Anonyme [1649], DISCOVRS POLITIQVE AVX VRAIS MINISTRES D’ESTAT. , françaisRéférence RIM : M0_1134. Cote locale : C_7_47.
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DISCOVRS POLITIQVE
aux vrays Ministres d’Estat.

COMME le Corps estant affligé de quelque maladie on
a recours aux Medecins, afin de trouuer par leur science
le soulagement qu’on en espere, & la fin des maux qui
le tourmentent, aussi de mesme vn Estat affligé de quelques
diuisions qui sont comme des maladies interieures,
recherche quelques personnes doüées des qualitez qui rendent les
hommes recommandables à toute leur posterité, & qui puissent par
la force de l’esprit dissiper les calamitez qui les pressent.

Les douleurs qui ont tourmenté la France depuis tant d’années, &
les bestes venimeuses qui depuis si long-temps s’efforçoient de la
ronger iusques aux entrailles, ont donné lieu à sa Maiesté de faire recherche
de quelques personnes illustres en naissance & en vertu, &
qui agissans sous son authorité ay puisé du secours du Ciel, & suiuis
des vœux de tout le monde, puissent surmonter genereusement les
tempestes & les mal-heurs qui menaçoient cette Republique d’vn
naufrage asseuré.

Il est d’vn Estat ou d’vne Monarchie comme d’vn corps, lequel denué
de la vie qui le maintient n’est autre chose qu’vne masse immobile,
qui d’elle-mesme ne peut agir si elle n’est animé au dedans. Cette
ame des Royaumes sont ces hommes illustres qui par la force, les vns
de leurs armes, & les autres de leur raisonnement, font mouuoir cette
grande masse qui les compose, & ce nombre infiny de peuples qui
les habitent, d’auec la iustesse des mœurs, & dans vne vnion admirable ;
les conseruent comme l’effort de leurs ennemis, & purgent les
Prouinces des pestes qui les infectent : Ou tout au contraire de ces
excellens personnages, & de ces puissantes lumieres ils feroient autant
de faux pas que le Cyclope d’Vlisse, & tomberoient à la fin dans
vn labyrinthe de confusion, dont ils auroient peine de se retirer.

Le bon-heur de la France nous en a produit quelques vns, & malgré
la corruption qui afflige cet illustre Royaume, luy a conserué des
Esprits dignes certes d’vne gloire immortelle, & qui peuuent rendre
cet Estat aussi florissant qui l’ayt iamais paru ; l’integrité de leurs
mœurs, & la pureté de leurs actions sont les marques auantageuses qui
les ont rendu dignes du choix que sa Maiesté en a fait : Et comme la
Iustice est le sacré lien de la societé humaine, elle les en a rendu depositaires,

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& a mis ce precieux gage entre leurs mains pour en estre les
iustes dispensateurs. Que seroit-ce aussi des Royaumes & des Empires ?
sans la Iustice, sinon qu’autant de brigandages. Vn Empereur
aussi sage que prudent, disoit, encores que ie puisse tout, il n’y a
pourtant que les choses iustes qui me soient permises, & estimoit celuy-là
seul digne du gouuernement, qui estoit le meilleur & le plus ;
iuste de ceux à qui il commandoit. Cette vertu est tellement recommandable
aux grands Monarques, que l’Escriture les exhortant à
leur deuoir, leur parle en ces termes. Escoutez-vous, ô Potentats,
& vous autres Iuges de tous les confins de la terre, apprenez, ouurez
les oreilles, vous qui gouuernez les multitudes, & prenez plaisir
aux peuples des Nations : Car la puissance vous est donnée du Seigneur,
& la vertu du Souuerain, lequel examinera vos œuures &
sondera exactement vos pensées, pour ce que quand vous estiez les
Ministres de ses Royaumes, vous n’auez pas iugé directement, vous
n’auez pas obserué la Loy de Iustice, & n’auez point cheminé selon
la volonté de Dieu. On voit par là comme l’ornement du Prince ne
consiste pas en la seule pompe & splendeur d’vne Cour, soit pour
s’y faire honorer d’vne grande suitte de Courtisans, ou soit pour y
surpasser les autres en luxe & en dépense ; Mais ce qui le rend plus
glorieux & plus recommandable est la Iustice, qui est representée
par le sceptre qu’il porte en sa main. Agesilaüs parlant d’vn Roy de
Perse, qui s’attribuoit le titre de grand Roy, dit qu’il n’estoit pas plus
grand que luy, voulant dire par là que les richesses & l’estenduë des
pays ne font pas la grandeur d’vn Roy, mais la Iustice & l’integrité
des mœurs.

