Anonyme [1650], TESTAMENT DE MONSIEVR LE DVC D’ESPERNON. , françaisRéférence RIM : M0_3763. Cote locale : D_1_27.
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TESTAMENT
DE
MONSIEVR LE
DVC D’ESPERNON.

M. DC. L.

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TESTAMENT DE MONSIEVR
le Duc d’ESPERNON.

SÇACHENT tous presens & à venir, qu’auiourd’huy datte
de ces presentes apres midy, pardeuant moy Notaire
Royal soussigné, a esté present en sa personne tres haut &
tres-puissant Prince Monseigneur Bernard de Foix, Duc
d’Espernon, de la Valette & de Candale Pair & Colonel General
de France Cheualier des Ordres du Roy & de la Iartiere,
Prince & Captal de Buchs, Comte de Foix, d’Astarac & Sire de
l’Espare, Gouuereur & Lieutenant des armées du Roy en Guyenne,
lequel de son mouuement liberal, & qu’ainsi plaist à son
Altesse Serenissime, estant sein de ses sens, memoire & entendement,
toutefois debile de sa tres-illustre personne, pour la maladie,
de laquelle il est maintenant detenu. Considerant comme
toutes choses sont suiettes à corruption & qu’elles doiuent
finir par mort, laquelle il croit luy estre tres certaine & bien
prochaine : A ces causes, & pour n’estre preueu auant que d’auoir
disposé de ses biens, a fait le present Testament nuncupatif
& ordonnance de derniere volonté redigée par escrit, comme
s’ensuit

PREMIEREMENT il dit & declare, que suiuant l’ordre & la
coustume de tous les Testateurs, il recommanderoit son ame à
Dieu s’il y croyoit. Mais puis que toutes les actions de sa vie ont
assez tesmoigné qu’il n’a iamais vescu en cette creance, il estime
qu’il doit leuer le masque maintenant qu’il est proche de sa
mort, la quelle ne souffre point de feintise. Que s’il a parlé de
Dieu cy deuant, il aduouë que ç’a esté sans y penser, & des leures
seulement & paracquist, & que cela n’a iamais entré dans son
cœur pur & net de telles pensée, dans lesquelles il confesse auoir
esté entretenu par le R. P. Escouuete son Confesseur, personnage
qu’il a pris pres de son Altesse Serenissime ayant sceu
qu’il se faisoit aymer de quelques Dames voisines de Verdelais
& qu’il auoit proiectè auec quelques Gentils-hommes Hugunots
de quitter le froc, & de conuoler en premieres nopces. Le
mesme Seigneur Prince Testateur declare pareilement, qu’il a

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esté enfin confirmé en sa susdite creance, par la genereuse resolution
de la pluspart du Clergé de Bourdeaux, qui luy ont fait
l’honneur de ne vouloir iamais denoncer excommunié & Anathematisé,
& sur vn d’entr’eux, qui chasque fois qu’on luy est
allé faire des plaintes des Sacrileges que son Altesse Serenissime
faisoit & ses vaillans & triomphans guerriers, s’est contenté de
dire, tant pis.

 

Item, Veut & ordonne le Seigneur Prince Testateur, apres
qu’il aura pleu au destin de faire vne diuision de son ame & de
son corps, que son mesme corps soit enseuely en l’Eglise des P. P.
Augustins, dans le tombeau de François de Candale, viuant
Bourgeois de Bourdeaux & Euesque d’Aire, lequel tombeau les
Bourde lois ont espargné plus que son Chasteau dé Puypaulin,
outre l’attente dé son Altesse, & l’ont laissé en son entier, ce
qui doit estre reputé pour vn miracle. Et afin que le Parlement
& le peuple de Bourdeaux agréent qu’il soit deposé en tel lieu,
& qu’ils soient inuitez de faire ses funerailles les plus magnifiques
& triomphantes qu’ils poutront, Consent son Altesse Serenisime,
que comme ce fameux Capitaine Iean Zisca de Boheme,
commanda qu’apres sa mort on l’esgorgeast, & qu’on en fit
vn tambour pour porter à la guerre, esperant que l’efficace de sa
valeur seroit attachée a sa peau resonnante, pour espouuenter
ses ennemis, consent dis-je, que les Bourdelois, ses chers compatriotes,
en fassent tout de mesme de son corps, & qu’ils l’esgorgent
pour faire semblablement de sa peau vn tambour, dont
le son les assurera grandement contre tous les ennemis qu’ils
pourroient auoir cy-apres ; laquelle sienne peau son Altesse Serenissime
donne & legue, & par droict d’institution & legat, delaisse
à la ville de Bourdeaux la faisant & instituant en ce, son heritiere
particuliere.

