Davenne, François [?] [1650], LETTRE PARTICVLIERE DE CACHET envoyée par la REYNE REGENTE A MESSIEVRS DV PARLEMENT. Ensemble vne response à plusieurs choses, couchées en la Lettre envoyée au Mareschal de Turennes, & aux avis donnez aux Flamans. , françaisRéférence RIM : M0_2250. Cote locale : C_3_9.
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LETTRE
PARTICVLIERE DE CACHET
envoyée par la
REYNE REGENTE
A
MESSIEVRS
DV PARLEMENT.

Ensemble vne response à plusieurs choses, couchées en la Lettre
envoyée au Mareschal de Turennes, & aux
avis donnez aux Flamans.

M. DC. XL.

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AV LECTEVR.

CETTE piece m’estant tombée en main, il y a plus d’vn
mois, i’ay iugé, & plusieurs avec moy, que i’en devois
faire part au public, suivant le sentiment de son Autheur, par
ce que les hommes en peuvent profiter : Ce que ie fais par cette
impression. Il me pardonnera, s’il luy plaist, si i’en ay retranche
quelque chose pour la faciliter mieux, mais au reste ie n’ay
pas diverty son sens, car i’aurois fait conscience de l’alterer.

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LETTRE PARTICVLIERE DE CACHET,
envoyée par la Reyne Regente à Messieurs
du Parlement.

AVGVSTE SENAT,

La souueraine Verité, du Trosne Majestueux où
elle est assise, apres auoir traversé de mille brillans
ses adversaires, parest encore devant Vous avec son
ordinaire candeur, & comme elle est la Reyne Regente du Ciel & de la
terre, elle vous veut informer de plusieurs choses cachées, lesquelles
sont inscrutables à autre qu’à elle-mesme, pour vous donner
moyen de remedier à plusieurs necessitez présentes, en vous
découvrant certains maux qui peuuent advenir. Et comme si
vous en pretendez cause d’ignorance, Vous ny pouvez apporter
aucun remede, elle vous conjure par tout le droict qu’elle a sur
Vous, de ne negliger pas ses advis, afin que le Verbe Eternel, qui
vous ouvre par mon moyen cette patente, Vous la persuade de
son Esprit, tant afin de prévenir vostre totale ruyne, que pour obvier
au mal-heur inévitable qui vous pend dessus. La verité sçait
son decret, sur toutes les circonstances de la procedure, dont elle
vous doit instruire, & vous l’ignorez, mais elle vous en fera sçavans
lors qu’elle vous aura donné la possession d’vn Roy Maieur,
pour tuer avec la lance de son authorité le Goliath Sicilien.

Voyez vn peu, Senat où vous l’exposez, son sang, ses finances &
ses Provinces, & avouez, si cecy ne vous émeut, le peu d’affection
que vous témoignez à vn Roy mineur, qui deuroit estre eslevé
sous uostre tutelle, & qui vous rend en Iustice responsables de la
dissipation de tous ses biens.

Vous l’abandonnez à vne mere qui s’en sert, afin de couvrir les
attentats d’vn Ministre corrompu, lequel avec ses souplesses, l’a
tient charmée de mille sorts, ie luy demande pardon si ie parle
franchement : pour avoir vne saincte hardiesse, ie ne quitte pas les
bornes d’vn humble respect : de quoy sert la flatterie en disant la

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verité ? Ie repete encor que vous l’abandonnez par vne metamorphose
qui n’a point d’exemple, à la honte de la Couronne, à vn
homme qui s’en sert pour se faire suivre comme vn page, & son
train comme vn Valet, quoy qu’a cause des tyrannies qu’il a exercées
sur les peuples, il ne merite pas d’estre le laquay de ses laquais.

 

O prodigieux revers, qui epuiserois toutes les plumes du monde,
avant qu’elles pussent effleurer assez vivement la seule superficie
de ce que tu produits.

Autresfois les Sujets des grands, par des simples pensées
d’ambition, formoient des desirs, de posseder la pompe magnifique
des Empereurs, chose qui marquoit par l’exterieur, l’illustre
souveraineté des Princes, laquelle brilloit au de là des personnes
les plus remarquables, tant elle paroissoit independante de leurs
vassaux, à cause de la diffusive abondance dont ils estoient assouvis,
par dessus les personnes du commun, qui estoient leurs spectateurs :
mais tout cela mest rien à present, à cause que le monde
est renversé ; car deux testes noires, sous de chappeaux rouges,
ont mis deux Monarques, non seulement à l’aumosne, en les expolians
de leurs biens inalienables, pour fonder leurs maisons sur
les ruynes de celles des Princes, mais encore ils les ont menez iusques
à la veille d’engager la Couronne, afin de leur mettre au lieu
d’vn Septre ; vn baston blanc à la main. Ils ont converty les deniers
du Domaine qu’ils ont fait vendre, à l’acquisition des Seigneuries
immenses qu’ils en ont achepté. De sorte, que les Potentats
de France sont maintenant reduits dans vne si grande disette,
que pour s’estimer heureux, il leur faut desirer la gloire, l’éclat
& les biens volez par les Cardinaux, comme leurs Sujets
auoient jadis mille ambitions des magnificences des Roys, pour
s’imaginer iouyr d’vne felicité. Les Princes sont Roys de nom, &
les Cardinaux d’efet : les vns n’en ont que la morte peinture, & les
autres la vive Majesté. On revere ceux-cy par forme, comme des
corps sans ame, & on adore ceux-là ainsi que des veaux d’or, & des
malins esprits corporalisez.

Est-il possible que la France endure que deux ou trois maisons,
il y a trente ans inconnuës, à cause de leur bassesse naturelle &
moralle, soient à present regardées de tout le monde auec spectacle,
sans les remettre par vn coup de Iustice, au premier estat

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de leur ancienne pauureté apres s’estre injustement esleuées iusques
aux nuës, comme des pyramides d’Egypte, auec le vol des
materiaux de celles de tous les peuples, qu’elles ont rẽuersé dans
son pourpris ? cela estonne tout l’Vniuers, le Soleil en deuroit
faire vne Esclypse, & les pierres s’en fendre de compassion. Pour
moy quand ie considere que le Roy est contraint de mandier de
Prouince en Prouince, auec vne spitte qui semble la Tragicomedie
funebre de quelque débris, & que les Gardinaux & leurs parents
menent dans le Royaume vn train de Souuerains ; i’aduouë
que cela me rauit. Ie voy reuiure les Fables d’Ouide és maisons
de leurs niepces, & de leurs nepueux, le superbe heroïque desquelles,
afin d’auoir les Deesses Pour riualles, s’estend iusques
aux Temples de malediction, lesquels leurs oncles ont fait bastir
du sang des pauures, pour y benir, Dieu. On y adore leurs
Idoles langées en les admirant, & de toute mon ame ie les y deteste,
auec vne religieuse horreur.

 

Remarquez vn peu, MESSIEVRS, en que l’estat sont ceux que
vous tenez pour Roys, & les Princes du Sang ! ie vous le representeray
cy-apres avec des termes simples & communs, car toute
l’eloquence du monde, quand elle seroit plus mouuante que
les vagues d’vne mer agitée, ne sçauroit suffisamment exagerer
le peril où tout est reduit, si vous n’y remediez tost. Prothée,
qui auoit tant d’adresse à contrefaire mille diuers personnages,
pour donner des mouuemens aux esprits, seroit au bout de son
roület, & ne sçauroit plus qu’elle posture tenir sur vn theatre où
la lascheté & l’aueuglement vont du païr. Ie vous laisse de bon
cœur perdre, si, apres auoir surpassé mon ame afin de vous monstrer
les voyes du salut, vous surmontez vous esprits afin de rejetter
les moyens de vous sauuer. Ie ne m’oblige pas à vn impossible
pour forcer vostre volonté malgré vous, cét à vous de faciliter
vn repos au public qui vous redondera, sans lequel, Dieu vous
abandonne à la mercy de vos ennemis.

Voila la seuerité en laquelle la Iustice est maintenant obligée
enuers l’estat. Elle vous a suscité mille bouches pour vous instruire
auec leurs paroles, & vous illuminer de ses brillans ; mais
voyant qu’elle n’auance rien afin de vous faire releuer ses sentiers,
parce que vous rendez tous ses soins inutiles ; elle est contrainte
de dire, cõsiderant que l’Arche de cette Monarchie se dépece,

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comme vn matelot qui voit fracasser son nauire en affrontant
vn accueil ; Se sauue qui pourra, mais auec vn se sauue qui pourra
tous ne seront pas sauuez ; parce que tel pensera attraper vne
planche, ou vn auiron pour aller à la rade, qu’il n’embrassera sinon
les flots d’vne mort semblable à celle que Mazarin vous pour
ra faire encourir, pour vous submerger dans la mer rouge de vostre
propre sang. Preuenez ce malheur : renuersés sur sa propre
teste les vagues auec lesquelles il vous inonde ; & faits deuancer
à ce Pharaon par vn triste naufrage, le deplorable precipice
qu’il vous fait cauer.

 

Or i’entre plus en matiere, pour vous faire considerer plus
specialement la substance de cette Lettre de cachet.

Pour estre Roy il ne faut que quatre choses, lesquelles en sont
comme les vases & les elemens.

La premiere est, qu’il faut auoir reduit le Roy & ses Subjets à la
mendicité.

La seconde, tenir les places fortes du Royaume, par des personnes
qui soient à commande ment.

La troisiesme, auoir mis les Princes & les Roys en vn tel estat,
qu’on les puisse faire sauter quand on voudra.

Et la quatriesme, posseder de l’argent pour mettre vne armée
sur pied, par le moyen duquel on trouve assez de soldats de toutes
nations, lesquels on peut faire entrer dans tout le Royaume,
à la faueur des frontieres dont on a les clefs, pour obliger les
peuples à faire joug de gré ou de force. Iules Cesar en vsa ainsi, lequel
quoy qu’il fut tres-avare de son naturel aux gens de bien,
vint neantmoins fort liberal à ses satellites, quand il leur distribua
les tresors de Rome, laquelle il mit au pillage devant
que de la prendre, pour les encourager, par cette largesse du bien
d’autruy, à la poursuite de ses desseins. Mazarin en peut faire
autant de Paris.

 


Songe, grande Cité, ce desolable estat,
Des Romains renversés le desarroy contemple :
Lear Iules fust malin, le tien est Apostat,
Qu’à present l passé te serue d’vn exemple.

 

Car ne voit on pas dans sa main les quatre choses que ie viens
de representer ?

