Anonyme [1649], LES REGRETS DV CARDINAL MAZARIN, SVR LE LEVEMENT DV SIEGE DE CAMBRAY. Auec la description des Arcs de Triomphe qu’il pretendoit faire eriger lors qu’il feroit sa premiere entrée dans cette Place. , françaisRéférence RIM : M0_3085. Cote locale : A_8_12.
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LES
REGRETS
DV
CARDINAL
MAZARIN,
SVR LE
LEVEMENT DV SIEGE
DE CAMBRAY.

Auec la description des Arcs de Triomphe qu’il pretendoit
faire eriger lors qu’il feroit sa premiere entrée
dans cette Place.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LES REGRETS DV CARDINAL
Mazarin sur le leuement du Siege de Cambray, auec
la description des Arcs de Triomphe qu’il pretendoit
faire eriger lors qu’il feroit sa premiere eutrée dans
cette Place.

Qvoy que le Cardinal Mazarin eut donné
en proye deux ou trois Prouinces aux troupes
Alemandes pour les obliger à seruir en Flandres
auec affection. Pourtant lors qu’il a esté
temps de faire passer l’armée au delà de la Riuiere
de Somme, pour entreprendre quelque chose
glorieuse & vtile à la France ; tout le monde sçait
quelle peine les Princes du sang ont eu pour
obliger ces enragés picoreurs à aller à leur deuoir.
Et quoy que les coffres du Roy n’ayent iamais
esté épuisez comme ils sont à present, pourtant
l’on a veu auec quelle obstination ces troupes
Estrangeres ont demandé de l’argent &
quelles menaces pleines d’insolence ils ont osé
faire ; tellement que nonobstant qu’ils fussent
tous riches & qu’il n’y eut pas le moindre Reitre
qui n’eut rempli sa bource en rançonnant & saccageant
les pauures François, il a falu pourtant

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leur donner des sommes immences : Et apres tout
cela comme l’armée a esté ioincte, & qu’elle a
esté campée deuant Cambray, la lascheté de cette
nation a paru à sa honte, & au grand regret de
ceux qui s’en seruent au mespris de la nostre ; Car
les ennemis estans venus pour faire entrer trois
mille hommes dans la place assiegée ; Comme
l’on combattoit vaillamment du costé des François,
les Allemans ont fait iour, & lasché le pied à
l’endroit qu’ils auoient en garde : En sorte que le
Comte de Harcourt a esté contraint de leuer le
Siege, puis que la place estoit desormais trop
munie de gens, & qu’il n’y auoit rien qui en eut
fait esperer la prise que le peu de soldats.

 

Le Cardinal Mazarin qui faisoit mille desseins
chimeriques sur la croyance qu’il auoit de se voir
bien-tost Gouuerneur de cette forte & importante
place ; (Celles de Peronne & d’Amiens luy
ayans esté genereusement refusées) estoit dans sa
chambre au chasteau de Compiegne auec Bautru,
le Cheualier de Iars, Ondedei & Torelly pour
resoudre & inuenter les magnifiques Tableaux &
les glorieux trophées qu’il estoit resolu de faire
appendre aux Arcs Triomphaux qu’il vouloit
qu’on preparât à son honneur lors qu’il feroit sa
premiere entrée en cette place, l’ancienne & illustre

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Genealogie de ses glorieux Ancestres y deuoit
estre dépeinte auec leurs portraits, leurs
noms & leurs qualitez.

 

Le Triomphe de Venus Paphienne & celuy de
Cupidon Gomorreen y deuoient aussi estre representés,
auec toutes les friponneries, inuentions
& finesses dont se seruent ceux qui reuerent
ces deux Diuinitez & qui mettent en pratique
l’amour naturel & son contraire.

Au troisiéme Arc de Triomphe son Eminence
estoit resoluë de se faire peindre au naturel au
haut bout d’vne grande table ioüant aux cartes
& aux dez auec plusieurs Seigneurs François &
Italiens, & leur donnant ses premieres leçons du
jeu du Hoc qu’il a inuenté & qui porte son nom ;
La Fortune le hazard & la tromperie y deuoient
estre figurées selon la fiction des Poëtes, mettans
vne couronne de Laurier sur la teste de son Eminence,
comme estant le Prince, c’est à dire, le plus
grand des joüeurs & le plus subtil pipeur qui fut
iamais.

Au quatriéme Arc triomphal, l’on destinoit de
mettre les victoires qu’ont obtenu par toutes les
Prouinces de France, les Intendans de Iustice, les
Exacteurs de tailles, & les Fuzeliers durant le
Ministere de ce grand Cardinal.

Le cinquiesme deuoit estre decoré des portraits
au naturel de ces vaillans Argonautes qui

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ont rauy où plustost escorché la Toison d’or de
la France, pour en liurer entre les mains de son
Eminence la plus grande partie ; les six principaux,
& qui deuoient paraistre d’auantage estoient,
Emery, Tubeuf, Catelan, Tabouret,
le Févre, & le Chanchelier lequel approuuoit &
confirmoit par les sceauz du Royaume toutes
leurs diaboliques inuentions.

