Du Tillet [signé] [1652], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES PAR ESCRIT FAITES ET PRESENTEES AV ROY PAR MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS EN LA VILLE DE SVLLY SVR LOIRE, CONTRE LE RETOVR ET POVR l’esloignement ou la punition du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3841. Cote locale : B_13_31.
SubSect précédent(e)

TRES-HVMBLES REMONSTRANCES
par escrit faites & presentées au
Roy par Messieurs du Parlement de Paris
en la Ville de Sully sur Loire.

Contre le retour & pour l’esloignement
ou la punition du Cardinal
Mazarin.

SIRE,

La Declaration de Vostre Majesté, qui bannissoit pour iamais de
son Royaume & païs de son obeïssance le Cardinal Mazarin, ayant
precedé d’vn iour la seance que Vostre Majesté prit en son Lict de
Iustice pour sa Majorité, ne nous pouuoit pas permettre de douter
de la fermeté d’vn acte si solemnel, que Vostre Majesté faisoit volontairement
auec tous ses Sujets à la veuë de toute la France.

Nous, qui estions depositaires de la foy publique, eussions creu
cõmettre vn crime de nous en deffier, lors que nous apprismes bien-tost
apres que le Cardinal Mazarin employoit tous les artifices qui
luy sont ordinaires, & faisoit de puissantes cabales dans vostre
Cour pour y reuenir, & se restablir dans l’authorité qu’il auoit vsurpée
durant vostre Minorité Le dessein de cet homme ambitieux luy
a si bien reüssi, que joignant la force à la surprise il s’est approché de
vostre personne, & a repris la conduitte de vostre Royaume, contre
les protestations qu’il a faites dans ses Lettres de ne se mesler iamais
d’aucune affaire d’Estat.

-- 4 --

Sur l’aduis de cette entre prise nous fusmes obligez d’aller au deuant
des mal-heurs qu’elle pouuoit produire, & resolumes de faite tres-humbles
Remonstrances à Vostre Majesté, qui ne tendoient qu à representer
les inconueniens qui arriueroient, & qui en effet ont suiui le
mespris de vos Declarations, que nous tenions pour loix inuiolables.

Nous eusmes grand sujet de ioye, SIRE, lors que Vostre Majesté
nous fit entendre par sa Lettre ses intentions de maintenir ses
promesses Royales, nous asseurant qu’elles ne seroient iamais violées,
Mais bien tost apres l’estonnement nous saisit, lors que Monsieur
le Duc d’Orleans nous fit l’honneur de nous dire que le Cardinal
Mazarin estoit dans Sedan, & auoit fait amas de gens de guerre
pour aller trouuer Vostre Majesté, sans qu Elle nous eust faict la
grace de nous faire sçauoir ses volontez sur vn sujet si important.
Nous ne pouuions croire qu’Elles fussent portées à rappeller celuy,
contre lequel vos Declarations & les Arrests de vostre Parlement
subsistoient, confirmées par la Lettre, que nous venions de receuoir
de Vostre Majesté.

A la verité, SIRE, Nous auions bien de la peine à nous persuader
qu’on eust pû abuser de vostre signature, jusqu’à la faire seruir
en mesme-temps à deux choses si contraires : l’vne d’asseurer que le
Cardinal Mazarin demeureroit pour iamais exclus de vostre Royaume,
l’autre de l’approcher de vostre personne. Vostre Parlement la
respecte trop pour douter de la sincerité de vostre escrit, l’asseurance
que Nous en auions Nous porta à donner l’Arrest du 29. Decembre,
ayant iugé que ce remede estoit necessaire pour arrester vn mal-heur
extreme, & qu’il n’y auoit point de plus forte barriere pour fermer le
passage au Cardinal Mazarin, que de luy donner aprehension de sa
vie, estant permis d’en vser de la sorte contre les perturbateurs du repos
public, qui se couurent de la puissance contre la Iustice : sur tout
lors que nous deuions croire que le progrez du Cardinal Mazarin
dans vostre Estat estoit vn pur attentat, contre vos defenses & plustost
le tesmoignage de son desespoir, qu’vne execution de vos ordres ;
personne ne pouuant s’imaginer qu’il fust capable de vous surprendre
par les importunitez de ceux qui solicitoient son retour pour
leurs interests particuliers, au preiudice de ceux de vostre Estat.

