Anonyme [1651], DISCOVRS SVR LE SVIET DES DEFIANCES DE MONSIEVR LE PRINCE, QVI L’ONT OBLIGÉ DE SE retirer à Sainct Maur. , français, latinRéférence RIM : M0_1150. Cote locale : B_6_14.
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DISCOVRS SVR LE SVIET
des defiances de Monsieur le Prince, qui l’ont
obligé de se retirer à Sainct Maur.

CE n’est pas seulement du
temps de Tacite, que cette
gloire, qui est le fruict des
grandes actions, a formé le
crime, ou plustost le malheur
de ceux qui les ont faites ;
ce qui a obligé cét Illustre Historien de
dire, qu’ils ne deuoient pas moins apprehender
vne grande reputation, qu’vne mauuaise ; Nous
pouuons asseurer sans exaggeration, que Monsieur
le Prince fait en nostre siecle vne rude experience
de cette verité ; si deuant sa prison il gagne
des batailles & force l’Espagne & l’Empire
à demander la paix, on publie qu’il faut craindre
les suites de tant de succés advantageux ;
des prosperitez, dont Dieu benit sa conduite
dans les Armées, l’on en fait le sujet de sa disgrace,
& pour faire mieux reüssir le dessein qu’on a
formé, d’arrester le cours de cét Astre si fauorable
à toute la France, lors qu’il a esté dans son

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jour & dans son midy ; il n’y a point de supposition
que l’on n’inuente, & qu’on ne debite
dans le public, pour faire passer cette lumiere
qui refletrit de ses Victoires pour le brillant d’vne
Comete, qui doit estre funeste à cette Monarchie,
sa fidelité mesme aux dépens de sa propre
satisfaction, voyoit des interpretations malignes,
& l’on traitte d’impiete le sacrifice qu’il
fait de l’estime & de l’amitié des Peuples, que
les Triomphes luy auoient acquis, à l’obeyssance
qu’il croit deuoir au Roy ; jusque là, que par
vn renuersement estrange, l’on veut qu’il trouue
sa grandeur & son éleuation, lors qu’il immole
tous ses aduantages, au respect & à la deference
qu’il rend aueuglement à toutes les volontez
de leurs Majestez, & aux resolutions de
leur Conseil. Enfin, si commandant nos Armées,
sa vertu & sa bonne fortune triomphe de
toutes les oppositions des ennemis, elle ne peut
entierement triompher de la calomnie, si par
moderation, & pour leuer tous les soupçons,
dont les Victoires qu’il a remportées ont fourny
la matiere, il refuse de commander nos troupes,
on luy fait vn crime de sa modestie, tant est
veritable, ce que i’ay dit au commencement de
ce Discours : Militaris gloria cupido ingrata temporibus
quibus sinistra erga eminentes interpretation, nec
minus persecutum exmagnâ famâ quàm ex mala.

 

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La prison de ce Prince, & qui peut passer pour
vne oppression, non moins sans exemple que
sans raison, sembloit auoir fermé la bouche à la
médisance, & les ennemis honteux de leur persecution,
non moins iniurieuse aux loix qu’outrageuse
à sa vertu, & à ses grands seruices, auoient
esté forcez d’aduoüer, qu’il estoit plus malheureux
que coulpable ; Et pour satisfaire au public
aussi bien qu’a leur conscience, de mettre en piece
les chaisnes, desquelles ils auoient chargé cét
illustre Captif, des mesmes mains dont ils les
auoient fabriquées.

Mais à peine la liberté luy est-elle renduë, qu’ils
se sont repentis de leur ouurage, employant de
nouueau les mesmes artifices dont ils s’estoient
seruis, pour entreprendre sur sa personne : Sa submission
aux volontez de la Reyne pour le siege
de Paris, luy auoit attiré l’auersion des peuples ;
depuis sa deliurance, quels efforts n’ont-ils point
fait, pour rendre sa complaisance aux volontez
de cette mesme Princesse, suspecte & digne de la
haine de toute la France ? Sa reconciliation auec
le Cardinal Mazarin auparauant sa detention,
parut vne conjoncture fauorable pour hazarder
toutes choses contre luy ; Depuis sa sortie du
Havre, que n’a-t’on point dit ? & que n’a-t’on
point fait, pour persuader, qu’il consentoit au
retour du mesme Cardinal ? Qu’il auoit perdu le
souuenir de sa captiuité, & que son ambition luy
faisant mieux trouuer ses aduantages auec ce Ministre,

