Bardonville,? de [?] [1649], LE CONFITEOR DV CHANCELIER AV TEMPS DE PASQVES. , français, latinRéférence RIM : M0_751. Cote locale : C_1_28.
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LE
CONFITEOR
DV
CHANCELIER
AV TEMPS DE PASQVES.

A ANVERS,

M. DC. XLIX.

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LE CONFITEOR DV CHANCELIER,
au temps de Pasques.

IE me confesse à Dieu, à la Reine, au Peuple, &
au Parlement ; la sinderese de mes crimes m’oblige
à m’accuser, pour tascher à meriter Misericorde, &
en suite abolition de mes pechez. On peche pour
l’ordinaire, par pensées, par paroles, & par œuures :
Mon crime n’est point pour auoir pensé à mal-faire ;
car ie n’estois point nay à cela, ny pour auoir proposé
quelque mauuais dessein, veu que mon naturel
pacifique y est contraire. Mais ce que i’ay fait est que
ie me suis teu ; de sorte que ie me puis approprier
les paroles du Prophete, Væ mihi quia tacui. Quand ie
cõsidere que i’ay esté eleué à cette charge de Chancelier
de France, à dessein que ie me tairois ; ie me reconnoist
pacifique ; car sans cela ie n’aurois eu si bõne opiniõ
de moy ; Mais cela ne diminuë rien de mon crime ;
parce que cõme ie suis cõplice de plusieurs exactions,
pilleries, & homicides, de sorte que ie puis encherir sur
le malheureux Caїn, puis que i’entends la voix du Seigneur,
qui me dit, Populi clamant ad me de terra, ou cõme
à ce mauuais Fermier, Redde rationem villicationis
tuæ iam non poteris villicare ; & que comme vn Saul insolent,
i’ay entrepris auec vn pouuoir du Prince des
Prestres de prendre le troupeau d’Esleus, & de les interdire ;
en quoy ma Commission estoit bien plus
sanglante, que celle du pauure Saül, dautant qu’il

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n’auoit charge que d’amener ceux qui tesmoignoient
estre fideles seruiteurs de Dieu ; i’auois
ordre d’arrester les plus fideles seruiteurs du Roy,
i’auois charge aussi de les interdire dans le plus fort
opposé de leur Iurisdiction ; & ainsi trahissant ma
Foy, ma Condition, & ma Naissance, ie trahissois le
sacré Senat, dont ie deuois estre le Protecteur. Mais
quoy qu’en cela ie fusses arresté, non par vne voix, cõme
Saul, mais par vne infinité d’autres ; It clamor cœlo ; &
que i’eusses deu rechercher mõ refuge chez vn autre,
où i’eusse éprouué la misericorde de Dieu, pour differer
ma punition, au lieu de rechercher comme Saul,
ces moyens, & dire comme luy, Continuo non acquieui
carni & sanguini, au lieu, dis-ie, de recõnoistre mõ erreur,
& de rechercher d’amitié, mes chers Freres, i’eus
recours aux Cheuaux & Armes. Ce qui a obligé cette
saincte Compagnie, de dire. Hi in curribus & hi in equis,
nos autem in nomine Domini. C’est ce qui a fait que cette
venerable Cõpagnie, a ressemblé à ces Prelats du tẽps
de Marcelin, qui sacrifioient aux fideles, & qui rendoiẽt
l’honneur à celuy à qui ils n’en deuoient point ;
en protestãt de ne me plus reconnoistre pour leur Superieur,
ny mesme de ne vouloir auoir de Cõference
auec moy, me tenant comme vn Excommunié. Ces
choses m’obligent à vne reconnoissance, & donc
auec raison ie dis, Confiteor. Mais ie voy que d’abord
on m’obiecte que i’ay oublié vn des principaux termes
qui est ; Et tibi Pater. D’autant que ie ne connois
point pour vrais Peres, ny mõ Curé, ny les Prestres de
ma Parroisse. Ce n’est pas à eux que ie m’adresse pour

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m’accuser de mes Concussions, & de tous mes lasches
desordres dont ie n’ay point encore assez de vertu
pour m’accuser, quoy qu’elles soient assez manifestes :
mais bien à des Moines, qui estant de condidition
priuilegiez & interessez, & qui par ce moyen
sont rauis d’entrer dans leurs droicts sans interest des
vrais Pasteurs pour prendre le mesme droict auec interest.
Ce qui les a obligez de dissimuler, lors qu’ils ont
esté aduertis pour me donner aduis, ils ont tousiours
refusé de ce faire ; principalement lors qu’ils apprenoient
y auoir à faire quelque restitution, puis que ie
n’ay point de crime que ie rebute. Maintenant que ie
suis desabusé d’eux, c’est à vous, Messieurs de Parlemẽt,
à qui ie m’adresse, pour esperer pardon, & misericorde :
& puis qu’il est escrit ; Egodixi dij estis, & que par consequent
vous voulez plustost misericorde que sacrifice :
il me semble que ie merite cartier. Quoy que ie me
ressouuienne que Caïn dit autresfois, que son crime
estoit si grand, qu’il ne meritoit point de pardon ;
mais dans la loy de Grace, Dieu se plaist quand vn
pecheur plaide sa cause. Ie veux establir pour vne
maxime principale que les loups ne se mangent pas
l’vn l’autre, qu’ayant l’honneur d’estre de vostre
Corps, vous ne pouuez me refuser d’estre mes Protecteurs.
De plus, puis que ie suis obligé de satisfaire
au Public, (quoy qu’il semble que le quartier où
ie demeure, m’authorise, puis que parmy les Iuifs, l’vsure
a tousiours esté en credit.) Mais encore Messieurs
pour vous faire entrer en mes interests, ie suis oblige
de vous dire que i’ay fait bastir la moitié de l’Eglise