Nous n’auons apris, SIRE, que par le rapport de nos Deputez
le changement de ces resolutions, qui remplira d’estonnement l’Europe
comme ella a desia fait toute la France, & Nous a obligez à donner
Arrest que tres-humbles Remonstrances seroient faites par escrit
à Vostre Majesté pour la descharge de nos consciences, & que la

-- 5 --

posterité voye dans les monumens publics iusques où s’est portée
nostre fidelité pour vostre seruice.

 

N’ayant point estimé qu’il Nous fust loisible de demeurer seulement
spectateurs de la desolation qui menace vostre Royaume ;
Nous vsons de ces mots, non par vne simple prevoyance, mais par
vne connoissance éuidente, qui Nous fait voir que Monsieur le Duc
d’Orleans & tous les Princes de vostre Sang ont pris les armes pour
empescher qu’vn homme incapable ne s’empare de vostre Personne
& de vos affaires, pour mettre vostre Royaume en proye & rendre
vos Sujets les plus mal-heureux de la terre.

Ayez agreable, SIRE, que nostre fidelité vous donne aujourd’huy
des preuues de son zele & de sa fermeté. Nous ne les pouuons
rendre plus certaines qu’aportans à Vostre Majesté la verité, qui est le
plus riche & le plus vtile present que les Sujets puissent faire à leur
Souuerain. Sur tout, si cette verité vous retire non seulement des
apparences qui vous surprennẽt, mais du peril qui vous menace. Cette
consideration qui Nous touche si sensiblement, en mesme-temps
releue nos courages pour les porter à la recherche d’vne gloire, de laquelle
dépend celle de nos charges. Nous la perdrions, SIRE, si Nous
dissimulions plus long-temps ce que nous auons condamné en la
conduite du Cardinal Mazarin, & si ayant jugé apres vne serieuse deliberation,
qu’il est indigne d’estre aupres de vostre Personne, qu’il est
d’vn pernicieux exemple dans vostre Cour, & qu’il est incapable de
gouuerner vos affaires ; Nous ne supplions tres-humblement Vostre
Majesté de faire les reflexions necessaires sur les choses que nous
auons à luy representer.

Nous commencerons par la plus importante, & qui touche plus
viuement nos cœurs, à sçauoir, par le soin que Dieu commande d’auoir
pour vostre sacrée Personne. A cet effet qu’il vous plaise esloigner
le Cardinal Mazarin pour plusieurs considerations, principalement
parce qu’il est homme sans foy, & qui veut establir la perfidie
par des maximes abominables, dont les autheurs doiuent estre escartez
d’auprez les personnes des Roys, veu qu’elles tendent à dissoudre
l’vnion qui doit estre entre le Prince & ses Sujets ; & par consequent
vont à la destruction des Monarchies, estant impossible
qu’elles se conseruent si on rompt les liens de la societé ciuile, & se
priuent des moyens de maintenir le credit parmy ses amis & de se reconcilier
auec les ennemis. Nous dirons dauantage, que si par vne
corruption generale la verité & la bonne foy se trouuoient bannies de
la conuersation & du commerce des hommes, les Princes seroient

-- 6 --

obligez de les garder, non seulement parce que leur reputation vient
principalement de ces vertus Royales, mais à cause qu’il leur seroit
impossible de traitter auec les Estrangers soit de paix ou de guerre.

 

François I. vn de vos predecesseurs, lors qu’on luy voulut persuader
de faire arrester l’Empereur Charles-Quint, qui prenoit son chemin
sur la seureté d’vn passeport, respondit à ces mauuais Conseillers :
Il faut que les Roys, qui ne sont point arrestez par la crainte des
loix & des vengeances humaines, soient retenus par l’estat qu’ils
doiuent faire de leurs promesses, lesquelles ils sont obligez d’executer,
quand tout le reste du monde s’en seroit dispensé.

En effect, SIRE, vostre Majesté iugera bien qu’à l’heure mesme
qu’vn Monarque, qui ne peut estre contraint par les voyes de
Iustice, vient à mespriser sa parole, il ne sçauroit faire vne perte
plus notable que la creance, qui tient les cœurs doucement attachez,
dans lesquels vn Prince sans foy ne reigne plus. Mais les
plus detestables & dangereux Fauoris des Rois, sont ceux qui
apres auoir conseillé d’vser de perfidie, pour se démeler de quelques
rencontres fascheuses, sont assez malicieux pour la vouloir establir
par des maximes generales, & sont si audacieux de les rendre publiques.
Le Cardinal Mazarin qui les a prattiquees, les a aussi enseignees,
en disant plusieurs fois, que la bonne foy ne doit estre en
vsage que parmy les Marchands, que l’honneste homme n’est point
esclaue de sa parole, & qu’il n’y a point de danger de mentir, pourueu
que le mensonge ne soit cognu qu’apres qu’il a reüssi : Si ces
damnables leçons entrent dans l’ame d’vn Prince de vostre aage ?
quels remedes trouuerons-nous à vne guerre ciuile ou estrangere ;
Qui seroit l’Ennemy qui se sieroit à vne paix signee ? Qui seroit
le Subjet qui se tiendroit asseuré du pardon, & qui s’appuiroit sur
vne Amnistie ? N’est-ce pas les moyens pour rendre les guerres
& les reuoltes desesperees.