 

C’est pourquoy ce bon & excellent Monarque Louis treiziesme
d’heureuse memoire, a tousiours affecté la glorieuse qualité de Iuste,
& s’en voulut reuestir dés le berceau comme d’vn manteau de pourpre,
& de plus glorieux ornement qu’il eust peu choisir. Et certes
nous auons dequoy loüer la Diuine Bonté de ce que de cette source
epurée, il en a fait couler de si fauorables ruisseaux ; nous ayant fauorisé
de doüer si precieux, que des personnes de sa Maiesté & de Monseigneur
le Duc Danjou son frere ; de ce Roy dis-ie tant de fois desiré,
& demandé des François par des prieres si feruentes ; & Dieu pour
comble de graces & de benedictions, a voulu adiouster à cette qualité
de Iuste celle de Dieu-donné, afin que faisant reflexion sur cette
grace particuliere du Ciel, il tirast de là l’origine de cette belle vertu,
qu’il a fait voir aussi tost qu’il a peu reconnoistre cette grande faueur,
& dont ces liberalitez iournalieres & l’integrité des actions, en
font admirer les effects en donnant des Magistrats à ses peuples, qui
possedent les mesmes vertus qui luy sont originelles, & honorant de
ces charges si releuées ceux qui en ont donné de veritables preuues,
chacun doit esperer desormais du bien & de l’honneur d’vn tel ministere,

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& se sent en soy-mesme exciter à se former sur des modeles si
accomplis, & imiter à qui mieux mieux les belles qualitez dont ils
esclatent ; Esperons donc (chers compatriotes) de ces genereux Ministres
le soulagement des maux qui nous oppressent, & que nous
verrons par leurs conseils releuer cet Estat, & le remettre en sa premiere
splendeur, que leur exemple fera refleurir la pieté enuers Dieu,
l’obeyssance enuers le Prince, l’amour & la concorde entre nous, &
le support que nous deuons esperer de leurs genereuses negotiations ;
Quelle plus grande gloire pourroit aussi desirer vne ame genereuse,
que de se voir en estat de faire du bien à plusieurs. Certes il est de ces
courages, ainsi portez à recommander autruy, comme de ceux qui
possedans vne source d’eau minerale, ne la retiennent pas dans l’enclos
de leur maison pour leur vsage particulier, mais en distribuent
à tout le monde, & font tout chacun participant des faueurs & du
soulagement qu’elle peut apporter : Aussi sa Maiesté secondée des
intentions de cette Auguste Reyne sa Mere, reconnoist amplement
les seruices signalez que luy rendent ces ames genereuses, & cependant
qu’ils veillent & trauaillent au bien & à l’aduancement de ses
affaires, espouse luy-mesme leur fortune & pouruoit à l’accroissement
de leur maison par des recompenses dignes de leurs trauaux :
Considerez donc que le plus grand seruice que vous puissiez rendre
à sa Maiesté, est luy conseruer l’affection de ses suiets, laquelle ira
dautant plus croissant qu’ils verront leurs seruices reconnus, & que
ce qu’ils attendent auec tant d’impatience, & promis depuis si long-temps
sera religieusement accomply. Il est donc besoin de commencer
par la recherche de ceux qui esbloüis par l’esclat de leurs richesses,
sembloient vouloir creuer les yeux de tout le monde par l’or, dont
ils brillent & dans le luxe où ils se sont plongez, lequel leur a attiré
l’enuie, & depuis la haine de tout le peuple ; On ne peut pas commencer
la purgation d’vn corps plein de mauuaises humeurs ; comme est
la France, par vn remede plus salutaire, que celuy qui regarde l’incision
d’vn chancre qui alloit deuorant toutes les parties de ce grand
Corps : Ce n’est pas que l’intention du Prince soit d’enuelopper
l’innocent auec le coupable, estant certain qu’il y a des personnes qui
peuuent auoir acquis du bien sans concussion ny larcin, & qui ayant
eu à contenter les seruiteurs du Roy, leur ont donné suiet de se loüer
d’eux : on ne peut non plus accuser de crime ceux qui de profession
mediocre ont amassé quelques biens ; mais combien peu ont vescu
d’vne vie frugale, & par le mesnage de leur reuenu, ont trouué le iuste
moyen de s’accroistre, sans pouuoir estre blasmé de personne ; aucun
n’ignore aussi que les familles opulentes, ne soient les plus beaux ornemens
des Citez, & que le Prince n’en puisse estre vtilement secouru
à son besoin : Mais la rigueur des Loix ne peut estre exercée, que
contre ces champignons qui naissent en vne nuict, & qui tirez du

