Dubosc-Montandré, Claude [?] [1650], LES ALARMES DE LA FRONDE, ET L’INSENSIBILITÉ des Parisiens, Sur les approche du Card. Mazarin. Ou les Frondeurs, & les bons François pourront voir qu’ils ont plus de subiet de craindre, que si l’Archiduc s’auançoit auec vne armée de cinquante mil hommes; & que Paris ne sçauroit le receuoir qu auec autant de danger, que d’ignominie, apres l’affront que ce Ministre a receu dans l’entreprise de Bordeaux, & le dessein qu’il a de se faire gouuerneur de Prouence. , françaisRéférence RIM : M0_59. Cote locale : B_13_30.
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LES ALARMES DE LA
Fronde, & l’insensibilité des
Parisiens, sur les approches
de Mazarin.

VN ennemy n’est iamais assez lasche pour ne
meriter point qu’on le craigne ; & la peur,
quelque basse passion qu’elle soit, doit neantmoins
tousiours concourir à l’acheuement d’vn genereux
afin de le retirer de cette extremité, qui fait les temeraires,
en leur ostant l’idée des dangers, pour les y
faire precipiter sans apprehension. Elle entre dans le
nombre des Vertus, lors que la raison l’y conduit ; &
ceux qui traittent des passions, la font du moins seruir
de barriere à la temerité & à la bassesse de cœur, pour
faire subsister la grandeur de courage dans cette diuine
mediocrité, qui fait les bien-heureux modium tenuere
beati.

Quoy que les Scites ne pretendent point entrer en
parallele auec la grandeur d’Alexandre, ils iugent neantmoins
qu’ils sont assez forts pour iustifier la crainte
qu’il doit auoir de les attaquer, & cette admirable
Sentence ; c’est à dire, le plus bel ornement de la harangue
qu’ils font à ce conquerant chez Quinte Curce,
ne ressent point ses barbares, lors qu’apres vne deduction
pathetique de leurs intentions, ils taschent

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de luy faire conceuoir qu’il n’est rien de si foible qui
ne soit capable de quelque effort, pour ébransler les
plus robustes, nihil tam firmum est, cui periculum non sit,
etiam ab inualido. Les triomphes que Iahel remporta
autresfois auec vn cloud ; Iudith auec vn poignard ;
Gedeon auec trois cens pots de terre ; Sanson auec vne
machoire d’asne, & Dauid auee vne fonde, ne sont
que trop suffisans pour iustifier la verité de cette Sentence,
& les grands rauages que nous voyons tous les
iours causez par les trahisons des foibles, ne nous auertissent
que trop, que leurs attaques sont dautant plus
dangereuses, que moins elles trouuent de precaution
dans le mépris, que nous faisons de leur resister.

 

Mazarin est vn de nos plus grands ennemis, ses partisans
le confessent, les effets de ses intentions le demonstrent,
& toute la France convaincuë de cette
verité, ne fait point auiourd’huy retentir de plus ordinaires
paroles que celles qui concluent hardiment
à la perte de ce Tyran : & neantmoins ie ne vois point
de personne qui se mette en deuoir de luy tesmoigner
par quelqu’vn de ses preparatifs qu’il en redoute les
approches, puis que s’en retournant à grandes iournées
contre cette populeuse Metropolitaine de la Monarchie,
les nouuelles en sont receuës auec tant d’insensibilité,
de ceux qui doiuent estre les suiets de ses
ordinaires attaques, que la peur n’en a point encor fait
trembler les plus foibles, comme si le suiet d’en apprehender
la venuë, ne meritoit pas beaucoup plus
d’alarmes, que si l’ennemy s’approchoit auec vne armée
de cinquante mil combattants.

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Il n’est plus temps de colorer cette insensibilité
d’vn beau pretexte de courage : Messieurs de Paris,
vous estes des fols si vous ne tremblez, & des temeraires
si vous attendez les approches de ce grand ennemy,
sans tacher de vous mettre en defense pour le repousser
aussi viuement qu’il s’en reuient effrontément,
afin de s’enrichir à vos yeux du reste des debris
de la Monarchie. Ne croyez pas que les desseins qu’il
a pour le progrez de nos affaires, se soient reformez
apres ce rude & dernier echec de sa puissance ; & que
le mauuais succez de cette fatale entreprise heureusement
terminée tout au rebours de ses intentions, ait
encore pû moderer cet horrible debordement de son
ambition, pour la limiter dans les bornes de sa premiere
fortune : s’il a iamais passé pour redoutable
dans l’esprit des plus passionnez pour le maintien de
la Royauté toutes les raisons de sa detestable politique,
nous obligent maintenant de le considerer comme
vn desesperé, qui ne regarde l’Estat qu’auec des
yeux de basilic, & qui souhaitteroit maintenant comme
cet ancien Caligula, que tous les subiets de la Monarchie
n’eussent qu’vne teste qui fust à sa disposition
pour la pouuoir trancher d’vn seul coup.

