Anonyme [1649], LES DERNIERES PAROLES DE MONSIEVR LE DVC DE CHASTILLON MOVRANT, A Monsieur le Prince de Condé. , françaisRéférence RIM : M0_1036. Cote locale : B_6_45.
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LES DERNIERES
PAROLES DE MONSIEVR
LE DVC DE CHASTILLON
MOVRANT,
A Monsieur le Prince de Condé.

A PARIS,
Chez HENRY SARA, au mont S. Hilaire,
pres le Puits Certain.

M. DC. XLIX.

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Lettre enuoyée de S. Germain à l’Imprimeur.

MONSIEVR,

L’employ dont feu Monseigneur le Duc de Chastillon m’auoit
honoré pendant sa vie, m’ayant donné beaucoup d’accez aupres de
luy, & ayant reconnu dans toutes ses actions vne inclination tres-zelée
pour le public ; i’ay crû qu’il estoit de mon deuoir de faire
connoistre à tout le monde quels ont esté ses sentimens. I’espere que les
derniers paroles qu’il a tenu à Monsieur le Prince, suffiront pour
effacer les impressions que son malheur pourroit auoir donné à son
desauantage, apres les auoir recueillies auec soin, ie n’aurois pas differé
à vous en enuoyer le memoire, si i’eusse trouué plutost la commodité de
vous le faire tenir seurement. Ie vous prie de le mettre en lumiere auec
le plus de diligence que vous pourrez ; quoy que ie ne sois pas connu
de vous, ie ne doute point que vous ne m’accordiez cette faueur,
en consideration d’vn homme de qui la memoire doit estre par tout en
veneration.

De S. Germain en Laye ce Vendredy
12. Feurier 1649.

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LES
DERNIERES PAROLES
de MR le Duc de Chastillon mourant,
A Monsieur le Prince de Condé.

MONSIEVR,

Puisque les conseils d’vn seruiteur fidele, & d’vn
amy passionné ne peuuent estre suspects, & qu’il me
reste assez de force pour vous exprimer mes dernieres
pensées : souffrez qu’en cette extremité de ma vie ie
vous ouure encor vne fois mon cœur. Ces playes toutes teintes du
sang que ie viens de répandre pour vous, seruiront de passage à vôtre
veüe, & feront assez connoistre que mon zele n’est point alteré, &
que ie ne veux employer les derniers momens qui me restent, qu’à
trauailler pour vostre gloire, & pour vostre conseruation. Apres
m’auoir engagé dans vos interests par des obligations si pressantes,
que s’il me restoit plusieurs vies, ie serois toujours dans l’impuissance
de les reconnoistre ; ce que j’ay à vous dire, ne peut estre soupçonné
d’artifice : comme vostre seul interest me fait parler, ie parle aussi
sans déguisement, & sans flatterie ; que si ie mesle vn peu de chaleur
dans mon discours, ie vous conjure de la receuoir comme les restes
d’vne amitié mourante qui iette ses dernieres estincelles.

Cette naissance illustre qui fait la premiere montre de vostre
grãdeur, & ces autres qualitez qui éclatent visiblement en vous, sont
des biens que vous tenez d’en-haut. Comme la Sagesse infinie ne
dispense point temerairement ses dons ; ce n’est pas aussi inutilement
qu’elle vous a comblé de tant de graces : Elle vous a fait naistre sujet
d’vn Roy, pour le defendre de l’oppression ; Elle vous a fait naistre

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de son sang, pour le mettre à couuert de la tyrannie ; pour peu que
vous relaschiez de ce soin, cette Majesté toute-puissante vous peut
desauoüer. Il est vray qu’elle vous a prescrit vne loy, dont l’obseruation
est laborieuse : mais elle vous a rendu cette necessité facile par
vne infinité d’auantages dont elle vous a reuestu.

 

Ce n’estoit pas assez d’estre venu au monde auec cette obligation,
il falloit que vos forces & vostre courage répondissent à vostre deuoir ;
le Ciel ne vous a point refusé cette grace, nous en auons veu des
effets, dont on ne peut se resouuenir sans étonnement ; & nos ennemis
n’ont pas crû se pouuoir consoler de leurs pertes, qu’en mettant
vos victoires au nombre des miracles. Aussi faut il auoüer qu’elles
sont au delà de la vray-semblance ; & la posterité aura de la peine à
croire qu’vn ieune Conquerant à peine sorty de l’enfance, ayt esté
consideré comme le Pere du peuple, & le Protecteur de l’Estat.