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qu’auec ceux qui luy pouuoient succeder,
il vouloit tout entreprendre pour la restablir :
Si l’Admirauté & la charge de Connestable, n’ont
pû seruir de pretexte à ces enuieux pour rendre
sa conduite odieuse, le gouuernement de Guyenne,
qu’il n’a accepté, que pour donner la paix,
à cette Prouince, a esté vn nouueau sujet à ces
mesmes personnes, pour charger sa reputation,
& donner lieu au monde de croire, que ces grands
desseins dont on l’accuse dans cette lettre qui fut
enuoyée à tous les Parlemens, dans le temps
qu’il fut arresté, n’estoient pas des chimeres du
Cardinal ; mais des effets certains & asseurez de
cette cupidité qu’il a d’estre le maistre de la Cour,
& d’y gouuerner toutes choses selon son caprice.

 

Le temps a reuelé le mystere de cette seureté si
aduantageuse en apparence, qu’on luy donna par
escrit, & de laquelle on se seruit par apres pour
le perdre dans l’esprit de M. le Duc d’Orleans, &
obliger ce Prince contre ses inclinations toutes
benignes & genereuses, de consentir à sa perte.
Que n’a-t’on point pratiqué depuis cinq mois,
pour donner à son A. R. les dernieres défiances
d’vne conduite qu’on luy faisoit paroistre toute
semblable, afin d’establir sur cette diuision, non
plus la ruine de l’vn, mais de tous les deux, comme
l’vnique moyen selon leur pensées, de rendre au
Roy & à son Conseil leur ancienne authorité, laquelle
ils estiment si affoiblie par les oppositions
des Parlemẽs, la reuolte des peuples, & la conniuence

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de ces deux Princes ? Car c’est ainsi qu’il traite
l’entremise des Cõpagnies souueraines pour l’execution
des Loix fondamentales du Royaume, les
plaintes legitimes de la France, & les empeschemens
que Monsieur le Duc d’Orleans & Monsieur
le Prince apportent à la continuation de la tyrannie
des Fauoris.

 

Enfin pour leuer tous ces soupçons, Monsieur le
Prince a esté contraint depuis quelques iours, de
faire vn esclat, & de se retirer en sa maison de sainct
Maur : Quelles explications n’a t’on point donné à
cette retraite ? N’a-t’on pas incontinent aduancé
qu’il faisoit le mescontent, pour extorquer par la
crainte d’vne guerre ciuile, dont il pouuoit estre le
chef, ce qu’il n’auoit pû obtenir par d’autres voyes,
soit pour luy, soit pour ses amis ? Et bien qu’il ait declaré
au Parlement de Paris & à tous les autres du
Royaume, Qu’il n’auoit aucune pretention, & qu’il
ne cherchoit que sa seureté, & celle du public par
l’esloignement des personnes qui auoient conseillé
sa prison & toutes les violences passées, & que l’on
sçauoit d’ailleurs fauoriser le retour du Cardinal
Mazarin, on ne laisse pas d’assurer que ce n’est qu’vn
artifice & vn pretexte ; Et cét esloignement qui
auoit paru si necessaire aux gens de bien, lors de la
proscription de ce Cardinal deuient suspect, &
passe pour vne entreprise sans raison, parce que c’est
Monsieur le Prince qui le propose.

Mais ie demanderois volontiers, si ces Messieurs

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sont deuenus innocens, parce que ce ne sont plus
ceux qui distribuent la bonne ou mauuaise Reputation
de puis trois ans, qui accusent leur conduite ;
Ne sont-ce pas les mesmes artisans de tous nos malheurs,
& de tous nos desordres ? N’ont-ils pas esté
les Autheurs de toutes les oppressions que le Cardinal
a entreprises contre le Public, & le Particulier ?
Ne sont-ils pas les Ouuriers de cette Prison infortunée,
qui ayant mis la défiance dans la Maison
Royale, a jetté les semences d’vne diuision eternelle
dans ce Royaume ? Enfin, ne sont ce pas les
Creatures de ce Ministre, qui estoit l’abomination
de toute l’Europe : que l’Allemagne ne veut point
souffrir non plus que la France, parce qu’il est par
tout Perturbateur du repos & de la tranquillité des
Peuples ? Ne possedent ils pas son Genie ? Ne leur
a-t’il pas laissé son esprit en partage ? Et leur administration
a-t’elle esté moins turbulente & moins
factieuse, que celle de ce mal-heureux Estranger ?

