Anonyme [1649], ADVERTISSEMENT POLITIQVE AV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_458. Cote locale : E_1_118.
Section précédent(e)

ADVERTISSEMENT
POLITIQVE
AV
ROY.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

-- 2 --

-- 3 --

ADVERTISSEMENT POLITIQVE
au Roy.

SIRE,

Bien qu’il ne soit pas permis de parler librement
aux Roys, & que la moindre parole les peut
offenser, principalement en chose qui les touche
de prez, comme est de leur remonstrer neantmoins
ayant l’ame Françoise & portée à la conseruation
de mon Prince, & à l’interest du pays
où i’ay pris naissance, ie me seruiray du priuilege
de ma Nation, c’est à dire, que ie demeureray tousiours
Franc, & viuray dans la liberté d’agir & de
dire, pourueu que ce ne soit pas mal à propos &
sans consideration. Il me semble qu’il n’y a rien de
plus honeste à vn Citoyen, que de rechercher auec
passion que le bon gouuernement de l’Estat ne
soit point troublé, & que le chef s’accorde tousiours
auec le reste du corps ; car si le Prince veut
estre d’vne humeur qui ne soit pas propre à commander
sur ses peuples, ou que les Suiets ne veulent
pas aisement obeyr au Prince, il faut croire,
que tout le Royaume se démembrera, & qu’il ne
s’y trouuera pas vne partie qui demeure entiere.
Ce grand Empire des Romains nous en peut seruir
de tesmoin, car cependant que ses prouinces

-- 4 --

ont esté vnies, & que ceux qui luy commandoient
ont esté d’accord auec que les peuples, il
a tousiours esté inuincible ; De sorte que l’on
auoit comme Prophetisé que sa ruïne ne pouuoit
iamais arriuer que par vne guerre ciuile. Mais ce
qui peut aisément maintenir vne bonne intelligence
dans l’estenduë d’vne Republique, c’est la
Clemence & la bonté de son Souuerain, Clemence
qui porte auec soy l’apas le plus doux &
le plus charmant de toutes les autres vertus. Auguste
voulant vanger la mort de Iules. Cesar qui
l’auoit heureusement adopté, prist occasion de
prendre les armes, & sous vn iuste pretexte de
punir les assassins de son bien faicteur, porta son
dessein plus auant, & se rendit absolu dans tout le
pays, ou pour mieux dire, se mit en possession de
toute la terre. Il sembloit par cette action commencer
vne tyrannie, en vsurpant par la force de
ses armes, vn pays qui auoit fait gloire de se
maintenir tousiours dans la liberté, & par ce
moyen il s’estoit acquis la mal veillance de presque
tous les Citoyens. Mais lors qu’il vint à pardonner
à tous ceux qui auoient fait contre luy,
ce fut à cette heure-là qu’il rauit les cœurs, &
qu’il se les acquit fortement : Aussi rendit il par
cette bonté son Empire dans vn si haut point
qu’il regna plus de cinquante ans apres auoir
donné la paix à toute la terre, dont-il ioüissoit
paisiblement durant ce temps-là. D’autres Empereurs
qui l’ont suiuy puis apres se sont rendus redoutables

-- 5 --

& bien aymez tout ensemble, par cette
maxime, comme celuy qui disoit, qu’il estimoit
auoir perdu le iour tout entier, alors qu’il n’auoit
point fait du bien à personne ; son fils ne luy ceda
pas non plus en clemence, ny le bon Trajan qui
craignoit d’offencer son peuple, & dont les bonnes
actions font douter à quelques-vns auiourd’huy,
qu’il ait esté racheté de l’Enfer par les
prieres d’vn Saint. Charle-magne, S. Louys &
beaucoup d’autres encore ont suiuy le mesme
sentier, & ont parce moyen reüssi dans tous leurs
affaires, se maintenans heureusement en leurs dignitez.
Mais, Sire, à quoy chercher tant d’exemples
si vieux & si éloignez, puis que nous les pouuons
rencontrer dans ceux mesmes de qui vous
auez pris la naissance. Henry le Grand, vostre
ayeul, dont les benedictions continuent tousiours
dans nos bouches, & y demeureront eternellement,
vous seruira de miroir pour vous y
regarder tous les iours, & apres luy Louys le Iuste,
vostre pere d’heureuse memoire n’en fera pas
moins, & vous seruira de motif assez fort & assez
puissant pour imiter sa bonté. Ie ne racontreray
point icy de l’vn ny de l’autre) cent mille beaux
exemples qu’ils vous ont laissé, ie me contenteray
d’en rapporter vn seul de chacun, parce qu’ils
sont les plus remarquables d’entre ceux qu’ils
ont exercez. Le premier donc voulant arriuer à
la Couronne qui luy estoit deuë par la mort de
son successeur, qui l’auoit luy mesme auoüé, il

