys regnent auec authorité, & sont obeїs auec respect.
Ainsi la Cour ordonnant qu’il sera fait Registre de tout ce
qui s’est fait dans cette matinée, & le Registre estant enuoyé
à M. le premier President Garde des Sceaux de France,
pour en informer le Roy sincerement & auec cette probité
dans laquelle il a vescu iusques à present, il y a lieu
d’esperer que ces raisons pourront faire quelque sorte d’impression ;
& que sa Maiesté faisant reflexion sur les desolations
de son Estat, donnera quelque sorte de relasche à nos
maux, se laissant vaincre aux tres-humbles supplications de
tous les ordres de son Royaume, qui se trouuent scandalisez
du retour du Cardinal Mazarin ; lequel ayant esté obligé de
se retirer pour donner contentement à la plainte publique
de tous les peuples, n’est retourné que pour estre l’occasion,
le pretexte, & la cause feinte ou veritable de tous nos maux ;
mais telle pourtant, que si elle cessoit, il ne seroit pas difficile
de reünir l’esprit de tous les gens de bien & de tous les bons
François, pour s’opposer à toute sorte de factions qui combattent
l’authorité Royale : Et requis que Registre soit fait
de tout ce qui s’est passé ce iour en la Compagnie, pour estre
copie d’iceluy registre enuoyée à Mons. le premier President
Garde des Sceaux de France, & par luy presentée audit Seigneur,
& qu’il sera écrit audit sieur premier President pour
le prier de faire en sorte que les Remonstrances par écrit portées
par les Deputez de ladite Cour, soient leües en presence
dudit Seigneur Roy, & que la response en soit enuoyée à la
Cour ; & qu’il sera pareillement prié de faire entendre audit
Seigneur Roy les raisons pour lesquelles la Cour ne peut satisfaire

-- 49 --

au contenu és Lettres Patentes du deuxiéme Mars
dernier, lesquelles à cét effet seront écrites audit sieur premier
President,

 

Et sur ce a esté la deliberation commencée & remise à
demain.

Du Samedy treiziéme Auril mil six cens
cinquante-deux, du matin.

CE jour la Cour toutes les Chambres assemblées, Monsieur
le Duc d’Orleans y estant, ayant deliberé sur la
Declaration dudit sieur Duc d’Orleans, & sur celle du sieur
Prince de Condé. Recit fait par Monsieur le President de
Nesmond, de ce qui a esté par luy & les Conseillers de ladite
Cour Deputez vers le Roy pour les Remonstrances par
écrit d’icelle Cour, & sur la Lettre de Cachet dudit Seigneur
Roy contenus au Registre du jour d’hier, & sur les
Lettres Patentes y mentionnées dattées du deuxiéme Mars
dernier, presentée auec ladite Lettre de Cachet par le Procureur
General, & sur ses Conclusiõs. A ARRESTÉ & ordonné,
Que les mesmes Deputez se transporteront par deuers le
Roy, pour le supplier tres-humblement que Lecture soit
faite en sa presence & desdits Deputez, des Remonstrances
de ladite Cour, & faire toutes les instances possibles & necessaires
pour l’obtenir & en auoir response ; Que le Registre
du iour d’hier, contenant la Declaration de Mons. le Duc
d’Orleans, & celle du sieur Prince de Condé, sera portée
audit Seigneur Roy par lesdits Deputez, qui luy feront tres-humbles
Remonstrãces de viue voix, sur les Lettres Patentes
euuoyées en ladite Cour, & representeront les raisons qui
ont empesché le Parlement de proceder à l’enregistrement
desdites Lettres ; Que lesdites Declarations & les Remonstrances
& Relations faites par M. le President de Nesmond
& M. le President de Bellieure, seront enuoyées aux autres
Parlements & aux Compagnies Souueraines qui sont en

-- 50 --

cette Ville, qui seront conuiez de faire de leur part pareille
Deputation, & qu’assemblée generale sera faite en la Maison
& Hostel de cette Ville, ou seront appellez deux notables
Bourgeois de chacun quartier, & aucuns des six corps des
Marchands ; & M. le Duc d’Orleans & ledit sieur Prince de
Condé inuitez de s’y trouuer, & faire les mesmes Declarations
que celles qu’ils ont faites en ladite Cour : & ceux de
ladite assemblée conuiez de Deputer pour demander tous
ensemble l’éloignement du Cardinal Mazarin & la paix generale,
tant dedans que dehors le Royaume. Cependant la
Declaration du Roy & Arrests de ladite Cour contre ledit
Cardinal executez. Fait en Parlement les an & iour susdits.

 

EXTRAICT DES PRIVILEGES DES IMPRIMEVRS
& Libraires ordinaires du Roy.

Par Arrest de la Cour du 24. Octobre 1648. donné en consequence de la Declaration du Roy verifiée
en Parlement, Chambre des Comptes, Cour des Aydes, Chastelet & Bailliage du Palais, &
autres Arrests confirmatifs, il n’est permis qu’à Anthoine Estienne, Sebastien [1 mot ill.] Pierre Rocolet,
Iacques Dugast, Pierre le Petit, & Iacques Lauglois, Imprimeurs ordinaires de sa Majesté,
d’imprimer tous les Edicts, Declarations, Arrests & autres expeditions concernans les affaires du
Roy portées par ladite Declaration : Et defenses sont faites à tous autres Imprimeurs, mesme à ceux
se disans pourueus par Breuets, de les Imprimer ou contrefaire, sur peine de faux, de cinq cens liures
d’amende : Et en cas de contrauention, la peine desdites 500. liures portée par icelle Declaration, dés
à present encouruë ; Et cependant permis de saisir, seeler ou transporter les impressions, presses & caracteres
des contreuenans, nonobstant lesdits Breuets, & autres oppositions quelconques : Et encore
tant par ledit Arrest que autres, sont faites les mesmes defenses à tous Colporteurs & autres d’en vendre
& debiter, ny s’en trouuer saisis, sur les mesmes peines, & emprisonnement de leurs personnes.

Section précédent(e)


Anonyme [1652], EXTRAICT DES REGISTRES DV PARLEMENT, CONTENANT Ce qui s’est passé pour l’esloignement du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1351. Cote locale : B_11_29.