Nous pouuons donc sans perdre le respect qui est deu à nos Rois,
& sans violer l’obeyssance que nous auons jurée, prendre toutes
sortes de voyes legitimes, qui les pourront obliger à esloigner ces
esprits pernicieux, qui mesurent la duree des Empires à celle de leur
credit, estant chose certaine que sans la bonne foy il n’est pas seulement
impossible de regner sur les hommes, mais de viure parmy
les hommes, d’où vient qu’vn Sage disoit auec beaucoup de raison,
que celuy qui a renoncé a la bonne foy, n’a rien plus à perdre, estant
asseuré qu’ayant rompu le nœud de la societé, ou vie ciuile, il est en
pire condition, que n’est celuy qui est priué de la naturelle.

-- 7 --

Voila, SIRE, ce que le Cardinal Mazarin a souuent voulu faire
par meschans conseils, & paroles scandaleuses. Nous vous pouvons
asseurer que sa persidie n’a iamais paru auec tant d’impudence,
que lors qu’il vous fait escrire que vostre intention estoit
de maintenir vos Declarations, & s’approchoit à mesme temps en
vertu d’autres Lettres exigees de vostre Majesté. En quoy nous pouuons
dire qu’il a tellement surpris sa bouté, que nous oserions asseurer,
que celuy qui tantost par sa colere, & tantost par sa peur, a
souuent blessé vostre authorité, ne luy a iamais fait vne playe si
mortelle : il a creu qu’il la gueriroit, lors qu’il a fait publier par les
siens, ou insere dans vne Declaration qu’il a dressee luy-mesme, &
tient encore cachee, que vostre Majesté auroit esté forcee d’accorder,
celle qui letraitte comme autheur de la continuation de la guerre
des pirateries, & de tous les desordres de vostre Royaume, Mais
il ne peut alleguer cette pretenduë violence faite par des Subjets
à leur Souuerain, sans deshonorer vostre Conseil, & accuser le peu
de soin, que la Reine vostre Mere auoit pris pour maintenir vostre
authorité.

SIRE, vos Declarations ont esté donnees aux instances de Monsieur
le Duc d’Orleans, & à nos tres-humbles supplications : nous
pouuons protester que nous les auons obrenuës en la mesme façon
que l’on fait les graces de Dieu, qui par prieres & larmes se laisse
vaincre à ses creatutes pour accorder leurs demandes.

Si l’ignorance du Cardinal Mazarin ne luy a pû permettre de faire
reflexion sur la iustice de cette pensee, ou si sa malice a esté assez
grande pour la mespriser, que pouuons-nous attendre de bon pour
vostre Majesté & le repos public, de celuy qui a voulu prendre
vne qualité inouïe en France de Surintendant de l’education de
vostre Majesté.

N’auons nous pas sujet de craindre, lors que nous voyons que
cet homme sans naissance, sans conduite, sans vertu, & principalement
sans foy, approche de vostre Majesté, maintenant qu’elle est
en vn âge, qui doit receuoir & retenir les impressiõs, qui luy seruiront
à viure en premier Roy de la Chrestienté, estant certain que vostre
bon-heur & celuy de vos Subjets depend des Conseils qui vous
seront donnez. Ainsi vos peuples iugeront, si nous auons raison de
nous opposer au restablissement de celuy, qui ne reuient que pour
essayer de donner attainte à vostre bon naturel.

Nous voyons aussi auec vn extréme desplaisir, que le Cardinal
Mazarin s’est rendu le plus fort, non seulement prés vostre Personne,

-- 8 --

mais aussi dans vostre Maison, où plusieurs de ses suiuans & de
ses gardes paroissent armez ; ce qui n’auoit iamais esté souffert.

