Bourbon-Condé, Louis II de (prince de Condé) [signé] [1651], LETTRE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE ESCRITE A TOVS LES PARLEMENS DE FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_2009. Cote locale : B_7_11.
SubSect précédent(e)

LETTRE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE
ESCRITE
A TOVS LES
PARLEMENS
DE FRANCE.

MESSIEVRS,

I’ay creu qu’il estoit important au seruice du
Roy, de vous informer des raisons que i’ay euës
de me retirer de la Cour, & de ce qui s’est
passé depuis le temps que ie suis dans ma Maison
de sainct Maur, afin que mes ennemis, & ceux
de l’Estat ne donnent aucune mauuaise interpretation
à mes actions, qui ne seront iamais
éloignées du seruice que ie dois au Roy.

-- 4 --

Le Cardinal Mazarin ayant eu assés de credit
sur l’esprit de la Reyne, pour la faire consentir à
ma détention ; a continué par l’entremise de
ses creatures, de me rendre de mauuais offices
auprés de sa Majesté, esperant qu’il la feroit resoudre
vne seconde fois d’entreprendre sur ma
personne ; & sans considerer les suites fascheuses
de mon emprisonnement ; Les desordres qu’il
a causé dans l’Estat, nous leurs auons veu pratiquer
les mesmes artifices dont elles s’estoient
seruy auparauant que de me faire arrester. L’on
a semé des bruits parmy le peuple afin de me
décrier ; mes actions les plus innocentes ont esté
calomniés, & les indifferences interpretées malicieusement
contre moy, L’on ne s’est pas contenté
de trauailler à preparer le public par les
mauuaises impressions qu’on luy a donné de ma
conduite. Les creatures du Cardinal Mazarin ont
agy dans le cabinet, elles ont fait effort auprés
de la Reyne, & ont voulu engager toute sorte
de negociations, & auec les personnes qu’on a
creu qui ne m’estoient pas fauorables, sur l’esperance
d’en estre fortifiés contre moy, & que
ce commerce faciliteroit l’execution de leur
dessein.

Comme ils sont preuoyans à preparer les choses
qui me peuuent nuire, ils ont desia commencé
d’agir auprés du Roy, pour mieux entretenir

-- 5 --

ses premiers soupçons, ils n’ont pas mesme espargné
les Compagnies Souueraines qui ont iustifié
ma conduite par les soins qu’elles ont pris
d’aduancer ma liberté, & ont employé l’authorité
des loix dont elles sont depositaire contre
l’oppression qu’vn estranger me faisoit souffrir,
l’arrest que vous auez donné contre celuy qui
estoit l’autheur de mon emprisonnement, & la
iustice qu’en cette occasion vous m’auez rendu
ont esté calomnies de faction & de caballe, ils
ont voulu faire passer vos plus belles actions
pour des entreprises contre l’Authorité Royalle,
& ont condamné la conduite glorieuse & desinteressée
de tous les Parlemens, affin de mieux
iustifier le Cardinal Mazarin qu’ils ont condamné,
& disposer l’esprit du Roy à le rappelier lors
qu’il sera majeur. Au prejudice de vos deffences,
de l’interest que vous auez de maintenir vos
arrests, & de la tranquillité publique qui ne sçauroit
estre affermie que par son esloignement. Les
soins que S. A. R. & moy auons pris, de rompre
vn commerce si prejudiciable au repos de l’Estat
n’ont de rien seruy, & les deffences que Messieurs
du Parlement de Paris ont reiterées d’auoir aucune
communication auec luy ont esté inutilles,
nous auons veu au mesme temps qu’il les renouuelloit,
Monsieur le Duc de Mercœur partit