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fumier deuiennent par trop splendides & desreglez en leur façon de
viure, & dans la somptuosité de leurs bastimens 3 Ce sont ces harpies
qui par leur propre intrigue ou par l’entremise de leurs adherans s’approprient
tout, & se partagent les recompenses des seruices d’autruy ;
la conscience leur sert de partie pour les accuser, & de Iuge pour les
condamner ; ce n’est pas que sa Maiesté (vraye Image de Dieu) ne
puisse exercer sa clemence sur ceux qui se trouueroient conuaincus de
ces crimes odieux, estant vne espece de supplice d’auoir veu le coupable
s’humilier, la rapine n’est pas vne lepre qui infecte seulement quelques
corps, mais c’est vne corruption presque vniuerselle, & la seule
conuoitise est celle qui l’entretient ; Car tel demeure les bras croisez,
& vit dedans loysiueté, asseuré qu’il est que la plus grande vsure qui
puisse faire profiter son argent est le temps. Ie ne m’estonne donc
plus s’il y a des hommes, qui n’ont que les pas & la robbe de iustice,
laquelle ils denient bien souuent à leurs propres seruiteurs, leur refusant
le salaire que merite lassiduité de leurs seruices, & leur inuiolable
fidelité ; On ne peut donc esperer que toute iniustice entre les hommes,
tant que les pauures & les foibles seront exposez à l’auarice insatiable
de ces sangsuës, qui mettent le comble de la vertu dans le grand
amas de richesses, sans considerer que l’integrité de la vie & le mespris
de ces fausses apparences, est le plus vray chemin que l’on doit tenir
pour paruenir à la gloire des Bien-heureux.

 

On disoit autrefois que les Atheniens sçauoient beaucoup de bien,
mais qu’ils ne le faisoient pas ; Ie voudrois qu’on n’en peust dire autant
des François, si ces veritables personnes ne nous promettoient
vn sort plus fauorable : Les membres du Corps puissant d’vne parfaite
santé, quand la teste est bien saine, par ce que les nerfs qui les font agir
& leur donnent l’aliment deriuent du cerueau, aussi est-il veritable que
ceux qui ont l’administration de la chose publique, quand ils apportent
les remedes aux playes de l’Estat blessé, font cesser les cris de
ceux qui sont opprimez, & leur font supporter le mal qu’ils souffrent
auec plus de patience ; sur l’esperãce qu’ils ont d’vne prõpte guarison,
& de ioüir d’vne tranquillité parfaite, sans faire cõme certains Medecins,
qui pendant qu’ils discourent sur vne maladie, laissent si bien enraciner
le mal, qu’il surmonte enfin les remedes, pour luy estre appliquez
trop tard. Sa Maiesté n’a donc besoin que d’estre puissamment
secondez de ses plus fidels seruiteurs, c’est là ou l’on attend les effects
miraculeux de cette probité, qui les a rendu dignes de ce rare choix, &
qui les dérobant à eux-mesme les consacre tout au public. On lit qu’il
y eut iadis vn peuple de la Grece, qui ne voulut iamais redresser les
ruines des Temples, que certains sacrileges auoient démolis, afin que
l’horreur de leur impieté parust eternellement. Il ne faut pas en vser
ainsi de la corruption qui s’est glissee comme vn serpent dans cette
Monarchie, au contraire il faut espouser si genereusement les iustes interests

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de la Patrie, que les peuples benissent eternellement ceux qui
les auront deschargez de l’oppression sous laquelle ils gemissent ; ils
s’estimeront heureux d’auoir vescu sous vn regne, ou l’on ayt eu quelque
commiseration de leur calamité ; cela leur fera reconnoistre qu’on
les tient pour hommes libres, & non pas nez dans vne seruitude qui
rende leur estre & leur condition egale à celle des brutes : Cette entreprise
sera d’autant plus glorieuse, qu’elle n’a pour obiet que le salut
& la conseruation des suiets de sa Maiesté, accablez de tant de miseres,
qu’ils n’osent ouurir quasi la bouche pour plaindre leurs calamitez.

 

Agissez donc Ministres glorieux sous des auspices si fauorables, &
soustenus de l’authorité de vostre Roy, & des Sages aduis de cette genereuse
Princesse la Reyne Regente sa Mere, afin que conspirans tous
à vne œuure si Saincte, la France se puisse vanter qu’elle a des hommes,
qui despoüillez de tous interests particuliers n’ont rien de plus
recommandable que la guerison du mal qui la presse. Cela ne se pourra
peut-estre faire sans murmure & sans encourir la haine de quelques-vns ;
mais c’est le propre des grands personnages d’auoir egalement
des meschans pour ennemis, & des gens de bien pour admirateurs
de leur vertu, Hercule (disent les Poëtes) eut l’enuie pour nourrice,
afin qu’il s’accoustumast dés l’enfance à reietter tous ses traits enuenimez,
pour acheuer plus heureusement les heroїques conquestes
qui luy estoient destinées, lors qu’il auroit atteint l’aage d’homme. Dauid
ce sage Roy, & le vray exemplaire des Roys Chrestiens, tenoit
pour comble de grace & de benediction de voir dans son Estat la Paix
& la Iustice se donner le baiser de concorde. Puissiez-vous aussi faire
fleurir pendant de longue années l’vne & l’autre parmy nous, afin
que les bouches des bons François ne soient plus occupé es qu’en des
acclamations de ioye, & en des applaudissemens & benedictions pour
ceux qui leur auront procuré vn si signalé bon-heur : Ainsi toutes choses
remises dans leur splendeur, & iouyssons tous d’vne tranquillité si
souuent troublée par tant de diuisions, & alterez par tant de guerres
& d’oppressions, cette Monarchie aille surmontant tous les Royaumes
de la terre.

FIN.

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