 

Nous auons encore remarqué ce qu’il a dit dans ses lettres, que
quatre ou cinq mil hommes, qui l’ont escorté estoient ses amis, & ses
troupes : d’où s’ensuit que vostre Majesté est en toutes façons és
mains des Estrangers, comme il est tres-certain, que s’estant rendu
dispensateur des Charges militaires, & de toutes les Charges, qui ne
sont conferees & distribuees qu’à ceux qui veulent dependre de luy,
leur creance est, qu’ils ont toute l’obligation à celuy qui vous despoüille
pour les reuestir, & refuse ceux qui ne veulent pas estre ses
Partisans.

SIRE, nous croyons qu’en cette rencontre il est loisible de nous
seruir de toutes voyes legitimes pour garantir vostre Personne des
entreprises sur vostre authorité, & vos Subjets d’oppression : nous
sommes assurez que vostre Majesté ne veut pas ruiner son Royaume,
pour contenter vn Estranger, qui n’a rien de recommandable que sa
qualité de Cardinal, laquelle estant en lui vn present de la fortune &
non pas vne recompense de la vertu, est vn ornement des-honoré
par celuy qui en est reuestu.

Cette dignité qu’il n’a iamais meritée, ne le peut exempter de la Iustice
souueraine que Nous administrons par la puissance que nous tenons
de Vostre Majesté : nous la deuons faire sentir à celuy qui s’est
voulu mesler de vos affaires, & qui s’est engagé par vne consequence
necessaire à rendre compte de sa conduite aux luges establis pour
ordonner la punition à tous ceux, qui abuseront de vostre authorité,
troubleront le repos de vostre Royaume, & violeront les loix, ausquelles
ils se sont soûmis.

Nous auons remarqué vn autre deffaut, qui doit exclure le Cardinal
Mazarin de vos Conseils pour la legereté qui paroist en ses
resolutions, & qu’il pourroit imprimer dans vostre ame les mesmes
maximes qu’il a tenuës dans la dispensation des biens-faits, & dans
le choix qu’il a fait des personnes de toutes conditions, qu’il a aduancées
au preiudice de ceux qui le meritent, & sont plus capables
de vous seruir.

Nous auons aussi grand sujet de nous defier, que le Cardinal
Mazarin ayant pris creance dans l’esprit de vostre Majesté n’entreprenne
de luy communiquer ses passions pour le porter à poursuiure
ses vengeances. Nous n’ignorons pas que la coustume de ceux,
qui ont acquis vn grand credit auprés des Princes, est de leur persuader
que les déplaisirs, qui leur sont faits, sont des entreprises sur l’authorité

-- 9 --

Souueraine, & mesme des tesmoignages d’auersion contre la
personne du Prince ; c’est la pratique commune à tous les Fauoris
de faire croire aux Roys qu’on offense la personne de leurs Majestez
lors que l’on attaque leurs Ministeres ; les artifices du Cardinal Mazarin,
& la connoissance que nous auons du passé, nous font croire
qu’il n’en vsera pas mieux, & ainsi qu’il rendra de mauuais offices
à Monsieur le Duc d’Orleans, aux Princes du Sang, aux Cours
Souueraines, à vostre bonne Ville de Paris, à vos principaux domestiques,
à la Noblesse, à vos Officiers, & à tous vos peuples ; ce
qui nourrira Vostre Majesté dans vne continuelle defiance de ses
plus proches & de ses plus fidels seruiteurs, d’où viendront les ressentimens
des offenses, & les apprehensions qui altereront le repos
& la Paix de vostre Estat. Ces malheurs sont inéuitables, SIRE, si
Vostre Majesté ne renuoye celuy qui ne peut estre dans le Pays &
terres de vostre obeyssance, sans y porter le trouble par son humeur
entreprenante, qui s’efforcera tousiours de faire croire à Vostre Maiesté
que les plaintes contre l’insolence de sa fortune, sont des conspirations
contre vostre Estat.

 

Lors qu’il plaira à Vostre Maiesté se faire instruire de tout ce qui
s’est passé durant vostre Minorité, elle trouuera que ce n’est pas le
Cardinal Mazarin qui a fait des merueilles pour vous, mais que Dieu
a fait des miracles pour vous garantir des perils, dans lesquels cét
homme peu sage auroit ietté vostre personne, vostre authorité, &
tout vostre Royaume.

Il ne suffit pas que les Roys s’arrestent dans la consideration des
choses qui les touchent en particulier, estant enuoyez de Dieu pour
estre les Gouuerneurs & les Peres des Peuples qui leur sont commis ;
mais ils sont obligez d’esloigner tout ce qui peut corrompre les
mœurs de leurs Sujets, principalement de ceux qui ont l’honneur de
les approcher.