Premierement n’a-il pas achevé de mettre le Monarque sur le

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carreau, pour empescher qu’on ne luy puisse faire teste, & mis
tous ses Subjets à l’Hospital, par les espouuantables tyrannies
dont il les fait vexer, afin de faire en sorte qu’il n’en aye aucun
secours ?

 

Secondement, ne tient-il point quantité des forteresses de
cette Monarchie, & n’y à-il point mis des Gouuerneurs à sa poste,
pour fermer & ouurir les passages quand il voudra, & à qui
il luy plaira ?

En troisiesme, lieu, les Princes ne sont-ils pas ses Esclaues
dans vne prison, desquels il se peut défaire par le fer & les empoisonnemens,
quand il dira à ses bourreaux, ie veux ; & n’a-il
point le Roy & le Duc d’Anjou apres sa queuë pour en faire vn
sacrifice à son ambition, quand il sera en cela, comme en toutes
les autres choses, tenté du malin esprit ?

Et quatriesmement, n’a-il pas des millions d’or qui suffiroient
pour acheter vne Monarchie, l’interest desquels, suiuant les visibles
volleries qu’il a faites, luy donneroit plus de rente que le
Domaine des Roys, n’y que les Tributs qu’ils leuoient anciennement
sur les peuples ? du seul reuenu de ses rapines, quoy qu’il
fasse grossierement le pauure, avec vn semblant d’engager sa
vaisselle, ne peut-il point entretenir vne perpetuelle armée dans
l’Estat, sans diminuer son fonds ?

Qu’à-t’on à m’objecter à ces quatre chefs ?

Au premier, que les Peuples & le Monarque peuuent estre
bien-tost fortifiez pour perdre Iulles Mazarin, quand il seroit
mille fois plus puissant ? Ie l’avouë d’vn costé, pourueu qu’on se
dépesche : & le conteste de l’autre, si on luy donne trop de temps
à se fortifier : parce qu’il affoiblira les peuples, par les extorsions
qu’il continuë ; & le Roy, en ne luy laissant que les os & la peau.

Au second, que ceux qui tiennent les places fortes par l’ordre
du Ministre, n’auront pas l’asseurance de se bander contre leur
Roy ? il y à quelque apparance : mais on n’en est pas trop certain ;
parce que Mazarin n’y à point mis des hommes qui ne soient à
luy. On ne se doit pas plus asseurer à de tels Gouuerneurs, quoy
qu’ils soient dans les forteresses au nom de sa Majesté, Que le Senat
de Rome en ceux que Iules Cesar mit dans les Gaules & les
Allemagnes qu’il conquit au nom de la Republique Romaine.
Et quand d’ailleurs vn homme ne pourroit pas s’imaginer d’aucun

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costé vn si noir attentat, c’est vne imprudence de se fier à des
creatures qui tiennent quelque chose dans le Royaume, par le
moyen du Cardinal.

 

Au troisiesme voudra-t’on soustenir que le Ministre, ny ses satellites,
n’auront iamais l’horrible cruauté de faire vne boucherie
des Princes & du Souverain, comme fit iadis leheu de la
maison Royale d’Israël & Cesar des Senateurs Romains ie soustiens
que cette France est criminelle de leze Majesté, Au dernier
chef, de fier celuy qu’elle presume pour son Roy, le Duc d’Anjou
son frere, & trois Princes à la conscience d’vn Cardinal, ou pour
mieux dire d’vn Demon si peu scrupuleux, & d’vne bonne mere,
laquelle il fait precipiter ou vertement pour les perdre, auec vn
zele specieux de les conseruer. Pense-t’on appriuoiser les aspies
& les viperes de Mazarin sans en estre mordu ? on se trompe fort ;
il les peut, auec le moindre ordre, faire sauter. Il en pensera tirer
du profit, pour veu qu’il assouvisse ses passions. Et quoy que la
pensée de ces funestes desseins fasse dresser les cheueux, ie repete
qu’on à tort de vouloir que des Bronzes & des Marbres endurois
par les inhumanitez & les carnages, soient susceptibles de quelque
chose raisonnable, puis que les injustices qu’ils ont exercées
enuers les peuples & enuers Dieu, leur ont fait chãger de naturel.

Et au quatriesme chef me direz-vous, que quoy que Mazarin
posse de toutes les richesses des Finances, il est trop hay pour
pouvoir faire qu’vne armée le suivit, puis qu’il est si peu liberal, &
qu’vne telle vertu est necessaire à vne entreprise de telle qualité ?
Mais ie responds à cette objection, pour la renuerser, apres l’auoir
esleuée comme les autres, & dis ; que ceux qui sont au comment
hays à cause de leur auarice, en an assant des biens se font
sur la fin exalter comme liberaux, quand ils distribuent vne partie
des tresors qu’ils ont vsurpez, pour en voller auec iceux de
plus grands.

Et quoy ! n’est-on pas à la veille de voir accomplir la prophetie
d’vn Sage Autheur Anglois, lequel, vivoit du temps de HENRY
LE GRAND ? on luy demanda (apres que ce Prince fut parvenu
à la Couronne) quel feroit le Regne de ce grand Roy ? & il
répondit : tranquille tout a fait : mais passant outre, il prophetisa
que son fils LOVIS XIII. agrandiroit plus la France qu’aucun
de ceux qui l’auroient precedé, & que celuy qu’on estimeroit

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son successeur, ne sçauroit où chercher son heritage. D’vn
costé, pour le Domaine, n’en à plus : & de l’autre, au regard de
la Couronne, les tributs en sont partagez à mille brigandeaux.
Vous diriez que le terme de cette prediction s’en va échoir : mais
n’allons pas chercher des Prophetes en Angleterre, les Ecriuains
du Cardinal nous pronostiquent assez, sans y prendre garde (ainsi
que iadis Caife, en vne autre rencontre) ce que ie viens de
coucher icy. Voyez vn peu comme parle celuy qui a fait l’Auis
donné au Mareschal de Turenne, dans tout vn article couché à
la quatriéme page du second fueillet. Ce n’est pas neantmoins qu’il
faille tousiours farder nos maladies, dit-il, (parlant de la France) ny
nous faire vn visage meilleur que nous n’avons pas, Il reste à l’Estat, peu
de parties seines peu qui ne soient tachées & defigurées de quelque corruption : & ie vous avoüe, Monsieur, qu’on diroit, à le voir parvenu au plus
haut comble de ses souhaits, que c’a esté par vn plus grand secret de la
colere du Ciel, & que tant de merveilleux succez, que nous avons veus,
n’ont esté multipliez que pour vne plus forte preuve de sa reprobation.
Ie ne puis rien adiouster à cela, car il est impossible de trancher
plus court. Seulement ie prie le Lecteur de considerer, que ce
que ce Balaam peut predire en general pour la France, se peut adapter
en particulier pour Mazarin. Dieu a neantmoins donné le
franc-arbitre aux hommes, afin d’obvier aux mauvais augures
que les Oracles leur annoncent tous les iours : si, comme Ninive
à la voix de Ionas, ils s’amendent & sont penitence : mais
quand au lieu de se corriger, l’iniquité les fait perseverer en malice,
ils en voyent tost ou tard, le sinistre evenement.

 

Apres avoir pesé toutes ces considerations avec vn Esprit
mœur, direz-vous desormais que les peuples seront bien-tost
forts, en se ioignans au Prince, pour perdre Mazarin ? Defiez-vous
de trop de presomption, parce que la populace, laquelle
tourne à tout vent, comme vne girouette, se range souuent du
costé qu’elle voit le plus fort, quand ce seroit mesme du tyran
qui l’a ruynee, plutost qu’elle ne se iette du party qu’elle voit le
plus foible, quand ce seroit son bien-faicteur. L’homme sans prudence,
ayme moins les grandes promesses esloignées qu’vn petit
present, parce que les choses futures estans intelligibles, les
presentes au sens ont de la grossiereté, à raison de quoy, il s’attache
fort aux corporelles, d’autant qu’il est sensuel, & peu aux

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intelligentes, à cause qu’il n’a point d’esprit. Vn peu de bien present,
duquel les tyrans repaissent les peuples, leur fait donc oublier
les maux qu’il leur ont fait par le passé, ausquels ils ne songent
plus, & toutes les felicitez advenir qu’vn iuste leur fasse
esperer de sa personne, ne sont pas bastantes de l’obliger à soustenir
vn moment d’vne bonne guerre, afin d’avoir vn bon repos.
La nature lache fait plus d’estat d’vne fauce paix, par le moyen
de laquelle on l’enveloppe dans vn trouble perpetuel, que d’vne
genereuse bataille qui la feliciteroit.

 

Asseurez-vous doresnavant que les Gouverneurs des places
n’auront pas la hardiesse de se bander contre leur Roy ? ils n’ont
qu’vne trop souple obeyssance, quand ils voyent vn Monarque
dans sa splendeur, devant lequel ils se considerent comme des
petits vermisseaux ; & ils ne possedent que trop de hardiesse,
quand on a levé le masque d’vne guerre civille, dans la disioncture
de laquelle, voyans dechirer les maisons Royalles, ils se cantonnent
comme des geans.

Estes-vous certains que Mazarin sera plus favorable aux Princes
& au Roy, que ie ne donne à soubçonner, les vns desquels il
tient desia captifs, afin de ne les avoir pas pour obstacles, tandis
qu’il traine les autres apres le char de ses triomphantes convoitises,
afin de s’en servir ainsi que d’vne coupe d’or, iusques à ce
qu’il fera éclorre devant tout le monde, ce qu’il cache dans son
cœur ? fiez-vous à vn artificiel lyon, déchire par mille iustes libelles,
lequel se hasardera de tout perdre, pour se precipiter en
se desesperant. S’il fait publier dans la lettre écritte au Mareschal
de Turenne, que les coustumes de France ne sont point en
cela, comme celles de la Turquie, ny de l’Espagne, où on étoufe
les plus proches pour divers respects ; n’est-il pas pire qu’vn
Turc dans l’ame, & naturel Espàgnol de corps, afin d’executer
en vne terre estrange, ce qu’on pratique dans son pays ? sans doute
le train qu’il prend, & le dessein qu’il a de le faire, luy fait dire
qu’il ne le fera pas. Il imite le larron, lequel pour coupper vne
bourse à la famelette, crie au voleur, afin de luy distraire la veuë
de dessus luy, en luy en montrant vn autre, tandis qu’il fait son
coup. Puisque Richelieu son devancier l’à executé, quoy qu’il
fust d’ailleurs François, afin qu’en faisant trancher des testes, nulle
grandeur ne luy resistat : Mazarin nous veut-il faire accroire,

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qu’il n’est pas aussi meschant que cét homme de bien, & aussi
homme de bien que ce meschant ? qu’il le persuade à d’autres,
mais non pas à nous, à cause que nous sommes par la grace de
Dieu, aussi clair-voyant qu’il est tenebreux, & plus dans la connoissance,
qu’il n’est ignorant.

