Anonyme [1650], APOLOGIE DE MESSIEVRS LES DEPVTEZ DV PARLEMENT DE BORDEAVX, Sur les affaires de ce Temps. , françaisRéférence RIM : M0_106. Cote locale : D_1_18.
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APOLOGIE DE MESSIEVRS LES DEPVTEZ
du Parlement de Bordeaux.

BIEN que l’honneur & la reputation doiuent estre plus chere
aux hommes de vertu que la vie mesme : Toutesfois nous tascherions
de vaincre par nostre patience la fureur & la malignité
de nos ennemis, & donner au temps la gloire de cette victoire, si
nous ne sçauions qu’on precipite le destin de nostre patrie. Que la
calomnie armée de fureur excite des orages, remplit tout de feu, presente
la teste de Meduze aux seruiteurs du Roy pour les empierrer,
& leur oster la voix, & triomphans de la liberté du peuple attire sur
la ville la cholere de son Maistre : cét interest public nous oblige de
faire cognoistre la verité de ce qui s’est passé, & soubmettre à la censure
publique toutes nos actions.

On nous a chargé par les memoires & ordre de nostre deputation
de remercier leurs Majestés, nous auons suiuy le Roy en Bourgogne,
& fait le remerciement dans Dijon, ce qui a esté dit est imprime, &
veu le iour en diuers lieux, la malignite mesme & l’enuie ont esté
contraintes de l’approuuer.

Par le deuxiesme chef des memoires, nous sommes obligez de
representer le Priuilege qui nous exempte du logement de gens
de guerre dans la ville de Bourdeaux, enuirons d’icelle banlieuë &
Iurisdiction entiere, qui comprenoit plus de dix lieuës, on doit à
nos soings & à nos veilles le recouurement de cette piece, & à la
bonté du Roy la confirmation de ce priuilege, & de nostre possession
accordée sur nos Cahiers, auec deffences de nous y troubler.

Le troisiesme chef de nos memoires nous oblige de demander la
suppression de la Cour des Aydes, & bien que cela regarde principalement
le Parlement, auec quelle ardeur & vigueur l’auons nous
poursuiuy, le Roy a respondu qu’il tiendroit nos raisons en consideration
lors que le Parlement presenteroit ses Cahiers.

Par le quatriéme chef, nous sommes chargez de poursuiure la
permission de payer nos debtes, & faire pour cela les leuées necessaires,
cét article auoit esté refusé dans tous les traictez precedans, il

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estoit mis au rang des vains souhaits, nous l’auons obtenu, on nous
a permis dans les necessitez de l’Estat de leuer quatorze cens mille
liures pour payer nos anciennes debtes, rembourser ceux qui ont
esté faicts depuis.

 

Bourgeois, artisans, habitans de Bourdeaux, de tous ordres qui
auez presté ce que vous n’auiez pas, qui auez ouuert vos veines pour
nourrir de vostre sang & de vostre substance le Soldat insatiable, qui
auez sous l’obligation du Procureur Sindic rauy à vos enfans le pain
qui les deuoit nourrir, esperiez vous vn remboursement si facile,
& le coffre des consignations seellé par la foy publique, sacré depositaire
du bien de la veufue, de l’orfelin, de tous ouuert par tant de
mains, quand eust-il esté remply sans la grace que nous auons obtenu,
quand est ce qu’on eust peu iouyr des gages engagez pour cét
effet : Marchands qui par les thresors du commerce soustenez la
grandeur des Citez, en quel estat estiez vous auec les Holandois desquels
sous l’authorité des Arrests & des Ordonnances du Conseil de
guerre on auoit pris ou bruslé les Vaisseaux, si par nos prieres, nos
soings, nos tres-humbles semonces, nos raisonnemens, nous n’eussions
trouué la clef des bontez Royales, & ouuert la porte laquelle
vous auoit esté tousiours fermée. Artisans qui auez si long-temps
vescu des bleds de Baillif & d’Elouarde, comment eussiez vous pû
marquer vostre gratitude, & recognoistre cette faueur, si nous eussions
esté negligeans Creanciers anciens de la ville dont les debtes
estoient dans la caducité & les esperances mortes, ne deuez vous pas
avouer que nous leur auõs dõné vne nouuelle vie : Ville de Bordeaux
en laquelle il y a tant d’hommes de vertu, de conscience & d’esprit
eminent iuge sans passion, si iamais deputez en trois mois ont
rapporté tant de fruict à la ville, & vne si riche moisson de graces.