 

Le Siege d’Orbitelle, & le transport des medailles
d’or des Roys Louys XIII. & Louys XIV.
& de grande quantité de riches pierreries deuoient
orner le sixiesme Arc ; Monsieur le Cardinal
ayant sur tout ordonné à Torelly de faire peindre
le pere de son Eminence riant & sautant de
ioye comme vn pantalon de Comedie, rauy d’aise
de voir tant de richesses aborder chez luy.

La Promotion du Cardinal de sainte Cecile
frere de son Eminence estoit destinée pour decorer
le sixiesme Arc, & l’on si proposoit d’y representer
le Pape Innocent regnant à present qui la
refusoit & qui ne l’eut iamais accordée sans les
insolentes menaces dont on l’intimida ; le voyage
que ce Cardinal fit en Catalogne en qualité de
Viceroy deuoit paroistre au loingtain du tableau,
auec le nom de Triuelino fato Pricipe que nos
Courtisans & les filles de la Reyne luy donnerent
apres qu’elles se furent mille fois mocquées de
toutes ses extrauagances.

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Au septiesme, son Eminence vouloit qu’on
representast les exploits genereux du Baron de
Paluau comme estant son Heros, & celuy de tous
les François qu’il cherit le plus, & pour cét effet
l’on deuoit representer ce grand Capitaine à la
teste de deux mille hommes dont-il auoit desgarny
Courtray, ameinant ce renfort à Monsieur le
Prince qu’au Siege d’Ypre, sans qu’il en fut besoin
que pour donner selon l’intention du Cardinal,
moyen aux ennemis d’emporter comme ils
firent ceste place de viue force. Et quoy que tous
ces habiles hommes qui aydoient à son Eminence
à inuenter ces glorieux tableaux ne iugeassent pas
à propos qu’on y d’eut esleuer ny faire paroistre
cela, le croyant honteux au Cardinal, il fut de
contraire sentiment & leur repliqua qu’il estoit
bien asseuré que les plus rusez politiques admireroit
sa prudence sa conduite en ceste occasion ;
car donnant par ce moy quelque glorieux aduantage
aux Espagnols, il esloignoit la paix qu’ils
estoient sur le point de demander si ceste place
qui est dans le cœur de la Flandre nous fut demeurée :
Et comme son pouuoir ne subsiste
& ne se maintient que par le trouble &
par la continuation de la guerre, il eut esté bien
fasché qu’elle finit, & que le pretexte d’exiger des
Peuples des sommes immenses luy fust osté.

Le siege de Lerida opiniastré deux années de

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suite, par les deux plus vaillãs Princes de l’Europe,
ausquels rien n’auoit paru impossible iusques là
& qui se trouuerẽt courts en cette occasiõ par
les promesses mal exécutées du Cardinal & par la
faute d’argent, & des renforts qu’il leur auoit promis,
Estoit reserué pour le huictiéme Arc Triomphal.
Pour faire connoistre à toute l’Europe le
pouuoir qu’il auoit de faire perir nos Armées
quand la volonté luy en venoit, pour temperer
nos trop frequentes victoires & pour rabaisser vn
peu la gloire de ces deux Heros qui auoient tousjours
esté victorieux.

 

Le siege de Cremonne si inutille à la France
deuoit estre dessinné sur le neufiesme Tableau,
auec les miseres de Cazal, & la gueuserie des Soldats
qui y sont en garnison, qui ont commis mille
meschancetés dans le Mont-ferrat ; Et pour
enrichir cette peinture d’vne plus agreable varietè ;
l’on demeura d’accord d’y representer nos
Armées Naualles allãs & reuenans de Naples où
elles ont conduit des secours si considerables,
qu’on ne regrette que fort peu les vaillans hommes
que nous y auons perdu, & la prise de Monsieur
de Guise n’a passé que pour vne bagatelle.

Au dixiesme l’on estoit resolu de representer
les commencemens de la guerre de Paris ; la
Reyne auec vne Majesté éclatante, & toute remplie
de gloire pour les heroïques actions qu’elle

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a faite par le Conseil de son Ministre, deuoit paroistre
sur vn Trosne esleué, menassant auec le
bout de son Sceptre tout le Parlement qui luy
estoit venu faire des Remonstrances ; Mr le Cardinal
y deuoit estre aussi figuré, tenant les glans
du colet d’vn des plus hardis Conseillers de ce celebre
Parlement, se faisant admirer par les belles
comparaisons & les sçauantes Moralites, dont il
tachoit de persuader tous ces Senateurs ; La prise
de Monsieur de Blanc mesnil, & de Monsieur
de Broussel y deuoient paroistre dans le lointain,
auec les barricades de Paris & le retour de ces
deux Senateurs, qui obligea le Peuple à quitter
les armes.

 

Le nocturne enleuement du Roy, ou pour
mieux dire, la sage fuitte de ce grand Cardinal,
tenant sa Majesté sur ses genoux pour éuiter les
accidens dont les mauuaises Propheties le menassoient,
estoit le suiet qu’on destinoit au vnziéme
Tableau.