 

Toutes ces considerations lors qu’il fut chassé,
les firent juger à tout le monde dignes du sort de
leur Maistre ; On creut que la Paix de la France
ne pouuoit estre affermie, tandis qu’ils y auroient
quelque credit, & quelque authorité dans la Cour,
chacun se persuadant que pour se rendre agreable
& necessaire, ils formeroient tousiours de nouuelles
Cabales, pour procurer le retour de leur bien-faicteur.

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L’évenement a fait voir que cette crainte n’estoit
pas vaine, les mesmes intrigues ont continué ;
tous les conseils se sont passez en negociations sur
le sujet de ce Cardinal, cõme s’il faisoit luy seul toute
la fortune de l’Estat : Nuls ordres publics, ny
pour la Paix ny pour la Guerre ; la licence des Troupes
à son plus haut poinct ; nul argent à l’Espargne
pour les entretenir pendant l’Esté ; les Finances
en desordre, les Tables du Roy renuersées, les
Tailles en Party comme auparauant, & exigées par
les Gens de guerre ; le remboursement des prets
en vsage, au mépris de la Declaration ; les oppositions
du Clergé suscitées contre les Arrests du Parlement ;
le Parlement émeu, & en jalousie de l’Assemblée
de la Noblesse ; de nouuelles Factions excitées
dans les Prouinces, ou fomentées par le
mesme esprit qui les auoit formées ; les Traittez
faits auec Bourdeaux, & auec la Provence sans
execution ; toute l’Armée liguée pour s’opposer à
l’execution des Arrests qui auoient renouuellé les
Ordonnances contre les violences, & les brigandages
de quelques Troupes ; le commandement
de toutes nos forces déposées entre les mains de
personnes entierement deuoüées au Cardinal ; de
nouveaux sujets de défiãces dans la maison Royale ;
les continuels voyages faits à Cologne, mesme
par vn Pair de France : Enfin vn renuersement general

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de tous les Ordres, & vne confusion vniuerselle
de toutes choses, est l’image de l’Estat present
de nos affaires ; comme si les Disciples d’vn si
bon Maistre, pour marquer la gratitude & la mécognoissance
qu’ils auoient de l’authorité, dont il les
auoit rendus depositaire lors de son depart, eussent
formé le dessein de rendre son ministere illustre &
glorieux, par vne conduite encore plus criminelle
& plus odieuse, que celle qui auoit donné lieu à
cette proscription prononcée par tous les Parlemens
du Royaume ; estant constant, qu’on ne peut
remarquer d’autres difference de ce qui s’est passé
auparauant son absence, & de ce qui se fait à present,
sinon que nos maux sont infiniment plus
grands, & qu’estant à Cologne il acheue impunément
par le ministere de ses suppots, la desolation
de cette Monarchie, & sans aucune crainte d’estre
accablés sous ses ruines.

 

Apres quoy nostre Hercule Gaulois a-t’il pas eu
raison de s’opposer fortement à la continuation de
ces desordres, en inuitant son A. R. & tous les Parlemens,
de rendre impuissans ceux qui en estoient
les principaux instrumens ? Et peut-on traiter de
malice vne action qui eust esté loüée il y a cinq
mois, de toutes les personnes sages & desinteressées,
& qui ont merité l’applaudissement de toute
la France ? Ont-ils changé leurs maximes, &
leurs manieres d’agir, pour nous obliger à changer

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de sentiment ? Au contraire, estans deuenus
plus coulpables, pource qu’ils ne peuuent plus
s’excuser sur la malice, ou sur l’ignorance de leurs
Maistres, ne sont-ils pas dignes de l’execration de
tous les hommes, d’auoir voulu faire regretter la
conduite de ce Cardinal ? Deterrimâ comparatione,
pour me seruir de l’expression de ce Romain, sur
le sujet du choix qu’Auguste fit de Tybere pour
son successeur ; Qu’il ne destina à l’Empire, que
pour tirer de la deprauation de ses mœurs, de sa
cruauté, & de sa dissimulation, vn sujet de gloire
& de vanité.

