Anonyme [1652], ADVIS SINCERE AVX BOVRGEOIS DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_543. Cote locale : B_17_11.
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ADVIS SINCERE AVX BOVRGEOIS
de Paris, Sur ce qui s’est passé en leur Ville,
depuis l’an 1648.

Enfin, MESSIEVRS, il est temps de reuenir de l’endormissement
qui vous tient, ou plustot des fureurs qui vous
agitent il y a quatre années : Le pretexte qui vous armoit
contre vostre Souuerain est leué, le Cardinal Mazarin est
esloigné du Roy, sa Majesté a eü cette bonté & cette condescendance
pour vous, que de se priuer d’vn Ministre qui luy estoit
agreable : Elle l’a fait lors qu’elle l’a iugé à propos, pour vous faire
r’entrer dans vostre deuoir : ou si vous perseuerez dans vostre rebellion,
pour iustiffier au reste de ses sujets & à toute l’Europe,
que c’est vous mesmes qui aurés attiré les chastimens qui seront
exercés sur vous.

Ie m’adresse à vous, que l’on appelle ordinairement bons Bourgeois
de Paris, & non pas cette poignée d’hommes gagés & suscitez
par cabales, qui embrassent impetueusement toutes sortes de
nouueautez, & qui se portent à tous exceds, sans faire reflexion
sur les suites & sur les consequences. Ie ne vous dissimuleray pas
neantmoins que c’est vous mesmes qui estes coupables de tous ces
desordres, & qui par lascheté & conniuence auez attiré sur vous
les miseres qui vous accablent.

Il importe, auant que descouurir le fonds de vos mal-heurs & les
moyens de vous en retirer, de vous representer au vray les choses
qui se sont passées depuis ces quatre dernieres années. Il importe
de vous faire connoistre les Autheurs qui vous ont plongez insensiblement
dans ces abysmes de calamitez, les moyens que l’on a
tenu de la part du Roy & de son Conseil pour vous aider, & l’opiniastreté
mal-heureuse dans laquelle vous auez perseueré pour
vostre perte.

Si vous vous representez la face de l’Estat & de vostre Ville, telle
qu’elle estoit auant l’année 1648 vous verrez d’vn costé le Roy
triomphant des Ennemis de sa Couronne, emporter en toutes les
Campagnes des Batailles & des Places importantes à la conseruation
de son Estat. Iusques là que les Ennemis mesme aduoüerent
qu’ils s’estoient lourdement trompez dans l’esperance qu’ils

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auoient conceuë du changement de la fortune de la France, dans
la minorité du Roy : Vous deuez aussi vous souuenir de l’vnion
qui estoit lors en la maison Royale, & qui auoit duré sans aucune
alteration depuis la mort du feu Roy, de glorieuse memoire. Ces
grandes batailles & ces illustres conquestes emportées sous le
nom & sous l’authorité du Roy par les soins & la valeur des Princes ;
sont des preuues de l’attachement qu’ils auoient lors au Roy
& aux interests de l’Estat.

 

D’vn autre costé representez-vous l’estat de vostre Ville, comme
elle estoit lors. Souuenez-vous combien elle estoit florissante,
comme elle s’estoit accreuë par la richesse de ses Habitans : comme
tous ses Marchands & ses Artisans, faisoient leur commerce,
& exerceoient leurs Mestiers, auec aduantage ; que toutes les richesses
des Prouinces y venoient fondre, que les païs qui l’enuironnoient
estoient cultiués, que le Laboureur y exerçoit son trauail
auec liberté, que la fureur du Soldat qui les desole maintenant
y estoit inconnuë ; & que l’on n’y sçauoit rien de la guerre,
que ce que les Gazettes en apprenoient ; Mais sur tout souuenez-vous
que si iamais Paris à eu sujet de se louer de la douceur du
Gouuernement, ç’a esté de celuy de la Regence de la Reyne, puis
qu’il est vray que pendant qu’elle a duré, il ne s’est fait aucune
leuée & imposition nouuelle telle qu’elle puisse estre, sur la ville
de Paris.

Pendant ces heureuses années, ce Ministre qui sert auiourd’huy
de pretexte à vostre rebellion & à tous vos emportemens, manioit
les affaires de l’Estat. C’est par ses Conseils & par sa conduite,
que toutes ces hautes entreprises ont esté glorieusement menées
à fin. C’est luy qui a esté pendant six années le lien de l’vnion
& de la concorde de la maison Royale ; & par ses soins &
ses trauaux, que les ennemis n’ont peu trouuer de changement
dans la fortune de cet Estat. Vous auez sçeu qu’il auoit esté appellé
au Ministere par le feu Roy, long-temps auant son decedz,
qu’il y a esté conserué par son testament, qu’il l’auoit choisi pour
Parain de celuy qui regne heureusement sur nous. Vous l’auez
veu encore choisi pour auoir le soing de son éducation. Quelles
plaintes a t’on fait de son administration ? Enquoy est-ce qu’il a
abusé de l’authorité qui luy a esté confiée ? Où sont les vefues
& les enfans de ceux qu’il a fait perir ? Enfin quelles assemblées
auez-vous eu sujet de tenir pendant ce temps-là, pour vous interesser
en des plaintes & en des remonstrances sur le fait de son
administration.

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D’ou procede donc ce subit changement ? Qu’a fait ce Ministre
d’vn iour à l’autre, pour tomber dans le decri public ; Et
qui vous a peu auoir excité de vous armer cõtre l’authorité Royale ?
Qui est-ce qui vous persuada lors, que vous pouuiés vous
attroupper impunément sous des pretextes de liberté publique,
pour demander des soulagemens imaginaires ? Et qui est ce qui
vous a inspiré ce dernier abandonnement, dans lequel vous viuez
il y a quatre ans, d’entendre auec joye des diffamations publiques
de toutes les personnes les plus augustes ; & de voir les
places & les carrefours de vostre Ville remplies de canailles,
acheptées à prix d’argent, qui excitent des desordres & des
seditions ?

Vous n’en pouuez pas rejetter la cause sur les Princes. Vous
ne pouuez pas dire comme à present, que vostre liberté fust opprimée
par eux. Ils estoient lors trop vnis & attachez aux interests
du Roy. L’vn estoit prés de sa personne dans ses Conseils, &
l’autre estoit dans l’occasion d’vne memorable Bataille qu’il emporta
sur les Ennemis de l’Estat, & tous deux connoissans l’iniustice
qui estoit faite à ce Ministre, & l’integrité de son administration,
se porterent depuis à sa deffence, comme importante à
la conseruation de l’authotité Royale.

Il faut donc vous faire connoistre la cause & les Autheurs de
vos miseres, & en mesme temps vostre credulité & vostre lascheté,
qui s’est enfin formée en reuolte & rebellion ouuerte.

Ce n’est point l’interest de ce Ministre qui m’a mis la plume à
la main. Ie ne suis point attaché à sa fortune ; ie cours la vostre. Ie
n’ay aussi aucun engagement dans vostre reuolte, par la raison
de mon deuoir. C’est donc le seul interest de la verité & l’amour
de ma patrie, qui me font entreprendre de vous representer les
choses qui se sont passées. Plusieurs d’entre vous qui les sçauent,
rentreront en eux-mesmes par la honte qu’ils en auront. Les plus
innocens qui se sont laissés emporter par facilité, reconnoistront
l’iniustice de ceux qui les ont engagez ; & tous emsemble embrasseront
les remedes necessaires pour satisfaire le Roy & restablir
le repos & la tranquillité publique.

Il n’y a personne, pour si peu esclairée qu’elle soit dans les affaires,
qui ne sçache que la Reyne s’est trouuée aprés la mort du feu
Roy, engagée de soustenir vne pesante guerre contre vn ennemy
puissant. Que pour la soustenir auec le succez qui a paru, l’on a
esté contraint de se seruir de moyens extraordinaires. Que sa Majesté

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depuis s’est encore trouuée chargée de beaucoup d’autres
d’especes par le retour de ceux que le feu Roy auoit éloignés de la
Cour. Que nonobstrant toutes ces despences, son principal soin
fut de soulager les peuples attenuez par les charges d’vne si longue
guerre. Pour cet effet dés le commencement de sa Regence,
elle fit diminüer les Tailles de dix-sept millions de liures par chacun
an. La guerre continüant, & les ennemis se rendans difficiles
à là conclusion de la Paix, par l’esperance qu’ils auoient de voir
nos diuisions presentes ; le Conseil resolut de se seruir de quelque
secours extraordinaire. D’en demander aux Peuples desja assez
espuisez, il n’y auoit point d’apparence. Vne campagne neantmoins
pouuoit terminer heureusement la guerre. L’on s’aduisa
d’vn expedient, qui pouuoit & deuoit estre aussi innocent dans
l’execution, qu’il a produit de maux par les artifices de ceux qui
ont creu y estre blessez.

 

Ce fut de descharger les Officiers des Cours Souueraines du
payement du prest qu’ils deuoient payer au Roy, pour estre receus
pendant neuf années au payement du Droit annuel ; & mesme
de la redeuance annuelle pendant les quatre anneés suiuantes
en faisãt porter à l’Espargne trois quartiers de leurs gages par chacune
desdites années dont ils jouïssent seulemẽt depuis la guerre.

S’il y eust iamais moyen innocent, de subuenir à vne necessité
publique, c’estoit celuy-là. L’on remettoit à ses Officiers le payement
d’vn prest, qui reuient au huictiéme denier de l’éualuation
de leurs Offices. Ils ne pouuoient se dispenser de ce payement,
puis qu’ils n’en ont point esté cy-deuant deschargés qu’en consentant
l’establissement de nouueaux Offices en leurs Compagnies,
de la vente desquels le Roy a toûjours autant profité, qu’il eust
peu faire du payement dudit prest. L’on leur remettoit encore
pendant lesdits quatre années le payement du Droit annuel ;
qui reuient quasi à la valeur de leurs gages. Encore le Parlement
de Paris en estoit-il exempt. En quoy est-ce donc que les
autres y estoient blessez ?

Neantinoins ses Officiers, dont la plus grande partye auoient
esté assez accommodans lors qu’il auoit esté question d’impositions
sur les Peuples, & de taxes sur les Officiers subalternes & autres ;
creurent qu’il y alloit de la fortune de l’Estat, & que les Loix
fondamentalles en estoient renuersées, puisque lon s’addressoit
a eux : animez de cet esprit d’interest particulier, ils se persuadent
qu’il ny a point d’expedient, quelque ruineux, quelque

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scandaleux & de mauuais exemple qu’il puisse estre, qu’il ne
leur soit loisible d’embrasser pour se garentir. A cette fin ils deputent
au Parlement, & demandent l’vnion de toutes les Compagnies.
Cette demande est receüe auec applaudissement, & l’vnion
se forme. Vous pouuez dés-ce pas, Messieurs, iuger de l’intention
du Parlement. Il n’estoit point engagé dans l’affaire ; Il
en estoit nommément excepté. Pourquoy donc se porter à cette
vnion, si ce n’estoit pour nous faire voir les monstres qu’elle a
depuis enfanté ?

 

Cét Arrest d’vnion est cassé par le Roy estant en son Conseil,
par l’aduis des plus grands du Royaume. Le Parlement est mandé,
il luy est enioint d’apporter le Registre afin que cet Arrest d’vnion
en fust tiré, & l’Arrest du Conseil inseré en sa place. Que fait
le Parlement & les autres Compagnies ? Ils preuoient bien que
tant que leur seul interest paroistra dans l’affaire, la partie est foible.
Ils vous font persuader, que cette vnion ainsi affectée par
eux, ne tendoit qu’à tenir des Assemblées pour vous procurer du
soulagement. Et pour vous interesser auec plus de pompe & d’esclat
en la cause, le Parlemẽt va au Palais Royal trouuer le Roy en
grand nombre, à pied, auec robbes & bonnets carrez. Ce qui ne
s’estoit encore veu que le iour qu’ils porterent au Louure le mesme
Registre au feu Roy, qui en tira vn Arrest, par lequel ils
auoient entrepris sur l’authorité Royale. Estant arriuez au Palais
Royal, auant que d estre menez à l’audiance, on leur fait demander
s’ils ont le Registre ; Ils respondent que non seulement
ils ne l’ont pas, mais qu’il ne sera point apporté. L’on dissimule
cette responce, & l’on leur prononce l’Arrest de cassation en presence
du Roy. Vn Secretaire d’Estat va le mesme iour au Palais
pour prendre ce Registre, & l’apporter au Roy, il y court hazard
de la vie. Dés le lendemain ils s’assemblent, & ordonnent que sans
s’arrester à l’Arrest du Conseil d’Estat, à eux prononcé en presence
du Roy, que leur Arrest d’vnion sera excecuté : & que les
Compagnies seront inuitées de deputer au lendemain, en la
Chambre de Saint Louis, pour les detourner de ce dessein dont
vous sentez les suites funestes : le Roy reuoque sa Declaration, &
leur accorde le Droit annuel pour neuf années sans payer aucun
prest. Ils ne laissent pas toutefois de s’assembler, le Roy pour
n’estre pas obligé de chastier vne desobeїssance si estrange, leur
permet, & se contente de leur limiter seulement le temps dans le
quel il desiroit que ces Assemblées finissent. Mais les ordres de sa

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Majesté ne sont point respectez. Ils y contreuiennent ouuertement,
ils s’assemblent auec vne hardiesse qui fut de tres-mauuais
presage, tant & aussi long-temps que bon-leur semble.

 

La déduction de toutes les circonstances qui ont accompagné,
ce premier outrage, qu’ils ont fait à l’authorité Royale, seroit trop
longue si i’en faisois vne remarque plus exacte. Il suffira, Messieurs,
de vous faire souuenir, qu’il ny a Corps dans la Ville de Paris & des
Officiers du Royaume, que ceux qui auoient dés-ja leur dessein
formé ne mandassent lors, pour estre instruits des moyens par lesquels
ils pourroient nuire au Roy, ou à ses affaires. Il n’y eut pas
iusques aux Paysans des Villages circonuoisins, que l’on fit attrouper
& venir en foulle au Palais demander d’estre deschargez de la
Taille.

Ils vous firent inspirer en mesme temps qu’il falloit obtenir la
descharge des Aydes, de l’entrée du Vin, du Pied fourché & autres
impositions. Pour cet effet l’on fit solliciter les Cabarettiers
& les Bouchers, qui occupoient iournellement le Palais & le
remplissoient de clameurs.

