Anonyme [1649], LES RESSENTIMENS DE LA VILLE DE PARIS, SVR LES OBLIGATIONS Qu’elle a à la genereuse Protection DE MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. , françaisRéférence RIM : M0_3517. Cote locale : C_9_77.
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LES
RESSENTIMENS
De la Ville de Paris, sur les obligations
qu’elle a à la genereuse Protection de
Monseigneur le Duc de Beaufort.

MONSEIGNEVR,

La plus parfaite Eloquence des hommes reste inutile,
& demeure impuissante, lors que l’on entreprend les
loüanges des grandes actions d’vn Heros comme vous ;
chacun connoist que cét art ne sert qu’à exagerer, & embelir
les choses : Mais ces actions heroïques que vostre
Altesse met continuellement au iour, auec vne generale
admiration, n’ont pas besoin d’emprunter leur esclat, &
leur splendeur de l’artifice : Puis qu’elles contiennent
tout en elles, & qu’elles surpassent cette flateuse & charmante
lumiere des esprits : Ainsi l’on n’en sçauroit parler
plus dignement que de les representer auec fidelité telles
qu’elles sont, & elles sont s’y grandes d’elles mesmes,
qu’il est impossible d’exprimer naïfuement les pensées
qu’vn subjet si releué inspire, & fait conceuoir : Ce
n’est donc pas sans vne iuste raison que ie dois craindre
de faire vn tableau, que vous ne reconnoissiez pas, & que
vous des-aduouez, n’ayant point de resemblance à son

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original naturel : Il n’y a que vostre Eloquence seule,
MONSEIGNEVR, jointe a la connoissance que vous
auez de vous-mesme, qui puisse reüssir aduantageusement
à vne si belle peinture : Car les vertus sublimes,
les graces sans nombre, & les perfections immortelles,
que possede vostre Altesse, ne se peuuent d’escrire par la
plume d’vn mortel : enfin il n’apartient certainement qu’à
vn esprit angelique comme le vostre, de trauailler à vn
subjet si auguste : Mais il est vray aussi que vostre Modestie
vous deffend cette pensée, & si vous la conceuiez,
elle la destruiroit dés sa naissance, puisque mesme ie
m’aperçois qu’elle m’impose le silence ; Toutefois,
MONSEIGNEVR, Ie suis trop obligé de luy desobeïr,
ie ne dois plus estre insensible & muet, il faut que ie surmonte
mon naturel en cette occasion, il faut que ie
tesmoigne à tout le monde la sensibilité que i’ay de vos
bien fais, & que ie rompe ce silence ordinaire en les publiãt
à la posterité ; Ouy parlons, ne differons pas dauantage :
Mais ie reconnois encores que cette modestie a
conspiré auec mon genie, qui m’abandonne en cét rencontre,
& deffend à ma temerité de me hazarder en vne
entreprise où ma reputation voit sa perte asseurée : Non
ie me trompe, ie doit poursuiure mon dessein : Il vaut
mieux encourir la censure que merite vn œuure rempant,
& porter la peine d’vne presomption blasmable, que
d’estre acusé d’vne noire ingratitude, & atteint du crime
d’vne lasche mesconnoissance : C’est là bien plustost où
ma reputation trouueroit son nauffrage : Permettez-moy
donc, MONSEIGNEVR, que ie commance l’Eloge de
vos actions miraculeuses, en disant que le commencement

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de vostre belle vie, a fait prejuger de la grandeur de
sa suitte. Ce genereux courage que vous auez fait voir
dés les premieres années de vostre âge, où vous auez
recherché les occasions pour le signaller, a donné en
mesme temps, vne preuue asseurée que vous deuiez paroistre
en Mars, comme sa viuante image.

 

Le choix que le deffunct Roy fist de vostre Personne,
pour la garde des Enfans de France, & auoir la charge
d’vn si cher depost, tesmoigne assez qu’il vous en auoit
reconnu digne ; qu’il vous estimoit infiniment ; que vostre
prudence, vostre affection, & vostre fidelité, merittoient
cette faueur Illustre & sans doute vn si beau choix se fit
par vne inspiration celeste, puisque vous estiez predestiné
pour soustenir les interests du Roy, & releuer la vraye
authorité Royale ; aussi cette pensée m’a-t’elle tousiours
conserué l’esperance, que vous respondiez à nostre attente ;
& enfin l’on doit reconnoistre que vous n’auez
esté destiné de Dieu, que pour les grandes choses, &
les actions les plus sublimes : mais si l’enuie vous à rauy
l’honneur de garder ces chers gages de nostre felicité, ne
voyons nous pas que nostre bonne fortune vous à conduit
en eschange, à la garde de la merueille du monde, à
la protection du Trosne des Roys de France ; à la deffence
de la Ville Capitale du Royaume, & à la conseruation
de la vie d’vn milion d’ames qui immortaliseront
vostre generosité, & vous beniront eternellement.

