Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.
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QVESTION TREZIESME.

Scauoir s’il est permis à vn Ministre d’Estat
de faire tout ce que bon luy
semble.

CE seroit en vain que Dieu defenderoit
à vn Ministre d’Estat de tuer, de voler,
& de conuoiter le bien d’autruy aussi
bien qu’il le defend à tout le reste des
hommes, s’il leur estoit permis de faire tout ce
que bon leur semble ; Mais pour ne nous pas
arrester aux commandemens d’vn Dieu qu’ils
ne font semblant de croire que par maxime
d’Estat, passons de l’Histoire saincte à l’Histoire

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prophane à laquelle ils adioutent plus de foy,
& de laquelle ils tuent tous les preceptes de la
felicité qui leur est la plus sensible.

 

De toutes les Monarchies de la terre, il n’y
a que celle du Turc qui soit depositique, c’est
à dire independante & qui tienne tous ses subiets
comme esclaues. Toutes les autres doiuent
estre moderées par vne espece d’Aristocratie
qui les maintient & qui les conserue, sans que
pour cela elles soient moins Monarchies &
moins souuerains que les autres. Tacite qui
est des premiers & vn des plus intelligens
Historiens qui ait iamais traité de ces matieres,
dit que nos anciens Roys n’auoient pas la
paissance de faire tout ce qu’il leur plaisoit.
Regibus non est infinata aut libera potestates ;
dit ce fameux Orateur en son traité des
mœurs des anciens Germains ; & s’expliquant
d’auantage au Chapitre suiuant, il adiouste que
les Roys deliberoient seuls des petites affaires :
mais pour ce qui estoit de celles de grande
consequence qu’il falloit assembler tous les
grands & tous les principaux des peuples pour
les resoudre : ou ces loix parloient selon que leur
âge le pouuoit permettre, ou qu’ils estoient
bien disans ; puis que leur authorité doit plustost
venir de leurs persuasions & de leur raisonnement,
que de leur souueraine puissance.

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Ce seroit chose bien estrange, qu’vn homme
(à qui le Roy quelque puissant qu’il soit,
ne sçauroit donner que le pouuoir des loix) se
voulut persuader qu’il est plus puissant que
luy, & qu’il peut faire tout ce qu’il luy plaist, &
selon que bon luy semble ; afin de se ioüer impunement
par ce moyen-là de la vie & du sang
des peuples. S’il se trouue des esprits si pernicieux
& si funestes à la liberté publique, qui
veulent soustenir que les Roys sont absolus &
tout-puissans dans leurs Estats, ie ne croy pas
qu’il s’en puisse trouuer de si abominables qui
ozent dire que le Ministre soit aussi Souuerain
qu’eux, & qu’il ait l’authorité de pouuoir tout
faire, ainsi que ces maistres des hommes. Les
remonstrances que le Parlement fit à Louys
XIII. le vingt vniéme iour du mois de May, de
l’année mil six cens quinze, font bien voir que
leur Ministeriat est bien esloigné de cette supresme
puissance, puis qu’elles luy firent connoistre
que c’estoit vn mauuais conseil qu’on
luy donnoit, de commencer l’année de sa Maiorité,
par tant de commandemens d’vne authorité
absoluë.

Autrefois le gouuernement des Ministres,
estoit tousiours moderé par l’authorité des Parlemens,
& souuent par la conuocation des trois
Estats de France : ces derniers comme appuyez

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des loix fondamentales de cette Monarchie, &
les autres comme tenans la place du Conseil
des Princes & des Barons, qui de tout temps
estoient prés de la personne des Roys, estans
nés auec l’Estat, & ayant vn establissement aussi
ancien que celuy de ce Royaume. Outre qu’ils
sont encore auec tout cela les dépositaires de
nos loix, & les tutelaires de nos Princes. C’est
pourquoy les trois Estats & les Parlemens sont
obligez de s’opposer aux continuelles entreprises
des Ministres & des Fauoris qui veulent
abuser de la puissance Royale, sans autre intention
que de faire leurs affaires aux dépens du
Roy, de l’Estat, & du peuple. Et comme il y va
de l’interest des vns & des autres, ils doiuent empescher
les factions, les guerres, les tyrannies,
& le renuersement de l’Estat, principalement
en vn temps ou le Roy ne fait que sortir de sa
Maiorité, & où la tyrannie fait vn estrange rauage.