 

Cependant, parce que Monsieur le Prince est
le promoteur de cette expulsion, quoy que l’experience
qui a confirmé nos craintes la rende
non seulement juste, mais necessaire, il n’y a
point de desguisement dont on ne se serue, pour
luy rauir la gloire d’vn dessein si loüable ; jusques
là mesme, que sans considerer le public, qui ne
peut estre en seureté, tandis que les maximes du
Cardinal Mazarin & ses Valets regneront à la
Cour, il y en a qui trauaillent à releuer ces Idoles
de Faueur, parce que celuy qui les abbat ne
leur est pas agreable, ne se souuenans plus qu’ils
ont esté les premiers à luy jetter de la bouë, & à publier
de viue voix & par écrit, qu’ils estoient indignes
de la veneration & du culte qu’on leur
rendoit.

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Que si Monsieur le Prince, qui a veu que nonobstant
les paroles solemnelles données & inserées
dans les Registres de tous les Parlemens, que
l’esloignement du Cardinal estoit sans esperance
de retour, on a employé tout ce que la Cabale a de
plus ingenieux, pour le restablir dans sa Place, veut
asseurer son exil, & l’absence de ses Creatures
par vne Declaration authentique ; l’on dit que c’est
vne nouuelle condition qu’il appose à son retour
à Paris, ou plustost vn nouueau pretexte qu’il recherche
pour authoriser la guerre Ciuile, qu’il medite
de faire dans ce Royaume ; Les remedes les
plus salutaires, passans pour des poisons les plus
dangereux, parce que c’est la main de ce Prince qui
les presente.

Enfin s’il trauaille a establir sa seureté, qui est
celle de Monsieur le Duc d’Orleans & de tout l’Estat,
& pour laquelle apres vne prison de treize
mois, & ce qui s’est passe depuis sa liberté, on ne
peut pas trouuer estrange qu’il apporte les dernieres
precautions ; l’on dit qu’il manque de respect
enuers sa Majesté, & l’ont traitte de desobeyssance,
le refus qu’il fait de porter sa teste à ses Ennemis,
qui assiegent il y a long temps le Palais
Royal, & qui possedent l’esprit de la Reyne, laquelle
ne reçoit d’impression de la conduite

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de ce Prince, que celle qu’ils luy donnent toûjours
à son desauantage, parce qu’ils ne peuuent
souffrir, que personne entre en partage
de leur pouuoir.

 

Mais, dit-on, il est bien extraordinaire, que
l’on authorise par vne Declaration des proscriptions
& des bannissements, sans faire le
procez à ceux que l’on exile, & que les Princes
du Sang cherchent d’autre seureté que
dans leur innocence, & dans des paroles toutes
Royales qui leur sont données ; I’aduouë
d’abord que tout ce qui va contre l’article de
la seureté du public me déplaist, & ie ne
puis qu’auec beaucoup de peine admettre
que cette loy reçoiue la moindre atteinte, par
vne interpretation qui empesche l’effect d’vne
disposition si necessaire, pour arrester l’insolence
de ses Ministres & des Fauoris : Mais outre
qu’il ne s’agist point icy de quelque particulier,
que la tyrannie vueille opprimer ; mais
des Ministres mesmes, à la conduite desquels le
public ne se veut plus soumettre ; & que d’ailleurs,
ce sont personnes sans caractere, puis que
l’vn n’a qu’vne qualité imaginaire, l’autre vne
simple commission, & le dernier n’a point
d’autre tiltre, que le domestique de la Reine ;
Il est certain, qu’estant les reliques d’vne cabale

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que toute la France a en horreur, ils ne
peuuent imputer à injure, le traitement qu’on
leur fait, puis que ce n’est pas le iugement d’vn
Fauori qui abuse de l’authorité de son Maistre ;
mais vne condemnation de toute la France,
qui croit ne pouuoir affermir son repos, qu’en
rompant par cét éloignement, ce qui reste de
liaison & d’attache auec son ennemy, & en
leuant par ce moyen tous les ombrages qui
peuuent donner lieu aux factieux, qui ne furent iamais
en plus grand nombre, d’entreprendre
contre sa tranquillité ; & bien loing qu’ils
ayent sujet de se plaindre, qu’il semble au contraire
qu’ils soient extremement redeuables de
la moderation, dont l’on vse en leurs endroits,
puis que l’on se contente de leur assigner leurs
Maisons pour retraite, quoy que l’on peut auec
iustice, proceder contr’eux selon la rigueur des
Arrests qui leur auoient interdit tout commerce
auec leur Maistre.