Item, Le Seigneur Prince Testateur donne & legue & par
droit d’institution & legat, delaisse au sieur Marquis de Chambaret,
fils d’vn Pere tres genereux, & qui sans la traison fauorable
d’institution & de legat luy delaisse sa perruque, pour preune
authentique de son amour, à condition qu’il aille à Bourdeaux,
rapporter à Madame la Princesse, & luy deduire les raisons susdites,
des feux de joye, & de ses resioyssances sur l’emprisonnement
des Princes ; faisant en cela ledit Pontac son heritier particulier.

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[12 ligne ill.]
que les Bourdelois, s’ils n’y prennent garde, seront enfin
declarez autheurs de ces maux, comme l’Agneau d’Esope, qui
fut accusé par le Loup de troubler l’eau, quoy que l’Agneau ne
beust qu’au ruisseau, & le Loup à la source. C’est pourquoy son
Altesse codicillante donne & legue à ces Deputez, pour reconnoissance
des bien faits qu’elle en a receus, les quatre plus beaux
bonets de nuict qui se trouueront dans sa Garde-robbe apres son
decez, pour estre destinez à chacun desdits Deputez, les faisant
en ce, ses heritiers particuliers.

Item, le Prince codicillant dit & declare : qu’il ne peut souffrir
le tort que Bourdeaux se fait, & la honte qu’il acquiert de demander
depuis si long-temps & si obstinement le changement
d’vn autre Gouuereneur ; Car voyant que son Eminence, à qui
les Bourdelois font cette demande : & son Altesse Serenissime
sont estroictement vnies, ils auroient autant de satisfaction
de demander ce changement à son Altesse mesme qu’à son Eminence.
Tellement que s’ils n’ont autre moyen d’obtenir ce
qu’ils demandent, ils se peuuent bien tirer le bout du nez. Outre
que les bonnes gens ne sçauent ce qu’ils veulent en voulant
changer de Gouuerneur, ne s’apperceuans pas qu’ils sont en
danger d’estre aussi mal heureusemẽt traitez que l’Asne de l’Apologue,
qui voulant tousious changer de maistre tomba enfin entre
les mains d’vn Corroyeur qui l’escorcha. Tant y a que son
Altesse Serenissime n’a gouuerné les Bourdelois & les peuples
de Guyenne de la sorte qu’elle a fait, comme elle auouë enfin,
qu’à dessein de leur faire perdre l’enuie d’auoir iamais apres sa
mort aucun autre Gouuerneur, que des Princes du Sang, comme

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ils en ont quatre des premiers successiuement ayeux du Prince
de Condé leur tres cher amy, qui n’a esté emprisonné que
pour les auoir protegez contre le Seigñr Prince codicillant, fomenté
& instigé par l’Eminence Mazarine. Et c’est le conseil que
le Prince Codicillant se sent obligé de donner aux Bourdelois,
lequel il ordonne leur estre signifie à sa diligence de ses executeurs
testamentaires.

