D. VV. [?] [1649 [?]], LE HERAVLT FRANCOIS. OV Le Paranymphe de Monsieur le Mareschal de la Mothe-Houdancour, Duc de Cardone, &c. Publiant les Batailles qu’il a données en Italie & Catalogne, auec les memorables actions de sa vie. SECONDE PARTIE. , françaisRéférence RIM : M0_1624. Cote locale : A_3_69.
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SECONDE PARTIE.

NOVS auons veu les premiers exploits de ce Mareschal,
ils nous ont fourny d’vn ample sujet de parler
à son auantage : Acheuons ce Panegyrique par des
actions plus hautes & plus releuées, & ne nous espargnons
point à loüer vn homme qui merite d’estre loüé
par tous les hommes. Nous auons promis de continuer
le discours de sa vie par les merueilles qu’il a faites en Catalogne,
il est raisonnable que la seconde partie de cét Ouurage commence
par là.

Le Roy ayant esté esleu Prince de Catalogne par le consentement
de tous les peuples de cette Prouince, qui reclamerent sa protection
contre la fureur des armes Espagnoles : Ce Capitaine fut choisi par
sa Maiesté pour deffendre cette eslection & conseruer à la France
cette belle Principauté, apres que le sieur d’Espenan eut esté contraint
d’en sortir par la force des armes du Roy Catholique. Si tost
que les ordres de ce voyage luy furent donnez, qui fut sur la fin du

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mois de Ianuier de 1641. Il partit de la Cour & ne s’arresta point qu’il
ne fut arriué dans Barcelone, où la reputation qu’il s’estoit acquise en
Italie, le fit receuoir auec de grands tesmoignages de ioye, asseura
Messieurs de la Deputation contre les apprehensions qu’ils auoient
des forces conduites par le Marquis de Loz-Velez, & commença
de faire trauailler aux fortifications necessaires à cette capitale Ville :
mais il fut bien tost contraint de laisser ce soin, dautant que le Roy
d’Espagne iugeant la guerre de Catalogne beaucoup plus importante
que toutes celles qu’il auoit ailleurs, y iettoit ses principales forces
& formoit en mesme temps trois Armées fort considerables.

 

Se mettant donc promptement en campagne pour arrester quelques
vns de ces Generaux ennemis & particulierement le Duc de
Nocere, qui faisoit batre les murailles d’Aytone, Il se rendit à Lerida
qui branloit par l’approche de cette Armée, calma toutes les factions
que les Ennemis du repos de l’Estat y auoient esmeuës, ietta
cinq cens hommes dans la place que l’on assiegeoit, & trouuant quelques
forces disposées à le suiure, marcha contre le General Espagnol
auec vne promptitude si grande, qu’il luy fit leuer le siege pour
asseurer son Armée au delà des riues de la Cinca.

Le Duc de Botere & le Marquis de Leganez Generaux des deux
autres Armées auoiẽt resolu de se ioindre, mais le mauuais succez de
celle du Duc de Nocere qui se dissipe, les fit arrester chacun en son
poste, le Prince de Botere dans la plaine de Terragone, le Marquis de
Leganez à Tortose, ce qui donnant lieu à ce Capitaine de se representer
tous les accidens qui luy pouuoient arriuer en cette campagne.
Il creut qu’il ne suffisoit pas d’auoir desia ruiné la troisiesme partie
des forces Ennemies : mais qu’il falloit perdre les deux autres en
leur ostant les moyens de se ioindre. Pour paruenir à son dessein il se
saisit du col de Cabre, fit attaquer celuy de Balaguier fortifié par les
Ennemis, depuis que le Marquis de Loz-Velez le prist en allant assieger
Cambrilz, l’emporta par la perte de quatre cens Espagnols
qui furent tuez, le garnit de puissantes troupes, & pour acheuer de
l’asseurer contre de si puissans Ennemis, alla camper à la veuë du
Prince de Botere : mais en lieu tant auantageux qu’il n’y pouuoit
estre forcé que par des efforts peu communs, ny l’Ennemy qui postoit
dans la plaine de Terragone, entrer en Catalogne que par là.