Quoy, Messieurs de Paris, vous croyez que le Cardinal
ait l’estomacha assez chaud pour digerer le plus
mortel de tous les affronts ; qu’il puisse se sçauoir rebuté
d’vn Parlement, qui ne l’a pas seulement daigné
honorer d’vne visite, sans en conseruer à iamais le souuenir
pour le faire eclorre à la fin par le moyen de
quelque funeste vengeance ? qu’il endurera de n’auoir

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point esté admis à signer le traitté d’vne paix concluë
au grand desauantage de son premier dessein, sans espier
les occasions de repasser à son tour sur le ventre
de ses vainqueurs, & d’effacer la honte de ce grand desastre,
par l’entreprise de quelque nouuel attentat ?
Vous croyez que le Cardinal qui n’est entré dans Bordeaux
que comme vn va-de-pied de la Reyne, ou à
tout rompre comme vn des domestiques de la maison
Royale, maschera neantmoins cette fatalle pillule
sans grinser des dens ; & qu’il sçaura que les honteuses
nouuelles en ont retenti par toute la France, sans
que cette reflexion reueille entierement toutes les
idées de son genie, pour luy suggerer la seule resource
de quelque mal-heureux dessein.

 

Pour donner quelque lieu à cette creance, il faut
ne sçauoir pas que l’ambition, qui s’est éleuée sur le
haut faiste du gouuernement par la seule conduitte
des passions les plus dereglées, ne peut aussi s’y voir
choquer sans appeller à la vengeance de sa gloire flétrie,
les mesmes coadjutrices qui luy ont vnanimément
presté l’espaule pour l’asseoir sur la teste des
grands, & que c’est la plus ordinaire maxime des Politiques
de son étoffe, que de ne se maintenir iamais
dans l’esclat de leur authorité qu’à la faueur des mesmes
moyens qui les y ont conduits. Le changement
marqueroit autant l’inconstance de leurs esprits, qu’il
condamneroit d’aueuglement la conduitte de leur
premier procedé, puis qu’ils chercheroient à se maintenir
par d’autres voyes que celles qui les auroient
heureusement esleuez.

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Faut-il examiner maintenant la nature des moyens
que le Cardinal a tenus pour s’atraper au gouuernail
de l’Estat. Faut-il reuoir la premiere fourbe, & la
plus fatalle source de son bon-heur, qui doit décrier
à iamais dans l’immortalité des Annales les plaines
de Cazal ? Faut-il renoueller la memoire de l’emprisonnement
des Duc de Beaufort & du Mareschal de
la Mothe ? Faut-il repasser sur l’iniustice des Impositions
auec lesquelles il a succé toute la plus pure substance
de cét Estat ? Faut-il rafraichir le triste souuenir
de toutes les cruautez dont il a sait rougir presque
tous les eschafauts de France ? Faut-il repeter importunement
toutes les decadances de nos affaires,
les reprises de nos conquestes, & les pertes deplorables
de la faueur de nos meilleurs Alliez ? Faut-il,
disie, redire si souuent que les plus attachez à la defense
de son party, ne sçauroient cotter vne seule
action, qui ne serue de preuue authentique pour conuaincre
les plus opiniastres, que ce monstre ne sçauroit
meriter de l’amour que dans l’idée des meschans ?

Non, Messieurs de Paris, ie veux épargner vostre
patience, en ne touchant point le long narré de toutes
les marches que Mazarin a faites pour se conduire
auprez du timon de l’Estat, Vous en auez esté les tesmoins,
Dieu veüille que vous n’en ayez esté deuant
son tribunal les complices par vostre complaisance :
vous auez nombré tous ses pas ; vous auez espié toutes
ses actions ; & vous ny auez iamais remarqué que de
la fourbe, de la cruauté & de l’iniustice. Ainsi ie conclus
qu’il faut necessairement que Mazarin rasseure sa

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fortune branlante, en rasseurant les sondemens sur
lesquels il l’auoit establie ; & les fondemens n’ayant
esté autres que ceux dont i’ay espargné le recit pour
n’abuser point de vostre patience : Ses besoins luy
imposent vne necessité indispensable de les raffermir,
pour ne retomber point dans son premier non-estre.