Par le cinquiesme chef, nous sommes obligez de demander la
punition & la reparation des bruslemẽs, & maux faits depuis la paix.
Nous l’auons fait, exprimé toutes les pertes des interessez, animé
par escrit en solicitant, en parlant, en toutes façons, la voix de leur
douleur, nous n’auons rien oublié que les pertes d’aucuns de nous,
quoy qu’elles surpassent, ou du moins égale celles des principaux,
Le Roy promet de s’informer de la verité & pouruoir à leur contentement.
Ceux qui ont perdu s’ils ne veulent pas auoir quelque
tendresse pour nous, qui auons auec tant d’amour & de zele poursuiuy

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leur satisfaction, du moins ne doiuent ils pas permettre que le
venin de la calomnie ose empoisonner ces traicts pour leur percer le
cœur, ils sont de viues lumieres qui doiuent dissiper les tenebres, les
nuages & fausses couleurs que le mensonge tire de l’Enfer pour obscurcir
la gloire des bonnes actions.

 

La diminution des Tailles, le restablissement des gages, l’execution
de la paix estoient dans des articles crayonnez legerement, nous y
auons mis la derniere main, & obtenu les Arrests necessaires.

Flambeaux funestes qui voulez embraser vostre patrie, esprits de
mensonge, oseriez vous nier ces veritez, & cacher ce beau iour dans
l’assemblée des cent & trente, en laquelle ny le Clergé, ny les Tresoriers
de France, ny le Presidial, ny les anciens oracles du Barreau,
ny les Citoyens, & ceux qui ont esté esprouuez par le poids des charges
ne se trouue pas, parce que leur voix est suffoquée, en laquelle
la vertu n’a point de liberté. Et quelques Grenoüilles nourries dans
les marais, tout au rebours de celle d’Homere, s’accordent auec les
rats. Qu’est-ce qu’on a opposé aux Deputez, trahison, trahison. Ils
n’ont pas demandé le changement du Gouuerneur. Silence, Messieurs,
si vous pouuez, moderez vos feux, permettez à vostre
Magistrat, & à vos Deputex de vous respondre, & de se iustifier.

Nul n’a plus interest à demander le changement du Gouuerneur
que nous, trois Maisons du chef de nostre deputation ont
esté bruslées, il y a long-temps que la main de cette maison pese sur
luy, l’an trente-cinq il perdit trois autres maisons, ses liures, ses
papiers, ses meubles, & le fruit de tous ces trauaux. Vous, Messieurs
qui l’accusez de n’auoir pas voulu demander le changement,
& qui criez tant dans les assemblées n’auez rien perdu, au contraire
vous auez receu des graces de luy, & auec vn cœur & vne langue
double suborné de l’esprit du pauure peuple, vous auez profité dans
les emplois de la guerre que la faueur des Chefs vous a donné. Qui
est traistre, ou celuy qui persuade la guerre pour ces interests, pour
exercer la dictature sur la liberté, & la bourse des Bourgeois, ou celuy
qui desire la paix & le repos commun. Qui est traistre, ou celuy
qui appelle l’Espagnol, qui traicte auec l’Estranger, apres la paix,
apres l’amnistie, apres tant d’actions de graces, ou ceux qui detestent.
ces monstres & ces pestes publiques. Qui est traistre, ou celuy qui se
iouë de vos priuileges, de vostre bien, ou nous qui en portons la

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confirmation, & les moyens de payer vos debtes qui est traistre ou
ceux qui courent toutes les tauernes, pour tromper les calomnies
dans le vin, & empoisonner les simples, ou nous qui auons courru
toute la France pour seruir le publicq : Qui est traistre ou ceux qui
prodiguent le pain de vos enfans, ou nous qui portons le pouuoir d’acquitter
toutes vos debtes.