Le peu de forces qu’il auoit, le fit tenir long-temps en ce lieu comme
s’il eust voulu seulement seruir de barre à toute la fougue Espagnole ;
mais ayant receu de belles troupes du Roussillon, il ne voulut

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plus demeurer sur la deffensiue seulement, il descendit à la plaine
de Terragone, y prist les villes de Valz, l’Escouuette, Constantin,
& le Fort de Salo par l’assistance de l’Armée nauale, sans que le Duc
de Botere se mit en estat de s’opposer à tant de progrez.

 

Par la prise de toutes ces places l’Armée Espagnole se veit tant
estroittement resserrée que ne pouuant plus subsister en son poste,
elle fut contrainte d’aller camper à la portée du canon de Terragone,
où elle tomba en des necessitez si pressantes, qu’apres auoir mangé
toutes les prouisions de la ville, il en tenoit la prise infaillible, si
l’Archeuesque de Bourdeaux eust bien gardé le costé de la mer. Le
secours qu’elle receut par là n’estant pas toutefois de si grande consideration
qu’il pust exempter l’Armée & la Ville des incommoditez
qu’elles souffroient : Le Roy Catholique enuoya ses ordres au Marquis
de Leganez de secourir cette Armée par terre, & au Duc de
Ferrandine de faire de pareils efforts par mer pour sauuer la place. Le
premier se mit donc en campagne & tenta le col de Balaguier, ne
croyant pas estre moins heureux que le Marquis de Loz-Velez qui
estoit entré par là dans la Catalogne ; mais ce passage se trouua garni
de si braues hommes, que ce General Espagnol ayant esté repousse
auec grande perte, fut contraint de se retirer à Tortose, & ce qui
fut plus considerable en cette contre-marche, c’est que son Armée
quasi toute composée de milice, se dissipa dans cinq ou six iours.
Quant au Duc de Ferrandine il fut plus heureux, il secourut pour la
seconde fois cette Armée : Toutefois le dernier effort seruit beaucoup
plus à sauuer la Ville, qu’à la conseruation de ces troupes, lesquelles
ayans esté consommées par les armes & la necessité, n’estoient
plus alors que de deux mille fantassins & trois cens cheuaux.

Ce petit nombre ne laissa pourtant pas d’agir, & le General qui les
commandoit, voulant faire vn dernier effort dans le dessein d’occuper
vn poste qui luy pouuoit eslargir la communication de la mer, il trauailla
si soigneusement qu’il ajousta six cens cheuaux à ce qui luy restoit
de Caualerie, & se proposa d’enleuer vn des quartiers de l’Armée
Françoise : sur quoy ce Capitaine donnant ses ordres au sieur de
Serignan de s’auancer auec mille mousquetaires & cinq cens cheuaux
iusques à Tamaric, village esloigné de Terragone d’vne petite
lieuë, il mit luy mesme vne partie de ses troupes en embuscade sur
les eminences voisines ; mais estant auerty par les gardes auancées,
que les Ennemis marchoient en plus grand nombre que l’on n’auoit

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dit, il reuint toutes ses troupes, se mit à la teste de sa Caualerie, fit
marcher son Infanterie par vn Vallon fauorable à couurir sa marche,
mit toute son Armée en bataille le long d’vne montagne, de laquelle
il decouurit la posture des Ennemis, & se tint en estat de les attaquer.
Peu de temps ayant suffi pour faire voir vn grand conuoy de
fourageurs, qui s’estans apperceu de l’embuscade, marchoient pour
occuper vn poste qui se deffendoit naturellement, Il commanda le
sieur de Serignan pour les aller chasser de ce poste, & voyant deux
Escadrons de reserue trop auancez, les alla charger si gaillardement
que les ayant tous passez au fil de l’espée, il n’eut point d’empeschement
pour marcher contre toute l’Armée ennemie qui fut recoignée
iusques dans ses retranchemens qu’elles auoit quittés pour le secours
de ces fourrageurs.