 

Et ne sert d’objecter, que tout cela se peut
faire sans Declaration, parce que la paix du
Royaume estant preferable à toutes autres considerations,
on ne sçauroit assez la cimenter, en
fermant toutes les auenuës à ceux qui la peuuent
troubler par leur ambition & leurs cupiditez ;
& pour peu qu’ils fassent de reflection

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sur les obligations qu’ils ont contractées par
leur Baptesme, ils demeureront facilement
d’accord de la maxime de ce grand Saint, Otium
sanctum querit charitas, veritatis negotium, iustum
suscipit necessitas charitatis, quam sarcinam, si
nullus imponit percipiendæ atque intuendæ vacandum
est veritati.

 

Quant aux seuretez, que Monsieur le Prince
demande, qui est le bon François, qui ne
les desire également auec luy ? I’ay dit qu’il
estoit la seureté de Monsieur le Duc d’Orleans,
comme la seureté de Monsieur le Duc d’Orleans
estoit la sienne. Son Altesse Royale considerant
ce qui s’est fait au sujet de la proscription
du Cardinal, peut-il douter de cette verité ?
S’imagine-t’il que l’on ait oublié le ressentiment
de l’authorité qu’il a donné par sa presence,
& par ses suffrages aux Arrests qui l’ont
exilé ? Se persuade-t’il que l’on conçoiue des
esperances de cette Majorité prochaine, seulement
contre les Parlements & contre le peuples,
& qu’on luy vueille sous le Roy Majeur,
laisser l’vsage d’vne authorité dont on publie
qu’il a si fort abusé pendant la minorité ? Ainsi
la seureté de Monsieur le Prince estant bien establie,
n’en doit-il pas aussi attendre toutes sortes
de protections & de secours ?

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I’ay pareillement adjoûté, que dans cette
seureté, le public y trouuoit la sienne, & pour
peu que Paris & tous les Parlements se souuiennent
des entreprises formées contre leur
liberté, ne doiuent-ils pas contribuer de tout
leur pouuoir, pour asseurer la vie & la liberté
d’vn Prince, dont on n’a iamais conjuré la perte
que dans l’aduis, que l’on a eu qu’il falloit
necessairement oster cette obstacle, si l’on vouloit
restablir l’authorité tyranique du Ministere ?
Quãd on resolut le siege de Paris, ne creut-on
pas auparauant se deuoir asseurer de son esprit,
& quand le Cardinal voulut jetter les fondemens
de sa grandeur, ne iugea-t’il pas qu’il ne
pouuoit esleuer sa fortune que sur sa ruine, &
qu’il ne pouuoit estre libre dans ses desseins si ce
Prince n’estoit captif ? Apres quoy l’on trouuera
à redire qu’il demãde pour son asseurance d’autres
choses que des paroles que l’on a violées, &
qu’vn Prince qui a gagné quatre batailles, &
qui a rẽdu à l’Estat des seruices si importãs, fasse
pour sa conseruation ce que de simples subjets
ont tant de fois pratiqué à l’égard de leur propre
Maistre, & par des voyes aussi bigeares, ridicules
& insensées, que les siennes sont legitimes.
La France n’a pas encore perdu la memoire,
que le feu Roy venoit tenir la pluspart de ses

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Conseils dans Ruel, parce que sa Garde
estoit suspecte à ce Ministre, qui fut assez
hardy dans le temps de sa mort pour luy
demander l’esloignement de ses plus confidens,
parce qu’ils n’auoient iamais voulu
luy accorder leurs derniere confiance, quelque
promesse qu’il leur eust faite pour corrompre
leur fidelité.