 

Accuserez-vous davantage le Ministre de n’estre pas liberal ?
apprenez, ville capitale de la France, qu’il ne le sera que trop,
quand le vice l’obligera de pratiquer la vertu.

S’il vous paroist foible, ne le negligez point pour cela, car les
Princes ne sont en prison, que pour avoir trop presumé d’eux, &
ne s’estre pas assez desiez de Mazarin.

Prends garde Paris, que si tu luy abandonnes les Provinces
sans rien dire, qu’elles ne se réjouyssent, quand il tournera les
armes contre toy, sans te secourir. Il voit par où il t’a failly la
premiere fois, mais s’il recommence vne autre attaque, il te sera
impossible de la repousser. Il n’avoit pas vne ville de refuge, si tu
l’eusses pour suivy, quand il entreprit de te faire mourir de faim,
mais à present, il est maistre de tous les forts, qui luy estoient
alors ennemis. Vn seul luy est opposé, lequel estoit alors pour
luy ; mais parce qu’il est transferé du bois de Vincennes, il ne luy
pourroit fermer la porte de ce chasteau, afin que tu en fisses ta
proye, si tu luy courois apres par les champs l’épée à la main.
Ceux qui estoient ses ennemis mortels, le defendront, au contraire,
dans ta cité : Ils prenoient plaisir qu’on dit iadis la verité contre
le Prince, alors qu’il soustenoit Mazarin, pour le decrediter :
& ils se fachent maintenant de ce qu’on leur annonce, par ce
qu’ils luy servent d’apuy, à la haine du public.

Prends garde derechef, Paris, de ne te laisser pas boucher les
passages. Previens plustost le Cardinal que d’en estre prevenu.
Eslis de tes corps vn homme courageux, pour ton chef, & ne te
fie plus à des mercenaires, lesquels demandent plustost la bourse,
que l’occasion de combattre pour toy. S’ils te refusent cinq
sols de bonne paye, c’est pour t’en affronter mille contre la raison :
mais au lieu d’en bailler cinq cens à de telles personnes ; ne
leur fais pas toucher vn seul denier. Ce n’est pas que ie ferme les
portes aux fruits qu’on doit recueillir de la vertu, tant s’en faut,
ie dis que chacun en peut perceuoir, mais non pas vicieusement.
Ie ne tasche de frustrer des salaires, que les fins Renards, lesquels

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semblent auoir la vertu qu’ils n’ont point, afin de moissonner où
ils n’ont pas semé.

 

Sois magnanime peuple François, & vne bonne guerre contre se
Cardinal, t’amenera vn bon repos : sçache que Mazarin & la paix
ne peuvent compatir ensemblement, non plus que l’eau & le
feu. C’est pourquoy il te faut resoudre à faire de deux choses l’vne :
ou d’estre tousiours tyrannisé, tandis qu’il subsistera dans
l’Estat ; ou de l’en chasser, afin que toutes les playes qu’il t’a faites
en tant d’années soient gueries en vn moment.

Que m’objecterez-vous encor, pour n’avoir pas sujet de resister
à Mazarin ? que Monseigneur le Duc d’Orleans resté, afin de
s’opposer à ce desolateur de la Monarchie, quand mesmes il
seroit paruenu jusqu’au bout de tous ses desseins ? & le bon Prince,
il porte trop l’interest de ce Ministre qui l’a pipe. Ce Serpent
connoist assez la facilité de son esprit, auquel il fait prendre comme
de la cire mole, toute sorte d’impressions. Il voit qu’vne
pomme le peut amuser. Il l’en amorse iusqu’au temps qu’il le
recompensera, s’il subsiste, comme il a fait les Princes prisonniers.

La derniere Lettre que le Cardinal vous envoye, au nom du
Roy, sur son départ vers la Guyenne, fait bien voir qu’il l’amuse,
auec les ordres qu’il luy laisse, comme si sa Majesté, ainsi qu’vn
autre Sainct Louis, s’en alloit faire le voyage d’outre mer. Il luy
donne plus de beurre que du pain ; & pour le mieux coucher en
jouë, il luy fait des comptes à faire dormir de bout. Et son Altesse
au contraire qui fait la resoluë, se voyant flattée sous pretexte
de cette puissance, ne se soucie guere que trois Princes soient à
la mercy de ce Lyon, qui leur tient le poignard dans le sein, ny
du Roy & du Due d’Anjou, que ce Monstre a conduit sur vn
port de mer, lesquels il peut en moins de six heures livrer à l’Espagne
pour s’y reconcilier. L’intelligence que ce Ministre a auec
son Altesse & Beaufort, leur fait diuersement esperer à chacun,
ce qu’on en verra esclorre quelque iour à leur avantage, si leurs
desseins reüssissent, ou à leur desarroy, si Dieu les deçoit.

Son Altesse pour vous fausser sa parolle la quatriesme,
ou pour mieux dire la centiesme fois, vous auoit promis que
dans dix iours l’affaire de Bourdeaux seroit accommodé, & au
moment qu’elle vous faisoit ces belles promesses, elle envoye

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des ordres particuliers à Thoulouse, comme porte la deliberation
des Capitouls, afin qu’il s delivrent les poudres &
canons que Mazarin demande au nom du Roy, pour faire perir
cette ville-là. Il engage sa parolle au Parlement de Paris, & la
deliberation de celuy de Thoulouse en fait voir l’inconstante
fermeté. Les flots & sa voix se ressemblent parfaictement. La
vague s’efface en sa formation, & sa parolle en se prononçant. Elle
a promis de ne souffrir pas qu’on vexe dauantage Paris, cét Arrest,
escrit sur du sable, sera ferme, iusqu à ce que la premiere
occasion le fera retracter. C’est la coustume de la Cour, & à
moins que de la renouueler on n’en aura iamais que cela.

 

Son Altesse, pour ourdir peut estre la toille de sa perte, consent,
suiuant sa procedure, à faire perir Bourdeaux, avec vn
semblant de le proteger. On a reduit cette Cité, & toute la France
à ne croire plus les Ministres, apres avoir, comme qui jouë
à la paulme, faussé leur parolle tant de fois ; on l’obstine en l’oppressant :
Mazarin veut faire tout pendre s’il a le dessus.

On fait courir le bruit, que cette (ville voyant que les autres
lasches de la France la de laissent) a demandé secours à l’Anglois ;
& que cette Republique, aussi prudente que charitable, a repondeu
qu’elle n’en donnoit pas à des Sujets qui estoient en guerre
contre vn Ministre qui se sert de l’authorité du Roy ; parce que le
Roy se seruiroit vn iour de ces mesmes Sujets reconciliez, pour
en tirer vengeance contre ceux qui leur auroient donné secours.
Mais que si la Prouince se vouloit mettre en Republique, que
leur monde & leur argent estoient à leur seruice. On dit que les
Bourde lois avec prudence, n’ont rien repondu : Mais on doit sçavoir
que si on les presse, & qu’ils voyent qu’ils ne sont pas assez
forts pour resister à Mazarin, qu’ils pourront se declarer plustost
que de tomber entre les mains de ce Demon, & par consequent
de deux evidens maux eviter le pire. Au pis aller, quand ils seront
vaincus, s’estans declarez, il ne leur peut arriver à l’avenir
que ce que le Cardinal leur prepare presentement. Et peut estre
qu’ils auront l’avantage, c’est pourquoy ils se hazarderõt plutost,
sur l’esperance de vaincre en se defendant, que de se laisser sacrifier
comme des victimes, sans chercher toutes les voyes de
salut, en poussant l’affaire iusqu’au bout. Derechef, ie dis qu’on
oppresse trop cette Province, & que ce desolable commencement,

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pourra faire voir vn lamentable progrez, & vnt tragique
fin.

 

Son Altesse, Beaufort, Mazarin, & sa Majesté Regente, qui
fait à present les miracles de la saincteté de sa vie pour se faire
canoniser (puis que la fin couronne l’œuvre) exposent trois Princes
à la Parque, le Roy & le Duc d’Anjou à l’avanture, & tous
les Peuples de la France à vne guerre civille, dans le trouble de
laquelle croyans se sauver, Dieu leur pourra faire trouver leur
perte, parce qu’ils ne sçavent pas où tout aboutira. Il semble que
sa Providence, par des voyes inconnuës, les fera destruire par eux
mesmes, afin de disposer tout le monde à vn renouvellement.

Ne connoissez vous pas, AVGVSTE SENAT, qui deuez precipiter
la foudre de la Iustice par les Oracles de vostre bouche,
apres tant de formalitez & de prudence humaine, qu’on tasche
à vous enfoncer avec toute la France, dans vn profond sommeil ?

Comme vn homme s’assoupit apres le repas, à cause des vapeurs
de la digestion, de mesme, à raison d’vn faux calme duquel
on vous repaist, pour vous attirer dans la parque, vos yeux
sont appesantis : & quoy que chaque piece qu’on vous presente
les desille de ses rayons, apres qu’elle a éclatté dans vostre entendement,
par la veuëque vous y iettez dessus, neantmoins vous
refermez vos paupieres apres vous en estre ébloüis, & la curiosité
de la lecture passée, vous ny songez plus, parce que vous en
faites plutost la recerche, pour en voir les belles periodes & l’eloquence,
qu’àfin de vous en fortifier l’esprit par la verité : De sorte
que le Soleil de Iustice, se lassant de faire tant d’invtiles courses,
se va resoudre de vous abandonner à la mercy de vos tenebres,
puisque vous profitez si peu de ses clartez. C’est pourquoy
apres cette lettre écritte à tout hasard, ie vous dis, comme le
Verbe à Sainct Pierre au jardin des Olives, puis que vous ne pouvez
veiller, dormez à la bonne heure, cependant que vos ennemis
vous machinent vne foudre pour vous la lancer en trahison.
Vostre sommeil & vostre mort s’auoisinent tellement, que vostre
vie pourra encourir vn trépas par le moyen des pauots enchantez
que Mazarin vous fait verser. Dormez, car puisque cela vous
plaist, la verité vous aydera à faire dormir. Vous n’avez rien à
craindre de ce costé : Les Prophetes de Baal, vous l’asseurent sur

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les Evangiles de Dieu : de rechef dormez, & comme à des personnes
qui aboyent apres le premier maudit Mazarin, ie vous
donne ma derniere benediction. Messieurs de Beaufort & le
Coadjuteur vous resusciteront-ils du tombeau ? n’en parlons
plus parce que si Dieu ny met la main, vous demeurerez comme
des Lazares morts. Cest vn sort jetté & vne coustume canonisée
à la Cour, que ceux qui paroissent des Anges quand les Cardinaux
les ont faits combatre, sont venus pires que ceux qui les
molestoient, alors qu’ils ont esté mis en leur place, & qu’ils leur
ont esté associez, Mais vne saincte habitude viendra au Louvre,
que par vn juste lequel Dieu exaltera, il donnera aux peuples vn
vray repos. Alors Mazarin quand on l’y voudroit retenir ny voudroit
plus demeurer, parce qu’il mourroit de honte, s’il se voyoit
dans l’ordre sans y pouuoir pecher en confusion.