 

Ce combat où le Prince de Botere perdit six cens hommes tuez
sur la place, cinq cens prisonniers, tous les hommes d’armes que l’on
appelloit Cruzados, neuf cens mules & quelque autre butin, ayant
acheué de ruiner toutes les Armées du Roy Catholique, ce Capitaine
reprit le chemin de Lerida où la reuolte se renouuelloit, y seiourna
trois ou quatre iours pour remettre toutes choses dans le calme,
laissa dedans de fortes troupes pour arrester l’insolence des factieux,
& se mit derechef en campagne auec quinze cens fantassins & mille
cheuaux seulement, pour apprendre des nouuelles des Arragonnois,
qui s’esleuoient auec dessein de suiure la reuolte des Catalans.

Sa diligence luy ayant fait sçauoir que le Roy d’Espagne auoit appaisé
cét orage par l’emprisonnement du Duc de Nocere, que l’on
soupçonnoit estre l’auteur de ces mouuemens, il se crût inutile sur les
frontieres de ce Royaume, Voilà pourquoy pensant au retour il prit
Tamarit en sa marche, repassa par Lerida pour asseurer de plus en
plus les bons seruiteurs de sa Maiesté, retourna promptement vers
la plaine de Terragone, fit dresser vne embuscade au Prince de Botere,
qui le croyant sur les frontieres d’Arragon, s’estoit mis en campagne
à dessein d’enleuer vn quartier aux troupes qu’il auoit laissées
prés de Constantin, & s’estant heureusement saisi de trois Vedetes,
sous la diligence desquels cette entreprise deuoit estre heureusement
executée, trompa si bien les Ennemis que s’estans auancez sans soupçon,
ils furent chargez & taillez en pieces. Cette action qui fut appellée
par Louys XIII. LA IOVRNEE DES VEDETTES, ne fut pas de
petite importance, car le Duc de Botere fut si sensiblement touché
de cette perte & des precedentes necessitez qui auoient dissipé toute

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son Armée, qu’il en mourut quatre iours apres dans Terragone.

 

Cette campagne auoit eu des euenemens glorieux, elle eut vne
fin de mesme nature par le secours d’Almenas, qui fut important : Le
Duc de Toralte & Dom Vincent de la Mare ayans formé vn nouueau
corps d’Armée du debris de celles du Duc de Nocere & du
Marquis de Leganez, surprirent cette place située aux frontieres
d’Arragon, & firent batre de quatre canons le Chasteau, dans lequel
le Gouuerneur Catalan s’estoit retiré, esperant de le forcer, auant que
l’Armée Françoise fust en estat de le secourir ; Mais ce Vice Roy
ayant fait vne diligence incroyable pour empescher que cette place
ne luy fust rauie, Il l’a sauua par vn artifice qui fit voir son experience
au fait de la guerre & son zele au bien de l’Estat. Il commanda tous
les Tambours & toutes les Trompettes de son Armée sous les ordres
du sieur d’Amboise, enuoya ce Mareschal de Camp par la montagne
qui faisoit le plus court chemin d’Almenas, luy ordonna de faire
sonner la charge quand il seroit proche de la Ville, marcha cependant
par le Vallon suiuy de cinq cens cheuaux seulement, força les gardes
laissez dans la Ville, secourut le Chasteau, fit donner aduis au
sieur d’Amboise de se retirer, & força Toralte à leuer le siege. Tous
ces exploits furent ceux de 1641. ceux de la campagne suiuante ne
sont pas moins recommendables.

Le Marquis de la Ynoyosa le voyant éloigné des frontieres d’Arragon,
se seruit du temps de son absence pour assieger Valz auec cinq
mille hommes de pied, douze cens cheuaux & cinq pieces de canon ;
mais ce dessein ne fut point auantageux à la gloire de ce Chef Espagnol :
car ce Capitaine ayant fait vne diligence incroyable pour preuenir
la prise de cette place, ce Marquis fut tant estonné de le voir
qu’il leua le siege, ce qui ne s’estant fait qu’auec precipitation & par
consequent en desordre, il fut contraint de combattre prés de Villelongue,
où il laissa neuf cens Espagnols sur la place, plusieurs prisonniers,
deux canons, & tout son bagage.