Ceux qui ont voulu dire que le Cardinal Mazarin n’auoit point
l’esprit porté à la cruauté, n’ont iamais consideré ny ce qu’il a fait
pour entretenir les guerres, & empescher la Paix, ny la resolution
qu’il prit sans sujet de faire perir par la faim dans vostre bonne Ville
de Paris deux millions de personnes, ayant contraint la Capitale de
vostre Royaume à prendre les Armes pour sa deffense naturelle, &
pour chercher du pain ; ce qui donna à vos voisins vne tres-mauuaise
impression du Gouuernement de vostre Minorité, toute l’Europe
ayant sceu que ce siege auoit esté entrepris par l’indignation
d’vn Estranger, qui vouloit faire finir par le plus cruel de tous les

-- 10 --

fleaux de Dieu les Bourgeois de cette grande Ville.

 

Mais se falloit-il estonner si le Cardinal Mazarin estranger n’auoit
point de bienueillance pour la France, dans laquelle il ne s’estoit arresté
que pour esleuer sa fortune aux despens de vos Sujets, il les a
traittez en Barbares, s’estant imaginé qu’il les auoit conquis, il s’est
seruy de l’industrie des Partisans, qui s’estant rendus tributaires,
gardoient pour vn temps ce qu’ils luy donnoient pour le faire valoir,
& luy rendre compte du principal qui estoit grand, & de l’vsure
qui estoit excessiue. Ainsi Vostre Majesté souffroit vn double larcin
de vostre pauure peuple qui payoit tout, estoit doublement surchargé.
Cét homme instruict par des mauuais François contre la
France, a continué cét infame trafic tant qu’il a esté en credit, ayant
esté interrompu par son absence, la passion des Partisans s’est imaginée
qu’on leur rauissoit ce qu’ils ne pouuoient plus des ober, & les
a portez à se rendre les plus ardans solliciteurs du retour de leur
Protecteur.

La France a souffert ces desordres auec plus d’impatience en vn
Estranger, qui deuoit considerer que cette qualité luy commandoit
la retenuë & la discretion, qui esloignent l’enuie & la haine dont ordinairement
sont accompagnées les puissances arriuées à vne hauteur
demesurée, personne ne pouuant voir qu’auec extrême regret
vn Sicilien se seruir sous vostre nom d’vne puissance absoluë, estant
dépourueu de tout ce qui est necessaire pour bien gouuerner vn
Estat.

Pour faire voir cette verité nous n’alleguerons pas sa naissance
parmy vne nation ennemie de la nostre, & qui nous a fait sentir autresfois
sa fureur & sa trahison par les Vespres Siciliennes.

Mais nous sommes obligez de representer à Vostre Maiesté sa
mauuaise conduite lors qu’il a exercé les voyes de rigueur enuers vos
Subjets de toutes conditions, ayant fait emprisonner les Duc de
Beaufort, Mareschal de la Mothe, President Barillon, & transporté
le denier hors du Royaume où il finit ses iours, arrester & chasser
plusieurs Officiers de vos Cours Souueraines, causé les disgraces de
ceux qui auoient seruy & consolé la Reyne vostre Mere, troublé la
ioye publique d’vne Victoire remportée par vos Armes sur vos ennemis,
enleué par deux fois Vostre Maiesté auec peril de sa personne
sacrée, fait dessein de saccager vostre bonne Ville de Paris remplie
de tant de millions d’innocens, ruiné le commerce, diuerty le fonds
des rentes, desquelles beaucoup de pauures viuent, & qui font la
meilleure partie du bien de plusieurs riches, mescontenté vos Alliez,

-- 11 --

mesmes les Suisses, destournant les deniers destinez à leur solde,
fait emprisonner Messieurs les Princes de Condé & de Conty, & le
Duc de Longueuille sur des conjectures legeres, s’imaginant qu’vn
attentat de cette nature ne produiroit aucune alteration dans le
Royaume, & qu’on laisseroit souffrir en prison le Sang Royal, sans
en considerer l’importance, interdit le Parlement de Bourdeaux par
mauuais conseils, & contraint la Ville & la Prouince à prendre les
Armes, abandonné aux Espagnols non seulement la Champagne,
mais. Isle de France & les enuirons de Paris, lors que vos meilleures
Troupes estoient employées pour accabler vos Subjects, fait traduire
les Princes prisonniers en la Citadelle du Havre, lieu incommode
à leur santé, dont ils pouuoient estre aisément enuoyez hors du
Royaume, couuert tous les conseils precipitez ou temeraires du pretexte
specieux de vostre authorité Royale, sans auoir appris en quoy
elle consistoit, laquelle il n’a iamais apprehendé de commettre
sans la soustenir.