 

Mais qu’on nous traite sans grace ; qu’on examine auec rigueur
nos actions : Quand est-ce que vous nous auez donné ordre de demander
le changement, lors que vous nous deputastes l’ordre de nostre deputation
fut mis par escrit signé de tous les Iurats, leu en l’Hostel de
Ville, releu les Chambres assemblées, approuué, agrée dans cét ordre,
il n’y a pas vn seul mot de changement : On nous charge de nous
plaindre de l’inexecution de la paix, des bruslemens & maux faits au
preiudice d’icelle, en demander la reparation & punition, nous l’auons
fait & par escrit & de viue voix.

Estans à Dijon, on nous a porté vne deliberation, qui porte que
nous demanderions le changement : Nous pourrions vous dire qu estans
partis sous la foy de vos ordres, & par nostre acceptation l’obligation
estant deuenuë mutuelle & reciproque ; Vous n’auez pû par
faux donner entendre, changer nos ordres sans nous oüir, vostre Magistrat
estant à la teste ; mais nous voulons traiter auec les ennemis de
nostre reputation & du bien public genereusement : Nous voulons
que vous ayez ce pouuoir, mais vous ny nous : pouuons nous contraindre
nostre Maistre, & imposer la loy au Roy ; si ceux qui nous
calomnient & qui vous trompent eussent dit la verité : s’ils eussent
proposé que cinq fois à Paris son Altesse Royale & tous les Ministres
eussent deffendu d’vser du mot de changement : Que à Diion ce la eust
esté deffendu dix fois de la part de leurs Maiestez : Que à Paris la patience,
l instance, les solicitations de vingt-quatre iours n’eussent
rien seruy : Qu à Diion le seiour de quinze iours eust esté inutil.
Qu’eussiez-vous conclu de faire, que le Roy escoutast ce qu’il deffendoit
de dire : Apprenez-nous sçauans Politiques ce secret : Si vostre valet,
si vostre fils entreprenoit d’asseruir vos oreilles, & y faire entrer ce
qu’elles reiettoient, quel scandal ne seroit-ce pas : Et vous nous appellez
traistres pour auoir defferé aux commandemens du Roy, de l’Image
de Dieu, de nostre Maistre.

Mais souuenez vous des regles que vous nous auez prescrit & donné :
Nous auons vos lettres, elles nous obligent de suiure ce qui sera prescrit

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par les Deputez du Parlement : Or les Deputez du Parlement
ont resolu sans nous appeller, & ont prononcé qu’il falloit remercier
leurs Maiestez sans parler de changement : Ont promis à tous les Ministres
en nostre presence, que trois iours apres qu’ils seroient à Paris
ils donneroient leurs cahiers, & que nous donnerions les nostres sans
parler de changement : Que nous auons concerté nos cahiers auec
eux : Ils les ont agreez, changé, adiousté ce qu’ils ont voulu : Qu’on
n’a point enuoyé ordre contraire, & par les lettres que nous auons,
on s’en remet à nostre prudence ; Nous auons attendu, non pas trois
iours, mais plus de quinze : Vous nous pressiez de partir la bource
de la Ville qu’on n’espargne pas en despences superfluës, en courses
inutiles ; ne pouuoit, portent les lettres des Iurats, soustenir les frais
de cette deputation : Les Commandemens du Roy nous pressoient,
toute la France sçauoit qu’on auoit donné aduis qu’vn Nauire d’Espagne
auec trois Fregates s’estoient aduancez vers Roquedetau où il
auoit esté fait des menées secretes. Traistres qui traictez auec l’ennemy
de l’Estat ? C’est à vous que ce crime d’infamie conuient, non à
nous que vous faite menasser, de peur que nous faisions voir vos trahisons
infames : Nous sommes partis, portons à la Ville, ce qu’elle
n’auoit iamais esperé, & on ferme les portes aux graces du Roy : Le
Magistrat, vos Deputez n’ont pas la liberté de reuoir leurs maisons,
& rendre compte de leurs actions : Croyez-vous que cét exil glorieux
pour nous tiltre de nostre fidelité, nous afflige, nous pleurons pour
vous, & plaignions ce pauure peuple trompé, trahy, suborné, ruiné
par mensonges, artifices, malignité, auarices ; ambition, deux de
nous, sous le tiltre d’ostage auoient donné leur liberté pour la liberté
commune, la persecution des meschans ne fait qu’espurer l’or des ames
genereuses.

