Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.
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QVESTION XVII.

Sçauoir si l’on doit punir exemplairement vn
Ministre d’Estat quand il la merité.

IL n’y a point d’homme au monde qui ne
sçache parfaitement bien que tout criminel
merite d’estre puny, selon la grandeur de son
crime : mais s’il doit estre puny publiquement,
c’est là la difficulté ; parce qu’il y en a qui disent
que la Republique reçoit beaucoup d’vtilité de
cacher plusieurs vices attroces, à cause disent-ils
qu’on enseigne qu’ils se peuuent commettre
quand on les punit, ou à cause qu’on en rafraichit
la memoire à ceux qui ont enuie de mal
faire, & que la punition & la deffence font
naistre le desir de la chose. La plus part des crimes
ne sont nais qu’auec les loix, c’est à dire auec
les deffenses soit ou parce qu’on ne les
sçauoit pas auparauant qu’ils fussent defendus,
ou soit parce que n’en entendant pas parler
on en auoit perdu la memoire. Mais quãd on
les punit, ou que l’on en rafraischit la memoire
par les Loix, ou que l’on en donne enuie par la

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punition que l’on en fait, on y adjouste l’exemple :
mais ie trouue que c’est bien vne plus grande
cruauté de souffrir qu’vn Ministre ruine entierement
tous les Subjets du Roy, & qu’il accable
l’Estat d’vn nombre infiny de guerres
estrangeres & domestiques, que de le punir
exemplairement quand il l’a merite, en obseruant
toutes les formes de la Iustice : Car le retranchement
des peines est bien plus dangereux
que la seuerité des Loix, qui ne se sçauroient
exercer sans les formes. En la Iustice il
y a vn souuerain droict, ou vne souueraine rigueur,
sans laquelle on ne la sçauroit bien rendre
à ceux à qui elle doit estre renduë, comme
au plus fort de la cangrene, ne vouloir pas couper
la partie qui en est infectée, auec toutes les
circonstances necessaires ; c’est vouloir perdre
le reste du corps, & l’exposer à la mercy d’vne
chose qui ne trauaille qu’à sa perte. Aussi ne
pas punir vn Ministre d Estat en public quand
il l’a merité, pour le faire seruir d’exemple ; c’est
dénier quelque chose à la grandeur de ses forfaits,
empescher les libertez de l’equité, & rendre
vne action de laquelle tous les meschans
deuoient faire leur profit, tres-inutile. L’appuy
& le soustien de la veritable Iustice, c’est de la
rendre en la forme qu’elle doit estre renduë, se
tenant à ce qui l’a fait ce qu’elle doit estre.

 

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La Iustice est si belle de soy, qu’il n’y a point
de crime qui ne doiue estre puny selon la grauité
de l’offense. C’est pourquoy comme il y a
deux sortes de fautes, les vnes occultes & les autres
publiques ; il faut pareillement aussi qu’il y
ait deux sortes de punition, l’vne secrete & l’autre
exemplaire. La punition de nos crimes cachez
ne se manifeste que par le tesmoignage
de nostre propre conscience, ainsi que S. Chrysostome
le dit fort bien dans ses Homelies.
Quand quelqu’vn a commis quelque notable
crime, il est certain, dit-il, qu’il sent bien-tost
apres sa condemnation dans sa conscience. Elle
luy sert de tesmoin, de Iuge, & de bourreau, &
le punit auec tant de rigueur, qu’il ne sçauroit
euiter ny ses accusations, ny son supplice. Merueilleux
effect de la Iustice de Dieu, qui ne veut
laisser rien d’impuny, quelque caché qu’il puisse
estre. C’est ce ver dont parle Esaye, qui ne
meurt iamais, & qui nous ronge sans cesse :
mais il n’en est pas ainsi d’vn crime public, &
qui s’est fait publiquement à toute sorte de personnes.
Le peché qui s’est ainsi manifesté aux
grands & aux petits, demande vne reparation
manifeste & vne punition exemplaire, puis qu’il
faut que la peine responde à la grandeur & à la
qualité du crime : C’est pourquoy il n’est point
de Ministre d’Estat qui ne doiue estre exemplairemẽt