 

SIRE, il est tres-necessaire que Vostre Majesté connoisse le
vray estat de la Monarchie Royale : on ne doit proposer à Vostre
Majesté que les exemples des bons & sages Roys, comme celuy de
Henry se grand vostre ayeul, lequel estant pressé de faire verifier
dans vostre Parlement vn Edict nouueau, & ayant apris par la
bouche de Monsieur de Harlay premier President, que ce qu’il
desiroit contre les Loix ne pouuoit passer qu’en employant la puissance
absoluë, ce Prince Iuste & Clement (dit ces paroles dignes
de luy) à Dieu ne plaise que ie me serue iamais de cette authorité
Souueraine qui se destruict souuent en la voulant establir, & à laquelle
ie sçay que les peuples donnent vn mauuais nom.

Nous auons aussi sujet dé croire que l’interest du Cardinal Mazarin
n’a iamais esté que de se seruit de vostre authorité pour maintenir
celle qu’il auoit vsurpé, & empesché les oppositions à son prodigieux
credit qui ne vouloit point estre contrarié Il voudroit volontiers
persuader à Vostre Majesté qu’il à plus de passion & d’interst
pour vostre puissance Royale que vos Cours Souueraines,
qui en tirent leur premier estre, & leurs continuelles conseruations.
Nous perdrions auec la conscience le iugement & serions
plus aueuglez qu’vn Sanson, si nos mains esbranloient les Colonnes
qui soustiennent la voute qui nous couure, estant certain que sa
cheute nous accableroit auec nos familles, nos amis & nos biens.

Serions nous bien si mal-heureux qu’il peust entrer dans vostre
esprit, que le Cardinal Mazarin, qui est vn Estranger passant par

-- 12 --

vostre Royaume pour butiner, fut plus zelé pour la dignité & perpetuité
de vostre Monarchie, que nous qui auons l’honneur d’estre
François, & vos principaux Officiers ayant nos fortunes & celles
de nos enfans attachées à la grandeur de vostre Royauté.

 

Serions nous bien si peu aduisez de croire qu’vn hõme de cette condition
ignorant nos mœurs & nos Loix, fust capable de nous instruite
sur les droicts de vostre Couronne, & de nous monstrer les
bornes de nostre affection & fidelité à vostre seruice, luy qui n’a
pris aduis d’aucuns sages ny preueu l’aduenir, qui est tout ce qu’vn
Ministre aduisé doit considerer, sçachant bien qu’en trauaillant
pour vn Royaume, il trauaille pour l’eternité, sans limites de
temps, qu’il ne faut iamais prescrire aux Monarchies.

Le Cardinal Mazarin a faict paroistre qu’il ne regardoit point
l’aduenir, lequel a voulu continuer les guerres, & pour les entretenir
a employé les derniers efforts, espuisant la France de soldats &
de Finances, sans aduiser si ces deux choses venoient à manquer qu’il
seroit contraint de consentir à vne Paix honteuse, où de ceder à la
haine publique, qui s’esleueroit contre luy, pour auoir perdu la saison
de conclurre vn Traité aduantageux & honorable à la France,
comme celuy qui estoit projeté & sur le point d’estre signé à
Munster, qui a esté rompu par le Cardinal Mazarin, qui ne
pouuant diuertir ses yeux de ses interests, ne voulut iamais consentir
la paix. Le mal est venu de ce que le Cardinal Mazarin s’est tousiours
imaginé qu’il trouueroit plus de seureté dans les troubles,
qui le maintiennent en plus grand lustre, & le rendent plus necessaire,
s’estant emparé du commandement & de la puissance des armes.

Nous voyons maintenant qu’il a causé tant de desordres que nous
sommes dans les guerres Estrangeres & dans les domestiques, que
nous auons perdu plusieurs places qui nous estoient laissées par les
Traitez qu’il a rompus. Les Espagnols ont cette obligation au Cardinal
Mazarin, que non seulement il leur a rendu les Conquestes
qu’il croyoit estre siennes, mais encore celles qui auoient esté faites
soubs le Regne du deffunct Roy vostre Pere, & ce qui est plus
estonnant, c’est qu’il employe maintenant vostre puissance & n’est
rentré dans vostre Royaume, que pour persecuter les Princes qui
auoient gagné ce qu’il pert en les voulant perdre, ne se souciant pas
que les anciens ennemis de la France, la pillent lors qu’il y met le
feu pour en chasser s’il peut les enfans de la maison, qui ont souuent
exposé leur vie pour vous acquerir de la gloire, comme si ce n’estoit

-- 13 --

pas assez de faire perdre les fruicts de leurs genereuses conquestes,
s’il ne destruisoit encore leurs personnes.