 

Cette verité ne me sembleroit que fort simplement
effleurée si ie n’enfonçois plus auant, pour vous faire
voir, Messieurs, que la fortune de Mazarin se trouuant
auiourd’huy plus viuement attaquée par le zele
de tous les plus fidelles subjets de l’Estat : & le Cardinal
se trouuant en impuissance de la faire subsister
malgré toutes ses hrandes secousses sans la faueur de
ceux qu’vn mortel aueuglement fait interesser à sa
defense, la necessité de se maintenir doit seruir de
guide à toutes ses actions, & porter le flambeau pour
éclairer à chaque pas toute fa conduite.

Quelles sont les Loix de la necessité, Messieurs de
Paris, les plus gens de bien n’y en reconnoissent point
du tout, & les Legislateurs les plus scrupuleux n’ont
iamais pû faire ioindre la necessité pour la faire passer
par la rigueur des Loix. Si ie ne puis point degager
ma vie sans perdre mon agresseur, la Theologie
me permet le meurtre ; Si vne extrême indigence
me reduit à n’en pouuoir plus, l’Eglise mouure ses
portes pour me laisser porter mes mains toutes innocentes
sur le Saint Ciboire ; Si quelque calommie
me met en danger de perdre la teste, Dieu me commande
de l’appeller à tesmoin pour la iustification
de mon innocence ; & pour qu’elle raison, s’il vous

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plaist, apprenez là du Prouerbe qui dit, que necessité
n’a point de loy.

 

Necessité n’a point de loy Messieurs de Paris, mesme
dans la plus rigoureuse conduite des gens de bien ?
elle permet à la vertu de franchir les termes de la mediocrité,
& de s’emporter au de-là des bornes qui la
limitent ordinairement, lors que les occasions pressentes
ne la forcent point de sortir de ces retranchements,
que les loix de la Sagesse luy ont prescrit dans
la circonference de ce diuin milieu ? Si cette verité ne
se dispute point, & s’il est vray que cette independante
puisse mesme dispenser les plus gens de bien de l’obseruance
des Loix ; quels seront les bornes de l’ambition
des meschans ? quels ceux de Mazarin dont les
passions ne sont limitées que par leur impuissance,
dont les desirs ne sont bornez que par leur ignorance,
dont les entreprises ne sont concertées qu’auec toute
sortes de fourbes ; dont les desseins ne sont inspirez
que par cette honteuse vtilité, que les Epicuriens ne
laissoient point compatir auec l’honnesteté, & dont
la conduitte n’est iamais éclairée que par les lumieres
des meschans, qui sont leurs plus intimes conseillers.

Vous n’estes point en dessein de me nier, Messieurs,
que la fortune de Mazarin ne soit sur le plus dangereux
penchant de sa ruïne ; & que par consequent il ne
se voye reduit à cette souueraine necessité, que ie vous
ay cy-dessus representée dans son independance, ou la
consideration de ses interests luy semble permettre,
de ne faire point de scrupule, mesme du plus enorme

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crime. La conioncture des temps met la premiere de
ces propositions dans son euidence ; & pour douter
que la fortune du Cardinal ne soit à present dans sa
plus dangereuse crise, il faut ne sçauoir pas, qu’il
se voit reduit au funeste choix de deux conditions,
dont la plus aduantageuse, semble neantmoins absolument
incompatible auec sa subsistance ; il faut ignorer
qu’il ne peut se maintenir sans trembler tousiours,
à moins qu’il ne fasse promptement eslargir les Princes,
& qu’il ne sçauroit consentir à leur deliurance
sans souscrire tacitement à sa perte ; qu’en s’opiniastrãt
à leur detention, il a necessairement sur les bras tout
le party des Princes, qui ne peut manquer d’esbranler
dangereusement par ses ordinaires secousses, les
plus fermes fondements de sa fortune ; qu’en eslargissant
ces Illustres Captifs, il ouure la porte à des
Lions qui le déchireront infailliblement par la necessité,
que l’honneur leur imposera de ne laisser
point suruiure à la reparation de leur gloire, celuy qui
n’a assis les fondements de la sienne, que sur l’oppression
de la leur : Il faudroit dis-ie ne considerer pas,
qu’apres le mépris victorieux que la Guyenne a fait
de sa personne, & que les veritables François en font
outrageusement tous les jours dans Paris, Mazarin
doit conclurre par vne reflection infaillible, qu’il ne
se peut aucunement que cette haine generale de tous
les genereux, ne soit enfin suiuie de quelque funeste
coup, qui le precipitera dans le plus profond des abismes ;
& par consequent, il faut qu’il apprenne de la
necessité, les moyens de dégager sa fortune des apparences

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de tant de visibles dangers, pour la mettre à l’abry
de leurs menaces.

