Sipois, Cermier de (P. A. N.) [signé] [1649], LETTRE DV SIEVR CERMIER DE SIPOIS, A MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS. SVR LES DEFFIANCES DE de quelques particuliers touchant la Paix. , français, latinRéférence RIM : M0_2198. Cote locale : C_3_49.
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LETTRE DV SIEVR CERMIER
de Sipois, Gentil-homme Languedochien,
à Monseigneur le Duc d’Orleans, Sur les
deffiances de quelques particuliers touchant
la Paix.

MONSEIGNEVR,

Il n’y a personne à qui ie me doiue
plus iustement adresser qu’à vous, dans vn
temps où l’on ne voit plus se semble, regner
par toute la France, que le descspoir & la fureur. Vous
estes veritablement cette Pallas d’Homere, qui pouuez
mieux qu’aucun autre arrester, par vos sages conseils,
tant d’espées tirées de toutes parts ; non pas contre les
Agamemnons, ny contre des rauisseurs, mais contre les
pauures sujets du Roy : à qui apres auoir tout rauy,
on veut encor oster la vie. Il faudroit que vous eussiez
le cœur plus dur que le bronze & le marbre, pour n’estre
pas touché de compassion, & n’auoir pas mis ordre
à tant de miseres. Si vostre Altesse Royale auoit esté
informée de la cruauté qui s’est exercée par toutes les
Prouinces de la France, depuis que les trouppes de sa
Majesté se sont retirées d’autour de Paris. Il n’y a point
de Turc ny de Barbare qui n’eust horreur de penser
seulement à ce qu’ils ont commis au cœur de ce Royaume :
Mais ce n’est pas d’aujourd’huy que l’on empesche

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d’aborder les Princes & les Roys, pour leur faire entendre
la verité, & leur faire connoistre les desordres
de leurs Estats : Ce n’est pas d’aujourd’huy que pour
auoir entrée chez eux, il faut se seruir seulement de paroles
de soye. Chacun sçait (MONSEIGNEVR) que
vous estes d’vn naturel extremément doux & misericordieux,
Et voilà pourquoy aussi chacun se persuade assez
qu’il faut de necessité que l’on vous ait celé toutes ces
barbaries. Ie ne sçaurois dissimuler l’extreme ioye que
ie ressentis il y a quelques iours, lors que i’appris d’vn
Grand, que quelque personne affectionnée au bien public,
faisant entendre à vostre Altesse Royale, que certains
bruits couroient par le Royaume, que les affaires
n’estoient pas encor bien pacifiées du costé de la Cour,
& que l’on regardoit encor Paris comme vne victime
que l’on desiroit immoler à la premiere occasion ; Elle
luy fist responce que iamais cela ne se feroit de son consentement,
& que si les affaires passées estoient à recommancer,
l’on se garderoit bien d’entreprendre chose
semblable. Voila, Monseigneur, vne parole que tous
les bons François doiuent repeter comme vn oracle
puis que c’est en effet vn gage tres-precieux de leur future
asseurance, & vn témoignage-asseuré que la paix
que vous nous auez donnée, n’est pas simulée & pour
vn temps. Il n’y a rien que des Princes doiuent garder
plus religieusement, que la foy qu’ils ont donnée : Ils
ne peuuent & ne doiuent iamais contreuenir à leur parole
si ils ne se veulent voir bien-tost abandonnez de tous les
hommes. Fides, dit Ciceron, est dictorum conuentorumque
constantia & veritas, sic dicta quia fiat quod dictum est.
La foy consiste à tenir ce dont on est conuenu : Si ony
contreuient, il n’y a plus de foy : & c’est de là que n’aist
assez souuent la ruyne, non seulement des particuliers
& des familles, mais aussi des villes entieres, & des plus
florissans Empires Philippes de Macedoine, ayant pour
quelque legere occasion, entrepris de faire la guerre

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contre les Ætoliens ; mais enfin ayant esté obligé d’en
venir à vn accord, parce qu’ils auoient appellé les Romains
à leur secours, grada si exactement la parole qu’il
auoit donnée à l’ennemy, que pour l’obseruer mieux de
point en point, il se faisoit lire tous les iours deux fois
les articles de cette paix : sçachant bien que nulla res
vehementius Rempub. continet quam fides, & que c’est
elle, comme a fort bien dit depuis Quinte-Curse, que
stabile & æternum facit imperium.

 

Iliad. 1.

Parysutis
apud Plutuy

Offic liu. 1.

Cic. 1. Offic.

Curse l. 8.

Ce Philippes estant mort, & Perseus son fils luy ayant
succedé à la Couronne, Onesimus, Gentihomme Macedonien,
qui auoit esté l’vn des plus fidelles conseillers
de Philippes, remonstra par plusieurs fois au Roy Perseus,
qu’il deuoit à l’imitation de son pere, tenir tousiours
dans ses mains, & lire le plus souuent qu’il pourroit ce
traitté, pour le faire obseruer inuiolablement Perseus
d’abord semoqua des remonstrances d’Onesimus ; mais
comme il vit qui luy repetoit si souuent vne mesme leçon,
il le disgracia & l eut pour suspect. Si bien que se
bon Gentilhomme fut contraint, pour sa plus grande
seureté, de se retirer à Rome. Qu’arriua-t’il enfin ? Perseus
ayant fait vn grand amas de deniers, & s’estimant
assez fort pour soustenir les Romains, rompit peu à peu
les articles de la paix l’vn apres l’autre ; si bien qu’il obligea
les Romains d’enuoyer contre luy Paulus Æmilius
à la teste d’vne Armée, qui en moins d’vn mois se saisit
de toute la Macedoine, & prit Perseus prisonnier auec
son fils, qui furent menez en triomphe à Rome, où
apres cela ils moururent miserablement dans vne prison.

Voila, Monseigneur, ce qu’il a profité à Philippes
de garder sa foy, il fut paisible dans son Royaume, chery
de ses sujets & honoré des estrangers : & au contraire
ce qu’a gagné Perseus pour auoir voulu contreuenir au
traitré qu’il auoit fait. Or il ne faut pas dire qu’ils agist
dans l’exemple que ie viens d’apporter, de la foy donnée
par vn Prince à vn autre Prince : mais non pas de la

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foy donnée par vn Prince à ses sujets ; Il me souuient
d’auoit leu dans Philippes de Commines vn beau mot
sur ce sujet : que Dieu punit tousiours ceux qui ne font
point de conscience de violer leur foy, à qui que ce soit
qu’ils l’ayent donnée. Il n’importe si elle est donnée à
des sujets, ou non ; Il est permis à vn Prince de promettre,
ou non, d’accorder certains articles, ou de ne
des pas accorder : mais quand il en est vne fois volontairement
conuenu, il est obligé de les garder, & de
tenit sa promesse aussi bien à ses sujets qu’à des estrangers,
particulierement lors qu’ils ne leur ont promis
que des choses iustes. Or que peut-on trouuer de plus iuste,
que les articles de paix que vous nous auez donné,
Monseigneur, sous le bon plaisir de leurs Maiestez ? Y
en a-t’il aucun qui soit contre l’honneur de Dieu ou du
Roy, ou au preiudice du Royaume & de l’Estat ? Qui
vous peut obliger à y contreuenir ? Quelle satisfaction
n’auez vous pas eu des Parisiens, quoy qu’on ne les pût
accuser legitimement d’autre crime que d’auoit cherché
du pain, lors que l’on leur ostoit à toute force ? en
quoy, de grace, a paru qu’ils ayent esté rebelles ? où est
le sang qu’ils ont respendu ? en quoy ont-ils desobey à
leur Roy ? en quoy ont-ils manqué aux respects qu’ils
luy doiuent ? si vn Ministre veut faire des leuées immenses,
est-ce se rebeller que de s’opposer iuridiquement à
ses desseins ? il falloit autrefois assembler les Estats generaux
quand, pour quelque grande necessité, il estoit
besoin d’imposer quelques subsides : de sorte qu’auparauant
Charles VII. nous ne voyons point que l’on fist
autrement aucune leuée : Et aujourd’huy se sera rebellion
à Messieurs du Parlement de Paris, fidelles tuteur
de la minorité des Roys, de s’opposer à celles que veut
faire vn Ministre.