 

SIRE, il n’est pas en nostre pouuoir d’exprimer les rares merites,
& les grandes actions de Monsieur le Duc d’Orleans vostre
Oncle ; Nous ne disons pas que les plus importantes princes des places
durant vostre Minorité, ont esté les effects des sages Conseils,
soings, vigilance, courageuses entreprises, veritables affections &
respets pour vostre Personne & le bien de vostre Estat ; Nous ne pouuons
passer sous silence les combats de Monsieur le Prince de Condé,
la terreur de vos armes qu’il a portée sur l’Escaut, sur le Rhin,
sur le Danube & ailleurs. Il semble maintenant, SIRE, que tout
cela soit effacé pour faire triompher de ces Princes vn Estranger
qui ayant esté chassé par vos Declarations, reuient pour prendre le
gouuernail de vostre Royaume, ayant obligé les plus sages Pilotes à
se retirer lors qu’ils ont veu qu’il venoit auec resolution d’employer
vostre authorité & vos forces pour venger ses querelles particulieres,
pour se rendre maistre de vostre Estat en s’emparant de vostre
Personne.

Vostre Majesté sçaura vn iour ce que luy couste l’entreprise
d’Orbitelle, de Piombino, de Portolongone, & de Naples, où le
Cardinal Mazarin vouloit s’establir des retraittes ; & s’acquerir des
Souuerainetez, ce deffaut de sa mauuaise destinée, toutes ses pretentions
ne nous ayant comblez que de perte & de honte.

Pour descouurir ses maluersations dans ces guerres d’Italie, il ne
faut voir que les liures de Cantariny, qui verifieront qu’on a enuoyé
en ce pays-là plus de trentre millions de liures, sans auoir fourny
estat valable de l’employ.

Considerez, s’il vous plaist, SIRE, combien de Sang & de Finances
la France a perdu pour n’auoir à la fin que de la confusion
procurée par les imprudences & mauuais desseins du Cardinal Mazarin :
C’est pourquoy, SIRE, Nous supplions tres-humblement
vostre Majesté rendre la Iustice à vos Subjets, & à vos voisins, qui
se plaignent des pirateries que le Cardinal Mazarin a commandees
& entretenuës iusques à authoriser le brigandage par vos Lettres,
pour profiter de ses larcins, qui ont ruiné le commerce, & reduit
à la mendicité plus de vingt-mille familles.

Le Cardinal Mazarin n’a pas preueu que les Finances, qui sont
les nerfs de la guerre luy manqueroient, qu’il luy seroit impossible
de dresser & entretenir sept ou huict armées sur terre ou sur mer,
de payer les garnisons d’vn grand nombre de places conquises, &

-- 14 --

des anciennes frontieres, de soudoyer vne excessiue multitude d’Estrangers,
qui ne combattent que pour la montre, qu’on auoit sujet
d’apprehender ou la disette d’argent, si on vouloit contenter tant de
personnes, & les maintenir dans la discipline, ou qu’estant violee
à faute de payement, vos Prouinces seroient exposees à la licence
& au desespoir des soldats, qui les ont traittees depuis trois ans auec
toutes sortes d’hostilitez & de barbaries. Qui doute que le Cardinal
Mazarin qui a voulu auoir tout seul la direction de la guerre, ne soit
la veritable cause de tous les maux que n’auons soufferts, qui se sont
rendus insuportables, lors qu’on a pû fournir aux extraordinaires
despenses de celuy, qui les ayans faites sans regles & sans fidelité,
nous a enfin jetté dans l’impuissance que luy-mesme a découuert
aux Ennemis dans les Lettres qu’il a escrites à vostre Majesté, & à la
Reine vostre Mere.