 

Defiez vous, si vous estes prudens, d’vn ennemy qui feint
d’oublier le passé par le present, afin de vous perdre à l’avenir. Il
vous baisera ouvertement de bouche tant que vous voudrez :
mais il vous poignardera en secret dans le cœur quand vous ne
voudriez pas. Ce sont les paisibles baisers des Apostres de IESVS-CHRIST,
si ses disciples sont ceux lesquels, comme des Iudas,
portent la malette des escus, afin de desoler son troupeau.

Quand Mazarin trouvera l’occasion de faire éclorre ce qu’il
vous cache, sachez, qu’apres l’avoir nommé chiche des biens,
vous le trouverez prodigue des maux, afin que vous ne l’apeliez
iamais plus d’vn costé avare, qu’en reconnoissant de l’autre sa liberalité.

Et ne voyez vous pas comme la cruauté qu’il a exercée, &
qu’il fait exercer par ses tygres, sur vne Province la plus de solée,
& la plus genereuse, luy fournit des acheminements à ses barbares
desseins, s’il en vient à bout, & si les autres ne la secourent,
afin de partager sa gloire genereusement ? Ouvrez les yeux, &
dans ces playes qui saignent encore, vous trouverez quelque
chose qui vous fera mal.

Si Mazarin triomphe, vous succombez, & s’il succombe,
vous triomphez. Vostre mal est son bien, & vostre prosperité fait
son mécontentement, vous convenez avec des antipaties qui ne
se peuuent accorder.

Il a mis les affaires en tel estat, que s’il emporte quelques victoires

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au nom du Roy, contre l’Espagne ; vous vous en devez
attrister, au lieu que les conquestes vous faisoient autresfois réjouyr,
parce que son orgueil s’accroist d’vn costé pour vous opprimer
en forçant l’ennemy, & que sa force diminuë de l’autre,
afin de vous craindre, se voyant veincu : s’il gaigne, il vous perd ;
mais s’il perd, vous gangnez : Vous gangnez vostre vie, s’il perd ;
des citez, & vous en faites perte, s’il en acquiert. I’acquisition
des places le rend superbe, pour vous humilier, & la prise d’icelles
l’humilie, afin de vous donner courage à le bannir.

 

Estrange chose qu’il se faille ébattre d’vn grand mal, pour en
éviter vn plus grand ! il vous [1 mot ill.] dans vne telle extremité,
qu’il vous faut estre ioyeux des maux de la Monarchie, pour vostre
bien, & triste de l’avantage des armes, à cause que le Ministre
vous en nuira. Puis qu’il divise ainsi le Royaume contre luy
mesme : iugez vn peu quel en peut estre le succez.

 


Estrange changement que Mazarin a mis,
Qu’il nous faille ejouyr de nos propres miseres,
Et pleurer en faveur de nos fiers ennemis,
Quand les choses nous sont entierement prosperes.

 

Afin de se remetre bien dans l’Estat, apres les huées qu’on luy
a faites, il fait semblant de le vouloir faire fleurir, pour recouvrer
le credit qu’il a perdu. Et pour vous mettre mal avec les peuples :
il vous oblige à des choses que vous devriez abhorrer, par
ce qu’il vous fait perdre la reputation que vous aviez.

Il témoigne par vn Avis qu’il fait donner aux Flamans, qu’il
n’est pas cause que la Paix ne se soit concluë, mais ce sont autant
de paroles qui luy donnent autant de dementis, parce que l’on
sçait fort bien qu’il l’a pû faire, & qu’il n’a pas voulu, c’est pourquoy,
quand il l’a voudra, il ne l’aura point.

Il se vante qu’il y a autant d’or en France que iamais, quoy
qu’il soit caché, & qu’il sortira au besoin, comme vn fleuve, afin
d’innonder l’Espagne, mais il feroit mieux de dire, qu’il le fera
parestre comme vne mer affreuse, afin de ravager les François.

Ie prends plaisir de voir, comme apres avoir déchiré le Prince,
il le traitté par vn admirable stratageme, favorablement ! il
sçait, comme vn ieu d’orgues adoucir ses tons. Il veut que ceux
qui le defendent, par ce que l’interest ou la Iustice les y oblige,
soient criminels, & qu’on luy rende des mauvais offices, dautant

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qu’il le fait plaire de gré ou de force enfermé. Les gardes qui
sont aupres de sa personne admirent sa vertu (dit-il, en faisant
escrire au Mareschal de Turenne) de sorte que le Cardinal
au lieu de luy faire rendre iustice, veut que tout se passe
en admirant. Cela satisfait beaucoup vn captif, soit qu’il soit
innocent ou criminel ! au lieu de toutes ces admirations, le
Ministre n’a garde de nous faire entendre comme chacun abhorre
ses vices, en donnant moyen aux autres de pratiquer
la vertu. Il ne veut pas qu’on considere sa sagesse avec estonnement,
de ce qu’il viẽt plus mauuais, afin de faire les autres gens
de bien. Vous voyez comme ce malin économe en desire faire
vn bon Ange malgré luy ; & comme il veut qu’il luy soit obligé
de l’avoir fait mettre au Bois de Vincennes, à cause que la
Manné, dit-il, luy tombe du Ciel : mais pour reconnoistre vn tel
seruice, son Eminence ne se doit pas fascher, si le prisonnier demande
la sortie, de cette cellule, pour luy ceder sa place, afin
qu’vn Cardinal vienne Sainct dans les cachots, puis qu’il est vn
Diable à la Cour ? la raison & la moralle veulent, à la rigueur
qu’vn semblable bien-fait soit reciproqué auec vn semblable
bien-fait : parce que l’vne & l’autre seroient en Iustice lezées,
si la parfaite Theologie s’y alloit méler, laquelle veut
qu’on rende bien pour mal ; à raison dequoy, si le Cardinal
pense bien faire en persecutant les Princes, les Princes, à
son exemple, feront bien de persecuter Mazarin. Puis qu’il
veut que la captiuité luy soit à Vincennes vne beatitude, que
le Ministre se réjouïsse, parce que tout le monde luy procure
ce bon-heur : la charité oblige les Princes de chercher toutes
les voyes equitables, afin de mettre le Cardinal avec instance,
au lieu où il-les a mis avec tant d’amour. Vne telle affection
doit estre reciproquée d’vne telle affection. Et quoy ! Mazarin
voudroit-il estre vn instrument à faire sauver les autres malgré
eux, afin de se damner luy mesme en dépit de luy ? pourroit-il
souffrir, sans jalousie, qu’vn prisonnier s’entretint avec Dieu,
tandis qu’il seroit embarassé au Louvre avec les Demons ? auroit-il
le courage d’ẽdurer qu’vn captif goutast la Mãne du Ciel,
cependant que dans vne fausse liberté, il ne s’abreue que de
poison ? certes il n’est pas iuste, & puis qu’il a eu vne telle bienveillance
envers les Princes de les sequestrer de la conversation

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des hommes, pour leur faire gouster quelque avangoust
de la felicité : il est raisonnable que les Princes taschent d’impetrer
de Dieu, la rupture de leurs chaisnes, & qu’ils le suppliẽt
en suite de faire en sorte par sa Providence qu’elles redondent
sur le Ministre, afin de le sanctifier malgré luy. Puisque malgré
le franc arbitre, cét ignorant Theologien veut qu’on se
fauve à Vincennes, il faut en dépit du franc arbitre de cét ignorant
Theologien, l’empescher de se damner à la Cour. le Ministre
sera heureux s’il acquiesce dans vne prison à son desarroy,
cõme les Princes sont contens de se plaire dans leur malheur.

 

O ruses Mazarines, aiguës comme vne balle de plomb, ferez-vous
vn mauvais nopçage de la pieté Divine, apres avoir
épuisé toutes les finesses de Machiavel, pour faire à present
l’homme de bien ? On vous connoist, on vous connoist : chacun
sçait que vous avez de l’adresse à cacher vos malices pour
faire parétre celles d’autrui : mais nul ne doute (Dieu sur tout)
que celles que vous manifestes ne soiẽt vn iour cachées, en s’expiant
(suiuant l’ordre des choses) & les vostres mises en evidence
pour s’expier. Rien n’est caché qui ne soit reuelé, dict
l’Oracle Eternel. Chacun pleurera à son tour : peut-estre quand
on cessera de les faire endurer, vous commencerez de souffrir.
Leur derniere tristesse en sortant de la prison, pourra estre vostre
derniere joye chassé de la Cour ; & leur premiere felicité
rentrans au Louvre, vostre premiere misere dans vn cachot.
Cela se peut, parce qu’en suite d’vn tel Purgatoire, Dieu donne
souvent vn tel Paradis : & apres la fausse beatitude du Louvre,
vn tel Enfer.

Vous nous voulez faire réjouyr de la prison des Princes,
parce qu’à vostre dire ils sont venus hommes de bien. Or faites
nous solemniser vne feste de la vostre & le devenez. Nous vous
desirons la mesme grace que vous leur avez procuré. Vous faites
parler S. Paul, pour nous faire entendre que les hommes
de Dieu ne sont iamais plus forts que quand ils semblent les
plus delaissez : l’experience nous empesche de l’ignorer : mais
vous seriez bien marry d’en estre sçauant que par la theorie. La
pratique de la vertu vous fait horreur : C’est pourquoy vous faites
vostre possible, afin que la grace de la Croix s’écoule ailleurs
qu’en vous. Vous preschez de faire ce que vous ne faites pas,

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mais le salaire ne se donne qu’à ceux qui enseignent ce qu’ils
font ; c’est pourquoy vous serez rigoureusement puny de prescher
mal, & mal recompense de ne faire pas bien.

 

Ne nous portez plus vne doctrine de laquelle vous n’avez
iamais fait digestion (comme vous faites en la lettre escrite au
Mareschal de Turenne) parce que vous pechez contre le Sainct
Esprit, d’étaller des passages que vous combattez en les alleguant.

Pour vous transformer en Ange de lumiere avec les parolles
des Sainctes Escritures ; vous n’en estes pas moins Demon,
ny pour en faire vn long narré, plus Diuin.

