Orandre, sieur d' / Dubosc-Montandré, Claude [?] [[s. d.]], LE DEPOSITAIRE DES SECRETS DE L’ETAT, DESCOVVRANT AV PVBLIC, I. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne fait entrer dans le Conseil, que des Ministres Estrangers. II. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne veut point venir à Paris, quoy qu’elle le puisse sans aucun obstacle. III. Les raisons pour lesquelles la Paix domestique ne peut point estre concluë, sans la generalle; & pour lesquelles la Reyne ne veut point la generalle. IV. Les raisons pour lesquelles le Conseil du Roy tombe en des manquements déplorables; & qui marquent vn sens reprouué. V. Et que Paris ne peut point esperer la Paix, à moins qu’il ne la fasse luy mesme en se declarant pour les Princes. Par le Sieur D’ORANDRE. , françaisRéférence RIM : M0_1006. Cote locale : B_4_3.
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LE
DEPOSITAIRE
DES
SECRETS DE L’ETAT,
DESCOVVRANT AV PVBLIC,

I. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne fait entrer
dans le Conseil, que des Ministres Estrangers.

II. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne veut point
venir à Paris, quoy qu’elle le puisse sans aucun obstacle.

III. Les raisons pour lesquelles la Paix domestique
ne peut point estre concluë, sans la generalle ; & pour
lesquelles la Reyne ne veut point la generalle.

IV. Les raisons pour lesquelles le Conseil du Roy tombe
en des manquements déplorables ; & qui marquent
vn sens reprouué.

V. Et que Paris ne peut point esperer la Paix, à moins
qu’il ne la fasse luy mesme en se declarant pour les
Princes.

Par le Sieur D’ORANDRE.

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LE
DEPOSITAIRE
DES
SECRETS DE LESTAT,
descouurant au Public,

CHACVN juge de nos maux selon son
caprice : les Grands & les Petits ; les Doctes
& les Ignorans ; les Meschants & les
gens de bien y trouuent vne source ; pas
vn ne s’auise de la veritable. Les Politiques les font
sortir de l’ambition des Grands : Les Doctes leur donnent
pour principe l’abondance & le luxe : Le débordement
& l’impunité des crimes en sont les seules
causes dans l’opinion des gens de bien : personne
n’accuse nostre sotise, & c’est nostre sottise seule, qui
les a causez, qui les entretient : & qui les fomentera
iusques à ce que nous n’en pourrons plus.

Si quelque niais croisoit les bras, pendant que
quelque autre le bastonneroit à son aize ? Lequel des

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deux faudroit-il accuser, ou celuy qui souffriroit,
ou celuy qui feroit souffrir ? On ne fait point de tort
à celuy qui veut bien qu’on luy en fasse : L’injure
ne se mesure iamais qu’à l’idée de celuy qui l’a reçoit :
S’il la peut éuiter, dequoy se plaint il ? il ne
faut pas accuser celuy qui fait le mal ; mais celuy
qui le souffre, lors qu’il peut l’empescher : l’attaquant
croit estre en droit ; si l’attaque succombe
par faute de defense, il le iustifie & se condamne :
Il n’y a que la foiblesse & l’impuissance qui
font le procez à la tyrannie : Lors qu’on peut la destruire
on se condamne en la supportant.

 

Voyons l’Autheur de nos maux : Mais des que
nous l’aurons remarqué, fermons les yeux pour l’assommer
sans compassion : Ne craignons en l’attaquant
que nostre propre generosité : desarmons nos
passions pour le reconnoistre ; mais armons les pour
nous en deffaire : la patience n’est bonne que lors
que la necessité en fait vne vertu : Il faut sçauoir
ce que nous meritons : Si nous le meritons, il faut
sçauoir pourquoy ? Nous pouuons estre coupables,
mais il faut sçauoir si ceux qui nous chastient sont
innocens : S’ils sont plus coupables que nous,
nous sommes bien sots de permettre qu’ils soient
nos bourreaux ; le procés de nos testes est trop longtemps
sur le tapis, appellons en à nos espées, pour
le terminer : Et puis que les Loix n’ont plus de vigueur,
faisons-le decider par le fer.

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Nous ne deuons aujourd’uy de l’obeyssance qu’au
Roy, & à ceux qui peuuent l’estre : Tout ce qui est
dans le Conseil n’a qu’vne authorité bastarde, vne
authorité vsurpée, & vne authorité tirannique : Ceux
qui le composent ne sont forts, que parce que nous
manquons de courage pour les perdre : Nostre indulgence
fait leur fierté : Nous les échaufons en nous
refroidissant : Ils se préualent de nostre moderation ;
Et parce qu’ils sçauent que nous respectons les Loix,
ils s’en dispensent pour nous opprimer.

La Reyne est aussi bien sujette que nous, & plus
encor, puis qu’elle est femme : Le titre de Mere du
Roy n’est qu’vn phantosme dans les Estats : Ce n’est
pas la Mere qui fait le Roy, mais c’est le subiet : Que
le Roy ayme sa Mere tant qu’il voudra, il le peut,
pourueu qu’il ne l’aime point au prejudice du subjet,
le Roy souz ce titre n’a point de Mere : dés qu’il prend le
de Mere, il se comporte en Fils : lors qu’il prend le
tiltre de Roy, il regarde tout en subjet,

Ne nous écartons pas, qu’elle est la cause de nos
maux ? C’est nostre sottize & nostre simplicité : dequoy
sommes nous sots & simples ? de nous laisser
conduire par la Reyne, qui est subjette comme nous ;
qui ne haït que nous ; qui est femme ; qui est Espagnolle :
& qui ne peut estre en authorité, que pendant
que nous serons en foiblesse, & en pasmoison :
Pour nous redimer de la tyrãnie : nous n’auons donc
qu’à refuser de nous y soumettre, pour restablir nostre

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liberté nous n’auons qu’à dire à la Reyne qu’elle
se contente d’estre Mere sans estre Reyne de nostre
Roy : Ce premier titre luy est deu ; ce second est vsurpé :
Pauure Princesse dequoy se mesle t’elle ? sa Regence
luy doit auoir appris qu’elle n’entend point la
Politique du Gouuernement : qu’elle se gouuerne elle
mesme : qu’elle apprenne en escoutant ceux qui ne
la flattent point, que ses passions ont tousiours esté ses
conseilleres, & que sa raison n’a iamais prononcé des
arrests d’Estat.

