Davenne, François [?] [1650], LETTRE PARTICVLIERE DE CACHET envoyée par la REYNE REGENTE A MESSIEVRS DV PARLEMENT. Ensemble vne response à plusieurs choses, couchées en la Lettre envoyée au Mareschal de Turennes, & aux avis donnez aux Flamans. , françaisRéférence RIM : M0_2250. Cote locale : C_3_9.
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REFVTATION.

I’AY appris que quelques esprits bigearres, lesquels ont
autant d’intelligence que des mouches, se scandalisent de
ce qu’on fait parler la Reyne Regente, afin de luy dire par elle,
à elle-mesme la verité : mais si ces Critiques auoient sondé
les secrets diuins, ou consideré que le Nouueau Testament
inuente cent paraboles, afin de faire ouyr aux Iuifs la parolle
Diuine auec addresse ; ils adoreroient en cecy ses ressorts, plutost
que de s’indiquer mes inuentions.

Dieu fait iuger les personnes en sa parolle, par leur propre
bouche, dit le Verbe, & pourquoy donc me condamnez vous,
si auec la dexterité de son esprit ie fais découler de leur langue
mille veritez qu’ils abhorrent dans le cœur ? Ie dois bien auoir
autant de permission d’écrire des choses vrayes, au nom de la
Reyne, quoy que cela luy déplaise, comme Mazarin des mensonges
au nom du Roy, quand il dit : Car tel est nostre plaisir.

Ie fais voir accomply, ce que IESVS a prophetisé : qui me
condamne, à raison de cela, à cause que ie fais voir les choses
accomplies, trajete, sa criminelle Sentence contre celuy lequel
a dit, qu’il en feroit voir l’accomplissement. D’ailleurs,
quand ie prendray le suiuant reuers, afin de parer le dire de
l’ignorance, ie pourray iustifier de mon procedé.

Ie fais parler la verité de Dieu par moy, ou pour mieux dire,
le Dieu de la verité parle par ma bouche aux tyrans de la
Cour : de cette façon ne puis-je pas donner à cette belle ennemie
du mensonge, le tiltre glorieux de Reyne Regente du
Ciel & de la Terre, puis qu’elle regit tout ? cela ne vaut pas la
peine d’estre prouué par raison, dautant que l’homme le plus
dépourueu de iugement, l’auoüera par le sens commun : nul
ne peut m’interdire en ce rencontre, ny de ce que ie leur parle

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hardiment. Si ie me tais, les pierres parleront : or il est plus
expedient que ie parle, suiuant le sentiment de Dieu, que s’il
estoit obligé de faire entendre sa voix par les insensibles rochers,
parce que l’homme viendroit vne roche, s’il ne vouloit
pas annoncer à ses freres le langage diuin ; & que les pierres
seroient faictes des enfans d’Abraham, si elles leur faisoit retentir
la voix de la Diuinité.

 

Ie ne doute pas qu’on ne me cherche, afin de me perdre, par
ce que ie ne veus pas deuenir vne montagne, priuée de l’humain
sentiment, mais ie sçay que Dieu me trouuera pour me
sauuer, à cause que ie luy obeïs. Ie dirois volontiers aux ennemis
de ma vie, comme IESVS aux Iuifs, pour quelles de mes
bonnes œuures me lapiderez-vous ? mais parce qu’on me repondroit,
comme on luy répondit, Non pas pour des bonnes, mais
pour des mauuaises, ie me veus taire, afin de ne les obliger pas
de parler ; car puis qu’on l’appella Belsebut en Hierusalem,
par ce qu’il leur disoit la verité, ie n’en aurois pas meilleur
marché dans Paris, pour la mesme raison.

Ie ne rougiray iamais de la verité : puisque ie vis par elle,
ie puis mourir pour son amour. Ie ne sçaurois bien reconnoistre
le present de ma vie, qu’en l’exposant au trépas, s’il est besoin :
ie la conserue en la perdant, & ie la perds pour la conseruer :
ie ne crains rien en craignant Dieu : s’il est pour moy,
de qui auray-ie peur ? ie me considere petit, foible & impuissant
deuant la multitude innombrable de mes ennemis,
lesquels, si Dieu permet que ie tombe en leurs mains, peuuent
signaler leur proüesse, auec vne rage pire que celle des
Demons, sur vn corps lequel on leur iette à leur gueulle beante,
pour les assouuir ; mais ie me regarde grand, puissant &
fort en la presence de mes aduersaires, lesquelles ie puis
mettre en mille lambeaux auec le bras diuin, & les vaincre
malgré leur resistance, pour les rendre aussi mattez qu’vne
mouche qui seroit étouffée souz la patte d’vn Lyon. Celuy
qui desliura Daniel de leur bouche, est mon Protecteur : ie
puis, comme Sanson succomber, mais ie ne seray iamais veincu,
qu’en les terrassant.

IESVS a fuy la Croix, ie l’euiteray ; mais si elle me vient au
rencontre, ie luy courray au deuant, comme luy : la prudence

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veut que ie ne me precipite point, & la force que ie ne recule
pas. Si ie me precipite, la soif de la Iustice l’operera ; &
si ie recule pour mieux sauter : auec la partie inferieure, l’apprehenderay
le calice que ie boiray de l’autre auec amour.
Dieu me continuëra cette grace, s’il luy plaist : ie me defie de
moy, sans me flatter : c’est pourquoy ie m’appuye en Dieu,
mal-gré le sort. Mon ame est resignée és bras paternels de celuy
dans le sein duquel elle est desapropriée parfaittement.

 

Voilà comme ie refute la pensée de ceux qui croyent que
i’ay mal-fait, d’adresser ces pieces au Senat, au nom de sa Majesté
Regente, & comme ie desabuse les foibles, lesquels peuuent
s’imaginer que i’ay autant de peur de mourir, en disant
la verité, comme vn criminel apprehende de ne pas viure, à
cause de ses forfaits : qu’on se détrompe de cela, car :

 


Dans la mort nous viuons, nostre vie est la mort,
Alors que c’est pour Dieu qu’elle nous est rauie :
Mais par vn merueilleux & admirable sort,
Vn bien rude trépas, vient vne douce vie.

 

Qu’on se détrompe encore de croire que la verité n’est pas
bonne à dire en tout temps : parce qu’il est faux de le soustenir :
les temps ne luy préseriuent point de bornes, d’autant
qu’elle les a limitez : ce qu’elle limite, est su jet à sa iurisdiction :
donc elle doit arguer & applaudir en tout temps les iustes, &
les pecheurs qu’elle a eternellement enclos : donc ie fais bien
de dire la verité : donc celuy-là fait mal qui ne l’a dit pas.

Il est vray qu’elle n’est pas bonne à dire en tout temps par
l’homme lasche, par ce qu’il est si occupé à sa malice, qu’il n’a
iamais vn moment de loisir, afin de produire vn acte de bonté ;
mais à vn cœur genereux tout temps luy est propre en veuë
de l’Eternel, parce qu’il est si habitué à bien faire, qu’il n’a iamais
vne minutte de reste, afin de l’employer malicieusement.

 


La verité n’est pas bonne à dire en tout temps,
Par ceux qui en tout temps ne taschent qu’à mal faire :
Mais les Saincts seulement vivent tousiours contens,
Parce qu’en aucun temps ils ne la scauroient taire.

 

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