Ces citations vous sont seantes, comme à vn Singe vn pourpre
Royal : ou pour mieux dire vous les illustrez en les exposant,
ainsi que les tenebres la lumiere, & vn contraire son opposé.
Mais i’ay tort de vous attaquer là-dessus, c’est pourquoy
ie m’en repens ; parce que vous ne produisez pas ces fleurs des
Saincts cayers, comme les ayant experimentees vous mesme :
Mais suiuant le recit de S. Augustin & de Sainct Hierosme que
vous alleguez. Ainsi les mulles portent de bons viures & de
belles pierreries, sans en gouster ny s’en embellir ; comme vous
faites les exemples des Saints, sans les suiure ny pratiquer. Ce
stil duquel vous-vous parlez si licentieusement appartient aux
Colombes du Verbe, & non pas aux Vautours qui escriuent
pour vous ; parce qu’il est contre vostre nature, & qu’il leur
conuient : C’est pourquoy vous-vous attirez mille anathesmes,
de poliguamiser ainsi auec la pieté de Dieu.

O que nous serions contente si le caractere de ces Saincts
que vous cités dans cette lettre escrite au Mareschal de Turenne,
estoit imprimé dans vostre vie comme sur le dos de vos escrits !
vous seriez felicité de nostre plaisir, mais vous ne nous
voulez pas donner cette satisfaction ; parce que vous seriez
reellement iuste dans l’ame, au lieu que vous ne l’estes qu’en
peinture sur vn papier.

Ie retire ma pointe, parce que vous tireriez vanité de me la
faire redonder, quoyque, par la grace de Dieu, cela ne vous
reüssiroit pas, à cause que nous-nous pouuons vanter, sans orgueil ;
de faire ce que nous preschons, & de prescher ce que
nous faisons.

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Nous n’embrasserons iamais aucun injuste party, quoy que
de deux mauuaises causes nous soustenons celle qui a plus de
droict. La penitence change l’vne en bonifiant vn illustre pecheur :
& la perseverance au mal inuetere l’autre, en peruertissant
vn superbe criminel.

Vous auez fait déchirer Messieurs les Princes par le passé, &
vos Scribes suiuent à present les traces de ceux qui les ont defendus.
Dans le libelle intitulé Bons Avis sur plusieurs mauuais
Auis, Vous faites exclamer vostre scribe, en se moquant : ô
estrange chose, dit-il, que Vincennes aye pû faire vn si subit
changement, d’vn Prince qui s’offre de defendre Paris, & qui
l’a n’aguéres voulu destruire en bataille rangée tout autour !
& dans la lettre écritte au Mareschal de Turenne, Vostre Farisien
dit tout de bon, que chacun admire sa vertu : ô estrange
changement, dis-ie, à cet heure est-il possible qu’vn coup
de plume vous fasse publier comme vn Ange, celuy que vous
auez quinze iours auparauant fait de peindre comme vn Demon
il faut que ie m’exclame aussi, afin de vous attirer sur
la teste, au moment que vous le louëz, la benediction que
vous auez encouruë, à l’heure que vous l’auez blasmé.

Et puis que d’vn costé vous faites sçauoir qu’on se donnast
bien garde de le faire sortir, puisque c’estoit vn Lyon furieux
qui pourroit nuire : de l’autre la Princesse, sa Mere, vous le demande,
puisqu’en faisant écrire au Mareschal de Turenne,
vous asseurez le monde de sa vertu : il n’y a plus de danger, puis
qu’il est par vostre moyen conuerty : Vous cachez l’inuisible
ameçon de la médisance, sous l’apparemment bel appas de les
honorer : Vous piquez en adoucissant, mais pour cela vos
morsures n’ont rien de doux : Vous estes venu, sans changer
de nature, de visible, inuisible calomniateur : Vous n’auez fait
que cacher vos griffes de fer, sous des pattes d’or, ou pour
mieux dire, vous retirez comme le chat, des ongles persantes,
afin de les enfoncer plus viuement iusques aux os. Pour cela
vous attachez le vitupere, à la loüange que vous leur donnez,
par ce que vous ne sçauriez pratiquer la vertu que vicieusement.

Voylà ce que i’auois à vous dire, pour répondre auec la raison,
à la nouuelle Theologie que vous debitez.

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Or ie finis neantmoins cette missiue, auec cette protestation,
pour conclurre, que ie ne serois pas marrie que la Regengente,
Mazarin, & autres acquissent par la penitence, la iustification,
mais ie sçay que Dieu elude souuent le souhait de
la bonté, afin qu’il ne s’applique pas à ceux qui sont confits en
malice : parce qu’il mesure auec droit les coulpables, de la façon
qu’ils ont auec iniustice mesure ses innocens.

Cela fait, que ie suspends mes pensées pour leur faire apprehender
les diuins iugemens. Si Dieu les tire par la voye des
larmes, c’est ma naturelle inclination par vn mouuement de
charité, mais s’il fait condemnation sans misericorde sur ceux
qui n’ont pas vsé de misericorde, ie serois bienmarrie de le
prier ; afin d’impetrer vne clemence qu’il ne veut pas.

Pour avoir le repos, advertissez Mazarin de se retirer de l’Estat :
purgez de la maison du Roy ceux lesquelsy inspirent souz
pretexte d’vn faux calme, les haleines d’vn trouble intestin ;
mettez-y des personnes sans fraude, desinteressées, & de iugement,
pour donner des bons principes à sa Majesté : & enfin
connoissez suiuant sa Declaration, non seulement de l’affaire
des Princes, mais indifferemment de toutes personnes, afin
de leur faire le procez, suiuant la loy, & de satisfaire par la Iustice
à la raison. Voilà le conseil que ie vous donne, ou plutost
voila le commandement que sa Majesté par ma bouche, &
cette patente vous fait.

Que si le Cardinal n’obeïst à l’Arrest que vous auez dena
donne contre luy, comme perturbateur du repos public, a lors
faites vn manifeste, afin d’auertir les Prouinces que vous voulez
par force chasser Mazarin, ou du moins l’enfermer au lieu
où il fait mettre les Iustes, afin de faire restituer à ce criminel,
le bien qu’il a volé aux Innocens. Soyez genereux, Parlement,
& cette braue Bourgeoisie vous secondera. Reparez le passé,
par le present, & chacun vous benira cy-apres.

Faites-luy entendre au plutost, qu’estant le bras d’vn Roy
Mineur, Vous desirez faire vn coup de Maistre, afin de luy
rendre compte de l’administration de vostre Iustice dans sa
majorité. Si vous faites ainsi, comme vne pierre d’aimant mise
au milieu de plusieurs vergettes de fer les attire à elle par
son occulte vertu : toutes les Prouinces se ioindront à vous

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vnanimement, mais si vous ne suiuez ce qu’auec le doigt diuin
ie vous trace, de mesme qu’vn monceau d’argent vif s’éparpille
de tous costez, estant ietté sur vne table, chacun se separera
de vostre Corps, & vous mesme vous diuiserez de vous.

 

Faites ce renouuellement vous mesme, & ne souffrez
pas que les autres le fassent à leur plaisir. Quand Richelieu
mourut, on vit bien renouueler l’Estat ; mais il laissa les sangsuës
qui maintenant le deuorent, afin d’appuyer sa maison. Mazarin
a fait de mesme pendant sa vie, car il agite plus cette
France, que les vents vne giroüette sur vn clocher. Il change &
rechange tout : il n’y peut souffrir vn homme de bien : il en tire
vn mechant, crainte qu’il ne decouure ses malices, & il en
met vn plus malin, afin qu’il continuë ses méchancetez. Les
charges de la Cour passent pour cela d’vne main dans l’autre,
afin de ronger dauantage le public, se voyant applaudy par les
vlisses qu’il y commet. La Sur-intendance, la Chancellerie,
& l’Admirauté en sont des marques tres-certaines, & on peut
s’asseurer que ce mechant homme n’en tire vn decredité, quãd
bon luy semble, qu’à dessein d’en mettre vn autre qui aye
quelque bruit de reputation, afin qu’on ne se doute pas de luy.

De rechef, Senat, renouueles-vous mesme la maison du
Roy : seruez-vous d’vn moyen si aisé, & ne souffrez pas qu’vn
estranger soit la ruyne d’vn Estat : n’épargnez pas l’autheur des
desordres, & vous ménagerez cent mille vies : enfermez les
mauuais Vents du Ministre, & la bonnace sera dans la mer de
la France : N’attendez pas que Mazarin vous aye donné la
mort, pour luy faire son procez en suitte : Ne pechez pas contre
la raison, de patienter qu’il vous ait perdus, auant que de
songer à vous defendre : Ne luy donnez point vne condemnation
pour des pensées, mais pour des œuures : Ne le pvnissez
pas pour des negligences, mais des trahisons : ne le chassez
point à cause de ses occults desirs, ains de ses manifestes iniustices :
ne le taxez pas de ses pechez particuliers, par ce que
sa conscience en prend la peine, mais pour ses crimes generaux,
dautant qu’il fait pecher tout le monde : Bref, ne luy
faites rien pour des legeres coleres, des iustes acquets, ny
des actions genereuses, à cause qu’il est mal-heureusement
dépourueu de ces graces ; mais pour des assassins acheuez, des

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rapines qu’il commence, & des fourberies qui ne finiront iamais
en sa personne, par ce qu’il a le bon-heur de leur estre
conforme.

 

Ie vous laisse moderer ou roidir cette iustice, afin de vous
estre plus ou moins auantageuse, ou plus ou moins preiudiciable.
Si, afin qu’il soit dechiré de mille remords vous le laissez
viure, arrachez-luy les finances du Roy qui le feront mourir.
Puis que là où est le cœur, là est le tresor, & que là où est
l’argent volé à sa Majesté là est le cœur de Mazarin : ostez-luy
ce tresor, & le Cardinal sans cœur, & par consequent le Ministre
sans ame, sera bien-tost de cedé, à cause que sans richesses
le nom de Mazarin sera dans le tombeau. S’il ne connoist
pas d’abord le bien que vous luy faites, vn iour il vous pourra
remercier de cette charité, à cause que luy ayant osté cette
roüille, vous aurez disposé vn larron, afin que Dieu luy ouure
la porte du Paradis.

Ie vous engage de la part de la Diuinité, sa parolle que ie
vous porte, que si vous suiuez ce que ie vous préscrits (apres
auoir osté de vostre Compagnie les pensionnaires qui vous trahissent,
parce qu’ils sont en plus grand nombre que les gens de
bien, ont plus de voix, à raison de quoy ils sont plutost suiuis)
que tout vous reüssira si suauement d’vn costé, par la diuine
prouidence, & si mal de l’autre, par vostre faute, que vous
mesme en serez estonnez.