 

Lors que Philippe second son grand pere, donna
le gouuernement des Païs-bas à Marguerite sa sœur,
& fille naturelle de Charles Quint, il la pria de luy
laisser toutes ses passions, & de n’emporter auec elle
que sa raison. Vn Souuerain qui veut tout ce qu’il
veut, est pire qu’vn Esclaue : Il faut qu’il apprenne de
digerer tout doucemement sa passion lors qu’il ne
la pourra point assouuir : Il faut qu’il sçache qu’il ne
peut pas tout, & que ses Suiets peuuent quelque chose :
Il faut qu’il apprenne de Louys XI. à dissimuler
quelque chose : car s’il fait profession de tout sçauoir,
il en sçaura assez pour sçauoir qu’il ne peut pas
tout : Bref, vn Souuerain est miserable, s’il n’est Souuerain
de toutes ses passions.

La Reyne deuroit donc apprendre de s’en rendre
la maistresse ; elle qui a tousiours protesté d’en estre la
subiette : A quoy bon la flatter : Peut-elle esperer son
bon-heur que du triomphe de ses passions ? Elle veut

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se venger de Paris ? Ah que cette passion est puissante !
qu’elle est cruelle ! qu’elle est tyrannique ! qu’elle
est extrauagante ! Pauure Princesse, auec dix ou douze
mille soudars elle veut se venger d’vne ville qui
peut mettre sur pied du soir au lendemain trois à quatre
cens mille combattans : Si nous le voulons elle
nous fera bien patir : mais si nous luy monstrons les
dents, nous luy ferons bien ronger son frein : Nous
luy apprendrons que nous sçauons estre bons Suiets,
mais que nous ne reconnoissons pas de grand Seigneur
ny de grande Dame.

 

Elle veut restablir son Mazarin, & toute la France
ne le veut pas : Il faut donc qu’elle nous attache tous
au carquan : il faut donc que nous soyons ladres &
insensibles : car si nous ne le voulons pas, dequoy luy
seruira t’il de le vouloir ? Elle a beau faire parler vn
Roy Majeur, elle le fait parler en Mineur : Puis qu’elle
luy fait dire ce que nous ne voulons pas escouter :
Vn Roy quelque grand qu’il soit, ne peut iamais
vouloir ce que tous ses Suiets ne veulent point, toute
la France ne veut point le Mazarin ; le Roy ne le veut
donc point ; ou s’il le veut, il faut qu’il commence à
connoistre, qu’il ne peut pas tout ce qu’il peut vouloir.

Concluons donc, & ne nous faschons pas si nous
endurons : nos maux ne sont pas plus grands que nostre
patience, nous ne souffrons que ce que nous permettons
qu’on nous fasse souffrir : Si nous nous lassons

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d’estre tourmentez, lassons-nous de supporter le pouuoir
entre les mains de nos bourreaux : Entendons-nous
bien, quittons l’interest particulier, ne nous attachons
qu’au public, & nous des armerons tous nos
ennemis, & nous destruirons tous nos tyranneaux,
& nous establirons l’authorité Royale : Entrons dans
les secrets de l’Estat ?

 

I. On dit que la Reyne ne fait entrer dans le Conseil
& dans le maniement des affaires d’Estat que des
Ministres estrangers, des Sauoyards, des Anglois,
des Siciliens, des Italiens, des Espagnols. Il y a du
mystere dans cette conduite, il y a du dessein, il y a
lieu dequoy fonder vne iuste deffiance de quelque
mauuaise intention ; taschons de la descouurir par le
raisonnement.

Si la Reyne auoit de bonnes intentions pour l’Estat,
elle ne laisseroit gouuerner l’Estat que par ceux
qui sont interessez d’en procurer les progrés : Quand
la France perira le Prince Thomas n’en sera pas moindre :
Germain, Montaigu, & Ondedei ne perdront
rien. Si c’estoient des François qui en eussent
le maniement en main, l’interest particulier les feroit
veiller pour le public, ils considereroient leur salut
dans celuy de toute la France.

Si la Reyne n’a pas aucune mauuaise intention
dans ce choix de Ministres estrangers : On a pour le
moins suiet de s’en deffier. Mais enfonçons plus auant
pour fauoriser ce soupçon, ne nous arrestons

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pas à l’escorce : Voyons ce que c’est, & parlons sans
flaterie.

 

La Reyne n’est trauaillée que de deux passions qui
la maistrisent souuerainement ; du dessein de restablir
son Mazarin dans sa premiere authorité, & du
desir de se venger à quelque prix que ce soit de la
ville de Paris : Ces deux passions ne sont que trop
visibles à ceux qui veulent seulement ouurir les y eux
pour les regarder.

Pour faire triompher ces passions de toutes les
resistances qui leur seront opposées, il faut que le
Roy les espouse, il faut que le Roy les porte, il
faut que le Roy le fauorise : Il faut donc luy faire
conceuoir qu’il est de son authorité de soustenir
la cheute du Mazarin, & de ne laisser pas dans
l’impunité les affronts pretendus que les Parisiens luy
ont faits.

Ces deux passions sont visiblement contraires au
bien de l’Estat, l’vne & l’autre choque nos Loix :
Vn bon François ne seroit iamais assez lasche pour
s’y rendre complaisant, les interests publics &
particuliers le feroient opposer à leur execution :
Et comme il n’est pas moins necessaire de conseruer
Paris que de perdre le Mazarin, il ne seroit
iamais de Ministre François, qui ne fust assez genereux
pour le luy conseiller.

Cette reflexion oblige la Reyne de ne permettre
les approches de sa Maiesté qu’à des Estrangers

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& à des inconnus, lesquels ne pouuant esperer
aucun establissement que de leur complaisance
pour toute sorte d’iniustice, ne manqueront
point d’insinuer à sa Maiesté tout ce qu’ils iugeront
conforme à la passion de la Reyne, & de
surprendre la simplicité de ce ieune Prince auec
tous les artifices dont ils pourront s’aduiser, pour
en faire comme vn instrument de toutes leurs brutalitez.