Deux mois aprés, cette victoire fut suiuie d’vne autre plus auantageuse,
elle arriua sur ce que le Roy d’Espagne voyant Colioure assiegé,
Perpignan en peril, & le Roy en chemin pour entrer en personne
dans les Espagnes, il se resolut de ietter vne armée considerable
dans le Roussillon, & de la fortifier des meilleures trouppes qu’il
eut. Il fit donc passer à Roses sur des vaisseaux de Dunkerque & de
Dantzic, six mille hommes de pied, auec toutes les munitions necessaires
à vne grande armée, sous les ordres de Dom Ioseph Sem, forma

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luy-mesme vn grand Corps, qui deuoit aller ioindre son armée dans
le Roussillon, dont il donna la conduitte à Dom Pierre d’Arragon,
Marquis de Pouare, & au Duc de Toralte, leur ordonna de passer par
la plaine de Terragone, pour y choisir les meilleurs hommes de l’armée
que le Marquis de la Ynoyoza commandoit, & trauerser la Catalogne,
auec toute la diligence possible ; ce qui estant venu à la cognoissance
de ce Capitaine, il se mit en campagne, pour obseruer la
marche de cette Caualerie, composée de deux mille cinq cens cheuaux,
mille dragons, & mille Officiers Reformez.

 

Les ennemis qui n’auoient point enuie de combattre, & qui vouloient
passer seulement, firent plusieurs feintes pour suspendre son
iugement : Ils enuoyerent des trouppes du costé de Tortose, comme
si leur dessein eust esté d’attaquer le Col de Balaquier ; firent courir
le bruit que le Roy d’Espagne vouloit entrer dans le Roussillon
par le Comté de Foix, & pour rendre ce bruit vray-semblable, assiegerent
Trein ville de Catalogne, située de ce costé-là ; mais il ne fut
point esbranlé par toutes ces feintes, il se contenta d’enuoyer à Trein
du secours, qui fit leuer le siege aux Espagnols, commanda l’escarmouche
contre le Marquis de la Ynoyosa, qui s’estoit saisi des montagnes,
& ne se remua point de son camp, qu’aprés auoir appris par ses
espions, que le Marquis de Pouare s’estoit separé du gros de l’armée,
auec ce Corps d’eslite de Caualerie.

Alors iugeant assez des intentions de ce Marquis Espagnol, il se
mit en estat de le preuenir, donna rendez-vous à ses trouppes en des
quartiers qui se rencontroient sur sa route, escriuit à Dom Ioseph de
Marguerit, qu’il eut à camper à San-saloni, auec toute la Milice Catalane,
& s’y retrancher en vn endroit où il falloit que les trouppes
ennemies passassent. Tous ces ordres estans donnez, il demeura deux
iours entiers à combattre l’armée ennemie, pour la chasser des montagnes
qu’elle occupoit, afin de persuader au Marquis de la Ynoyosa
qu’il ignoroit la marche du Marquis de Pouare, & pour l’entretenir en
cette opinion, il feignit vne indisposition, pendant laquelle il fit deliurer
quelques prisonniers : Mais ayant laissé les trouppes sous les ordres
du sieur du Terrail, auec commandement de ne partir point de
son poste, il marcha toute la nuict sur des relais, & arriua sur les huict
heures du matin à Piere, où estoit le rendez-vous de ses meilleures
trouppes.

Vn heure aprés son arriuée, ses basteurs d’estrade l’ayans aduerty
que l’ennemy défiloit par vn chemin creux, il fit cacher ses trouppes,

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iusques à ce qu’il sceut l’arriere-garde à moitié passée, auquel temps
l’ayant fait charger auec furie, il luy tua quatre cens hommes, & fit
grand nombre de prisonniers. Cette charge le fit serrer, mais elle ne
l’empescha pas de continuer sa marche le lendemain, qui fut le 28. de
Mars ; ce qui donnant à ce Capitaine vn nouueau sujet d’aller à la
charge, le combat y fut beaucoup plus rude qu’au iour precedent : car
la victoire demeura long temps en balance ; Mais Dom Vincent de
la Mare ayant esté pris sur la fin du iour, le champ demeura aux François
auec les morts, qui se trouuerent en plus grand nombre qu’au
premier combat. Ce second eschec obligea le lendemain 29. tout le
reste de l’armée Espagnolle à faire volte-face pour retourner à Terragone,
dans laquelle marche ayant esté suiuie auec chaleur, Dom
Pierre d’Arragon qui la commandoit, harassé de tant d’attaques, preuenu
par les continuelles allarmes des Catalans, qui ne luy donnoient
point de repos, tousiours incommodé de viures, obligé pour la troisiesme
fois au combat, qui luy cousta beaucoup plus que les precedens,
fut contraint de demander quartier, pour le reste des gens de
guerre qui le suiuoient.