 

Quels croyez-vous Messieurs, que seront les Conseils,
dont Mazarin s’instruira dans l’eschole de la
necessité : La politique ne peut luy suggerer que des
auis de douceur, de violence, ou de souplesse, & de
fourbe : ceux de la douceur, & de la violence sont
maintenant hors de saison ; les derniers, à raison de
l’impuissance que Mazarin aura de faire échoüer toutes
les forces de l’Estat, malgré tous les monopoles de
leurs ligues. Les premiers à raison de celle que les
interessez auront, de ne pouuoir point venir à composition,
à moins qu’on ne leur accorde, ce que Mazarin
est obligé de leur refuser, pour se maintenir :
pour ses fourbes elles sont trop décriées, & toutes ses
souplesses n’ont point de mines que l’experience ne
nous ait enseigné de faire évanter à la grande confusion
de cét Estranger.

Ainsi, Messieurs, il faut absolument que la necessité
preside dans son conseil ; & que cette Maistresse sans
loy soit la guide de ses demarches, & le phare de toute
sa conduitte : O Dieu que nous auons donc grand
sujet de craindre les furieuses saillies, ou le desir de la
vengeance emportera sans doute son ambition : si la
necessité permet le meurtre particulier aux plus sages,
Mazarin s’imaginera bien qu’elle ne luy defend point
le carnage ; si le vol de quelque petite somme, est iustifié
par l’extremité de la faim, la necessité que le Cardinal
a d’acheter les ames venales, afin d’en grossir vn
party, luy fera regarder les millions comme des athomes,

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qui ne tiendront point de place dans la vaste
estenduë de son insatiable auidité : & si les derniers
abois d’vne innocence oppressee peuuent attester la
diuinité, sans violer en aucune façon le respect, qu’on
doit à son independance ; Mazarin ne doutera nullement
de souscrire desormais à toute sorte de traittez
pour en fausser les serments au gré de son ambition,
& ne tenir point de parole, quelque engagé qu’il y
soit, par l’obligation qu’il aura de respecter l’authorité
de celuy souz le nom duquel il en aura obtenu la
creance, à moins qu’elle ne se trouue auantageuse au
progrez de ses affaires.

 

Ie m’attacherois maintenant à déduire les autres
Conseils que la necessité luy pourra inspirer, lors
que les attaques de ses ennemis l’obligeront à iouër
de son reste, si ie ne croyois qu’il n’est point du tout
de personne, qui ne s’imagine que le Cardinal se
voyant reduit à ces funestes abois de la conduitte des
plus sages, n’épargnera ny foy, ny loy, ny Sacrement,
ny la France, ny les Subjets, ny leur Prince mesme ;
& qu’il ébranlera plutost le trosne, pour tascher de se
rasseurer, en le rafermissant, que de se laisser tomber
dans le profond des abysmes, sans faire retentir, s’il se
peut, auec sa ruïne, celle du gouuernail de l’Estat,
dont il est le Souverain Pilote, par vn prodigieux aueuglement
de la fortune.

Mais comme tout le monde est sçauant dans les
auis, que la necessité fait prendre, à ceux qui ne
voyent point d’autre resource pour le desespoir de
leurs affaires, que celle d’vne derniere risque, ie laisse

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à la discretion des moins oculez, le iugement de ceux
que cette conseillere exrrauagante inspirera, lors que
le desespoir de ne pouuoir soustenir vne haute fortune,
effarant l’ambition de nostre Mazarin, luy persuadera
comme à vn autre Herode, d’accompagner sa
perte de celle des plus apparens de la Monarchie, pour
faire, du moins detester le temps de son desestre,
mesme par la bouche de ses plus grands ennemis.

 

Cependant ie rentre dans ma premiere proposition
pour conclure affirmatiuemeut ; & i’establis sur
ces dernieres veritez presuposées, la creance que l’on
doit auoir ; c’est à dire, que la Fronde est insensible, si
les approches du Cardinal n’alarment tous ceux de son
party, & si les apprehensions de son arriuée n’arment
au plutost tout ce qu’il y a de plus genereux dans la
Metropolitaine de cét Estat, pour rembarrer plus
viuement cet ennemy commun, que si le bruit nous
venoit porter les nouuelles des approches de l’Archiduc.
Les raisons n’en sont elles point conuaniquantes
pour ceux qui n’auront point renoncé tout à fait
au sens commun, ou que les interests n’obligeront
point à épouser aueuglément ceux du party de ce malheureux
estranger ?