 

Iugez, SIRE, s’il auoit trouué les moyens d’acquerir la creance,
qui est necessaire à vn homme employé aux grandes affaires de
vostre Estat, & qui doit faire valoir vostre authorité ; Le Cardinal
Mazarin ne sçauoit pas qu’vn Royaume remply de personnes de
bon esprit & genereux ne pouuoient demeurer long-temps dans
vne seruitude qui luy est dommageable & honteuse, ny supporter
tousiours celuy qui est hay & mesprisé tout ensemble. Il a esté si souuent
auerty de l’vn & de l’autre par les plaintes publiques, par nos
frequentes Remonstrances, par les mécontentemens de ces Peuples,
qu’il y a dequoy s’estonner de ce qu’vn homme ayant la connoissance
de ces choses & de vos Declarations & Arrests de tous
vos Parlemens qui l’ont banny de ce Royaume, a eu l’asseurance d’y
reuenir pour esmouuoir de plus grands bruits, cherché des perils
plus certains, encouru plus de reproches & donné lieu à des condemnations
plus seueres mais équitables. Quand le Cardinal Mazarin
pensera à ce qui est arriué il y a trente ans à vn homme de sa nation
beaucoup moins criminel que luy, il iugera les dangers dans lesquels
il s’est precipité.

SIRE, Nous ne pouuons satisfaire au deuoir de nos charges &
à nos consciences, qu’en protestant à Vostre Majesté qu’il nous seroit
imputé à crime, que de vous dissimuler les maux que ce funeste
retour du Cardinal Mazarin va produire, si Vostre Majesté n’y remedie
au plustost, & ne considere combien il importe à sa reputation,
authorité & seruice, de ne laisser pas long-temps Monsieur le Duc
d’Orleans vostre Oncle, & Messieurs les Princes de vostre Sang,
dans les ressentimens où ils sont pour les affaires passées, & dans les

-- 15 --

sages aprehensions pour celles qui peuuent arriuer à cause de la
mauuaise conduite & retour du Cardinal Mazarin.

 

Nous esperons, SIRE, que Vostre Majesté fera Iustice à soy-mesme,
à son Estat, à Monsieur le Duc d’Orleans, aux Princes
de vostre Sang, à vos Parlemens, aux Grands de vostre Cour, & generalement
à tous ses Peuples, qui se prosternent à vos pieds, & par
nos voix supplient en toute humilité Vostre Majesté de vouloir
reünir vostre Maison Royale, donner la paix à la France & à toute
la Chrestienté, en esloignant pour iamais ce Cardinal Mazarin
des terres & païs de vostre obeïssance, qui est rentré insolemment à
main armée dans vostre Royaume, desertant vos frontieres, retirant
les Gouuerneurs & garnisons des places, rauageant & desolant
vos Prouinces contre vos Declarations & les Arrests de vos
Parlemens, vos promesses Royales, & celles de la Reyne vostre
Mere si souuent reiterées, qui nous ont asseuré de son esloignement
sans esperance de retour. Nous nous promettons que Vostre
Majesté prendra ce bon Conseil pour la tranquillité publique & le
bien de vostre seruice. Ne trouuez pas estrange, SIRE, s’il vous
plaist, si nous pressons Vostre Majesté d’avancer cet vnique remede
qui doit faire cesser tous les desordres de vostre Estat par cet esloignement.
Tous les accommodemens qu’on proposeroit en retenant
le Cardinal Mazarin, augmenteroient le danger & produiroient de
simptomes nouueaux ; Il est constant que nos playes s’ouuriront
tousiours si ce corps estranger ne sort.

Nous croyons, SIRE, qu’aussi-tost que la sagesse qui paroist
en Vostre Majesté par-dessus vos années, sera en sa parfaicte liberté,
c’est-à-dire, apres l’esloignement de celuy qui en a arresté le cours ;
Vostre Majesté connoistra que nos oppositions au restablissement
du Cardinal Mazarin, & la resolution que nous auons prise conforme
aux bonnes intentions de Monsieur le Duc d’Orleans vostre
Oncle, ne partent que de la passion extreme que Nous auons &
conseruerons toute nostre vie pour la Personne sacrée de Vostre
Majesté, pour la tranquillité de la France, & la paix de la Chrestienté :
Ces veritables protestations sont les vœux des tres-humbles, tres-obeyssans
& tres-fideles Seruiteurs, Subjets & Officiers de vostre
Parlement.

Signé, DV TILLET.

-- 16 --

SubSect précédent(e)


Du Tillet [signé] [1652], TRES-HVMBLES REMONSTRANCES PAR ESCRIT FAITES ET PRESENTEES AV ROY PAR MESSIEVRS DV PARLEMENT DE PARIS EN LA VILLE DE SVLLY SVR LOIRE, CONTRE LE RETOVR ET POVR l’esloignement ou la punition du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_3841. Cote locale : B_13_31.