 

Ces trois combats furent accompagnez de quantité de particularitez
remarquables : mais n’ayant pas resolu de faire vne Histoire, il me
suffira de dire que ce fut vne entiere victoire, des plus importantes qui
ayent esté gagnées sur les Espagnols, depuis quelques Siecles ; & memorable,
en ce que de ce grand Corps d’élite, il ne s’en est pas sauué
vn, ayans esté tous tuez ou faits prisonniers : Quant à la consequence,
elle fut d’vne merueilleuse importance : car elle mit le Roy Catholique
dans l’impuissance de secourir Colioure, Salces & Perpignan.
Aussi le Roy recognoissant cette action tant heroïque, l’honora du
Baston de Mareschal de France, & proposa dans le Chapitre tenu pour
la promotion du Prince de Monaco, de luy enuoyer l’Ordre du Sainct
Esprit.

Aprés cette signalée victoire, les Catalans qui disoient auoir quelque
intelligence à Tortose, l’obligerent à marcher de ce costé-là ;
mais ayant tenté cette affaire par l’espace de trois iours entiers, il dressa
sa marche vers l’Arragon, se mit en possession de Mouçon, l’vne des
principales ville de ce Royaume ; & sçachant que le Marquis de Terracuse
General de l’armée de terre, au lieu du Marquis de la Ynoyoza,
marchoit pour ioindre le Marquis de Mortare, qui s’auançoit auec
vne armée de 28. mille hommes pour aller attaquer Barcelone ; il
changea la resolution qu’il auoit prise d’assieger Fragues, pour empescher

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le dessein de ces Generaux ennemis. Il alla donc camper à Ville-Franche,
& retrancha ce poste si puissamment, qu’ayant tenu toutes
les forces ennemies en eschec, iusques à la prise de Perpignan, il obligea
le Prince de Toscane, qui s’estoit approché de Barcelone, auec
vne belle armée de mer, à leuer les voiles, & se retirer.

 

Cela fit que le Roy d’Espagne voyant tant de belles armées ruinées,
sous la conduite de ses Generaux, resolut de faire luy-mesme la
guerre, & ne proietta rien moins que d’emporter dans la fin de cette
campagne, toute la Catalogne & le Roussillon. Ce dessein auoit besoin
de forces extraordinaires : Il fit aussi tirer les estendars des ordres
des Eglises de Sainct Iacques de Salamanque, de Calatraua, & d’Alcantara,
fit conduire à Fragues quarante pieces de canon, enuoya par
tout de nouuelles commissions ; & mit sous les ordres du Marquis de
Leganez, vne armée la plus nombreuse que l’Espagne ait veuë depuis
les Maures de Grenade.

Ce Mareschal apprehendant que tant de forces ne fondissent sur
luy tout d’vn coup, fit son possible pour combatre le Marquis de Terracuse,
auant qu’il eut ioint le Marquis de Leganéz ; mais sa diligence
n’ayant rien seruy pour empescher cette ionction, il tascha de conseruer
la ville de Lerida, sur laquelle il preuoyoit bien que cette grosse
nuée alloit tomber. La confiance qu’il auoit en la bonté de ses trouppes
& en vn poste auantageux, qu’il occupoit, le firent donc resoudre
d’attendre auec douze mille hommes, le choc d’vne armée trois fois
plus forte, de laquelle il fut attaqué le 7. d’Octobre, à la veuë de la
ville de Lerida.