Parmy tous les ennemis, ie n’en vois point qui soit
plus à craindre, que les domestiques ; & parmy ceux
là, les puissans & les desesperez tout ensemble, sont
les plus redoutables : si quelqu’vn en veut à cet antecedent,
qu’il produise les preuues, sur lesquels il veut
s’establir ? qu’il me fasse voir qu’vn domestique n’a
pas plus de moyen de faire reüssir ses fourbes, ses surprises,

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ses finesses, & ses trahisõs, qui sont les armes des
ennemis, qu’vn estranger ? qu’il me montre, que le
mesme, n’est pas plus en estat dans sa proximité, de
mettre le schisme dans la plus belle vnion du party
contraire, que l’autre dans son esloignement ? qu’il
attaque apres cela la seconde partie de mon antecedent,
& qu’il prouue qu’vn ennemy domestique puissant
& desesperé, n’est pas en posture de se seruir plus
facilement des armes, que ie viens de nommer, qu’vn
estranger ? & que les attaques luy seront plus difficiles,
se voyant posté par la faueur mesme tout au prez
de son ennemy, que si la haine l’auoit esloigné pour
ne luy laisser faire les approches mesmes qu’auec le
danger de sa personne ?

 

Il n’est point de raison Messieurs de Paris, qui ne
soit tres foible pour attaquer ces veritez fondamentales,
que ie puis nommer les principes de la Politique,
& les fondements veritables du sens commun : les ennemis
domestiques sont dautant plus redoutables,
que plus il leur est facile de se preualoir de leur voisinage,
pour faire ioüer toutes leurs mines ; d’aiuster la
mesure de leurs stratagesmes, à celle de la conduite de
leurs aduersaires ; d’espier toutes leurs imprudences,
pour en tirer aduantage ; de sçauoir tous leurs foibles
pour les attaquer de ce costé la ; d’apprendre toutes
leurs simplicitez pour les y fourber plus heureusement ;
& de reconnoistre toutes les ames venales de
leur party, pour les achepter à prix d’argent : Ainsi ie
puis dire Messieurs ; que les ennemis puissants & d’esesperez,
lors qu’ils sont domestiques, ne sont pas

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seulement à craindre, mais qu’ils sont les plus redoutables
de tous, puis que leur fureur & leur authorité
marchent de Pair, & que cette premiere ne sçauroit
suggerer aucun mauuais dessein, que la derniere ne
puisse faire éclore malgré les efforts de toute sorte de
resistance.

 

Cela estant, Messieurs, n’ay-je pas tous les aduantages
du monde pour conclurre en faueur de l’alarme
que ie pretends vous donner des approches de Mazarin :
Vous sçauez qu’il est ennemy, qu’il est domestique,
qu’il est en credit, vous estes conuaincus par
les conionctures des affaires du temps que la iuste apprehension
de se voir enfin secoué du faiste du gouuernement
le met au desespoir, & qu’il ne luy reste
plus d’autre azile, que celuy que sa passion luy peut
faire trouuer dans le hazard d’vne derniere extremité :
N’auez-vous donc point iuste subiet de craindre, que
la qualité d’ennemy ne le porte dans toute sorte de
mauuais desseins ; que celle de domestique ne luy
donne subiet de nous trahir, & de se preualoir de routes
nos foiblesses ; que le titre de puissant ne luy serue
de massuë pour vous accabler ; & que la rage de son
desespoir ne l’excite à faire main basse, de tout ce qui
ne pourra point se desrober aux attaques de sa fureur.

Si vous doutez encore qu’il soit ennemy, ouurez
les yeux à des arguments visibles, qui vous conuaincront,
si vous ne croyez pas qu’il soit domestique, regardez
la posture qu’il tient dans le cœur mesme de
l’Estat ; si vous n’estes pas conuaincu de son authorité,

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considerez qu’il est l’intendant de toutes les volontez
Souueraines, & si ie dois parler de la sorte, le
Roy du Roy ; Si vous ne le tenez point encore pour
vn desesperé, vous donnerez neantmoins les mains à
cette verité, en faisant reflection, que tous les veritables
François attaquent ouuertement sa vie, ses
biens, & son honneur, & qu’il ne sçauroit dégager
sa fortune branlante de l’ambarras de tant de dangers,
à moins qu’il n’y trouue quelque resource à la faueur
d’vn dernier desesperer.

 

I’adiouste encore pour fortifier ce raisonnement,
que Mazarin doit se desesperer par prudence ; & que
les voyes raisonnables se trouuant infecondes pour
luy faire n’aistre quelque plausible conseil, il faut
necessairement qu’il en emprunte d’vne derniere risque,
à moins qu’il ne veuille se resoudre de plier en
chrestien, ce qu’il ne fera iamais, soubs les ordres de
la fatalité : Ainsi Messieurs, ie conclus par la mesme
raison que le Cardinal a d’exposer toute sa fortune au
funeste hazard d’vn coup de partie, que vous estes
les plus insensibles du monde si vous ne vous alarmes
de la seule crainte de ses approches ; & si vous
n’allez par prudence, au deuant du coup qu’il doit
hazarder par necessité.