 

De grace, Monseigneur, ses Messieurs n’auroient
ils pas esté plustost bien criminels & incapables de leurs,
charges ; & le Roy n’auroit-il pas eu raison de les accuser

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vn iour d’iniustice & de lascheté, si ils s’estoient
comportez autrement dans ce rencontre ? Mais cependant,
dira quelqu’vn de ceux qui ne cherchent qu’à
broüiller, & qui ne peschent iamais mieux qu’en cauë
trouble ; c’est vne honte que le Roy ait esté obligé d’en
venir à vn accord ; il faut qu’il aye le dessus, & que les
Parisiens se mordent les pouces d’auoir pris les armes ;
Il y va de l’interest des Princes, de n’en pas demeurer
là ; il faut à quelque prix que ce soit abaisser l’orgueil du
peuple, & luy monstrer que c’est regimber contre l’esperon,
que de resister à la volonté des Princes. Ce sont
là, Monseigneur, les discours que de mauuais François
soufflent peut-estre tous les iours à vos oreilles, ne prenans
pas garde qu’ils ont affaire à vn Prince trop sage &
trop prudent pour se laisser aller temerairement à des
raisons si mal fondées ; & à des suggestions si déraisonnables.
Quand les Parisiens auroient failly (ce que ie
ne puis conceuoir, & ne crois pas, Monseigneur, que
vous soyez non plus dans cette pensée) ie m’asseure que
vostre bonté porteroit plustost sa Maiesté à leur pardonner,
que non pas à les punir.

 

Ouide.

 


Corpora Magnanimo satis est prostrasse Leoni,
Pugna suum finem, cum iacet hostis, habet.

 

C’est à faire à des ames lasches de poursuiure sans cesse
ceux de qui ils s’imaginent auoir receu quelque iniure.
Vn bon pere, tel que vous reconnoissent tous les François,
ne recherche point la mort de ses enfans ; quand
ils faillent, il se contente pour la premiere fois de leur
monstrer les verges, aymant bien-mieux en venir à bout
par ce moyen, que non pas par la rigueur & la seuerité.
Comme la clemence est la Princesse des vertus : aussi
pouuons nous dire qu’elle est, à proprement parler, la
vertu des Princes.

Sola Deos æquat clementia nobis,

4 De Consulatii
Honseii.

Sueton. in
Nerone & in
Teberio.

Encor que le pays de Guienne appartint à la Couronne
de France, si est-ce que du temps de nostre Charlemagne
il y auoit beaucoup d’émeuttes, par les pratiques
de quelques grands Seigneurs du pays, qui excitoient
le peuple à la rebellion. Eudon auoit commencé ce ieu
sous Martel : Gaiffre & Hunault ses enfans, & heritiers
de son mécontentement, l’auoient continué sous Pepin.
Gaiffre estant mort, Hunault luy succe da en mesme inimitié,
laquelle Carloman fomentoit pour s’en seruir contre
son frere Charlemagne : Et comme son ambition iaiou
se le poussoit à entre prendre contre luy, aussi se seruoit
il de l’auare ambition de Hunault, sous l’appas du
reuenu de Guienne, le voyant en humeur de s’en faire
Duc, estimant auoir assez de creance enuers les peuples,
pourueu qu’il fut fauorisé de l’vn des Roys de France
contre l’autre. Or la Guienne estoit du partage de
Charlemagne ; Hunault iette donc les fondemens de son

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dessein, pour se soustraire entierement de la Couronne
de France, & faire guerre ouuerte à Charlemagne, en
pratiquant les peuples de Guienne, pour en estre declaré
Duc par leur consentement, selon le droict qu’il
disoit luy appartenir. Le support de Carloman y pouuoit
beaucoup, mais la prudence & la vigueur de Charlemagne
y pouuoit dauantage. Car estant aduerty des desseins
de Hunault, & des menées secrettes de son frere,
il s’arma auec telle diligence, qu’il surprit les villes de
Poitiers, Xaintes & Angoulesme, & par leur moyen
tout le plat pays. Hunault qui contoit sans Charlemagne,
se trouuant méconté, s’enfuit en Gascongne chez
vn grand Seigneur du pays, nommé Loup, lequel il estimoit
estre, non seulement tres-confident à son party,
mais encor tres-fidel amy. Charlemagne enuoye incontinent
à Loup, pour le sommer de luy remettre entre les
mains Hunault, coupable de leze-Maiesté, cependant
qu’il fait dresser vn fort au milieu du pays. Loup obeït
& liure Hunault, auquel Charlemagne donna la vie,
auec la liberté & la iouïssance de tous ses biens : laissant
aux grands vn memorable exemple comme ils se doiuent
comporter dans les émeutes ciuiles, en preuoyant le
mal par prudence & diligence, & neantmoins ne desesperant
pas par la rigueur leurs sujets vaincus.

 

Mais qu’est-il besoin d’aller chercher des exemples si
loing ? nous en auons, Monseigneur, de plus ressents
& de plus conformes aux affaires presentes. En l’an
1541. les Rochelors s’estans mutinez contre quelques
Officiers du Roy, pour le fait de la Gabelle du sel, reconnurent
apres quelque temps leur faute, s’humilierent
enuers François I. Prince d’heureuse memoire, &
luy demanderent pardon. Ce bon Prince leur par donna
de tres-bon cœur, & leur fit vne remonstrance digne
d’estre escrite en lettres d’or, & grauée sur des tables de
Cedre. « Que leur faute veritablement estoit bien lourde,
& meritoit bien punition : mais que neantmoins

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c’estoit vne chose bien conuenable à vn Prince, de preferer
la clemence à la seuerité : que sçachant qu’ils
estoient nez de tres-bons sujets, dont la fidelité auoit
esté experimentée plusieurs fois par ses predecesseurs,
il aymoit bien mieux oublier cette faute nouuelle, que
non pas leurs merites passez, esperant qu’à l’aduenir ils
seroient d’autant plus enclins à luy obeïr, qu’ils l’auroient
trouué prompt à leur pardonner : Qu’il ne vouloit
pas faire en leur endroit, ce que l’Empereur auoit
fait à ceux de Gand, les ayant sousmis sous l’esclaue seruitude
d’vne Citadele, & s’estant ensanglanté les mains
de leur sang ; qu’il auoit les siennes nettes, grace à
Dieu, du sang de son peuple : aussi que l’Empereur
auoit perdu l’amitié de ses suiets en rependant leur sang,
& que luy il esperoit que sa clemence les rendroit encor
plus fidelles & plus attachez que iamais à son seruice.
Ie vous prie, adjousta-t’il, enfin, d’oublier cette offence
qui est aduenuë ; de ma part il ne m’en souuiendra iamais,
& ie prie Dieu qu’il vous veille pardonner, comme
ie vous pardonne de bon cœur tout ce que vous auez
fait, sans en rien excepter. » A cette parole, procedant d’vn
Roy tout magnifique, genereux & debonnaire, tout le
pauure peuple Rochelois pleurant de ioye, commença
à crier viue le Roy, & à prier Dieu qu’il luy pleust leur
conseruer long-temps, en toute prosperité vn si bon
Prince, si doux & si misericordieux ; en suite par le
commandement de sa Maiesté sonnerent toutes les cloches
de la ville, tirerent toute l’artillerie, & firent par
tout feux de ioye, en signe de grande reiouïssance.

 

Ie pourrois icy rapporter vne infinité d’exemples semblables,
d’vn Saint Louys, d’vn Philippes le Hardy, d’vn
Charles le Sage, d’vn Louys XII. & d’vn Henry le
Grand, Prince de tres-heureuse memoire. (dont outre
le sang vous tenez, Monseigneur, les genereuses & veritablement
royales inclinations) Tous lesquels Princes
ont assez fait paroistre, tant enuers les estrangers,

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qu’enuers leurs propres suiets, qu’il n’y a rien au monde
qui soit plus digne d’vn grand cœur, que la douceur &
la clemence ; & tout au contraire, rien de plus indigne
& de plus messeant, que l’appetit & la passion de la vengeance.