Que pouuoient produire ces merueilles dans le cœur de vostre
Patrie, sinon vn zele & vne tendresse pour vous ; sinon vne estime &
vn respect qui vous faisoit regarder comme son seul appuy ? Apres
vous auoir veu tant de fois triompher de nos ennemis sur la frontiere,
elle ne craignoit pas qu’vn ennemy plus dangereux nous troublast au
milieu de la France ; ou du moins elle esperoit qu’vne temerité de
cette nature vous seroit vn sujet de nouueau trophée : mais helas!
contre toute apparence elle n’a pas seulement veu ce monstre prest à
la deuorer, mais encor elle a veu cette assistance qu’elle attendoit de
vous, se changer en persecution. Elle a veu, & elle voit encor celuy
qu’elle pensoit deuoir estre son defenseur, se declarer son ennemy ;
& pour mettre à couuert vne teste ingrate & criminelle, ietter vne
infinité d’innocens dans le peril, abandonner son Roy à la trahison
de cet infame, & laisser pancher vne Couronne, dont vous deuriez
estre le soûtien. Pensez-vous apres cet oubly de vous-mesme que
le peuple vous connoisse encor ? Et croira-on que vous estes sorty d’vn
sang contre lequel vous fomentez la rebellion & la violence ?

Lors que Paris comblé de ioye pour l’heureux succez de vos Armes,
rendoit grace à Dieu de vostre derniere Victoire, & faisoit des
vœux pour vostre prosperité ; cette liesse fut troublée par vn malheureux
attentat, qui conuertit cette réjoüissance solennelle en vn regret
public de l’affront qui vous estoit fait. Le dépit de voir vostre honneur
blessé dans cette insolente entreprise, ioint au déplaisir de voir
deux personnes d’vne vertu eminente arrestées sous l’appast d’vne

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ceremonie, durant laquelle la memoire de vos actions eut deû seruir
de seureté à des coupables ; émeut tellement le peuple, qu’il prit les
armes pour remettre ces deux excellens hommes en franchise, &
pour venger l’injure qu’on auoit faite à vostre nom. Dans cette malheureuse
conjoncture on ne respiroit que vostre presence ; & quoy
que sur l’heure il eut esté facile de dissiper l’orage qui nous menaçoit,
on se contenta d’en arrester le cours, parce que l’on s’imagina que la
perte des ennemis de l’Estat estoit reseruée à vous seul.

 

Mais, bon Dieu, que l’éuenement a fait voir d’erreur dans nos
esperances! vous n’auez pas seulement oublié les indignitez qui vous
ont esté faites, vous n’auez pas seulement abandonné le peuple à ses
premieres allarmes ; vous l’auez mis vous-mesme sur le bord du précipice,
où il seroit déja plongé, si Dieu n’auoit entrepris sa defense,
& si vn genereux zele ne l’auoit excité à maintenir valeureusement
sa liberté.

S’il a esté trompé dans l’esperance qu’il auoit eüe de vostre secours,
vous auez esté abusé dans l’opinion que vous auiez conceüe de le reduire
bien tost à l’extremité ; toute la Cour qui attendoit auec impatience
l’effet de vos grandes promesses, en connoist à present l’impossibilité ;
& ces Parisiens qui deuoient estre sousmis en moins de huict
iours, en ont laissé écouler six fois autant sans s’estre veus seulement
en estat de vous craindre.

Vous auez auiourd’huy ressenty les effets de leur resolution, vne
poignée de leurs gens a long-temps resisté à la moitié de vostre armée
dans vne place qui estoit de tres-peu de defense, & quoy que vous
l’ayez emportée, ce succez a esté precedé d’vne perte si notable, qu’elle
passe de beaucoup la grandeur de vostre victoire : vous y auez perdu
vne bonne partie de vos Soldats, & ce qui est presque irreparable
dans vne armée, vos meilleurs Officiers y sont demeurez.

Ce premier coup de vostre mauuaise fortune est d’autant plus à
plaindre en ceux qui en ont ressenty la violence, qu’ils s’estoient
efforcez de l’éuiter. Il sembloit qu’ils preuissent l’effet de cette funest
resolution, chacun d’eux vous en auoit dissuadé, & vous sçauez
que ie fis mon possible pour vous en diuertir. Ce n’estoit pas que
ie craignisse la mort, mais j’apprehendois l’infamie ; on ne doit point
épargner sa vie quand on la peut perdre auec gloire ; & j’ay tousiours
creû n’en pouuoir trouuer dans vne attaque, où j’auois à tremper mes
mains dans le sang de mes proches. Plût à Dieu que j’eusse rencontré

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la fin de mes iours en combattant contre nos ennemis communs ;
j’aurois receu la mort auec ioye en répandant mon sang pour la defense
de mon Pays, & de mon Roy. Vous auez esté tesmoin mille
fois auec combien d’ardeur ie me suis exposé aux hazards de la guerre,
lors que j’ay crû y trouuer cette gloire qui sert de recompense à la
valeur ; ma mauuaise fortune m’a dérobé à ces dangers honorables,
pour me ietter dans le malheur dont vous me voyez accablé ; quand ie
considere que ie meurs auec honte, auec les reproches des gens de
bien, & auec la haine des peuples, cette reflexion me donne vn second
coup plus mortel encore que le premier.

