Lorme, J.-C. de [1649], L’APOLOGIE DV THEATRE DV MONDE RENVERSÉ OV LES COMEDIES ABBATVES DV temps present. Par I. C. D. L. , françaisRéférence RIM : M0_116. Cote locale : B_19_47.
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L’APOLOGIE DV THEATRE DV
monde renuersé, ou les Comedies abatuës
du temps present.

LE RENVERSEMENT DV MONDE.
Acte de la Comedie Premiere.

NOVS voicy sur le poinct d’abatre vne Histoire Comique,
que l’enuie & la malice (compagnes inseparables
qui se tiennent tousiours par la main) ont donné
depuis quelque temps au public contre la gloire
& la reputation de l’Eloquence de nos Illustres de
ce temps present.

L’Autheur de son Apologie ayant eu quelque sentiment de
l’entreprise de cette piece, en donna vn si fauorable, aduertissement
à celuy qui l’a composée sur le modelle de Hortensius, que
tout le monde s’en estonne ; qu’il n’ait eu le pouuoir de la supprimer
tout à fait, voicy comme on luy parle dans la page de ladite
Apologie 202. & 203.

"Æsesines pour décrier quelques façons de parler, Demosthene
se seruoit de cette finesse de les destacher de ses oraisons,
& les appelloit des monstres & non pas des paroles, c’est ce qu’à
entrepris ces iours passez l’Autheur d’vne Histoire Comique,
dans laquelle il fait ce que fist Medée du corps de son frere.
Mais s’il est encore de mesme aduis que son Liure, ie m’asseure
qu’il ne mourra pas en cette opinion, & ayant comme il y a des
rayons de bon esprit, & des principes de iugement, ie ne doute
point que l’âge aura acheué de meurir cette derniere partie,
Il n’admire aussi bien que nous ce qu’il n’approuue pas auiourd’huy,
il verra les Hyperboles à qui il a declaré la guerre auec
d’autres yeux, que iusques-icy il ne les a veuës, il appellera plaisant
ce qu’il nommoit auparauant ridicule, il trouuera des miracles
où il voyoit qu’il y eut des Monstres, principalement il

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considerera mieux qu’il n’a fait les comparaisons de ceux qui
sont toutes riches, toutes esclatantes & toutes incomparables :
car, certes, nous deuons aduoüer qu’il ne reüssit pas moins en
cette partie qu’aux autres lieux de la Rhetorique, & que son
iugement qui est tousiours le gouuerneur de son esprit, se mesle
particulierement de la conduitte de cette figure, & ne la souffre
iamais dans les escrits qu’auec toute la proportion, & toute
la iustesse qu’il luy faut donner".

 

Voila qui estoit capable d’estouffer cette Hydre en sa naissance,
& de détromper son Autheur. Mais puis qu’elle s’est eschappée
de ses mains, pour gaster de son venin ceux qui ietteront
leurs yeux dessus, il faut que nous luy donnions la mort de bonne
heure, & que nous apportions le remede du mal qu’elle pourroit
faire dans l’imagination de quelques esprits ; qui pour estre
preoccupez d’ailleurs, se laisseroient aisément emporter au torrent
d’vn si facetieux discours, quand ce ne seroit mesme qu’il
se trouue des personnes au monde qui sont tousiours de l’aduis
de celuy qui parle le dernier, & qui trouue ordinairement les
dernieres raisons les meilleures.

Et pour ne tenir plus long-temps les esprits en attente, & ne
laisser rien en arriere, nous ferons nostre entrée par l’endroit mesme,
que l’autheur de cette non moins plaisante qu’ingenieuse
Comedie a fait de son Prologue, où il faut remarquer d’abord que
l’Acteur du Prologue, ayant à combattre, & luy porter le premier
coup, n’ose pourtant pas leuer les yeux pour le considerer en face :
Mais il marche d’vn pas hardy contre son second, ie veux dire
contre celuy qui a entrepris sa deffence dans cette Apologie, que
ce grand faiseur de Comedies a commencé d’entamer par la
fin.

Sans chercher des raisons inutiles, on void que c’est vn autre
qui a posé ses loüanges dans son Apologie, l’Autheur qui l’a composée
se trouue signé au bout de l’Epistre dedicatoire, & nostre
Autheur ne sçauroit empescher que la bouche & les mains de ses
amis ne publient en diuerses façons ses loüanges, s’il falloit qu’il
prist querelle contre tous ceux qui loüent ses ouurages, & qui
font estat de son bien dire (comme il semble que veut nostre Comique)
il faudroit qu’il eust sans cesse l’espée en main, & le poignard

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en l’autre pour les vuider. Mais il est trop bon seruiteur du
Roy pour n’obeïr pas à ses commandemens, & ne redouter pas la
rigueur de ses ordonnances.