 

Nos Politiques du temps ne sçauroient gouster ces
exemples : parce que comme il ne respirent que les meurtres
& le sang, ils s’imaginent que c’est vn effet de poltronnerie
d’estre indulgent enuers des delinquans, & ne
suggerent autre chose aux oreilles des Princes, sinon
que la grande bonté & facilité les rend méprisables, &
que c’est elle qui a rendu Louys le debonnaire contemptible
aux siens mesme. I’aduoüe qu’vn Prince doit estre
tellement misericordieux, qu’il punisse neantmoins les
crimes : Ie sçais bien que le grand Saint Louys disoit que
c’estoit vne espece de cruauté de ne pas punir les coupables,
quoy que les publiques soient plus apparantes &
plus lourdes, neantmoins parce qu’elles ont ordinairement
de plus mauuaises suites, & que bien souuent pensant
esteindre vn petit feu, on le rend plus violant. C’est
la raison pourquoy vn Prince bien aduisé les pardonne,
particulierement pour vne premiere fois ; Car venant à
faire reflexion que les armes sont iournalieres, & qu’il
n’y a rien à craindre comme vne populace irritée, qui
change quelque fois son desespoir en vertu : il ayme
beaucoup mieux, à la façon d’vn bon Pilote, obeïr sagement
à la tempeste, que d’y resister & s’y opposer inutilement.
C’est ainsi que se sont comportez les Princes
les plus auisez, pour calmer les esprits de leurs peuples,
& nous voyons par tout dans les Histoires, que ceux qui
se fians par trop à leurs propres forces, ont voulu punir
& chastier rigoureusement leurs suiets, se sont trouuez
mal de leur procedé, & n’y ont rien gagné que leur
propre ruïne ; Car de croire qu’il soit aisé de venir à
bout d’vn peuple, parce qu’il n’est pas aguery, c’est se
tromper : Outre qu’il est impossible qu’il n’y en aye dans

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vne grande multitude vn assez bon nombre qui sçache
ce que c’est de l’Art Militaire ; tout est à craindre de
personnes qui sont (pour ainsi dire) dans le desespoir,
& qui ayment mieux mourir de quelque façon que se soit,
que de tomber entre les mains de leurs Princes, desquels
ils attendent vn tres-mauuais traittement, Despepata salute
nullum acrius telum mortalibus est. Qui ne sçait ce
qui arriua vers l’année 557. sous le Roy Clotaire ? les
Saxons, peuple qui ne pouuoit souffrir vne domination
estrangere, ne se soumettoit qu’à peine à la puissance
des François ; delà venoit qu’ils auoient l’esprit fort porté
à ce mutiner. Clotaire estant encor Roy de Soissons,
auoit dompté cette reuesche nation. Ses freres estans
morts, il demeura seul Roy de toute la France, qu’il ne
tint pas long temps paisible, à cause d’vne reuolte des
Turingeois ; qui embarquerent facilement dans leur
party les Saxons, comme estans leurs voisins. Ces deux
peuples ayans rallié le plus de Soldats qu’il leur fut possible,
se donnerent la hardiesse de liurer vne bataille à
Clotaire, en laquelle ayans esté mis en déroute, ils eurent
recours aux prieres, pour en impetrer le pardon de
leur temerité. Mais quoy qu’ils missent les armes bas, ils
ne pûrent iamais flechir la rigueur de ce Prince inexorable :
ce qui fit que le peril & la necessité leur donnans de
l’audace, ils se mirent en defense, plus déterminez que
iamais par cette sanglante resolution de se perdre. Apres
donc auoir long-temps combattu auec vn égal succez
des armes, se sentans capables de resister contre leur esperance,
ils hausserent leurs courages, & les François
furent estimez vaincus, pour n’estre pas vainqueurs. Là
dessus les ennemis iettans vn grand cry, firent vn puissant
effort sur les nostres, que la crainte & le nombre
auoient desia mis en desordre & les taillent en piece,
puis saccagerent leur camp : à peine Clotaire se pût-il
sauuer à la fuite, laissant par ce desastre inesperé, vn
bel exemple à tous les Roys, qu’il ne doiuent iamais

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reduire à l’extremité ceux qui reconnoissent librement
leur puissance.

 

De Serres
en sa vie.

Paul Æmil.
lib. 7.

Mais c’estoient gens aguerris que ces Saxons, obiectetera
aussi-tost quelqu’vn de nos Politiques, ce n’est pas
merueille si ils ont fait vne action si memorable. Il n’en
va pas de mesme des Habitans d’vne ville, qui n’ont esté
nourris que dans le trafic & le commerce, & qui ne sont
pas accoustumez au son du tambour. Les Parisiens sont
bons, diront-ils, pour defendre leurs foyers, mais faites
les sortir en campagne vous les verrez plustost escrimer
des pieds que des mains, à l’instant mesmes qu’ils
verront paroistre l’ennemy. Ce la est bon à dire à ceux qui
ne sçauent pas auec combien d’ardeur & de passion ils
souhaitoient de sortir, lors qu’on les tenoit bloquez de
tous costez, & qu’on les vouloit auoir par la faim. Ny les
rigueurs d’vn hyuer insupportable, ny les vents, ny les
pluyes, ny les neiges continuelles ne pûrent iamais leur
faire perdre cette genereuse resolution qu’ils auoient de
resister vaillamment à ceux qui les attaquoient, & de leur
liurer mesme le combat. Les Generaux & Capitaines
auoient plustost besoin de brides pour les retenir, que
non pas d’esperon pour les faire marcher.

Mais, Monseigneur, afin que les moins clairs-voyans
iugent combien il faut craindre mesme de gens qui semblent
ou peu, ou point du tout aguerris ; Et tout en semble
combien font mal les Princes, qui ne se cõtentans pas
des tres-humbles submissions de leurs Sujets, ont voulu
les chastier exemplairement pour quelques fautes publiques.
Ie rapporteray seulemẽt vn exemple pris de l’Inuentaire
de de Serres, dans le regne de Charles VI. Philippes
de Bourgogne auoit fait l’apointement des Gantois
auec le Comte son beau pere, mais cet accord ne fut pas
de longue durée, car le Comte extrémement estomaqué
de la sedition de ce peuple, n’en pouuoit perdre la souuenance,
mais sous des pretextes recherchez, (afin qu’il
ne leur donna sujet de plainte, comme rompant les susdits

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accords) il en pinçoit l’vn, & ruinoit l’autre. Et mesme
d’autant que ceux de Gang se tenoient plus à couuert,
en laissant prendre pied aux gens du Comte de dans
leur ville, il fit recherche par la ville de Bruges, où il auoit
tout pouuoir, de ceux qui auoient tenu pour les Chapperons
blancs, & en fit mourir vn grand nombre. Ce chastiment
remit le feu aux estouppes, voila les Gantois en
armes ; mais le Comte mieux armé les taille en pieces entre
Courtray & Pourprigné. Ypre se rend à luy, ou des
qu’il fut entré, il fit voler sept cens testes des principaux
Citoyens, & delà sans prendre haleine, il marche droit
à la ville de Gang & l’assiege : mais ses forces estoient si
courtes au prix de cette longue & large ville, qu’ayant
fait ce qu’il auoit peu, il ne leur pouuoit oster la liberté
de quatre portes. Les Gantois pour ne se laisser enclore &
porter à l’incommodité d’vn siege, ayant vn incroyable
auantage en la multitude de leur peuple, se resoluent
apres auoir donné ordre à la garde de leur ville, d’en tirer
vne bonne trouppe pour rauager le païs & se jetter sur
quelque place du Comte, afin que par cette diuision il
fut contraint à leuer le siege.

 

De fait, sous la conduite de Iean de Launoy l’vn de
leurs Tribuns ; ils jettent en campagne six mil hommes
d’élite, prennent & brulent Teremonde & Gramont
villes du Comte, faisans vn mal infiny au plat païs. Le
Comte quitte le siege, s’achemine vers eux en intention
de les combatre dans la compagne, les attrape prés de la
ville de Niuelle, les charge, les romp, les met en fuite,
ils gaignent les portes de Niuelle, & le Comte apres pesle-mesle.
Vne partie conduite par ce de Launoy, gagne
le beffroy de la ville. Le Comte les assieges, fait apporter
force fagots & fascines à l’entour de cette tour, & y met
le feu. Tout se brusle parmy les cris espouuantables de
ces miserables. Le spectacle fut hideux, & certes, indigne
d’vn Seigneur courroucé enuers ses Sujets, & neantmoins
suiuy d’vn nouueau carnage de ce pauure peuple

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qui se trouuant estourdy d’vne si grande défaite, n’a plus
plus ne pied, ne mains, ou pour courir, ou pour defendre.