On me demandera bien peut-estre maintenant,
quels sont les fondements sur lesquels ie veux establir
cette crainte pour laquelle ie dis que nous deuons tant
nous alarmer : quel peut-estre ce funeste coup, que
nous deuons aprehender de la necessité indispensable
que l’honneur impose à Mazarin de se maintenir auprés

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du timon, à quelque prix que ce soit. Mais qui
peut-estre assez ignorant pour n’estre point sçauant
des infaillibles effets de cette iuste crainte ; qui peut ne
soubsçonner pas ce qu’il doit aprehender des malheuses
intrigues du plus méchant des mortels ? puis qu’il
dispose absolument de la personne du Roy, & qu’il
la promene par toute la France au gré de son ambition,
ne peut-il pas l’engager à quelque peril, pour ne
l’en d’égager point qu’à condition qu’il reçoiue en
échange tout le restablissement de sa premiere fortune ?
Puis qu’il est le dispensateur souuerain de toutes
les charges, & de toutes les dignitez du Royaume,
ne pourra-t’il pas maintenant agrandir tout ce qu’il y
à d’inetressé, affin d’auoir les bras plus longs pour
l’execution de toutes ses vengeances ! Puis qu’il dispose
de toutes les Finances de la Monarchie, ne peut-il
pas en acheter vne bonne partie des subiets, pour
ietter toute la desolation sur l’autre ? Et ce qui est encore
plus déplorable, ne peut-il pas corrompre des
appuis mesme dans la source de la Sainteté, puis que
les beaux Prieurez, les riches Abbayes & tous les
Eueschez de la Couronne sont encore à sa nomination.

 

Il le peut en effet, & toutes les raisons du monde
nous le deuroiẽt faire aprehender, si le calme de quelques
moments de bon-heur ne nous rendoit insensible
aux apparences visibles d’vne grande suitte de
mal-heurs, dont nous sommes menacez par la necessité
que ce monstre aura de nous en procurer, pour se
maintenir dans le Ministere de l’Estat : En effet ne

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court-il pas visiblement par cette detestable lice des
Tyrans, en ce qu’il prostitue tous les iours, l’honneur
de leurs Maiestez, pour mettre le sien à l’abry ; qu’il
tâche de perdre le credit de son A. R. pour se rendre
Souuerain dans le Conseil secret ; qu’il fait tous ses
efforts, pour semer le Schisme dans l’vnion des Parlements,
affin de faire pancher les balances de la iustice
au gré de son ambition ; & qu’il s’opiniastre à la
continuation de l’iniuste detention de Messieurs les
Princes, affin de pouuoir courir plus impunement à
l’execution de tous ses mal-heureux desseins, par la
lâche complaisance que nos autres Princes tesmoignent
à ce faux pretexte, qui le represente comme le
veritable Oracle de leurs Maiestez.

 

Neantmoins quelque plausible raison que nous
ayons de viure dans les apprehensions de ces furieux
euenements, il ne faut qu’ouurir simplement les yeux,
pour voir, qu’il ne sçauroit se declarer plus manifestement,
qu’en tesmoignant la passion qu’il à de se
faire Gouuerneur de Prouence, & de s’asseurer par
mesme moyen de la plus importante porte de la Monarchie.
Il a beau se dementir, cette ambition marque
trop euidemment quelque mauuais dessein, &
ie croy qu’il ne faut pas estre des plus oculez, pour voir
que ce mal-heureux nous brasse quelque mauuais
party.

Ie fonde cette crainte sur vn beau raisonnement
que l’emprunte de la conduite ennemie de l’Archiduc,
& de la prudence la plus ordinaire de tous les
Generaux d’armée. Ce fameux ennemy, cét illustre

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subiet des plus beaux trophées de MONSEIGNEVR
le Prince, quelque grand auantage qu’il
ait entreueu dans le demeslé de nos plus fortes diuisions,
a neantmoins moderé son ambition, lors
qu’elle sembloit l’exorter de pousser plus auant pour
venir fondre sur la Metropolitaine de la Monarchie :
les simples l’accusoient de lacheté, les
mauuais politiques d’intelligence auec nos Ministres ;
mais les plus sages ny remarquoient qu’vne admirable
conduitte, qui ne luy permettoit pas de s’auancer
vers le cœur du Royaume auant qu’il se fust asseuré de
toutes les issuës, ou de toutes les portes de derriere,
de peur que s’estant engagé trop auant pour entreprendre
quelque coup dangereux, il ne se trouuast
puis apres en impuissance de s’en dégager, apres son
mauuais succez par l’imprudence qu’il auroit eu de ne
s’asseurer pas premierement de la porte, pour s’en seruir
au besoin.