Le combat fut grand, long & opiniastré iusques au bout, la prise
de deux de nos canons & nostre aile droite esbranlée par la furieuse
attaque de l’Auant-garde, composée de la Noblesse volontaire d’Espagne,
des Escadrons des Ordres, & de deux mille cuirasses que
quatre mille fantasins appuyoient, faisoient pancher la victoire du
costé des Ennemis, lors que ce Mareschal donnant auec fureur &
grande conduite, l’aquit à la France par vne valeur qui sembla tenir
du miracle. Ie ne décriray point icy cette furieuse bataille qui mit
le Roy d’Espagne en danger de voir sa personne entre les mains de ses
Ennemis. Ie laisseray faire cét office aux plumes estrangeres qui ne
sont point suspectes en cette rencontre, & me contenteray d’inserer
icy ce qu’en dit Victorio au second volume de son Mercure, Liure
troisiéme : voicy les mots dont il se sert.

Il Motta ché d’ala sinistra ributato haueua con grand ualore. Il feroce

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assalto di spagnoli, cognosciuto il desordine di suei si renconcentro
del suo essercito è con due Scadroni del Magaloti & con Regimento suo
di riserua, rimessa & riuigorata l’ala sinistra, la scaglio con tanto Impeto
sopra l’Auant gardia Spagnola, che riuerberando il timore sopra
di quelli che erano pur Dianzi aggressori & Vittoriosi in vna attoms
mutata l’apparenza di quela scena, commenciarono primo à titubare &
poscia à saluar si disordinamente.

 

Sans la nuit la tuërie eust esté plus grande, l’Armée Françoise demeura
maistresse du champ de Bataille & des morts qui se trouuerent
au delà de deux mille trois cens, entre lesquels furent comptez
plusieurs Cheualiers des Ordres, ce qui causa vne grande consternation
dans toute l’Espagne.

Cette Iournée ne fit pas encore toute la gloire de ce Mareschal,
ny tout le mal des Ennemis ; son iugement luy faisant bien vser de
l’occasion qu’il auoit en main, il contraignit le debris de cette effroyable
Armée à se retrancher en lieu si desauantageux, que les
eaux en ruinerent vne partie, le reste se trouuant entierement dissipe
par les diuers partis qui leur furent deffaits, & par la prise d’vn grand
Conuoy qui les affama.

Ce ne fut pas auec de petits mouuemens de colere que le Roy Catholique
apprit vne nouuelle si contraire à ses esperances ; Ce ne fut
pas auec de petites satisfactions qu’elle vint aux oreilles de sa Majesté
Tres-Chrestienne : Le premier fit arrester le Marquis de Leganez
à Consuegra, l’autre enuoya l’inuestiture du Duché de Cardonne
pour seruir de recompense à cette glorieuse action : On ne peut
mieux exprimer ce bien-fait du Roy que par les Lettres du Cardinal
de Richelieu, en date du 24. Octobre de 1642. Voicy les propres
termes dont il se seruit pour témoigner le ressentiment de sa Maiesté
& la satisfaction qu’il en receuoit.

MONSIEVR,

La nouuelle que nous auons receuë de la deliurance de Lerida par
le guain de la Bataille que vous auez emportée contre le Marquis de
Leganez, me redonne de nouuelles forces, & n’auance pas peu ma
santé en m’ostant des inquietudes où i’estois de cette place & de l’Armée
que vous commandez. Il n’est pas mal-aisé de vous rendre de
bons offices enuers sa Maiesté, puis que vous nous en donnez sujet
tous les iours par vos prosperitez : Aussi ie vous puis asseurer qu’il n’y
a point de Gentil-homme, en France en meilleure estime aupres d’elle,

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ou pour le bien duquel elle se trouue mieux disposée. Pour nouuelles
marques de sa iustice & de sa bonté enuers vous, elle vous a
donné la qualité de Duc & Duché de Cardonne, dont vous tirerez
de grands auantages pour supporter les dépenses que vous ferez d’ores-en-auant.