 

Tout est massacré, de sorte que à peine de six mille en
eschappent trois cens. Mais les Gantois auront bien-tost
leur retour : au bruit de cette nouuelle, les voila autant
effrayez comme le Comte esleué pour poursuiure la pointe
de sa victoire, voyant le chemin frayé pour acheuer le
reste selon son dessein. En ce desarroy les Gantois elisent
vn autre chef, Philippe d’Arteuelle, qui leur conseille
de s’humilier enuers leur Comte, & luy demander
pardon. Ils s’y resoluent, ayans pour principale conseillere
la necessité. Ils supplient donc leur Comte d’auoir
pitié du sang de ses Sujets qui soûmettoient leurs vies &
leurs biens à sa misericorde pour en faire à son plaisir,
leur pardonnant ou leur permettans de se retirer ailleurs
en abandonnant le païs de leur naissance, ou pour vn
bannissement perpetuel ou limité ; seulement qu’il luy
plût leurs donner la vie. Le Comte se roidit contr’eux
d’vne telle colere, qu’ils ne pûrent tirer d’autre parole de
luy, sinon, que tout sorte de la ville, hommes & femmes
au dessus de 15. ans, pieds & testes nuës, la hart au col se
soûmettans à sa misericorde, & que s’estans mis en cet
estat, il aduiseroit à ce qu’il auroit à faire. Le peuple de
Gand voyant l’ardeur du feu de ce courroux, & n’estimant
plus auoir moyen de l’esteindre, se resout par le conseil
de Philippes d’Arteuelle son chef, en vne si extréme
necessité dejoüer à quitte ou à double, & n’esperer salut
qu’au desespoir ; des deux maux estant bien le moindre,
de mourir courageusement les armes au poing en
defendant la liberté de la Patrie, & se defendant contre
l’iniuste violance d’vn homme inexorable, qu’apres auoir
vû violer femmes & enfans, ou suruiure à son malheur,
ou estre sans defense tuez, assommez & massacrez comme
des chiens à la mercy d’vn si cruel & inexorable ennemy.
L’éuenement ou plustost Dieu Protecteur des

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affligez, fauorisa cette courageuse resolution. De fait,
ils choisissent de toute leur multitude, cinq mille hommes
des plus resolus & mieux armez, pour aller busquer
fortune contre le Comte, & pouruoyent du mieux qu’ils
peuuent à la garde de la ville, auec exprés consentement
de tous, que si il aduenoit que ces cinq mille fussent défaits,
pour n’attendre l’incertain éuenement d’vn siege,
& ne pas tomber entre les mains de leur irreconciliable
ennemy, qu’on mit le feu dans la ville, & qu’vn chacun
se sauua du mieux qu’il pût. Cette resolution prise, Philippes
d’Arteuelle part de Gand auec sa trouppe desesperée,
& s’en va droit à Bruges, prend vne assiette auantageuse,
se retranche de charrettes, bois & toutes sortes
d’embaras, en attendant la commodité ou de se defendre
auec auantage, ou de saillir sur son ennemy. Le
Comte enflé de son premier succez, estimant qu’il n’y en
auroit pas pour les laquais de ses Gentils-hommes, les
vint charger en leur retranchement, pour les attirer au
combat. Arteuelle, non pas comme vn brasseur de biere,
mais comme vn grand Capitaine, tourna ses trouppes
auec tant de d’exterité que l’armée du Comte eut le Soleil
aux yeux. Sur ce subit destour, se voyant à son iour
contre les gens du Comte, s’en va resoluement à la charge,
eslançant ce gros escadron ramassé, & resout à la
mort, & le faisant fondre sur eux comme vn grand amas
d’eaux se débonde tout à coup trouuant quelque ouuerture.
Les premiers rangs incommodez des rayons du Soleil
qui leur esbloüissoit les yeux, & ne pouuant porter vn
tant insupportable fardeau, font iour, & en retournant
le dos mettent tout le reste en desroute. Les Gantois à
cet auantage déchirent tous ceux qu’ils rencontrent,
comme loups affamez apres vn troupeau de brebis dans
le pare. Cette braue noblesse fut chamaillée & tuées. Le
Comte crie, prie, court, mais en vain : le plus vaillant
estoit celuy qui auoit vn meilleur cheual ou meilleures
jambes pour s’enfuir à vauderoute. La retraitte estoit fort

-- 17 --

pres à Bruges, la foule s’y escoule comme l’eau qui a
son cours : le Comte y entre auec les autres, ayant perdu
sa peine à ramasser ses gens, & s’enferme dans son chasteau.
Mais il y eut encore plus, les Gantois suiuant la
file, tuans & pourchassans les fuyarts, entrent pesle-mesle
auec eux dans Bruges, & gagnent la porte. Alors Arteuelle
ayant promptement pourueu à la garde d’icelle, les
Gantois victorieux, s’ependent par la ville, crians contre
les vaincus ; ville gagnée ; & pour les bons citoyens,
liberté : tuans tout ce qu’ils trouuoient fauoriser le Comte,
cherchans par-cy par-là les maisons de ses seruiteurs,
& crians qu’on espargna les bons citoyens. Le Comte
à ce bruit, prevoyant que son ennemy iroit droit à luy,
sans marchander quitte ses beaux habillemens, & prend
le moindre vestement d’vn sien valet, & ainsi sort de son
chasteau pour chercher retraitte : A peine estoit-il sorty,
que voila son chasteau enuironné, aisément pris, foüillé,
pillé, pendant qu’il se sauue chez vne pauure femme,
qui pour tout n’auoit en sa pauure caze qu’vne petite
salette, & au dessus vn plancher auquel on montoit par
vne eschelle coulisse. Le Comte grimpe en cette chambrette ;
la femme le cache dans la paille du lict où couchoient
ses petits enfans, & estant descenduë, oste son
eschelle. Les Gantois ayans rodé par tout à la queste du
Comte, furetans aux moindres maisons l’vne apres l’autre :
arriuent a celle-là où estoit le Comte, la foüillent,
montans au lieu où il estoit caché : en cet effroy, qui eut
pû lire au cœur de ce pauure Prince, n’eut-il pas leu que
sa conscience le tançoit de n’auoir pas traitté ses suiets
auec plus de douceux ? L’ayant échapé si belle, il se glise
doucement de cette logette, & se tire hors de la ville
tout seul, à pied, se sauuant de buisson en buisson, de
fossé en fossé, craignant les passans ; comme voicy que
s’estant caché dans vn fossé, il reconnut vn sien domestique,
qui le fit monter sur son cheual en crouppe, &
en cet arroy le sauua à l’Isle.

 

-- 18 --

Voila, Monseigneur, ce qui est arriué à ce Comte
de Flandres pour auoir voulu punir ses suiets auec trop
de rigueur ; voila comme se sont comportez les Gantois :
quoy que gens nourris dans le commerce ; voila
enfin comme les affaires sont venuës à vne extremité,
faute d’auoir preferé la misericorde à la seuerité. Ce qui
doit bien enseigner aux Princes de ne se pas aisément
engager dans ses sortes de guerres ciuiles, & que s’y
estans engagez par quelque necessité pressante, ils doiuent
chercher tous les moyens possibles pour s’en dégager,
& donner ou accepter toutes les honnestes conditions
qui se peuuent presenter pour en sortir. Car
comme nous venons de voir, quelques-fois les Princes
qui refusent des conditions honnestes & raisonnables,
pour l’esperance qu’ils ont en leurs grandes forces, s’en
trouuent mal puis apres ; Et souuent on a veu de bien
petites troupes faire teste aux plus puissantes armées des
plus grands Princes. Du temps de la bataille de Poitiers,
où le Roy Iean fut pris, le Prince de Galles, auant que
combatre, luy fit offre de rendre tout ce qu’il auoit conquis
luy & ses gens, depuis son depart de Bourdeaux,
& de rendre aussi tout le pillage : mais le Roy ne voulut
pas accepter cet offre, mais vouloit que le Prince & quatre
des plus grands Seigneurs de son armée se rendissent
à luy à sa volonté. Le Prince qui estoit genereux, aima
mieux combattre que d’accepter cet accord honteux &
des honorable pour luy ; & combatit en effet si vaillammẽt,
que ses Anglois, quoy qu’en fort petit nombre, defirent
les grandes forces du Roy, & fut le Roy pris prisonnier
& plusieurs autres grands Princes & Seigneurs : pour
lesquels racheter, le Royaume fut si épuisé de finance,
qu’il falut faire apres cela de la monnoye de cuir, qui
n’auoit qu’vn petit clou d’argent au milieu. Et de cette
bataille arriuerent en France infinies miseres, qui ne fussent
pas arriuez si le Roy eut esté si bien aduisé que de
vouloir sortir de guerre par doux & asseurez moyens,