-- 6 --

d’aupres du Roy, pour l’aller trouuer. Nous
auons sçeu qu’on negocioit à Sedan, nous auons
veu le Lieutenant de Brissac se rendre maistre
d’vne place si importante, en chasser le sieur de
Tilladet pour auoir luy seul l’agreément & l’aduantage
de la remettre entre les mains du Cardinal
Mazarin, Ce n’est pas le seul preiudice que
la France a reçeu des negociations de ses creatures,
il s’est seruy de leur ministere affin de tenir
toutes choses en suspens, il a empesché que les
Conseils que S. A. R. & moy auons donnez pour
mettre ordre aux affaires publiques & paruenir à
la Paix generalle ne fussent escoutez, affin que les
peuples qui ont eu sujet de croire que sa retraicte
& ma liberté soulageroient leurs miseres, perdissent
les iustes esperances qu’ils en deuoient
conceuoir, & qu’ils eussent ressenty en effect si
ses Emissaires qu’il a dans le Conseil n’eussent
opposé leurs intrigues, & le credit qu’ils conseruent
aupres de la Reyne, affin d’empescher les
bons desseins de son Altesse Royalle & les nostres,
ainsi nous auons eu ce desplaisir de voir
toutes choses comme abandonnées ou du
moins suspenduës iusques à ce que le Cardinal
Mazarin eust enuoye ses decisions du lieu ou
il s’est retiré ; les iustes soupçons que nous auons
conçeu de leur conduite, ont augmenté nostre

-- 7 --

liberté & la seureté de nostre personne nous a
semble beaucoup plus exposée, des lors que nous
auons esté obligez de leurs faire connoistre que
nous ne pouuions iamais consentir au retour de
leurs Maistre, & c’est ce qui les a oblige de renouueller
leurs soins affin de nous nuire ; en
effect peu de iours auparauant nostre retraitte,
nous auons esté aduertis de plusieurs endroits
d’vne entreprise sur nostre personne, qu’ils
auoient resolu de faire reussir auparauant que
nous allassions prendre possession de nostre
Gouuernement de Guyenne, en ce mesme temps
nous en informasmes S. A. R qui depuis nostre
départ a eu la bonté d’en rendre tesmoignage à
Messieurs du Parlement de Paris. La passion que
nous auons de seruir l’Estat, & l’obligation d’assister
aux Conseils du Roy, nous auroit fait negliger
les aduis qu’on nous donnoit des mauuais
desseins du Cardinal Mazarin & de ses creatures,
si l’on ne nous eust asseuré qu’ils les vouloient
executer la nuict mesme que nous nous sommes
retirez de la Cour, que pour cét effect les soldats
du Regiment des Gardes auoient ordre de s’assembler
sous leurs Drappeaux, & que l’on en
auoit veu plusieurs trouppes en diuers endroits,
ces circonstances si particulieres nous obligerent
de nous en informer, & en effect ceux que

-- 8 --

nous enuoyasmes pour les examiner, nous rapporterent
que plus de deux cens hommes
estoient desia sous les armes, & que le reste des
Compagnies venoient à leurs rendez vous, vne
assemblée si extraordinaire à deux heures apres
minuict dans le voisinage de nostre Hostel, nous
fit adjouster foy aux aduis que nous auions reçeu
ce mesme iour, & nous confirma tous les soupçons
& les deffiances qui auoient precedé, ce qui
nous necessita de nous retirer icy, affin de nous
mettre en seureté contre l’entreprise des mesmes
personnes qui ont desia procuré nostre emprisonnement,
& de faict en sortant du Fauxbourg
S. Germain nous rencontrasmes quarante cheuaux
qui marchoient en ordre de gens de guerre.
A nostre départ la premiere pensée que nous
eusmes fut d’en rendre compte à S. A. R. & d’en
informer Messieurs du Parlement de Paris,
Monsieur le Prince de Conty mon frere fust
luy mesme declarer à la Compagnie les iustes
raisons que nous auons eu de nous mettre à
couuert des accidens que nous auions desia esprouuez,
& qui ont esté si funestes a l’Estat, il fist
connoistre que c’estoit le seul motif de nostre
retraite, & de preuenir par ce moyen les desordres
qu’vne seconde violence sur nostre personne
causeroit au Royaume, il asseura la Compagnie