Vous donnastes, Messieurs, stupidement dans ce piege ; vous
ne considerastes pas que vostre Ville ne supporte aucunes autres
impositions, que celles qui sont communes aux autres Villes franches
comme la vostre. Et que le Roy ne sçauroit faire aucune décharge
ou remise de ces sortes d’impositions, qu’au mesme temps
il ne retranche vos Rentes ? puis qu’il ne soustient plus les Fermes
des Aides, Gabelles, & autres que pour vous en faire payer,
n’en reuenant rien en son Espargne, apres les charges payées &
acquittées. Ce dessein dont l’artifice cachoit le venin, vous les
fit auoir en estime de Peres du peuple. Et il ne se tenoit plus aucune
sceance en la Chambre de S. Louis, qu’à vostre poursuitte &
instance, & il ne se fit quelque arresté pour descharger des impositions,
& pour retrancher les reuenus du Roy.

Remarquez cependant la conduite de ceux qui vous ont perdus,
& la vostre. Le Roy estoit aux prises auec l’ennemy de l’Estat.
Il estoit sur le point de conclure vne paix honnorable, ou de l’obliger
par la force des armes de l’accepter. Pour y paruenir ; il
estoit important, voire necessaire, que les mesmes secours de forces
& de finances continüassent. Et vos nouueaux Peres du peuple
arrestent iournellement des restablissemens de rentes, gages,
droicts & autres charges pour des sommes immenses : & en mesme
temps des descharges tant sur les Tailles, que sur les Droicts

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des formes qui n’alloient pas à moins de seize millions de liures
par chacun an. N’estoit-ce pas entreprendre ouuertement la ruїne
de l’Estat ?

 

Tant plus le Conseil vsoit de prudence, tant plus les autheurs de
vos maux se portoient auec vehemence à faire les choses qui pouuoient
nuire, le Roy fit expedier deux Declarations, apres lesquelles
il y auoit apparence que ces Assemblées deussent cesser :
sa Maiesté fut mesme au Parlement les faire enregistrer. Elle réstablit
par icelles vne partie des gages & des droicts des Officiers :
elle pourueut au payement des rentes, elle reuoqua toutes sortes
de Commissions extraordinaires, elle establit vne Chambre de
Iustice, remit vne partie des Tailles à ses Sujets, & tous les arrerages
iusques à la fin de l’année 1646. Et generalement elle pourueut
à la plus grande partie des choses qui auoient esté traitées
dans la Chambre de Sainct Louys. Mesme elle destitua les principaux
Ministres de ses Finances. Cela fut encore inutil pour
vaincre leur opiniastreté.

Toutes ces choses se passerent dans les mois de May, Iuin, &
Iuillet de l’année 1648. Le mois suiuant nous fit voir les mauuais
effects de ses funestes assemblées. Le Roy ayant esté au mois de
Iuillet obligé par ces desordres de manquer à ceux qui luy auoient
fait des prests & des aduances sur ses reuenus, les particuliers
voulurent en mesme temps retirer des mains de ces personnes
là les deniers qu’ils leurs auoient prestez, & vn chacun en vsa
ainsi enuers ses debiteurs. Les effects qui s’en ensuiuirent, vous
les sçauez, Messieurs, puis que vous les auez ressentis par la
liaison qui tient tout le monde attaché à la foy publique. Quand
elle fut vne fois violée, nous vismes vne infinité de faillittes ; non
seulement dans Paris, mais dans toutes les villes de commerce
de France & des pays Estrangers.

Ie ne vous exaggereray point les maux qui ont coulé de cette
source : la cessation du commerce, la cherté de toutes denrées &
marchandises par la perte du credit, la dureté des peuples à acquitter
les impositions, la desolation de plusieurs familles par la
perte de leurs biens, la pauureté où cette faillite publique a reduit
vos artisans, ostant aux plus aisez les moyens de les faire trauailler.

Si ces pretendus Peres du peuple eussent esté capables de moderation,
ces maux les eussent sans doute touchez, ils fussent reuenus
à eux : mais tant s’en faut, il ne se passe aucune iournée

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sans que les Communautez sollicitées par les factieux, n’aillent
au Palais demander des descharges des impositions du Roy, ou
des droicts des Officiers. Il n’y a establissement pour ancien
qu’il soit, que l’on ne recherche, & n’y a point de famille qui
puisse estre asseurée du bien qu’elle possede.

 

Vn Broussel fameux artisan de vos maux, celebre republicain
en nos iours, & qui en fin a fait voir où visoit sa sombre & violente
ambition, se chargeant de toutes ces Requestes. Cét homme
qui dans le procés ordinaire de parties fait languir le pauure &
le necessiteux, & duquel on n’a iamais eu expedition dans les affaires,
apportoit vne diligence incroyable, à faire les choses qui
pouuoient causer du trouble & de l’incommodité au public &
aux particulier. Vous l’auez veu, Messieurs, en ces temps. là suiui
allant au Palais d’vne infinité d’hommes, qui le publioient Pere
du peuple S’il vous souuient des clameurs qui s’excitoient
dans le Palais, c’estoit de la communaute des Cabarettiers qui
s’y trouuoient en grand nombre, pour demander la descharge de
l’entrée du vin, & des droicts des Vendeurs. C’estoit celle des
Bouchers qui demandoient la descharge du Pied-fourché, &
tout cela, non pour l’interest public, mais par vn monopole concerté.
Verité dont vous deuez estre conuaincus, puis que les descharges
que sa Maiesté eut depuis la bonté d’accorder, n’ont
tourné qu’à l’auantage particulier de ces personnes là sans que
le peuple en ait profité. Aussi ces sortes d’impositions sont si legeres,
qu’elles sont imperceptibles en detail, & neantmoins c’est
le fonds de vos rentes & de vos reuenus, que vous auez laissé perir
par lascheté. Vn particulier d’entre-vous qui auroit esté interessé
dans la continuation des impositions, qui ont esté supprimées
dans la ville de Paris, de dix liures ou plus par chacune année,
a contribué à faire perdreau Roy deux millions de reuenu,
& a perdu l’esperance de voir les reuenus de ses rentes restablis ;
puis que le Roy n’en est debiteur que tant que les fonds sur
lesquels elles sont assignées subsisteront.

Le Roy voyant que ces choses alloient à l’exceds, & qu’vne
plus longue tollerance pourroit auoir des suittes de maux sans remede,
fut conseillé de faire arrester prisonniers les principaux
Autheurs de ces entreprises ; & comme lors que sa Maiesté est
presente à quelque ceremonie publique, elle y a nombre de gardes
on en choisit vn pour l’execution de cet ordre, afin d’estre
en estat de reprimer la violence de la canaille, dont Broussel s’estoit
acquis la faueur.

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C’est icy, Messieurs, le pas glissant que vous auez fait. C’est l’occasion
dans la quelle vous auez preferé Broussel, vn broüillon, vn
pedant vn republicain & vn criminel d’Estat ; à l’obeissance que
vous deuez à vostre Souuerain, vous vous estes barricadez dans
vostre ville, vous auez crié viue Broussel, vous auez menacé les
armes à la main de mettre tout à feu & à sang, si lon ne rendoit
Broussel. Ne vous en excusez pas sur la canaille, & ne dites pas
comme vous faites ordinairement, qu’il est bien estrange que lon
eust choisi le iour destiné à vne réjouissance publique, pour cette
execution. Car quel interest y auez-vous ? y a il quelque iour dans
l’année ou dans le cours des affaires du monde qui vous dispence
de l’obeissance, ou qui vous permette de vous esleuer contre les
volontez de vostre Souuerain ? Et quand à la canaille, il est vray
que le iour de cet emprisonnement l’on en vit dans les ruës, mais
deuant la fin de la iournée cela fut dissipé & tout le monde sçait
qu’il ny eut iamais à Paris, vne nuit plus tranquille que celle qui
suiuit cette iournée. Qui est-ce qui entreprit le lendemain matin
le premier ouurage de la sedition, qui commença par vn assassinat
en la personne du Chef de la Iustice & des siens ? Ne fut-ce pas des
personnes qualifiées parmy les Bourgeois ? Fut-ce en suitte des
canailles qui se barricaderent par toute la ville ? N’est-il pas vray
que ce fust vous ; Messieurs, qui ne peustes souffrir vne execution
de Iustice ordonnée par vostre Souuerain ? Ne fust ce pas vous
que pour vne personne de nulle valleur, pristes les armes, leuastes
les chaisnes, portastes des barricades & des sentinelles iusques à
la garde du Roy ; & qui menaçastes de mettre tout à feu & à sang
si l’on ne vous rendoit vostre Tribun ?

Pour moy quand ie fais comparaison de cette iournée auec celle
qui se passa le quatriesme Iuillet dernier, ie demeure suspens
& estonné. Ie ne puis discerner si vous agissez librement, ou par
les mouuemens d’autruy, s’il y a en vos conduites de l’aueuglement,
ou de la rage, vous ne pouuez, sans vous porteraux dernieres
extremitez, supporter vne execution de Iustice qui se fait par
les ordres de vostre Souuerain contre vne personne qui vous deuroit
estre en execration. Et vous voyez à vos yeux les plus celebres
personnes de vostre ville de toutes qualitez & professions,
deputez des quartiers, assemblez dans l’azile public pour pourueoir
à vostre seureré, assassinez & embrasez par l’ordre de vos
tirans. Durant cette horrible tragedie qui fait couler le sang de
vos concitoyens, vous demeurez enfermez dans vos maisons,

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vous ne faites pas vne démarche pour aller à leurs secours, vous
les laissez massacrer inhumainement, que n’auez-vous fait à lors
ces barricades ? s’il y en peut auoir de iustes, c’est en cette rencontre,
que ne les auez-vous portez iusques dans les portes de vos
tirans pour les faire eux mesme perir & vous mettre en liberté ?
Où est en suitte la vengeance que vous auez poursuiuie de ce paricide
public ? n’auez-vous pas deu, & deuriez-vous pas encore, si
vous auez du cœur & du courage, exterminer tous ceux qui peuuent
estre soubçonnez d’y auoir eu part. Il n’y a respect de condition
que vous deuiez preferer au salut public.

 

Voyla, Messieurs, l’estat auquel Dieu permet que les peuples arriuent,
lors qu’ils abandonnent le respect deu aux Souuerains,
establis par luy, pour courir à des pretextes de liberté imaginaire.
C’est l’esprit de vertige que Dieu mesle parmy eux, qui leur fait
en fin creuser eux mesmes l’abysme de leur perte, & trouuer leur
ruїne inéuitable.

De cette digression, ie reprendray la suitte de vos barricades,
Broussel vous fut rendu, le Roy voulut bien oublier vostre crime
& pour moy ie tiens pour certain que le trop de bonté & d’indulgence
que sa Majesté à eu pour vous, est l’vne des causes principales
de vos mal heurs & de nos miseres presentes.

Vne personne plus moderée & qui eust eu plus de probité que
Broussel, se fust trouué confuse elle mesme, elle se fust condamnée
comme criminelle, d’auoir acquis l’amitié & le credit du peuple, &
encore par des voyes si scandaleuses & si punissables. Car en vn
Estat Monarchique, c’est vn crime, & des plus capitaux, que de
s’acquerir le credit des Peuples au prejudice du Souuerain. Le
seul soubçon en cela faisoit autrefois exiler des grands Personnages,
vtiles d’ailleurs & fort innocens. Sans doute, vn autre que
Broussel eust eu recours au Roy, il se fut retiré des affaires, il
n’eust pas voulu estre dauantage la pierre de scandalle & alors sa
moderation eust esté loüée, mais cet homme tout au contraire,
n’en deuient que plùs fier & plus audacieux. Il continuë ses mesmes
pratiques, il deuient vn illustre parmy vous, il n’y a coing de
ruë ou l’on ne voye son Portrait ; luy qui fust demeuré enseuely
dans l’obscurité s’il ne se fust esleué & fait cõnoistre par la faction.

Vous mesmes, Messieurs, imputastes à foiblesse du gouuernement,
la bonté que le Roy auoit euë de mettre en liberté ce seditieux.
Vous creustes qu’il y auoit de la seureté à entreprendre dauantage.
Les Assemblées du Parlement continuent sur vos clameurs,

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& vos clameurs sont excitées par des personnes qui portent
leurs desseins bien plus auant que vous : & qui se seruent de
vostre foiblesse & de vostre legereté pour s’establir.

 

Il sembloit que les vacations du mois de Septembre deussent
faire separer le Parlement, & que deux mois de temps pourroient
ralentir le courage de ces esprits emportez. Mais ils creurent en
auoir trop fait pour demeurer en si beau chemin. De leur authorité
priuée ils continuent le Parlement, & toutes leurs Assemblées
ne vont qu’à affoiblir le Roy. Ils deputent souuent à S. Germain
en Laye, où le Roy s’estoit retité apres les barricades, & pour faire
approuuer des descharges & des remises d’impositions qu’ils
arrestoient par vn dessein premedité de broüiller & de nuire. Ils
mettoient en auant qu’ils n’auoient plus l’authorité, ny le pouuoir
de vous contenir, qu’il n’estoient pas en seureté de leur vie,
s’ils retournoient sans les asseurances de ces descharges.

Si déslors le Roy les eust laissé se desmeller de ces factieuses entreprises,
nous n’aurions pas veu tous les éuenemens tragiques qui
ont depuis mal-heureusement ensanglanté le theatre de la France,
& s’il est vray que vous les pressassiez de si prés, vous en eussiez
vengé le Roy. Mais comme la Reyne dont le courage est égal à sa
naissance, & la vertu au dessus de toutes les calomnies, par vne sagesse
& bonté digne d’elle, à tousiours eu dessein de faire regner
le Roy, plutost par la douceur que par la force, elle creut par l’aduis
des Princes, que pour preuenir les maux qui pourroient s’en
ensuiure il estoit à propos de leur accorder ce qu’ils demandoient.

Aprés donc plusieurs conferences, & autant de resistance qu’il
s’en peut imaginer on leur accorde enfin cette Declaration du
mois d’Octobre 1648. elle est dressée par eux-mesme, expediée
& seellée sans y rien changer.

C’est, Messieurs, cette piece fatale à l’Estat, qui fait voir
qu’ils n’ont autre dessein que d’affoiblir l’authorité Royale, décrediter
les affaires du Roy, ruiner plusieurs familles, se soustraire
du pouuoir Royal, & faire perdre à sa Maiesté vingt millions
de liures de reuenu, en vn temps auquel l’Estat ne pouuoit subsister
des reuenus establis. Aussi est-ce ce maudit ouurage qui a
rendu la France de victorieuse & triomphante qu’elle estoit, le
Theatre de la guerre, & le seiour des armées estrangeres & ennemies :
& qui a inspiré l’audace à tant de monde, sous pretexte de
la liberté pretenduë acquise par cette pretenduë Declaration, de
se mesler dans les affaires publiques, & d’y introduire la confusion

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que nous y auons veuë, qui fait gemir tous les bons & veritables
François.