-- 19 --

plustost que par le harsart d’vne bataille. Les Histoires
Romaines sont toutes pleines de semblables exemples ;
Car ce qui ruina les Carthaginois, le Roy Perseus, le
Roy Mithridates, ce qui abatit l’orgueil de Philippus
Roy de Macedoine, du grand Roy Antiochus & de tant
d’autres, fut qu’ils ne sceurent iamais accepter les bonnes
& raisonnables conditions de paix qui leur estoient
offertes par les Romains, & aimerent mieux experimenter
ce que peut la force fondée en bon droit ; le dis notamment
fondée en bon droit : car vne petite force qui
a le droict auec elle, abat bien souuent vne grande force
qui n’est pas fondée en bon droict. La raison est éuidente,
parce que celuy qui se sent auoir iuste cause de
faire guerre, & qui voit que son aduersaire se confiant
en ses forces, ne veut venir à aucune composition raisonnable,
redouble son courage & son ardeur, & combat
plus vaillamment que celuy qui est poussé d’vn orgueil,
plustost que d’vne generosité de cœur. Mais la
principale raison est, que Dieu, qui donne les victoires,
supporte tousiours le droict : & si quelques fois il semble
que le party le moins iuste l’emporte, il fait neantmoins
que l’issuë & la fin, selon laquelle il faut iuger, est pour
l’équité & la iustice.

 

Or si, comme il est aisé de iuger par ces exemples,
vn Prince doit tascher d’appaiser, par des conditions
honnestes, les guerres qu’il a contre les estrangers, auec
combien plus de raison doit-il faire tous ses efforts pour
assoupir les seditions & les mouuemens de ses peuples ?
Car pour ce qui est des guerres qu’il peut auoir auec des
estrangers, elles peuuent aucunement seruir pour entretenir
tousiours des gens agueris pour le besoin, &
& principalement quand les suiets du Prince sont naturellement
enclins à la guerre, comme est la nation Françoise ;
de peur que ne les employans pas en ce ou les porte
leur inclination, ils ne prennent les armes contr’eux-mesmes
& contre leur patrie, comme dit fort sagement

-- 20 --

l’Empereur Charles V. à François I. à leur entreueuë
au chasteau d’Amboise. Mais les troubles & guerres
ciuilles, de quelque costé qu’on les tourne & considere,
ne peuuent iamais estre vtiles à vn Estat ; Et c’est pour
quoy aussi vn Prince bien aduisé les fuira sur toutes
choses, & assoupira tousiours le plustost qu’il luy sera
possible ; premierement, parce que c’est vne chose contre
nature, de faire la guerre à ceux de son pays, & de
déchirer (pour ainsi dire) ses propres entrailles. ce qui
a fait dire au grand Homere,

 

 


Ceux la n’ont point d’amour, pour parens ny famille,
Qui aiment les malheurs d’vne guerre ciuille.

 

Homer
Iliad. 9.

Et en second lieu, parce qu’il s’affoiblit plus, & luy
& ses suiets en vn an, par ces guerres intestines, qu’il
ne peut s’affoiblir en trente ans par des guerres estrangeres :
& que celles-là son incomparablement plus dangereuses
& plus pernicieuses que celles-cy. Si la grandeur
& la puissance des Roys ne dependent que de l’opulence
& des richesses de leurs suiets ; de grace que
peuuent-ils esperer les plongeans dans vne guerre ciuile,
sinon de deuenir, au bout du compte, les Roys de
pauures gueux : ou de ioüer mesme quelques-fois au Roy
dépoüillé. Ie ne parleray pas icy de l’Angleterre, cet exẽple
me fait trop d’horeur : Ie diray seulemẽt que tels Princes
sont ordinairement semblables à se Samson du liure
des Iuges, qui pour se venger des Philistins ses ennemis,
s’enseuelit auec eux sous vne mesme ruine. Mais quand
il n’y auroit point d’autre raison pour destourner les Princes
de ces guerres funestes, que parce qu’ils font souffrir
iniustement vne infinité de pauures innocens, pour
punir seulement quelque peu de coupables, ou qu’ils
estiment tels ; Ne seroit-ce pas assez pour les retenir, &
les faire plustost pencher vers la clemence ? Il y a plaisir à
voir sur ce suiet la harangue memorable que les De putez
du [1 mot ill.] Romain, firent à Martius Coriolanus, lors
qu’il tenoit la ville de Rome, assiegée par l’armée des

-- 21 --

Volsques, dont il estoit le chef, outré qu’il estoit de douleur
d’auoir esté iniustement banny par les Romains Nous
n’ignorons pas, luy dirent-ils, Seigneur Coriolanus que
l’on vous a fait grand tort de vous auoir chassé & banny
de vostre Patrie, pour laquelle vous auez tant fait & tant
de fois si vaillamment combattu, que vous estes comme
son second pere & fondateur. Nous sçauons bien aussi
que c’est à bon droit que vous estes indigné & marry de
l’inique iugement que l’on a rendu contre vous, vû que
naturellement celuy qui est iniurié est irrité contre celuy
qui luy fait iniure. Mais nous sommes merueilleusement
estonnez que vostre iugement ne discerne point par raison
ceux sur lesquels vous pourriez iustement vous vanger,
d’auec ceux qui ne vous ont point fait de mal ny
d’outrage ; mais reputez indifferemment pour ennemis
autant les coupables que les innocens. Nous qui sommes
vos amis, & des plus anciens des Patriciens, sommes icy
enuoyez par vostre patrie & la nostre, pour nous plaindre
au nom d’icelle de ce que vous violez les loix inuiolables
de nature, & pour vous prier de vous déporter de
cette guerre, & entendre à vne bonne paix, vous offrans
de vous accorder tout ce qui sera à vostre honneur & à
vostre profit. Nous confessons qu’on vous a fait grand
tort de vous auoir chassé. Mais qui l’a fait ? le peuple, direz
vous, qui a donné sa voix en ma condemnation. Cela est
vray, nous ne le nions pas, mais tout le peuple n’est pas
d’vne voix, bien que la pluralité aye esté contre vous,
Ceux donc qui auoient donné leur voix pour vostre absolution,
meritent-ils que vous leur faciez la guerre
comme à des ennemis ? & nous autres Senateurs qui
auons esté si desplaisans de vostre mal, nous deuez-vous
reputer pour ennemis ? Mais ses femmes & les enfans que
vous ont-ils fait ? faut il que tant d’innocens tombent en
peril & danger d’estre tuez pillez & saccagez, sans vous
auoir fait tort, mais plustost vous ayans fauorisé ? si nous
vous demandons pourquoy vous voulez razer & destruire