 

Item, dit & declare le dit codicillant, que tandis qu’il faisoit semblant
de secourir le feu Chasteau Trompete, & de se preparer à
mettre à feu & à sang Bourdeaux, sa chere Patrie, il obtint pour
estre plus animé en cette haute expedition, du Reuerend Pere
en Dieu, Iule Mazarin, Cardinal sous le nom du Roy, la confiscation
de tous les biens des Bourdelois (sauf de ceux qui fauorisoient
son Altesse codicillante) lesquels estoient en beaucoup
plus grand nombre que les autres : laquelle confiscation ledit
Seigneur Prince codicillant auoit demandée par lettre expresse,
escrite de la main de son premier Secretaire d’Estat, l’Abbé de
Vertueil, la quelle sut interceptée, veuë & leuë par les Bourdelois,
dont les biens se deuoient confisquer contre leurs anciens
Priuileges, au prosit de son A. Serenissime, Tellement que lesdits
biens appartenans au Prince codicillant, par le droit de l’octroi,
qui luy en a esté fait, il en doit disposer, comme luy estans propres.
C’est pourquoy son A. codicillante par vne bonté speciaile
relaschant, de son droit ; donne & legue, & par droit d’iustitution
& legat, delaisse lesdits bien à eeux là mesmes qui en estoient auparauant
proprietaires, combien qu’ils n’en ayent point esté depossedez,
les faisant en cela ses heritiers particuliers.

Item, dit & declare le Prince codicillãt, que comme il est tres-important
que rien de son A. Serenissime ne se perde, & partant
que sa barbe, & les moustaches de son corps deffunt soiẽt cõseruées,
il veut & ordonne qu’apres sa mort, elles soient bien dorées
par l’excellant Dorreur & Peintre Fournier, à la façon des anciens
Preux, comme fut la barbe du Duc de Lorraine apres la bataille
de Nancy, l’an 1477 & qu’apres elles soient razées par le meilleur
Chirurgien de Bourdeaux, pour estre mises & encloses dans
vn beau vase de cristal, lequel sera placé & colloqué dans vne
corniche de la Tour du Marché de Bourdeaux, afin que tous
ceux & celles qui passeront pardeuant de si precieuses Reliques
tirent le chapeau & fassent la reuerence décemment, comme il

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appartient à la memoire d’vn si bon Pere du peuple, & d’vn tel liberateur
& restaurateur de sa Patrie. Le courage duquel s’est sleué
par dessus l’Epicycle de Mars, & qui a sçeu le secret de faire
marcher les montagues, de tarir les fleuues, & d’arrester la [1 mot ill.]
du Ciel & des [1 mot ill.]. Et afin que cette [1 mot ill.], que se Cedicilant
ordonne estre faire à sa barbe, ne soit pas trouuce estange,
on se pourra resouuenir comme l’Empereur [1 mot ill.] autrefois
enfermer sa [1 mot ill.] dans vne belle boëte d’or [1 mot ill.] de pierre
precieuses, qu’il consacra au Capitelle, & ordonna pour [1 mot ill.]
son de ce, vne Buthysie, sacrifice sort solemnel, laquelle sienne
Barbe & ses Moustaches, ledit Codicillant de surplus, donne &
legue & par droit d’instirution & légat, delaisse à la ville de Bourdeaux,
la faisant en ce, son heritiere particuliere.

 

Item, dit & declare ledit Codicillant, que cõme les exploits de
son A. Serenissime sont dignes de loüanges immortelles, il veut
& ordonne qu’il en soit fait vn perperuel Anniuersaire, & que
chaque iour des Calendes de May, On fasse à son honneur des
jeux floraux de la Gaye science à l’instar de ceux de Dame Clemence
de Tholose. en l’Hostel de Ville de Bourdeaux, où son
Image releuée en bosse de beau marbre, sera mise au bout de la
grand’Salle dudit Hostel, laquelle pour cette fin sera agrãdie de
la moitié, pour receuoir vne plus grande affluance de Poëtes
contendans, dont les Poësies, composées à l’honneur & gloire de
son A. Codicillante, seront recempensées de tres beaux & riches
prix, comme ses executeurs testamentaires le trouueront
bon. Enquoy ces Poëtes prendront garde de ne toucher point,
que le Seigneur Prince Codicillant soit fils d’vn perit sils de Notaire
de Village, comme tout le monde [1 mot ill.] combien que cela
n’empescheroit pas beaucoup le lustre de [3 mots ill.] ;
veu qu’il y a eu des Emp. Romainsissus des Coquins & [2 mots ill.]
Mesme l’Histoire Romaine fait mention de 3. [1 mot ill.] qui ont esté
ou Forgerons, ou fils de Forgeons, sans conter d’autres qui ont
esté de pareille ou plus ville condition, auant que d’estre esleuez
à l’Empire & à la Royauté de Plusieurs pays : Tesmoins les Salibots
pendus au Palais de Cracovie. Mais il faudra auoir soin de
faire descendre le Codicillant de la cuisse de Iupiter, & du sang
d’Hercule du costé paternel ; car pour le maternel, c’est assez
qu’on le tire des Rois d’Angleterre, par le moyen des comtes de
Candale, sortis de la maison de la Rose-blanche, à qui de [1 mot ill.]