-- 6 --

trouua la resistance des peuples, qui le reconnoissoient
veritablement pour legitime heritier,
mais qui ne le vouloient point receuoir par maxime
de Religion ; Ce Prince fit tant par sa force
& par sa valeur, y ioignant encore l’humilité de
son ame, qui fut plus forte que son bras, & se sousmettant
à la volonté de l’Eglise Romaine, laquelle
il embrassa courageusement, qu’il mit ses ennemis
à confusion, & ne trouuerent puis apres
aucune raison de luy refuser sa demande. Paris,
comme la principale de tout le Royaume, se vid
reduite aux abbois, & forcée par les armes, & par
la necessité qu’elle auoit soufferte, se resolut de ne
plus differer de le reconnoistre, puis que le pretexte
de Religion ne se trouuoit plus en ce Prince.
Elle luy rend donc les clefs volontairement, & ne
faisant point auec luy d’autre composition que
celle de sa bonne volonté, elle luy ouurit ses portes
toute craintiue & toute tremblante, ne sçachant
de quelle façon il auoit resolu de la traitter
par sa rebellion & pour son audace. Elle ne faisoit
donc que tendre le dos, toute preste de se voir accablée
des iustes punitions qu’il pouuoit exercer
sur elle. Mais ce fut bien au contraire, car ce bon
Roy voyant leur sousmission, & se trouuant satisfait
de leur volonté, fut si content de leur pardonner,
qu’il estoit difficile à connoistre, si le vainqueur
remettoit la faute auec plus de liberalité,
ou si le vaincu se trouuoit plus obligé a ses bontez
& à sa clemence. De sorte que cette grande

-- 7 --

Ville ne ressentit autre chose que du contentement
& de la ioye à l’arriuée de ce Prince, qui l’aima
tellement depuis, qu’il en fit vn Paradis de
delices. Louys XIII. vostre pere, qui ne luy cedoit
point en douceur & en clemence, & qui s’estoit
de plus acquis le titre de Iuste, voulant reprimer
l’insolence de ceux de la Religion Pretenduë,
qui s’estoient fortifiez contre luy dans les
villes de Languedoc, de la Guyenne & ailleurs,
fut contraint luy mesme de venir assieger la Rochelle
comme estant le Chef des villes rebelles, &
enfermant en soy les clefs de toutes ces autres Citez.
Cette place donna tant de peine à ce grand
Monarque, qui s’estoit desia rendu victorieux par
beaucoup d’autres entreprises, qu’il auoit finies à
son aduantage, que s’il n’eust esté secouru par vn
miracle extraordinaire, comme le succez le fit
voir aisement puis apres, la digue se rompant dés
le lendemain qu’il fut entré dans la ville, ce qui
eut veritablement donné moyen aux Anglois de
la secourir) il ne l’eut asseurement iamais prise,
qu’auec vne grande perte. Neantmoins quand
elle fut reduite aux abbois, & qu’elle fut entre les
mains de ce Grand vainqueur, il eut tant de pitié
d’elle, qu’il ne luy rendit pas seulement tous ses
priuileges, en luy continuant ses franchises, mais
encore il eut le soin de ceux qui luy estoient demeurez
apres vne grande famine qui auoit tout
exterminé dans ses murs, le reste paroissant comdes
spectres horribles qui faisoient peur en les regardant ?

-- 8 --

Quels exemples, Sire, pouuez vous tirer
de ces deux grand Roys, qui touchent à vostre
Maiesté de si prés, sinon de continuer la clemence
que vous auez commencé de faire parroistre
sur nous dans vos plus tendres années, par le Ministere
de cette grande Reyne qui vous engendra,
& dont l’illustre vertu ne vous peut rien monstrer
que de bon. Vostre propre inclination, Sire,
vous portera sans contrainte à cherir vn peuple
qui ne respire rien que vôtre presence & qui s’est
veu comme enseuely dans le dueil, & dans la tristesse,
depuis le temps qu’il n’a point ioüy de son
Roy, & mesme à cette heure, s’il paroist quelque
contentement dessus son visage, ce n’est que par
l’attente de vous reuoir bien tost à Paris, cette
pauure villes affligée, qui demeurera tousiours
telle, si vous ne prenez la peine de la visiter. Elle
n’attend plus, si vous desirez d’acheuer son contentement,
que de vous remercier en entrant
chez elle, & de vous presenter les affections de
ses Citoyens, qui n’ont iamais eu d’autre bût
que de vous complaire.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], ADVERTISSEMENT POLITIQVE AV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_458. Cote locale : E_1_118.