-- 22 --

les edifices bastis par nos Majeurs, où sont leurs statuës
& les images de leurs victoires & triomphes, & pourquoy
vous voulez abolir leur memoire, que respondrez-vous ?
pour par le franchement, vous ne sçauriez auoir sujet d’agir
de la sorte, si vous ne voulez dire que les amis & ennemis,
coupables & innocens, les morts & viuans doiuent
également souffrir la vangeance de l’iniure qu’on
vous a faite, chose qui est du tout indigne de vostre pensée.
Vous deuez considerer l’inconstance des affaires de
ce monde, le changement des esprits des hommes, & excuser
l’accident qui vous est arriué à nostre grand regret,
& accepter vn retour honnorable en vostre patrie qui
vous desire pour continuer à employer vostre vertu pour
elle, comme vous auez fait par le passé. Par ce moyen
vous laisserez apres vous vne bonne & saincte reputation
de vostre vertu à la posterité : & si vous faites autrement,
vous laisserez apres vostre mort vne memoire de vous
comme d’vn ennemy, pilleur & saccageur de vostre pauure
patrie, où vous estes né, & où vous auez esté nourry
si tendrement & si honnorablement Bien plus, tant que
vous viurez vous serez en horreur & execration à tout le
monde, voire mesme aux Volsques qui maintenant vous
sont amis ; si bien que tout le monde fuira vostre compagnie
comme d’vn brigand ou d’vn voleur. Et partant
nous vous prions de tout nostre cœur, Seigneur Coriolanus,
de vouloir oublier l’iniure que vous auez receuë
iniustement, & d’accepter & accorder vn heureux, salutaire
& honnorable retour en vostre patrie & en vostre
maison, où est vostre pauure mere, vostre chere femme,
vos aimez & chers enfans qui sechent de douleur & de
tristesse de vostre absence, & mesme depuis qu’on leur a
fait sçauoir que vous venez à main armée pour les mettre
au tranchant de l’espée auec les autres. Ce discours eut
tant de force sur l’esprit de Coriolanus, joint à cela que
Voturia sa mere & sa femme Volumnia le vindrent touuer,
portans ses petits enfans entre leurs bras, & fondans

-- 23 --

tous en l’armes, qu’il fit paix aussi-tost auec les Romains,
& cessa de faire la guerre à sa patrie.

 

Si l’on ne sçauoit pas combien les guerres ciuiles apportent
de miseres & si nostre France n’auoit pas elle mesme
seruy de theâtre, il n’y a pas long-tems, pour en representer
les cruautez ; Ie rapporteray icy cette sanglante
guerre ciuile de Marius & de Sylla, qui remplit toute
l’Italie de sang, & qui fit par tout vne horible & espouuentable
boucherie. Comme ces deux monstres de cruauté
furent tous deux maistres de Rome & de l’Italie, l’vn
apres l’autre, & firent par consequent massacrer tous
ceux qu’ils pouuoient trouuer de contraire party ; c’est
vne chose effroyable combien il y eut de sang respendu.
Le pere égorgeoit le fils, le fils le pere ; Il n’y auoit aucune
pieté qui peut arrester le cours de ce desordre, tant
on estoit acharné les vns contre les autres. Mais la guerre
ciuile qui fut suscitée quelque temps apres par Pompée
& Cesar, & ce continua par le triumvirat d’Octauius,
Antonius & Lepidus, contre Cassius & Brutus, fut
bien plus sanglante. Cette guerre dura trente-deux ans,
& se respendit presque par tout le monde, qui lors estoit
en la sujetion du peuple Romain, & s’en ressentirent
les peuples du Leuant, du Couchant, du Septentrion,
& du Midy : Il fut verifié que dans ces troubles là, depuis
leur commencement iusques au Consulat de Cesar
seulement, moururent des citoyens de la seule ville de
Rome, le nombre de cent soixante & dix mille ; & est
bien croyable qu’il en mourut beaucoup plus depuis, &
qu’il en mourut dix fois autant des prouinces suiettes à
l’Empire Romain. Mais que s’ensuit-il de toute cette
barbarie, sinon le bouleuersement de ce mesme Empire ?
C’est le fruict qu’apportent infailliblement les guerres
ciuiles ; & c’est la raison aussi pour laquelle tout bon
Prince mettra tout son soin à les preuenir, ou au moins
à les estouffer dans leur naissance, à l’exemple de ce bon
& sage Roy Charles VII. ce Prince estant encore

-- 24 --

Dauphin, le Duc Iean de Bourgonne, homme fort
ambitieux & vindicatif, apres auoit fait tuer de guet
à pend Louys Duc d’Orleans, frere vnique du Roy
Charles VI. & apres auoir remply le Royaume d’armes
ciuiles & estrangeres, ne se contentant pas de tout cela,
s’empara du Roy qui estoit aliené de son sens par maladie,
& de la Reyne, pour faire la guerre au Dauphin :
ces occasions semblerent suffisantes à ceux qui gouuernoient
le Dauphin, pour entreprendre vn coup hasardeux,
comme ils firent, & le firent trouuer bon au Dauphin,
qui lors estoit encore ieune Prince. Il manda donc
audit Duc qu’il vouloir faire paix auec luy, & le pria
de prendre lieu & iour ensemble pour s’entreuoir,
& traitter de cette paix. Le iour fut pris, & lelieu
assigné à Montereau faut Yonne, où ledit Duc se
trouua sous la confiance de la parole & promesse du
Dauphin, qui luy auoit donné foy & asseurance. Arriué
qu’il fut, faisant la reuerance à Monsieur le Dauphin,
il fut enueloppé & tué sur le champ, & quelques
Gentils-hommes des ses gens par mesme moyen. Philippes,
fils & successeur de ce Duc Iean, prit grandement
à cœur ce meurtre commis en la personne de son pere,
& chercha tous les moyens qu’il pût pour s’en venger,
& par ce moyen continuerent encor long temps les
guerres ciuiles. Les Anglois cependant faisoient bien
leurs affaires en France, & conquirent la Normandie,
paris, la pluspart de la Picardie, & marcherent jusques
à Orleans, qu’ils assiegerent. Le dessus le Roy Charles
VI. mourut ; si bien que Monsieur le Dauphin son fils,
qui fut nommé Charles VII. venant à la Couronne, se
trouua dépoüillé de la meilleure partie de son Royaume ;
Tellement qu’on l’appelloit le Roy de Bourges, par
raillerie. Ce sage Roy considera bien que si les guerres
ciuiles duroient, il estoit en estat de tout perdre, vne
piece apres l’autre ; c’est pour quoy il mit tout son soin,
pouuoir & diligence à faire paix & accord auec le Duc

-- 25 --

de Bourgongne. Si bien qu’il enuoya vers luy son Connestable,
son Chancelier, & autres des principaux de
de son conseil, pour luy dire qu’il desiroit d’auoir paix
auec luy, & qu’il reconnoissoit bien que par mauuais
conseil il auoit fait tuer son pere à Montereau, & que
s’il eust esté lors aussi aduisé qu’il estoit à present, qu’il
n’eust iamais fait faire vne telle action, ny permis de la
faire ; mais qu’il estoit ieune & mal conseillé Que pour
ce suiet il luy offroit d’en faire telle amende & reparation
qu’il s’en contenteroit, & qu’il luy offroit de luy
en demander pardon, non en personne, mais par Ambassadeurs
qui en auroient charge expresse, & le prier
qui luy pardonna cette faute au nom de nostre Seigneur
Iesus-christ, & qu’entr’eux deux il y eut bonne paix &
amour, & qu’il confesseroit auoir mal fait, & d’auoir vsé
de mauuais conseil faisant tuer son pere. Et en outre luy
fit offre de plusieurs Terres & Seigneuries qu’il luy donneroit,
comme de la Comté de Maconnois, Saint Iangon,
la Comté d’Auxerre, Bar-sur-Seine, la Comté de Bologne
sur Mer, & autres Terres, & qu’il le quitteroit sa
vie durant, luy & ses suiets, du seruice personnel qu’il
luy deuoit comme vassal de France, & luy fit faire encor
plusieurs autres belles offres. Ce Duc Philippes voyant
son Prince souuerain s’humilier tant, fléchit enfin son
courage, & entendit à la paix, qui fut faite à Arras, là
où se trouua vne assemblée d’Ambassadeurs de tous les
Princes chrestiens, du Concile de Basle & du pape : Si
bien qu’il y auoit plus de quatre mille cheuaux. Tous
ou la pluspart de ces Ambassadeurs estoient venus pour
le bien du Roy & de son Royaume, mais il n’y en eut
pas vn qui ne trouua ces offres du Roy bonnes & raisonnables :
comme aussi faisoient tous les princes & Seigneurs
du Royaume, & tout le Conseil du Roy. Tellement
que les Ambassadeurs de sa Majesté, qui estoient
le Duc de Bourbon, le Comte de Richemont, Connestable
de France, l’Archeuesque de Reims Chancelier,