Vostre constance en vne longue & dure captiuité où
vostre innocence a esté iniustement opprimée par vne
accusation calomnieuse, ne marque-t’elle pas la force &
la grandeur de vostre vertu ? Ce grand Dieu vous en a

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deliuré par vn miracle ; afin que cette innocence oprimée
fust reconnuë à la confusion de vos accusateurs &
aussi sa volonté a esté telle que par vostre moyen il se fist
de miraculeux effets pour la deliurance de tout vn peuple
oppressé de douleur qui publira eternellement les
obligations qu’il a à vostre protection, voyez donc que
l’Auteur de la nature s’est declaré vostre Protecteur & le
nostre, il nous a garentis & il vous donnera des recompences
illustres en ce monde, & comme il vous en prepare
de glorieuses, & immortelles en l’autre :

 

Veritablement, MONSEIGNEVR, il faut que vos
actions soient sans pareilles, & qu’elles surpassent l’imagination
des hommes, puis qu’elles sont estimées, &
reçoiuent des applaudissement par la voix vniuerselle
d’vne populace composée de tant de differents esprits,
& dont les sentimens, & les boutades ont souuent si peu
de rapport, & de correspondance : C’est la chose la plus
difficile de toutes, de satisfaire vn chacun ; les actions
les plus belles ne reçoiuent iamais vne generale approbation
du public : si l’vn les approuue, l’autre les reprouue,
si quelqu’vn les loüe, l’autre les blasme, & si l’vn a de
l’amour & de la passion, l’autre a de la haine, ou du moins
de l’indifference, il n’y a que les vostres, MONSEIGNEVR,
qui ayent remporté cét aduantage ; & lors que l’on attire
comme vous l’affection & la bienveillance de tout le
peuple à vn si haut degré, l’on doit iuger de là, qu’vne
telle personne possede des perfections & des qualitez
surnaturelles ; Ah ! MONSEIGNEVR, que cette affection
est iuste, qu’elle est bien fondée, & que l’on a de raison
de l’auoir conceuë, l’ayant cimentée ainsi que vous auez

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fait ; quand vne armée victorieuse qui donne de la terreur
aux plus hardis, quand sous vn pretexte specieux de maintenir
l’authorité Royale deguisée, l’on conspire la ruine & la
perte d’vne ville qui contient vn second Monde ; & quand
des trouppes agueries attentent à la vie, portent la mort à
tant de peuples, desolent les campagnes, mettent aueuglement
l’Estat en proye pour satisfaire à des passions & à des
vengeances ; vous au contraire, esmeu de me voir sur le penchant
d’vn si dangereux precipice, & blessé de reconnoistre
la veritable authorité du Roy esteinte, vous acourez à nostre
secours, & venez nous releuer du tombeau, nonobstant
tous les dangereux effets, les desaduantages, les disgraces
qui vous en peuuent arriuer, & mesprisant la faueur, passant
sur toutes sortes de considerations, vous suiuez les sentimens
de l’ancienne vertu Romaine, qui vous fait preferer
vne gloire asseurée, & des loüanges immortelles, à des vains
honneurs, & des flateries de Cour, qui n’ebloüissent que les
ames capables de lascheté. Aussi auez vous vn cœur qui
montre que le sang qu’il enserre est vn sang veritablement
Royal, & Illustre, qui ne degenere en rien de celuy de ses
Ancestres.

 

Ne dois-je pas dire encore, Monseigneur, que vostre generosité
est sans exemple, n’auez vous pas combattu contre
la mort, pour conseruer la vie à tant de milliers d’ames qui
alloient succomber par la faim ? N’auez vous point hazardé
tant de fois vostre vie pour asseurer la leur ? Et ne semble-il
pas que vous ayez voulu les nourir de vostre sang mesme ?
Puisque vous l’auez prodigué pour leur faire auoir incessamment
des viures ? Ah ! que vous estes vn Beaufort à mes
Citoyens, & que vostre defence estoit necessaire à leur salut.

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Il se trouue peu de personnes comme vous, qui embrassent
auec tant d’ardeur la protection des miseres publiques, &
de l’innocence persecutée, le peuple le plus grossier le reconnoit
bien : Quant à moy, Monseigneur, encores que
mon impuissance trahisse mon zele, ie ne laisse pas de faire
mes efforts pour vous en tesmoigner mes ressentimens. Et si
autre fois Paris par vn iugement équitable adiugea le prix de
la beauté à Venus, souffrez aussi que pour le prix de vos soins,
& de vos defences genereuses & triomphantes : Paris vous
offre maintenant des loüanges & des actions de graces,
comme à vn Mars, non pas celles qui vous son deuës, car
elles deuroient estre infinies, mais au moins celles qui sont
en mon pouuoir.

 

Enfin, Monseigneur, reconnoissez que vos actions sont
grandes, & que vostre Eloge doit estre semblable, puis
qu’elles forcent vn corps comme le mien sans voix & sans
veuë de parler, & de voir : Ouy, Monseigneur, ie le dis dedans
nostre infortune i’ay vn plaisir incroyable, & vne esperance
aduantageuse, vous voyant aller aux combats auec
vne ardeur de vaincre que l’on remarque dans le feu de vos
yeux, la hauteur de vostre taille, ce port maiestueux, cette
beauté Martialle, ces graces merueilleuses, & ce ie ne sçay
quoy charmãt m’inspiroit des desirs de vous suiure toûjours
pour conseruer vne veuë si agreable que la vostre, mais
vous rauisez encore bien plus vn chacun quand l’on vous
voit reuenir victorieux, accõpagné de ces rares perfections
du corps, que la Nature a jointes à celles de vostre ame : Ie
souhaitte pour l’vn & pour l’autre vne felicité eternelle ; Ce
sont les vœux que ie dois faire, & que vous proteste de garder
inuiolablement,

Cé 7. Mars 1646. PARIS.

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Anonyme [1649], LES RESSENTIMENS DE LA VILLE DE PARIS, SVR LES OBLIGATIONS Qu’elle a à la genereuse Protection DE MONSEIGNEVR LE DVC DE BEAVFORT. , françaisRéférence RIM : M0_3517. Cote locale : C_9_77.