 

C’estoit neantmoins à les oüyr parler vn remede, par le
moyen duquel ces nouueaux Politiques pretendoient auoir guery
tous vos maux. C’estoit, disoient-ils, vn moyen d’establir le
commerce, de soulager les miserables, de faire naistre l’abondance
de toutes choses, d’establir la seureté publique ; en vn mot,
de vous faire voir vn siecle d’or. Mais ces Empiriques d’Estat,
ces Medecins non experimentez vous firent croire que vous estiez
malades, pour faire vne espreuue sur vous ; ou si vrayement
vous l’estiez, vous pristes de leurs mains des remedes plus forts,
plus violents, & plus dangereux que vostre maladie.

Car quel suiet auiez-vous de vous plaindre, comme ie vous
l’ay remarqué cy-dessus ? Cinq années de la Regence s’estoient
écoulées sans que vous vous en fussiez apperceus. Pendant ces
iours de tranquillité & de bon heur vous n’auiez veu ny senty
l’establissement d’aucune nouueauté, les Prouinces, si vous prenez
leurs interests, auoient esté soulagées de plus du quart des
impositions, comme ie l’ay aussi remarqué, & qu’il est tres-vray,
le ministere, Messieurs, est chose si esleuée au dessus de vostre
portée, que vous n’auez point de droict de le contredire ; &
quand vous en auriez quelqu’vn, il ne vous desplaisoit pas en ce
temps là, vous viuez heureusement sous sa conduite, quest-ce
donc qui vous a excitez à souhaiter ce changement ? vous y auez
rencontré la ruine du public & la vostre ? Ne deuez vous pas,
rentrans en vous-mesmes pleurer auec des larmes de sang vostre
emportement, qui d’heureux que vous estiez, vous a rendus miserables
pour complaire à des ambitieux ? Et qui vous a fait oublier
le respect que vous deuez à vostre Souuerain, en vons esleuant
contre son authorité, de laquelle dépend vostre conseruation.

le souhaiterois que traitant de bonne foy, quand mesme vostre
intention n’auroit pas esté mauuaise, & que vous auriez esté
lors surpris ; ie souhaiterois, dis-ie, que vous voulussiez auoüer s’il
n’est pas vray, que vostre condition est deuenuë pire qu’elle n’estoit
auparauant. Pour moy qui suis nay au cœur de vostre ville,
ie l’ay oüy dire à ceux d’entre-vous qui sont les moins passionnez,
& ie vous apprendray, qu’ayant voyagé par toute la France depuis
ce temps-là, ie n’ay esté en aucune contrée où les peuples ne
vous donnent mille maledictions, d’auoir esté les instrumens desquels

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le sont seruis ces Ambitieux reuoltez, pour faire sentir à
toute la France les miseres qu’elle a depuis souffert. Ie sçay mesme
de science certaine le scanda le qu’en ont conceu les Nations
estrangeres, ie dis celles-là mesmes qui profitent le plus de nos
desordres, & pour nous renfermer dans le Royaume, à present
que vous estes deuenus les instrumens & le soustien de la rebellion,
ie vous puis protester auec verité, que vous estes en execration
à toute la France. Car par tout l’on vous tient ou pour
des meschans & des ennemis du Roy, ou bien pour des insensez
& des stupides, qui sous des pretextes imaginaires vous laissez tiranniser
(comme vous faites) iusques à la perte de vos biens & à
la desolation de vostre paїs. Vous serez conuaincus de cette verité,
si vous remarquez par auance, que toutes les vnions pretenduës
auec les autres Parlemens & auec les autres villes, s’aboutissent
comme vous voyez à vous voir tous seuls.

 

Cette Declaration ainsi expediée & scellée, fut publiée en
Parlement sans aucune modiffication, aussi n’y auoit-il pas lieu d’y
en apporter puisque c’estoient eux-mesmes, chose assez estrange,
qui l’auoient dressée & redigée par escrit : mais comme les autres
Compagnies auoient fait solliciter auprés du Roy qu’elle leur fust
adressée ; Ils voulurent aussi proceder & deliberer sur l’enregistremẽt
d’icelle, & faire voir par les modificatiõs qu’ils y apporterent,
qu’ils pouuoient nuire à l’Estat & aux affaires du Roy, aussi bien
que le Parlement. Cette Declaration ne sembloit point estre la
matiere d’vne deliberation, puis que c’estoit vn assemblage & vne
compilation des choses resoluës dans la Chambre de S. Louis par
les Deputez de toutes les Compagnies. Neantmoins l’vne d’icelles
ordonna par l’Arrest d’enregistrement quil ne pourroit estre
faitaucun prest ou auance sur les reuenus du Roy, & fit deffences
à toutes personnes de l’entreprendre, sur peine de la vie.

Le Roy en suitte deferant aux prieres & aux supplications tres-instãtes
que vous luy auiez fait, estoit reuenu à Paris le dernier iour
d’Octobre ; aprés auoir satisfait aux pretentions d’vn chacun, aux
despens de ses reuenus & de son authorité ; Il se proposoit de restablir
ses affaires & de mettre ordre aux fonds necessaires pour le
soustien de l’Estat, afin de faire subsister les Trouppes en quartier
d’hiuer, faire les recreuës necessaires, pouruoir aux despences de
la Marine, Artillerie, Galleres, pain de munition, & autres, les
reuenus de l’année qui s’en alloit experiante estoient consommez ;
en sorte que toutes ces despences se deuoient necessairement

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prendre sur les reuenus de l’année suiuante 1649. Il falloit que le
tout fut prest au Printemps pour s’opposer, mesme pour entre.
prendre sur les Ennemis de l’Estat ; qui faisoient de grands projets
sur la foiblesse & sur le decredit dans lequel les Compagnies de
Iustice auoient fait tomber le Roy : neantmoins les reuenus de sa
Maiesté ne pouuoient estre perceus si tost, ce qui est des Fermes
n’estoit payable qu’au quinziesme de May, & ce qui est des Tailles
à la fin d’Aoust. Les impositions n’estant & ne pouuant estre
acheuées plustost : Que faire doncques dans vn si fascheux détroit,
& vne telle necessité ? Le Roy fait rechercher aucuns de
ses Suiets, & particulierement ceux qui estoient ses creanciers,
à cause des auances faites sur les années precedentes, sous les offres
mesme de leur accorder quelque remboursement, s’ils vouloient
s’interesser en de nouuelles auances. Ils declarent ne le
pouuoir faire, en consequence des Arrests interuenus sur cette
Declaration, & il n’y eut pas moyen de les y faire resoudre.

 

Le Roy fut conseillé de faire expedier vne nouuelle Declaration
pour ce regard, elle fut seellée & enuoyée en la Chambre
des Comptes.

C’est en cette occasion où les mauuaises volontez & les pernicieux
desseins commencerent à se manifester. L’on arriue, Messieurs,
à toutes choses par de certains degrez. Il est difficile que
des Suiets se puissent tout d’vn coup esleuer contre vne authorité
legitime & bien establie ; vos clameurs & vostre reuolte
auoient donné l’audace & la force aux gens de robbe, d’entreprendre
ce qu’ils auoient fait, & c’est cela mesme qui donne lieu
à des broüillons & à des mescontens de faire des proiets pour entreprendre
sur l’authorité Royale. Ils iugent bien qu’vn des plus
asseurez expediens, est celuy d’en sapper les fondemens par la necessité.
C’est pourquoy ils trauaillent puissamment à oster au
Roy tous les moyens de subsister. L’on tient pour cet effet des
Assemblées iour & nuict dans le cloistre Nostre-Dame, & en autres
diuers endroits : Vn Prelat de l’Eglise, lequel ioignant les
obligations de sa naissance, & les bien faits que ses ancestres ont
receus de la liberalité des Roys, depuis que Catherine de Medicis
les eut introduits en France, à celles que luy-mesme personnellement
auoit à la Reyne, deuoit estre inseparable des interests
du Roy.

Ce Pasteur dessigné, qui estoit obligé par sa profession de seruir
d’exemple aux peuples, qui doiuent estre vn iour sousmis à sa

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conduite, se porte à engager ceux qu’il peut, dans les factions
que nous auons veuës depuis dans l’Estat. S’en rend luy mesme
le chef, par le seul interest, à ce qu’il disoit, qu’il auoit esté negligé ;
& que l’on n’auoit pas assez reconnu les soins & les peines
qu’il auoit pris la iournée que Broussel fut emprisonné. Il voulut
depuis faire croire que le Prince de Condé estoit de la partie.
L’euenement iustifia le contraire, ou du moins fit voir qu’il s’en
estoit retiré.

 

Ce Prelat excite quelques Docteurs & Curez à censurer l’vsage
de ces prests & auances, & de les faire passer pour des vsures.
L’on pratique & l’on cabale tant au Parlement, que quoy qu’il
en eust approuué l’vsage par la Declaration du mois d’Octobre,
ayant fait ordonner par icelle, que les interests & remises des
prests & auances ne seroient plus employez dans les comptans.
Il prend neantmoins resolution de se ioindre à cét obstacle : c’est
pour cela qu’il enuoye prier les Officiers de la Chambre des
Comptes, de vouloir concerter ensemble ce qu’il y auoit à faire
sur cette nouuelle Declaration.

Cependant la fin de l’année 1648. approchoit, le Roy estoit
d’ailleurs informé de toutes les menées & de toutes les cabales
qui se pratiquoient dans la ville de Paris ; iusques à vouloir entreprendre
sur la liberté de sa personne, ainsi que sa Maiesté depuis
le declara ; elle prit resolution, par l’aduis de la Reyne Regente,
des Princes de son Sang, & des principaux de son Conseil
de sortir de Paris, pour trouuer plus facilement le remede à
ces desordres.

C’est cette sortie qui se fit le iour des Roys de l’année 1649.
que l on vous a tant qualifiée enleuement, & qui seruit de matiere
à la Predication plus seditieuse qu’heureuse, que fit en l’Eglise
de Sainct Paul, au scandale de tous les bons, ce Prelat dont ie
viens de parler ; comme si le Roy pouuoit estre presumé enleué
quand il sort d’vne ville remplie de factieux, pour se retirer en vn
autre lieu, & qu’il sort accompagné de la Reyne Regente sa Mere,
des Princes de son Sang, de tous les Officiers de sa Couronne &
des plus grands du Royaume.

C’est chose estrange de vostre genie, Messieurs, & de vostre
humeur, l’on vous enchante comme l’on veut & auec des illusions
foibles & ridicules, l’on vous fait iuger des choses par les plus affoiblies
apparences & les plus trompeuses qui se puissent imaginer,
vous trouuastes à dire à l’emprisonnement de Broussel, par

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ce qu’il se fit le iour d’vne réjouyssance publique, & cette sortie
vous paroist vn enleuement par ce qu’elle s’est faite de nuict, en
vne saison fort incommode : Ce sont cependant ces mesmes circonstances
qui vous deuoient faire comprendre la necessité de
cette sortie, & vous armer contre ceux qui en estoient la cause. Est-il
à croire que le Roy eust esté conseillé de sortir la nuict, si de iour
il l’eust peu faire raisonnablement ? N’estoit-il pas necessaire que
S. M. sortant, emmenast les principaux Officiers de sa Couronne
& de son Conseil, les principales personnes de sa Cour & ses
Domestiques ? Cela se pouuoit-il faire de iour ? N’auez-vous pas
assez tesmoigné quand vous vous emparastes des Portes de la
Ville à la pointe du iour, que si cette action n’eust dés-ja esté executée,
elle n’eust pas reussi ? Ne vous souuient-il pas que tout ce
qui se presenta aux Portes pour sortir fut arresté : que les chariots
allans par les ruës furent pillez ? Combien de temps ensuite fustes-vous
pour permettre la sortie des meubles necessaires au Roy ; à
faute desquels il souffrit de tres-grandes incommoditez ? Pourquoy
doncques auoir qualifié cette sortie necessaire, du nom d’enleuement,
par la circonstance du temps.

 

Qui voudroit, Messieurs, vous mettre deuant les yeux tous vos
emportemens sur ce sujet, vos crimes, vos laschetez & la legereté
ou imbecillité que vous aués eu, à croire tout ce que les factieux &
les Autheurs de ces tumultes vous ont meschamment inspiré,
pour se mettre à couuert sous vos reuoltes ; entreprendroit vn
ouurage, qui excederoit les termes que ie me suis proposé. C’est
pour quoy n’ayant dessein que de vous oster le voile de dessus les
yeux, & de vous faire voir la verité en son iour naturel sur l’occasion
des affaires presentes ; Ie ne m’y estendray pas dauantage.
Veu mesme qu’il est important à vostre honneur, que ce que vous
auez fait dans ces funestes rencõtres, soit enseuely, si faire se pouuoit,
dans vn eternel oubly, pour ne pas laisser ce mauuais exemple
à la posterité.

Ie m’abstiendray mesme d’escrire en ce lieu toutes les intrigues,
les cabales & les factions qui s’esleuerent dans l’Estat : lesquelles
ayant pris leur naissance de vos reuoltes, ont depuis esté fomentées
par les mesmes causes, comme elles le sont encore à present.
Ce detail est reserué ailleurs.

Ie vous representeray seulement en cet endroit trois choses
principales. La premiere, c’est que iusques à cette sortie l’on n’auoit
point encore entendu de voix dans vostre ville, s’escrier sur

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la conduite du Cardinal Mazarin, non seulement par ce que iusques
là les peuples ne s’estoient point meslez de censurer les
actions des Ministres d’Estat, mais aussi par ce qu’il ne s’estoit acquis
la haine de personne.

 

La seconde, c’est que cette sortie auoit esté conseillée par la
Reyne, par les Princes, & par les plus grands du Royaume qu’ils
authorisoient par leurs presences.

La troisiéme, que le Roy sortant de Paris n’auoit aucun dessein
de vous assieger, ny de vous faire sentir aucun chastiment de vos
barricades & de vostre reuolte, il auoit oublié le tout, & vous
l’auoit pardonné. Les lettres & Declaration que S. M. enuoya,
iustiffierent assez ses intentions : & vous faisoient connoistre que
ce que S. M. desiroit de vous, c’estoit qu’à faute, par le Parlement
d’obeir, & se retirer pour quelque temps hors de Paris, vous employassiez
les forces de vostre ville pour les y obliger, en ce cas le
Roy vous promettoit de reuenir le lendemain dans vostre ville ;
& d’oublier tout ce qui c’estoit passé. En vn mot, le Roy vouloit
faire espreuue de l’affection des bons Bourgeois de la ville de Paris,
il vouloit reconnoistre par effect s’ils prefereroient l’interest
de quelques factieux au respect & à l’obeїssance qu’il doiuent à
leur Prince, mesme à la necessité dont vous estiez menacez.