 

Ie dis bien encor dauantage, qu’outre cette
complaisance que ces Ministres Estrangers sont obligez
d’auoir pour toutes les inclinations de la
Reyne, il est encor de leurs interests particuliers
que le Mazarin soit restably, & que Paris soit plus
foible ou plus souple.

Si le Mazarin est restably, tous les Estrangers
sont en estat de pouuoir esperer quelque establissement
par sa faueur : Parce qu’il ne faut point
douter qu’il sera luy-mesme rauy de ne porter pas
tout seul la qualité d’Estranger parmy les Ministres
qui auront quelque part dans le gouuernement de
l’Estat. On attaque plus hardiment vn Estranger
quand il est seul : quand ils sont plusieurs, on craint
leur intelligence & leur vnion, ils peuuent faire
vne plus forte caballe, & former vn plus puissant
party ? & par cette raison il est plus difficile de les
perdre.

Si le Mazarin est destruit, le Prince Thomas, Germain,

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Montaigu, Igbi, Ondedei, Broglio n’ont qu’à
tirer leurs chausses : Ils ne sont soustenus qu’afin qu’ils
le soutiennent. On ne les a esleuez à la grandeur,
qu’afin qu’ils en soient de plus fermes appuis ; Et le
tiltre de Ministre d’Estat qu’ils portent en despit de
nos Loix, ne leur a esté donné par la Reyne, qu’à
condition qu’ils seront les instruments & les Ministres
de ses passions. Ainsi Mazarin est destruit, la
raison qui les soustient est destruitte : si le Card. Mazarin
tombe, ils sont accablez souz sa ruyne : Iugez
donc de ce qu’ils feront pour fomenter la creance
de la necessité de son restablissement dans l’esprit
du Roy.

 

S’il est important à ces Ministres Estrangers, de
porter les interests du Mazarin dans l’esprit du Roy,
il leur est encor plus important de luy faire conceuoir
la necessité pretenduë de perdre, ou de bien affoiblir
Paris. Les raisons en sont à l’espreuue.

L’experience a fait voir de tout temps, que Paris
seul en France estoit capable d’estre le frein & la bride
de la tyrannie. Mazarin estoit inesbranlable, si
Paris ne l’eut attaqué : Le Duc de Veymard l’ayant
parcouru, respondit au feu Roy, que Paris estoit
beau, mais qu’il estoit de sa Politique d’en perdre la
moitié pour en conseruer l’autre : Si Lovis XIII.
eust eu le repart prompt, il eust fermé la bouche à
ce petit Tyranneau, en luy disant, qu’il conserueroit
bien Paris tout entier, parce qu’il y regneroit en
Pere, & en Roy, & non pas en Tyran.

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La grandeur du Mazarin n’a esté esbranlée, que
parce qu’elle estoit insolente & tyrannique : Paris
s’est amassé pour le perdre plus heureusement : Il a
heurté sa puissance lors qu’elle ne luy a point semblé
raisonnable, il s’est opposé à son restablissement,
parce qu’il n’a point eu raison d’en esperer aucune reforme ;
Quiconque suiura les maximes de son gouuernement,
peut s’asseurer que Paris & luy ne compatiront
point.

Il resulte de-là, vne necessité qui est incompatible
auec l’arrogance du Ministre, & de ses Emissaires, il
faut que ce Ministre contracte auec Paris, qu’il n’entreprendra
que ce que les Loix luy permettront, autrement
il faut qu’il se resolue d’en venir aux mains,
& de succomber s’il n’est le plus fort.

Le Ministre, comme nous ne sçauons que trop,
ne prend point de Loy que de son caprice, il ne veut
point que ses volontez soient reglées, il pretend estre
au dessus des Loix. Paris est d’vn sentiment contraire,
nous auons veu les effets de l’vn & de l’autre, le
déreglement du Ministre a paru dans la conduitte,
éu Card. Mazarin : Les forces de Paris ont esté reconnuës
par son renuersement, que le Roy mesme
ne peut soustenir auiourd’huy : Les deux experiences
nous font voir, qu’il faut absolument, ou que
Paris soit affoibly pour estre reduit à l’impuissance
de pouuoir trauerser les desseins du Ministre ; ou que
le Ministre se modere, pour n’estre point en estat d’aprehender
la grandeur de Paris.

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Que faut il donc iuger de ces Ministres Estrangers ?
Sont ils capables d’inspirer au Roy que des
sentimens contraires à la conseruation de Paris ?
Manquerõt ils de se rendre complaisans à cette Passion
de la Reyne, puis qu’en la vengeant de Paris
ils se mettront en estat de n’aprehender point le
pouuoir de cette grande Ville, qui ne compatiroit
iamais auec l’exercice de leur authorité. N’ont ils
pas toute sorte de raison d’aprehender que Paris ne
les pourroit point souffrir ; & que cette qualité d’Estrangers
les luy feroit tousiours regarder auec quelque
sorte d’auersion, pendant laquelle il les feroit
tomber au premier faux pas. Et par consequent
n’est ce pas auec grand subjet que la Reyne continuë
à s’emparer de sa Majesté par le Ministere de ceux
qui ne peuuent manquer de trouuer leurs aduantages
dans l’assouuissement des deux passions qui la
maistrisent.