-- 26 --

le Seigneur de la Fayette, Mareschal de France, & plusieurs
autres grands Seigneurs, en pleine assemblée, au
nom du Roy leur maistre, demanderent pardon au Duc
de Bourgogne de la mort de son pere, confessans, comme
nous auons desia dit, que le Roy leur Maistre auoit
commis cette mauuaise action par ieunesse & mauuais
conseil, & le prierent de quitter la mauuaise volonté
qu’il auoit legitimement conceuë contre luy, &
de vouloir viure à l’aduenir en paix & bonne amitié.
Voila comment le Roy Charles VII. appaisa les guerres
ciuiles de son Royaume, par son humilité & reconnoissance
de ses fautes ; Aussi delà en auant prospera-il
de telle sorte, qu’apres auoir mis fin aux guerres ciuiles,
il vint puis apres au dessus des guerres estrangeres contre
les Anglois. Il ne faut point douter que ce ne fust
vne toute particulier benediction de Dieu, qui prend
plaisir à esleuer les humbles, & à ruiner & renuerser les
orgueilleux & superbes. Et à la verité ce n’est point vne
chose messeante à vn grand Prince de temperer sa Majesté
par vne gratieuse humilité, douceur & affabilité :
au contraire, cette temperation, comme dit fort bien
Plutarque, est si harmonieuse & si excellente, qu’il n’en
est point de plus parfaite que celle-là. Si le Roy eust eu
de tels conseillers qu’il en est auiourd’huy, quel conseil
luy eussent-ils donné sur cette affaire ? Ils luy eussent
dit sans doute, que de s’humilier ainsi enuers son vassal,
de luy demander pardon, de confesser d’auoir mal fait,
de le quitter luy & ses suiets du seruice personnel, ce
sont choses indignes d’vn Roy, & qu’vn Roy ne doit
iamais faire paix qui ne soit à son honneur, & que tels
articles estans à son deshonneur & desauantage, il deuoit
plustost endurer toutes extremitez, que de faire
aucune paix par laquelle il ne demeurast le maistre en
tout & par tout, pour disposer des personnes & des
biens à son plaisir. Si est ce que tout le conseil du
Roy Charles VII. tous les princes de son sang, tous les

-- 27 --

grands Seigneurs du Royaume, tous les Ambassadeurs
des princes estrangers luy conseillerent de passer ces
articles, quoy qu’vn peu rudes & fascheux, pour le bien
de la paix. Est-il croyable que dans vn si grand nombre
de grand personnages, il n’y en eut aucun aussi sage &
aussi clair voyant que les conseillers & les politiques de
ce temps ? si est-ce que c’estoient tous gens bien sages &
bien experimentez dans les affaires : il y en auoit plusieurs
de grand sçauoir, comme les Deleguez du Concile,
de l’Vniuersité de Paris & des Parlemens : & ceux
d’auiourd’huy tout au contraire ne scauent que leur
Machiauel.

 

In vita Phocionis.

Apres tout cela, Monseigneur, pourroit-on songer
à la Cour de reueiller le chat qui dort (comme l’on dit)
& contre la foy du Prince, pour vn rien : mais plustost
pour vn bien qu’ont fait ceux que l’on a estimez coupables,
recommencer vne guerre sanglante, aux despens
du sang & de la vie d’vn million d’ames innocentes, &
au hasard de perdre vn Estat si florissant & si beau, ce
seroit vn crime que d’auoir cette pensée, aussi ne l’auons
nous pas, La France a trop de confiance en vostre bonté
& sagesse, pour n’attendre pas de vostre Altesse
Royale vn traittement plus fauorable. Quand il y auroit
quelques mauuais conseillers à la Cour, ce qu’elle
ne croit pas, elle espere que vous dissiperez tous ces nuages,
ie veux dire tous ces pernicieux desseins que l’on
pourroit prendre contre elle ; sçachant que vous estes ce
premier mobile, qui par la rapidité de vostre mouuement,
c’est à dire par le poix de vostre authorité, donnez
le bransle à tout ce grand Estat. Il ne sera iamais dit
que le sang des Bourbons se laisse gouuerner par des
estrangers, iusques à vn tel point que de leur permettre
de faire de la France vn theatre d’horreur & de barbarie.
L’on ne peut pas empescher pourtant la crainte de
quelques particuliers : l’on ne peut pas non plus retenir
leurs langues ; Il est vray que depuis quelque temps

-- 28 --

plusieurs ont eu quelque soupçon que la paix que
vous nous auez donnée ne seroit pas de si longue durée
que l’on se persuadoit. I’aduoüe que cette defiance mesme
est criminelle : mais quoy ? ils montrent quelle n’est
pas sans fondement. En effet, Monseigneur, quelles
cruautez n’a t’on pas exercées, depuis la paix faite, dans
le Maine, dans la Champagne, dans l’Anjou, dans la
Normandie, dans la Picardie, & dans toutes les autres
Prouinces ? Ie frissonne d’horreur, quand i’y pense seulement,
ouurir des femmes grosses, tirer le fruict de leur
ventre, y mettre des chats au lieu, & les enfermer là dedans,
si il est vray comme on le dit, y a-t’il des Phalaris,
des Scinis & des Procultes, qui se soient iamais aduisez
de cruautez pareilles ? lier les hommes nuds, leur attacher
des chats au col, & fesser ses chats iusques à ce
qu’ils ayent de rage, déchiré ces pauures malheureux,
y a-t’il au monde barbarie semblable ? traitter les Prestres
& les Religieux plus indignement que des chiens, les
escorcher tous vifs, faire seruir leurs testes de buts, voller,
violer, fouler aux pieds la sainte Hostie, & la vouloir
faire manger à des bestes, sont-ce pas des actions
que l’on tiendra pour fables dans les siecles futurs ; Et
neantmoins, Monseigneur, c’est ce qui s’est fait par
toute la France, depuis que vous auez donné la paix aux
parisiens. Or que peut-on conclure de là, ie vous prie ?
de voir courir les soldats par les Prouinces, sans aucun
ordre, voir arriuer des trouppes estranges de tous costez,
voir leuer & emprunter de l’argent de toutes parts, voir
se saisir des places les plus importantes des Prouinces,
donner les gouuernemens à nouuelles creatures, tascher
par des mariages faits à plaisir de desvnir les Princes
qui ont assisté les Parisiens, ne sont-ce pas là de grands
indices que l’on veut encore broüiller ? Vous auez plus
d’interest qu’aucun autre, Monseigneur, d’y prendre
bien garde ; ne croyez pas, quoy que l’on aye fait tres-mal
traiter les prouinces, ensuittes quelles se sont declarées

-- 29 --

pour paris ; ne croyez pas pour cela, dis-ie, les retenir
& empescher de ce declarer vne seconde fois : asseurez-vous
plustost que si par vn malheur fatal à toute
la France, on rompt la foy que le Roy nous a donnée,
toutes les Prouinces prendront aussi-tost cette occasion
pour se venger. La liberté est vne chose trop douce,
pour ne la pas prendre par les cheueux quand elle se presente ;
ils n’ont plus rien à perdre, & c’est en quoy ils sont
plus à redouter, Spoliatis arma super sunt. Denis le Tyran
ne commença à apprehender ses suiets, que lors qu’il
apprit de ses Courtisans, qu’ils chantoient des chansons
contre luy en plain marché, & ne le craignoient plus,
parce qu’ils auoient desia tout perdu ce qui les eust pû
obliger de le craindre.

 

Iuuenal.

 


Dum peiora timentur,
Est locus in voto ; sors autem vbi pessima rerum est,
Sub pedibus timor est securaque summa malorum.

 

Ouid. l. 14
Met.

C’est vne estrange pitié, Monseigneur, d’esleuer &
nourrir vn ieune Roy de la façon, parmy les troubles
de son Estat, & luy faire comme succer auec le lait vne
auersion contre ses suiets, & contre ses Parlemens, comme
contre des rebelles ? est ce la le moyen de luy faire
prendre des sentimens d’vn bon Prince, & luy faire dire
vn iour, auec philippes de Macedoine, Malo diu benignus
ac clemens quam breui tempore Dominus appellari ;
ou auec vn Theopompus Roy de Sparte, que quelques
Courtisans mal aduisez blasmoient d’auoir estably des
Ephores puissans, qui sembloient beaucoup diminuer
de son authorité, minorem quidem creatis Ephoris, sed
diuturniorem potestatem relinquo, sçachant fort bien que
comme dit Senecque,

Plutarq.