 

Ce n’est pas que ie pretende tirer aucune
consequence de cét exemple, qui doit estre
en horreur à tous les gens de bien ; ie me
contenteray seulement d’en induire, que
Monsieur le Prince ne sera point criminel,
& ne fera rien contre le deuoir de sa Naissance,
quand il stipulera des precautions raisonnables,
pour asseurer sa personne contre
la malice de ses ennemis, qui luy a desia
esté si fatale, & qui le peut estre encor d’auantage,
parce que la crainte qu’ils ont de
son ressentiment, les peut porter à le preuenir
par toutes les extremitez imaginables ;
Cela ne doit-il pas estre d’autant
mieux receu, que si nous venons à l’examen
de ceste parolle que la Reyne a donnée,
nous n’y trouuerons rien de plus fort ny de
plus precis, que celle que ce Cardinal fit seruir

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de piege à ce Prince, auquel il ne donna
en apparence tant d’auantage, que pour le
mieux seduire, & le faire enfin tomber dans
le precipice qu’il luy preparoit.

 

Ce qui paroistra encore plus necessaire, si
l’on considere que les deffiances continuant
dans la Maison Royale, l’on n’en
doit attendre qu’vne diuision funeste à toute
la France ; Ouy, Messieurs, les suites de
cette mes intelligence, ne peuuent estre autre,
que le dégast des Campagnes, l’incẽdie
des Villes & des Bourgs, le pillage des maisons,
le massacre des innocens, le violement
des vierges, la prophanation des
Temples, les Sacrileges, les rapines & les
brigandages, la violence, la confusion &
le desordre, les iniustices ausquelles la necessité
engage les deux partis ; la surcharge
des peuples, l’appauurissement des riches,
la misere des villageois, les Peres &
les Meres destituez du secours de la consolation
de leurs enfans, & qui perissent plus
cruellement, que s’ils estoient percez du
mesme fer qui leurs a rauy leur posterité ;
tant de veufues, tant d’orphelins, tant de
maisons affligées, & tant de personnes opulãtes

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reduites à l’aumosne, sous les representations
lugubres des mal-heurs, dont cette
diuision nous menace, & qui ne doiuent
pas estre particuliers à vn coing de la France ;
mais respanduës dans toutes les Prouinces
de ce Royaume, des-ja espuisé par vne
guerre estrangere de vingt années.

 

Grand Prince, permettez-moy que i’arreste
vn peu vos yeux sur ce Tableau ; Grande
Princesse, souffrez que ie vous en fasse
considerer tous les traicts ; meditez & l’vn
& l’autre, que la guerre ciuile est la peste des
mœurs, qu’elle est la source de l’atteisme &
de l’impieté, & qu’il faut que les loix soient
sans force ou regne la violence ; que l’audace
de tout entreprendre est le fruict empoisonné
de ce tronc corrompu & que quelque
digue que la paix oppose enfin à ce torrent,
elle ne peut empescher l’inondation
d’vne infinité d’impies, de brigands & de
meurtriers, qui sont tousiours les funestes
reliques de son passage ; Apresquoy, François
qui de part & d’autre iettez de l’huile
dedans ce feu qui est prest de nous consommer,
ne faut-il pas que vous soyez dans
le dernier aueuglement ? Et vous peut-on

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donner vn autre nom que celuy de parricides
de vostre propre Patrie ? Car si s’est l’ãbition
d’auoir ce que vous n’auez pas, ou de
conseruer ce que vous possedez, qui vous
inspire cét esprit de desordre, permettez
moy, vous qui auez tant d’attache & d’opiniastretez
pour vous maintenir dans l’employ,
de vous addresser cette parolle d’vne
des plus grandes lumieres de l’Eglise,
An verò ille in humanæ membra descendit, vt membra
eius essemus, & nos ne ipsa eius membra crudeli diuisione
lamentur, de Cathedris descendere formidamus ?
Et quand à vous, qui estes emportez par la
cupidité des honneurs & des charges ne
trouuez pas mauuais, que quelque suffisance
& quelque merite que vous ayez, ie m’écrie
auec cét Affricain, Locus verò superior, sine quo
Regipopulus nõpotest, vt si itateneatur, atque administratur
vt decet, tamen indecẽter appetitur. Enfin, Madame,
aggreez que ie fasse rentrer vostre Majesté
en elle-mesme, & que ie luy represente les
obligations de sa Condition, en qualité de
Reyne Chrestienne, dont la felicité comme
a dit ce mesme saint, ne consiste pas, soit
dans la durée du Commandement, soit
parce que les Princes laissent leurs enfans