La belle Comedie : Mais le mal est, que Paris y
fait le personnage du Fat : Paris se diuise pour donner
plus d’ouuerture à sa perte : Il se les vnit pour dõner
aduantage à ses ennemis, en s’afoiblissant : Il a des
enfans qui se separent de ses interests, parce qu’ils se
laissent tromper par les allechemens de ceux qui ne
les flatent que pour les tyranniser plus cruellement :
Ne te laisse plus amuser pauure Paris ? Regarde ton
joug auec honte, puis qu’il ne t’est imposé que par

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des estrangers, qui ne peuuent estre renforcez que de
ra foiblesse, qui ne peuuent s’enrichir que de tes despouïlles
& qui ne seront iamais contens, que lors
qu’ils t’aurõt mis en estat de n’estre point apprehẽdé.
Faut-il que tu puisses renuerser la tyrannie estrangere,
& que tu la soustiennes ? Faut il que tu te puisses
redimer de la persecution, & que tu en fomentes les
Autheurs ? Faut il que tu puisses empescher la desolation
de tout ton voisinage, & que cependant tu
la fauorises par ton indulgence ? Sçache que la Reyne
ne t’ayme point ? Sçache qu’elle ne peut se reconcilier
auec toy qu’apres t’auoir mortellement affoibly ?
Sçache qu’elle n’ayme aucun de tes enfans que
pour se de faire par leur entremise de ceux qu’elle
haït & pour punir puis apres ceux là par la honte de
leur seruitude ?

 

Ouure les yeux à ce que toutes les appaaences
du monde te tendent si sensible : Ne traicte plus de
terreur panique, ce que la raison te fait trop iustement
apprehender : estend tes bras pour embrasser
ton Roy, mais serre les pour en estouffer tes ennemis !
Proye le genouïl deuant ton Maistre ; leue le pied deuant
tes tyrans : A dore la Majesté, mais ne prostituë
pas tes hommages à la tyrannie ? Reconnois les puissances
qui sont legitimes, ton Roy & les Princes de
son Sang ; mesconnois les Estrangeres, & les Bastardes :
Releue la gloire de ton seruage, par la gloire de

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celuy qui te captiuera.

 

II. Si la Reyne n’a pas de mauuais desseins contre
toy, pourquoy te rauit elle ton Souuerain ? Qui l’oblige
de te priuer de sa chere presence pour en honorer
les bicoques de ton voisinage, & pour en faire
par les courses d’vne Majesté errante le comette de
ces mal heurs ? Les Princes ne t’ont tesmoigné que
trop qu’ils ne demãdoient qu’vn oubly du passé pour
se soûmettre : Cours Souueraines n’ont iamais perdu
le respect qu’ils ont inuiolablement conserué pour
la sacrée personne de sa Majesté : Ton Clergé s’est allé
ietter à ses pieds pour le r’appeller par ses supplications :
A quoy tient il cepẽdant qu’il ne reuienne pas.

Faut il que tu luy esgorges l’Eslite de tes enfans, &
que tu les sacrifiez à ta passion ? Faut il que tu portes
le massacre sur les fleurs de Lys pour y moissonner les
testes des plus hardis Senateurs qui se sont opposez
à la tyrannie de son fauory ? Faut il que tu fasses briller le
couteau sanglant. pour le faire rougir dans le
sang de ceux qu’elle te nommera iusqu’à ce qu’elle
se soit pleinement assouuie : c’est bien cela, mais ce
n’est pas encore tout.

La Reyne ne veut point reuenir à Paris, parce
qu’elle y veut reuenir en Maistresse ; parce qu’elle
n’en pourroit peut estre pas sortir quand bon luy
sembleroit ; parce que les Ministres de sa faction n’y
seroient pas tolerés : Et parce que le Mazarin n’auroit

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plus aucune resource à son restablissement : Voyla
bien des raisons : Mais ie suis bien asseuré que les sensez
n’en improuueront pas vne.

 

Il luy fasche de reuenir sans le Mazarin, apres s’estre
si hautement declarée pour sa protection &
pour son restablissement : Ce dementir de ne l’auoit
pint peu luy est insuportable : Elle est mortellement
outre des grandes oppositions qu’on a formé à son
iniustice ; Elle n’est sortie de Paris qu’à dessein de restablir
ce sien fauory : Elle la fait rentrer à main armée
dans l’Estat : la force la obligé de le faire resortir :
de reuenir sans l’auoir i’appellé, cela le peut il ?
Ceux qui connoissent le Genie de la femme & de
l’Espagnolle, diront auec moy, que nous n’aurons
iamais la Reyne, que lors que la Reyne desesperera de
r’auoir son Mazarin. Encor cela n’arriuera t’il que
lors que nous nous serons lassez de demander le Roy ;
pour nous en faire iouïr sans aucun plaisir.

Si le Roy reuenoit maintenant : Aurions nous
bien assez de patience pour tolerer les Ministres, que
la Reyne a esleué sans la participation de nos Princes
du Sang ? Pourrions nous bien nous voir gouuernez
par des Sauoyards par des Anglois & par des Italiens :
ce desplaisir de voir nos Sages frustrés de la possession
du rang que leur vertu leur a meritez, ne nous porteroit
il pas à quelqué nouueau remuëment pour esbranler
la grandeur de ces inconnus.

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La Reine aprehende trop ce que la resistance
que nous oposons à ses volontez luy fait preiuger ;
& cette consideration iointe à l’asseurance qu’elle
a que la sortie du Roy ne seroit plus à sa disposition,
ne luy permettra iamais de nous reuoir, que lors
qu’elle verra que son retour nous est indiferent :
Mais le moyen d’estre à Paris & de parler du restablissement
de Mazarin, car enfin personne ne doute
que ce ne soit l’objet de toutes ; les affections de son
cœur : Si la Reine vient à Paris auant le retour de
son Mazarin, elle n’a qu’à desesperer pour iamais de
son restablissement : Auroit elle bien le front de
parler pour celuy dont l’absence seule seroit la cause
du repos de l’Estat ? Ne seroit elle pas siflée par les
Estats dés la premiere proposition qu’elle en feroit :
Seroit ils de François assez lasches pour entrer
dans vne cabale qu’ils ne pourroient fomenter qu’en
trauersant le repos de leur Patrie ?

Ces reflections sont assez connoistre le veritable
motif qui retarde le retour du Roy : Si tout Paris
auoit esté foireux peut estre que les torchecus du
Palais Royal auroient reussi ; & qu’vne rebellion
publique eut trouué moyen de faire r’entrer la Reine
en triomphe ? Mais le mal est que cette derniere
tentatiue de son party a mal heureusement auorté ;
& que la honte d’y auoir reüssi auec si peu de gloire,
sera peut estre encor pour reculer, la necessité presente
que la Reine auroit de venir promptement à
Paris.

