LES MOTIFS DE LA RETRAITE
de Monseigneur le Duc de Beau-fort,
dans sa Solitude,

CEVX qui iugeront que Monseigneur le
Duc de Beau fort, a changé la vie actiue
en solitaire par vn desplaisir insupportable
d’auoir osté la vie à son beau-frere le Duc de
Nemours, ne doiuent pas estre mis au rang des
Sages. Pẽsent ils que ce Heros n’oseroit paroistre
en public comme si l’on luy deuoit reprocher
sa valeur & sa bonne fortune ? non certes
comme son courage luy a seruy à defendre sa
vie & son honneur, aussi ce mesme courage
l’accompagnera tousiours & i’estime que ce seroit
vn blaspheme de dire qu’il a choisi ce lieu
de retraicte pour y retracter les actions de sa
vie passée.

Ie laisse à part que nostre Heros s’est voüé
depuis quatre années à nous, & qu’outre sa

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Naissance qui la destiné au public il est encore
nostre, par vn tiltre que luy mesme estant aussi
iuste que bon, ne nous peut pas faire perdre. Il
a reculé tant qu’il a peu & a contraint mesme
son courage, pour ne nous pas attrister par son
esloignement ou par sa perte, maintenant il
s’est retiré dans la Solitude pour deplorer le
malheur de son Beau frere nous luy deuõs donner
quelque tẽps ou du moins luy en relacher
quelques moments qu’il recompensera bien
tost par de plus agreables victoires. Il s’est retiré
de la foule & de la presse non pour l’euiter
mais pour la considerer mieux Celuy qui defit
Annibal & qui rẽdit Rome d’Esclaue, l’Emperiere
de l’Vniuers se retira dans la Solitude, ce
grand Scipion nous a laissé cette belle Sentence
qu’il n’estoit iamais moins oisif que lors qu’il
estoit dans l’oisiueté. Le Sage peut viure content
par tout, ou seul, ou dans la foule du Palais.
Ne nous alarmons point si nous sommes
priuez de la veuë de Monsieur le Duc de Beaufort,
il ne nous a pas abandonnez il s’est retiré
tandis qu’on trauaille à faire voir son innocence,
son A R ne peut supporter qu’auec vn extreme
regret l’absence de son cher Nepueu, il a
tant de tendresse pour luy qu’il en a mesme
versé des larmes. Le Prince de Condé, a partagé

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ses ressentimens dans vn tel malheur leurs
A. A. enuoyent à tous moments visiter le Duc
de Beau-fort de leur part & tachent de faire tenir
secret le lieu de sa retraicte afin qu’il ne soit
pas importuné par l’affluence du peuple qui accouroit
à la foule s’il estoit en lieu ou l’õ le peut
voir, c’est pourquoy le Duc de Beau-fort, a
choisi les Cellules de plus austeres & de plus
retirez pour y sejourner, quelques vns estiment
que ce soyent au Chartreux qu’il est à present,
d’autres dans les Capucins de la ruë S. Honoré,
peut estre que son A. n’est ny chez les vns ny
chez les autres, & quelque part ou il est nous
pouuons dire qu’il est au cœur de Paris, ou des
Parisiens, & que nous le reuerrons bien tost à
la teste de nos Armées pour nous defendre &
pour gaigner des Victoires.

 

Personne ne doit reuoquer en doute que la
Cour de Parlement ne le declare innocent ou
n’interine les Lettres de sa grace, le Cartel de
deffi & les lettres du deffunct Duc de Nemours
qui l’ont souuent prouoqué, & qu’il peut mettre
entre les mains de la Cour luy seruiront de
iustification, apres laquelle il reprendra l’exercice
de sa charge.

Il y en a plusieurs qui soubçonnent le Cardinal
de Retz, d’auoir reueillé la querelle & s’estre

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seruy du Marquis de Villairs, pour pousses
le Duc de Nemours, à faire appeller le Duc de
Beau-fort, que la Cour auoit promis l’Espée de
Connestable au Duc de Nemours, s’il fut venu
à bout de ce dessein, & que le Duc de Beau-fort
a reproché a son beau frere d’estre Mazarin.
Le Comte de Rieux, n’est pas moins soubçon,
né de trahison ayant voulu mettre l’Espée à la
main contre Monsieur le Prince dans le Luxembourg.
Il est tres certain que le Cardinal Mazarin,
employeroit toutes les furies de l’Enfer,
pour executer ses pernicieux desseins, mais
comme les demons ne font pas tout le mal
qu’els voudroient faire, la Iustice Diu in eles
tenant enchaisnés dans les Enfers, aussi ce demon
Sicilien tesmoigne autant d’impuissance
dans l’execution de ses malheureux desseins
qu’il a de malice pour les concerter & de fureur
pour les entreprendre.

 

La Duchesse de Nemours, est celle qui semble
le plus apleindre. L’exces de la douleur rend
en quelque façon iuste, tout ce qui est irraisonnable.
Elle a dechiré le Tableau de son frere
& se dechire elle mesme, c’est elle qui peut
dire mieux que chymene, la moytié de moy mesme
à mis l’autre au Tombeau.

Pour satisfaire à mon tiltre ie dis que les

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Motifs de la retraite de Monsieur le Duc de
Beau-fort, ne sont pas ceux que quelques vns
pourroient s’imaginer ; à sçauoir ou la crainte
de paroistre en public ; puis que la Victoire, a
esté du costé le plus iuste, ou la Religion. Celle
cy opposée à la superstition ne tire point l’homme
hors du deuoir. Ce n’est point l’Esprit de
Dieu qui persuade les hommes d’abandonner
ceux que la Pieté oblige de deffendre. Les
Anciens Idolatres, ont authorisé les Sacrifices
les plus Barbares, croyant appaiser leurs Dieux,
egorgeant sur leurs Autels les plus Innocentes
victimes.

 

Tantum religio potuit suadere malorum.

Mais il s’est voulu sequester pour vn temps
afin de prendre de luy mesme des consolations
que les autres ne luy pourroient donner, & digerer
à loisir l’aigreur que ce coup fatal luy a
laissé dans son esprit.

Voyla les veritables Motifs qui ont porté ce
Heros à se retirer pour vn temps ; & comme
tous les momens de sa vie nous sont pretieux,
aussi cette absence nous semble déja trop ennuieuse,
nous le verrons aussi au premier iour
donner autant d’espouuante aux ennemis, qu’il
causera de joye à ceux qui ne respirent que par
luy & pour luy.

FIN.