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de Sainct Eustache, du moins où mes armes sont ; i’ay
aussi fait faire la moitié du Maistre-Autel de la mesme
Eglise. De plus, i’ay fait bastir le Grand Autel
des Carmes Deschaux, mes prémiers Confesseurs
& les ayant du depuis quittez pour prendre les
Religieux du Tiers Ordre de Sainct François,
i’ay fait bastir leur petite Eglise. I’ay aussi fait faire les
Orgues des Iacobins du grand Conuent de la Rue S.
Iacques, sans compter plusieurs autres biens que i’ay
faits de cette sorte, qui doiuent sans doute estre considerez.
Mais ie me ressouuiens que feu M. de Bullion
mon tres-cher Confrere & bon amy, auoit fait present
d’vn parement complet & fort riche à Messieurs
de l’Abbaye S. Victor. Ces venerables Religieux deputerent
puterent quelques vns de leur Corps pour luy témoigner
leur reconnoissance. Monsieur de Bullion leur
repartit : Messieurs vous ne m’auez point d’obligation
du present que ie vous ay fait, sinon que ie vous ay
choisis, C’est l’argent du Roy que ie vous ay donné,
priez Dieu pour luy ; Nous ne sommes que les Dispensateurs ;
& par ce moyen ie suis hors des satisfactions
pretenduës ; ce qui m’oblige veu le temps &
le lieu où ie suis, à dire auec grand regret de cœur ; mea
culpa, Ideò presot. Oüy, Madame, c’est à vous à vous à qui ie
m’adresse, comme ma Roy ne pour obtenir pardon ;
d’autant qu’il est certain que des Ministres d’Estat
ne sont iamais à couuert pour obeir au Prince, mesme
auec violence en choses injustes. Nous en auons trop
d’exemples, mesmes recens dans nostre France ; iamais
leur commerce n’a esté alloüé par les Princes

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hors de leur fantaisie. Et en autre lieu que ie ne suis, ie
ferois connoistre le detail de ce que ie dis. Ie deuois
auoir dit & suiuy les ordres, & l’exemple de cet Auguste
Thomas Morus Chancelier d’Angleterre, qui
pressé de consentir à la volonté de son Prince, en
chose iniuste & contre Dieu, il ayma mieux luy refuser
de souscrire à la volonté de son Roy, & par
ce moyen signer son Arrest de mort, que de ternir
sa memoire ; ne ressemblant en cela ny à Adam,
ny à moy, qui voulãt s’excuser à Dieu, en disant qu’il
n’y auoit que la femme que Dieu luy auoit dõné pour
compagne, qui l’auoit obligée à manger d’vn fruict
deffendu. Lascheté insurportable de conter les raisons
d’auarice d’vne femme ! maintenant que ie suis
dans vn sens rassis, ie sçay tres-bien qu’il est deffendu
de thezauriser au d’espens du sang du Peuple, qui est
celluy de Dieu ; pratium sanguinis & non litet mittere in
corbonam. Nonobstant, Madame, vous sçauez combien
nous en auons amassé ; vous en sçauez le compte :
& vous Nobles Bourgeois de Paris, qui me reduisez
dãs vne cellule impreueuë pour faire vne Meditation
sans methode, qu’esperez-vous de vostre violence ?
du moins si i’auois le Pere Oronce, le Pere,
Chrisostome, ou bien le Pere Irenée, quoy que Normans,
ils me consoleroient possible mieux qu’ils
n’ont pas fait, & ils attendroient auec que moy des
Iugements Eternels, pour auoir contribué à mes laschetez.
L’angoisse où ie suis fera qu’ils excuseront, si ie
parle ainsi, i ay tort de me plaindre d’eux, ie croy que
si tost que leur Dortoir sera acheué auec l’enceinte

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de leurs murs, qu’ils me parleront plus librement, ils
ne sont pas ignorans. C’est pourquoy Messieurs,
qui voyez mon desastre, & vous en esioüissez,
souffrez qu’vn passage de Iob pour finir, ne vous soit
point enuieux, Quare posuisti me contrarium tibi ? pourquoy
a-t’il fallu que i’aye parlé contre le Parlement,
& le Peuple ? Vtinam fuissem, quasi non essem, que ie
n’eusse iamais terny la memoire d’vn si grand nombre
de Seigneurs si venerables dans Paris. Anthoine
Seguier, toy qui as fait bastir le lieu où ie suis refugié,
pleust à Dieu que i’eusse suiuy tes Vettus, ta Iustice,
& ta Chasteté, dont ie ne suis aucunement soupçonné,
ny attaqué, ce qui mettroit mes imperfections
à couuert, & tu me dirois dies te iuuante creui. Soyez
donc tous contens de mon ressentiment, vt plangam
paululum dolorem meum antequam vadam & non reuertar
ad terram tenebrosam & opertam mortis caligine.

 

FIN.

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