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Il en est neantmoins qui sont encor si sots que
de l’esperer : Ils s’imaginent que, parce qu elle fait
semblant d’y vouloir r’entrer, elle n’atend que les
dispositions fauorables pour l’execution de ce dessein :
Mais tu ne vois pas pauure Parisien, que la
Reine craint de te rebuter, si elle recule de se rendre
complaisante à la passion que tu as de reuoir ton
Souuerain : Il faut qu’elle te paye d’apparence, puis
que tu t’en repais : Il faut qu’elle redonne tousiours
sujet d’esperer le bien que tu attens, de peur que
ton armement ne la mette point en estat de ne le
pouuoir point diferer.

Elle n’aura iamais garde de rebuter les supplications,
parce qu’elle sera tousiours en estat de t’amuser
de belles esperances, pendant que tu seras en estat
de t’y laisser surprendre par ta simplicité : Elle regardera
les larmes auec vne feinte compassion : Elle
te proposera tousiours des obstacles pour le bien
que tu poursuis : apres que tu auras osté les premiers
elle t’en fera naistre des seconds, & la source en sera
tousiours intarissable iusqu’à ce qu’elle ait obtenu
ce qu’elle poursuit. Ne te flate point tu n’en obtiendras
que ce que on luy rauira des [1 mot ill.] Elle ne
te donnera que les faueurs que tu luy [1 mot ill.] &
si tu ne luy monstres les dents, tu verras qu’elle te
promettra tousiours, & qu’elle ne te tiendra iamais.

III. N’est-ce pas par vne mesme intrigue qu’elle

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t’a tousiours fait esperer la paix ? Ses emissaires ont
ils obmis de moyen pour te persuader qu’elle y estoit
entierement disposée, & qu’elle ne souhaitoit rien
tant que le bon-heur de te voir dans la possession
d’vne parfaite tranquillité ? Mais a t’il iamais paru
d’effet qui ne fut contraire à toutes ces belles apparences :
Et si tu veux iuger sans aucune preoccupation,
peux tu bien asseurer qu’elle t’ait iamais donné
sujet de receuoir cette creance auec aucune sincerité.

 

Repasse bien attentiuement par tout le passé, depuis
la naissance de ces desordres iusques auiourd’huy :
tu verras que la Reine n’a parlé de paix que
lors que le party des Princes preualoit par dessus le
sien, & qu’elle a tousiours fait retentir les menaces
d’vne obeïssance aueugle, lors que les auantages
qu’elle pretendoit auoir sur l’autre party, luy faisoit
oublier sa premiere, quoy que feinte moderation :
Cette insolente Lettre qu’elle fut dernierement escrite
a son A. R. ne marque que trop, qu’elle pretend
faire triompher toutes ses passions par la force ; &
parce que son party sembloit estre pour lors en vne
meilleure posture que celuy des Princes, elle parloit
auec ces termes aussi extrauagans qu’auantageux
pour faire respecter son authorité. Elle a calé voile
dés qu’elle a veu le siege fatal de son armée, & la
veille de sa perte ou de sa deroute : Elle n’a plus parlé
que de donner la carte blanche à Messieurs les Princes

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pour les obliger de condescendre à vn accommodement
qui luy fut aduantageux : Elle a pressé les
deputations pour cét effet : elle à fait retentir hautement
que S. M ne desiroit rien tant que le restablissement
de la tranquillité publique : Elle a intrigué
le Clergé, les six Corps des Marchands pour faire
voir que la Paix ne tenoit plus à rien, quoy que c’est
la seule chose qu’elle craigne & qu’elle veut empescher :
Quel estoit cependant son dessein ? tu crois
que c’est celuy de la Paix, pauure Parisien : iugeons-en
sans passion.

 

Pendant qu’on parle de la Paix, elle iette sous main
de nouuelles semances de guerre : Elle calme d’vne
main nos troubles, de l’autre elle les irrite : Et lors
que nous croyons estre à la veille de nous rambrasser
par vn heureux accommodement ; elle fait former
de caballes dans Paris pour nous entregorger. Elle
ouure son Palais Royal à certains seditieux ; Elle fait
afficher de placards Publics authorisez contre toutes
les Loix, du nom de sa Maiesté, pour donner
main leuée à l’insolence, & faire esperer vne impunité
aux crimes des boutefeux : quelle fourbe est cecy :
la Reine veut la reünion, & cependant elle fait
semer la peine de discorde : Elle veut la Paix, & cependant
elle fait allumer vne nouuelle guerre : Elle
enuoye des entremeteurs pour accorder les diferents
de l’Estat, & cependant elle suscite sous main des seditieux
pour les broüiller.

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Qu est-ce donc qu’elle pretend Il ne faut pas
estre trop oculé pour le connoistre : Elle pretend
parler de Paix pour faire voir aux peuples que c’est
ce qu’elle desire : Elle pretend parler de Paix, parce
qu’elle ne peut plus continuer ouuertement la guerre :
Elle pretend parler de Paix, pour tascher de trouuer
quelque resource pendant ce pourpaler, au malheur
du Mareschal de Thurenne ; Elle pretende parler
de Paix, pour desgouter les peuples de la continuation
de la guerre, en leur donnant par esperance vn
petit auangout d’vn accommodement : Elle pretend
parler de Paix, pour voir s’il y aura moyen de fourber
les Princes, & pour tascher pendant cét amusement
de leur soustraire l’affection des peuples, en
leur faisant croire par les subtilitez qu’il n’a tenü
qu’à eux de proceder serieusement à la conclusion
d’vn parfait & solide traitté ? [1 mot ill.] elle n’a point
de plus fort dessein que celuy de ne cõsentir iamais à
la conclusion de cette Paix. En voicy le raisonnemẽt.