 

Ayant donc receu cette inuestiture par l’Euesque de Nantes son
frere, aux mains duquel elle fut mise par Monsieur de Noyers Secretaire
d’Estat, il l’a fit enregistrer au Greffe Royal de Barcelonne,
& prist possession du Duché auec toutes les formalitez necessaires, selon
les Constitutions de Catalogne, & en suite prist la qualité de Duc
dans tous les actes publics qu’il fit, ce qui obligea extremement les
Catalans de voir qu’vn Gentil-homme François qui auoit tant contribué
à leur liberté, estoit deuenu leur compatriote.

Quant à ces exploits de 1643. ils se terminerent au secours de Flix
deux fois assiegée par le Marquis de la Ynoyoza & par Dom Iuan de
Guaray, & deux fois conseruée en dépit de ces Generaux : A la reduction
de la vallée d’Aran toute reuoltée, & au secours du Chasteau
de Mirauel, dont ie ne suis pas d’auis de taire les particularitez.
Ce grand & fort Chasteau situé sur la riuiere de l’Hebre, estant assiegé
par le Marquis de la Ynoyoza pour reparer la honte qu’il auoit
receuë deuant Flix, la nouuelle luy en fut portée dans Barcelonne, ce
qui l’obligeant à sortir auec diligence, il donna le rendez-vous à toutes
ses troupes à Flix, dont il prist aussi le chemin, trauersa l’Hebre
pendant la nuit, marcha droit à Mirauel, dont il approcha de trois
quarts de lieuës le iour mesme, fit feinte d’assieger le Chasteau des
Maures afin d’amuser les Ennemis pendant qu’il feroit repaistre ses
troupes, & d’aprendre l’estat du siege, fit auertir le sieur de la-Val
Gouuerneur de la place, qu’il estoit aux champs pour le secourir, &
partit sur le commencement de la nuit pour aller attaquer le Marquis
Espagnol campé à Gandeza, s’il ne pouuoit secourir ce Chasteau,
qu’il apprist estre reduit à de grandes extremitez. Marchant donc entre
la place & le camp ennemy pour empescher la jonction de toute
l’Armée, il apprist que sur le bruit de son aproche le Marquis s’estoit
retiré : voilà pourquoy tournant teste droit au Chasteau, il y arriua
sur le midy.

Les assiegeans s’estoient retranchez de telle sorte & dans des postes
tant auantageux, que le General Espagnol auoit eu grand raison
de croire, que ce Mareschal ne tenteroit pas seulemẽt le secours de la
place : Les Ennemis aussi le voyans arriuer, s’écrierent qu’il venoit assez

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à temps pour voir ioüer la mine & la forcer à sa barbe : En effet
se voulans mettre en estat d’executer ces rodomontades, ils
tournerent contre luy la bouche des canons qu’ils auoient pointez
contre les murailles ; mais il ne fallut pas beaucoup de temps à leur
rabaisser céte audace : car ce Mareschal ayant reconnû que les retranchemens
estoient inaccessibles par le bas, & qu’outre le premier il y
auoit vne terrasse derriere la muraille de la basse-cour, dont les
Ennemis s’estoient rendus maistres, Il se seruit de l’inuention du
Gouuerneur qui fit faire vn trou dans la muraille au lieu où les retranchemens
n’auoient pas esté conduis, parce que le roc estoit escarpé de
ce costé-là, mit toute son Armée en bataille deuant les lignes, fit filer
sur la brune l’Infanterie qu’il auoit destinée pour entrer, ietta dedans
quatre cens soldats par le moyen d’vne longue eschele ; qui depuis
le pied du roc arriuoit iusques à ce trou, y monta luy-mesme
auec quelques Volontaires, apres auoir donné ses ordres à ceux qu’il
auoit laissez pour donner aux lignes ; fit sur la minuit ietter quelques
pans de muraille à terre, sortit auec impetuosité & chargea brusquement
pendant que ses troupes attaquoient vigoureusement d’vn
autre costé. Les Ennemis se deffendirent au commencement auec
courage, neantmoins estans vigoureusement enfoncez par ceux du
Chasteau qu’ils ne croyoient pas en estat de sortir, Ils s’estonnerent,
& leurs tranchées furent nettoyées par la mort de quatre cens hommes
qu’ils y perdirent. Cela fait les nostres suiuirent leur pointe, ils
pousserent contre ceux qui gardoient les retranchemens, lesquels
se voyans attaquez deuant & derriere demanderent quartier, qui leur
fut librement accordé. Il y eut douze cens soldats prisonniers, deux
cens Officiers, tous les Mineurs, Ingenieurs & Canonniers, au nombre
de soixante & dix, le canon, le bagage, les Drapeaux & les Cornettes
demeurerent : de sorte que la victoire fut toute entiere & la
défaite dautant plus considerable, que c’estoient les Regimens des
Gardes du Roy Catholique & du Prince d’Espagne son fils.