 

Grand Parlement : Nosseigneurs qui exercez la Iustice Souueraine
du Roy qui estes les oracles des Loix, qui aymez si tendrement le seruice
du Roy, la conseruation de l’Estat & de vostre patrie, qui sçauez
que la premiere loy est de ne condamner personne la plus vile, la
plus basse sans l’ouir : Pouuez vous souffrir que non seulement on nous
oste la liberté de nous deffendre, mais que toute la France sçache que le
Magistrat & le Deputé que le peuple a choisi, n’ayent pas la liberté d’entrer
dans la Ville, auec les graces du Roy, & que la faction se mette sur
la porte pour la teindre de leur sang.

Iurats, Citoyens, Bourgeois, representez en la personne de vostre

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Collegue & Deputez qui auez conserué le cœur au milieu des
cendres de vos maisons, que le feu ny le fer n’a pû vaincre : Serez-vous
vaincus par l’artifice & le mensonge, & par vne petite troupe
ennemie de Dieu, de l’Estat, de la Ville : Auez-vous pû consantir
qu’on aye enuoyé en poste à vn ieune homme de vingt-vn an, qui requiert
deuant vous les trophées de nostre reputation, Barreau Eschole
de vertu. Siege des Muses, Seminaire des dignitez, dans lequel
pendant pres de quarante ans, nostre Chef a combatu si glorieusement :
Pouuez-vous souffrir qu’on trahisse la verité, & que des bouches
infames qui n’ont de nom qu’à médire, deschirent nostre nom :
Ces braues, ces harangueurs qui demandent le changement : qu’ils
fassent changer les ordres, Nous ne leurs auons pas fermé le champ
de gloire : Nous portons beaucoup s’il deffaut quelque chose, ils
pourront suppleer ; & seront les Atlas de ce Ciel petits auortons
d’enuie & de malignité ; Vous abayez contre la lumiere, & esperez-vous
esleuer sur le tombeau de vostre patrie, & sur la ruine de ceux
qui la seruent, Clergé, Tresoriers, Secretaires, Presidial, Vniuersité,
mere de tous, Bourgeois, Citoyens, Capitaines qui auez le serment
à vos Magistrats ; Soustenez vostre patrie, que les frenetiques
enrichis de vos despoüillez : veulent destruire : Souuenez-vous que
le seul article qui en fasche aucuns : car il y en a de gens de bien parmy
ceux qui ont eu de l’employ : Est qu’il faut rendre compte qu’on
renuerse leur marmite enflée des deux tiers : Pendant ces mouuemens,
qu’ils n’ont plus les delicieux ragousts qui les chatoüilloient
pendant que nous mangions du pain noir & pourry : Que le Magistrat
captif au dedans, deschire au dehors, ose, quoy que languidement
hausser sa voix pour se plaindre de sa seruitude. Peuple ! ouure
tes yeux à la verité & à ton bien, & ayme ton repos & ceux qui te le
portent.

 

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