Si la Reine consentoit à la conclusion d’vn traitté
de Paix pendant l’absence du C. Mazarin, elle condamneroit
ce sien fauory, & iustifieroit les Princes
dans la creance de tout le monde : Elle se priueroit
de la plus forte batterie qu’elle a contre leur armement,
en faisant voit que le C. Mazarin n’en auroit
point esté le pretexte, puis que dés qu’il auroit esté
esloigné, l’accommodement auroit esté conclu. Les
moins ocules ne douteroient plus que sa seule presence

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ou la seule apprehension de son retour n’ait
esté les causes de nos troubles, puis qu’incontinent
apres son esloignement on auroit parlé de
Paix : & par cette creance qu’elle feroit receuoir
generalement de tous ses peuples, elle seroit en
estat de ne pouuoir iamais parler de son Mazarin,
qu’auec le danger manifeste d’encourir la haine &
l’indignation publique.

 

Ainsi ne nous flatons pas d’vne esperance do
Paix pendant l’absence du Mazarin, à moins que
nous ne forcions la Reine de nous la donner. Regardons
lâ comme vn bien imaginaire, qui n’aura
iamais d’existence que dans nos de sirs, pendant
que la Reine aura assez de force pour nous en frustrer.
Il est vray qu’elle en parlera tousiours, &
qu’elle en fera tousiours parler. Mais il est encor
plus vray, comme nous n’en pouuons plus douter
apres l’experience que nous en auons eu, qu’elle
ne manquera iamais d’y faire naistre des empeschemens
qui la rendront impossible, à moins
qu’on ne consente au restablissemẽt de son fauory.

Elle a trop d’interest de faire voir pendant l’absence
du Mazarin, que sa presence n’estoit ny l’empeschement
de la Paix, ny la cause de la guerre :
Elle fera voir que cét esloignement qu’on a
poursuiuy auec tant de vigueur est vn moyen infecond
pour nous donne la Paix, afin de faire
esclater cependant, par les suggestions, & par les

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soufles de ses emissaires, que la faueur du Mazarin
n’estoit que le pretexte dont les Princes desguisoit
leur plus veritable dessein : mais qu’en effet leur
mescontentement tendoit à quelque autre fin qui
nous sera peut estre connuë dans la suitte des tẽps.

 

Sur les principes de cette detestable Politique,
elle bastira les empeschemens de la Paix, pendant
qu’en apparence, elle donnera toutes les marques
possibles pour tesmoigner qu elle la desire : Elle
nous fera regarder le bien qu’elle nous esloignera
tousiours : Elle nous le monstrera pour nous en
charmer ; elle fera semblant d’ouurir les mains &
le cœur, pour nous asseurer qu’il ne tiendra pas à
elle que nous n’en soyons les possesseurs : En effet
elle reculera tousiours, elle ne fera iamais deux pas
en auant, que pour en faire quatre en arriere ; elle
y trouuera tousiours des empeschemens qui nous
en rendront la iouyssance impossible : Ainsi i’asseure
tous les amateurs de la Paix qu’ils n’en seront
iamais les possesseurs pendant l’absence du Mazarin,
à moins qu’ils ne conspirent vnanimement
pour l’arracher des mains de la Reine, ou pour luy
en faire lascher la prise malgré ses resistances.

Mais quels seront ces empeschemens dont la
Reine s’auisera pour rendre la Paix impossible,
pendant que tout le monde la iugera necessaire,
& qu’elle semblera manquer de pretexte pour ne
la point conclure. L’intrigue est assez second en

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ruses. La politique du temps qui n’est à proprement
parler qu’vn desreglement de prudence, ne
manquera pas de souplesses, pour faire iuger aux
simples que les obstacles qu’elle formera à la Paix,
seront du moins en quelque façon plausibles.

 

Ne peut-elle pas restablir les Princes, & ceux qui
se sont engagez dans leur party, dans tous leurs
premiers aduantages ? Ne peut elle pas les rembourser
par traitté de toutes les despenses qu’ils
ont fait pour fournir aux necessitez de la guerre ?
Ne peut-elle point donner à quelques-vns de leurs
Partisans des bastons de Mareschaux & des breuets
de Duc & Pair de France ? Ne peut elle pas accorder
que les autres entreront dans la participation
du Ministere, & dans le maniement des affaires
d’Estat.

N’est il pas vray, qu’il semble, que les princes
n’ont rien plus à souhaiter, que la Reine leur en
donne de reste, & que s’il ne concluent à la paix
apres ces aduantages, ils sont insatiables : N’est il
pas vray que les amples ne voyent rien plus à demander,
que toute leur politique est espuisée par
cette belle apparence, & que dans leur creance il
ne reste rien à souhaiter à Messieurs les princes que
le Trône & la Couronne. Cependant la Reine qui
leur fera donner tout cela, ne leur donnera rien,
parce qu’elle ne leur donnera point de seureté, &
qu’en leur refusant cela elle leur fera iustement
douter de la sincerité du reste.

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Que faut il donc pour asseurer les Princes ? Il ne
suffit point d’auoir esloigné le Mazarin, il faut esloigner
les Mazarins : il faut que le Roy s’en retourne
à Paris ; Il faut qu’il y conuoque au plustost
les Estats Generaux ; Il faut qu’il fasse la Paix
Generalle ; ces conditions sont elles contraires au
repos des peuples ? La France est elle interessée
pour s’oposer auec la Reyne à cette genereuse ambition
de Messieurs les Princes ; Helas ! c’est ce que
tout le monde souhaite : la Paix particuliere, quelques
precautions qu’on y apporte ne sçauroit estre
de durée : si nous l’auons sans la generalle ; les simples
en iouïront pendant qu’ils ne la verront point
troublée : les Sages n’en iouïront point, parce qu’ils
serõt tousiours dãs l’apprehension de la voir rõpuë.

A quoy tient il donc, que toutes ces belles conditions
qui sont si generallement souhaittées, ne
soient neantmoins point receuës pour la conclusion
d’vn bon traicté de Paix ? A quoy tient il, à la
Reyne & à ceux qui l’approchẽt : quoy nous croyõs
bien que la Reyne soit iamais capable de demordre
de la protection des Mazarins ? Des abusons nous,
elle n’a abandonné le Mazarin qu à dessein de le rauoir :
elle ne protege les Mazarins, qu’à dessein de
se seruir de leur entremise pour r’appeller leur
Maistre : il faut attendre cette faueur de sa part, lors
qu’vne extreme foiblesse là luy fera tomber des
mains ; encor n’en laschera elle la prise qu’à dessein
de nous trauerser dans la possession du bon heur

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qu’elle nous causera.