Ostez les membres pourris qui sont dans vostre corps, &
faictes sçauoir au public, que pour n’auoir plus aucuns obstacles
dans vos genereuses entreprises, vous commencez premierement
la Iustice sur vous mesme, en retranchant de vous
tout ce qui vous pourroit preiudicier. Si vous faictes ainsi, en
preuenant les maux, tout le peuple vous secondera : mais si
vous attendez qu’on les bloque, eux-mesme vous liureront
au tyran, ou plutost vous déchireront dans uos murs, par ce
que vous serez la principale cause de leurs miseres, & le particulier
effet de vos infelicitez.

Purgez l’Estat de sa ladrerie, en chassant les pestes de Mazarin :
ostez-luy cette lepre, & la France guérira : comme l’obeïssance
fit qu’Aman recouura la santé, Vous vous trouuerez
pleins de vie en mortifiant le Cardinal ; mais comme il ne l’auroit

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pas recouuerte sans cela, Vous ne la recouurirez point
sans cecy.

 

Ayez vn mesme sentiment entre vous, & considerant le
pauure peuple de la France, comme vne mort qui traisne sa
miserable vie sur la terre, prenez-en compassion, & le soulagez.

Senat, Senat, c’est assez dormy, l’horloge sonne, c’est à cette
heure qu’il vous faut réueiller du sommeil : tout le Ciel
vous conuie à vous piquer de generosité. Receuez ce Verbe,
& suiuez les mouuements du diuin Esprit : Ne soyez pas
des dures roches à la voix de Dieu, ny de ces chemins battus
à tous les mauuais esprits, encore moins de ces miroirs trauersez,
qui reiettent vne image diuine, en la presence d’vne diabolique ;
mais soyez vne bonne terre, afin d’apporter de bon
grain. Il est temps de mettre la main à la charruë, sans regarder
derriere soy. Il n’est pas icy question de vous amuser auec
des termes bien enjoliuez, ny de vous rauir auec des beaux
traits d’Orateur ; Mais il est expedient de vous persuader qu’il
faut faire vn coup qui soit le coup de tous les coups pour renouueler
l’Estat. On vous l’a assez écrit, mais vous n’auez pas
assez fait. Faites donc dauantage, afin qu’on n’écriue pas tant.
Aux plumes faites succeder les canons, & apres l’affreuse Belonne,
vous serez possesseurs de la delectable paix. Si vous
laissez suranner le delay, Dieu ne vous donnera pas la grace
de le pouuoir quand vous en aurez le desir.

Et voulez-vous tout perdre, diront les gras Partisans des Villes ?
& vous auez tout perdu, répondent les pauures peuples
de mille bourgs qu’ils ont desolez : maison neufue, maison
neufue, on ne peut guérir l’vlcere qu’en l’incisant. Il faut se
dépoüiller du viel homme de Mazarin, afin d’auoir le repos
par vn bon nouueau François.

Ne vous amusez pas tant aux belles, comme aux bonnes
choses, ny aux éclatantes lumieres, ainsi qu’aux profitables
chaleurs : Si neantmoins la beauté & la bonté se trouuent par
ensemble, ie ne vous oblige pas de les rejetter, ains vous conseille
de choisir la bonté, plutost que la beauté, si elles sont distinctes,
& que vous les eslisiez toutes deux, si elles se rencontrent
en vn mesme sujet. Ie veux dire par cecy, qu’apres auoir
veu les pieces équitables qu’on vous enuoye, pourueu qu’elles

-- 25 --

soient fondées sur le droict diuin & humain, vous ne deuez
pas, à cause d’vn stil raboteux, reietter les genereuses impressions
qu’elles vous laissent dans l’esprit, apres les auoir leuës, ny
trop retenir les especes des coulantes que ce Ministre vous addresse,
lesquelles en les lisans, vous glissent par la fenestre des
yeux, la lacheté dans l’ame, par le moyẽ de laquelle le Demon
qui les dicte aux organes de Mazarin, vous lie les bras auec
des Declàrations du Roy. Defiez-vous de ces araignées ausquelles
le malin esprit tend les filets, & n’esperez qu’en la colombe
de la verité.

 

La bonne ou mauuaise parole fait à l’ame ce que les bons
ou mauuais viures font au corps : comme le poison tuë celuy
cy, vne méchante voix empoisonne celle-là : Or cette voix est
méchante qui fait gloire de vous promettre, ce qu’elle auroit
honte de vous tenir : & cette parole est bonne, qui vous tient
plus qu’elle ne vous promet : telle est d’vn costé la parole de
Dieu, & telle est de l’autre la voix de Mazarin. Le Cardinal
vous proteste, sur les sainctes Euangiles, de vous faire mille
biens, & il iure dans ses pensées, qu’il se pariurera pour les
conuertir en maux. Dieu au contraire vous menace d’vn deluge
de foudres, si vous ne le croyez, afin de vous les faire conuertir
en fleurs en le croyant.

Qui a l’ame colée à Dieu, s’infuse auec le Verbe, en ceux
qui oyent sa voix : & qui est diabolisé par les tyrannies, diabolise
auec ses discours ceux qui prestent l’oreille à ses deceuans
entretiens. Et faut-il s’estonner si toute la Cour est endiablée,
puis qu’il y a tant de méchans esprits, lesquels se transforment
mille fois, les vns ez autres par leurs paroles, quand ils déliberent
leurs tyrannies, afin de les faire apres executer sur les
membres de Iesus ? ny faut-il s’ebair s’il ne se trouue personne
de diuinisé, puis qu’il s’en voit si peu qui possedent cette
force eternelle, pour la communiquer à plusieurs auec leur
parler ? Ie ne m’estonne plus de voir la Cour si ensorselée, mais
de ce qu’elle ne l’est dauantage, puis qu’il y a tant de demons,
ny de ce que le Palais a des hommes si lasches, mais de ce
qu’il n’y en a plus, puis qu’il y en a si peu de diuins.

Plusieurs grands Genies vous ont au commencement accablez
d’vn de luge d’écrits, mais la plus grande partie (ie ne

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dis pas tous) sont aussi passionnez que la fougue des peuples,
mal-heureusement agitez de furie, au temps de laquelle, à
la faueur des tenebres, ils les ont mis au iour. Mais apres
cette precipitation passée, vne partie de ces torrents d’eloquence,
qui sembloient par leur impetuosité se vouloir surpasser,
sont venus plus lasches, que ceux lesquels auec leurs
pieces burlesques dorment en vne fausse paix, Ce qui fait voir
que la vertu de ces écriuains, ou pour mieux dire de ces comediens,
qui au lieu de pleurer sur eux mesme, ne taschent
qu’à faire rire les autres (comme si la paix pouuoit estre persuadée
en boufonnant) est comme le vice d’vne populace en
emotion.

 

Toutes ces choses m’ont obligé de ne darder pas les étincelles
de la verité au trauers de tant de broüillards : i’ay attendu
iusques à present, afin qu’on distinguast le langage des
hommes de la voix d’vn Dieu. C’est pourquoy, entre la defiance
de moy-mesme, & la confiance en la Diuinité, i’ay tout
desesperé de ma foiblesse naturelle, & tout esperé en la force
du Seigneur, à raison de laquelle, ayant mis, comme Dauid,
quatre ou cinq pierres dans ma fonde, ie les ay poussées contre
ce Centaure qui deuore le peuple de Dieu.

Quand tout le monde a finy d’écrire, c’est alors que i’ay
commencé : plusieurs ont fait leur batterie par la passion, & le
Verbe a fait ma bataille auec iugement. Beaucoup se sont signalez,
Dieu ne me fera pas mal reüssir, s’il luy plaist : Ils ont
fait mille coups de Maistre, & il peut faire que mon premier
coup d’essay les surmontera tous. I’en puis seul, tuer dix mille,
en vn, comme ce Roy d’Israël, au lieu que tant d’écriuains
n’en ont pas renuersé iustement trois, de mille qu’ils en deuroient
auoir mis au tombeau. Ils n’ont rien persuadé auec
leur eloquence humaine, & ie puis tout fortifier auec la voix
de l’Eternel. Luy seul peut mouuoir vos volontez auec ces
noirs characteres, ou les mechans voyent la mort habillée de
leurs couleurs. Mazarin qui veut tout faire perir, à cause de
l’authorité Royalle, de laquelle il se couure, & laquelle dautant
qu’on luy resiste, il dit qu’on combat, deuroit estre sacrifié
luy-mesme, parce qu’il l’a dissipée tout à fait.

Receuez-donc, Auguste Senat, ce Verbe prononcé, dans

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l’eternité, lequel Dieu vous enuoye par cette letre de cachet : &
rejettez ce Sathan que Mazarin vous adresse par ses missiues,
lesquelles ternissent la gloire du Roy, en portant son nom.

 

Comme vn enfant s’encline vers la mammelle de sa mere
pour se fortifier de son laict ; ainsi Dieu s’épanche vers moy,
& moy vers vous, afin de vous rendre genereux, auec les vapeurs
de son sein. Mais comme la fumée d’vne ardente fournaise
monte à coudées retorses, afin d’infecter la plage, ainsi
le Demon s’écoule dans le Cardinal, & de luy dans vos entendemens,
pour vous corrompre auec ses paquets.

N’ayez pas peur de Mazarin, craignez Dieu : discernez bien
les esprits, apres que ie vous auray serenisé le iour : ne prenez
pas le change en vous flattant : le bon & le mauuais se combattent
dans vos ydées, quand vous receuez indifferemment
les idiomes des caracteres qu’on vous graue sur vn papier :
par ce que quand le Diuin s’est emparé de vostre cœur, par la
veuë d’vne bonne piece, & que le Demon l’en veut chasser,
afin d’en prendre la place, par la lecture d’vne méchante, ces
deux contraires directement opposez, ne peuuent compatir
en vn mesme sujet, parce que chacun en veut estre le
Maistre absolu, c’est pourquoy il vous faut vistement resoudre
de retenir l’vn ou l’autre (sans les faire tant combattre dans
vos intelligences) & par consequent de chasser Belial, qui se
presente tous les iours à vous, par les ordres de Mazarin, ou
Iesus-Christ, lequel vous est offert auec la pluye dorée de ces
veritez. C’est vne chose qu’il vous faut necessairement faire ;
parce que vous ne pouuez pas seruir aux méchans Ministres, &
aux bons peuples, au Demon, & à Dieu, à cause qu’ils ne peuuent
compatir. Encore vn coup, discernez bien les Esprits, &
apres auoir auec cette pierre de touche, rejetté le méchant
& esleu le bon ; vous verrez de quelle benediction Dieu vous
felicitera.