 

Admirons l’heureuse memoire de cét homme, ou la peine qu’il
a pris de ramasser tant de lambeaux, & petits morceaux pour dresser
à pieces rapportées vne Comedie ou Apologie si grotesque,
celuy qui entreprend le renuersement de ce Theatre, proteste
tout de bon à nostre Comedien de se contenter de la peine qu’il
a euë de l’acheuer depuis deux ans en çà, sans en prendre autant
qu’elle sera par terre, & sans vouloir ranger chaque ligne d’où elle
a esté empruntée, & chaque mot d’où elle a esté tirée. Tout ce
que nous dirons de luy, c’est qu’il est fort industrieux, & sçait bien
rendre mauuaises les choses les meilleurs ; il est necessaire de
considerer chaque chose en sa situation & en sa posture naturelle
pour en iuger comme il faut, autrement il est bien aisé de rendre
horribles & difformes les choses les plus belles : celuy-là qui
couperoit la teste d’vne statuë, en laquelle toutes les regles de la
sculpture seroient parfaitement obseruées, & la poseroit au milieu
du corps, qui metteroit les pieds où les jambes en sa place, &
osteroit les bras du lieu que la nature leur a donné, pour les placer
en quelque autre endroit, d’vne chose parfaite (fut elle si zelée
de la main de Myron) en feroit infailliblement vne imparfaite ;
d’vne chose belle, vne laide ; d’vn corps bien proportionné vn
monstre defectueux, qui feroit horreur à ceux qui l’auroient auparauant
admiré : Cette DIANE de la salle des Antiques, tant
vantée des Sculpteurs & des Peintres, si elle estoit ainsi mal traitée,
produiroit les mesmes effects. Autant en pouuons nous dire
du corps mieux proportionné, & du visage le plus beau de Paris,
fut-il peint auec toutes les regles de l’Art, & auec toute la science
qu’y rapporte ce Peintre Hollandois à qui la nature a reserué
les dons particuliers pour la vraye & naïfue ressemblance ; celuy-la
qui apres le dernier coup de pinceau, couperoit les yeux du
portraict acheué pour les oster de leur place, & pour en mettre l’vn
au milieu du front, & l’autre en la poictrine ; qui leueroit le nez
& le menton du lieu qu’ils occupent pour les mettre en ceux des
des oreilles, & qui mettroit celle-là en la place de ceux-cy ; qui
prendroit les deux parties de la gorge pour les porter en la place

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des jouës, d’vne beauté rauissante en feroit vn monstre bien hideux ;
d’vn visage gracieux, vne teste de Medus, vn ie ne sçay quoy
bien desagreable, ce ne seroit plus cette belle face, ce ne seroit
plus ce beau corps, & toutesfois il seroit composé des mesmes parties,
& des mesmes traicts de visage, retouchez d’vne mesme
main, aussi bien que cette Histoire Comique est composée la
plus grand part des mesmes mots de D. L. Et c’est sur ce pretexte
specieux que ses ennuieux se fondent, ne voila pas ce langage,
voila comme il parle, ce sont ces mesmes mots. De tout cecy, nous
tirons auec les esprits raisonnables, vne consequence infaillible
qu’il est tres-aysé de choisir vn mot, vne ligne, ou la motié d’vne
periode, & l’ayant separé du corps du discours, de l’exposer (comme
fait nostre Historien) à la risée du Lecteur, lors que son esprit
n’a plus la memoire de ce qui suit, & de ce qui a precedé.

 

Mais comme celuy-là qui auroit gasté de si beaux ouurages par
la transposition des membres, les pourroit reparer en remettant
chaque piece en son lieu, de mesme cette Comedie peut deuenir
aussi belle qu’elle est hydeuse, si elle remet dans les lettres de celuy
qu’on nomme (ie ne sçay par qu’elle destinée) l’Orateur François,
ce qui en a esté destaché pour en faire esclore vn monstre
qui ne fera iamais de l’honneur à celuy qui l’a mis au monde, &
qui luy a fait voir le iour, au lieu que sa diformité le deuoit encore
retenir dans les plus espaisses tenebres.

Il est temps, auant de finir le premier Acte, que nous rapportions
quelques pieces de celles que l’on trouue mauuaises, iusqu’à
les produire sur le Theatre, & les faire sifler de tout le peuple.

Le Comique trouue mauuais que parlant des Pyrenées qui seruent
de bornes à la France, & là separent l’Espagne, ait dit, qu’il
est au delà de ces montagnes, qui ne veulent pas que la France &
l’Espagne soient à vn mesme Maistre.