 

Pour le retour du Roy à Paris, ne l’esperons que
lors que la Reyne ne sera point en estat de le pouuoir
empescher, ou que ce nouueau party de Torchecus
aura reüssi pour l’y faire r’entrer en Triomphe
sur le sang & sur le carnage de ses ennemis : la
Reyne n’est forte que parce qu’elle s’est emparée de
la personne du Roy, des quelle seroit à Paris elle
n’en seroit plus la Maistresse, les Loix de l’Estat le
luy rauiroit des mains ; & sa Majesté ne seroit pas
plustost ou elle doit estre, que tout l’estat iouïroit
du bon heur que nous ne deuons iamais autrement
esperer.

Les Estats Generaux seroit les escuils du Mazarinisme,
& la paix generalle destruiroit toutes
les esperances, que ces voleurs d’estat ont de se releuer
vn iour à la faueur de nos diuisions : Quand
est ce que nous pouuons donc esperer les Estats
generaux & la paix generalle ? Quand la Reyne sera
sans passion ou sans force, cela est vray comme il
est vray qu’il est vn Dieu.

Cependant tu te flates pauure Paris, d’vne esperance
imaginaire de Paix, tu prestes les oreilles à
tous les bruit agreables qu on en fait semer pour
ne te rebuter point, tu penses estre à la veille de ce
bon heur, parce que tu vois la chaleur apparente
des negotiations, & que les entremeteurs qui battent
les chemins pour cét effet, repaissent ton auidité
de cette trompeuse esperance, qu’ils taschent

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de te rendre plausible. Ah ! qu’il te seroit beaucoup
plus honorable de donner la paix que de la
receuoir, que tu pourrois rendre tes forces redoutables
en prescriuant des conditions à ceux qui n’en
proposent que de desraisonnables ; ne parle plus
que l’espée à la main, ne souffre pas qu’vne poignée
de Iocrisses te rauisse la possession d’vne Paix que tu
souhaites despuis tant d’années : Arrache ton Roy
d’entre les mains de ceux qui te l’ont rauy pour fortifier
leurs complots & leurs Monopoles : reconnois
le merite & la valeur des princes qui te soustiennent,
& sçache qu’il ne tient qu’à toy de donner,
en les secondant, la paix & le repos à l’estat & à
toute la Chrestienté.

 

IV. Si tu doutes encor de l’iniustice du party qui
tient les postes par ou l’abondance vient dans ta
Ville ; & quite veut affamer pour te sousmettre plus
seruillement, tu n’as qu à regainer toute sa cõduite,
pour conclure de tous les mauuais succes de ses entreprises,
& de l’imprudence auec laquelle elles
sont concertées, que le doit de Dieu n’est pas la, &
qu’il faut necessairement que ceux qui en sont les
arboutan & les appuis soient frappez du sens reprouué.
Examinons toute cette conduite sans aucune
passion : voyons si elle est conforme à l’honnesteté,
si les maximes en sont enpruntés de la veritable
politique ; & si comme il le faut absolumẽt elles
sont authorisées par les Loix de l’Estat.

La plus nouuelle de toutes nos Loix ; c’est la declaration

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de feu Louys XIII. par laquelle l’entrée &
la porte du gouuernemẽt estoit absolumẽt fermée
à toute sorte d’estrãgers : cette Loy est enfrainte, elle
est enfrainte à la presẽce de la capit. elle est enfreinte
pour auãtager vn party qui choque tout l’Estat.

 

La plus ancienne, la plus iuste & la plus raisonnable
de toutes nos Loix ; c’est que la ieunesse des
ieunes Majeurs ne sera point couduite iusqu’à l’âge
de 21 an que par les Princes du Sang : & qu’il n’entrera
point de politique dans le Conseil que par
leur participation. Cette Loy est enfreinte, & si
mortellement enfrainte que nous en sommes dignes
de compassion.

La plus iuste & la plus expresse de toutes nos
Loix ; c’est que le Regent quittant sa Regente, ne se
reseruera point l’exercice d’aucun pouuoir, aupres
ou dans le Conseil de sa Majesté : & c’est pour cette
seule consideration que les Roys sont declarez Majeurs ?
en vn âge, ou il sont presque aussi innocens
qu’ils ont iamais esté. Cette Loy qui n’est faite que
pour seruir de rempar à la Tyrannie, & pour conseruer
l’authorité du Roy dans son independance,
est neantmoins sans force & sans valeur : la Regẽte
à toute l’authorité en main ? Il ny a que ses creatures
qui soient dans la feueur ; bien loin d’estre plus foible,
elle est plus forte qu’elle n’estoit pendant sa
Regence : & malgré cette Loy, qui luy rauissoit tout
pouuoir, elle l’a si puissamment maintenu que l’infraction
nous en a cousté tous les troubles.

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Ne poursuiuõs pas en détail toutes nos loix : il n’en
est pas vne seule qui ne soit mortellement choquee
par l’ãbition de ce party : la premiere mesme & la fondamẽtale
de toutes les autres dãs les Estats Monarchiques,
qui veut que les paroles des Rois soient inuiolables,
est la plus mesprisee : Ces infracteurs font prometre
au Roy & ne luy fõt tenir que ce qu ils veulẽt ;
& par ce desreglement sacrilegue que les gens d’hõneur
condãnent au bastõ dans le cõmerce du mõde,
ils disposent les sujets a ne receuoir les paroles des
Rois que comme des pieges qu’ils tẽdent à leur simplicité :
les consequences en sont effroyables.

Si les loix sont les fõdements de l’hõnesteté & de la
veritable politique ; ceux qui ne respectent pas vne
loy, peuuẽt-ils se gouuerner par les principes de l’hõnesteté
& de la veritable politique : Et puis que la
Reine & tout son party font le tiers de toutes nos
loix ; peut on dire que l’honnesteté de la Politique
leur soit en aucune consideration.