-- 9 --

que nous n’auions aucunes pretentions
ny pour nous ny pour nos amys, & que nous ne
demandions que la seureté que des personnes de
nostre naissance doiuent trouuer aupres du Roy,
en le seruant fidellement, comme nous auons
tousiours faict, & comme nous protestons de
faire toute nostre vie, Ce qui ne pouuant estre,
tandis que le Cardinal Mazarin conseruera son
credit aupres de la Reyne, & que la puissance de
ses creatures luy donnera lieu d’esperer son retour,
& à nous d’en apprehender les suittes dangereuses
que nous en preuoyons pour l’Estat,
Nous auons declaré à son Altesse Royalle & à
Messieurs du Parlement de Paris, qu’aussi-tost
que les sieurs Seruient, Tellier & Lyonne, qui
ont son secret, qui sont Ministres de ses passions,
& confidens de ses intrigues seront esloignées,
nous ne manquerons pas de nous rendre aupres
de leurs Majestez, affin d’y continuer nos soins
au seruice du Roy & de l’Estat, & nous pouuons
vous asseurer qu’vne declaration si des-interessée
& aduantageuse à la France, que nous vous confirmons
derechef, a esté reçeuë par son A. R.
& Messieurs du Parlement de Paris aussi fauorablement
que nous pouuions esperer. Nous ne
doutons pas aussi qu’en cette occasion vous ne
tesmoignez tous les bons sentimens que l’on peut

-- 10 --

attendre de vostre zele & de vostre affection
pour le bien du seruice du Roy & de l’Estat, &
que vous ne continuez de donner au public des
preuues de vostre generosité, puis qu’il s’agit
d’asseurer le repos de la France, restablir la confiance
dans la Maison Royalle, que l’on ne
peut esperer qu’en asseurant l’esloignement du
Cardinal Mazarin & celuy de ses creatures.
Ie suis

 

MESSIEVRS

Vostre tres-humble & tres-affectionné seruiteur,
LOVYS DE BOVRBON.

ARREST DV PARLEMENT DE
Bordeaux, rendu en consequence des Lettres qui
leur furent escrite par Monseigneur le Prince sur
le sujet de sa retraite.

LA Cour les Chambres assemblées déliberant
sur la Lettre a elle escrite par Monseigneur

-- 11 --

le Prince le 8. du present mois par laquelle
il donne aduis à la Cour, qu’au preiudice du
repos de l’Estat & des Arrests des Cours Souueraines ;
Il se fait encore à present des pratiques
par les sieurs de Seruient, le Telier, Lyonne &
autres, pour faire reuenir en France le Cardinal
Mazarin, & le rétablir dans le Ministere ; Et que
pour y paruenir plus facilement, on a voulu entreprendre
sur la personne dudit Seigneur Prince.
Apres auoir oüy les Gens du Roy en consequence
des Arrests de ladite Cour, A fait &
fait tres-expresses inhibitions & deffences audit
Cardinal Mazarin, ses parens & domestiques
de rentrer dans le Royaume, à peine d’estre traitez
comme criminels de leze Maiesté, & perturbateurs
du repos public ; Et à toutes personnes
de quelle qualité & condition qu’elles soient,
d’auoir aucune communication auec luy, par
lettres ; par personnes interposée, ny en quelle
autre maniere que ce soit, ny faire aucunes brigues
& monopoles pour le rétablissement dudit
Cardinal Mazarin, à peine d’estre declarez criminels
de leze Majesté. Ordonne qu’il sera informé
dans le ressort de la Cour des pratiques &
monopoles qui ont esté faites ou se pourroient
faire pour ledit restablissemẽt, & où le dit Cardinal
Mazarin, aucun de ses parens & domestiques

-- 12 --

se trouueroient dans le ressort de ladite Cour ; Enioint
à tous les Gouuerneurs, Capitaines, Officiers,
Maires, Escheuins & Consuls d’assembler
les Communes pour leur courre sus. En outre
ladite Cour ordonne que le Roy & la Reyne
Regente seront tres-humblement suppliez d’esloigner
des conseils de leurs Maiestez lesdits
sieurs Seruient, le Telier, & Lyonne pour y
maintenir & conseruer l’vnion dans la Maison
Royalle si necessaire au bien de l’Estat, & au repos
& tranquilité publique, & aux fins que personne
n’en pretende cause d’ignorance, sera le
present Arrest affiché par les cantons & carrefours
accoustumez de la presente Ville, enuoyé
dans tous les Sieges & Bailliages du ressort, &
executé en vertu du simple dictum. FAICT à
Bordeaux en Parlement les Chambres assemblées
le treiziéme Iuillet, 1651. Signé, SVAV.

 

SubSect précédent(e)


Bourbon-Condé, Louis II de (prince de Condé) [signé] [1651], LETTRE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE ESCRITE A TOVS LES PARLEMENS DE FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_2009. Cote locale : B_7_11.