Si vous eussiez esté à l’Hostel de Ville ou au Palais, dire hautement,
que vostre intention estoit d’obeїr au Roy, que ceux qui
ne le voudroient pas faire, y seroient contrains ; qu’il n’estoit pas
iuste que le peuple tombast dans l’indignation du Roy, & souffrit
de la necessité pour des particuliers, vous eussiez terminé
dans la iournée mesme, ce qui vous a cousté tant de sang, tant de
biens, & ce qui a causé tant de maux, qui se sont respandus dans
tout le Royaume, le Roy fust rentré le lendemain dans sa ville,
laquelle à lors il eust peu auec iustice appeller sa bonne ville. Il y
fust venu sans force & sans trouppes, car il eust esté asseuré de vostre
cœur & de vostre fidelité.

Mais au lieu de faire ce que vous deuiez en cette occasion, vous
prenez le change à vostre ordinaire, le Parlemẽt & les supports de
la Fronde qui se ioignirent à ses interests, sçauẽt bien que toutes
les fois que des sujets veulent faire la guerre à leur Souuerain, ils
ne manquent iamais de prendre des pretextes pour les attirer à
eux. C’est pourquoy animez de cet esprit de faction, ils vous
font croire que le Cardinal Mazarin, qui est vn estranger, vous a
rauy & enleué le Roy de nuict. Ils vous persuadent que les Princes,

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quoy que presens à cette action, n’y ont point apporté leur
consentement, que le Duc d’Orleans se doit ioindre à eux, &
vous le faisoient attendre de iour à autre, pour le proclamer Regent
du Royaume : que le Prince de Condé est aussi d’intelligence
auec eux, & que le C. Mazarin seul a resolu la perte de vostre
ville ; qu’il la veut affamer, & en faire perir tous les habitans.

 

Ainsi, Messieurs, au lieu de vous seruir du remede que vous
auiez en main contre le mal dont l’on vous menaçoit, vous prenez
dé la main de vos mauuais Conseillers le poison qui vous doit faire
mourir. Vous prenez la resolution de faire, & de souffrir la guerre.
Vous voyez en suite exercer sur vous des tyrannies, que les
Souuerains n’exercent point, comme si l’ennemy eust esté à vos
portes, l’on vous assuietist à des gardes penibles & de grands frais,
en vne saison tres-rude. L’on vous expose à des rencontres tres-perilleuses,
l’on fait des taxes sur vos maisons, l’on prend le bien
des particuliers, dont l’on fait recherche dans les lieux les plus cachez,
sans en excepter les sepulcres.

Celuy qui n’y consent pas est vn Mazarin. Ce fut le mot par
lequel vous commençastes à expliquer vostre indignation, & à
qualifier les seruiteurs du Roy. Cependant vous souffrez des necessitez
extrémes, & vous vous sousmettez volontairement aux
Autheurs de toutes vos miseres. Mais vous n’en estes qu’à l’entrée,
vn abysme en attire vn autre. L’on recherche le secours de
l’ennemy de l’Estat. L’on enuoye des Deputez en Flandre, l’on
fait entrer l’Espagnol en France, leurs Agent sont receus & escoutez
en plein Parlement, vous vous en réioüyssez, l’on vous
en debite des nouuelles, l’on vous en chante des chansons dans
les places publiques, c’est ce qui vous diuertit. Y a-t’il aueuglement
ou letargie comparable à la vostre ?

Ie passeray sous-silence ce qui se fit durant vostre pretendu siege.
Il suffira de dire que la saison pressante le Roy, de mettre en
campagne ses armées contre l’ennemy de l’Estat, S. M. se trouua
obligée d’accorder la Declaration de la Paix qui fut traitée à S.
Germain. Ainsi le mal ne fut que pallié, les Factieux éuiterent le
chastiment : & l’esprit de la faction a tousiours subsisté depuis, &
receu protection entiere dans vostre ville. S. M. reuint au mois
d’Aoust ensuiuant, elle y amena le C. Mazarin, on le reçoit auec
applaudissement, les Corps luy font complimens, les particuliers,
& des plus qualifiez, recherchent ouuertement ou secrettement
ses bonnes graces. Il est bien venu parmy vous, non seulement

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estant auec le Roy, mais allant en plusieurs endroits de la Ville
en son particulier.

 

Le reste de l’année 1649. se passe en vne infinité d’intrigues,
qui n’aboutissent & n’ont qu’vne fin de voir qui l’emportera à la
Cour, ou du Prince de Condé, ou du Coadiuteur. Les assemblées
frequentes de iour & de nuict, mesme en armes : l’assassinat resolu
du Prince de Condé sur le pont-neuf ; l’accusation intentée
contre le Duc de Beaufort, le Coadiuteur & Broussel, de laquelle
ils furent depuis deschargez, l’assassinat feint & imaginaire de
Ioly Conseiller au Chastellet, & la sedition excitée par le Marquis
de la Boulaye ; c’est ce qui vous entretient iusques à l’emprisonnement
des Princes, qui arriua le 18. Ianuier 1650.

Les causes & les raisons de cet emprisonnement furent veuës en
vne lettre que le Roy en escriuit au Parlement. Ce qui s’en est
dit de particulier, c’est que le Duc d’Orleans y contribua plus
que personne, par l’entremise de la Duchesse de Chevreuse. Souuenez-vous
que vous en allumastes des feux, vous fistes boire
tous les passans pour marque de la ioye que vous en eustes Ie fais
cette remarque expressément pour vous reprocher vostre inconstance
& vostre legereté ; puisque vn an aprés vous estes sortis au
nombre de trois cens mille hors de vostre ville, pour vous aller
reioüyr de sa liberté. Accordez ces bizarres changemens. Le
Prince de Condé lors de son emprisonnement estoit l’autheur de
vos miseres, & le C. Mazarin en ce temps-là estoit tres-innocent.
Vn an aprés, vos esprits changeans comme les saisons, vous le
croyez opprimé par ce Cardinal, l’esloignement duquel vous
demandez comme le seul remede des miseres publiques.

En suite de cet emprisonnement, le Roy va dans ses Prouinces
de Normandie & de Bourgongne. Il est obey par tout, vne seule
ville en Bourgongne fait resistance, elle est aussi-tost emportée,
de là S. M. vient à Paris, la ville de Bordeaux, laquelle comme
la vostre auoit tousiours soustenu les factieux & les rebelles,
prend l’occasion de se sousleuer de nouueau en faueur du Prince
de Condé. Le Roy est conseillé d’y aller en personne faire cesser
ce trouble. Toutes les villes de la Prouince, & toute la Noblesse
luy rendent vne entiere obeїssance. Il n’y a que Bordeaux, suiet à
semblables reuoltes aussi bien que vous, que la Noblesse entreprend
de mettre à la raison les factieux de vostre ville, assistez de
vos clameurs, s’interessent en l’affaire, ils obtiennent du Duc
d’Orleans qu’il se trouuast par plusieurs fois au Parlement. L’on

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en depute par deuers le Roy, pour l’obliger d’accorder vne Paix,
indigne de l’authorité Royale, à des Suiets rebelles.

 

En ce faisant on rauit au Roy vne victoire toute certaine, & ce
par le seul interest de l’apprehension qu’ils auoient de voir des factieux
& des rebelles chastiez, de crainte de l’estre en suite. C’est
auec regret, qu’il m’a eschappé de dire que le Roy fut contraint
d’accorder cette Paix, mais comme l’on n’en proposoit les expediens
qu’auec menaces de voir de semblables reuoltes dans Paris,
si l’on ne terminoit celle de Bordeaux par les voyes de douceur ;
ie dis la verité sans interesser l’authorité Royale.

Souuenez-vous, Messieurs, que pendant l’absence du Roy il
n’y auoit iour que vous ne leussiez auec ioye des Libelles diffamatoires,
dont la prodigieuse quantité, & la qualité maligne, n’a
pas esté vn des moindres artifices pour allumer le feu par tout.
Souuenez-vous qu’il n’y auoit heure, que vous n’entendissiez auec
plaisir des chansons honteuses & infames, contre les personnes
les plus augustes : que vous ne vissiez des placards affichez aux
poteaux des places publiques, qui tendoient à sousleuer le peuple ;
l’on crioit aux Mazarins sur ceux qui entreprenoient de les
oster. L’Archiduc vient auec vne puissante armée iusques à Fismes,
aprés auoir rauagé & desolé la Champagne, il se campe à
Basoches. L’on vous dit qu’il vient vous donner la Paix, mais
qu’il la veut traiter auec le Duc d’Orleans, & non auec la Cour,
parce que le Mazarin l’empesche. Et vous estes si stupides de
croire que l’ennemy ancien de l’Estat vous apporte la paix. Des
volleurs de nuict attaquent par vn pur hazard le carrosse du Duc
de Beaufort ; plustost qu’vn autre ; vous voulez absolument que le
Mazarin l’air fait faire. Ces voleurs sont condamnez à la roüe.
Auant l’execution on les applique à la question extraordinaire.
Ils reconnoissent tous la verité, & declarent vnanimement &
sans varier, que c’est par vn pur hazard qu’ils se sont adressez au
carrosse de ce Duc, qu’ils en attendoient mesme vn autre. Ils
perseuerent en public iusques à la mort en cette declaration. Nõobstant
vous dites que les Iuges sont corrompus & que le Mazarin
a fait entreprendre cet assassinat. Au mesme temps l’on attache
des tableaux de ce Cardinal aux poteaux publics, auec des
inscriptions infames ; les Magistrats vont pour les faire oster, ils
ne sont pas en seureté de leurs vies, l’on court sur eux & sur tous
ceux qui les assistent. La qualité qu’il a de Ministre d’Estat, outre
celle de Prince de l’Eglise, l’honneur qu’il a d’estre bien venu

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du Roy, ne vous arrestent point. Vous vous portez à tous exceds,
parce qu’ils déplaisent au Roy.

 

Sa Maiesté estant de retour à Fontainebleau ; donna ordre
pour transferer les Princes au Havre de Grace, puis s’en reuint à
Paris au mois de Nouembre 1650. Cette translation opere vn effet
tout contraire aux esperances d’vn chacun. Par vne nouuelle
conspiration de la caballe, les deux partys contraires, celuy du
Prince & celuy des Frondeurs se reunissent. L’on tient des assemblées
indeuës iour & nuict contre l’authorité du Roy, l’on y resout
l’esloignement du C. Mazarin & la liberté des Princes, sous
plusieurs conditions. Et entre autres, d’vn chapeau de Cardinal
pour le Coadiuteur, qui ne l’auoit peu obtenir de la Cour, quelques
menaces qu’il eust fait faire par la Duchesse de Chevreuse,
& du mariage de la fille de cette Duchesse auec le Prince de Conty.
Ce qui vous doit bien faire connoistre, que l’interest & l’ambition
ont esté les ressorts continuels de ces mouuemens.

Pour l’execution de ces proiets, l’on fait vn estat asseuré de
vous, l’on sçait que vous auez vne disposition perpetuelle à croire,
& à faire toutes les choses que l’on voudra, & qui sont contre
les interests du Roy. L’on ne fait qu’attendre le retour du C. Mazarin.
Ce Ministre qui ne s’occupoit à destruire de mauuaises caballes
que par de bonnes actions, & les artifices malins que par la
sincerité de ses seruices. estoit allé sur les frontieres de Champagne,
auec des forces considerables, pour reprendre Rethel. Ce
dessein luy reussit heureusement. Il reuint triomphant aprés auoir
emporté Rethel, & fait combatre l’armée ennemie, qui fut deffaite.

Il y auoit apparence que le C. reuenant à Paris, apres vne action
si memorable & si auantageuse deust receuoir toutes les acclamations
des Peuples. En vne autre saison vne personne qui eust agy
auec le zele & le succes qu’il auoit fait, vn homme qui eust rendu
à l’Estat vn seruice si important & si illustre que de reduire les
Ennemis à demander la paix comme ils firent, voyans qu’il n’auoient
plus rien à esperer des partis formez dans le Royaume, eust
receu toutes les reconnoissances & toutes les recompenses qui
sont deües à de semblables actions.

Mais il en arriue tout au contraire. Les deux partis du Prince &
des Frondeurs vnis emsemble, preuoyans qu’aprés leurs forces
ruïnées & abbattues, la paix general estant concluë, il n’y auoit
plus rien qui peust seruir d’obstacle au restablissement de l’authorité

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Royale, que le chastiment des factieux n’eust en suite dependu
que de la volonté du Roy, resoluent de faire vn dernier effort ;
par lequel ils puissent en mesme temps emporter la liberté
des Princes, & faire sortir le C. Mazarin hors du Royaume.

 

Le Coadjuteur & la Duchesse de Chevreuse se chargent de
mesnager cette affaire auprés du Dnc d’Orleans, & tous les interessez
agissent de leurs costé. Le Parlement qui auoit approuué
l’emprisonnement des Princes, sa Majesté luy en ayant expliqué
les motifs par ses lettres, se porte à faire des remonstrances. Le
Duc d’Orleans sabstient d’aller au Palais Royal, & d’assister au
Conseil, protestant de n’y point aller iusques à ce que le C. Mazarin
soit esloigné de la Cour. Il va au Parlement. L’on y rend des
Arrests, par lesquels on ordonne des remonstrances pour la liberté
des Princes, & pour l’esloignement du Cardinal : qu’vn Parlement
entreprenne de demander l’esloignement d’vn Ministre,
qui vient de mettre en liberté des Prouinces entieres par la desroute
des ennemis de l’Estat : & d’opiniastrer à mesme temps la
liberté des Princes dont l’humeur & le ressentiment ne manqueroient
pas de se porter à des guerres ciuiles. C’est chose estrange,
mais que S. A. Royale qui auoit eu si grande part dans cet emprisonnement,
& qui a si notable interest de defendre l’authorité
Royale, se porte à ces sortes de resolutions. Qu’vn fils de France
donne cet auantage à vn Parlement, que d’apprendre par sa bouche
les choses les plus secrettes qui s’estoient passées dans les Conseils
du Roy, & de solliciter des Arrests sur des affaires de cette
nature. C’est chose qui fut veuë auec estonnement, & qui fit bien
iuger aux plus sensez les suites & les consequences de cette entreprise.

Tout cela neantmoins, Messieurs, estoit peu considerable si l’on
ne vous eust engagé dans l’affaire ; car que les Princes entreprennent
tout ce qu’ils leur plaira, contre les intentions du Roy : que
le Parlement & toutes les Compagnies s’y ioignent ; si vous sçauez
discerner la verite d’auec les pretextes, par lesquels on sçait vous
surprendre, ce seront des entreprises vaines & sans effet, si vous
sçauez ne vous attacher iamais à d’autres interests qu à ceux du
Roy, comme vous y estes obligez & vous contenir dans l’obeïssance ;
vous verrez tousiours tous leurs efforts inutils, & toutes les
factions qui s’esleueront estouffées dans leur naissance.