Aussi voyons nous que toutes les entreprises de ce
beau party auortent à sa confusion ; que tous ses desseins
ne sont iamais suiuis que de tres sinistres succés ;
que toutes ses intrigues ne seruent qu’à faire voir
auec plus d’éclat ses mauuaises intentions : & qu’il
tombe en des manquements qui marquent ou vn
aueuglement pitoyable, ou vne insensibilité desesperee,
ou bien vn sens reprouué.

La Iournee du Fauxbourg S. Anthoine ne fit voir

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que trop manifestement, que Dieu poursuiuoit à
main armee ces infracteurs des loix ; & le dessein
qu’ils auoient de faire passer le Pere des peuples dans
Paris au trauers du sang & du carnage ; ne fut-il pas
échangé par vn reuers de la Prouidence, en vne deplorable
defaite de leurs Troupes qu’vne poignée de
trois cents braues commandez par vn Gedeon taillerent
en plate couture : Faut il parler de cette belle
equipée des Papetiers qui parut la sepmaine passee
& s’esuanoüit en mesme iour dans le Palais Royal.

 

Tu peux bien remarquer dans cette occasion, pauure
Parisien ? que la Reine ne craint & ne haït rien
tant que la Paix : tu peux prejuger de ce petit esclat
qu’elle ne veut que l’incendie de ta Ville, & qu’elle
voudroit bien porter la solitude dans l’enceinte de
tes murailles : lors qu’elle parle de te rembrasser elle
fait eguiser des couteaux pour te faire esgorger : Ouure
les yeux aux belles lumieres que le Ciel te donne
pour te faire voir l’iniustice de son party : Considere
que sa Politique estant conduite par des Estrangers,
ne peut qu’elle ne soit contraire à la candeur de ton
genie : Regarde que tous les succez ont dementy
l’aparence de ses belles intentions, & que le Ciel en
faisant honteusement auorter toutes ses entreprises,
n’a iamais voulu qu’on le crut complice de pas vne
de ses menees : Tu veux bien le Roy : tout le monde
veut ; pourquoy te le refuse t’elle ? A-t’elle sujet de
te craindre : tu n’en veux qu’à ceux qui la possedent :

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tu ne hais que ceux qui l’abusent : tu ne demandes
que l’occasion de l’honorer : A quoy tient il donc que
vous ne soyez d’accord.

 

V. Les passions qu’elle a fait éclater pour ta perte
sont les obstacles de sa reconciliation : Elle ne sçauroit
souffrir le souuenir d’vne vengeance impuissante, &
qui luy seroit plus mortellement redoublee, lors
qu’elle te verroit dans l’abõdance apres tant d’eforts
inutiles pour te ruïner : La peur de ce desplaisir l’obligera
sans doute à la continuation de la guerre ; & le
contentement qu’elle aura de te voir dans l’impatience,
ou dans l’attente d’vn bien qui dependra de
son consentement, sera cause qu’elle te fera languit
sans te le donner, que lors que tu luy arracheras des
mains.

Ainsi si tu veux la Paix ne l’attends point des entremeteurs
de la Reine, ny des negotiations qui se feront
de part & d’autre : Les Princes la veulent bien ;
mais ils la veulent asseuree, afin que tu en puisse ioüir
sans apprehension, & que tu ne sois mis en estat d’en
craindre la rupture : La Reine la veut aussi ; mais elle la
veut pour se renforcer pendant ce temps là, & pour
la rompre lors que l’occasion se presentera pour faire
triompher ses passions.

Il faut donc que tu te declares : mais pour qui ? pour
la Reine° ? le voudrois tu bien contre ceux qui peuuẽt
estre tes Souuerains ? le voudrois tu bien pour celle
qui ne t’a iamais fait que du mal & qui ne te fera iamais

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du bien. Pour les Princes ? tu ne peux iamais
auoir subiet de les craindre, parce qu’ils sont interessez
à t’aymer, ils n’abanderont que lors que tu seras
en abondance, ils ne seront en repos que lors qu’ils
te l’auront procuré : Ils ne iouyront du plaisir de leur
naissance, que lors qu’ils te verront dans la magnificence
& dans la pompe.

 

Declare toy donc : Mais declare toy de la bonne
façon. La Reine n’en aprendra pas plustost les nouuelles,
qu’elle desesperera de te pouuoir soûmetre :
La peur de se perdre l’obligera de te sauuer : & tu n’auras
la guerre, qu’autant que tu la iugeras necessaire
pour acheuer d’exterminer tous tes ennemis.

AVX LECTEVRS.

La Lacheté de certains autheurs, qui confondent
à la faueur de mes titres, leurs pieces auec les miennes,
m’a obligé de nous en donner le discernement
par le moyẽ du nom que i’ay mis à la premiere page.
I’ay esté obligé à cette precaution par les prieres de
deux hommes de merite, lesquels ayant acheté deux
ouurages qu’ils iugeoient m’apartenir à cause du titre,
& les ayant meconnus par la difference du stile,
m’ont iuspiré ce moyen de detromper ceux, qui voudront
auoit la curiosité de faire vn recueil de tous les
petits ouurages de ma façon.

FIN.

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Orandre, sieur d' / Dubosc-Montandré, Claude [?] [[s. d.]], LE DEPOSITAIRE DES SECRETS DE L’ETAT, DESCOVVRANT AV PVBLIC, I. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne fait entrer dans le Conseil, que des Ministres Estrangers. II. Les raisons pour lesquelles la Reyne ne veut point venir à Paris, quoy qu’elle le puisse sans aucun obstacle. III. Les raisons pour lesquelles la Paix domestique ne peut point estre concluë, sans la generalle; & pour lesquelles la Reyne ne veut point la generalle. IV. Les raisons pour lesquelles le Conseil du Roy tombe en des manquements déplorables; & qui marquent vn sens reprouué. V. Et que Paris ne peut point esperer la Paix, à moins qu’il ne la fasse luy mesme en se declarant pour les Princes. Par le Sieur D’ORANDRE. , françaisRéférence RIM : M0_1006. Cote locale : B_4_3.