 

Ce n’est pas seulement dans les actions de guerre que ses seruices
ont esté de poids, il ne fut pas moins Polititique que bon soldat &
Capitaine car il conserua les Catalans dans l’amour qu’ils auoient
pour sa Majesté, se rendit fort exact dans l’obseruation de leurs priuileges,
ne permit iamais aucun quartier entre les troupes Françoises &
les Espagnoles, que ces derniers ne l’eussent accordé premierement
pour les Catalans que pour les François, & fit viure les nouueaux sujets
de sa Majesté pendant la guerre, comme s’ils eussent esté dans vn

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temps de paix ; Mais cette eminente vertu fut comme les superbes
Tours qui sont plus sujettes aux foudres que les edifices plus bas, il
eut des enuieux, comme il auoit eu des admirateurs. Le Mazarin
que la suite du temps a fait voir estre l’Ennemy juré de l’Estat & des
bons François, n’ayant pû souffrir qu’vn si grand homme ne fut redeuable
qu’à sa propre vertu des auantages qu’il possedoit, ou pour
mieux dire, n’esperant pas de le voir plier sous sa tyrannie, pour en
faire vn Ministre de ses iniustices, il le rẽdit criminel deuant les souueraines
Puissances, si bien que sortãt de Catalogne pour venir en Cour,
selon les ordres qu’il en auoit receus au retour de la derniere défaite
des Espagnols deuant Mirauet, il fut arresté prisonnier dans Lyon,
mis dans vne des forteresses de cette ville, & gardé là-dedans iusques
en 1648. que la Cour de Parlement de Bourdeaux ayant reconnû
que son zele au bien de l’Estat faisoit tous ses crimes, le mit dans
les droits de sa liberté par vn Arrest iustement donné.

 

Son salut s’estant alors trouué dans l’integrité de ses Iuges, ses ennemis
qui ne l’auoient pû perdre ouuertement, le voulurent faire auec
artifice, on luy ouurit les chemins de la Cour, pour l’engager dans
quelque dangereuse commission, ou le faire perir par vne inuention
plus lasche ; mais le Ciel qui le destinoit pour l’appuy d’vn Estat, la
gloire duquel auoit esté l’objet de tous ses exploicts, ayant mis l’Auguste
Senat de Paris, dans les sentimens de releuer le Sceptre François,
que la tyrannie d’vn Ministre Estranger vouloit perdre, il se sentit
si puissamment eschauffer de cette religieuse chaleur, qui faisoit
agir tant d’Hommes Illustres, qu’il offrit au salut de l’Estat cette mesme
valeur, & cette mesme experience qu’il auoit si souuent employée
à la ruine de ses ennemis : ce qui fut accepté de bon cœur par le Parlement,
qui n’ignore pas ce que vaut sa conduite à toute la France. Les
occasions ne se sont pas encor presentées pour faire executer ce genereux
employ, qu’il a pris pour le bien public ; Lors que ie le verray
marcher à la teste de nos escadrons, & foudroyer ceux qui blessent
l’authorité Royale, sous pretexte de la conseruer. Ie ne seray pas le
dernier à me taire, & continuëray ce Panegyrique par vne troisiesme
Partie.

FIN.

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D. VV. [?] [1649 [?]], LE HERAVLT FRANCOIS. OV Le Paranymphe de Monsieur le Mareschal de la Mothe-Houdancour, Duc de Cardone, &c. Publiant les Batailles qu’il a données en Italie & Catalogne, auec les memorables actions de sa vie. SECONDE PARTIE. , françaisRéférence RIM : M0_1624. Cote locale : A_3_69.