Mais comme l’on fut informé que les chefs de cette entreprise
estoient asseurez de vous, pour l’execution, iusques à vous faire

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prendre les armes & hazarder les dernieres extremitez : le Roy
vsant de la prudence necessaire en ces rencontres voulut bien
consentir à la retraite du C. Mazarin : & luy mesme aima mieux
se retirer, que d’estre le pretexte de quelque emportement extraordinaire,
qui eust engagé trop auant l’authorité Royale.

 

Ce remede neantmoins est inutil pour appaiser la violence du
mal. Cette retraite n’est pas ce que les factieux souhaitoient. Ils
eussent bien mieux aimé que le Cardinal eust opiniastré sa demeure
à la Cour, afin d’auoir le pretexte d’vn sousleuement. Que
feront ils donc. D’vn costé le Parlement apres auoir deputé pour
remercier le Roy de l’esloignement du Cardinal (ce qui estoit vn
compliment iniurieux & desobligeant) rend vn Arrest, par lequel
il enjoint au C. Mazarin de sortir du Royaume & de toutes les terres
de l’obeïssance du Roy : & à faute de ce faire, il ordonne à tous
les suiets du Roy de courir sus & le tailler en pieces.

Il rend encore vn autre Arrest, par lequel il ordonne qu’il sera
informé cõtre luy, & qu’il sera amené prisonnier à la Conciergerie
du Palais, pour luy estre son procés fait & parfait. Si iamais la passion
a aueuglé des Iuges, pour les faire agir contre les formes de la
Iustice & contre la raison, c’est dans cette occasion. Par le premier
Arrest, ils condamnent diffinitiuement vn homme à sortir
hors du Royaume, & à faute de ce, ils arment les sujets du Roy
contre luy pour le tailler en pieces, ce qui est vn bannissement.
N’est-ce pas agir contre les formes, de condamner vn homme
sans plainte, sans information, sans decret, sans l’ouïr, ou le coutumasser.
Par le second Arrest, ils ordonnent qu’il sera informé,
& qu’il sera amené prisonnier : N’est-ce pas agir contre la raison
& contre le bon sens de vouloir qu’vn homme, lequel aux termes
de leur premier Arrest doit estre hors le Royaume & garder son
bannissement sur peine de la vie : soit amené prisonnier pour luy
estre son procés fait & parfait, apres l’auoir condamné diffinitiuement ?

Mais où est escrit le pouuoir qu’ont ces Iuges, de traiter criminellement
vn Cardinal de l’Eglise Romaine ? Ils n’ont pas droit
de Seuir contre vn Euesque, pourquoy l’entreprennent ils contre
vn Prince de l’Eglise ? Le Procureur General en a-il fait vne
seule requisition ? Mais où est le crime, où est l’accusation, où est
l’information ? Il est bien apropos, Messieurs, pour l’interest seul
de la verité ; sans affecter la deffence de ce Ministre que ie n’ay
pas icy entrepris : que vous soyez informez de ce qui s’est passé en
cette rencontre.

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Des Commissaires partent de Paris, en execution de l’Arrest, ils
suiuent le chemin que le Cardinal à tenu. Ils informent, & par
I’information il est prouué que le Cardinal passant par cette route,
a fait payer exactement tout ce qui a esté fourny pour luy, pour
sa suite, & pour les gens de guerre qui l’accompagnoient, où est le
crime ?

Estant de retour, Broussel cet homme amy de la longue Iustice,
si ce n’est quand il y a occasion de faire du mal, se charge d’informer
contre le Cardinal sur les chefs d’accusation, par lesquels on
vous l’a rendu odieux, qui sont entre autres, le diuertissement des
Finances du Roy, le transport d’icelles dans les pays Estrangers,
la vente des Benefices, les depredations sur mer, & l’oppression de
quantité de particuliers par l’authorité, dont l’on pretend qu’il
a abusé. Ce Commissaire a tout le temps qu’vn Iuge animé peut
souhaiter. Il a des Lettres Monitoires, publiées dans l’estenduë
du ressort du Parlement. Il trauaille en vn temps auquel les artifices
des ennemis de l’authorité Royale ont reduit le Cardinal en
vn point, que qui sçauroit dire & deposer quelque chose contre
luy, croiroit meriter du public. Il a pardeuers luy les Registres
des Banquiers, desquels on pretend que ce Cardinal s’est seruy
pour le transport de l’argent en Italie, & apres tout cela, quand
ce luge animé est pressé, les Chambres assemblées, de faire rapport,
des informations qu’il a fait, apres auoir esquiué quelque rencontres,
il est obligé d’aduoüer qu’il n’y a point de preuue, & qu’il
est inutil de voir les imformations qu’il a fait ; si ce n’est que l’on
le veuille canoniser : mais que les informations ne sont point necessaires
en vn fait si plein de notorieté publique. Voyla Messieurs,
l’esprit, la conduite, l’integrité, l’innocence de ce grand
Iuge, pour lequel vous auez pris les armes, & vous vous estes sousleuez
contre vostre Roy.

Reprenons la suite du discours. Si d’vn costé le Parlement agit
de la sorte, apres la retraite du Cardinal, les factieux qui auoient
concerté ce trouble, n’oublient rien de leur part pour faire voir
le pouuoir qu’ils auoient sur vous. Ils vous persuadent, que la
Reyne Regente veut enleuer le Roy : que le Cardinal a dessein de
receuoir le Roy quand il sera sorty de vostre ville, auec l’armée
qu’il venoit de commander en Champagne : pour ensuite vous assieger
& se venger de vous, leurs emissaires trauaillent dans les
quartiers de vostre ville sur ces fondemens.

Il n’est rien de si aisé que de persuader des hommes, aussi suiets

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à la legereté & à l’inconstance que vous estes, vous voila tous aussi
tost allarmez, la Reyne Regente reconnoissant bien où alloient
les desseins des factieux, mande le Preuost des Marchands, les
Escheuins & les Corps des Marchands. Sa Majesté leur donne
des asseurances de la bien veillance du Roy & de la sienne, & pour
leur tesmoigner la sincerité de ses intentions, elle leur dit que le
Roy trouue bon qu’ils mettent quelques gardes aux portes de la
ville ; pourueu que cela se fasse sans bruit & sans battre le tambour.
Cela est executé suiuant cet ordre, durant deux iours, apres lequel
le Preuost des Marchands qui estoit lors dans les interests de ce
party, ordonne aussi-tost vne garde exacte, le tambour battant
en la mesme maniere que si vostre ville estoit assiegée, l’on fait murer
la porte de la ville, voisine du Palais Royal. Il ne sort point de
carrosses ny chaires pour aller aux faux-bourgs, qui ne soit visitées.
Tout cela, Messieurs, vous le sçauez, s’entreprend par le seul ordre
du Preuost des Marchands, sans la participation ny du Roy, ny du
Gouuerneur de la Ville.

 

Ainsi, Messieurs, vous tenez vostre Roy prisonnier dans vostre
Ville, sans qu’il puisse prendre autre diuertissemens que dans
l’enclos de son Palais. La Reyne Regente s’abstient de ses exercices
ordinaires de deuotion, pour ne vous donner ny soupçon, ny
occasion de faire pis contre l’authorité Royale. L’on vous fait
naistre des frayeurs de iour à autre, l’on vous fait croire que le
Roy s’en est allé. Il faut ouurir sa chambre en pleine nuict, & le
faire voir dans son sommeil, vostre Garde passe impunément deuant
celle du Roy, & il faut par prudence dissimuler tous ces crimes,
cette Garde dure autant qu’il vous plaist, & si long-temps
qu’enfin vous vous en lassez.

Le Prince de Condé sorty de prison au mois de Feurier, fait
bien-tost voir, que ceux qui ont tant passionné sa liberté, n’ont
pas connu l’impatience & l’inquietude de son esprit. Il estoit difficile
qu’vn Prince de cette naissance, vn homme fier & ambitieux,
& plein de ressentiment de sa prison, peust demeurer dans
la Cour sans former quelque dessein. Il estoit necessaire pour en
venir là d’auoir des Ministres à sa deuotion, & de faire esloigner
ceux qui estoient dans l’administration des affaires, il luy estoit
aussi important d’auoir vn Gouuernement qui eust des places
frontieres ou maritimes, qui le peust rendre considerable & mettre
à couuert.

Pour y paruenir, contre le gré de la Reyne, qui preueut assez la

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consequence, il se sert de l’entremise du Duc d’Orleans & du
Parlement. L’on s’y assemble, & l’on y expose, qu’encores que
le C. Mazarin soit hors du Royaume, neantmoins son esprit agit
auec autant d’authorité dans les Conseils, que s’il y estoit present :
qu’il ne s’y determine rien absolument que l’on n’en ait les resolutions
de sa part ; que pour remedier à ce desordre, il est necessaire
que les sieurs Seruien, le Tellier, de Lionne, & autres se retirent.
Aprés quelques instances, la Reyne Regente accorde
leur esloignement : Et à l’instant sa Maiesté fait reuenir le
Chancelier & le sieur de Chauigny dans le Conseil. Il y auoit
lieu de croire que ces personnages leur deuoient estre agreables,
par des raisons qui sont connuës. Neantmoins parce qu’ils ne
les ont pas proposé, ils murmurent de nouueau.

 

Pour ce qui est d’vn Gouuernement, le Prince de Condé n’en
trouue point de plus commode que celuy de Guyenne, Bordeaux
la capitale de cette Prouince, s’estoit desia sousleuée trois
fois, & la dernier en sa faueur : Les Deputez du Parlement de cette
Prouince en font instance. Ils le demandent. La Reyne s’y laisse
forcer malgré elle, pensent le satisfaire par cet accommodement.
Les équipages & les preparatifs pour l’entrée du Prince
dans son nouueau Gouuernement se font à Paris. L’on espere que
s’il ne demeure à la Cour content, qu’au moins il demeurera
dans cette Prouince, sur les reuenus de laquelle on proposoit
d’assigner ses pensions, & ce qui luy estoit deub, afin de l’obliger
dautant plus à la maintenir dans le repos, & dans le seruice du
Roy.

Mais le succez est tout contraire. Ce Prince se met ou fait semblant
de se mettre dans l’esprit, que lon le veut arrester. Il s’abstiẽt
pour ce suiet vn fort long-temps d’aller au Palais Royal.

Enfin, voyant qu’il ne pouuoit plus demeurer à Paris sans voir le
Roy, l’on suppose des embuscades de personnes armées qui deuoient
inuestir son Hostel, & le prẽdre de force. Pour preuenir cet
accident, il part du grand matin, & se retire à S. Maur des Fossez,
où vous sçauez, Messieurs, combien il fut visité. Souuenez-vous
des placards qui parurent lors tous les iours affichez aux carrefours
& dans les places publiques de vostre Ville, qui tendoient à
vous sousleuer en sa faueur. Souuenez-vous aussi comme ceux qui
faisoient effort de les oster, estoient traitez de Mazarins ; iusques
aux Magistrats, & autres Officiers de Iustice. Le Parlement s’assemble
plusieurs fois ; il reçoit des lettres de ce Prince, ils en fait

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l’ouuerture sans les enuoyer au Roy ; Le Prince, quoy que retiré
de la Cour & de la Ville, se donne l’authorité de venir de S. Maur
prendre sa place au Parlement. Chose estrange l’on le trouue
bon, personne ne s’y oppose. Alors voyant qu’il n’auoit pas encore
bien fait sa partie, & que sa sortie n’auoit pas eu l’effet qu’il s’estoit
proposé, il reuient à Paris, ne l’auez vous pas veu auec joye,
mais à vostre honte allant dans vostre Ville, passer deuant le Palais
Royal, rencontrer le Roy dans le Cours, comme pour le
brauer, qui est ce d’entre-vous qui s’en est formalisé ? il s’en lassa
plustost que vous. Car voyant la majorité du Roy approcher, il se
retira de nouueau de Paris, & ne voulut point assister à cette ceremonie,
il s’en voulut excuser par vne lettre, qui vous deuoit bien
faire connoistre où se portoient deslors ses desseins, le Roy est
declaré majeur le septiéme iour de Septembre, le lendemain le
Prince part de S. Maur, & s’en va à Bourges.

 

I’obmettois à vous dire, que le Roy voyant le Prince ainsi esloigné
de la Cour & de son deuoir, mesme estant bien informé des
intelligences qu’il auoit auec les Espagnols, & qui ont paru depuis
par les effets ; creut estre obligé de le declarer au Parlement, qui
fut mandé pour cet effet au Palais Royal, la lecture qui fut faite de
l’instruction que le Roy auoit des mauuais desseins de ce Prince,
l’offença tellement qu’il n’en peut dissimuler son ressentiment. Le
Parlement, qui en vn autre-temps eust aprofondy des crimes de
cette qualité ; que la suite a iustifié estre veritables, & qu’ils eust
chastie sans acception de condition & qualité, s’interesse de sorte
en cette offence, qu’il demande au Roy vne Declaration d’innocence
pour le Prince, & en mesme temps vne Declaration contre
le Cardinal, d’absoudre & declarer innocent vn coupable, la clemence
& les raisons de l’Estat le peuuent permettre. Mais le Roy
ne peut consentir que l’on se serue de sa iustice afin d’accabler vn
innocent, pour complaire à des ennemis ; neantmoins il faut sortir
de prison, il y a sept mois qu’elle dure : & bien qu’elle ne soit pas
si resserrée qu’elle a esté les trois premiers mois, elle est tousiours
prison, en sorte, que si le Roy eust entrepris vn voyage hors de
Paris, l’on se faisoit fort de vous armer & de vous sousleuer : que
ne fait vn particulier pour sortir de prison, que ne fera doncques
vn Roy pour se mettre en liberté, pour sortir d’vne Ville qui luy
est si mal affectionnée, & qui luy à tant causé de deplaisirs, & à la
Reyne Regente sa mere.

Sa Majesté permet donc à ceux qui s’interessent pour le Prince

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de dresser vne Declaration d’innocence en sa faueur, voulant bien
oublier sa faute : & au Parlement d’en dresser vne autre contre le
C. Mazarin comme ils auoient fait celle du mois d’Octobre 1648.
L’vne & l’autre est dressée, & celle contré le Cardinal est remplie
de tant d’iniures & de tant de reproches, qu’il est aisé de connoistre
que ses ennemis ont fait cet ouurage. Le Roy les fait expedier
toutes deux, & sceller, le Parlement les verifie. Mais qui a iamais
douté que le Roy ne s’en puisse & ne s’en doiue releuer ? Vn particulier
est bien restitué contre les actes qu’il fait par contrainte,
pourquoy est-ce qu’vn Souuerain ne le fera pas, duquel on ne
peut rien exiger sans crime ?