Le fameux siege ou blocus de la ville de Paris,
la prise de Charenton, la mort de Monsieur de
Chastillon, la sage conduitte du Parlement, des
Generaux & du Peuple de cette grande Ville, le
zele & la chaleur auec laquelle toute la Bourgeoisie
sortit pour aller secourir Monsieur de Beaufort,
les grands Conuois que ce vaillant Prince,
& les autres Generaux firent entrer à diuerses
fois, pour nourrir vn si grand Peuple en despit du

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Mareschal de Guiche & de sa valeur : Le Camp de
Iuuisy, la Conference de Ruel & le retour du pain
de Gonesse, deuoient remplir le grand Tableau
qu’on premeditoit de faire pour le douzisme
Arc de Triomphe.

 

Et quant à celuy qu’on auoit resolu de mettre
au deuant du logis de son Eminence deuoit venir
descendre ; La prise de la Ville & des trois Citadelles
de Cambray y estoit reseruée auec la
sumission des principaux Magistrats & Officiers
de la Ville, conduits par le Comte de Harcourt,
lesquels presentoient à Monsieur le Cardinalles
clefs de la ville dans vn grand bassin de vermeil
doré tout remply de fleurs.

Mais helas, comme ce grand & redoutable
Ministre se réioüissoit auec ses seruiteurs, dans
l’esperance certaine qu’il auoit conceuë de la
prise de cette place, laquelle il destinoit deuoir
estre son plus ferme rempart & sa retraitte plus
asseurée ; Vn Courrier arriua qui luy apporta la
nouuelle que le siege estoit leué, le secours y
estant entré par le quartier des Allemans, ce fut
alors que la ioye fut changée en tristesse, & que
leurs visages abbatus & consternés firent paroistre
leur confusion, & leur crainte par leur pasleur
& par leur interdiction ; Le Cardinal faillit à
enrager & quoy que tous ses plus particuliers
amis fissent tout leur possible pour le consoler,
il ne faillit iamais à se remettre, il se promenoit

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en colere, il battoit des pieds & des mains, il déchira
& mangea toutes les lettres & tous les desseins
de ces Tableaux que Torelly luy auoit faits
pour cette magnifique entrée. Bref il vomit tant
d’iniures & tant de reproches contre les Allemans,
& generalement contre tous les Officiers
de l’Armée, qu’il seroit impossible de les raconter.
Quoy, dit il, faut-il que ie sois si mal-heureux
que la Nation en laquelle ie mettois toute ma
confiance & ma seureté soit celle qui m’ait abandonné
au besoin, que ces Allemans par lesquels
ie pretendois me vanger des Parisiens, & des autres
François rebelles, n’ayant pû soustenir l’effort
des trois mille hommes, Est ce ainsi, traistres
& chelmes, que vous m’auez seruy pour tant de
biens que ie vous ay fait ? Ha ! que ie vois biẽ pourtant
que vous n’estes bons qu’à picorer, & que les
François ont mille fois plus de cœur & plus de
vigueur que vous autres. Ie vois par vostre lascheté
tous mes desseins reduits en fumée, ie pensois
d’estre le Maistre absolu de Cambray comme
ie suis de Dumkerque, mais à present i’ay peur
que l’ennemy deuenu orgueilleux de ce bon succez,
ne tourne toutes ses forces pour m’oster aussi
bien la premiere comme il m’a empesché de
prendre l’autre ; Quoy ie ne feray point cette
pompeuse & magnifique entrée où ie m’estois
imaginé paroistre auec tant d’esclat ; Quoy ! mes
Niepces accompagnées de ces Princes & Grands

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Seigneurs qui leur font l’amour, ne ioüiront point
des honneurs de mon Triomphe ? Quoy les belles
& riches casaques que i’ay fait faire secrettement
à Lyon pour mes Gardes, & que iusque’icy
n’ont esté que de la couleur de Monsieur de Vendosme,
ne paroistront point à la teste de toute
l’Armée, & leur broderie ne fera point admirer
aux Nations conquises l’esplendeur de ma gloire
Ha ! mort bieu i’enrage ; mais ce qui me met
encore en plus grand desespoir, c’est que ie ne
vois point de remede, n’y de resource pour me
releuer de cét accident inopiné qui me rend si
confus & si estourdy que ie ne sçay de quel costé
me tourner, pour empescher ma cheutte, & éuiter
les iustes reproches que chacun me pourra
faire en se mocquant de mon ambition & de
mon orgueil. Et pour acheuer ma confusion &
mon mal-heur, i’apprehende que si la Reyne ne
fait tous ses efforts pour me maintenir, que mon
idole qui chancelle depuis si long-temps ne soit
entierement renuersée, & que les Alliances que
i’estois sur le poinct de faire, ne passent desormais
que pour des mariages de Iean des Vignes, &
qu’au bout du conte ie ne sois contraint de me
confiner auec mes Niepces dans quelque lieu ; où
ie puisse faire penitence des maux que i’ay faits
à la France durant mon Ministere.

 

FIN.

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