 

L’histoire Romaine nous apprend que la puissance
d’Elius Sejanus ne seroit iamais montée
au faiste de cette prodigieuse grandeur où elle
fut, si la lascheté des Princes, du Senat, & des
peuples n’eust fait iour à toutes ses entreprises.
Les trois Estats & les Parlements se doiuent
opposer à cela, puis que l’authorité leur
en a esté donnée depuis le commencement

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de cét Empire, & qu’ils sont & les vns & les autres
les dépositaires des loix fondamentales de
l’Estat, qui les obligent en conscience & par le
deuoir de leur charge à renoncer plustost à leurs
dignitez que de souffrir que les loix soient violées
par qui que ce puisse estre. Leurs conditions
les obligent à veiller au gouuernement de
l’Estat, & à la seureté des peuples.

 

Ces fauoris & ces Ministres d’Estat sont si impudens,
que dans les Edicts & dans les Patentes
qu’ils font au nom du Roy, sans que le Roy en
sçache quelque chose pour mieux authoriser
leurs tyrannies, ils y font mettre, Car tel est
nostre plaisir : le vous laisse à penser si ce n’est pas
attenter à l’authorité du Roy, conspirer contre
l’Estat, faire impudemment le Souuerain à la
barbe de son Seigneur, & meriter d’estre puny
comme vn parricide. Vn Roy quoy que Souuerain
a-t’il droict de faire cela, sans faire premierement
voir les causes & les motifs qui l’ont
porté à faire cette Ordonnance, & sans monstrer
qu’elle a esté faite du consentement des
Princes & des principaux Officiers de la Couronne ;
ne faut-il pas pour qu’elle soit valable,
que le Parlement l’ait verifiée & enregistrée ? &
apres nous souffrirons qu’vn Ministre ne fasse
pas seulement le Souuerain : mais qu’il fasse encore
par vne prodigieuse tyrannie ce que le

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Souuerain ne pourroit pas faire sans iniustice.

 

Henry le Grand, & le plus grand Roy que
nous ayons iamais eu en France, ayant appris
par la bouche de Monsieur de Horle son premier
President, que ce nouuel Edict qu’il vouloit
faire passer dans son Parlement ne pouuoit
passer qu’en employant sa puissance, dit fort
bien qu’il ne se vouloit pas seruir d’vne authorité
tyrannique. Et Mazarin, cette prodigieuse
sangsuë publique nous enleuera le Roy, nous
rongera iusques aux os, nous accablera de guerres
estrangeres & domestiques, chassera les
Princes du Sang de leur maison, & fera outre
cela ce que le plus grand & le plus puissant de
tous nos Roys n’ozeroit entreprendre, & nous
le souffrirons sans ozer dire mot, auec vne lascheté
incroyable ? Quoy parmy la plus genereuse
nation de l’Vniuers ? Quoy, parmy ce nombre
infiny de Cesars & d’Achiles dont la France est
toute remplie, il ne s’y trouuera pas vn cœur de
Vitry, pour le traiter en Mareschal d’Ancre ?
N’aurons-nous de la generosité vne fois en nostre
vie que par caprice ou que par boutade ? est-ce
que celuy-cy est plus à craindre que celuy-là ?
ou biẽ est-ce que nous sommes plus lasches que
nos ancestres ? Ce mille milions de combatans
qui faisoient il n’y a pas encor trois iours la loy
à toutes les puissances de l’Europe, tendront

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laschement le col au ioug qu’vn seul estranger
leur impose ? nos neueux pourront ils croire
vne chose (quoy que veritable) si esloignée de
la vray semblance ? N’auons nous plus de sang
aux ongles ? & toute la France ne fera pas vn
souleuement general, pour inuestir de toutes
parts ce prodige d’horreur, afin qu’il ne leur eschappe ?
Non, ie voy bien que nous aymons
mieux l’esclauage que la liberté, & des fers
honteux, qu’vne glorieuse franchise. Au moins
s’il en faut demeurer là, ne me defendez donc
pas l’vsage de la parolle, & souffrez que ie mescrime
de la langue, puis que vous ne me voulez
pas ayder à mieux faire.