 

Ces Declarations ainsi enregistrées parurent vne disposition
fauorable pour terminer heureusement cette iournée de la Majorité,
pour congedier le Parlement qui se deuoit separer par les
vacations : Enfin pour sortir de vostre Ville, & y rentrer aprés
que l’authorite Royale y aura esté restablie par vostre obeïssance,
& par vn detachement entier de toutes les factions, & de toutes
reuoltes que l’on y excite, & que l’on y entretient depuis
quatre ans.

Le Roy sort doncques de vostre Ville sur la fin du mois de Septembre
1651. A peine est-il arriué à Fontainebleau, qu’il apprend
que le P. de Condé, aprés auoir donné les ordres necessaires
à Montrond pour se défendre cõtre les forces de S. M. & laissé
en la ville de Bourges le Prince de Conty son frere, s’en estoit allé
en Guyenne, pour se mettre en estat d’executer les traitez qu’il
auoit faits auec les Espagnols, & commencer ouuertement cette
funeste & fatale guerre qui nous embraze auiourd’huy. Le Roy
va en diligence à Bourges, les habitans de cette ville ont plus de
fidelité que vous, ils reçoiuent le Roy auec sa Cour, & obligent
le Prince de Conty de se retirer ; de là S. M. s’en va à Poictiers,
où ayant assemblé son armée, elle fait par plusieurs fois combatre
les rebelles que le Prince de Condé auoit sousleuez dans la
Guyenne, & amené dans la Xaintonge, suiuant le traité qu’il
en auoit fait auec les Bordelois, qui l’obligeoit d’esloigner la
guerre de la Guyenne, & de la porter sur la riuiere de Loire.
Autant de fois qu’il se presente deuant le Comte d’Harcourt, autant
de fois il est battu : autant de passages de riuieres qu’il dispute,
autant on luy en emporte.

Cependant le Roy auoit fait expedier vne Declaration contre
le Prince & ceux de son party, qu’il auoit enuoyé au Parlement ;

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par laquelle il les auoit declarez criminels de leze Maiesté, il en
fait presser l’enregistrement par son Procureur general. Il ne se
peut dire combien de retardement & de subterfuges furent apportez
à cet enregistrement. Tantost le faict n’estoit pas assez
constant, parce que l’on n’auoit pas des commissions signées de
sa main, ou vne Information authentique ; quoy qu’il eust fait
battre à coup de canon les villes du Roy, & combatre ses troupes.
Tantost le Duc d’Orleans, qui estoit inuité soigneusement
de se trouuer aux Assemblées qui se tenoient pour cet enregistrement,
estoit indisposé, & l’on remettoit à vn autre iour. S. A. R.
mesme demandoit du temps pour enuoyer vers le Prince, & luy
faire poser les armes. On taschoit à esluder souuent par les bruits
du retour du Cardinal que l’on publioit pour certain. Ce qui estoit,
disoit on, vne affaire de bien plus grande consequence,
& qui rendoit la prise d’armes du Prince iuste & legitime.

 

Enfin, Messieurs, aprés plusieurs fuites & remises le Parlement
verifie cette Dcclaration, pour n’estre neantmoins executée
que dans vn mois. Le Roy voyant, au preiudice de cette Declaration,
cette faction croistre en son Royaume, apprenant que
les Espagnols estoient descendus en diuers endroits de la Guyenne,
le Duc de Nemours passé en Flandre pour y aller querir vne
arinée, l’amener dans le Royaume, & faire la guerre dans les
Prouinces de ça Loire, afin de faire diuersion d’armes ; voyant
ainsi que l’absence du C. M. & l’esloignement de ceux que l’on
croit luy estre affectionnez, n’auoit peu empescher les mauuais
desseins du Prince de Condé, qui auoit tousiours pris pour pretexte
de sa reuolte le retour du Cardinal, auquel on ne songeoit
pas lors ; le Roy, dis-je, creut que s’il le faisoit reuenir, c’estoit
chose qui deuoit estre indifferente à ses Sujets, & qu’il y alloit de
son authorité de rappeller vn Ministre iniustement persecuté, &
qui pouuoit dans les occasions lors presentes rendre des seruices
vtiles à l’Estat, c’est pourquoy il luy enuoye ses ordres pour
faire vn corps d’armée considerable sur la frontiere, & le luy amener
en diligence. Ce Cardinal ayant leué six mil hommes, entre
en France sur la fin du mois de Decembre 1651. auec les ordres
du Roy, accompagné de Mareschaux de France, de Lieutenans
generaux d’armée, de Gouuerneurs de places, & de plusieurs
personnes qualifiées : que fait alors le parlement ?

C’est icy, Messieurs, le commencement d’vne guerre sanglante,
que des gens preposez pour le seul office de la Iustice, allument

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dans le Royaume. Mais que dis-ie, dans le Royaume, en
vostre ville, dans vostre territoire, à dix lieuës à la ronde, dans
vos maisons, dans vos fermes & dans vos possessions ; enfin, dans
vos fauxbourgs, & dans le cœur de vostre ville. La premiere resolution
qu’ils prennent en ce rencontre, c’est de faire vne chose
inoüye parmy les Nations Chrestiennes : c’est de proscrire la
teste d’vn Cardinal, d’vn prince de la saincte Eglise Romaine, &
la mettre à cinquante mil escus de recompense à celuy qui l’apportera.
Ainsi ces peres du peuple, & ces grands Prestres de la Iustice,
establissent par ce monstrueux attentat en nostre nation,
ce qu’elle a tousiours eu en horreur ; ie veux dire, la liberté de
l’assassinat.

 

Pour faire le fonds de cette recompense, ils ordonnent qu’vne
des plus rares & curieuses Bibliotheques de l’Vniuers, que ce
Cardinal auoit dressée en son palais, sera venduë. Elle auoit eschappé
leur fureur en l’année 1649. Elle n’estoit point tant à ce
Cardinal qu’au public ; puisque par vn contract solemnel, passé
pardeuant Notaires, il l’auoit renduë publique, & l’auoit dotée
d’vn reuenu suffisant pour l’entretien des Bibliothequaires, &
autres personnes necessaires pour la conseruer, l’ayant mesme
mise sous la protection du Parlement.

Cette consideration ne les touche point ; non plus que les deffenses
portées par vn Arrest du Conseil d’Estat, rendu, le Roy y
estant. Au contraire, il faut luy oster l’honneur de cet establissement
public. Et afin qu’elle ne puisse estre rachetée, ils la font
vendre en detail ; & ce qui a esté amassé auec beaucoup de soins,
& la despence de plus de cinq cens mil liures, est vendu quarante-six
mil liures ; de laquelle somme il faut distraire au moins dix mil
liures, qui ont esté consommez en frais de ventes. En sorte qu’il
en reste trente-six mil liures ou enuiron. Aussi se trouuera-il dans
les Cabinets & Bibliotheques des Commissaires deputez pour
faire cette vente, vne bonne partie des plus curieux volumes de
cette Bibliotheque, qui ne leurs ont rien cousté, ou qu’ils se sont
adiugez sous des noms supposez à fort vil prix. Ils ordonnent encore
que les autres meubles du Cardinal, & les statuës qui enrichissoient
son Palais seront vendus. Ces statuës du logis du Cardinal,
& transportées au Palais Royal, comme appartenantes au
Roy, en vertu de la donation que le Cardinal en auoit fait à S. M.
nonobstant les Commissaires tentent de les faire vendre. Il faut
que les Officiers de S. M. s’y opposent, & qu’ils leurs fassent signifier

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des protestations de rendre leurs posterité responsable de l’euenement.
Par le mesme Arrest de proscription, ils ordonnent
que des Conseillers du Parlement seront enuoyez aux passages
des riuieres, pour faire desmolir les Ponts, & armer les Communes :
que le Duc d’Orleans est prié de s’opposer à ce retour, par
toutes sortes de voyes, & que l’execution de la Declaration enregistrée
contre le Prince de Condé sera surcise tant que le Cardinal
sera en France.

 

Pour l’execution de cet Arrest, vous auez sceu que Bitaut &
Geniers furent deputez, vous auez sceu qu’ils furent temeraires à
ce point, que de pretendre pouuoir fermer le passage à des troupes
commandées par vn Mareschal de France, aussi l’vn pensa y laisser
la vie, & l’autre fut prisonnier de guerre ; selon les loix de laquelle
il deuoit perir, si ceux qui commandoient eussent esté aussi
violens qu’eux.

Ie ne vous rapporteray point icy, ce qui s’est fait depuis que le
Cardinal est arriué à la Cour, i’obmettray les affaires & les trauerses
que le Duc d’Orleans & le Parlement ont donnez au Roy,
à surmonter tant en Guyenne & Xaintonge, que par tout au delà
de la riuiere de Loire : parce que mon dessein n’est point d’escrire
vne histoire, mais seulement de vous representer naїfuement les
choses où vous auez pris & prenez part, quoy que tout ce qui s’est
fait ailleurs, soit vne suite des mauuais exemples que vous auez
donné.

Ce qui se represente d’abord, c’est qu’il est de vostre connoissance,
que le Duc d’Orleans en execution de cet Arrest assemble
des troupes, & celles-la mesme que le Roy entretenoit, tant sous
son nom que sous celuy du Duc de Valois son fils, des Princes de
Condé & de Conty, & du Duc d’Anguien. Que ces troupes sont
commandées par le Duc de Beaufort, l’Idole à qui vous auez tant
de fois sacrifié, que ces troupes rauagent & desolent vos campagnes.
Que le Duc de Nemours d’vn autre costé vient auec
huict mil Espagnols, ausquels il fait passer la riuiere de Seyne à
Mante, pour les ioindre aux troupes commandées par le Duc
de Beaufort.

Cette jonction faite par la facilité du passage du pont de la ville
de Mantes, que luy liura le Duc de Sully, qui en estoit Gouuerneur,
les Ducs de Nemours & de Sully viennent à Paris. Quand-ils fussent
reuenus de conquerir des Prouinces à la France, ou deliurer
es frontieres du Royaume de l’inuasion du Turc : eussent-ils peu

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receuoir de plus grands applaudissemens, & de plus grandes acclamations
qu’ils en receurent de vous ? L’vn venoit de mettre
dans le milieu du Royaume vne armée Espagnolle, l’autre par vne
lascheté sans exemple, de leur liurer le passage d’vne ville qu’il a
endepost, & dont il est Gouuerneur pour le Roy. Neantmoins ces
Ennemis du Roy triomphent par les ruës de vostre ville. Celuy de
vous qui hors de cette occasion eust negligé ou mesprisé de les
connoistre toute sa vie, les veut voir par ce que vous les tenez
pour des illustres. Ils vont au Parlement, on les souffre y prendre
seance. Ils y reçoiuent des complimens, leurs maisons sont remplies
du monde qui y acourt de toutes parts.

 

L’on fait rouller le Canon du Roy & les munitions de guerre
que l’on tire de l’Arsenac, pour mener en cette armée Espagnolle,
c’est pour combatre celle du Roy, qui y est en personne, vous
voyez passer cet équipage sur le Pont-neuf au milieu de vostre
Ville, où est le Francois parmy vous qui s’en est formalisé ? Où
est-ce qu’on à entendu la voix d’vn homme de bien, d’vn bon
Bourgeois, d’vn seruiteur du Roy, qui se soit escrié sur tous ces
attentats, faits à l’authorité Royale ? au contraire, vous vous en
estes resiouis. En quoy vous ne pouuez vous deffendre ou de beaucoup
de stupidité, ou de beaucoup de meschanceté : mais c’est
trop s’arrester à des choses, lesquelles quoy que pleins d’horreur,
ne sont rien en comparaison de celles que vous auez fait depuis.

Le Prince de Condé voyant ses affaires desesperées en Guyenne,
& fort peu vigoureusemẽt soustenuës de par deça, arriue à Paris
incontinent apres Pasques de la presente année. Souuenez-vous,
Messieurs, de ce qui se passa la seconde Feste de Pasques, au
milieu de vostre Ville. En premier lieu ; Souuenez-vous du concours
incroyable du Peuple qui alla au deuant de ce Prince, pensant
qu’il d’eust arriuer ce iour là & de celuy qui demeura sur le
Pont-neuf, à faire les outrages qui furent commis sur plusieurs
personnes qualifiées, leur faisant crier, viue les Princes & point
de Mazarin : vous ne pouuez toutesfois auoir oublié que c’est le
mesme, pour l’emprisonnement duquel vous auiez fait des feux
de joye, versé le vin par vos ruës, crié viue le Roy & le Mazarin,
vous n’ignorez pas qu’il estoit criminel de leze Majesté, qu’il faisoit
la guerre actuellement au Roy : & qu’il ne venoit à Paris, que
pour fortifier & encourager le party des rebelles. Ie scay bien
que vous me direz, que quelques factieux soupçonnez d’estre les
Autheurs de cette sedition, furent pris & aprehendez ; d’ont l’vn

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fut pendu, & que vous fauorisastes cette execution. Mais auec
combien de repugnance, & en combien de quartiers refusa-on
d’obeїr ? s’il n’eust eschapé à ses miserables de dire, qu’il falloit
piller les maisons des Orfevres, tout-ce qu’ils eussent peu & voulu
faire eust esté approuué. Outre que cela mesme est vne preuue
conuaincante, que quand vne fois vous voulez vne chose, elle
vous est facile. Mais estant puissans, hardys, & adroits pour la rebellion :
vous n’auez ny force, ny courage, ny adresse pour le
maintien de l’authorité Royale, & pour secoüer le ioug de vostre
captiuité.

 

Le Roy ayant appris le despart du Prince de Condé pour s’en
venir à Paris, se met en chemin pour le preuenir, son armée passe
la riuiere de Loire à Gien & à Gergeau. Apeine est-elle passée que
l’armée Espagnolle & les troupes des rebelles iointes ensemble,
font vne entreprise de nuict sur le bagage du Mareschal d’Hoquincourt
auec notable perte d’hommes de leur costé. Neantmoins
l’on publie en vostre ville, la defaite de l’armée Mazarine.
Il n’y à coing de ruë qui n’en retentisse, voila desormais deux armées
qui commencent à rauager les pleines de la Beausse & du
Gastinois. Ils se respandront bien-tost aux enuirons de vostre
ville, pilleront & rauageront vos maisons & vos fermes. Il n’importe,
pourueu que l’on vous amuse de pretendües deffaites du
Mazarin, & que l’on vous en chante des chansons.