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la Couronne d’Angleterre appartient, quoy que les Anglois en
attendans que les Ancestres de son A. Codillante sont nommez
Princes s’en rient à pleine bouche & à ventre deboutonné, les
nommens Archi fourbes, & Princes Hypobolimées & supposez :
[illisible] les appelent rustres. Mais
[illisible] supposition n’a pas mal reussi à feu Messire
François de [1 mot ill.] Euesque d’Aire, & excellent ouurier en
la fabrique de toute sorte de metaux, pour releuer sa maison auparauant
fort pauure & oberée. Tellement que le Seigneur
Prince Codicillant prie & charge ses executeurs testamentaires
nommez en sondit Testament : de tirer de toute son heredité vn
fonds pour instituer ledit solemnel Anniuersaire des jeux, où les
Poëtes qui feront l’Apotheose de son A. Codicillante, & qui
au lieu d’Epitaphes, composeront des Hymnes Grecs, Latins &
François à la loüange de cet Heros incomparable, receuront des
loyers dignes de leurs beaux ouurages. Voulant son A. Serenissime
que telle ordonnance de sa derniere volonré soit entierement
executée.

 

Item, Veut & ordonne ledit Seigneur Prince Codicillant que toutes Regratieres
de fruicts crus & cous, toutes reuendeuses de sardines de Galice & de
Royan, d’Esquires, d’Huistres de Muscles, de Mils, de Millas, de Micques de
Cruchades, de Rislandes, de Pois on d’Avril, de Cornes fruict nouueau, & autres
telles d’anrées, ayent la permission d’aller librement dançer toutes les fois
qu’elles voudront en la place de Lusignan, cy-deurnt dite Puypaulin, à la chargé
d’y chanter quelques belles & ioyeuses chansons à la loüange de son A. Codicillante,
& de porter à son Tombeau des [1 mot ill.] P. Augustins de Bourdeaux, des
bouquets & des guirllandes leiour de l’Anniuersaire desdits jeux crées à son
honneur. Laquelle permission ledit Codicillant donne & legue, & par droit
[1 mot ill.] & legat, delaisse ausdites Regratieres, les faisant en ce ses heritieres
particulieres. Voulant, le present son Codicille, valoir comme tres-expresse
& souueraine ordonnance de sa derniere volonté : En outre voulant que ses
amez & feaux Peuples de sa bonne ville de Boutdeaux, & de sa tres-chere Prouince
de Guyenne, iouisse du benefice du present Codicille, & de sondit Testament,
ordonnant que l’vn & l’autre sorte en sou plain & entier effet en tous
ses points & clauses : Car tel est son plaisir. Fait à Angen ce I. de Iuin 1650.
dans le logis de son A. Serenessime, la quelle elle est sur le point de quitter, pour
obeyr à l’ordonnance de ses Medecins, qui ont iugé que l’air de la Prouince de
Guyenne luy est tres mal sein & qu’il faut qu’elle s’en esloigne, si elle se veut
sauuer, ez presences des tesmoins appellez & requis, qui ont signé à la cede de
ces presentes auec le Prince Codicillant.

Le Duc d’Espernon.
Bonneau, Beauroche. S. Quentin. Rolland.
Augeard. Sanguinet. Lauuergnac. & moy
LAVRISSESQVES, Notaire Royal.

Suitte. CODICILLE.

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