Monsieur de Lorme n’a iamais dit qu’il ait veu des ruës pauées
de Dieux & de Deesses de l’antiquité, ny des allées bordées d’Histoires
d’vn costé, & de fables de l’autre ; ny qu’il ait marché sur les
Cesars & les Pompées, il a escrit à vn Cardinal. A Rome vous
marcherez sur des pierres qui ont esté des Dieux de Cesar & de
Pompée, & vous vous promenerez tous les iours parmy les Histoires,
& les Fables ; entendant, par celà, les statuës autrefois

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adorées des Empereurs, & les antiquitez de Rome qui ont donné
le sujet à tant d’Histoires fabuluses.

 

Il n’appelle pas le Tybre, la riuiere de l’apprentissage des Romains :
mais bien a-il mis en quelque part de ses lettres, quand
vous auez veu le Tybre au bord duquel les Romains ont fait l’apprentissage
de leur victoires, & ont commencé ce grand dessein
qu’ils ont acheué qu’aux extremitez de la terre. Il faut estre priué
de sens commun, pour n’approuuer pas ses pensées, où n’auoir que
l’ame vegetatiue des plantes, pour ne trouuer pas beau l’ornement
de ce langage.

Pour dire le Pape, il ne met pas la teste de toute la Chrestienté :
Mais il dit à vn Cardinal apres l’auoir conuié de venir à Rome,
pour estre à l’eslection du Pape, qu’au moins il ne sçauroit conceuoir
rien de si haut que de faire vne teste à toute la Chrestienté, &
vn successeur en mesme temps, aux Consuls, aux Empereurs &
aux Apostres. Ce sont les qualitez du Pape que nostre Comique,
quoy qu’il face, ne luy sçauroit faire perdre, & tout le monde
sçait bien qu’il a auiourd’huy à Rome le mesme pouuoir qu’y
auoient autrefois ces gens-là.

Ie vous ay beaucoup d’obligation de me donner si liberament
ce que vous sçauez qui me manque, & d’employer toutes vos couleurs,
& tout vostre fard pour me faire trouuer beau, i’ay grand
peur que vous ne vous ferez point pour cette fois de party qui soit
suiuy de tant de gens que la ligue, & si tous ceux qui ne seront pas
de vostre aduis, estoient declarez criminels, il n’y auroit guerres
d’innocens en ce Royaume, &c.

L’esperance qu’on me donne depuis trois mois que vous deuez
venir tous les iours en cette bonne ville de Paris, m’a empesché
iusques icy de vous escrire, & de me seruir de ce seul moyen, qui
me reste de m’approcher de vostre personne, c’est vne pensée qui
ne peut estre attaquée par vn homme, qui entend la langue Françoise,
& non pas l’Italienne, & Phillarque le plus grand de ses
aduersaires à estre contraint de dire que cela estoit bien dit &
fait.

Le vray Comique, nous d’escrit son vray sentiment dedans
cette Apologie & Comedie premiere, & nous fait sçauoir ce qu’il
trouue de mauuais, ie mettray toute ma vie la compagnie de ce

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chercheur d’occasions fraischement venu de Hollande, au nombre
de mes mauuaises fortunes, il vouloit reformer toutes les fortifications
& places qui se trouuoient en chemin, il ne voyoit
point de terre qu’il ne remuast, ny de montagne sur laquelle il ne
bastit quelque dessein, il attaqua toutes les villes de Florence, il
ne voulut que tant de temps, pour prendre celles de l’Estat de
Parme, de Modene & d’Vrbain, & i’eus bien de la peine à l’empescher
de toucher aux terres de l’Eglise, & au patrimoine de S.
Pierre, voila tout ce que l’on trouue digne de risée, de toutes entreprises
qu’il ait voulu faire ne reüssisse qu’à la perte de beaucoup
de païs. Et moy ie dis que l’on ne sçauroit, sans injustice, pardonner
de telles choses comme nous voyons estre arriuée depuis peu.
Mais voicy le Paladin & Alcandre son camarade, qui commencent
à sortir pour faire joüer leur Tragedies & Balets.

 

Voyons s’ils joüeront plus raisonnablement leur personnage
que Hidaspe & le Docteur.

Fin de la premiere Apologie du Theatre du Monde,
renuersé.

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Lorme, J.-C. de [1649], L’APOLOGIE DV THEATRE DV MONDE RENVERSÉ OV LES COMEDIES ABBATVES DV temps present. Par I. C. D. L. , françaisRéférence RIM : M0_116. Cote locale : B_19_47.