 

Monsieur, si la voix d’vn amy qui expire est capable de vous toucher,
faites-vous vn exemple de ma disgrace ; vous m’auez si souuent
asseuré que vous reconnoissiez de la conformité dans nos humeurs,
que j’ay peur qu’il ne s’en rencontre aussi dans nos fortunes. Ceux que
vous vous estes rendu vos ennemis, n’esperent desia plus trouuer de
seureté pour leur vie, que dans la perte de la vostre. Iugez de combien
de perils cette opinion vous menace. Pensez-vous pouuoir resister
tout seul à vn ennemy puissant, & qui est presque dans le desespoir ;
car de croire que vous receuiez beaucoup d’assistance de vos soldats,
c’est ce qui est peu vray-semblable, ils sont en petit nombre, & de
plus il n’y en a point parmy eux qui n’ait fort bien reconnu par le passé,
que vous n’estimez pas leur vie plus qu’vne chose de neant : ce
n’est que l’esperance du butin qui les retient aupres de vous. Mais
outre que cette licence est l’affoiblissement d’vne Armée, ils commettent
des violences si horribles par la campagne, qu’il n’y a plus
rien qui n’y conspire leur ruine & la vostre. La rage & le desespoir
fournissent des armes bien dangereuses à ceux qui en sont possedez.
Ayant d’vn costé vne infinité d’ennemis en teste, & de l’autre la campagne
estant animée contre vous, il est impossible que vous puissiez
encor subsister long temps : pas vne Prouince ne tient pour vous ; par
le defaut du commerce vostre Armée est dénuée de toutes les munitions
necessaires ; n’ayant pour toute subsistance que le pillage de
quelques villages, cela ne suffit pas pour entretenir vostre Camp ;
L’argent vous manque ; s’il y a aupres de vous quelques personnes
qualifiées, vous deuez croire qu’elles y sont moins par affection que
par bienseance ; où l’interest de leur charge les arreste, où la crainte
que ceux dont vous fauorisez le party, n’attentent à la personne du
Roy : Il n’y a pas mesme iusques à nos alliez qui n’ayent refusé de

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seruir : les nostres pour la pluspart combattent auec repugnance,
ayans tous leurs femmes & leurs enfans de dans Paris, contre lesquels
ils ne sont pas assez brutaux pour vouloir employer leurs armes. Les
intelligences que vous pourriez auoir auec les estrangers, ne peuuent
pas reüssir pour l’empeschement des passages.

 

Qui vous peut donc obliger de perseuerer si opiniastrément dans
vostre dessein ? qui vous rend si ardent à ruiner vn pays qui n’a iamais
eu que de l’amour pour vous ? De dire que c’est l’interest du Roy, tout
le monde connoist assez que ce n’est qu’vne raillerie, & l’on s’est si
souuent seruy de ce pretexte, que les plus grossiers mesmes s’en moquent.
Il y a plus d’apparence que le Cardinal qui tasche depuis si
longtemps de rendre la France esclaue, a entrepris de l’acheter, &
que vous ne vous y opposez pas. Quoy qu’il en soit, vous deuriez
considerer que vous auez affaire à vn homme à qui vostre pouuoir
commence desia d’estre importun. Ie ne doute point qu’il ne dissimule
autant de temps qu’il aura besoin de vostre secours, mais enfin vous
deuez autant craindre la trahison &, la lascheté d’vn ambitieux ialoux
que la generosité de vos ennemis.

Cessez donc de persecuter vn pauure peuple, qui est encore en
estat d’oublier le passé, & n’attendez pas vne extremité qui ne vous
peut estre que funeste. Rendez ce seruice à vostre Roy, à qui l’on veut
oster la plus belle moitié de sa Couronne, en luy ostant sa Ville capitale.
Espargnez le sang d’vne infinité d’innocens, qui arment le Ciel
contre vous. Songez à la conseruation de vostre salut, qui ne se peut
entretenir dans ces desordres, & trauaillez à rehausser l’éclat de vôtre
gloire que cette malheureuse entreprise a si estrangement obscurcy.
C’est Dieu qui vous l’ordonne ; c’est le Peuple qui vous en conjure ;
& c’est vn Amy zelé qui vous le conseille, mais vn Amy mourant, de
qui l’esprit tout à fait détaché des sens n’est plus en estat de se laisser
surprendre par des apparences trompeuses, & qui ne peut vous donner
des auis que tres-importans & tres-salutaires.

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