Apres ce discours ie vous aduertis, pour clorre tout cecy
(souuenez-vous en bien) que si vous auez quelque ordre il
viendra du Tout-puissant, mal-gré* ceux qui demandent la
paix des levres, & qui la haïssent de cœur. Glorifiez-le de ce
qu’il fera en vous, & gardez-vous en le profit : sur toutes choses
il veut que vous ne luy rauissiez pas l’honneur de ce qu’il

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operera par vostre moyen. Ie me laue les mains de ce costé
là, & vous de clare, pour le reconnoistre de ce qu’il vous annonce
par ma bouche, que tout ce que ie vous ay notifié dans
la presente, & ailleurs, ie l’ay receu de luy : si i’en reçoy ce que
ie vous donne, de quoy me puis-je glorifier ? Ie purifie en cét
endroit mon intention deuant sa Majesté, faictes en de mesme,
& vous ne faillirez pas.

 

Vous ne pouuez aucune chose sans l’action du Souuerain
Dieu, pour vous monstrer que tout don parfait vient d’enhaut,
descendant du pere des Lumieres ; mais il est certain que Dieu
ne fera rien sans vos mouuements humains, afin que vous ne
vous attendiez pas d’auoir la paix du Ciel, en vous tenans les
bras croisez : mouuez-vous donc au Verbe, auec le Verbe,
pour sa gloire, il agira en vous, par vous, & pour vostre
vtilité.

C’est assez parlé, il est temps que ie me retire, apres tant de
remontrances & supplications, pour vous donner loisir d’y déliberer :
autant que ma voix est lente, precipitez auec prudence
vos iugemens.

Si vous ne suiuez mes auis, en consideration de la Iustice,
du Roy, du Public, & du visible bien qui en resultera, ie ne
vous menace plus de ce dont vous n’auez que trop à craindre,
car ie presumerois de faire l’impossible, si ie m’eforçois à vous
peindre dauantage les maux qui vous talonnent, & qui dans
vostre sommeil vous tomberont subitement sur la teste, si vous
ne vous réueillez en sursaut.

Ie vous asseure du bien & du mal, que ie vous préscrits, suiuant
que vous serez lasches, ou forts, auec vne infaillibilité
aussi ferme, comme Dieu est Dieu. Le Ciel & la terre passeront,
mais l’effet de l’Eternel Verbe ne passera pas. Ie vous le
presente comme vne medaille à deux reuers, auec vne naïfue
simplicité. Pesez-bien mon discours, & panchez du costé de
la balance qu’il vous plaira : bien & mal est deuant vos
yeux, celuy que vous eslirez vous sera donné : mes termes
sont succints, mais extraordinaires ; c’est pourquoy ils seront
executez, par amour, ou iustice, comme les souuerains Arrests
d’vn Dieu.

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Tant parler sert de peu, tout est dans la valeur,
Mazarin en prison vous pourra rendre calmes,
Faites-vous ce grand bien, faites luy cet honneur,
Et vous aurez la paix, par la voye des armes.

 

REFVTATION.

I’AY appris que quelques esprits bigearres, lesquels ont
autant d’intelligence que des mouches, se scandalisent de
ce qu’on fait parler la Reyne Regente, afin de luy dire par elle,
à elle-mesme la verité : mais si ces Critiques auoient sondé
les secrets diuins, ou consideré que le Nouueau Testament
inuente cent paraboles, afin de faire ouyr aux Iuifs la parolle
Diuine auec addresse ; ils adoreroient en cecy ses ressorts, plutost
que de s’indiquer mes inuentions.

Dieu fait iuger les personnes en sa parolle, par leur propre
bouche, dit le Verbe, & pourquoy donc me condamnez vous,
si auec la dexterité de son esprit ie fais découler de leur langue
mille veritez qu’ils abhorrent dans le cœur ? Ie dois bien auoir
autant de permission d’écrire des choses vrayes, au nom de la
Reyne, quoy que cela luy déplaise, comme Mazarin des mensonges
au nom du Roy, quand il dit : Car tel est nostre plaisir.

Ie fais voir accomply, ce que IESVS a prophetisé : qui me
condamne, à raison de cela, à cause que ie fais voir les choses
accomplies, trajete, sa criminelle Sentence contre celuy lequel
a dit, qu’il en feroit voir l’accomplissement. D’ailleurs,
quand ie prendray le suiuant reuers, afin de parer le dire de
l’ignorance, ie pourray iustifier de mon procedé.

Ie fais parler la verité de Dieu par moy, ou pour mieux dire,
le Dieu de la verité parle par ma bouche aux tyrans de la
Cour : de cette façon ne puis-je pas donner à cette belle ennemie
du mensonge, le tiltre glorieux de Reyne Regente du
Ciel & de la Terre, puis qu’elle regit tout ? cela ne vaut pas la
peine d’estre prouué par raison, dautant que l’homme le plus
dépourueu de iugement, l’auoüera par le sens commun : nul
ne peut m’interdire en ce rencontre, ny de ce que ie leur parle

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hardiment. Si ie me tais, les pierres parleront : or il est plus
expedient que ie parle, suiuant le sentiment de Dieu, que s’il
estoit obligé de faire entendre sa voix par les insensibles rochers,
parce que l’homme viendroit vne roche, s’il ne vouloit
pas annoncer à ses freres le langage diuin ; & que les pierres
seroient faictes des enfans d’Abraham, si elles leur faisoit retentir
la voix de la Diuinité.

 

Ie ne doute pas qu’on ne me cherche, afin de me perdre, par
ce que ie ne veus pas deuenir vne montagne, priuée de l’humain
sentiment, mais ie sçay que Dieu me trouuera pour me
sauuer, à cause que ie luy obeïs. Ie dirois volontiers aux ennemis
de ma vie, comme IESVS aux Iuifs, pour quelles de mes
bonnes œuures me lapiderez-vous ? mais parce qu’on me repondroit,
comme on luy répondit, Non pas pour des bonnes, mais
pour des mauuaises, ie me veus taire, afin de ne les obliger pas
de parler ; car puis qu’on l’appella Belsebut en Hierusalem,
par ce qu’il leur disoit la verité, ie n’en aurois pas meilleur
marché dans Paris, pour la mesme raison.

Ie ne rougiray iamais de la verité : puisque ie vis par elle,
ie puis mourir pour son amour. Ie ne sçaurois bien reconnoistre
le present de ma vie, qu’en l’exposant au trépas, s’il est besoin :
ie la conserue en la perdant, & ie la perds pour la conseruer :
ie ne crains rien en craignant Dieu : s’il est pour moy,
de qui auray-ie peur ? ie me considere petit, foible & impuissant
deuant la multitude innombrable de mes ennemis,
lesquels, si Dieu permet que ie tombe en leurs mains, peuuent
signaler leur proüesse, auec vne rage pire que celle des
Demons, sur vn corps lequel on leur iette à leur gueulle beante,
pour les assouuir ; mais ie me regarde grand, puissant &
fort en la presence de mes aduersaires, lesquelles ie puis
mettre en mille lambeaux auec le bras diuin, & les vaincre
malgré leur resistance, pour les rendre aussi mattez qu’vne
mouche qui seroit étouffée souz la patte d’vn Lyon. Celuy
qui desliura Daniel de leur bouche, est mon Protecteur : ie
puis, comme Sanson succomber, mais ie ne seray iamais veincu,
qu’en les terrassant.

IESVS a fuy la Croix, ie l’euiteray ; mais si elle me vient au
rencontre, ie luy courray au deuant, comme luy : la prudence

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veut que ie ne me precipite point, & la force que ie ne recule
pas. Si ie me precipite, la soif de la Iustice l’operera ; &
si ie recule pour mieux sauter : auec la partie inferieure, l’apprehenderay
le calice que ie boiray de l’autre auec amour.
Dieu me continuëra cette grace, s’il luy plaist : ie me defie de
moy, sans me flatter : c’est pourquoy ie m’appuye en Dieu,
mal-gré le sort. Mon ame est resignée és bras paternels de celuy
dans le sein duquel elle est desapropriée parfaittement.

 

Voilà comme ie refute la pensée de ceux qui croyent que
i’ay mal-fait, d’adresser ces pieces au Senat, au nom de sa Majesté
Regente, & comme ie desabuse les foibles, lesquels peuuent
s’imaginer que i’ay autant de peur de mourir, en disant
la verité, comme vn criminel apprehende de ne pas viure, à
cause de ses forfaits : qu’on se détrompe de cela, car :

 


Dans la mort nous viuons, nostre vie est la mort,
Alors que c’est pour Dieu qu’elle nous est rauie :
Mais par vn merueilleux & admirable sort,
Vn bien rude trépas, vient vne douce vie.

 

Qu’on se détrompe encore de croire que la verité n’est pas
bonne à dire en tout temps : parce qu’il est faux de le soustenir :
les temps ne luy préseriuent point de bornes, d’autant
qu’elle les a limitez : ce qu’elle limite, est su jet à sa iurisdiction :
donc elle doit arguer & applaudir en tout temps les iustes, &
les pecheurs qu’elle a eternellement enclos : donc ie fais bien
de dire la verité : donc celuy-là fait mal qui ne l’a dit pas.

Il est vray qu’elle n’est pas bonne à dire en tout temps par
l’homme lasche, par ce qu’il est si occupé à sa malice, qu’il n’a
iamais vn moment de loisir, afin de produire vn acte de bonté ;
mais à vn cœur genereux tout temps luy est propre en veuë
de l’Eternel, parce qu’il est si habitué à bien faire, qu’il n’a iamais
vne minutte de reste, afin de l’employer malicieusement.

 


La verité n’est pas bonne à dire en tout temps,
Par ceux qui en tout temps ne taschent qu’à mal faire :
Mais les Saincts seulement vivent tousiours contens,
Parce qu’en aucun temps ils ne la scauroient taire.

 

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AVTRE REFVTATION.