Valer Maz
lib. 4. c. 1.

Violent a nemo tenuit imperia diu. Et qu’au contraire, moderata durant. Est-ce là le moyen
de luy faire prendre des maximes qui luy facent donner
vn iour le tiltre d’Amour du monde, comme à vn Empereur
Othon, ou bien de pere du peuple, comme à vn

-- 30 --

Louys XII. O ! qu’il est croyable que le grand Artaxerxes
Roy des Perses, auoit esté esleué tout d’vn autre
façon, & que l’on ne luy auoit pas enseigné que ce fut
faire tort à son authorité que d’y mettre aucuns bornes.
Ce grand Priuce disoit ordinairement Nolui abuti potentiæ
magnitudine, sed clementia & lenitate subiectos gubernare ;
c’est à dire ie n’ay iamais voulu abuser de la grandeur
de ma puissance ; ie n’ay pas cru que ce me fust assez
de vouloir vne chose pour la rendre iuste, mais ay
traitté mes suiets auec le plus de douceur qu’il m’a esté
possible. C’est ainsi que parlent les bons Roys : ie veux
dire ceux qui ne permettent pas qu’on leur souffle perpetuellement
aux oreilles, qu’ils peuuent tout, & que
c’est ne pas sçauoir ce que vaut vn Sceptre, comme fit
autrefois Neron, que de ne pas faire tout ce que l’on
veut, soit que cette volonté soit iuste, soit quelle ne le soit
pas. Crudelia, pourtant, & superb a imperia acerba megis
quam diuturna esse solent ; c’est vne belle leçon que Saluste
fait aux Roys. Ie m’asseure que des princes semblables
à des Artaxerxes, des Theopompus & des Othons ;
& pour ne point sortir de chez nous, semblables à des
S Louys, des Louys XII. & des Henris IV. ne croiront
point que ce fut resister à leur authorité, si vn parlement
leur remontroit que leur volonté ne seroit pas
bien iuste en quelque chose ? les Roys doiuent bien s’imaginer
qu’ils sont hommes, & par consequent suiets à
faillir. He ! pourquoy, ie vous prie, ont-ils des Parlemens,
sinon pour les conseiller ce qui est à faire, & les
destourner de ce qu’ils ne doiuent pas faire. Chacun
sçait que les Loix ciuiles mesmes, veulent qu’on n’obeïsse
point au prince, quand il commande quelque meurtre
iniuste, sinon trente iours apres le commandement
fait : pourquoy cela ie vous prie ? sinon afin que cependant
les preuenus ou leurs amis, ou plustost les Magistrats
puissent remõtrer au Prince les raisons d’innocence
de ces preuenus, & que pendant les trente iours le prince

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puisse rasseoir sa colere & entendre raison. Et parce que la loy faite
pour cela par les Empereurs Gratian, Valetin, & Theodose, est bien
remarquable : i’ay trouué à propos de l’inserer icy. Si il arriue d’oresnauant,
disent-ils, que nous commandions quelque rigoureuse vengeance,
contre nostre coustume, sur quelques preuenus, nous ne
voulons point qu’ils souffrent la peine sur le champ, ny que nostre
mandement soit si tost executé, mais que l’execution soit sursise &
differée par trente iours, & que cependant le Magistrat les tienne
en seure garde. Donné à Verone le 15. des Calendes de Septembre,
l’année du Consulat d’Antonius & de Siagrius.

 

De Rep. ord.

L. si vindicarie.
de
poenis.

Vous voyez de là, Monseigneur, non seulement qu’il est raisonnable,
mais que c’est mesme le deuoir des Magistrats d’aduertir auec
respect leurs Princes, quand ils commandent quelque chose qui
n’est pas bien iuste : & que les Roys ne doiuent pas s’immaginer
que ce soit choquer leur authorité, que de leur faire quelques remonstrances
& de n’obeïr pas à l’aueugle à tout ce qu’ils commandent.
Or que sera-ce maintenant si des Ministres abusent de la minorité
d’vn Prince, pour faire des leuées intolerables ? qu’elles obligations
n’ont pas alors les Magistrats de leur faire des remonstrances, &
leur faire entendre la verité de cette belle maxime de Tibere, que
c’est le fait d’vn sage Berger de tondre ses brebis, mais non pas de
les escorcher. Ne seroient-ils pas veritablement criminels de leze-Majesté,
si ils permetoient ces execrations, & souffroient durant
la foiblesse de l’âge de leur Prince, qu’on pilla son Royaume & ses
suiets ? Mais si les Ministres bouchent les oreilles aux iustes plaintes
& remonstrances du Parlement ; Que doiuent faire en ce cas là ces
Messieurs, si ils veulent passer pour bons & fideles suiets de leurs
Princes ? ne doiuent-ils pas resister à la tempeste, pour grande quelle
soit, & perir plustost que de consentir iamais à aucune l’ascheté ? Ie
m’asseure, Monseigneur, que vous estes le premier à loüer dans vostre
ame la genereuse resolution de Messieurs du Parlement de Paris,
& approuuer leurs illustres desseins, parce que vous reconnoissez
fort bien qu’ils n’ont rien fait en cela, que ce que leur foy, leur
conscience, & le bien de l’Estat demandoit d’eux ; & qu’il faut
qu’vn gouuernement, pour estre heureux, soit plustost pour le bien
de celuy qui est conduit, que non pas de celuy qui gouuerne, Vt
tutella, sic procuratio reipublice, ad vtilitatem eorum qui commissi
sunt, non ad eorum quibus commissa est, gerenda est. C’est
ce que fit bien entendre Louys le Gros à son fils, auant que
mourir ; il ne luy fit point d’autre leçon que celle-là, sçachant bien
que tandis que son fils seroit dans cette pensée, il gouuerneroit
sagement, & se feroit aimer & cherir de ses suiets, ce qu’vn bon

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Prince doit rechercher sur toutes choses,

 

Cic. Offi. 1.

 


Omne culmen attigit,
Virtutis alta qui timeri se timet,
Amore fidens ; qui patrem se non berum
Studet vocari.

 

Mais c’est trop abuser de vostre patience, Monseigneur, il est
temps de finir ce discours, qui pour estre rude & mal poly, comme
il est, ne vous peut estre que bien ennuyeux & desagreable. Ie
finis donc par cette tres-humble requeste, que vous fait toute la
France prosternée à vos pieds, que vous luy conseruiez, s’il vous
plaist, la paix qu’elle sçait fort bien ne tenir que de vous, & de
vostre Maison Royale, qui la acheptée mesme au prix de ses l’armes.
Considerez, Monseigneur, que la plus grande gloire qui peut rester
de vous au monde ; c’est d’auoir autant affermy par vos sages conseils
ce grand Estat, que vous l’auez amplifié par la valeur de vos armes.

 


Pulcrum eminere est inter illustres viros,
Consulere patriæ, parcere afflictis, ferd
Cæde abstinere, tempus atque ira dare,
Orbi quientem, saculo pacem suo,
Hac summa virtus, petitur bac coelum via.

 

Senec. in
Octauia.

Toutes les grandeurs du monde passent comme la fumée : mais
la memoire des illustres actions demeure à iamais. Le grand Hercules
n’a esté mis parmy les Heros des anciens, que parce qu’il a
donné la paix à tout l’Vniuers. Donnez la à toute la France, Monseigneur,
C’est l’vnique & le veritable moyen d’attirer sur vous,
& sur la Maison Royale des Bourbons, toutes les benedictions du
Ciel, que tous les François vous souhaitent ardemment, & moy
particulierement qui suis,

MONSEIGNEVR, De vostre Altesse Royale,
Le tres-humble & tres-obeïssant seruiteur,
CERMIER DE SIPOIS,
P. A. N.

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Sipois, Cermier de (P. A. N.) [signé] [1649], LETTRE DV SIEVR CERMIER DE SIPOIS, A MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS. SVR LES DEFFIANCES DE de quelques particuliers touchant la Paix. , français, latinRéférence RIM : M0_2198. Cote locale : C_3_49.