Le Roy s’en vient à Melun, par les Villes d’Auxerre, de Sens
& autres. Il est receu par tout auec des demonstrations de joye
incroyables, les chefs de vostre rebellion voyans le Roy approcher
auec vne armée, iugent bien que la partie n’est pas tenable,
s’ils ne vous y engagent fortement, d’vn autre costé ils ont de la
peine à se persuader, que vous puissiez vous resoudre à fouffrir les
miseres qui accompagnent ordinairement vne guerre ciuile. Ils
hazardent neantmoins, & croyent que l’exemple & l’authorité du
Parlement, & des Compagnies, l’emporteront sur vostre fidelité,
sur vostre liberté, & sur vos interests ; Ils y font donner Arrest, par
lequel il est ordonné que remonstrances seront faites au Roy
pour l’esloignement du Cardinal, que les autres Compagnies seront
aussi inuitées de deputer, & qu’assemblée sera faite en l’Hostel
de la Ville de notables Bourgeois, de chacun quartier, pour
deliberer sur semblables deputation, en laquelle assemblée les
Princes feront pareille declaration, que celle qu’ils ont fait en
Parlement, sçauoir est de poser les armes aussi-tost que le C. Mazarin

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sera esloigné, & qu’il en sera escrit aux autres Parlemens,
qui seront conuiez de donner pareil Arrest.

 

Les Compagnies se ioignent à la deputation du Parlement, &
les Princes l’emportent par leurs presences, non pas neantmoins
sans quelque resistance, le fort de l’affaire estoit de vous auoir
ioints à leurs interests. L’on caballe cette deputation dans les
quartiers, en sorte que c’est vn affaire quasi en asseurance. Et bien
que cette assemblée ne deut estre composée que de Bourgeois deputez
des quartiers, les Conseillers du Parlement & des autres
Compagnies emportẽt sur les Quarteniers & Colonels de ce faire
deputer en beaucoup de quartiers, eux qui ne pouuoient affecter
cette deputation que pour opprimer la liberté des autres, & faire
conclurre, comme ils auoient desia fait dans leurs compagnies, en
faueur des rebelles. Cette assemblée se tient au mois d’Avril, les
Princes s’y trouuent. Ils y font leurs declarations, l’on y harangue
en leur faueur, l’on ne pouuoit pas encore faire inuestir
l’Hostel de la Ville de gens de guerre, comme l’on fit le quatriéme
Iuillet dernier. Ils n’auoient pas encore esté introduits dans vostre
Ville : mais la canaille acheptée à prix d’argent, ne manqua
point ce iour là de crier, viuent les Princes & point de Mazarin.
Vous entendistes la voix d’vn seditieux Apoticaire, suiuie de quelques
vns, qui proposa non seulement de se joindre à la deputation
du Parlement, & aux interests des rebelles : mais aussi d’y
conuier toutes les Villes du Royaume, par des lettres circulaires.
Enfin, Messieurs, vous arrestez des remonstrances au Roy de la
part de la Ville ; & ayans receu la declaration des Princes, vous
vous engagez insensiblement & stupidement à trouuer bon, qu’ils
ne posent point les armes que le C. Mazarin ne soit hors du Royaume :
& à souffrir & faire la guerre, si le Roy n’accorde point
cette demande. Si la demeure ou l’ésloignement de ce Cardinal
vous importe au point de vous engager si auant, nous en parlerons
à la fin de ce discours.

Le Roy, qui n’auoit passé la riuiere de Loire que pour s’en venir
à Paris, & vous mettre en liberté, voyant vos mauuaises intentions
pour son seruice, va de Melun à S. Germain en Laye.
Et comme l’armée des rebelles, que l’on peut appeller d’oresnauant
la vostre, s’estoit postée à Estampes, celle du Roy se vient
camper à Chastres pour couurir Paris, & empescher la communication
de cette armée auec vous : vous commençastes de faire
garde aux portes de vostre ville. Les Princes dés ce moment se

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rendent vos maistres, personne ne sçauroit plus sortir sans leur
passeport. L’on enuoye demander au Roy audience pour faire
les remonstrances, sa Maiesté l’accorde, & donne iour, vous
estes si peu maistres de vos portes, que le Corps de la ville est
obligé de prendre passeport pour en sortir.

 

Aprés que l’on eut entendu les remonstrances des Compagnies
& la vostre, dans lesquelles on n’obmit rien de ce qui peut offenser
le Roy ; sa Maiesté eut neantmoins la bonté d’accorder vne
conference, pour aduiser aux moyens d’estouffer dans sa naissance
vne guerre, qui ne peut auoir autre fin que vostre ruine, & la
desolation de vostre paїs.

Les Deputez vont à Saint Germain, le Roy leur commande
de conferer auec le C. Mazarin, lequel est chargé d’examiner
leurs propositions ; cela se fait auec vn tres-grand loisir. Ils conuiennent
de plusieurs choses. Mais estans de retour, parce que
le Prince de Condé n’y trouue pas tous les auantages qu’il s’estoit
proposé, l’on blasme les Deputez d’auoir conferé auec le
Cardinal ; & l’on commence sur de nouueaux frais à demander
son esloignement.

Cependant le Roy enuoye des troupes à l’Isle Adam, sur la riuiere
d’Oise, où le Prince de Condé auoit quelques troupes pour garder
ce passage. Il est emporté en peu d’heures. Ce mesme Prince
s’estoit aussi emparé des passages des ponts S. Cloud & de Neüilly,
dans lesquels il tenoit garnison, pour empescher la communication
de la Cour auec la ville de Paris, aprés auoir fait brusler
ceux de Chatou & du Pecq. Le Roy donne ordre de les attaquer,
l’allarme en est donnée à Paris, le Prince de Condé en sort auec
tres-grand nombre de Bourgeois. L’on vous mene à S. Denys,
où quelques Compagnies du Regiment des Gardes Suisses
estoient en garnison, comme ils y sont d’ordinaire. L’on donne
assaut à cette ville, elle est emportée : cette action vous aguerrit,
l’on mene les Suisses en triomphe dans les ruës de Paris. Et c’est
vne ioye publique, d’aüoir enleué vne partie de la Garde du
Roy : Mais la chance retourne dés le lendemain, les troupes du
Roy reprennent cette ville, l’aduis en vient à Paris : vostre General
le Duc de Beaufort crie aux armes, il n’a pas de peine à
vous assembler. Vous estiez amorcez par la victoire du iour
precedent, vous y courez en grand nombre. Mais comme
ce n’est pas vostre mestier de combatre, peu de troupes vous
font reuenir sur vos pas, c’est à qui rentrera le plus viste. Il en demeura

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neantmoins quatre cens & plus sur la place, & vostre Duc
de Beaufort eust esté du nombre s’il n’eust esté monté sur vn cheual,
à qui il doit son salut par sa fuite.

 

Le Roy croyant sa presence necessaire prés de son armée, quitte
Saint Germain & s’en retourne à Melun. Pendant le seiour
qu’il y fait ; il se passe plusieurs occasions entre les armées. Celle
des Espagnols est attaquée dans la ville d’Estampes, le Duc de
Lorraine vient au secours, vous sçauez qu’il est ennemy de la
France, & qui s’est ioint aux Espagnols. Et nonobstant c’est vne
ioye parmy vous, que de le voir à Paris. L’on y allume des lanternes
aux fenestres pour marquer la réioüyssance publique. L’on
crie, Viue le Duc de Lorraine, vous prenez communiquation auec
son armée, vous la voyez chargée des dépoüilles des François,
des larcins & des brigandages qu’elle a fait dans son passage depuis
la frontiere iusques à vous, & dans vostre voisinage, vous
achetez tout de leurs mains, ils viennent librement dans vostre
ville vendre & acheter, ils sont les bien venus ; cependant, vn
Officier du Roy vostre Souuerain, de quelque condition qu’il
soit, n’oze y venir qu’il ne coure hazard de la vie.

Cecy n’est remarqué, que pour vous faire encore vn reproche
de vostre legereté, & de vostre inconstance. Car ce Duc ayant
auancé son armée pour aller au secours de l’Espagnol enfermé
dans Estampes, & ne le pouuant faire sans hazarder le succés d’vn
combat qui luy fut presenté par le Mareschal de Turenne ; il fut
forcé par l’armée du Roy qui estoit en bataille, d’accepter les
conditions d’vn Traité qu’il signa, & de se retirer sur le champ.
Souuenez vous des imprecations que vous fistes en suite, & des
maledictions que vous luy donnastes. Souuenez-vous des chansons
& des libelles qui coururent par vostre ville. Il estoit lors
plus dangereux d’estre reputé Lorrain que Mazarin.

Reprenons la suite, le Mareschal de Turenne estant venu au
deuant de ce Duc, & des troupes que les rebelles auoient ioint,
pour les combatre, donna temps à l’armée Espagnolle de quitter
le poste d’Estampes. Elle vient se camper sous les murailles de vostre
ville, & de là à Sainct Cloud. Le Roy part de Melun, & s’en
vient à Sainct Denys par Lagny, pour faire passer la riuiere à son
armée, & vous deliurer de ces Estrangers qui alloient moissonner
vos campagnes. L’on construit vn pont de batteaux au dessus
d’Espinay le premier iour de Iuillet. Les Espagnols & les rebelles
font contenance de s’y vouloir opposer. Mais ayant reconnu

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que tous leurs efforts seroient inutiles, & voyant bien
que si l’armée du Roy passoit la riuiere, il n’y auoit point de seureté
pour eux à Saint Cloud. Ils se resoluent de changer de quartier.
Ils font pour cét effet filler leurs armées sur le soir, pendant
que quelque Cauallerie paroissoit en escadrons au delà de la riuiere
deuant Espinay.

 

L’on a aduis au Camp du Roy de cette marche sur l’heure de
minuict, l’on donne les ordres de faire repasser la riuiere à vne
partie de l’armée qui auoit passé le iour precedent. L’on marche
à la pointe du iour, l’on donne sur l’arriere garde, qui fut rencontrée
vers le faux bourg sainct Martin. Elle fait sa retraite au
fauxbourg S. Antoine, où sans l’auantage du lieu & les retranchemens
qui les fauorisoient, vous eussiez esté deliurez en peu de
temps de ces troupes Espagnolles, & de vos Tyrans qui les commandent.
L’on rapporte aux Generaux l’estat des choses. Il est
resolu qu’ils seront forcez dans le fauxbourg, l’armée s’auance
pour cet effet.

Si vous eussiez autant aymé vostre Roy, & passionné vostre liberté
pour remettre en son obeïssance, que sa Majesté eut de sentiment
pour vous en cette iournée là, vous eussiez sans doute mis
fin à vos miseres ; car elle ne feignit point d’y aller & d’y agir en
personne, ny son aage, ny la saison, ny la chaleur du iour, qui fut
vn des plus chauds & de plus insuportables de l’année, ne peurent
le diuertir de courir à vne occasion, dans laquelle il s’agissoit de
vous conquerir sans vous combattre : & de regagner sa bonne
Ville de Paris, dont les factieux se sont emparez, sans l’incommoder.
Les Espagnols ennemys de l’Estat, & les rebelles joints à eux
estoient acculés dans ce Fauxbourg. Il ny auoit autre esperance
de salut pour eux, que celuy que vous voudriés leur procurer. Il
falloit qu’ils passassent tous par le fil de l’espée (& le Prince de
Condé mesme voyoit sa perte irreparable) l’armée du Roy estoit
animée par sa presence Royale, y eust-il iamais vne plus belle
occasion de laisser perir les ennemys de l’Estat, & de vous reconcilier
auec vostre Souuerain, qui faisoit dessein d’entrer ce iour là
dans Paris, si vous l’eussiés laissé faire. Vous y fustes conuiez par
des lettres de sa Maiesté, qu’elle vous escriuit du Camp ; vous ordonnant
de tenir vos portes fermées, tandis qu’en personne il alloit
vous deliurer de vos tirans & des Ennemis de sa Couronne.
Vous le promistes ainsi par la responce apportée à sa Maiesté par
vn trompette. Vous le coniuriez par cette réponce d’entrer dans

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Paris pour y restablir son authorité. Il s’y disposoit : mais que
fistes vous ? ceux qui viendront apres-vous, auront peine à le
croire, vous ouuristes vos portes aux Ennemis du Roy, vous
desrobastes à vostre Souuerain vne victoire toute certaine, vous
prolongeastes vos miseres, & ce qui est sans exemple, les Canons
du Roy qui sont dans la Bastille, tirerent en sa presence sur son
armée.

 

Ie scay bien vos pretendües excuses, que les Princes l’emporterent
par force & par violence, quelque resistance que vous
peustes faire : que si le Canon a tiré de la Bastille, vous n’en estes
pas garends, qu’il y a vn Gouuerneur qui en doit respondre. Mais,
Messieurs, que ne fistes vous des barricades, contre ceux qui vous
violentoient ? vous estes si inuincibles quand il faut agir contre
vostre Souuerain, que ne sermiez vous auec vos chaisnes des
corps de garde, le passage aux allans & venans par les ruës ? Et
quand au Canon de la Bastille, ce crime sans exemple qui ne peut
estre expié que par la roüe, a-il empesché que Broussel pere de ce
traistre, n’ayt esté esleué contre l’ordre par vos vœux & par vos
suffrages à la principale magistrature de vostre Ville.

C’est cette foiblesse & cette lascheté reconnuë en vous, qui fit
entreprẽdre ce qui se passa deux iours aprés en l’Hostel de la Ville.
Et puis plaignez-vous du Gouuernement, parlez contre les
Ministres d’Estat tant que vous voudrez ; escriez-vous sur le Mazarin
Est il pas vray que vous n’auriez pas à apprehender pendant
la durée d’vn siecle de la part, ny de vostre Souuerain, ny de ses
Ministres, chose qui approche de l’imagination de ses exceds &
cruautez ? Aussi est-ce la difference du Gouuernement legitime
d’auec le tirannique. Car le Souuerain & ses Ministres sous luy,
traitent les peuples comme enfans auec amour & douceur, & les
Tyrans comme des ennemis, pour les assuiettir par la crainte, ne
songeant qu’à s’establir.