 

Il n’y a pas vn François qui ne die hautement
par tout qu’il est bon seruiteur du Roy, & il n’y
en a pas vn qui ne souffre qu’vn proscrit, qu’vn
Faquin, qu’vn Scelerat, qu’vn Tyran public,
& qu’vn impie ne le luy enleue, & ne se rende
maistre de son esprit & de ses volontez, pour
l’assujettir aux siennes. Il n’y en pas vn qui ne
souffre qu’il le fasse passer pour vn criminel
dans l’esprit du Roy, qu’il tourne les armes de
sa Maiesté contre luy, & qu’il cherche les
moyens de le rauir ou de le perdre. Il n’y en
a pas vn qui ne souffre qu’il pille tous les tresors
du Roy, qu’il pille tous ses Estats, & qu’il
ne perde entierement tout le Royaume.

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C’est pourquoy l’on peut dire de la France
& des François, qu’ils sont incapables de sçauoir
iamais rien faire pour leur salut, puis qu’ils
ne sçauroient empescher qu’vn miserable & infidel
estranger ne fasse ce qu’il luy plaist, contre
les loix fondamentales de l’Estat, & contre
la liberté publique.

Ne sçauez vous pas bien que vous ne sçauriez
iamais estre accusez de rebellion en vous
opposant aux choses qui vont à la ruine de
cette Monarchie ? Ne sçauez vous pas bien que
les Rois estant venus en age de raison, & ayant
deffilé les yeux à la verité des choses qui se
sont passées, vous peut accuser du crime de leze
Majesté, de n’auoir pas pris ses interests plus
à cœur que vous n’auez pas fait, & de ne vous
estre pas sousleué contre le Tyran qui ruinoit
tous ses Estats & qui voloit toutes ses finances ?
Ne sçauez vous pas bien que ce qui se fait par
vn excez d’amour & de fidelité pour le salut
d’vne Couronne est parfaitement bien receu
des Souuerains, lors qu’ils sont parfaitement
bien informez des motifs qui ont porté leurs
suiets à ce faire ?

Il n’y a rien au monde qui ruine plus outrageusement
vn Empire, ny qui despoüille plus
les Rois de leur puissance Souueraine, que de
souffrir qu’vn Ministre d’Estat fasse le souuerain,

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en faisant tout ce que bon luy semble
Car plus la puissance du Ministre est grande
plus celle du Roy est petite, puis que la grandeur
du Ministre ne se peut tirer que de celle
du Prince, & plus vous ostez d’vne chose &
plus il faut de necessité que la chose diminuë.
Au contraire l’Estat ne sçauroit faillir de prosperer
quand le Souuerain conserue sa grandeur
& qu’il ne partage pas sa puissance : car si-tost
qu’vne puissance est partagee, elle est plus
foible de la moitié, & ainsi ialouse de reuenir
en son premier estre, puis que toutes choses
tendent naturellement à leur conseruation, il
faut ou que celle du Ministre attire celle que
le Roy s’est reseruée à soy, ou il faut que celle
du Roy reprenne celle qu’il a baillée au Mininistre,
s’il ne veut pas qu’il y ait vne perpetuelle
contestation entre deux moitiez qui ne sçauroient
demeurer diuisées, ou s’il ne veut perdre
absolument celle qui luy reste. La Royauté ne
se sçauroit partager sans se destruire, &
vous pouuez penser apres cela si elle sied bien
entre les mains d’vn homme qui ne l’a
que pour en disposer en sa faueur comme d’vne
terre conquise sur les ennemis de sa fortune.
Voyez apres cela de grace, Messieurs les
Ministres d’Estat, si pour contenter vostre ambition,
& si pour assouuir vostre auarice vous

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auez droit de violer toute sorte de loix, de mépriser
les Ordonnances qui vous banissent du
Ministeriat : d’accabler les peuples de miseres
qui ne se peuuent souffrir : de partager l’Empire
du Souuerain : de faire la guerre & aux Princes
& aux sujets du Roy, de voler tous les tresors
de l’Estat : de prescrire qui vous plaist : &
de faire tout ce que bõ vous semble, sans courre
risque d’estre roüez tous vifs, ou du moins
d’estre traitez comme le Marquis d’Ancre.

 

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