 

Le Cardinal a iugé que cette politique ne seroit
pas trop impuissante, pour fauoriser ses mauuaises intentions :
& comme la necessité de remettre ses affaires
ruynées dans leur premiere posture, exige absolument
de luy la dangereuse extremité de quelque coup
fatal, il faut qu’à tout le moins il soit le maistre de la
porte, pour pouuoir éuader, s’il arriuoit par bon-heur
pour la France, que ses mal-heureux desseins vinssent
à estre contreminez parla faueur de nos bons destins.

Si ces raisons ne sont pas valables pour vous alarmer,
Messieurs de Paris, & pour vous faire entrer dans
les apprehensions de l’arriuée du plus grand de tous

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les ennemis de l’Estat, il n’en est point du tout ; voire
mesme ie pense que vous auez plus de raison de luy
fermer les portes, qu’à l’Archiduc, & que les actes
d’hostilité que ce dernier fait sur nos frontiéres, ne
peuuent point entrer en comparaison auec ceux que
Mazarin a exercé dans toutes les terres tributaires de
la Couronne. L’Archiduc a assiegé la Capelle, Guise,
&c. Mazarin a assiegé Belle-garde, Bordeaux &
Paris ; ce Prince ne nous a battu qu’à guerre ouuerte ;
le Cardinal ne nous a mal-traittez que par trahison :
Celuy-là n’a fait que ce qui luy estoit permis par les
Loix ; celuy cy n’en a point épargné qu’il n’ait insolemment
enfraint, pour choquer contre tous les droits
humains & diuins, ceux que la conscience & l’honneur
deuoient mettre à l’abry de toute sorte d’assauts
souz sa protection : Cet illustre ennemy n’a procedé
que par les principes de la plus rigoureuse seuerité, qui
met auec iustice les armes à la main, de tous ceux dont
les droits veritables, ou supposez, sont en dispute ; ce
perside amy, ie l’appelle tel, puis que sa charge le rend
l’oracle de nostre minorité, ce perfide amy, dis-ie, n’a
iamais fait d’action qui fust compassee sur les regles
de la generosité, puisque suiuant les caprices de son
ambition, il n’a iamais butté qu’à l’assouuissement de
ce qui doit estre le premier obiect de mépris de tous
les grands cœurs : Enfin l’Archiduc quelque grand
Capitaine qu’il soit, n’a iamais fomenté la diuision
des Couronnes, pour bastir les fondemens de l’Eternité
de sa gloire, sur la desolation de tous les Estats de
la Chrestienté : & Mazarin qui n’est qu’vn homme

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de trois lettres, s’est neantmois formellement opposé
au traitté de la Paix generale, pour s’enrichir à quel
prix que ce fust, des funestes débris de tout nostre
Estat, & chercher l’agrandissement de sa maison, dans
le bouleuersement de toute la Monarchie.

 

Ces reflexions, Messieurs de Paris, sont-elles capables
de vous faire conclurre en faueur de ma proposition ;
& doutez-vous encore maintenant que vous ne
deussiez auoir moins de raison de fermer les portes à
l’Archiduc, s’il se presentoit auec vne armée de cinquante
mil hommes, que vous n’en auez maintenant,
pour ne les ouurir point aux approches de Mazarin,
que la fortune vous renuoye apres l’auoir perdu de reputation
dans le siege de Bordeaux, pour la luy faire
reparer dans le sejour de Paris, par vn coup de desespoir.
Voyez si vous estes assez pitoyables pour prendre
pitié de cet infame ; ou si vous n’estes point assez
forts pour acheuer de le precipiter, aprés qu’vne ville
qui ne seroit que le faux bourg de la vostre, a neantmoins
pû l’esbranler si dangereusement : Considerez
si vos intrigues sont toutes au bout de leurs fusées,
pour ne pouuoir point acheuer d’éuanter des mines,
que les Bordelois ont neantmoins si glorieusement
contreminé : Resoluez-vous à faire la Cour à celuy
que ces peuples genereux n’ont pas seulement honoré
d’vne de leurs visites, ou bien resueillez-vous plutost
de ce honteux assoupissement, pour ne souffrir point
dans l’independance, celuy que le mépris de ces peuples
ne vous doit plus faire considerer que comm’vn
infame : faites les preparatifs qui sont necessaires pour

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les magnificences de sa reception, aprés que les Gascons
ne luy ont ouuert les portes qu’en qualité de simple
va-de-pied de leurs Majestez, ou bien disposez-vous
à le repousser viuement, & à ne permettre point qu’il
se promene dans les carrefours de Paris en qualité de
premier Ministre d’Estat, aprés qu’vne bicoque, si ie
dois parler de la sorte, l’a si honteusement degradé.