Depuis ce temps, vous traisnez vne vie languissante & miserable.
Vos campagnes ont esté moissonnées par les soldats de l’vn
& de l’autre party : vos terres l’année qui vient demeureront en
friche, parce que le laboureur estant ruiné, ne les peut labourer
faute de cheuaux, ny ensemencer faute de grains. Ce que vous
pouuez auoir de commoditez pour la vie, vous couste infiniment
par la difficulté de vous les apporter : les rentes que vous auez sur
la Ville ne vous sont plus payées : & le fonds en est mesme aneanty
par ce trouble, pour longues années. Les reuenus des maisons

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de vostre ville sont descheus des trois quarts, & l’autre quart est
presentement inexigible. Vos debiteurs sont deuenus insoluables
par la cessation du commerce. Les Charges & Offices ne produisent
plus aucuns émolumens, par ce qu’il ne s’en fait point d’exercice.
Les principaux habitans se sont retirez de vostre ville, elle
est enuironnée d’armées, qui desertent vos maisons de campagne.
Les Espagnols, les Lorrains, & les Allemans y rauagent & pillent
tout ; pendant que lon vous repaist de l’esloignement d’vn Cardinal :
Vous estes deuenus la risée de toutes les Nations & de toutes
les Prouinces, qui vous traitent de stupides & d’insensez, vostre
nom de Badaut n’estant pas assez significatif de vostre emportement.
Mais que dis-je la risée, la cessation du commerce que toutes
les Prouinces auoient auec vous, fait que vous en estes deuenus
l’horreur.

 

Car, considerez s’il vous plaist, si excepté la Ville de Bordeaux,
il y en à vne seule en France qui vous preste la main, & qui adhere
à vostre desobeïssance ? Au contraire, comme ie l’ay remarqué
cy-deuant, elles vous chargent de toutes sortes de maledictions ;
principalement celles qui souffrent le passage des armées que
vous appellez. Pour ce qui reste du Parlement dans vostre Ville,
quelques pretendus Arrests qu’ils ayent donné, pour conuier les
autres Parlemens à se joindre à eux, ont-ils peu ebranler la fidelité
d’vn seul ? Tant s’en faut, il y en a qui ont rendu des Arrests contraires,
& tous ont defferé à la translation ordonnée par le Roy
de vostre Parlement en la ville de Pontoise.

Voila, Messieurs, ce que i’ay creu vous deuoir representer sommairement
sur l’estat des choses presentes. Ie l’ay entrepris par le
seul interest qu’vn bon François & vn concitoyen affectionné au
bien commun de sa ville, doit prendre dans la desolation publicque ;
sans aucun dessein d’offencer personne, ny d’exagerer les
choses passées. Si cette deduction naїfue n’auoit pas l’effet que ie
me suis proposé, l’auray du moins ce tesmoignage de ma conscience,
d’auoir contribué ce qui aura esté en moy, pour sauuer
mon pays de l’embrasement dont il est menacé.

Que si elle fait quelque impression sur vos esprits, ie suis bien
asseuré, que les moyens que nous auons nous-mesmes en main,
dans Paris nous peuuent releuer, à moins que Dieu par les ordres
secrets de sa prouidence, ait prononcé contre nous son dernier
arrest : & que nos crimes & les outrages que nous auons fait au
Roy, qu’il nous a donné, apres tant de desirs, de prieres & d’attentes

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ayent attiré sur nous sa derniere indignation.

 

L’estat auquel nous sommes reduits est tel, que si le Roy veut
sans agir contre nous, & sans nous faire la guerre, il peut nous
faire perir sans resource. Il n’a qu’à se conduire à l’exemple de
Dieu, qui laissant le pecheur en la main de ses crimes, & par la
simple soustraction des graces, l’abandonnant à son sens reprouué,
le met en estat de broncher à tous les pas qu’il fait : & de tomber
enfin dans l’impenitence finale, qui est necessairement suiuie
de la damnation.

Ainsi, si le Roy se retire de vous, comme il en a suiet ; si apres
vous auoir tant sollicité de reuenir à vous, il vous abandonne,
qu’arriuera-t’il ? Vous deuiendrez plus ingenieux à vous faire du
mal, que vos ennemis mesme, vous vous esleuerez les vns contre
les autres. Ceux lesquels, iusques à present, ont eu l’adresse de
vous animer par les pretextes de hayne & de liberté imaginaires,
estans reconnus seditieux & preuaricateurs, payeront par l’effusion
de la derniere goutte de leur sang, celuy de tant d’innocens
qui a esté respandu. Les haynes & les inimitiez particulieres y
seront meslées, les innocens seront enueloppez auec les coupables.
Et ce qui reste du Parlement parmy vous, laissera vn memorable
exemple à la posterité : & apprendra à ceux qui sont preposez
pour le seul Ministere de la Iustice, à ne pas exceder les
bornes & les termes de leurs fonctions, pour entreprendre sur
l’authorité Royale, & soustraire de l’obeїssance du Souuerain,
les peuples que Dieu y a sousmis.

En ce cas, si le Roy desire estre vengé, que peut il perdre, sinon
des Suiets rebelles & mal affectionnez ? Car, que pouuez-vous
faire de pis que ce que vous auez fait ? Qu’est-ce que sa Maiesté
doit ou peut apprehender estant separé de vous, & les autres
villes du Royaume estant dans l’obeїssance, comme elles y
sont, d’vne plus longue continuation de vostre reuolte ?

Si doncques le Roy auoit dessein de chastier vostre reuolte, si
ses Ministres luy donnoient ses conseils, comme on vous le persuade,
sa Maiesté n’a qu’à se tenir esloignée de vous, & vous laisser
dans vostre endurcissement. Ne vous persuadez pas que la
grandeur & les richesses de vostre ville, que la magnificence de
vos bastimens, & les auantages que vous auez au dessus des autres,
y appellent necessairement le Roy. Vous tenez tous ces
auantages de la demeure des Roys, & de l’amour qu’ils ont eu
pour vostre Ville. La fidelité de vos ancestres les a merité, & vostre

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reuolte vous les fera perdre, sa Maiesté transferera sa demeure
ailleurs, vostre ville deuiendra deserte : les magnifiques bastimens
qui l’embellissent tomberont en ruine. Le commerce en
estant retiré, & le cours des finances du Roy qui y sont apportées
en estant diuerty, vostre ville deuiendra miserable. Il ne sera
plus parlé d’elle, que parce qu’elle aura esté : & vous serez l’exemple
des peuples insensez qui se seront precipitez, en courant
à des pretextes de bien & d’auantage imaginaires, pour quitter le
veritable bien, & le solide repos qu’ils possedoient se tenans sousmis
à l’authorité legitime.

 

Mais le Roy, quoy qu’offensé, n’en est pas en ces termes. Il
vous sollicite amoureusement de reuenir à vous ; pour vous en
donner suiet, voyez comme il agit. Il veut croire que vous auez
esté emportez par la violence des factions, qui vous oppriment :
Il ne veut pas que vous y ayez contribué volontairement, afin de
n’estre pas obligé d’exercer contre vous aucuns chastimens : Il a
entendu auec ioye les remonstrances du Corps Ecclesiastique de
vostre Ville, quand ils l’ont asseuré, par la connoissance qu’ils
ont de l’interieur de vos consciences, que vous estes dans vn veritable
repentir des choses passées, sa Maiesté ne souhaite rien
tant que de vous faire ressentir des effets de sa clemence, plustost
que de son indignation. Mais pour vous mettre en estat de les
meriter, il faut qu’il soit asseuré de vostre cœur. Les recidiues
ont esté trop frequentes depuis quatre années : Il faut que la reconciliation
que vous ferez auec vostre Souuerain, soit telle (&
vous deuez le souhaiter) que vous ne puissiez iamais plus retomber
en de pareils desordres. Et c’est là le veritable effet du repentir.

Ie ne vous proposeray point de forteresses, ny de citatelles
dans vostre ville, quoy qu’ordinairement les villes populeuses
comme la vostre, ne puisseut estre contenuës dans le repos que
par de semblables moyens, les forteresses que ie souhaitterois que
vous bastissiez vous-mesme au Roy, pour son asseurance, seroient
dans vos cœurs. C’est a dire que venans asseurer sa Maiesté de vostre
fidelité, vous luy faciez connoistre vn sincere repentir de ce
qui s’est passé. Que le coniurant de reuenir en vostre ville, pour
l’honorer de sa presence & y restablir son authorité Royale (sans
laquelle vous ne pouuez viure non plus que sans le Soleil) ce soit
sans condition aucune : Car autrement l’authorité Royale seroit
blessée en ce poinct, de receuoir quelque condition de ses sujets,

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n’exigeant d’eux aucun chastiment.

 

C’est à dire, que comme il ne vous appartient pas sans crime, de
censurer le choix que fait vostre Souuerain de ses Ministres ; il ne
vous doit iamais arriuer d’en murmurer, encore moins de vous
ioindre aux interest des mescontents. Que le Roy se serue du C.
Mazarin dans ses Conseils, ou de tel autre qu’il luy plaira ; Ouy,
ie le diray hardiment, il n’y a point d’homme de bon sens, & aymant
le repos public, qui puisse blasmer ma proposition, quoy
qu’en apparence hardie en ce temps ; il le peut, s’il le veut, & n’en
doit rendre compte à personne. Au reste, en quoy est ce que cela
vous importe ? Pendant six années vous n’auez rien trouué à dire,
vous n’auez pas eu sujet de vous en plaindre. Les Princes mesme,
pour l’interest desquels vous vous estes rendus miserables, l’ont
tant aymé, tant estimé, & iugé sa conseruation si importante à
l’authorité Royale ; qu’ils entreprirent sa deffence contre vous,
quand le Parlement vous persuada en l’année 1649. qu’il estoit
la cause de vostre pretendu siege. Car, Messieurs, que le Cardinal
Mazarin soit dans les affaires, ou quand il y a esté, quel mal en
auez-vous senty ? & qu’il n’y soit plus, mesme qu’il en soit exclus
pour tousiours, quel aduantage en pouuez-vos retirer ? Croyez-moy,
ce sont des choses qui vous doiuent estre tres-indifferentes.
Et que le Roy se serue de luy ou de tel autre qu’il luy plaira, vostre
gloire se renferme dans l’obeїssance : & tout vostre bon-heur,
consiste en ce que vous puissiez iouїr du mesme repos & des mesmes
auantages que vous faisiez auparauant l’année 1648.

Ie sçay bien que vous me direz, que puisque ce Ministre n’est pas
agreable aux Princes & à plusieurs grands du Royaume, que puisque
l’Estat en est troublé, & le repos public alteré, qu’il vaut mieux
qu’il en soit exclus : Mais parlons en verité, qui a causé ce trouble ?
n’est ce pas vous-mesme par vostre legereté & trop grande credulité ?
Ces Princes, ces Grands, ce Parlement, pourroient ils s’esleuer
contre le Roy, s’ils ne trouuoient en vous de la facilité ? n’estil
pas plus à propos en ces rencontres, vous sousmetant à l’authorité
legitime, de vous armer en sa faueur contre ceux qui s’esleuent
contre elle ? Ce seroit vne affaire terminée en peu d’heures.
Ou bien mesme ne feriez-vous pas vn moindre mal de vous contenir,
sans prendre part à ces mescontentemens ? Les factieux &
les rebelles n’auroient pas la force de rien entreprendre, qui peust
troubler le repos public. Le Roy les rangeroit aysément dans
leur deuoir, en vn mot, souffrons, non pas seulement ce Ministre ;

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mais tous ceux qu’il plaira au Roy, plustost que les miseres qui
nous accablent. Abollissés parmy vous ces sortes d’iniures, qui
ne seruent qu’à vous faire esgorger les vns les autres. Que celuy
qui appellera vn autre Frondeur ou Mazarin, qu’il soit couru sur
luy, comme sur vn seditieux & perturbateur du repos public.

 

Ce que ie dis, afin d’estouffer à l’aduenir toutes les semences de
diuision parmy vous. Car, au reste, ie suis bien esloigné de mettre
ces deux noms en mesme balance. Celuy de Mazarin ne peut
estre qu’honorable aux veritables seruiteurs du Roy ; puisque celuy
à qui il appartient, & tous ceux qui sont dans ses interests, n’ont
point esté iusques à present ny Espagnols, ny Lorrains, ny rebelles,
ny traistres au Roy, ny enfin dans aucune defection, ou manquement
à leur deuoir. Si vous suiuez ces conseils, tenés pour
asseuré, que comme l’on s’est seruy du pretexte de ce Ministre
pour vous desbaucher de l’obeїssance & du respect que vous deuiés
au Roy ; sa Majesté sera fort persuadée de vostre fidelité,
quand elle connoistra que vous estes desabusez de ce pretexte.

Ce qui reste donc à faire, & sans quoy vous iugerez auec moy,
que le Roy ne peut sans commettre & hazarder son authorité,
reuenir en sa Ville de Paris ; c’est d’y leuer les obstacles qui s’y rencontrent,
vous y auez double interest, celuy d’y receuoir vostre
Souuerain & de vous affranchir de la tyrannie qui vous opresse.
C’est d’en faire sortir les chefs de la rebellion, & de faire obeїr ce
qui reste du Parlement dans la Ville. Vous m’allegueréz que cette
entreprise est grande, qu’elle est au dessus de vos forces, &
pleine de peril. Et moy ie vous respondray, qu’il ny a point d’entreprise
qui puisse estre le prix de vostre liberté, que vostre Ville
est si populeuse, vos forces si considerables, que du moment que
vous en aurez fait paroistre la resolution, vos Tyrans n’en attendront
pas l’execution. Il ne faut pas de moins vigoureuses resolutions
que celles-là pour vous restablir, vous aués bien sceu par des
interests particuliers vains, & imaginaires, vous armer contre vostre
Souuerain, & faire des barricades, il est iuste que pour vous affranchir
des chaisnes dont vous-mesme vous vous estes chargez,
vous n’en fassiez pas moins contre vos Tirans. Vous ne serés pas si
tost aux prises que le Roy ne soit à vostre secours, si vous en auez
besoin.

Pour le Parlement, voudriez-vous bien encore vous interresser
pour les autheurs de vos miseres ? n’est-il pas iuste qu’ils obeїssent
au Roy ? Ce n’est, ny pour tousiours, ny pour long-temp, sque sa

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Maiesté a ordonné leur translation, ses Declarations iustifient ses
intentions. Vous n’auez donc qu’à deputer vers ceux qui restent
en vostre Ville, pour leur faire sçauoir vostre resolution. Aprés
quoy vous auez en main la force necessaire pour les y contraindre.
Et quant au Duc de Beaufort & Broussel, ne pouuez plus
long-temps souffrir & reconnoistre le Gouuernement dont ils se
sont emparez ? Restablissez-y donc les legitimes Officiers, &
faites quelque exemple de ce malheureux Broussel, ce seditieux,
& ce Republiquain, artisan de tous vos maux.

 

Ce sont les aduis que vous donne vne personne desinteressée,
& qui est persuadée, que sans ces dispositions vous ne deuez point
esperer le retour du Roy dans vostre Ville, duquel seul neant,
moins dépend tout vostre repos, & vostre bon-heur.

FIN.

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Anonyme [1652], ADVIS SINCERE AVX BOVRGEOIS DE PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_543. Cote locale : B_17_11.