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heritiers de leurs Couronnes, soit parce
qu’ils soubmettent auec facilité tout ce
qui se veut esleuer contre leurs puissances,
aussi bien leurs Citoyens, que les estrangers,
parce qu’ils considerent ces advantages
comme estans communs aussi bien aux
mauuais Princes qu’aux bons, & aux Roys
qui ne doiuent regner que sur la terre & qui
ne doiuent point auoir de part à la Couronne
de l’eternité, & que Dieu mesme
refuse quelquefois à ceux qui doiuent regner
auec luy, afin qu’ils apprennent que
toutes ces prosperitez ne sont pas les veritables
biens, ny les dons les plus precieux
de sa misericorde : Mais, Madame, nous
pourrons vous estimer veritablement heureuse,
si vous couronnez cette Regence par
l’establissement d’vn Conseil veritablement
des-interressé, si au milieu des applaudissements
de ceux qui vous loüent, &
le respect des personnes qui vous seruent,
vous demeurez dans l’humilité d’vne seruante
de Iesus-Christ ; au milieu des grandeurs
qui vous environnent, vous vous souuenez
que quelque puissance que vous possediez
a present, elle doit estre vn iour

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renfermée dedans l’espace d’vn tombeau ;
si cependant vous employez vostre authorité
pour rendre le culte que l’on doit à
Dieu sincere & veritable, & soubmettez
vostre puissance à ceste diuine Majesté ; si
vous aymez davantage ce Royaume, où
vous ne craignez point d’auoir des compagnons
& contradicteurs de vostre volonté ;
si vous pardonnez facilement ; si vous
ne vangez que les injures du public, & non
point les vostres ; si vous n’establissez point
l’impunité par vne trop grande indulgence
si vous compensez la seuerité à laquelle
ce que vous deuez au public, vous oblige
quelquefois contre vos inclinations, par vn
plus grand nombre d’actions de clemence
& de benignité : Enfin, si vous preferez le
Regne sur vos passions à celuy des peuples
que Dieu a sousmis à vostre conduitte,
& que prevenuë de ces veritez, vous
employés le pouuoir de Mere pour les enseigner
au Roy vostre fils, & que vous
luy fassiez comprendre, qu’il ne peut restablir
son authorité, que par la Paix & la Iustice.

 

Enfin, Prince, qui n’auez iamais veu les

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ennemis de cét Estat que pour seruir de
matiere à vos triomphes, ne trouuez pas
mauuais que ie finisse ce discours en vous
addressant ma voix, & que ie vous dise auec
vn Poëte de l’antiquité, Que quelque
Victoire que vous ayez remportée, vous en
pouuez encor remporter vne plus illustre
& plus glorieuse, en triomphant de vos ressentimens
& de vous mesme ; quoy que
vous ayez porté nos Armes iusques sur les
bords du Danube, & la Renommée de vostre
valeur dans toutes les parties du monde,
& que vous ayez soubmis à vostre courage
tout ce que l’Espagne auoit de plus superbe
& de plus orgueilleux ; neantmoins
nostre mauuais destin jaloux de vos prosperités
& de nostre bonheur, ayant retenu
vostre bras, ces mesmes ennemis que vous
auiez tãt de fois terrassez, ont repris de nouuelles
forces, & presentent de nouueaux
sujets de gloire à vostre generosité.
Nondum tibi de fuit hostis ; dans cette veüe vnissés
toutes vos pensées pour establir vne reconciliation
ferme & solide dans la Maison
Royale, pour remettre la confiance entre
le souuerain & le sujet, afin que l’Espagne

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perdant l’esperance de profiter de nos
diuisions, elle soit forcée de consentir à la
Paix, qui est le vœu de toute l’Europe, &
qui est le plus grand present que Dieu puisse
faire aux hõmes puisque l’eternité mesme
n’est autre chose que cette Paix. Vbierit victoriain
æterna & summa pace secura, & qui par consequent
formera mieux vostre gloire, que
toutes les Couronnes du monde, quand
elles deuroient estre le fruict de vos trauaux
& de vos conquestes. Hanc pacem requirunt laboriosa
bella, hanc adipiscitur, quæ putatur gloriosa victoria.

 

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Anonyme [1651], DISCOVRS SVR LE SVIET DES DEFIANCES DE MONSIEVR LE PRINCE, QVI L’ONT OBLIGÉ DE SE retirer à Sainct Maur. , français, latinRéférence RIM : M0_1150. Cote locale : B_6_14.