 

Ces raisons, il est vray, n’estant que de bien-sceance,
ne concluent point à la perte de Mazarin par vne si
souueraine necessité, que celles dont i’ay fortifié tout
le reste de mon discours, mais neantmoins ie soustiens
Messieurs de Paris, que la perte de vostre honneur
vous deuant estre beaucoup plus à craindre, que celle
de vos biens, ou de vos vies ; ces raisons par consequent
vous doiuent estre beaucoup plus considerables,
puis qu’elles vous rendent sensibles, le decry manifeste
de vostre reputation, si vous ne vous opposez
à l’authorité de celuy qui n’en a eu que pour succomber
honteusement à celle des Bordelois.

Quoy, Messieurs, la posterité sçaura que le Mazarin
a souscrit aux articles de la Paix de Paris malgré la resistance
de ses bourgeois ; & que les Bordelois n’ont
iamais voulu consentir à cet abaissement, quelque
grande somme que ce potiron ait promis, pour corrompre
la fidelité de leurs Agens ? La plus grande ville
de l’Estat n’aura pû s’oposer aux volontez tiranniques
de cet Estranger, & neantmoins on aprehendera
qu’vne des moindres l’a forcé mal-gré toutes ses attaques,
à consentir, mesme aux despens de sa reputation
à leurs plus ambitieuses demandes ? La Metropolitaine

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de la Monarchie s’est soumise honteusement à
tous les ordres de ce banqueroutier, sans auoir iamais
remué, que pour en calmer les mouuements à son aduàntage ;
& la dependante ne se sera iamais sousleuée,
que pour faire échouër toutes les attaques de Mazarin,
contre son inuincible craissant ? Enfin la source
des grands, le Berceau des Duchez, & la mere des
Princes, se sera soumise honteusement pendant ie ne
sçay combien d’années à la conduitte souueraine d’vn
maistre pipeur, esleué sur le gouuernail de l’Estat par
vne horrible aueuglement de la fortune ; & la ville qui
n’a point de grands, à moins qu’ils n’en ayent puisé
tout l’esclat de cette grande source, ne l’a toutesfois
iamais voulu reconnoistre, que comme vn simple domestique
du Roy, aprés en auoir arraché par force, ce
que Paris n’eust seulement osé luy demander par les
voyes de l’amour.

 

Que vous en semble, Messieurs de Paris, ces reflexions
sont-elles pas assez pressantes, pour vous faire
rentrer dans le sentiment des veritables genereux,
dont la ciuilité pretenduë d’vne fausse complaisance
vous a fait déchoir ? faut-il encore quelques nouueaux
motifs pour alarmer vos premieres credulitez,
contre les dangereuses approches de celuy, qui ne
s’en reuient dans Paris, comme il conste par la suitte
inuincible de tout mon raisonnement, que pour r’asseurer
sa fortune branlante sur l’asseurance infaillible
de nos miseres ; pour remplir ses finances épuisees, de
la plus pure substance de cet Estat ; pour abuser de nostre
facilité, afin de se maintenir dans le gouuernement,

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pour vous charger de nouuelles impositions,
soubs l’apparent pretexte des necessitez de ce Royaume ;
poer se remettre en credit, en vous maistrisant à
discretion, aprés s’estre perdu de reputation dans l’entreprise
de Bordeaux ; pour épier toutes les occasions
d’vne infaillible vengeance, en cachant neantmoins
sa malice d’vn faux voile de bonté ; & pour entreprendre
peut-estre quelque funeste coup, si son conseil
ne peut point trouuer de ressource à sa fortune
branlante, que par la risque d’vn illustre desespoir.

 

FIN.

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SubSect précédent(e)


Dubosc-Montandré, Claude [?] [1650], LES ALARMES DE LA FRONDE, ET L’INSENSIBILITÉ des Parisiens, Sur les approche du Card. Mazarin. Ou les Frondeurs, & les bons François pourront voir qu’ils ont plus de subiet de craindre, que si l’Archiduc s’auançoit auec vne armée de cinquante mil hommes; & que Paris ne sçauroit le receuoir qu auec autant de danger, que d’ignominie, apres l’affront que ce Ministre a receu dans l’entreprise de Bordeaux, & le dessein qu’il a de se faire gouuerneur de Prouence. , françaisRéférence RIM : M0_59. Cote locale : B_13_30.