O Le dangereux esprit, disent les Satellites des tirans, à
cause que ie les arguë, mais (apres auoir supplié le Sage
Lecteur de mettre de la difference entre la passionnée inuectiue
de quelques-vns, & ma iuste reprimande) ie leur de mande
quel est le plus dangereux, le leur ou le mien ? ou le leur
de boire le sang d’vne infinité d’hommes, ausquels par les barbares
extorsions qu’ils exerçent en leur endroit, ils arrachent
les entrailles, afin de manger encore leur chair, ou le mien
de combattre ces inhumains qui de solent leurs freres auec des
cruautez qui font horreur aux demons, & d’exciter les creatures
de ne l’endurer plus ? est-ce eux qui sont es moins dangereux,
d’imposer aux peuples les peines des damnez, où est ce
moy en leur donnant le moyen de se procurer les joyes du Paradis ?
Est-ce l’esprit des tigres qui ne cause pas le danger en
faisant mal ; Où est-ce le mien qui sera appelle le perturbateur
parce que ie conseille aux hommes de se défier d’vne fausse
paix s’ils veulent estre vrayement paisibles, & de chercher le
repos à la pointe d’vne genereuse guerre ? Ie fais iuge de cela
tout le monde. Que chacun voye s’il ne vaut pas mieux que
trois ou quatre méchãs perissent, plustost que de les voir joüer ;
comme auec des verres qu’on casse, de cent milliers de creatures
qui sont aux derniers abbois ? Ie ne suis pas dangereux,
quoy que ie tranche ces Pantheres, mais ce sont les monstres
de Mazarin qui sont à craindre, quoy qu’on les flatte encor.
Pour moy ie ne sçaurois, la verité ne peut flatter. Elle n’est pas
venuë apporter le calme à ces malices, qui sont publier, Comme
vn axiome veritable, que la paix la plus pauvre & la plus déchirée,
est preferable à la guerre la plus glorieuse, & la plus magnifique ; Mais
le glaiue de diuision afin de les punir de ces execrations. On
voit à present ce qu’opere vne pauure paix déchirée, aussi bien
qu’on ressentiroit à cette heure les fruits qu’vne guerre genereuse
nous auroient amenez, si on auoit suiuy la pointe des
armes. Ie m’estonne que la foudre ne tombe du Ciel, sur ces
maudits Escriuains, lesquels font endormir les peuples, en leur

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promettant par la voye du vice vn repos qu’on ne peut obtenir
que par le chemin de la vertu : quoy qu’ils sçachent qu’vne
mauuaise cause ne peut produire vn bon effect. Lisez à present
les Souspirs François sur la Paix Italienne, & vous verrez vn
Prophete qui a predit les malheurs de ce temps. Iettez en suite
la veuë sur la response qu’on y fit, & vous contemplerez vne
vaine qui merite la malediction de la terre & du Ciel. C’est à
present que ces deux pieces doiuent estre examinées mot à
mot, & non pas au moment qu’elles se firent en chaleur. Elles
ont pris vn autre visage : la verité de l’vne, & le mensonge de
l’autre, y sont par experience appointées contraires tout à fait.

 

 


Arracher la Paix des Prouinces,
Aigrir les Peuples & les Princes,
Taxer vn Auguste Senat,
Et comme vne horrible furie,
Bouleuerser tout vn Estat,
Est ce là seruir sa Patrie ?

 

Cette horrible
periode est
couchée à la
fin de la refutation,
qui
fut faite aux
Soupirs François,
sur la
Paix Italienne,

Voila ce qu’on dit contre les Souspirs François : mais ie responds
par son mesme discours à l’Autheur de ce Sixain.

 


La fausse Paix dans les Prouinces,
Rend-elle bien heureux les Princes,
Non plus que l’Auguste Senat,
Et d’auoir par la flatterie
Acheué de perdre l’Estat,
Auez vous seruy la Patrie ?

 

La bonne guerre auroit-elle arraché la Paix des Prouinces,
& la fausse paix y a-t’elle mis la tranquillité ? La bonne guerre
auroit-elle aigry les Peuples ny les Princes, puis qu’elle les auroit
menez à vn sainct repos ? Et la fausse paix de Mazarin à-elle
pacifié les peuples ny leurs Altesses, puis qu’il bouleuerse les
vns dans les Prouinces, & qu’il tient les autres dans vne prison ?
Est-ce mal fait de taxer vn AVGVSTE SENAT quand il s’oublie,
puis que c’est pour son bien ? Et est-ce bien fait de le flatter
quand il prend le change, puis que c’est pour son mal ? appellez
vous renuerser l’Estat, estre vne horrible furie, & ne seruir
pas son pays, quand on luy conseille la generosité qui le
peut sauuer ? Et est ce en estre le protecteur, le defendre, & luy
faire vn bon office de l’auoir confirmé dans vne lasche Paix

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qui le perd ? ô la sche Escriuain que vous l’entẽdez mal, de mentie !
ô interessé Iuge que vous auriez bien fait, de ne Iuger
pas la verité ! ô aueugle cenceur que vous eussiez bien reussi
de ne fulminer point contre celuy qui attaque tous les partis,
sans auoir d’autre visée que la gloire de Dieu, & non pas le dessein
de se mettre vitieusement en faueur, en soustenant mal
quelque costé, comme vous auez voulu faire par caprice
contre la raison. Certes le Parlement, les peuples & les Princes
vous sont beaucoup obligez, puis que vostre meschant
repos rend les vns si contens, & met les autres à la veille
d’vn si grand bon-heur ! comme au contraire, le Senat, leurs
Altesses, & le peuplic n’auront pas bien de l’obligation à vn
iuste qui les arguë à tous pour leur profit ! vous vouliez par le
mensonge acquerir la bonne grace, de tous les partis, en les
flattant, & pour cela chacun vous doit abhorrer, parce que
vous les perdez : au contraire ie veux en disant la verité, m’attirer
la malediction de chacun, au moment que ie les pique,
mais tous me beniront, s’ils suiuent mon conseil, parce que ie
les àuray sauuez. Et plust à Dieu, que la Regente, le Duc
d’Orleans, Beaufort, le Coadiuteur & autres, connussent sans
passion l’importance de ce que ie leur dis, afin de se donner
garde du Mazarin ! au lieu de m’exposer au supplice, par ce
que ie les tance, ils me cacheroient dans leur sein, afin de m’en
remercier ; car quoy que ie leur sois rude, qu’ils sachent que ie
n’ay aucune particuliere animosité contr’eux, au contraire, ie
leur ay de l’obligation, sur tout à sa Majesté Regente, & à Monsieur
le Coadjuteur : Ie pretends les reconnoistre en leur disant
la verité. Il fait bon estre contristé, pour estre bien réjouy.
La bonne tristesse opere penitence, c’est pour quoi elle ne confond pas ;
& la mauuaise ioye presomption, à raison dequoy ie fais bien de vous
mortifier, voyant que vous vous oubliez. Hors de ce rencontre, auquel
Dieu m’oblige de luy obeïr, sans rien craindre, i’aurois
esté marry de toucher à leur moralle reputation ; mais voyant
que Dieu les endurcit comme à Pharaon, en ne permettant
pas qu’ils se reconnoissent, pour les laisser inueterer, ie leur represente
que le dernier terme de la diuine patience s’épuisera
au moment de leur derniere malice, apres laquelle le Tout-puissant
mesurera iustement les coulpables, de la façon qu’ils

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ont iniustement mesuré les gens de bien. * La Colombe de la
Paix les obombre de toutes parts, & ils la combatent en tous
lieux : ils la demandent apparemment des leures afin d’amuser
les peuples, en leur faisant voir qu’ils s’empressent pour
leur obtenir le repos ; & ils l’abhorrent de cœur, en faisant
rompre tous les traittez qui les pouuoient conduire à quelque
tranquillité. Ils veulent ce qu’ils ne veulent pas, quand ils feignent
de vous procurer vne tranquillité, qu’ils ne meritent
point : Ils desirent auoir seuls la bonnace, en peschant dans
l’eau trouble de tous, & chacun se doit procurer le calme en
les plongeans dans les enfers. La Iustice & la raison consentent
que chacun aye à son tour de la misere & du bon-heur. Ie tranche
court, quand cela me deuroit faire hacher. A des maladies
inueterées, il faut des remedes violents : il ne conuient pas
s’amuser à découdre des maudites maximes, il les faut rompre
tout à fait : pour cela, auec l’esprit du Verbe, ie prends
le foüet de sa parolle, pour chasser du temple du monde,
les payens & peagers qui l’ont peruerty : peut-estre quelque
méchant imitera Sainct Matthieu, & qu’à ma iuste reprimande,
il tachera de venir homme de bien.

 

 


Les flatte qui voudra, pour moy ie ne scaurois
I’applaudis les aigneaux, ie foüette les pantheres,
Et quand on me metroit comme christ à la Croix,
Ie battray les tyrans & soustiendray mes freres.

 

Sonnet au Parlement sur la Paix Italienne,
(si Mazarin triomphe.)

 


Avguste Parlement, considere la Paix,
Laquelle Mazarin te donne sur la terre,
Ou pour mieux dire, voy, qu’elle cruelle guerre
Vn Demon des enfers te liure desormais !

 

 


Songe à toy, Parlement, car ce monstre mauvais,
Forge pour te lancer bien-tost quelque tonnerre :
Son œil te void desia à ses pieds comme vn verre,
Et il te parle ainsi alors que tu te tais :

 

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Ie viens d’emprisonner à Vincennes trois Princes,
Ie viens de desoler les meilleures Provinces,
Tout tremble de mon bruit : faisons vn coup d’Estat.

 

 


Paris s’est divisé de ceux que i’ay fait pendre.
Il me faut pour le perdre, renverser son Senat,
Et nul apres cela ne le voudra defendre.

 

Oracle, Si on laisse faire Mazarin.

 


Alors que Mazarin se croira glorieux,
Et qu’il s’estimera puissant comme vn Monarque,
Estre par ses méfaits revenu de la Parque,
Et desia colloqué au rang des demy Dieux ;

 

 


Alors Dieu irrité luy fera voir des Cieux,
Le comique Charon afin qu’il s’y embarque,
Le traitter a ainsi qu’Herode le Thetrarque,
Et le fera chasser de ces terrestres lieux :

 

 


Aux lasches par sa main il lansera la foudre,
Pour l’en reduire apres à luy mesmes en poudre ;
Tous sentiront les coups de sa severité ;

 

 


Mais ayant sur chacun assouvy sa vengeance,
A ceux qu’il trouvera dignes de sa clemence,
Il donnera la paix & la tranquillité.

 

AV PARLEMENT.

 


ON vous tient dans l’amusement,
On vous abreuve de mensonges
Mazarin & son instrument
Ne vous repaissent que des songes,
Ils mettent tout au desarroy,
Perdent les Princes & le Roy ;
Agittent la France d’alarmes :
Ils vous baisent en vous plaisant,
Vous trahissent en vous baisant,
Et tuent auecque des charmes.

 

FIN.

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Davenne, François [?] [1650], LETTRE PARTICVLIERE DE CACHET envoyée par la REYNE REGENTE A MESSIEVRS DV PARLEMENT. Ensemble vne response à plusieurs choses, couchées en la Lettre envoyée au Mareschal de Turennes, & aux avis donnez aux Flamans. , françaisRéférence RIM : M0_2250. Cote locale : C_3_9.