Anonyme [1652], DISCOVRS POLITIQVE, CONTENANT L’INTRIGVE DE LA COVR, OV L’INTEREST DV CARDINAL MAZARIN, DANS SON RETOVR. , françaisRéférence RIM : M0_1135. Cote locale : B_13_13.
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DISCOVRS POLITIQVE
Contenant l’intrigue de la Cour,
ou l’interest du Cardinal Mazarin
dans son Retour.

LA grande inégalité, & la difference
des hommes se considere
au naturel, à la forme, ou à la
composition : mais le naturel
est celuy qui charme les sens &
les rend les plus susceptibles pour l’amitié, ou
pour la hayne.

Messieurs les Courtisans se sont attachez à la
forme, & à la composition, & tout de mesme
que leurs sentiments se laissent emporter
aux nouueautez, & que leurs brigues paroissent
à l’enuy pour plaire à celuy qui les anime ;
Ainsi la beauté transparente du Cardinal Mazarin,
qui est l’obiet le plus souhaitable, les
porte vnanimement à le loüer, & à priser sa
presence, ils changent de visage en tout sens,

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& imitent les vapeurs que le soleil lassé de suspendre
fait derober à nos yeux, sans qu’elles
perdent pourtant leur esclat.

 

Ces flatteurs de Cour ne quittent pas leur
Renom, lors que leurs Capitaines viennent à
trebucher ; Si le Roy a declaré le Cardinal
Mazarin criminel, ils en font de mesme, & si
on le force à le r’appeller, ils benissent Dieu
de leur auoir rendu la personne seule qui faisoit
leurs interests, & qui conduisoit leurs
pensées. Le present fournit de matiere à leur
eloquence fardée : l’estat, les biens du public,
& la gloire de leur pays ne sont que de foibles
subiets pour les occuper.

Le Cardinal Mazarin qui connoist ses attraits,
s’en sert pour iuger en dernier ressort
toutes ses creatures, leur argent flatte ses esperances,
comme il sçait qu’il ouure les portes
les plus difficiles, il ne fait point de difficulté
de s’en emparer, puisqu’il luy est permis de
voller le peuple ; de se faire prester de l’argent
dans les necessitez vrgentes, & ne le rendre pas
luy semble moins inconuenient, puisqu’apres
auoir esté banny, & surpris dans ses perfidies
tyranniques on le r’appelle, de continuer les
mesmes actions, & se bander d’auantage au

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milieu des Prouinces contre les Princes de la
Maison Royale, il ne manque pas aux loix du
Royaume, & s’il les esbransle c’est vn effet de
son obeyssance, & de sa charité, Il ne fait que
pour le bien de la Couronne, il preste ses deniers
au Roy, à ce qu’il dit, il leue tout pour
vn iamais sans qu’il soit necessaire qu’on l’eleue
que pour quelque momens. Apres le Roy & la
Reine il est le premier, & ses ordonnances les
premieres accomplies.

 

Si ce Sicilien estoit si vtile à l’Estat qu’on
veut le persuader, & qu’il fust si iudicieux
qu’on le represente, seroit il venu à main armée
dans le Royaume ? auroit eu si peu de preuoyance
que de ne se point cantonner ? auroit-il
permis que le Roy & la Reine luy fussent
venus au deuant ? n’estoit-ce pas son deuoir
d’embrasser les pieds de sa maiesté dans son
throsne de Iustice pour se iustifier ? n’auroit-il
pas espargné le sang de ceux qui composent la
Monarchie, & n’auroit-il pas procuré vne bonne
paix pour mettre en repos toutes les Prouinces,
affligées.

La trop grande confiance est tres-dangereuse à
la Noblesse & aux puissans, ainsi la mefiance
leur est tout à fait necessaire. Celuy qui se fie

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s’expose à la honte, & à beaucoup de dangers,
il conuie les perfides & trompeurs à luy faire
du mal (aditum nocendi perfido præstat fides.)
Il faut se couurir du Bouclier de la deffiance,
qui est la principale partie de prudence, & les
nerfs de la sagesse, pour s’empescher d’estre trompez,
pourueu que la defiance soit secrette. On
fie tout à ce ministre, il gouuerne tout, on se fie
à luy, & il se defie de tout, il ne vit que par la
dissimulation, comme il n’a esté eleué que dans
les tromperies, trahisons, & le double visage.
C’est vne belle escole que celle de ce ministre,
mais le malheur est qu’il a fait d’aussi bons escoliers
que luy.

 

La cour n’a point d’auantage, & ne paruient
maintenant à ses desseins que par des
moyens couuerts, par equiuoques, & subtilitez,
ceux qui la suiuent, afinent par belles
paroles, & promesses, & la verité leur est tout à
fait dommageable.

C’est trop prescher contre le perfide Cardinal,
c’est s’en prendre à ses meschancetez, qui surpassent
toutes les vertus naturelles ensemble,
(In maleuolam animam non introibit sapientia.)
Ie sçay qu’il est vn volleur, ie n’ay pas oublié qu’il
est vn traistre depuis ses premieres legations, ie

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suis asseuré de ses impietez, & ie ne suis que
trop certain des miseres presentes qu’il à causé
pour le reuoquer en doute. Au plus il se connoist,
au plus il s’abandonne, & fait que tout
le monde peche auec luy, les vns pour l’imiter,
les autres pour le souffrir.

 

Si ceux qui suiuent ses mouuemens, & qui
executent ses mauuaises intentions vouloient
consulter auec ses actions, ou qu’ils fissent reflexion
serieusemẽt sur son mauuais naturel, on
le verroit bien-tost chercher son azyle en d’autres
mains qu’en celles des François, & il se trouueroit
luy mesme en estat de se repentir de sa vie.

Ce Ministre doit preuoir les accidens qui le
menacent, & les Courtisans qui le seruent doiuent
empescher sa preuoyance, il y a du deuoir
és vns, & és autres, les derniers y sont obligez
par leurs consciences, & pour leur honneur, s’ils
ne le font le temps qui fait passer les plus belles
actions pour pernitieuses, & lasches, leur fera
voir que leur faute ne sera pas impunie.

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