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puny, quand il a rendu son crime public,
& qu’il a conspiré contre la liberté publique.
Mais c’est vn Prince de l’Eglise, contre lequel
on ne sçauroit enfraindre les immunitez & les
priuileges de tous les Ecclesiastiques, & sans
violer au premier chef la Maiesté du S. Siege,
qui blessée d’vn coup capable d’ébranler la supréme
de toutes les dignitez iusques en ses fondemens,
pourroit prendre la foudre que le Fils
de Dieu luy a mise dans les mains, pour écraser
tous ceux qui voudroient entreprendre sur la
personne d’vn si venerable Ministre. Ne vous
souuenez-vous plus iusqu’à quel poinct la mort
du Cardinal de Guyse émeut sa Sainteté, contre
vn grand Roy qui n’en fut l’Autheur que par
vne absoluë & inéuitable necessité de sauuer sa
Couronne. Iugez de là, quelle pourroit estre
l’indignation du Pape d’aujourd’huy, si pour le
caprice d’vne populace iniustement irritée, l’on
entreprenoit de faire vne violence qui à peine
fût pardonnée à vne Puissance souueraine, & à
la redoutable Maiesté d’vn grand Prince.

 

Ne sçauez-vous pas que, Episcopalis authoritas
prædicando vita, & verbo ; & Regia dignitas regendo,
& corrigendo ? Ne sçauez-vous pas que l’Authorité
des Euesques ne consiste que dans le bon
exemple, & dans les saintes instructions ; & que
le commandement & la punition sont entre les

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mains du Monarque ? Ne sçauez-vous pas bien
que Mazarin ne sçauroit estre qu’vn membre
pourry qu’il faut retrancher du corps de l’Eglise,
afin qu’il n’infecte le reste ? Ne sçauez vous
pas bien que tous les coupables doiuent estre
punis, selon S. Paul ; qu’il faut que chacun porte
la peine de son peché, selon Ieremie & selon
Ezechiel ; & que tous les pechez doiuent estre
corrigez & punis en ce monde-cy par la sentence
des Iuges, selon ce diuin Legislateur qui parloit
à Dieu face à face ? Ne sçauez-vous pas bien
que ce Ministre ne sçauroit estre au nombre de
ceux qui gouuernent l’Eglise ? qu’il n’en a aucun
caractere que le bonnet, duquel il s’est rendu
si indigne ? qu’il n’en a iamais fait aucune
fonction ? qu’il n’en connoist que cinquante
Benefices tres-considerables qu’il possede, sans
en seruir pas vn ?

 

Qui veut estre traité en Cardinal, il saut qu’il
viue en Cardinal ; car s’il vit en tyran, en scelerat,
en impie, & en sangsuë publique, il doit
estre puny de mesme ; & par qui ? par des Iuges
seculiers, puis qu’il n’est pas permis aux Ecclesiastiques
de punir de mort ceux qui doiuent
estre tirez à quatre cheuaux pour l’expiation de
leurs crimes.

On a bien puny quantité de personnes qui
estoient plus honnestes gens, & de meilleure

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maison que luy ; c’est pourquoy on ne luy sçauroit
faire que beaucoup d’honneur de le traiter
comme les autres. Henry III. fit bien tuer le
Cardinal de Guyse, pour des crimes de moindre
importance. Pierre de la Breche grand
Chambellan de France, Sur Intendant des Finances,
& depuis Euesque de Bayeux, fut bien
condamné par Arrest du Parlement d’estre pendu
& estranglé, pour des actions bien moins
criminelles que celles de nostre abominable
Ministre. Deux Moines de meilleure maison
que le Cardinal Mazarin, furent bien attachez
à vn gibet du temps de Charles VI. Charles
Ridicoui & Pierre Arger, furent bien roüez
tout vifs, sans auoir esgard à leur charactere. Et
Guillaume Goffredy Prestre, fut bien encore
bruslé tout vif pour vn faict dont on accuse nostre
Ministre. Et ce Mazarin, mille fois plus
coupable que tous ceux que nous venons de
dire, ne sera-t’il pas puny exemplairement pour
des crimes de plus haute importance ?

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.